Voix off : CQFD.
Stéphane Délétroz : Aujourd’hui, dans CQFD, nous allons nous intéresser à la proportion de femmes dans les branches scientifiques en Suisse et ailleurs, Lucia Sillig.
Lucia Sillig : Oui, parce qu’il existe toujours un écart important entre le pourcentage d’hommes et de femmes dans les professions dites MINT, un acronyme pour dire mathématiques, informatique, sciences naturelles et techniques. Le Conseil fédéral a approuvé, il y a quelques mois, un rapport sur la promotion de la relève féminine dans ces domaines. On va faire un peu le point, se demander aussi ce qui explique cet écart et ce qu’on peut faire pour le resserrer.
Stéphane Délétroz : Où en est-on ?
Lucia Sillig : C’est compliqué d’avoir des chiffres au niveau professionnel, mais au niveau des hautes écoles, pour l’année scolaire 2022/2023, les femmes ne représentaient que 35 % des effectifs dans les branches MINT, alors qu’elles constituaient 59 % des effectifs des autres branches, avec une grosse différence quand même entre les sciences de la vie, médecine, biologie, etc., où elles étaient bien représentées et les branches plus « techniques », entre guillemets, avec en queue de peloton, l’informatique où il n’y avait que 18 % d’étudiantes. Notons au passage que cet écart se retrouve, dans une moindre mesure, dans nos statistiques d’invitées femmes, parce qu’on fait des efforts dans CQFD, dont le pourcentage, en temps de grille normale, oscille aussi entre 34 et 46 % pour les premiers mois de cette année.
Stéphane Délétroz : On essaye de faire mieux. Elles ne sont pas toujours là. Lucia, comment explique-t-on qu’il y ait encore, aujourd’hui, un si grand écart dans les branches scientifiques ?
Lucia Sillig : Scientifiques ou techniques. Si on s’intéresse aux plus jeunes, l’Université de Berne a publié, au mois de juin, une étude sur ce qui motive les ados au moment de choisir une voie d’apprentissage. L’équipe a constaté que pour ce qui est du cadre de travail, que ce soit au niveau du salaire ou des horaires de travail par exemple, les filles et les garçons ont des préférences très similaires, mais ce sont les compétences requises qui creusent l’écart entre les genres. Benita Combet, professeure à l’Institut de sociologie de l’Université de Berne, explique par exemple que les compétences techniques, en particulier l’utilisation d’ordinateurs, sont très dissuasifs pour les jeunes femmes.
Benita Combet, traduction par Lucia Sillig : Il y a des compétences qui sont attribuées spécifiquement à un genre ou à l’autre. Les jeunes hommes auront plutôt tendance à penser qu’ils ne sont pas doués pour, par exemple, prendre soin des autres, être là pour eux, pour les écouter, alors que les jeunes femmes pensent qu’elles sont particulièrement douées dans ce domaine, en tout cas en moyenne.
En revanche, les garçons auront le sentiment d’être très bons en mathématiques et pensent que la programmation, c’est un peu comme si c’était fait pour eux, on peut dire, tandis que les jeunes femmes pensent être beaucoup moins douées dans ces domaines, alors qu’en réalité les garçons et les filles ne sont pas vraiment différents, mais c’est simplement ce que la société leur renvoie. Ces idées, ces stéréotypes sont reproduits encore et encore. Dans les émissions de télévision, par exemple la série The Big Bang Theory où les personnes intelligentes sont exclusivement des hommes, à une exception près : une femme physicienne, qui n’est pas typiquement féminine mais plutôt atteinte du syndrome d’Asperger, est potentiellement considérée comme un peu étrange.
Stéphane Délétroz : Donc, cet écart entre filles et garçons dans les filières scientifiques ou techniques, c’est beaucoup, finalement, une question de stéréotypes ?
Lucia Sillig : Oui, en tout cas plusieurs études pointent dans cette direction. Isabelle Collet, sociologue, informaticienne, scientifique de formation et professeur en sciences de l’éducation à Genève est l’une des autrices du rapport de l’Académie suisse des sciences sur la relève des femmes dans les branches MINT [1] commandité par la Confédération. Elle a écrit un livre sur la fracture numérique entre les genres, Le numérique est l’affaire de toutes, aux éditions Le Bord de l’eau. Elle estime que ces stéréotypes ne sortent pas de nulle part.
Isabelle Collet : Pourquoi cet écart qui est assez persistant ? Une des raisons de base, c’est la valeur sociale des métiers. On constate très bien au cours du temps – quand je dis au cours du temps c’est à partir du 19e siècle, par exemple – que quand un métier prend de la valeur sociale il se masculinise et quand un métier perd de sa valeur sociale, il se féminise. C’est le phénomène qu’on peut voir avec les métiers d’enseignement, c’est le phénomène qu’on peut voir avec la médecine de ville. Donc, à l’inverse, c’est un phénomène qui perdure avec les sciences de l’ingénieur et l’informatique. C’est la première raison, c’est la valeur du métier, les salaires que l’on peut gagner, les carrières que l’on peut faire. La valeur du métier indique sa féminisation ou sa masculinisation.
Et ensuite, la société génère et active les stéréotypes qui sont nécessaires à justifier cet écart. Donc, sur les sciences et techniques, on a abondance de stéréotypes qui vont expliquer que, comme les femmes sont, je ne sais pas, plus orientées vers les personnes, moins assertives, alors que les hommes sont plus orientés vers les objets, la logique, eh bien ça explique cette disparité. Mais il faut bien entendre que les stéréotypes arrivent dans un deuxième temps. Ce ne sont pas les stéréotypes qui sont la cause, les stéréotypes ne planent pas dans l’air tout seuls. On a une réalité sociale qui génère ces stéréotypes pour se justifier. Après évidemment, les stéréotypes ont leur rôle pour décourager et renforcer ces écarts.
Lucia Sillig : Juste pour voir si j’ai bien compris ce que vous voulez dire, c’est qu’il y a des métiers qui sont plus valorisés financièrement et autrement et que ceux-là attirent plus d’hommes. Ça veut dire quoi ? Que les femmes ne sont pas attirées par les métiers valorisés financièrement ou autre, ou simplement qu’on ne leur fait pas la place pour ce genre de métier ?
Isabelle Collet : Voire on les pousse dehors. Ma spécialité, c’est l’informatique.
Lucia Sillig : En informatique, l’écart est carrément béant. C’est 82 % d’hommes pour 18 % de femmes, toujours dans ces statistiques de 2022.
Isabelle Collet : L’informatique est un cas d’étude très intéressant parce que, dans les années 80 voire années 70, en programmation, quand la programmation commence à se généraliser dans le public, les proportions ne sont pas du tout comme ça, on est plutôt sur un métier paritaire. Pour autant, la programmation est considérée comme étant un sous-produit de l’informatique, de la construction des ordinateurs, de la construction des machines. À la construction des machines, ce sont des ingénieurs, ce sont surtout des hommes, et à la programmation, qui est perçue comme moindre, c’est paritaire. Si on remonte aux origines de la programmation, ce sont des programmeuses, mal payées et mal considérées, sur les premiers ordinateurs ; la première personne à avoir écrit un programme, c’est une femme [Ada Lovelace, NdT].
Tout change au cours des années 80. Dans ces années-là, les universités ouvrent des filières où on apprend à programmer, le titre d’ingénieur logiciel commence à exister, la programmation prend ses lettres de noblesse. Ce n’est pas que les femmes s’en vont, c’est que les hommes arrivent en masse avec des discours politiques et institutionnels qui disent que c’est l’emploi assuré, que c’est un bon métier. Et pour celui qui est encore supposé être le premier salaire, le chef de famille, même si cette expression est supposée ne plus exister, c’est le métier qu’il semble nécessaire d’avoir. Donc les hommes arrivent en masse et les femmes voient leur carrière stagner, ne jamais décoller. Il y a même un livre qui a été écrit au Royaume-Uni, qui s’appelle Programmed Inequality – How Britain Discarded Women Technologists and Lost Its Edge in Computing, où l’autrice [Marie Hicks, NdT] montre que dans ces années-là, des hommes diplômés ont poussé dehors des entreprises des femmes autodidactes qui étaient sur des métiers moins bien considérés et qui, évidemment, n’avaient pas de diplômes, vu qu’il y avait pas de diplômes.
Lucia Sillig : Si on en revient à l’écart général pour l’ensemble des filières MINT, est-ce que le gap est quand même en train de se réduire ? Est-ce qu’il a évolué au fil du temps, ou pas ?
Isabelle Collet : C’est très compliqué de répondre à cette question. On a eu un progrès clair jusqu’aux années 2000 et, globalement, l’arrivée massive des femmes dans l’emploi dans les années 70/80 a bénéficié à tous les métiers. Par contre, depuis les années 2000, on constate que la courbe s’aplatit et qu’on ne progresse plus tellement. On constate que dans certains métiers, par exemple l’informatique, les mathématiques aussi, on a plutôt une régression qui est due à des facteurs variés, parfois des structures d’emploi, des modifications de diplômes, mais on ne peut plus dire qu’aujourd’hui on continue à avoir cette amélioration.
Stéphane Délétroz : Donc, le poids des stéréotypes est encore bien là, Lucia.
Lucia Sillig : Oui. D’autant que les préjugés du genre « les filles sont moins douées en maths » ont un côté auto-réalisateur. On appelle cela la menace du stéréotype, Isabelle Collet.
Isabelle Collet : En France, les gens en psychosocial qui travaillent sur les stéréotypes, comme Pascal Huguet [Directeur de Recherche au CNRS : Comportement Cerveau Cognition, NdT], disent que débarrassées de la menace du stéréotype, les filles pourraient être bien meilleures en maths que le résultat qu’elles affichent aux examens. Ça parasite. Si la société, autour de vous, pense que le groupe social auquel vous appartenez n’est pas compétent dans la tâche, vous réussissez moins bien. Ça marche pour le racisme, ça marche pour le sexisme. Pascal Huguet le teste, par exemple, en mettant des étudiants et des étudiantes dans des IRM et il regarde ce qui se passe dans leurs cerveaux. À un moment, sur une équation qu’on leur demande de résoudre de tête, une équation prise complètement au hasard, il dit : « Sur l’équation suivante, les hommes réussissent mieux que les femmes », une piochée au hasard. Avant, il n’y a aucune différence de performance entre les hommes et les femmes et au moment où on dit ça, les femmes performent moins. Elles accusent le coup de ce qu’elles entendent et on voit, dans leurs cerveaux, s’allumer la zone qui est supposée réguler les émotions négatives. Et pendant qu’on est occupé à réguler les émotions négatives, eh bien on n’est pas en train de résoudre l’équation !
Stéphane Délétroz : On parle de la présence de femmes dans les branches scientifiques et techniques qui est toujours nettement plus faible que celle des hommes, on l’a dit tout à l’heure. Dans les hautes écoles, en Suisse en 2022/2023, on était à 35 % de femmes seulement.
Maintenant on va s’intéresser à une vaste étude sur les capacités en mathématiques, publiée dans la revue Nature [2] au mois de mai, Lucia Sillig.
Lucia Sillig : C’est une étude qui a été menée auprès de près de trois millions d’enfants en France, soit tous les enfants qui rentraient à l’école primaire, au CP, qui avaient donc entre six et sept ans. Ces enfants ont passé 46 tests en début de première année, au milieu de l’année et enfin en toute fin d’année, des tests oraux et écrits en compréhension du français, en lecture, mais aussi en mathématiques, du genre « énumérer les quantités qui sont plus grandes les unes que les autres, résoudre des problèmes ou placer un nombre sur une ligne numérique entre 0 et 10. Pauline Martinot, est la première autrice de cette étude. Elle est aussi médecin, spécialiste de santé publique et chercheuse en neurosciences. Elle et ses collègues ont été assez surpris par les données récoltées.
Pauline Martinot : En regardant tout ça, on a d’abord constaté qu’il n’y avait aucune différence entre les petits garçons et petites filles, à l’entrée en école, dans tout ce qui était mathématiques. De manière assez étonnante, quatre mois après le début du CP, d’un coup, les garçons sur-performaient en mathématiques par rapport aux petites filles et ce, peu importe leur âge, peu importe leur catégorie socio-économique. Dans tous les domaines, on a constaté ces écarts qui étaient encore plus marqués après un an d’école.
On s’est demandé ce qui se passait. On a essayé de mesurer pourquoi ces éléments-là arrivaient. On a pu identifier, avec les données qu’on avait, qu’il y a plusieurs éléments.
D’abord, il y a le rôle des rôles modèles entre les enfants, entre eux, dans l’école, dans la classe. Ça veut dire que quand vous avez une classe où vous avez un petit garçon qui est premier de la classe, eh bien en moyenne, les autres petits garçons de la classe vont être plus performants en mathématiques. Et quand vous avez une classe où c’est une petite fille qui est première de la classe en mathématiques, les petites filles vont être un peu meilleures en mathématiques que dans toutes les autres classes.
On a constaté un deuxième élément, c’est qu’il se passe quelque chose dans l’environnement de l’école et pas à la maison, mais vraiment à l’école, qui aggrave ces inégalités entre les petits garçons et les petites filles. On a pu répondre à cette question parce qu’on a eu la chance, entre 2018 et 2022, d’avoir l’année Covid, donc l’année où les garçons et les filles sont restés deux mois et demi de plus à la maison, chez eux, par rapport aux autres années. Et moi, instinctivement, je m’attendais à voir plus d’écart entre les garçons et les filles, sachant que les petits garçons et les petites filles étaient restés plus longtemps chez eux, parce que je pensais qu’on avait beaucoup plus de stéréotypes de genre à la maison qu’à l’école. En fait, on a vu tout l’inverse ! On a remarqué, au contraire, que l’année Covid, il y a eu le plus petit écart entre les garçons et les filles en mathématiques. Les filles étaient plus fortes en mathématiques lorsqu’elles avaient passé plus de temps à la maison pour faire leurs maths.
Lucia Sillig : Qu’y a-t-il, dans l’éducation scolaire, qui creuse cet écart ? À part les rôles modèles, avez-vous d’autres explications ?
Pauline Martinot : Après, on a pu faire toute une revue de la littérature pour faire des associations avec toutes les données qu’on avait. En plus des rôles modèles et du rôle des enfants entre eux, où il y a aussi le préjugé que les filles sont nulles en maths, ce qui est faux pour le coup, il y a aussi l’attitude des enseignants envers les enfants. Notamment, beaucoup de femmes qui sont en école primaire, en France, sont issues plutôt de milieux littéraires, et elles ont un peu cette idée que les filles sont nulles en maths et qu’elles-mêmes ne sont pas très bonnes en maths. Lorsque c’est le cas, elles vont interroger un peu plus les garçons et valoriser un peu plus les réussites des garçons en mathématiques que celles des filles. Ça, c’est le côté enseignants envers les enfants.
On a remarqué aussi un autre élément, c’est la manière dont on enseigne les mathématiques. Les exercices sont très formels, ils sont beaucoup dans la compétition. On avait des tests chronométrés, on avait des tests assez complexes où il faut faire des erreurs, et ce sont des paramètres pour lesquels les petits garçons sont beaucoup plus entraînés depuis la naissance que les petites filles. Donc, là, c’est un message pour les parents : entre zéro et six ans, en fait, on peut changer complètement la manière dont les petits garçons et petites filles ont de réagir aux exercices compétitifs et aux exercices où il faut faire des erreurs dès le plus jeune âge, comme ça, ça les prépare aussi à l’école.
Lucia Sillig : Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les petits garçons sont plus entraînés à la compétition et au chronométrage ?
Pauline Martinot : Oui, tout à fait. Ils sont plus entraînés, mais d’autres études ont montré une plus grande anxiété chez les petites filles dès qu’elles sont face à des exercices chronométrés ou à des exercices difficiles ou à des exercices compétitifs.
Lucia Sillig : Le message aux parents c’est de dire : arrêtez de chronométrer et de mettre les petits garçons en compétition ou bien mettez les petites filles en compétition ?
Pauline Martinot : Mettez les petites filles aussi. Faites-les jouer aux mêmes jeux que les petits garçons.
Le message principal pour les parents, c’est que les petites filles et les petits garçons ont exactement les mêmes compétences en mathématiques et en sciences dans leurs cerveaux. Que ce n’est pas vrai que les filles sont nulles en mathématiques. On a fait toute la revue de toute la littérature, au niveau cognitif il n’y a absolument aucune différence entre les petits garçons et petites filles en mathématiques et en sciences dans leur cerveaux.
Lucia Sillig : Mais ça, c’est avant qu’ils commencent l’école. Une fois qu’ils ont fait dix ans d’école, il y a effectivement, du coup, une différence de niveau en mathématiques.
Pauline Martinot : Oui, tout à fait. En fait, elle se creuse de manière très forte dès qu’ils sont exposés à la manière formelle d’enseigner les mathématiques à l’école.
Lucia Sillig : Est-ce que cet écart que vous constatez dans les performances en mathématiques diminue si on enlève, par exemple, la pression du temps ou de la compétition ?
Pauline Martinot : On n’a pas pu le faire parce qu’on a observé des données figées. Par contre, quand on fait la revue de la littérature, c’est ce que montrent d’autres papiers, d’autres publications scientifiques : pour un même exercice, vous appelez le même exercice, par exemple « dessin » ou « géométrie », c’est le même exercice. Si c’est l’exercice de dessin, les filles et les garçons ont les mêmes performances. Si c’est l’exercice de géométrie/mathématiques, les petites filles perdent en confiance en soi et ratent l’exercice.
Lucia Sillig : Il me semble aussi que, dans votre étude, vous disiez que l’écart se creusait plus dans les milieux socio-économiques plus élevés. C’est juste ?
Pauline Martinot : Oui. En fait, il est même mesuré très tôt dans les milieux les plus favorisés. C’est quelque chose qu’on retrouve aussi dans d’autres pays. J’étais assez étonnée de le constater, je ne m’y attendais pas du tout, je m’attendais à voir l’inverse, à voir que c’est plutôt dans les milieux défavorisés, là où les filles ne sont pas attendues à faire de grandes carrières de mathématiciennes qu’on aurait les plus grands écarts, et pas du tout. En fait, il semblerait que les stéréotypes de genre et les préjugés comme quoi les hommes sont faits pour avoir des carrières plutôt ingénieures et mathématiciennes et les femmes plutôt des carrières littéraires sont beaucoup plus marqués dans les familles très favorisées.
Stéphane Délétroz : Alors comment peut-on essayer de réduire cet écart, Lucia ?
Lucia Sillig : Pauline Martinot donne trois pistes.
Pauline Martinot : En fait, c’est pour trois populations différentes.
Auprès des parents : pouvoir faire en sorte que, dès le départ, dès la naissance, on sache que les filles et les garçons sont faits pour faire des maths et des sciences. Du coup, les encourager à faire des jeux, leur montrer aussi des rôles modèles qui sont toutes autour des maths et des sciences. C’est un premier rôle fondamental des familles entre zéro et six ans, et après.
Le deuxième, c’est de travailler avec les enseignants et les enseignantes pour faire en sorte qu’ils connaissent aussi ces éléments de sciences cognitives, comme quoi les cerveaux sont identiques en compétences mathématiques entre les garçons et les filles. Que, du coup, on puisse travailler sur la gestuelle et enseigner de la même manière les mathématiques aux garçons et aux filles.
Le troisième champ, c’est plutôt pour les enfants eux-mêmes : pouvoir leur montrer qu’ils ont exactement les mêmes compétences entre eux et de s’encourager mutuellement à performer en mathématiques et en sciences, de manière égale.
Stéphane Délétroz : Et pour les plus grandes, que peut-on faire pour attirer plus de femmes dans les branches scientifiques et techniques ?
Lucia Sillig : Benita Combet de l’Institut de sociologie de l’Université de Berne, qu’on a entendue tout à l’heure, estime qu’il faut insister sur les applications des branches enseignées, expliciter à quoi ça sert, en particulier pour l’informatique, la physique ou les mathématiques, montrer qu’il ne s’agit pas uniquement de problèmes abstraits, de l’art pour l’art si on veut. En sociologie, par exemple, il y a passablement de statistiques et de programmation et elle constate que les jeunes femmes s’y intéressent tout à fait quand il s’agit de résoudre des problèmes concrets.
Quant à Isabelle Collet qui, je le rappelle enseigne les sciences de l’éducation à Genève, elle souligne qu’il faut commencer par faire attention à l’environnement d’études.
Isabelle Collet : Si on fait une seule chose, la première chose à faire, c’est s’assurer que ces endroits dans lesquels on veut attirer les femmes soient des endroits sécurisés pour elles, des safer spaces, c’est-à-dire s’assurer à éradiquer les violences sexistes et sexuelles, d’une part, et sensibiliser au sexisme ordinaire. C’est compliqué de dire à des filles « allez dans les apprentissages, allez dans les écoles d’ingénieurs », si on ne s’assure pas que les garçons qui y sont déjà ne sont pas sensibilisés à cette question.
Je suis allée faire des études dans les hautes écoles romandes en informatique. Sur une volée de 40, il y a peut-être deux filles et 38 gars. Sur les 38, la majorité sont des gens plutôt sympas, mais qui n’ont pas conscience de ce que vivent les filles au quotidien. Et pour peu qu’il y en ait quatre ou cinq qui sont harcelants, qui sont lourds et qui font des remarques du genre « j’ai compris, pour avoir un 6 ici il suffit d’être une fille », ils sont peut-être quatre ou cinq mais, comme elles ne sont que deux, elles se prennent ça à temps plein. Tous les autres, qui sont plutôt sympas, mais qui ne voient pas les enjeux et qui éventuellement grognent parce qu’il y en a marre de favoriser les filles, alimentent un système dont ils ne sont pas conscients.
Donc la première chose à faire, c’est cela, c’est s’assurer que les lieux sont des lieux sécurisés pour les femmes et pour cela il faut former les enseignants, les enseignantes et les garçons qui se trouvent dans ces endroits.
Lucia Sillig : Parmi les mesures qui marchent, Isabelle Collet cite les deux exemples qu’elle juge les plus impressionnants dans le domaine de l’informatique, puisque c’est sa spécialité, celui de NTNU, l’Université norvégienne des sciences et de technologie à Trondheim, qui a fait beaucoup d’appels du pied aux femmes, des journées portes ouvertes spéciales, mais qui a surtout instauré des quotas pendant quelques années. Et puis celui de l’Université de Carnegie Mellon, aux États-Unis, qui a complètement repensé la manière d’enseigner l’informatique et de recruter, en ne se basant plus sur des compétences techniques, mais sur des compétences plus généralistes comme la créativité ou l’aisance en langue étrangère, en se disant que les étudiants et étudiantes avaient cinq ans pour acquérir les compétences techniques et en reprenant tout au niveau zéro dans ce domaine, sans aucun prérequis.
Isabelle Collet : Ces écoles, NTNU comme Carnegie Mellon, sont passées en deux ans à 30 % puis 50 %. Actuellement, NTNU a retiré son quota, maintenant il n’y a plus besoin de ce quota. Il y a une habitude suffisante d’intégrer des filles dans l’école, même s’ils restent très attentifs à leurs conditions d’études et ils arrivent à avoir une part de filles qui oscille entre 30 et 40 %, ce qui est quand même, en gros, deux fois plus que la Suisse.
Stéphane Délétroz : La proportion de femmes dans les branches scientifiques et techniques, ce matin dans CQFD, avec quelques exemples, Lucia, pour encourager la relève.
Merci beaucoup à Isabelle Collet, professeure en sciences de l’éducation de l’Université de Genève, Pauline Martinot, médecin spécialiste de santé publique et chercheuse en neurosciences, ainsi qu’à Benita Combet, professeure à l’Institut de sociologie de l’Université de Berne. Merci à toutes les trois pour leurs explications dans ce dossier préparé par vous, Lucia Sillig.