Wikipédia, l’encyclopédie en ligne, gratuite et collaborative a 20 ans

Voix off : France Inter – Le 18/20 – Fabienne Sintès.

Fabienne Sintès : Wikipédia c’est le site qui a changé les repas de famille dans le monde entier. Désormais, quand on se dispute sur un fait historique, sur la date de naissance d’un acteur, sur la biographie d’un auteur, il y a toujours quelqu’un autour de la table pour dire « ne bougez pas, je regarde la fiche Wikipédia qui mettra tout le monde d’accord ». Mais Wikipédia c’est bien plus que ça ! Désormais dans le top 10, le top dix des sites les plus visités du monde, 20 milliards de pages vues, des contributeurs dans 300 pays, désormais aussi une lourde responsabilité. Wikipédia est devenue, pour beaucoup, la référence ; comme on dit chez Spiderman « quand on a de grands pouvoirs on a aussi de grandes responsabilités », Spiderman, entre parenthèses, apparu pour la première fois dans un comic book en août 1962, je le sais, je l’ai lu dans Wikipédia !
La référence, d’autant que Wikipédia a avalé les encyclopédies Universalis et Britannica dont la version papier n’existe plus. La référence parce que depuis 20 ans, Wikipédia, sur son créneau, est toute seule. 20 ans, naissance le 15 janvier 2021. Tout Internet a changé depuis ces 20 dernières années. Pas Wikipédia qui reste l’outil collaboratif et participatif, sans pub, de référence.
Critiquée, parfois aussi méprisée pour certaines inexactitudes par certains, mais désormais aussi ultra-surveillée pour éviter le n’importe quoi dans ses pages, Wikipédia reste basée aussi sur le bénévolat.
Qui sont les fameux contributeurs ? Qui peut écrire quoi ? Comment sait-on instantanément que quelqu’un modifie un article ? Qui vérifie les faits dans les contributions ? Quelles sont les règles écrites de Wikipédia ? Est-ce que c’est un exemple, au fond, pour Internet, ou pas ?
On en parle ce soir et soyez les bienvenus dans Le téléphone sonne.

Voix off : Le téléphone sonne, 01 45 25 24 7000.

Fabienne Sintès : Caroline, c’est vous la première. Bonsoir et soyez la bienvenue.

Caroline, auditrice : Bonsoir et meilleurs vœux à tout le monde.

Fabienne Sintès : Merci. Meilleurs vœux à vous Caroline. Allez-y.

Caroline, auditrice : J’étais professeur de lettres. Il y a dix ans déjà, mes élèves avaient le réflexe de regarder tout de suite sur Wikipédia pour faire leurs recherches. J’étais très récalcitrante et j’ai toujours voulu les inciter à chercher ailleurs, à aller approfondir les notions. Jusqu’au jour où, moi-même, j’ai voulu en savoir plus sur une notion, la notion de kairos, c’est une notion philosophique et c’est sur Wikipédia que j’ai trouvé une explication. J’étais assez étonnée, l’explication était très détaillée, très référencée, très claire. J’ai voulu en savoir plus. J’ai vu qu’il y avait un vrai auteur, qui habite Dijon, et ça a donc modifié mon point de vue, ça m‘a même poussée à contribuer financièrement à ce projet. En fait, je me rends compte que Wikipédia réalise aujourd’hui, enfin depuis 20 ans, à l’échelle planétaire, finalement le projet encyclopédique des Lumières avec, en plus, sa gratuité. Donc voilà !

Fabienne Sintès : Donc vous y allez toujours Caroline j’imagine désormais, maintenant.

Caroline, auditrice : Je continue à y aller avec plus de discernement, mais aussi plus d’engagement. C’est vrai que je pratique plus souvent.

Fabienne Sintès : Pas au point de devenir contributrice en revanche, ou pas encore peut-être.

Caroline, auditrice : Peut-être pas encore.

Fabienne Sintès : Peut-être que ce soir nos invités vous en donneront envie, allez savoir ! En tout cas merci beaucoup pour cette entrée en matière, Caroline, et ce démarrage.
Pour parler ensemble, jusqu’à 20 heures, Marie-Noëlle Doutreix est avec nous. Bonsoir.

Marie-Noëlle Doutreix : Bonsoir.

Fabienne Sintès : Vous êtes maîtresse de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université Lyon 2. Vous avez écrit Wikipédia et l’actualité, qualité de l’information et normes collaboratives d’un média en ligne aux Presses Sorbonne Nouvelle, cette année 2020, enfin l’année dernière, si je puis dire.
Rémy Gerbet est là aussi. Bonsoir Monsieur Gerbet.

Rémy Gerbet : Bonsoir.

Fabienne Sintès : Vous êtes délégué opérationnel de Wikimedia France, de l’association Wikimedia France [1] d’ailleurs, pour être tout à fait honnête.
Il y en a beaucoup, j’imagine au fond, Rémy Gerbet, pendant ces 20 dernières années, des Caroline qui, au départ, disaient « attendez, c’est quoi ce truc ? Qui écrit là-dedans ? Rien ne vaut la bonne vieille encyclopédie bien lourde » et qui réalisent, au fond, que c’est beaucoup plus sérieux, en réalité, que ça pouvait en avoir l’air au début.

Rémy Gerbet : Oui, en effet. C’est vrai que Wikipédia [2] est apparue en 2001 un petit peu comme un projet révolutionnaire qui requestionnait la place de l’expert dans la diffusion de savoirs. Et si Wikipédia n’est pas exempte de failles, il est vrai qu’en 20 ans, la communauté de contributeurs a réussi à mettre en place des pratiques, des règles, des normes, des façons de collaborer qui ont grandement amélioré l’encyclopédie et qui font qu’aujourd’hui elle est de plus en plus fiable.

Fabienne Sintès : Est-ce que vous diriez, Marie-Noëlle Doutreix, vous qui avez aussi le recul puisque vous avez vraiment travaillé dessus que, au fond, Wikipédia a dû se professionnaliser, dépassée par son propre succès, sans imaginer que ça deviendrait aujourd’hui l’un des dix sites les plus consultés dans le monde ?

Marie-Noëlle Doutreix : Justement, on dit souvent que Wikipédia n’a pas d’experts. C’est en partie faux, puisque, parmi tous les contributeurs, il y a des contributeurs qui, en effet, contribuent sur un article qu’ils ne maîtrisent à l’origine et d’autres qui sont des enseignants, même des enseignants-chercheurs, et qui participent aussi sur leur domaine de spécialité.

Fabienne Sintès : Justement là-dessus, Rémy Gerbet, ça m’a toujours intriguée : qui sont les contributeurs ? Caroline donne un exemple, on est quand même dans une notion philosophique qui est extrêmement pointue. Dans ces moments-là, est-ce que vous avez un prof de philosophie dans les contributeurs et c’est lui qui propose, donc la notion arrive sur Wikipédia ? Est-ce que quelqu’un le lui suggère ? Et est-ce que si, moi, j’étais contributrice, mais pas du tout philosophe, je pourrais m’atteler à ce genre d’article ? Je mets des guillemets, est-ce qu’on me laisserait faire ?

Rémy Gerbet : Oui, complètement.

Fabienne Sintès : Ce serait dangereux, j’aime autant vous le dire !

Rémy Gerbet : Après on devient expert aussi en travaillant ses sujets. Beaucoup de contributeurs deviennent, en fait, experts de sujets au fur et à mesure qu’ils approfondissent un article qu’ils souhaitent créer. Le principe de Wikipédia est toujours le même depuis 20 ans : c’est de laisser toujours la porte ouverte à toute personne qui souhaite apporter sa pierre à l’édifice. Dans le cas de la notion de kairos qui a été mentionnée par votre auditrice, il est possible que ce soit un professeur de philosophie qui se soit rendu compte que cet article-là manquait et qui, de lui-même, est allé créer ce nouvel article.

Fabienne Sintès : Ça veut dire que si je m’intéresse à Louis XIV – Dieu sait que cette page de Louis XIV est déjà remplie, ce n’est pas le bon exemple mais peu importe –, je peux, moi qui ne suis pas historienne, qui ne suis pas spécialiste de l’époque, qui ne suis rien de tout ça, je peux moi, écrire une contribution sur Louis XIV si je veux ? Marie-Noëlle Doutreix.

Marie-Noëlle Doutreix : Oui, tout à fait. Mais pour ça il faut que vous ayez des sources, des ouvrages d’historiens, pas forcément seulement, donc que vous référenciez les informations que vous ajoutez à cet article de manière à étayer votre propos.

Fabienne Sintès : Et qui est la première personne qui jettera un œil sur mon travail ? Comment ça se passe ? Imaginez, je suis un peu approximative, je fais mon travail très consciencieusement avec un peu d’approximation — c’est un long papier parce que ça a été un long règne —, qui est le premier à jeter un œil dessus et commence à mettre des petits drapeaux, si je puis dire ? Comment ça marche dans le processus ?

Rémy Gerbet : En fait, sur Wikipédia, il est possible de suivre en temps réel toutes les contributions qui sont dans l’encyclopédie. Dans votre cas, vous seriez du coup une nouvelle contributrice, vous contribueriez avec un compte qui serait nouveau, qui serait rapidement identifié par la communauté. Un contributeur lambda passerait voir ce qui s’est passé, regarderait un peu l’article, est-ce qu’effectivement l’intention de la personne est bonne ? Peut-d’être qu’il vous enverrait un petit message sur la page « Discussion » pour dire « très bien, ce que tu as commencé à faire. Je vais l’aider en wikifiant un petit peu l’article. »

Fabienne Sintès : En wikifiant !

Rémy Gerbet : Oui, c’est aider un peu à la mise en page. « Il y a également un projet qui s’appelle le projet histoire, ce sont des contributeurs qui sont fans d’histoire qui vont peut-être venir t’aider aussi ». Tout cela se fait de manière naturelle et fort sympathique.

Fabienne Sintès : Jean-Baptiste, bonsoir.

Jean-Baptiste, auditeur : Bonsoir. Merci de prendre mon témoignage.

Fabienne Sintès : Je vous en prie allez-y.

Jean-Baptiste, auditeur : Bonsoir. Merci de prendre mon témoignage. J’ai commencé à utiliser Wikipédia très tôt, quand j’étais collégien. Aujourd’hui j’ai 27 ans et je l’utilise quotidiennement au point d’être devenu effectivement contributeur financier à la plateforme en soutien à leur démarche bénévole.
Ce que je voulais souligner c’est aussi la manière dont ils ont réussi à s’adapter à tous les domaines. En particulier ils ont déployé une plateforme qui s’appelle FANDOM où, en fait, ce sont des fans de séries, des fans de Star Wars, des fans de différents univers qui alimentent cette plateforme parallèle, dédiée à cet univers sont ils sont fans. C’est une vraie réussite, parce que c’est tout aussi bien documenté avec les références : si on parle d’un roman des références aux pages, si on parle d’une série avec des références aux épisodes. Ils ont vraiment réussi à s’adapter totalement là-dessus.

[Le site FANDON, est un wiki qui n’a rien à voir avec Wikipédia, NdT]

Fabienne Sintès : Merci beaucoup pour ce témoignage Jean-Baptiste.
Est-ce que ça veut dire, Marie-Noëlle Doutreix, qu’au fil de ces 20 ans, non seulement Wikipédia s’est professionnalisée, a maintenant des routines qui sont évidemment plus fluides et plus simples, mais qu’aussi tout cela s’est beaucoup rajeuni, en fait, quand on voit le FANDOM, qu’on parle de Star Wars, etc., ce ne sont pas les mêmes qui font ce genre de contribution et qui parlent de notre ami Louis XIV qu’on évoquait tout à l’heure. Est-ce qu’il y a un panel de contributeurs qui s’est vraiment bouleversé ces dernières années, en tout cas un profil du contributeur ?

Marie-Noëlle Doutreix : Oui, on peut dire ça comme ça. À la base il y avait surtout des informaticiens qui ont contribué au projet dans les premiers temps. En effet, maintenant il y a de nouvelles générations qui commencent à contribuer, certains ont entendu parler de Wikipédia justement dans le cadre scolaire où on leur a appris à contribuer puisque la Fondation fait aussi des partenariats avec les écoles à ce niveau-là. Après, les questions qui restent c’est la diversification des contributeurs en termes de genre et en termes de pays puisque la Wikipédia en français c’est la Wikipédia pour tous les pays qui parlent français et, très majoritairement, ce sont des contributeurs français qui écrivent les articles, ce qui peut poser, en effet, un problème.

Fabienne Sintès : Est-ce que ça veut dire, d’ailleurs, que les pages anglaises sont traduites, en gros, en français par les contributeurs français ? Est-ce que ce sont les mêmes contributeurs qui font aussi les traductions ? Ou, est-ce que sur un certain nombre de choses qui existent sur un Wikipédia dans une autre langue, on le refait en français pour le lecteur français ? Comment ça marche, Rémy Gerbet ?

Rémy Gerbet : Certaines pages, effectivement, peuvent être traduites directement d’une version de Wikipédia à une autre. Mais, à partir du moment où la traduction est effectuée, les deux articles, après, vont vivre séparément, donc, ensuite, ils vont d’être alimentés séparément l’un de l’autre. Par contre ils sont reliés, ils sont connectés un petit peu ensemble, grâce à un autre projet Wikimedia, qui s’appelle Wikidata [3], qui permet de lier tous ces articles ensemble et de bien montrer que dans tel article anglophone on parle du même sujet que sur le Wikipédia en français, par exemple.

Fabienne Sintès : Comment fait-on, à quel moment arrive-t-on à repérer qu’il peut y avoir eu pas seulement une erreur, mais aussi un vandalisme, c’est comme ça que vous appelez ça, des trolls qui viennent sur un certain nombre de pages ? Combien de temps ça prend en fonction de la page ? J’imagine que si quelqu’un vient sur la mienne, on ne va pas s’en rendre compte avant un bout de temps parce qu’on s’en fout un peu ! Si on fait la même chose sur la page d’Emmanuel Macron, là on s’en rendra compte plus vite pour pouvoir la corriger ? Comment ça marche ?

Rémy Gerbet : Ça dépend. Il y a plein de mécanismes de sûreté, effectivement, sur Wikipédia. Déjà, la page du président Emmanuel Macron est protégée.

Fabienne Sintès : Je ne peux pas venir y mettre mon grain de sel !

Rémy Gerbet : On ne peut pas venir l’éditer, comme ça, facilement.

Fabienne Sintès : Intéressant. Il y a combien de pages qui sont protégées ?

Rémy Gerbet : Plusieurs centaines et cela évolue beaucoup, en fait. En fonction de l’actualité, par exemple, il y a des pages qui sont plus protégées que d’autres pour des protections semi-longues, très longues, etc. Ça évite notamment que des contributeurs non identifiés viennent modifier ces pages-là.

Fabienne Sintès : Pardon, est-ce que tout le gouvernement, tous les hommes politiques en vue, par exemple, sont sur ce genre de page non modifiable ?

Rémy Gerbet : Non. Pas tous. Ces moyens de protection vont être activés par la communauté quand on va détecter des vandalismes réguliers. On va dire « là, ça fait quelque temps que cette page-là est souvent modifiée à des fins pas très productives, on va mettre une protection le temps que ça se calme » en général. Le principe étant toujours d’essayer de laisser la porte ouverte au maximum, cette protection est amenée à disparaître au bout d’un moment, dans tous les cas.

Fabienne Sintès : D’accord. Comment ça se passe si quelqu’un vient sur ma page, par exemple – ce n’est pas moi qui l’ai ouverte puisque théoriquement c’est interdit ? Comment on s’en rend compte sur les pages très anonymes ? Comment on s’en rend compte ? Comment ça marche ? Comment je peux savoir si quelqu’un n’a pas écrit « Fabienne Sintès mange des chats tous les matins au petit déjeuner » ?, sérieusement.

Marie-Noëlle Doutreix : Il y a différents types de vandalisme. Pour les vandalismes les plus évidents comme l’ajout de grossièretés, d’insultes ou d’informations qui sont fausses de manière évidente, il y a des bots qui arrivent à les identifier.

Fabienne Sintès : Des robots ?

Marie-Noëlle Doutreix : Tout à fait, et à les supprimer, c’est-à-dire à revenir à la version précédente en quelques secondes, quelques minutes.

Fabienne Sintès : Pour ce genre ce cas comme celui que je citais, oui, j’imagine qu’un robot peut le faire. Maintenant s’il est écrit, je n’en sais rien, « s’est présentée à telle élection » alors que c’est faux, etc., c’est quand même crédible. Qu’est-ce que fait le robot dans ces cas-là ?

Marie-Noëlle Doutreix : Après, heureusement, il y a une modération humaine qui est complètement nécessaire, c’est le cas pour Wikipédia mais c’est le cas, de manière plus générale, pour les réseaux sociaux. Cette contribution humaine peut se faire grâce à des listes de suivi, on peut suivre directement l’article vous concernant si le sujet intéresse quelqu’un, si quelqu’un vous connaît particulièrement, suit votre carrière, etc., ou, certains contributeurs sont abonnés aux dernières modifications, donc ils suivent les dernières modifications quelle que soit la thématique, ils se spécialisent là-dedans.

Fabienne Sintès : Ça veut dire que ça peut durer un certain, quand même, avant qu’une erreur soit enlevée ? Rémy Gerbet.

Rémy Gerbet : Oui, potentiellement. Effectivement, il y a toujours des petites zones dans Wikipédia qui ne sont pas forcément très surveillées, ou si un fait d’actualité va focaliser un peu la communauté sur des sujets très chauds, évidemment, une erreur peut toujours passer à travers le filtre. Maintenant, globalement, la communauté est quand même assez organisée ; on suit les modifications en temps réel. Si, déjà, il y a une modification qui est faite par quelqu’un qui n’est pas de la communauté, qui n’a pas de compte, et qu’en plus il n’y a pas de référence ou qu’il n’y a pas de source, il n’y a pas moyen de vérifier que l’information ajoutée est correcte, la sécurité va vouloir supprimer cette information.

Fabienne Sintès : Si on s’amuse, si je vais là, maintenant sur Wikipédia, que je choisis Louis XVI, que j’écris, mine de rien, « Louis XVI est mort de sa belle mort, des années après la Révolution », à votre avis combien de temps ça prend ?

Rémy Gerbet : À mon avis, pour le cas de Louis XVI, ça ne prendra même pas une minute parce qu’il y a beaucoup de gens qui sont intéressés par son histoire, qui vont avoir Louis XVI dans leur liste de suivi et qui vont très vite repérer la modification.

Fabienne Sintès : Voici Maxime. Encore un professeur. Bonsoir Maxime. On vous écoute.

Maxime, auditeur : Bonsoir. Bonne année, meilleurs vœux et merci pour la qualité de vos propos, c’est toujours agréable de vous entendre.

Fabienne Sintès : Merci beaucoup.

Maxime, auditeur : Ma question initiale était : qui vérifie ? Des éléments de réponse ont été apportés. Je souhaitais davantage apporter un témoignage, un ressenti. Effectivement je suis professeur et, pour ce fait, mes étudiants utilisent allégrement Wikipédia avec la fameuse copie qui ne change pas.

Fabienne Sintès : Ils manient le copier-coller !

Maxime, auditeur : Voilà. Emblématique. J’avais un témoignage et un ressenti c’est que, finalement, il n’y a pas forcément de limites aux savoirs qui sont partagés sur Wikipédia, donc mes étudiants se retrouvent à être peu sollicités sur l’esprit de synthèse. Je voulais savoir si, finalement, il y a une limite à toutes les données qu’on peut allégrement partager sur Wikipédia, s’il y a des capacités qui peuvent d’être atteintes un jour. Tout simplement ce témoignage-là et merci.

Fabienne Sintès : Merci beaucoup, merci pour votre témoignage. Rémy Gerbet, comment peut-on aider notre ami professeur ?

Rémy Gerbet : Effectivement, déjà, Wikipédia étant une encyclopédie, tous les savoirs ne vont pas sur Wikipédia, il y a d’autres projets qui collectent d’autres savoirs comme le Wiktionnaire]]Wiktionnaire]], Wikidata, Wikimedia Commons [4],etc., donc Wikipédia n’est pas seule dans cet univers-là. Ensuite, effectivement, non, aujourd’hui il n’y a pas de limites préétablies. Il y a même encore des pans entiers de savoir et de culture qui manquent sur Wikipédia. On a parlé de la question de la diversité. C’est vrai qu’il manque beaucoup de cultures africaines, les cultures de peuples autochtones, la diversité, les biais de genre importants, biais linguistiques également ; aujourd’hui le savoir est diffusé sur Wikipédia principalement dans les grandes langues. Il nous manque énormément d’informations dans le détail. Non, la tâche est encore très loin d’être achevée.

Fabienne Sintès : Justement, je voudrais qu’on écoute Sophie. Bonsoir Sophie, je vous écoute.

Sophie, auditrice : Bonsoir Fabienne, merci de prendre mon appel.
Je suis contributrice depuis plusieurs années maintenant. Je participe notamment au projet Les sans pagEsLes sans pagEs]], un projet qui a pour but de réduire le biais de genre sur Wikipédia, parce qu’il y a à peu à près 500 000 biographies de personnes sur Wikipédia, mais il y en a moins de 20 % qui sont des biographies de femmes.

Fabienne Sintès : Même 18 %, j’ai vu ce chiffre sur un excellent papier sur franceinter.fr, figurez-vous en ce moment même, 18 % de biographies de femmes.

Sophie, auditrice : Exactement. En fait, ce que je voulais dire et qu’on n’a pas abordé, je crois, dans l’émission, c’est l’admissibilité des articles. Aujourd’hui, pour créer un nouvel article, il faut s’assurer qu’il soit admissible. L’admissibilité passe notamment par avoir, pour une biographie par exemple, deux articles dans un grand journal, un quotidien national ou international. En fait, ça pêche pour les femmes parce que les journalistes ne s’intéressent pas ou encore trop peu à ces questions-là. Comme ils ne s’y intéressent pas, on ne peut pas créer les pages Wikipédia.

Fabienne Sintès : C’est une peu le diable qui se mord la queue !

Sophie, auditrice : Exactement, c’est un cercle vicieux. Donc c’était plutôt un appel à tous les journalistes d’essayer de faire des articles qui soient non pas des entretiens, parce qu’il y a beaucoup d’entretiens avec des femmes, mais qui ne sont pas admissibles pour Wikipédia, c’est la parole pure de la source primaire, donc ce n’est pas ce qu’on recherche, mais plutôt des articles de synthèse sur des personnes qui sont dans l’actualité. Ça nous permettra de pouvoir enrichir Wikipédia et créer de l’information.

Fabienne Sintès : Merci beaucoup Sophie. Excellente remarque.

Sophie, auditrice : Merci Fabienne.

Fabienne Sintès : Je vous pose la question, Marie-Noëlle Doutreix, et aussi à vous, Rémy Gerbet, et elle a raison, c’est un cercle vicieux. S’il n’y a pas de sources il ne peut pas y avoir d’articles et, comme on écrit moins sur les femmes, les femmes et d’autres d’ailleurs, il y en a donc encore moins sur Wikipédia. Faudrait-il bousculer la règle de ces fameuses deux sources écrites dans des papiers de grands médias généralistes ?

Marie-Noëlle Doutreix : Oui. Tout à fait. Déjà c’est important de rappeler que Wikipédia reproduit les biais de genre présents dans les médias et, de manière générale, reproduit aussi certaines approximations qu’il peut y avoir dans les médias, notamment sur les sujets d’actualité puisque Wikipédia s’appuie sur les articles.

Fabienne Sintès : Si les médias sont la source effectivement, à un moment, on tourne dans un cercle vicieux.

Marie-Noëlle Doutreix : Tout à fait. En effet, on pourrait penser que la communauté pourrait faire un effort pour d’être plus souple de ce point de vue-là, au niveau des critères d’admissibilité, voire les revoir de manière à prendre en compte ces cas-là qui sont importants. D’ailleurs, pour l’anecdote, sur la page « Discussion" de votre article, il y a marqué à « Admissibilité » : « la seule femme à la tête d’une tranche horaire matinale sur une radio nationale ».

Fabienne Sintès : C’est vrai. Vous êtes allée regarder ma fiche, je trouve ça très drôle. Je ne sais pas qui a ouvert cette fiche. En revanche, j’ai vu les passages de modification parce qu’il y en a eus visiblement à un moment, il y a même eu des corrections. Qu’est-ce que je peux faire, en fait, si je vois qu’il y a des choses qui ne me plaisent pas sur ma page, en quelque sorte ?

Rémy Gerbet : La manière la plus correcte de faire c’est de signaler ces passages que vous aimeriez modifier en discussion de l’article, ça peut être en discussion de l’article.

Fabienne Sintès : On est d’accord, je n’ai pas le droit de le faire moi-même. Je ne peux pas.

Rémy Gerbet : C’est vivement déconseillé, effectivement.

Fabienne Sintès : Ça n’aurait pas de sens !

Rémy Gerbet : Comme vous parlez de vous-même vous avez une approche qui sera considérée comme non neutre. L’idée c’est bien d’aller en page de discussion de l’article, de dire « c’est l’article qui me concerne, voilà les éléments que j’aimerais apporter en plus à l’article ou modifier » et, ensuite, vous discutez avec la communauté pour améliorer l’article en question.

Fabienne Sintès : Justement, on va rester sur le même thème grâce à Philippe. Bonsoir Philippe. Allez-y, surfez sur le moment du débat où nous sommes en ce moment.

Philippe, auditeur : Bonsoir. Merci pour vos émissions et merci pour le travail que vous faites. Je voulais poser la question suivante puisqu’elle me taraude depuis un certain temps, je me dis que tout le monde peut être amené à être contributeur, si j’ai bien compris, et, en particulier, on peut décider « tiens, je connais telle personne, elle a un intérêt public, on va dire, et je voudrais créer une fiche pour cette personne sans forcément lui demander son accord d’ailleurs ». Est-ce que c’est possible et, si jamais c’est possible, est-ce que la personne en question, qui va d’un seul coup se retrouver sur Wikipédia, va pouvoir porter une réclamation en disant « oui, je suis tel personnage, mais je n’ai pas envie d’être sur Wikipédia ». Est-ce que c’est possible ?

Fabienne Sintès : Je vais pouvoir répondre à titre personnel au début de votre question. En effet, personne ne vous demande rien pour ouvrir une page, en revanche est-ce que je pourrais demander à la fermer ?, Rémy Gerbet.

Rémy Gerbet : Vous pouvez demander. La problématique c’est que, comme vous êtes une personnalité publique et qu’il a de la documentation vous concernant sur votre métier, votre expérience, votre travail, etc., eh bien la communauté considérera que, du fait de votre activité publique, il est important que vous ayez une page Wikipédia.

Fabienne Sintès : Donc la communauté, en quelque sorte, vote, est-ce qu’on peut dire ça comme ça, se réunit ? Ça se passe à combien de personnes, en fait, ce genre de truc ?

Rémy Gerbet : Tout dépend. Tout dépend des articles, tout dépend des sujets. Mais effectivement, lorsqu’un article est proposé à la suppression, la règle, en général, c’est que les contributeurs qui sont intéressés par le sujet viennent, débattent en page de discussion de l’article et finissent par voter pour le maintien ou non de l’article en question.
Maintenant, pour créer un article, l’auditrice précédente en a effectivement parlé, il y a des critères d’admissibilité, que ce soit pour les personnes, que ce soit également pour les œuvres, que ce soit pour les bâtiments, etc. Il existe tout un tas de critères d’admissibilité, donc il faut déjà s’assurer que la personne pour laquelle vous voulez créer un article répond bien à ces critères d’admissibilité.

Fabienne Sintès : Donc doit avoir un minimum d’intérêt. Je ne peux pas ouvrir une page Wikipédia sur ma voisine du troisième, par exemple ; c’est ce que ça veut dire.

Rémy Gerbet : Effectivement ! Tout à fait.

Fabienne Sintès : Elle va le regretter, on l’embrasse.
Jean-Pierre. Bonsoir. On vous écoute.

Jean-Pierre, auditeur : Bonsoir. C’était pour un biais de respectabilité qui, je trouve, est en train de faire dériver Wikipédia de façon un peu académique. Quand j’ai participé, au tout début, à la création de petits articles de vulgarisation, c’était assez simple et facile. Peu à peu le souci de respectabilité a tendu un peu vers l’académisme. C’est gentil de vouloir être respectable, mais il y a des sujets qui s’y prêtent mal. Moi je suis versé plutôt dans les sujets technologiques, donc pas très marrants, du genre isolation des bâtiments ou réglage des chauffages. Quand on fait des sujets comme ça, le plus souvent, le plus simple, c’est de traduire des articles de Wikipédia anglais ou Wikipédia américain, ce que j’ai fait souvent avec bonheur et, après, ça se développe parce que les sujets foisonnent de leur belle vie. Mais, en même temps, il faut sourcer. Si on veut qu’un article prospère sur Wikipédia il faut qu’il soit sourcé. Quand c’est en français, pour qu’il soit sourcé il faut qu’il référence des textes universitaires. Il se trouve que là il y a un point aveugle, il y a un angle mort. Il y a des tas de sujets, la famille des sujets que j’appelle technologiques, qui sont traités non pas à l’université mais dans les entreprises ou les associations interprofessionnelles. Et là, on n’est pas sourcé et on n’est pas légitime.

Fabienne Sintès : Donc ça ne rentre pas dans Wikipédia.

Jean-Pierre, auditeur : On se fait rabrouer. On peut faire du forcing et tout, mais c’est lassant parce que la démocratie Wikipédia est une démocratie qui n’est pas censitaire, mais elle est un petit peu au temps de présence. Ceux qui sont toujours là ont toujours raison à la fin.

Fabienne Sintès : Les plus grands contributeurs. D’ailleurs j’avais quelques chiffres que j’ai trouvés plutôt intéressants. Il y a 4 millions de contributeurs en France, d’après ce que j’ai cru comprendre, il y en 18 700 qui sont actifs et 8000 qui le sont vraiment, c’est-à-dire qui sont vraiment des gens qui écrivent. Ça veut dire que la communauté des gens qui réfléchissent au problème de Jean-Pierre se réduit d’autant, y compris par rapport à l’intérêt du sujet.
Là aussi, on parlait de diversité tout à l’heure, au fond diversité des gens, diversité des genres, diversité de beaucoup de choses, et aussi des thèmes. Est-ce que vous vous retrouvez de plus en plus heurtés à des problèmes comme celui de Jean-Pierre ? Il n’y a rien sur cette spécialité-là ? Ça existe chez les Anglo-Saxons pourquoi pas chez nous ? Pas de sources !

Rémy Gerbet : Oui c’est souvent ça le problème, ça va être le manque de sources, ça va d’être le manque de références. Comme la communauté se base sur la question, effectivement, de la notoriété du sujet et sur la capacité de retrouver l’origine de chaque information présente sur Wikipédia si, au bout d’un moment, les sources ne sont pas accessibles au grand public, évidemment on se retrouve face à un point de blocage qu’a pu effectivement rencontrer l’auditeur.

Fabienne Sintès : Il y a beaucoup de thèmes comme ça, Marie-Noëlle Doutreix, qui sont compliqués parce que non sourçables ?

Marie-Noëlle Doutreix : Je dirais que dans le cas de ces technologies le problème c’est qu’il y a énormément d’entreprises qui essaient de faire leur promotion sur Wikipédia, de promouvoir leurs technologies, leurs matériaux, leur manière de faire, et je pense que c’est aussi pour ça qu’il y a une méfiance de la part de la communauté envers les sources qui sont publiées par ces mêmes entreprises.

Fabienne Sintès : Parfois, j’ai l’impression que vous êtes un peu l’arroseur arrosé, Rémy Gerbet. J’ai entendu, en préparant cette émission, ce qui m’a laissé un peu les bras ballants, qu’on crée parfois de faux articles, de faux médias sur le Net pour créer des articles, donc créer des sources, donc donner des références, donc faire entrer des gens ou leurs technologies sur Wikipédia.

Rémy Gerbet : Oui, ça arrive. Il est vrai que maintenant, depuis 20 ans, les agences de communication, les grands groupes, ont compris un peu le fonctionnement de Wikipédia et essaient de le contourner le plus habilement possible pour faire leur promotion. La communauté essaie de faire de son mieux, mais, on le rappelle, ils sont tous bénévoles. C’est vrai que ça leur demande beaucoup de temps, des fois, pour remonter à l’origine de l’information pour essayer de détecter ça.

Fabienne Sintès : Vous savez comment contrer ça ? Quand c’est un article qui n’est pas faux mais qui a été créé pour l’occasion et pour servir de source, on sait le contrer, on sait le voir, ou pas ?

Rémy Gerbet : C’est tout à fait faisable. On peut remonter tout ce qui est adresse IP, par exemple, localisation. On remonte les sites, on contrôle si, effectivement, les sites ont l’air de sites fiables, officiels. Je sais que certains groupes de Wikipédiens organisent ce qu’ils appellent des mois anti-pub, c’est-à-dire que pendant un mois ils se consacrent à essayer de remonter justement les articles qui sont un petit peu suspects, où les sources ne sont pas très claires, et à essayer de voir, derrière, si l’article est vraiment admissible ou non.

Fabienne Sintès : Je suis fascinée, en ce moment, par le temps réel, en fait. Par exemple est-ce qu’on sait, Marie-Noëlle Doutreix, qui contribue à l’article sur l’attaque du Capitole [5] chez les Américains. Pour le coup, j’imagine que c’est là que ça commence dans ces moments-là, parce que, à peine l’attaque a-t-elle commencé qu’une page existe déjà. Comment ça se passe et surtout comment fait-on évoluer cette page-là en fonction de qui l’ouvre ? Si celui qui l’ouvre a des amis qui sont en train de rentrer ce n’est pas la même page que si celui qui l’ouvre a des amis qui sont en train de se planquer sous les sièges. Comment ça se passe ?

Marie-Noëlle Doutreix : En l’occurrence, cette page a été créée par un contributeur, Wikipédien de longue date, qui écrit sur divers sujets, qui n’a rien à voir avec le Capitole ou ses assaillants, je parle de la page en français.

Fabienne Sintès : Intéressant ! Ça veut dire qu’il y a eu une page en français. Ça n’a pas été immédiatement la traduction d’une page américaine.

Marie-Noëlle Doutreix : Non. Pour les sujets d’actualité c’est quand même plus rare. Les traductions c’est surtout pour des notions scientifiques hyper-spécialisées où, de toute façon, la recherche scientifique est faite, malheureusement, beaucoup en anglais. Il y a beaucoup de traductions pour ces cas-ci.
Pour l’article sur l’assaut du Capitole, le plus grand contributeur est aussi un Wikipédien de longue date, tout à fait reconnu par la communauté. On peut voir le nombre de contributeurs. Il y en a eu plus d’une centaine. Ils contribuent avec leurs pseudonymes habituels. De ce point de vue-là il n’y a pas de problème. On peut voir le pourcentage de contributeurs non enregistrés, mais maintenant cette page est aussi protégée.

Fabienne Sintès : Déjà !

Marie-Noëlle Doutreix : Oui. C’est au moment de l’actualité que les pages sont le plus susceptibles d’être vandalisées.

Fabienne Sintès : Est-ce qu’il arrive qu’un article comme ça, dans le feu de l’action et de l’actualité, soit écrit à plusieurs mains ? C’est-à-dire que pendant que un commence, un autre, lui aussi, apporte un certain nombre de précisions. Est-ce que c’est forcément un seul contributeur ou est-ce qu’on peut écrire un papier à cinq contributeurs à la fois dans ces moments-là ?

Rémy Gerbet : On peut tout à fait écrire à plusieurs en fonction des sections de l’article. Il y a plusieurs sections dans l’article. Les contributeurs peuvent s’organiser dire « moi j’attaque l’introduction et toi tu attaques la partie actualités » et voilà. C’est effectivement possible.

Fabienne Sintès : Si une page comme celle-là a déjà été fermée, comme vous le dites, effectivement dans les moments d’actualité chaude, est-ce que ça veut dire que dès le début de l’écriture d’un article sur ce genre de thème – on a vu on va apparaître des choses genre ce sont des patriotes qui cherchaient à rétablir Trump dans ses droits –, est-ce que ça veut dire que tout de suite on voit apparaître ce genre de choses, donc c’est une sorte de bataille qui se fait tout de suite entre celui qui écrit et ceux qui ressayent de rentrer ? C’est immédiat ça ?

Marie-Noëlle Doutreix : Oui, je pense et, en l’occurrence il faut dire que la protection ne ferme pas complètement l’article, ça permet qu’il n’y ait que les contributeurs qui ont déjà un compte qui puissent modifier l’article. Là, en l’occurrence, c’est un compte depuis plus de trois mois.

Fabienne Sintès : D’accord. Donc on voit tout de suite arriver sur la page quelqu’un qui va à l’inverse ou qui essaye de donner une autre narrative. Ce qui est fascinant c’est l’idée de la neutralité, Rémy Gerbet, ça fait partie des choses importantes sur Wikipédia, mais au fond c’est l’une des choses les plus compliquées, les plus difficiles, évidemment, la neutralité. Comment ça se règle à la fin, par exemple sur l’histoire du Capitole, comment finit-on par déterminer quel est le mot que l’on emploie ? Est-ce que ce sont des insurgés ? Est-ce qu’on parle de sédition ? Est-ce qu’on parle de terroristes ? Comment sait-on et comment s’arrête-t-on sur un mot à employer dans un article comme celui-là, par exemple ?

Rémy Gerbet : Là aussi, la communauté Wikipédia est dépendante des médias. Globalement, c’est ce qui fait consensus dans les médias qui va servir de point de référence pour l’article. Globalement, sur Wikipédia, tous les sujets un peu polémiques doivent, à un moment donné, passer par ce fameux consensus, cette discussion communautaire qui va arrêter la forme d’un article. Par exemple, si on reprend le cas de la pandémie de Covid-19, il y a eu énormément de désinformation là-dessus, la communauté a donc fait le choix de créer un article spécial qui s’appelle « Désinformation sur la pandémie de Covid-19 » [6] pour pouvoir mettre à un seul endroit tous les autres éléments, mais qu’ils soient toujours présents.

Fabienne Sintès : Est-ce que c’est une page fermée ? Parce que sinon on voit arriver les complotistes pour revérifier ? C’est une page fermée, par exemple, ou pas ?

Rémy Gerbet : L’article qui concerne la pandémie de Covid-19 est effectivement une page protégée.

Fabienne Sintès : Comment fait-on d’ailleurs ? Les chiffres sont à jour sur Wikipédia. J’ai lu, quelque part, que c’était un bot, là aussi, qui était capable de remettre les chiffres à jour, notamment les chiffres français. Comment ça fonctionne, Marie-Noëlle Doutreix ?

Marie-Noëlle Doutreix : Il y a plusieurs chiffres qui sont mentionnés dans plusieurs articles différents, en tout cas certains sont mis manuellement par des contributeurs, d’autres sont, en effet, faits par des bots.

Fabienne Sintès : J’ai lu que c’était un bot brésilien, ça m’a laissé pantoise. Est-ce que c’était une fausse info ou une vraie info ?

Marie-Noëlle Doutreix : C’est tout à fait possible. Il y a des bots qui peuvent être actifs sur des Wikipédia de langues différentes, ça c’est vu, c’est tout à fait possible. Les chiffres que j’ai vus étaient reliés à Wikidata, une base de données qui sert justement à actualiser des informations dans toutes les Wikipédia. Donc ils peuvent d’être actualisés, là aussi, par des bots qui sont reliés à des bases de données institutionnelles et ils vont mettre à jour les chiffres.

Fabienne Sintès : Si les robots mettent à jour est-ce qu’il y a une patte humaine, à un moment, qui vérifie que la mise à jour est la bonne ? Est-ce qu’on a le temps de faire ça ?

Rémy Gerbet : Ça dépend. Effectivement, dans le cas de la pandémie de Covid-19, il faut savoir qu’il y a près de 280 contributeurs qui surveillent la page. Effectivement, chaque jour, il peut y avoir plusieurs dizaines de personnes qui viennent jeter un coup d’œil et qui voient si la page est toujours en bon état. Oui, ça peut se faire, pas partout bien sûr, mais ça peut se faire.

Fabienne Sintès : Fabien bonsoir. On vous écoute, allez-y.

Fabien, contributeur : Bonsoir. Je ne sais plus le nom du fondateur de Wikipédia, je sais que c’est quelqu’un qui est très impliqué dans les milieux libertariens, qui est issu de la Silicon Valley à l’instar de Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et autres milliardaires du milieu numérique. Je me demande, quelque part, si sa volonté profonde c’est vraiment d’ouvrir le savoir à tout le monde ou est-ce qu’il y a un calcul plus commercial, intéressé, d’arriver peut-d’être à long terme à établir un monopole sur le marché de la connaissance ?

Fabienne Sintès : C’est probablement Jimmy Wales [7] le nom que vous cherchiez. C’est une vraie bonne question que celle de Fabien, Rémy Gerbet. À un moment, puisque vous êtes les seuls, vous possédez une forme de connaissance, donc celle qui est diffusée.

Rémy Gerbet : Oui. Mais la sécurité, on va dire, c’est la licence sous laquelle est diffusée Wikipédia. Wikipédia est entièrement sous licence libre, c’est-à-dire que n’importe qui peut, aujourd’hui, copier tout ce qu’il y a dans Wikipédia et se créer sa propre Wikipédia personnelle s’il en a envie, c’est entièrement possible. La seule condition c’est de citer les auteurs, ça en fait beaucoup à citer. Vous pouvez, demain, imprimer le livre de l’ensemble des articles de Wikipédia et le vendre, vous avez tout à fait le droit de le faire. Cela permet, quand même, de s’assurer qu’il n’y a pas de droit de propriété. La Fondation Wikimedia [8] n’est pas propriétaire des contenus sur Wikipédia. Elle est en est responsable en tant qu’hébergeur, mais elle n’en est pas propriétaire.

Fabienne Sintès : Le contrôle et la diffusion de la Connaissance avec un grand « C », Marie-Noëlle Doutreix, est-ce que c’est là aussi un drapeau rouge dans ce genre de site ?

Marie-Noëlle Doutreix : Pour rebondir sur ce qui a été dit, Wikipédia est gratuite, elle est libre, elle est restée fidèle à ça, mais c’est un peu un îlot non marchand dans le Web marchand et qui, d’une certaine manière, lui profite. D’une part parce que son contenu est récupéré par des entreprises petites et grandes, par les GAFAM en particulier, notamment pour leurs assistants personnels intelligents, c’est-à-dire que les enceintes connectées d’Amazon, Google, Apple, etc., vont se servir de Wikipédia, parfois et souvent sans la mentionner. Ça peut, en effet, être un problème.

Fabienne Sintès : Pierre-Alain est là, je vous écoute.

Pierre-Alain, auditeur : Oui, justement, c’est très agréable d’utiliser Wikipédia parce qu’il n’y a pas de publicité et qu’en tout cas, ensuite, on ne vous redirige pas vers des sites marchands, donc je me posais la question du modèle économique. Comment ça fonctionne et qui paye ça ?

Fabienne Sintès : Rémy Gerbet, à part nous ? Qui paye ?

Rémy Gerbet : C’est vous, ce sont les dons que toutes les personnes font chaque année pour soutenir le projet Wikipédia. Quand vous voyez l’appel, le bandeau sur Wikipédia qui appelle à donner, cela sert effectivement à ça. Ce bandeau passe de pays en pays et, au niveau mondial, c’est quasiment plus de 85 % des ressources du mouvement qui viennent de dons de particuliers.

Fabienne Sintès : Et ça marche bien, ou pas ? Marie-Noëlle Doutreix.

Marie-Noëlle Doutreix : Oui, ça marche bien. Après, pour tout ce qui est recherche et développement il y a aussi des dons des GAFAM, un million de dollars, etc., chaque année pour Google, Amazon, pas depuis l’origine. Ce sont aussi des dons qui comptent.

Fabienne Sintès : Ce qui nous ramène à la question de tout à l’heure et à la question de Fabien, en effet, sur une connaissance resserrée, qui ne sort pas, encore une fois, des GAFAM et de ce petit monde. Comment fait-on pour éviter cela, pour s’extraire de ce piège-là, à votre avis ?

Marie-Noëlle Doutreix : Les interactions sont fortes et je pense que c’est difficile, d’autant plus que la Fondation Wikimedia part, au niveau des États-Unis, pas d’association en France, elle part dans des partenariats divers, autour de nouvelles technologies, avec Google notamment. Donc c’est quelque chose qu’il faut plutôt surveiller. Les communautés wikipédiennes ont l’air, quand même, d’essayer de suivre ça de près, de vouloir avoir un esprit critique aussi par rapport à ces partenariats autour de « l’intelligence artificielle » avec des guillemets, ce genre de choses qui sont en train d’être faites.

Fabienne Sintès : Ça veut dire que plus il y a de contributeurs, plus on évite, effectivement, ce genre de travers, mais plus, aussi, on accepte l’ouverture, y compris des thèmes, dont certains de nos auditeurs nous ont dit qu’ils avaient du mal à les placer, moins on est face à ce genre de critique ? Rémy Gerbet.

Rémy Gerbet : Oui tout à fait. De toute façon le modèle Wikipédia repose sur l’engagement bénévole. Donc plus il y a de personnes qui participent, de personnes qui contribuent, plus cela permettra au projet de rester fidèle à ses principes.

Fabienne Sintès : C’est un métier contributeur pour Wikipédia ? Est-ce qu’il y en a qui ne font que ça, ça existe ou pas ?

Rémy Gerbet : Non, aujourd’hui non, ce n’est pas un métier reconnu, pourtant Dieu sait que le temps investi par ces bénévoles est extrêmement important et je pense qu’on leur doit toute notre reconnaissance.

Fabienne Sintès : Comme vous dites, et pour tout leur travail.
En tout cas passionnante discussion. Je vous remercie vraiment beaucoup tous les deux.

Rémy Gerbet : Merci beaucoup.

Marie-Noëlle Doutreix : Merci.

Fabienne Sintès : Merci à tous pour vos nombreux appels, comme d’habitude, et portez-vous bien.