Open source – Liberté, je code ton nom

Sophie Comte : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de La Puce à l’Oreille. En 15 minutes chrono, l’informatique et ses concepts nébuleux sont rendus simples, concrets, pratiques, accessibles. Sur un ton ludique, on explore les différentes possibilités offertes par le numérique et surtout on les dépasse, pour imaginer un horizon virtuel plus désirable.

Join us now and share the software ; You’ll be free, hackers, you’ll be free.
Ainsi commence la chanson Free Software Song [1], un des hymnes de la communauté libre, écrit par Richard Stallman [2], un programmeur et fervent défenseur du logiciel libre, parangon de la liberté et figure emblématique de la culture libriste, devenu aujourd’hui controversé pour ses propos polémiques autour l’affaire Epstein, mais ça, c’est une autre histoire.

Figurez-vous qu’aujourd’hui, cet outil, le logiciel libre, n’est pas réservé qu’aux hackers et initié·es du secteur. Il pourrait même être en passe de s’institutionnaliser.

Dans ce nouvel épisode, on revient sur l’histoire du logiciel libre, on décortique ce concept et on imagine ses prochains développements, le tout en compagnie d’Alexis Kauffmann [3], l’un des fondateurs de Framasoft [4], un réseau d’éducation populaire consacré au logiciel libre. Aujourd’hui, Alexis Kauffmann travaille au sein du Ministère de l’Éducation nationale comme Chef de projet logiciel et ressources éducatives libres et mixité dans les filières du numérique.
Bonne écoute !

Logiciel libre, open source, on utilise parfois de façon indifférenciée ces deux expressions. Pourtant il est très important de les distinguer. Alors, que veut dire open source, Alexis Kauffmann ?

Alexis Kauffmann : L’open source, en fait, ça va désigner le logiciel sous son aspect d’ingénieur, c’est-à-dire une manière efficace, originale, collaborative, de créer, fabriquer, maintenir du logiciel.

Sophie Comte : Un logiciel open source c’est donc un logiciel dont le code est ouvert. Le logiciel libre, quant à lui, ouvre le champ des possibles et fait raisonner un sentiment de liberté. Mais pourquoi ? Est-ce à dire que certains logiciels ne le seraient pas, Alexis Kauffmann ? Vous l’avez deviné, deuxième question, c’est quoi le logiciel libre ?

Alexis Kauffmann : Qu’est-ce que c’est qu’un logiciel libre ? C’est un logiciel auquel on a accolé une licence — en fait c’est juridique — qui va offrir quatre libertés à l’utilisateur :

  • la liberté d’usage,
  • la liberté d’étude,
  • la liberté de modification
  • et la liberté de partage.

Comment est-ce arrivé historiquement ? Moi je suis professeur de mathématiques, depuis la nuit des temps, les mathématiques se partagent. Il n’y a pas de copyright sur le théorème de Pythagore, on ne paye pas de droits et, dans le monde académique, on s’est toujours partagé les connaissances mathématiques. Après, ça peut être utilisé dans l’industrie, etc., on peut mettre des brevets ensuite sur des fabrications, toujours est-il qu’on a toujours partagé les mathématiques. Et en informatique c’était pareil, les informaticiens se partageaient le code, naturellement. Et puis, tout d’un coup, certains se sont dit « si on ferme le code, on peut lui donner une rareté – certains y auront accès d’autres pas – et puis on peut construire un modèle économique en vendant du logiciel, comme ça, ceux qui achètent pourront l’utiliser. »
C’est là que par résistance, en fait pour conserver les origines du partage naturel de l’informatique et du code, certains — historiquement c’est Richard Stallman — se sont dit « il faut protéger ça. OK, certains peuvent tout d’un coup fermer le code. Nous voulons pouvoir continuer à travailler de manière ouverte et collaborative, donc on lui va lui accoler une licence » et cette licence garantit, justement, les quatre libertés que je vous ai citées.

Sophie Comte : En anglais, le logiciel libre est appelé free software. Or, ce mot peut être traduit en français de deux façons : « libre » ou « gratuit ». Cette confusion possible ne convenait pas au monde industriel et économique qui lui a donc préféré le terme open source, comme nous l’explique Alexis Kauffmann.

Alexis Kauffmann : Les logiciels open source et libres sont souvent les mêmes d’un point de vue pratico-pratique, mais ce n’est pas du tout la même approche. Le premier c’est une approche plutôt économique et l’autre c’est une approche plutôt sociale, voire politique.

Sophie Comte : Comme le montre la Free Software Song, que nous avons évoquée en introduction, le mouvement du logiciel libre a toujours été traversé par la politique. Il porte des valeurs fortes : sécurité, autonomie, souveraineté, mais aussi liberté, encore une fois, partage des connaissances, accès non discriminant, etc. On a également parlé, en introduction, de ce personnage fondateur du logiciel libre, encore lui, Richard Stallman. On vous livre maintenant sa vision du monde selon sa devise qui vous dira certainement quelque chose : liberté, égalité, fraternité.
S’il y a bien dans le logiciel libre cette idée d’émancipation, les GAFAM ont, comme souvent, ajouté leur grain de sel. C’est ce que nous explique Alexis Kauffmann.

Alexis Kauffmann : Les GAFAM, ou les Big Tech, adorent l’open source pour le coup, peut-être pas forcément le logiciel libre, mais l’open source. Dans tous leurs produits, dans tous leurs services, il y a des briques open source, parce que le logiciel libre est non discriminant, donc on peut utiliser tout ou partie d’un logiciel libre pour construire par-dessus des services. Android est un bon exemple : vous avez une couche de départ, une couche basse comme on dit, qui est open source. Par contre, quand Google vend son système d’exploitation mobile à des constructeurs, on rajoute toute une couche où il est quasiment impossible d’avoir accès aux services sans avoir un compte Google en fait.
C’étaient des universitaires, ils ont justement utilisé beaucoup d’open source et ils ne s’en sont pas caché. D’ailleurs, Google finance de l’open source et libère souvent du code. Il n’empêche qu’aujourd’hui ils ont une taille ! Leur taille, en soi, est un énorme problème ; ils sont aussi puissants que des États. Quand bien même la gouvernance irait dans une direction acceptable, ils sont beaucoup trop gros, on a des phénomènes de concentration et de centralisation qui, effectivement, posent d’énormes problèmes.

Sophie Comte : Mais, dans la culture libriste, on favorise plutôt la décentralisation, n’est-ce pas Alexis Kauffmann ?

Alexis Kauffmann : Framasoft parle de l’archipel, ce qui est assez joli, c’est-à-dire que vous avez des îlots qui sont reliés entre eux par des ponts, vous pouvez utiliser l’image que vous voulez. On est sur quelque chose qui va être décentralisé, dans des communautés qui maîtrisent leur technologie, leurs données, etc., et qui vont communiquer avec d’autres communautés tout en conservant toujours la liberté de choisir avec qui elles partagent et quoi.

Sophie Comte : Un archipel contre l’iceberg Google. C’est précisément la mission que s’est donnée l’association Framasoft avec « Dégooglisons Internet » [5] entre 2014 et 2019, une campagne qui s’attachait alors à promouvoir les communs numériques. Nouvelle question : qu’est-ce qu’un commun numérique, Alexis Kauffmann ?

Alexis Kauffmann : Un commun c’est une ressource qui va être créée ou maintenue collectivement par une communauté qui se donne des règles pour assurer le caractère collectif et partagé de la ressource. En fait, vous avez une ressource, une communauté et des règles. La nouveauté, avec les communs, c’est de ne pas se focaliser uniquement sur la ressource qui peut être du code de logiciel libre, mais sur la communauté derrière et la gouvernance que se donne cette communauté pour que cette ressource soit partagée à toutes et tous.
Un commun numérique, pourquoi on ajoute numérique et pourquoi c’est intéressant ? C’est parce que la copie d’une ressource numérique est relativement simple, facile, et, entre guillemets, « peu coûteuse ». Je dis entre guillemets parce que, aujourd’hui, la sobriété numérique est dans l’agenda et on s’est aperçu que ça a quand même un coût.
Cette notion de commun numérique est intéressante d’abord parce que la ressource est envisagée comme libre, mais aussi parce que ça oblige à penser gouvernance partagée, gouvernance ouverte : qui décide, comment, pourquoi, et c’est engageant pour toute la communauté d’utilisateurs de la ressource.

Sophie Comte : La France a récemment présidé l’Union européenne et a poussé cette idée de communs numériques. Qu’a-t-elle proposé exactement, Alexis Kauffmann ?

Alexis Kauffmann : Parmi les propositions, il y avait justement une fondation à l’échelle européenne pour soutenir le développement du logiciel libre. Une autre idée, qui est forte, c’est la priorité qui serait donnée aux communs numériques pour tout financement public : par défaut, tout financement public devrait être envisagé comme un commun numérique. C’est un petit peu comme si on lançait un projet informatique et qu’on dise que tout d’un coup, par défaut, il serait sous licence libre, par défaut ce serait du logiciel libre.

Sophie Comte : Si les communs numériques concernent les logiciels, ils concernent également les ressources, n’est-ce pas Alexis Kauffmann ?

Alexis Kauffmann : C’est important de les distinguer et c’est important d’envisager aussi les ressources éducatives libres. Que sont des ressources éducatives libres ? Ce sont des contenus pédagogiques qui conservent les quatre libertés : accès/usage, étude, modification, partage.
Il me semble que c’est important que le contenu pédagogique, que les cours, les activités, puissent se partager entre enseignants, avec les élèves. Dans le cas d’une école républicaine publique, pouvoir avoir des contenus à disposition me semble à favoriser, mais aussi de les créer, de les maintenir, de les améliorer ensemble pour enrichir tout ça.

Sophie Comte : Cette philosophie s’applique également au logiciel de visioconférence open source recommandé par le ministère de l’Éducation nationale, BigBlueButton.

Alexis Kauffmann : Aujourd’hui on est sur un logiciel libre qui s’appelle BigBlueButton [6]. Non seulement on utilise du logiciel libre en faisant ce choix, mais, en plus, on contribue à son développement. En fait, l’année dernière, on a fait tout un retex d’expérience, comme on dit, c’est-à-dire qu’on a demandé aux professeurs, aux élèves, de nous dire ce qui allait, ce qui n’allait pas à l’usage de BigBlueButton, qu’est-ce qu’ils souhaitaient qu’on améliore. On a retenu, comme ça, quelques priorités et on a financé le développement de ces fonctionnalités qui, maintenant, se retrouvent dans le code de la nouvelle version de BigBlueButton. Ça nous sert parce que ça répond à nos besoins, qu’on a identifiés, mais comme on l’a reversé dans le code du logiciel libre BigBlueButton, ça sert à l’ensemble des utilisatrices et des utilisateurs de BigBlueButton, donc « au monde entier », entre guillemets. En tout cas, sachant que BigBlueButton est très utilisé dans le monde académique, universitaire et scolaire, eh bien, du coup, on sait que ça sert à plein d’autres élèves et étudiants à travers le monde.

Sophie Comte : L’avantage du logiciel libre c’est que les améliorations apportées au logiciel de classe virtuelle profitent également à d’autres outils numériques de l’État, comme nous l’explique encore une fois Kauffmann.

Alexis Kauffmann : Le travail qu’on a fait pour cette classe virtuelle, sert aussi à nous, agents du ministère, pour communiquer, c’est notre outil de communication, ça s’appelle Visio-Agents, mais sert aussi aux autres ministères parce que ça s’appelle le Webinaire de l’État, c’est un service de la DINUM interministérielle du numérique]], comme outil de visio et de communication.
Ça me semble quelque chose d’assez intéressant et c’est possible parce que, justement, on a un logiciel libre, on a la main dessus, on peut opérer les modifications que l’on souhaite, on mutualise et puis, surtout, là c’est le ministère français qui a financé du développement pour BigBlueButton.

Sophie Comte : Eh oui ! Avec le logiciel libre, la connaissance et les progrès profitent à tous et à toutes. On comprend mieux pourquoi cette philosophie, qui s’épanouit bien souvent dans les fab labs et autres hackerspaces, est parfois taxée de politique ou de révolutionnaire. Enfin ! On vous dit ça, on ne vous dit rien, on vous met juste la puce à l’oreille !

Si vous souhaitez aller plus loin, La Puce à l’Oreille vous recommande de vous rendre sur le site web de Framasoft pour y découvrir l’archipel de solutions proposées pour dégoogliser Internet. Et si la dimension politique du mouvement libriste vous intéresse, on vous recommande de vous plonger dans Utopie du logiciel libre, un livre de Sébastien Broca et Christopher Kelty [préface].
Sur chut.média, dans notre numéro 9, « Les nouveaux codes du travail », nous avons également interviewé l’entreprise Dalibo [7], fondée par une communauté libriste et qui prône le partage de toutes les richesses qu’elle produit au sein de sa gouvernance, une gouvernance qui n’est autre que tous les salariés de l’entreprise qui sont également actionnaires.

Je suis Sophie Comte cofondatrice de Chut ! magazine, Chut ! radio et je suis ravie d’avoir prêté ma voix à ce format.
Ce podcast a été écrit par la journaliste Nolwenn Mauguen. Nous remercions également notre sponsor, l’assureur Axa.
Pour écouter les prochains épisodes tapez « la puce à l’oreille » dans votre plateforme d’écoute et même « chut radio » pour découvrir toutes nos émissions. À bientôt.