Promouvoir le logiciel libre et les Communs numériques - Marie-Odile Morandi

Dans ce quarantième épisode, nous accueillons Marie-Odile Morandi membre administratrice de l’April, qui vient nous présenter cette importante association de promotion et de défense du logiciel libre dans l’espace francophone.
On parle évidemment du logiciel libre, à ne pas confondre avec l’open source, de ses règles, de sa place dans notre quotidien et des multiples manières d’y contribuer.
On parle des actions de l’April et en particulier du groupe Transcriptions auquel elle participe activement, mais aussi du Chapril, le chaton que l’association a mis en place et de l’émission Libre à vous !
On évoque encore la musique diffusées sous licence libre. Et d’ailleurs, une fois n’est pas coutume, cet épisode est aéré de deux de pauses musicales : La Fantaisie en ré mineur, de Mozart, interprétée par Florence Robineau et Sometimes de Minda Lacy. À vous de nous dire si la formule vous plaît et si cela devrait devenir… une coutume.

Josquin Debaz : Marie-Odile Morandi, bonjour.

Marie-Odile Morandi : Bonjour.

Josquin Debaz : Vous êtes membre de l’April, chroniqueuse de l’émission <em de l’association April, administratrice et bénévole très active au sein de cette meme institution, qu’est-ce qui, dans votre parcours, vous a amenée au logiciel libre ?

Marie-Odile Morandi : J’ai enseigné pendant de nombreuses années la technologie-Collège au lycée Stendhal de Milan, un des lycées français à l’étranger et je suis désormais en retraite. À l’époque, les programmes de cette discipline comportaient un enseignement de base de l’informatique. Pour cela j’ai d’abord géré des PC installés les uns à côté des autres, puis en réseau.
Mes recherches m’ont amenée à rencontrer l’association Framasoft [1] qui, à l’époque, donnait la possibilité d’installer sur son PC des logiciels libres à partir de CD ou de clefs USB. J’achetais et je lisais régulièrement des revues, typeLinux Magazine qui offrait, en plus de la revue, un CD contenant de nombreux logiciels libres prêts à l’installation.
La gratuité a été sans conteste un atout par rapport au coût des licences des logiciels du commerce qu’il fallait acquérir pour chaque poste et nous savons bien que les crédits à disposition des établissements scolaires sont et ont toujours été plus que restreints.

Josquin Debaz : Oui, on le sait bien ! Si on parle un peu plus précisément de l’April, qu’est-ce qui définit cette association ?

Marie-Odile Morandi : Bien entendu j’ai continué à fureter sur le réseau et j’ai découvert l’association April [2].
L’April organise régulièrement ce que nous appelons des April Camps. Il s’agit de réunir des adhérents de l’April, soutiens, toute personne qui le désire pendant deux jours pour faire avancer des projets en cours, pour lancer de nouveaux projets. Chacun est invité à participer en fonction de son temps disponible, de ses compétences, de ses envies. Un April Camp avait été organisé en juillet 2011, je l’ai suivi à distance. Ce que j’ai entendu m’a plu et j’ai décidé d’adhérer à l’association, ce qui fut fait dès septembre 2011.

L’April est la principale association de promotion et de défense du logiciel libre francophone. Elle est née en 1996, fondée par des étudiants en informatique qui voulaient justement promouvoir l’informatique aussi dans la recherche.

L’April est une association qui se finance grâce aux cotisations de ses membres, à peu près 3000 actuellement. La plupart sont des personnes physiques, mais on compte aussi environ 200 entreprises, une centaine d’associations et quelques collectivités.

Les objectifs de l’April sont la promotion du logiciel libre, le faire connaître et connaître ses enjeux, la défense du logiciel libre au niveau institutionnel et au niveau politique.

Pour faire connaître le logiciel libre il faut du temps ; pour traiter des dossiers institutionnels, il faut avoir des compétences, notamment juridiques, donc, au fil des années, l’association s’est donné des moyens à la hauteur de ses ambitions : en plus des nombreux bénévoles, quatre personnes salariées travaillent pour l’association : Frédéric Couchet le délégué général ; Étienne Gonnu est chargé des affaires publiques ; Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets, et Elsa Pottier assistante administrative.

Josquin Debaz : On parle de logiciel libre ici et souvent c’est un concept qui est un petit peu mélangé avec le fait qu’il soit gratuit ou simplement avec le code source est ouvert. Mais c’est bien plus que cela !

Marie-Odile Morandi : Bien entendu ! Il est impossible de parler de l’April sans expliquer au préalable ce qu’est un logiciel libre.

Aujourd’hui encore, la majorité des logiciels proposés via les canaux de distribution classiques sont privateurs, c’est-à-dire que leurs licences contiennent des restrictions à leur utilisation.

Aux débuts de l’informatique, le logiciel était libre, c’est-à-dire qu’il était conçu comme un bien commun, créé par ses développeurs.

Au cours des années 80 est arrivée l’informatique commerciale, et grand public, avec la volonté de faire du logiciel une marchandise. Richard Stallman [3], un universitaire américain du MIT [Massachusetts Institute of Technology], était habitué à pratiquer l’informatique dans un esprit d’expérimentation et de partage. On raconte, à son sujet, une histoire en apparence anodine : rencontrant des soucis dans le fonctionnement d’une nouvelle imprimante, il a demandé à un confrère d’une autre université de lui passer le code source des pilotes de celle-ci, comme c’était jusqu’alors l’usage. Surprise !, le confrère a refusé de les lui fournir au motif qu’il avait signé un accord d’exclusivité avec le fournisseur de cette imprimante. Cet événement a été une prise de conscience pour Richard Stallman. Pour lui, le code devait continuer à circuler pour permettre aux utilisateurs de rester maîtres de leur informatique et pouvoir, encore, partager le fruit de travail des développeurs.

Richard Stallman est la personne qui a formalisé le principe du logiciel libre avec ses quatre libertés, libertés qui sont concédées à l’utilisateur.

Un logiciel est dit libre quand il accorde explicitement, par sa licence, aux utilisateurs :

  • La liberté d’exécuter ce logiciel partout et n’importe où, sans aucune restriction, pour quelque usage que ce soit. Si on dit à l’utilisateur « vous pouvez utiliser gratuitement ce logiciel, mais pendant une durée limitée et ensuite vous devrez payer pour continuer à l’utiliser » ou si on dit « vous ne pouvez pas utiliser ce logiciel à des fins commerciales », « vous ne pouvez pas l’utiliser dans tel pays », ces restrictions font que vous n’avez pas à faire à un logiciel libre ;
  • la seconde liberté est la liberté de copier le logiciel, sans restriction, sur le support de son choix, le nombre de copies que l’on souhaite ; de le télécharger ou de le proposer au téléchargement sur un site internet ;
  • la troisième liberté c’est la liberté d’étudier son fonctionnement donc la nécessité d’accéder au code source, c’est-à-dire sa recette de fabrication, les lignes du code, et cela est une condition nécessaire ;
  • la quatrième liberté : la liberté de modifier, d’améliorer ce logiciel selon ses propres besoins et de distribuer ces modifications afin d’en faire profiter toute la communauté. Par exemple traduire en français un logiciel dont l’interface n’existe qu’en anglais, simplifier une interface pour l’adapter à des enfants, corriger des problèmes, ajoute des fonctionnalités.

Un logiciel est libre si et seulement s’il garantit à tout un chacun ces quatre libertés.

Vous avez parlé de gratuité. Un logiciel libre n’est pas forcément gratuit. À aucun moment, dans la définition du logiciel libre, il n’est fait référence à la notion de gratuité. Je vais faire référence à François Élie, président de l’ADULLACT [4], Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales, une association amie de l’April, qui aime à rappeler que « le logiciel libre est gratuit une fois qu’il a été payé ». Fabriquer un logiciel demande du temps, du travail, des compétences, donc coûte de l’argent. Certes, il existe des développeurs de logiciels libres passionnés et bénévoles, mais il est heureux que des gens gagnent leur vie en développant des logiciels libres.
Certains logiciels libres peuvent être payants. C’est le cas où l’achat de la première copie du logiciel peut faire l’objet d’une facturation. Mais une fois qu’on a payé pour acquérir la première copie, on peut l’installer le nombre de fois que l’on veut, copier, étudier, modifier.
Il y a une économie créée autour du logiciel libre, elle concerne particulièrement des services d’installation, de paramétrage, de maintenance, d’amélioration, d’ajout de fonctionnalités.

Accéder au code source afin de l’étudier voire de le modifier pour des besoins spécifiques, bien entendu il faut que ce code source soit ouvert.

Logiciel libre et logiciel open source ne sont pas des expressions complètement synonymes. Des deux côtés, il y a une volonté de rendre le code source ouvert à tout le monde.
Côté logiciel open source, c’est l’aspect technique qui est mis en avant
Côté logiciel libre, derrière l’ouverture du code il y a une visée politique avec la volonté d’émancipation des utilisateurs en leur donnant la possibilité de maîtriser le logiciel et non d’être maîtrisés par lui.
Leur donner la possibilité d’apprendre à s’en servir mais aussi faire en sorte qu’ils puissent contribuer à ce logiciel : quand le développeur d’un logiciel libre aura fait une première version, il la partagera, la rendra accessible afin que d’autres puissent faire des observations, proposer des améliorations. Ainsi se construit progressivement une sorte de bien commun, de patrimoine logiciel partagé, accessible et réutilisable par tous. je vais citer maintenant Pierre-Yves Gosset, de Framasoft, « le logiciel libre c’est de l’open source plus des valeurs éthiques et sociales ».

Pause musicale : Fantaisie en ré mineur, de Mozart, interprétée par Florence Robineau.

Josquin Debaz : Sans que l’on soit toujours au courant, le logiciel libre est au cœur de nos pratiques numériques quotidiennes les plus communes. Est-ce qu’il faut encore le promouvoir et défendre ses valeurs ainsi que celles des communs numériques ?

Marie-Odile Morandi : Oui, effectivement, le logiciel libre est au cœur de nos pratiques. Si nous prenons l’exemple du logiciel VLC [5], le lecteur multimédia made in France à l’icône en forme de cône de chantier, ce logiciel est utilisé par des centaines de millions de personnes à travers le monde ; si nous prenons l’exemple du navigateur Firefox [6] ou de la suite bureautique LibreOffice [7], combien de personnes qui utilisent au quotidien des logiciels sont-elles conscientes que ce sont des logiciels libres ? De plus, les statistiques nous disent que plus de 90 % des serveurs dans le monde tournent avec du logiciel libre et que les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – n’existeraient pas sans le logiciel libre

Un article publié dans Le Monde diplomatique de janvier 2022 titrait « Le pillage de la communauté des logiciels libres » avec comme surtitre « Que faire pour contrer la prédation des géants du numérique ? » [8]. Cet article tire la sonnette d’alarme sur le fait que des entreprises utilisent des logiciels libres sans jamais contribuer et que des entreprises essayent de s’approprier le Libre afin de le refermer.

Microsoft a racheté GitHub, une plateforme d’hébergement pour le développement de logiciels. En termes de financement et en termes de participation aux discussions, les GAFAM contribuent à la Linux Foundation [9], qui, au départ, avait été créée pour essayer d’éviter qu’il y ait un contrôle d’une entreprise sur Linux. Les GAFAM financent très massivement des développeurs pour contribuer à des projets qui existent déjà ou initient de nouveaux projets. Donc non seulement ils contrôlent la donnée, les services, les comportements, les algorithmes, mais ils commencent aussi à contrôler même cet univers du logiciel libre en orientant la technologie d’une certaine façon et en insufflant leurs valeurs bien particulières de l’intérieur. Ils cherchent à minimiser l’importance des licences du Libre, prétendant que ce qui est important c’est de développer l’infrastructure numérique. C’est très dangereux. Le logiciel libre est un bien commun dont il faut prendre soin. Il faut continuer à défendre ses valeurs et à défendre les communs numériques de ces prédateurs.

Josquin Debaz : Dans cette défense, l’April est en première ligne et oppose ses valeurs pied à pied à celles des GAFAM. Quelles sont les actions qu’elle entreprend pour ce faire ?

Marie-Odile Morandi : L’April, effectivement, s’appuie sur une idée forte qui guide toutes ses actions : donner la priorité au logiciel libre.

Donc une action de promotion et l’April est très active.
Au niveau individuel elle sensibilise, donne les outils de compréhension, accompagne les personnes pour qu’elles puissent s’émanciper et avoir une informatique aussi libre que possible. donc l’April produit des documents, des flyers, des dépliants, des autocollants.

L’Expolibre [10] est une collection de panneaux qui expliquent la philosophie du logiciel libre au grand public. On peut louer ces panneaux à l’April ou les télécharger et les imprimer soi-même puisque la licence le permet. Licence Art Libre et aussi une licence Creative Commons Paternité, Partage à l’identique. l’Expolibre a été traduite en plusieurs langues, donc elle est en français, en anglais, en italien et en espagnol.

Libre en Fête [11] est une initiative nationale, adressée au grand public, chaque année, cette année c’était la 21e édition, qui a lieu autour du 20 mars. L’April coordonne l’initiative, mais ce sont des organisations locales, un peu partout en France, qui proposent des événements de découverte du logiciel libre et de la culture libre en général.

Toute personne intéressée, adhérente ou non à l’association, peut rejoindre le groupe Sensibilisation [12] géré par Isabella Vanni.

On essaie de sensibiliser aussi les associations, les décideurs politiques. Nous pensons que dans les administrations, financées par l’impôt public, dans les collectivités, dans l’espace public devrait être utilisé par défaut, sinon prioritairement, du logiciel libre.

La défense du logiciel libre concerne les actions institutionnelles, une spécificité de l’April, pour essayer de créer un environnement juridique, légal, favorable au logiciel libre. Étienne Gonnu, chargé des affaires publiques, fait une veille juridique à la fois côté français et côté européen ; il contacte les parlementaires quand il y a des projets de loi qui peuvent mettre en danger les libertés informatiques, quand il y a possibilité de promouvoir la priorité au logiciel libre ; il leur fournit des arguments pour défendre notre cause et il arrive qu’il leur propose des amendements.

Les membres de l’April sont tenus au courant par des lettres mensuelles.
Bien entendu on fait des communiqués de presse dans lesquels il faut rentrer dans le détail, en citant les propos des politiques et des parlementaires ou les propos qui sont dans les textes de loi. On s’est dit qu’il fallait peut-être trouver d’autres moyens de rendre accessibles tous ces dossiers, peut-être, par exemple, en invitant d’autres personnes à en parler ou en le faisant dans un cadre différent du site web. Si des personnes veulent participer, le groupe de travail Atelier [13] est une liste de discussion autour des projets institutionnels qui réservée aux membres de l’April de façon à conserver une forme de confidentialité.

Josquin Debaz : Vous-même, personnellement, vous êtes particulièrement impliquée dans un autre groupe de travail, le groupe Transcriptions. Qu’est-ce qu’on y fait ? Avec quels outils ? Comment s’organise-t-il ?

Marie-Odile Morandi : Oui, tout à fait. Je travaille énormément pour le groupe Transcriptions.
De nombreuses conférences, de nombreuses émissions de radio, des vidéos, des podcasts sont mis à disposition des internautes.
Le groupe Transcriptions de l’April [14] s’est donné pour mission de transformer des vidéos et des fichiers audio concernant le logiciel libre et les libertés numériques en général, en texte, afin de transmettre encore mieux l’information.

En effet, comment faire pour retrouver une conférence audio ou vidéo sur Internet ? À moins de se souvenir exactement du nom de l’intervenant, de la date, du lieu, ça va être compliqué. Par contre, si elle est transcrite, cette conférence sera alors associée à un texte que les moteurs de recherche vont pouvoir récupérer et indexer.

De plus en plus de personnes doivent composer avec des problèmes de handicap, n’entendent pas ce qui est dit dans la conférence, ne voient pas la gestuelle, les mimiques des intervenants visant à renforcer le message qu’ils souhaitent transmettre. La transcription non seulement reporte le plus fidèlement possible les paroles des intervenants mais s’attache à décrire certains détails. La conférence est ainsi rendue accessible aux personnes porteuses de handicap qui, sinon, n’y auraient pas accès.

Quand on écoute une conférence, on se souvient de l’idée générale, mais qu’en est-il des termes utilisés par l’orateur ? Grâce à la transcription, on pourra les retrouver les réutiliser en citant fidèlement la source.

Donc indexation, accessibilité, réutilisation sont les maîtres mots du groupe Transcriptions de l’April.

On a aussi des retours de personnes qui savent qu’une vidéo est disponible sur le réseau mais qui n’ont pas le temps de la regarder et qui préfèrent lire sa transcription !

Nous avons des transcripteurs dont je fais partie. Selon ses envies ou ses motivations, le transcripteur choisit la conférence qui lui convient et se met à l’ouvrage. Personnellement je travaille d’abord en local en utilisant, comme il se doit, des logiciels libres : le traitement de texte de la suite LibreOffice [7] sur lequel est installé le correcteur Grammalecte [15], que je recommande vivement à toutes et tous, et, comme lecteur multimédia, j’utilise VLC [5].
Une colistière utilise le logiciel libre Scribe [16], un transcripteur audio/vidéo en texte, fruit du travail de plusieurs personnes et des Ceméa [Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active]. Elle obtient ainsi une première version écrite qu’elle corrige ensuite en mettant le son.

La transcription est sauvegardée sur le wiki de l’April [17], un emplacement du site web qui va permettre un travail collaboratif. Le transcripteur avertit de sa présence non seulement les colistiers de la liste Transcriptions, mais aussi les personnes qui sont intervenues pour une relecture.

La transcription relue, corrigée, est ensuite finalisée : des liens vers certains sites sont insérés, une illustration vient l’agrémenter. Elle est alors publiée, depuis février 2021, sur le site Libre à lire ! [18], librealire.org. Auparavant les transcriptions étaient publiées sur le site de l’April ; elles ont toutes été importées sur ce nouveau site. Plus de 1160 transcriptions sont ainsi offertes à la lecture.

Josquin Debaz : Est-ce que c’est important de ne pas laisser tout le web à uniquement de l’audio et à la vidéo et de revenir parfois au texte ?

Marie-Odile Morandi : Peut-être s’agit-il d’une question de génération ! Le son et la vidéo ont envahi nos espaces, mais le texte est encore une valeur sûre. Vous ne me ferez pas croire qu’écouter une seule fois une émission, un podcast, permet d’en apprécier le contenu, d’en retenir les idées !

D’autre part, quand on transcrit, on a devant soi une feuille blanche qui se remplit petit à petit. On comprend la pensée des intervenants et des intervenantes qui sont en général des experts dans leur domaine. L’oral devient alors écrit ce qui élargit la diffusion de l’information et de leur pensée.

Josquin Debaz : Parmi les utilisateurs de logiciel libre qui voudraient contribuer, le fait de ne pas savoir coder, ou pas assez bien, reste souvent un frein. Votre travail montre qu’il y a de bien nombreuses d’employer des compétences et de contribuer au logiciel libre, que d’autres compétences sont recherchées. est-ce que vous embauchez pour cet atelier de transcriptions ?

Marie-Odile Morandi : Ne pas savoir coder n’est pas du tout un frein pour participer au logiciel libre. On peut contribuer de nombreuses façons. Le projet Contribulle [19], soutenu par Framasoft [1], propose un site qui permet de mettre en relation des projets libres ou liés aux communs avec des personnes désireuses de contribuer : enregistrer sa voix, faire des tests sur un nouveau logiciel libre pour aider son développeur, faire de la traduction… Il y en a pour tous les goûts. Le site est contribulle.org/

Personnellement j’ai voulu apporter ma pierre au logiciel libre, m’impliquer, et mon choix s’est porté vers le groupe Transcriptions puisque c’est là que je me sentais le plus à l’aise pour agir au sein de l’April [2]. Et puis je suis à la retraite ! Je ne dois pas laisser mes neurones en jachère !

Participer au groupe Transcriptions ne requiert aucune compétence particulière. Il n’est même pas nécessaire d’adhérer à l’April [2], n’importe qui peut participer.
Une première participation, très simple, consiste à nous signaler des enregistrements audio, des conférences qu’il serait opportun de transcrire, bien entendu concernant les thèmes chers à l’April [2].
Si on a un peu plus de temps, on peut relire des transcriptions pas encore finalisées, s’assurer qu’il n’y a aucune erreur, que l’orthographe et la grammaire sont correctes, améliorer quelques tournures de phrase pour rendre la lecture plus fluide. Attention, la liste des relectures à faire évolue très rapidement !
Si on veut s’impliquer davantage, il faut alors visiter la page wiki du groupe, peut-être s’inscrire à la liste de discussion, poser des questions si on en ressent le besoin, et se lancer, commencer une transcription de son choix.

Josquin Debaz : Su un autre thème, l’April a mis en place un chaton, le Chapril. Est-ce que vous pouvez expliquer ce qu’est un chaton, en dehors du petit mammifère et quels services ont été ouverts ?

Marie-Odile Morandi : Le Collectif CHATONS [20] est le Collectif des Hébergeurs, Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Ce collectif a été initié par l’association Framasoft. Framasoft proposait, à un moment, plus d’une trentaine de services libres de plus en plus utilisés. Décision a été prise non pas de grossir mais d’aider des structures à devenir des chatons, chaque chaton gérant globalement les mêmes services, mais de manière décentralisée et avec un nombre d’utilisateurs à taille humaine. Le collectif compte actuellement plus d’une centaine de chatons. L’April a voulu participer à cette belle initiative, le Chapril [21] qui est le chaton de l’April.

Chaque chaton signe une charte qu’il s’engage à respecter concernant l’éthique : utiliser des logiciels libres, ne pas surveiller les données de ses utilisateurs.

Le Chapril met actuellement à disposition 13 services libres : stockage et partage de documents ; rédaction collaborative en ligne grâce à des pads ou bloc-notes ; de la visioconférence ; un outil de conférence audio Mumble ; une instance Mastodon qui est un réseau décentralisé de microblogging, l’alternative libre à Twitter ; de la messagerie instantanée, etc. vous pouvez visiter chapril.org.
C’est un projet sur le long terme avec tous les problèmes techniques qui en découlent : entretien des serveurs, sauvegardes. Cela nécessite du temps, de l’investissement. L’équipe Chapril regroupe l’ensemble des bénévoles qui mettent en place et assurent la maintenance des services et qui répondent aux questions. Les personnes intéressées peuvent visiter le site chapril.org, utiliser les services proposés respectueux de leurs données et de leur intimité.
Le Chapril recrute. Si des personnes ont des compétences et du temps, qu’elles n’hésitent pas à se faire connaître !

Pause musicale : Sometimes par Minda Lacy.

Josquin Debaz : Venons-en à présent à l’émission de l’April, Libre à vous !,qui compte, à l’heure actuelle, plus de 150 épisodes. Quand,comment,où peut-on l’écouter ? Quels sont les thèmes qui y sont abordés ?

Marie-Odile Morandi : De façon historique, fin 2017, l’association Libre à Toi [22] a postulé auprès du Conseil supérieur de l’audiovisuel pour obtenir la bande FM 93.1 en Île-de-France qui s’était libérée. Cette association avait un dossier solide, faisait déjà de la radio sur le Web. Elle couvrait des événements libristes, traitait de sujets autour des biens communs, du partage des savoirs, de la culture, de l’informatique. Bref ! Elle a obtenu cette bande FM et une de ses actions est désormais radio Cause Commune [23]. Les émissions sont toutes faites par des bénévoles, passionnés à la fois de radio et de leurs sujets, si bien que le programme de cette radio est très riche, avec des émissions sur l’histoire, le cinéma, la musique libre, la sociologie...
L’April souhaitait toucher un public différent de son public habituel, avait des points communs avec cette radio, ses valeurs et ses contenus. Un accord a été conclu avec Olivier Grieco le directeur d’antenne de la radio qui met à disposition le studio et le matériel. L’émission est entièrement réalisée en autonomie par des bénévoles et les personnes salariées de l’April.

Donc depuis mai 2018, l’association April anime, sur radio Cause Commune, une émission intitulée Libre à vous ! [24]. D’abord mensuelle, cette émission est rapidement devenue hebdomadaire, chaque mardi de 15 heures 30 à 17 heures. Si vous êtes en région parisienne c’est sur la fréquence 93.1 FM. Vous pouvez aussi écouter la radio sur Internet, sur le site causecommune.fm.

Des bénévoles traitent l’enregistrement de l’émission. Un podcast et la transcription - bien entendu ! - sont rendus disponibles quelques jours après, sur le site dédié à l’émission libreavous.org.

Josquin Debaz : Vous y tenez une rubrique régulière, sur quel sujet ? Et quelles sont les autres rubriques qu’on peut y trouver ?

Marie-Odile Morandi : L’émission se divise en général en trois parties : deux chroniques chacune d’une durée d’une dizaine de minutes, et un sujet principal d’environ une heure. Bien entendu, les thèmes abordés sont les thèmes chers à l’April, le logiciel libre les libertés informatiques en général.
Pour le sujet principal, l’animateur ou l’animatrice invite une, deux ou trois personnes, compétentes dans leur domaine. Les sujets vont du travail parlementaire avec la présence de députés engagés sur nos sujets, aux questions de genre dans l’informatique, à la musique libre, au Libre dans l’éducation, etc. J’invite les personnes intéressées à se connecter sur le site libreavous.org, elles pourront ainsi se rendre compte de la diversité des thèmes qui ont été abordés au cours de ces plus de 150 émissions.

L’émission dispose aussi d’une dizaine de chroniqueurs et chroniqueuses qui interviennent mensuellement. On peut ainsi écouter une chronique philosophique concernant le logiciel libre et le projet GNU, une chronique concernant des règles de droit en lien avec le logiciel libre, une chronique tenue par un père et sa fille, Laurent et Lorette Costy, qui présentent de façon ludique Internet et ses techniques. J’invite les personnes à se connecter sur le site libreavous.org/chroniques pour découvrir ces chroniques [25].

Personnellement je tiens une chronique intitulée « Les Transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » dans laquelle j‘essaye de mettre en valeur une ou deux transcriptions qui m’ont particulièrement intéressée. J’ai ainsi à mon actif plus d’une vingtaine de chroniques depuis janvier 2019. À noter que depuis janvier 2022, je prépare la chronique et Laure-Élise Déniel, comédienne de formation, bénévole à l’April, la met en voix avec une compétence remarquable.

Josquin Debaz : On a surtout parlé de logiciels libres, mais il existe aussi une musique libre. Comment ça fonctionne ? Où la trouve-t-on ?

Marie-Odile Morandi : Il existe certes des logiciels libres, mais il existe aussi de nombreuses ressources libres. Jean-Christophe Becquet, vice-président de l’April, tient dans l’émission une chronique intitulée « Pépites libres ». On y découvre tour à tour des textes, des images, des vidéos ou des bases de données dont les auteurs ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public.

Les trois intermèdes musicaux de l’émission Libre à vous ! sont des musiques publiées sous licence Creative Commons ou sous licence Art Libre.
Divers sites sont à disposition, en particulier le site auboutdufil.com [26] dont le créateur, Éric Fraudain a tenu lui aussi quelques chroniques. Selon lui, des milliers d’artistes indépendants existent sur le Web, méritent d’être reconnus, mais seulement un pourcentage infime de ces artistes parvient à se démarquer. Les licences libres Creative Commons [27] permettent une écoute, un téléchargement et une réutilisation libres et gratuites, sous certaines conditions, pour l’auditeur, et l’artiste peut bénéficier d’une diffusion plus large, tout en conservant ses droits d’auteur.

Musopen [28], une organisation américaine, fournit une bibliothèque en ligne de plus de 5000 enregistrements musicaux soit élevés dans le domaine public, soit sous licence Creative Commons BY-SA , Attribution – Partage dans les mêmes conditions. Certains enregistrements sont sous des licences qui restreignent les utilisations commerciales ou la production de versions modifiées, on ne peut donc pas les considérer comme libres. Pour chaque fichier, Musopen indique de manière très claire sous quelle licence le fichier est disponible.

Open Goldberg Variations [29] a permis de libérer l’enregistrement et la partition des Variations Goldberg, une œuvre pour clavecin composée par Jean-Sébastien Bach.

À noter que Florence Robineau, pianiste et professeure au conservatoire de Rungis, enregistre des morceaux de musique classique et les partage sous licence libre Creative Commons BY-SA [30].

La Cantine : Si des auditeurs veulent suivre votre actualité et celle de l’April, quels sont les meilleurs moyens de le faire ?

Marie-Odile Morandi : Le site de l’April est april.org. Sur la page d’accueil les dernières actualités sont mises en évidence.
Le site est très complet, tellement complet qu’il en devient peut-être un peu confus pour une personne novice, mais sa refonte est prévue. Les bénévoles de l’April ont commencé à travailler à cet énorme chantier.

Josquin Debaz : Et si on veut vous aider, participer, il faut être milliardaire ou informaticien ?

Marie-Odile Morandi : Non, absolument pas et j’espère que mes propos ont été assez clairs !
Certes si des informaticiens veulent rejoindre l’April ils sont les bienvenus, les tâches ne manquent pas : maintenir le site, maintenir le Chapril, administrer l’ensemble.
On peut adhérer à l’April pour une somme minime, voire symbolique.
Si on veut aider ou participer on peut s’inscrire à l’un des groupes de travail ; en cherchant bien sur la page d’accueil du site on trouvera le lien qui conduit à leur liste.

En guise de conclusion, je souhaite rapporter les propos d’Étienne Gonnu, le salarié chargé des affaires publiques, ouvrons les guillemets : « Je suis très fier de travailler dans cette association. L’April a une très grande vigilance, est très cohérente dans ses actions. Elle a une éthique sur le logiciel libre, mais elle a aussi une éthique vis-à-vis des personnes qu’elle emploie, vis-à-vis des personnes qui participent et qui se mobilisent au sein de sa structure. C’est une organisation humaine qui fait attention aux besoins de toutes et tous. » Donc n’hésitez pas à nous rejoindre de la façon qui vous conviendra !

Josquin Debaz : Merci beaucoup Marie-Odile Morandi.

Marie-Odile Morandi : Au revoir.

Voix off : Cette épisode touche à sa fin. Nous espérons qu’il vous aura intéressés. Envoyez-nous vos questions, commentaires et propositions par e-mail à coucou chez lacantine-brest.net ou via Twitter. À très bientôt.