Bertrand Lemaire : Bonjour. Bienvenue sur republik-it.fr. Aujourd’hui nous recevons Simon Clavier. Bonjour Simon.
Simon Clavier : Bonjour.
Bertrand Lemaire : Et Florian Caringi. Bonjour Florian.
Florian Caringi : Bonjour.
Bertrand Lemaire : Vous êtes respectivement président et vice-président d’une association qui s’appelle TOSIT, The Open-Source I Trust. Première question : c’est quoi le TOSIT [1]. ?
Simon Clavier : Le TOSIT est une association loi 1901 qui est née en 2017. Elle regroupe des grandes organisations, nous sommes maintenant 23, nous avons commencé à 6, SNCF [lui-même, NdT], par exemple, BPCE [ Banques Populaires, Caisses d’Épargne] [son voisin, NdT], mais aussi Pôle emploi. Il y a de tout, il y a du privé et du public. Dans le privé, j’en ai cité quelques-unes, dans le public, moins connues Renater, le ministère des Armées, le ministère des Finances. On essaye de progresser ensemble dans l’appropriation et la mise en œuvre de l’open source dans nos grandes organisations et on s’entraide pour cela.
Bertrand Lemaire : Très bien. L’open source a maintenant 30/40 ans en tant que mouvement. Pourquoi avoir créé une association plutôt qu’une simple communauté informelle ou une fondation ou autre chose ?
Simon Clavier : Ça s’explique, c’est en fait une question de maturité. Je prends mon exemple. Quand j’ai commencé à la SNCF, vers 2013/2014, avec la responsabilité de promouvoir l’open source à la base, assez peu de choses existaient, évidemment il y avait les fondations, etc., mais pour une entreprise comme la SNCF c’est vraiment très loin par rapport à ce qu’on fait, à l’époque déjà, au jour le jour.
Il y a déjà des cercles de discussion pour parler spécifiquement d’open source, je pense au Cigref [2], au CRiP [3], à l’IMA [4] mais souvent ce sont des conférences où on va entendre qu’une mise en œuvre s’est très bien passée chez EDF, mais on reste un peu sur sa faim, on n’arrive pas dans le creux parce qu’on a besoin de mettre en œuvre techniquement, de savoir vraiment comment ils ont fait. De fil en aiguille, un petit collectif qui souhaitait aller plus loin a fini par avoir la volonté de dire « il faut formaliser ça » et ça a donné naissance à l’association de manière formelle, notamment grâce à l’appui des responsables de sécurité au moment où la faille Heartbleed [5] est sortie. Il y a eu cette prise de conscience qu’on utilisait de l’open source mais sans vraiment trop la maîtriser et qu’il fallait progresser. Ce sont les RSSI [Responsables sécurité des systèmes d’information] qui ont formalisé la création de TOSIT et, de fil en aiguille, c’est devenu ce qu’on va raconter plus tard.
Bertrand Lemaire : L’objectif d’une association, c’est évidemment de faire des choses, c’est ce que vous avez dit, mais concrètement, en termes d’action, en termes de produits, que faites-vous ?
Florian Caringi : Finalement le TOSIT, comme on peut le voir dans l’open source, dans les projets de manière générale, il y a des associations, des communautés très grosses. Ce qui est intéressant c’est que les communautés sont rapprochées. On peut se rapprocher au sein de ces gros projets open source et nous ça nous permet déjà d’échanger autour de bonnes pratiques et de consommation d’open source existant, de supports. C’est hyper important parce que beaucoup de DSI [Directeurs de système d’information] ont peur, parfois, de l’open source parce qu’on leur dit « tu n’auras pas de support, comment vas-tu gérer ton 24/7 pour ton SLA [Service Level Agreement], etc. », alors qu’il y a du support. Déjà, on peut s’appuyer beaucoup sur les communautés qui, finalement, sont les meilleurs supports, mais aussi sur des entreprises, des organisations, qui existent déjà et on peut partager, par exemple la SNCF avait lancé des appels d’offres, Orange aussi. Ça permet à des entreprises avec moins de maturité d’avoir ces retours d’expérience et il y a aussi le fait de travailler autour de projets, pour en citer un : au moment où Cloudera rachète Hortonworks qui était vraiment ce qu’on avait sur le marché de big data open source avec du paiement de support, s’est posée la question, pour certaines organisations au sein du TOSIT : « j’ai besoin de trouver une solution, je n’en vois pas sur le marché, et si on se mettait ensemble pour coconstruire des choses ? ». Des briques qui étaient déjà en open source, il fallait mettre la glu entre ces briques, ce qu’a porté Horton.
Typiquement, EDF et la DGFiP ont lancé le projet TDT qui est devenu Tosit Data Plateform puis Trunk Data Platform pour être un projet open source mais porté par des membres du TOSIT, utilisé par des membres du TOSIT mais aussi à l’extérieur.
Bertrand Lemaire : C’est open source.
Florian Caringi : Exactement, c’est open source. L’objectif c’est vraiment de codévelopper des choses ensemble, par contre on arrive à mettre à proximité des développeurs ensemble et je trouve que ça nous donne une organisation, un ensemble pour le faire.
Bertrand Lemaire : Concrètement, l’open source est très présente dans tout ce qui est infrastructures et ce depuis très longtemps. Aujourd’hui la quasi-totalité des systèmes d’information fonctionne sous Linux. Par contre, le problème est plus au niveau du front, du côté de l’utilisateur final où là on a du Microsoft, on a de l’Oracle, des choses comme ça. Comment fait-on, lorsqu’on s’appelle TOSIT, pour faire en sorte que l’open source monte un petit peu dans les piles ?
Florian Caringi : En premier lieu, je pense que ça va être aller faire un peu des cahiers des charges, on en a parlé un peu, ça s’est entendu, il y a un sujet Atlassian par exemple : Confluence pour les pages de documentation, Jira pour le ticketing. C’est vrai que ce sont des produits interconnectés avec des web clientes directes, visuelles, prise en main facile, partagés entre plusieurs entreprises. Finalement, on se dit qu’on a un changement dans le modèle économique de l’éditeur qui fait que certaines organisations sont obligées de se poser des questions, même au niveau du progiciel en lui-même, puisque peut-être partir sur du SaaS, etc., on a des ministères qui ne peuvent pas se permettre d’avoir de l’information qui sorte de leur club privé. Là on s’est dit on fait des cahiers des charges pour identifier les endroits où on a besoin, où c’est crucial, on trouve une alternative autour de la page documentation, autour du ticketing, et comment on fait cette interopérabilité, ce que font très bien les éditeurs. C’est un exemple, mais il y en a plein d’autres, autour de Kubernetes, autour d’autres choses, autour même des moteurs SQL comme Trino et autres, de Spark. On peut aussi codévelopper des petites choses qui vont être fournies aux autres : la gestion de Spark [6], par exemple avoir un frontend utilisateur SQL. Ce sont des petites choses qui font que, derrière, on arrive à mieux consommer l’open source. C’est un vrai sujet, les fondations de l’open source sont là, mais très souvent, typiquement, pour faire du Kubernetes, on va se retrouver avec Red Hat parce qu’ils ont de l’OpenShift ; on veut faire du Linux, on va se retrouver avec Red Hat, parfois aussi par habitude pour les DSI. C’est plus simple, le support est là et il n’a pas besoin de se focaliser sur le développement de ça, c’est end user.
On a beaucoup de briques, mais, pour nous, c’est comment arriver à les amener en end user pour les autres, sachant qu’on partage des retours d’expérience de tout le monde, chacun avance.
Bertrand Lemaire : Ça veut dire monter des projets. Qui dit monter des projets dit de la gouvernance. En gros, il faut que quelqu’un décide « on va faire ça » et quelqu’un qui dise « OK, je veux bien le payer. » Comment ça marche ?
Simon Clavier : Puis-je revenir juste sur un point de la question précédente, pour compléter. Pourquoi, finalement, y a-t-il assez peu de logiciels open source orientés pour l’utilisateur final ? Juste un mot par rapport à ce qui a été dit, en fait il y a deux biais.
Il y a des choses qui existent, mais qui sont trop confidentielles. Elles ne sont pas à l’échelle. Du coup, c’est aussi notre rôle, en tant que TOSIT, par le bouche-à-oreille, de faire connaître en disant « j’ai testé ça, ça marche bien. Vous êtes en train de dire qu’il n’y a rien d’autre mais, en fait, il existe des choses », c’est vraiment le truc important.
Le deuxième, c’est que tout ce qui touche de près de l’utilisateur final est à haut risque en termes de transformation. De mon point de vue en tout cas, s’il y a quelque chose où je dois faire une transformation, ce sera vraiment en dernier sur quelque chose qui sera ultra robuste. Il y a eu des exemples, je crois qu’en Allemagne des villes ont fait des grands virages à LibreOffice et ça s’est mal passé, du coup, après, on jette le bébé avec l’eau du bain en disant « regardez, l’open source, ça ne marche pas » et ils sont revenus en arrière. Quand on fait des choses utilisateur final il faut vraiment que ce soit nickel, c’est un one-shot. Si on se trompe, on décrédibilise toute l’initiative open source.
Bertrand Lemaire : Quand vous montez des projets, quelle gouvernance appliquez-vous ? Qui décide de lancer un projet et qui le finance ?
Simon Clavier : Dans TOSIT, contrairement à une fondation – ce n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai parce qu’il y a une grande autonomie dans les fondations –, j’ai envie de dire que c’est vraiment complètement opportuniste, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’instance TOSIT qui dit « ça on va le faire, ça on ne va pas faire. » Tout ce qui est décidé au nom de TOSIT est fait de manière complètement collégiale, avec tous les membres, on se consulte, on se demande « est-ce qu’on a envie de faire ça ou pas ? ».
Pour ce qui est des projets, typiquement l’exemple de Trunk Data Plateform, c’est l’initiative de EDF et de DGFiP qui en parlent ensuite au reste du groupe, qui décide d’embarquer ou de pas ne pas embarquer. Chacun est complètement libre. Si on prend les autres initiatives, la MAIF a fait beaucoup de logiciels open source, quelques-uns ont été réutilisés par les autres ; la SNCF a fait un chatbot qui s’appelle Tock, il a été réutilisé. C’est un endroit où on va pouvoir en parler et prendre le temps d’en parler parce que c’est long. Les sociétés éditrices propriétaires ont des équipes de marketing et de commerciaux, nous ne les avons pas. On en parle du point de vue technique avec les techniciens.
Chacun est libre, après, de s’emparer, ou pas, notamment par rapport à son propre rythme. On n’a pas tous la même vitesse, on n’est pas prêts au même moment.
C’est avant tout la liberté et après avoir jugé sur pièce par le retour d’expérience des copains.
Bertrand Lemaire : Donc derrière, ceux qui veulent embarquer financent ?
Simon Clavier : Je n’ai pas du tout parlé du financement. La plupart du temps, il n’y a pas de financement, c’est-à-dire que chacun fait avec ses fonds propres, avec son équipe, etc., dans la mesure où le logiciel qui est utilisé est déjà prêt à l’emploi.
Là où il y a une question de cofinancement, et c’est quelque chose sur lequel on arrive maintenant – je vous ai dit que nous sommes partis en 2017 –, donc en 2025 on est de plus en plus dans cette logique-là : on constate que des logiciels open source sont des candidats sérieux à devenir des logiciels propriétaires, mais, loi de Pareto, il y a 80 %, il manque 20 %. La question qu’on va se poser c’est : est-ce qu’on n’a pas intérêt à développer ces 20 % ensemble pour avoir un produit complet qui soit open source et qui soit un vrai concurrent du produit propriétaire, plutôt que de lâcher l’affaire et de lancer un énième appel d’offres.
Ces logiques-là sont en œuvre. Ça veut dire qu’on commence à spécifier ce qui manque. On fait une sorte de tour de table à plusieurs entreprises, on fait le backlog, « ça on ne le fera pas, ça, par contre, oui », on se met d’accord, on va voir les communautés et on leur demande qu’elles nous fassent un chiffrage : combien ça coûterait de développer ça en open source ? L’idée dans TOSIT, après, c’est comment on fait pour cofinancer l’enveloppe.
Bertrand Lemaire : D’accord.
Simon Clavier : TOSIT, mais d’ailleurs pas que. On a aussi un groupe de travail qui a été fait avec le Cigref. Un noyau a émergé dans le TOSIT et au moment où nous étions mûrs et nous savions ce que nous voulions, on a demandé : « Est-ce que ça intéresse quelqu’un ? »
Bertrand Lemaire : D’accord. Donc là, éventuellement, chacun va contribuer soit financièrement soit en équipes.
Simon Clavier : Exactement, ou pas. Il y en a qui peuvent dire « non, cette année je ne peux pas », l’idée c’est de se faire confiance, il n’y a pas d’engagement. Utiliser un produit open source c’est déjà contribuer. Utiliser un produit open source, en parler et faire des retours, c’est déjà contribuer. Il n’y a pas du tout de bons membres et de mauvais membres.
Bertrand Lemaire : D’accord.
Tout à l’heure, vous avez cité le ministère des Armées et quelques autres. Le 10 juillet 2025, La DINUM, la Direction interministérielle du numérique, a rejoint le TOSIT. Elle a ses propres produits numériques, notamment la Suite numérique [7]. Comment cela se passe-t-il ? Pourquoi vous a-t-elle rejoints, d’abord, et ensuite pour faire quoi ? Est-ce que, du coup, le TOSIT va s’emparer aussi de la Suite numérique ?
Simon Clavier : Nous sommes évidemment ouverts à toutes les opportunités. On a vu poindre la Suite numérique. Ça faisait un moment que nous étions en contact avec la Direction du numérique de l’État. Le fait qu’elle soit devenue membre c’est un peu une suite logique dans la coopération. En plus, comme elle faisait sortir la Suite, pour pouvoir discuter de ce que fait la Suite, c’est ce que j’expliquais précédemment, à un moment, quand on veut rentrer techniquement dans les produits, il faut qu’on se parle un peu plus souvent et avec des personnes qui sont un peu plus techniques que simplement au détour d’une conférence. C’était donc assez naturel qu’ils rentrent dedans pour qu’ils puissent parler de leurs initiatives. Pour nous, ce n’est pas un blanc-seing, c’est aussi pour voir comment on peut les aider, comment on peut avoir une collaboration objective avec eux, parce que ce n’est pas ça et rien d’autre. Il existe déjà beaucoup de suites collaboratives en open source. Ça fait un nouvel arrivant. À nous de juger ce qu’il est capable de faire et si ça nous intéresse.
Dans TOSIT nous sommes vigilants, évidemment, en termes d’autonomie stratégique, de souveraineté numérique, etc., nous nous méfions des produits open source, tous ne se valent pas. Quand on s’intéresse à un open source, on s’intéresse à son modèle économique : qui est derrière ? Celui qui l’a créé, avec quel argent l’a-t-il financé ? Est-ce que c’est un modèle qui est déjà pérenne ou est-ce que c’est quelque chose qui est complètement financé par un investissement, donc avec un fort risque qu’il y ait, à un moment, une tentative de rentabiliser l’investissement, donc hop, on referme la licence, etc. ? C’est donc pour cela qu’il faut surveiller un peu tout l’écosystème pour voir qui sont les candidats et quels sont les plus pertinents, notamment par rapport à ce risque-là. Jusque-là.
Bertrand Lemaire : Du coup, la question fondamentale, la raison d’être, finalement, du TOSIT, c’est de reprendre la main, reprendre la maîtrise du système d’information. Concrètement est-ce que ça marche, si je puis dire ? Est-ce qu’on arrive, grâce à vos actions, grâce à vos produits, à reprendre la main sur son système d’information ?
Simon Clavier : Tu peux peut-être en parler d’un point de vue data.
Florian Caringi : D’un point de vue data, ce qui est intéressant c’est qu’on arrive à consolider, au niveau du TOSIT, des groupes de travail, notamment des groupes de travail qui ont vraiment une bonne dynamique autour des sujets de data et d’IA, en ce moment c’est très porteur, et surtout, c’est un écosystème qui est très open source. Mais c’est là où est le problème. Comme tu le dis, amener des produits open source à des clients finaux, internes, alors qu’on a un équivalent sur le marché, payant peut-être mais très performant, c’est compliqué. Par contre, avec tous les retours d’expérience qu’on a, on peut arriver face à un DSI ou à un comité de direction et dire « on va prendre cette brique-là, open source, et pas la brique propriétaire parce qu’on a analysé le modèle économique, etc., en s’associant à d’autres organisations, on va pouvoir le faire, on va pouvoir développer cette brique », c’est plus simple quand on dit « j’ai derrière la DGFiP, j’ai EDF, j’ai d’autres grandes organisations pour essayer de faire ensemble » que de dire « coucou je suis tout seul » et on ne connaît pas vraiment en fait la maturité sur le marché, même la maturité de consommation. Il n’y a pas de Gartner de l’open source alors que là, au moins, par le TOSIT, ce n’est pas une fenêtre complète, mais c’est une fenêtre sur pas mal d’organisations qui font, ça permet donc de dire aussi aux gens « regardez, deux/trois grandes organisations sont allées là-dedans, pourquoi vous n’iriez pas. »
Bertrand Lemaire : C’est amusant que vous parliez d’un Gartner de l’open source. Au dernier Open CIO Summit, que j’animais, j’ai dit, en gros, « les DSI prennent ce qui est en haut à droite du Gartner, on n’a qu’à créer un Gartner de l’open source, comme cela ils pourront prendre ce qui est en haut à droite ! »
Dernièrement, il y a eu un certain nombre de mésaventures pour nos amis les DSI, que ce soit le rachat de VMware par Broadcom, que ce soit les bizarreries de Trump, etc. On va dire que la souveraineté est un mot à la mode. Est-ce que, quelque part, ça vous a aidé ou est-ce que, finalement, c’est indifférent pour vous ?
Florian Caringi : Je peux donner mon exemple. On peut tout mettre derrière la souveraineté. Par contre j’aime bien dire, je le ressens, c’est un peu cette redéfinition qui commence à arriver : la dépendance technologique. Finalement l’open source permet de minimiser les dépendances, je ne dis pas qu’il n’y en a pas. Si on regarde bien, les grandes fondations open source sont quand même nord-américaines, on ne peut pas, d’un coup, dire qu’on ait le blanc-seing, comme dirait l’autre, de la souveraineté, mais au moins, on est face à une communauté internationale de développeurs, on n’a pas de nationalité derrière. Après, il faut bien vérifier l’open core, l’open source, le communautaire, etc., mais à partir de ce moment-là, quand on a, en plus, la chance d’avoir des organisations comme le TOSIT qui peuvent nous aider. On peut se dire qu’il peut avoir un avis intéressant pour aller plutôt maintenant chercher certaines briques que je considère comme fondations fortes de l’open source pour minimiser la dépendance. Par contre, on ne pourra pas tout changer en open source dans les organisations. Je pense que, aujourd’hui, ça va jouer sur la dépendance technologique. Je ne sais pas quel est ton avis.
Simon Clavier : Je reprends les mots de Henri d’Agrain, du Cigref, qui parlait, en juin, de « résilience numérique » plutôt que de « souveraineté numérique », c’est de cela dont il s’agit.
Je pense que ce qui s’est passé, notamment avec Trump, c’est le fait qu’on ne peut avoir confiance en personne. On pensait pouvoir avoir confiance en notre grand allié américain, tout d’un coup, là, boom ! On n’a confiance en personne, donc une forme d’incertitude apparaît maintenant. Quelle que soit la solution technologique choisie, comment je gère l’incertitude de sa suite, qu’est-ce qu’elle va devenir ?
Si vous prenez VMware qui se fait racheter par Broadcom, oui, ça peut arriver, y compris avec les produits open source. Si on prend l’exemple de Trunk Data plateform, c’est bien Hortonworks qui s’est fait racheter par Cloudera, qui a fermé le logiciel open source. Donc même un open source peut, du jour au lendemain, avoir une stratégie qui change complètement s’il est à la merci de ce type d’opération.
C’est cette gestion de l’incertitude et du risque qui, à mon avis, a été remise sur le devant de la scène et, du coup, nous avons été plus audibles. Face à cette question qui est quand même compliquée – comment gérer l’incertitude –, ils se sont dit « c’est vrai qu’il y a l’open source. » Ça a redonné un petit peu d’énergie à quelque chose qui est quand même très ancien parce que ça fait longtemps que nous le disons. Je faisais des présentations déjà en 2014 et je me souviens que je disais « les logiciels éditeurs c’est très bien, tout le monde en est très content, mais on a un problème, c’est que de contrat en contrat on ne maîtrise pas les prix, on ne contrôle pas les métriques ». Vous prenez des logiciels bien connus comme Oracle, je peux le citer, ils ont changé les métriques, ça a été au serveur, puis au CPU, après on va faire all users. Ils trouvent la métrique qui les arrange et nous sommes derrière à essayer de bricoler… Dans l’open source ça n’arrive pas. Dans l’open source, le logiciel est utilisable comme ça, n’empêche qu’il n’est pas gratuit. Ce que vous payez c’est la main-d’œuvre pour vous aider à l’accompagner ou alors les contrats de support à des prix qui sont, j’ai envie de dire, fair-play. D’ailleurs, nous sommes très vigilants quand nous faisons nos choix d’open source, on dit « si vous êtes fair-play on va avoir un contrat avec vous maintenant, mais si vous vous faites racheter par un grand concurrent, quelle est notre porte de sortie ? ». Et on discute d’emblée de la porte de sortie pourtant avec des entreprises dont c’est parfois le bébé, mais on ne sait pas ce qu’elles vont faire demain.
Bertrand Lemaire : Comme on dit, quand on se marie il faut penser au divorce.
Simon Clavier : C’est ça. Ça fait un peu froid dans le dos, n’empêche que c’est mieux, dans un mariage peut-être pas, en tout cas dans une entreprise c’est sain.
Bertrand Lemaire : Pour terminer, une double question autour des défis qui vous restent à relever. Pour commencer, quels sont les défis pour vos membres pour les prochains mois ?
Simon Clavier : Je pense que les défis pour nos membres, ça rejoint ce qu’on a dit juste avant, c’est la résilience numérique. Finalement, face à ce contexte qui bouge très vite, où les appétits sont décuplés, où on ne sait pas ce qu’un partenaire fair-play aujourd’hui fera demain, dans toute cette masse de sujets et de solutions technologiques, le défi c’est le choix : qu’est-ce que je dois choisir et comment je pèse mon risque. Est-ce que je prends le risque d’aller sur un open source qui est peut-être méconnu mais performant ? Ou est-ce que je prends plutôt le risque de continuer à signer avec un propriétaire en me disant qu’à la prochaine échéance contractuelle je vais peut-être me faire croquer ? Je pense qu’individuellement nous sommes tous un peu confrontés à cela. Peut-être as-tu d’autres choses au niveau innovation ? C’est un peu différent.
Florian Caringi : Il y a aussi le fait de montrer que l’open source est aussi une grande porte d’innovation. Là, franchement, sur la partie IA, notamment la partie IA générative, on le voit, sur la partie data ça a toujours été le cas. C’est un écosystème qui est très riche parce que de nouveaux modèles économiques se montent, par exemple DuckDB [8] en matière de bases open source, a sa fondation MotherDuck à côté, qui a pour but de promouvoir un logiciel payant managé, mais elle a vraiment un contrat de confiance avec DuckDB au sens produit open source.
Il y a même de nouveaux modèles de gouvernance autour de ces produits. C’est justement le sujet de fond : qu’est-ce que deviennent ces produits demain ?
Je pense qu’il y a aussi le fait de dire aux DSI que c’est de l’innovation, ce n’est pas juste, entre guillemets, je run et aussi, surtout, qu’on peut le faire ensemble. Je pense que le make together est une troisième voie qu’on doit essayer de défendre de manière générale, collégiale.
Le fait d’avoir une association qui regroupe 23 organisations quand même un peu de taille, d’un coup, quand on est DSI, je pense, je l’espère, on se dit « je vais là-dessus, parce qu’il y en a déjà trois ou quatre qui y vont et on a déjà eu une sorte d’équipe commune autour. » J’espère que ça rassure.
Bertrand Lemaire : Pour terminer, après les défis pour vos membres, les défis pour le TOSIT lui-même ?
Simon Clavier : J’ai envie de dire que le défi, pour le TOSIT, c’est d’arriver à produire. Ce n’est pas le TOSIT qui va produire lui-même, mais c’est donner la bonne boîte de pétri, vous voyez ce que je veux dire, pour que ça se développe correctement, que l’on soit un facilitateur pour développer. Il faut insister sur cette troisième voie numérique. Il y a le make, je fais le logiciel, le buy, j’achète le logiciel et le make together, le faire ensemble, qui a, à mon sens, les avantages sans les inconvénients des deux autres solutions.
Quand on fait ensemble, on n’a pas tout le poids du make dans lequel il faut assurer seul le cycle de vie pendant des années, on porte ça comme un fardeau et on réinvente la roue.
Quand on achète, on a l’incertitude du contrat, etc.
Là, on construit ensemble dans quelque chose d’open source, plein de gens peuvent réutiliser le produit. L’intérêt, c’est qu’on se trompe parfois moins que quand on fait le make soi-même où on peut prendre des directions qui nous arrangent et qui ne sont pas forcément les bonnes solutions technologiques ou les bons choix technologique. Là, d’une certaine manière, c’est comme le pair programming, on fait moins d’erreurs. Et pour le maintien en condition dans le temps, chacun va contribuer un peu et un peu, plus un peu, plus un peu plus, ça fait beaucoup et ça fait des produits robustes.
Je prenais l’exemple de PostgreSQL, prenez l’exemple de Linux, ça a fait largement ses preuves. On peut atteindre cette excellence dans tout un tas de logiciels.
Bertrand Lemaire : C’est tout le mal qu’on vous souhaite !
En tout cas, je vous remercie d’être venus nous voir ici dans les studios de Républik.
Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter une bonne fin de journée. Auparavant, je vais quand même signaler qu’au prochain Disruptiv’Summit, en décembre 2025, il y aura un très gros atelier sur cette problématique de la maîtrise du système d’information grâce à l’open source et grâce au consortium. On fera un atelier un peu mixte. Rendez-vous en décembre à Deauville et d’ici là je vous souhaite une bonne fin de journée. Au revoir.