Le logiciel libre : un modèle de société - François Pellegrini - 2011

Titre :
Le logiciel libre : un modèle de société
Intervenant :
François Pellegrini
Lieu :
Toulouse - Capitole du Libre
Date :
Novembre 2011
Durée :
1 h 00 min 57
Licence :
Verbatim
Pour visionner la vidéo
Pour visionner la présentation

Transcription

Bonjour à toutes et tous. On m’a sollicité pour faire une présentation un peu, j’allais dire gros bout de la lorgnette, sur le logiciel libre et donc, de façon très modeste, j’ai appelé ça « un modèle de société ». J’essaierai de vous expliquer où je veux en venir.
Premier point, on est confronté à un événement social, qu’on appelle maintenant sans risques de se tromper, la révolution numérique et [ah oui d’accord, ouais OK. Effectivement la révolution numérique commence mal. Voyons voir hop, on ne va pas s’embêter, on va descendre la réso. Hop là. Est-ce que ça, ça va marcher ? Ouais c’est mieux]. Donc avec un objet au sens immatériel du terme, puisqu’on va parler du logiciel qui a un statut unique dans l’histoire de l’humanité parce que c’est finalement le premier outil de l’homme qui soit une extension de son esprit et non de son corps. Et ça, bien sûr, ça va avoir un impact, j’allais dire fondamental, sur la façon de produire et de traiter la connaissance.
En fait, cette révolution numérique dont je veux vous parler, elle fait suite à deux révolutions dans le champ de la connaissance. La première ça a été la révolution de l’écriture entre moins quarante mille ans et puis moins trois mille où, pour la première fois, on a pu fixer de l’information sur un support et ça a permis socialement la création des premières cités-États, des premiers empires. Et ce n’est donc pas étonnant que, finalement, toutes les traces archéologiques d’écriture qu’on retrouve soient majoritairement des traces administratives, des décomptes de têtes de moutons, etc., avant même, ensuite, de trouver des traces littéraires.
Et puis révolution de l’imprimerie, juste cinq cents ans auparavant, où, avec la mécanisation de la transmission de l’information sur le support, imprimerie, puis radio, puis télévision, on a vu apparaître les États-nations avec des questions de standardisation : standardisation, par exemple, des claviers de machines à écrire ou des écartements de rails de chemin de fer dans le monde matériel, mais qui définissaient des sphères qui, ensuite, s’opposaient les unes aux autres.
Et on se retrouve maintenant avec la révolution numérique, finalement, à faire l’inverse de la révolution de l’écriture. Il y a quarante mille ans on s’était fatigué à fixer de l’information sur un support. Avec la révolution numérique, on a réussi à extraire l’information du support pour la transformer en tas de 0 et de 1. Et à partir de là, on va pouvoir manipuler cette information de façon radicalement différente de précédemment.
Et de la même façon que dans la révolution industrielle la machine était l’objet et l’outil de cette révolution, le moyen, c’est-à-dire que l’humain avait commencé à fabriquer quelques machines qui ont servi à fabriquer des machines encore plus puissantes et des machines encore plus puissantes, jusqu’à ce qu’une seule personne puisse agir sur énormément de matière grâce à une machine, eh bien on va se retrouver face au même phénomène dans la révolution numérique où, grâce aux premiers logiciels qui ont servi à faire des échanges de courriers électroniques on a pu échanger encore plus d’informations. Et puis, à partir de ces informations, construire encore plus de logiciels, encore plus malins, encore plus efficaces, et maintenant une seule personne peut manipuler, traiter, peut lier à sa volonté des quantités d’informations considérables.
Ça, ça s’est produit conjointement à l’arrivée d’un objet, lui aussi unique, qui va s’appeler Internet. Alors quand on met quatre PC en réseau pour jouer à des jeux, ce n’est pas Internet, c’est un réseau local. Quand une entreprise multinationale relie toutes ses filiales à travers un réseau privé, ce n’est pas Internet. Internet n’existe, il n’est, que parce qu’il est unique. On le définit comme le réseau des réseaux et c’est ce qu’on appelle, en économie, un bien commun. C’est un peu comme l’eau, comme l’air : à la fois ça n’appartient à personne et à la fois ça appartient à tout le monde et on doit le préserver comme appartenant à tout le monde. Et finalement, d’ailleurs, une grande question juridique actuellement c’est à qui appartient l’internet ? Qui a le droit de censurer sur Internet ? Est-ce que chaque pays a le droit de faire son propre bout d’Internet en filtrant, ou pas ? Et donc on voit bien qu’on est exactement dans les mêmes problématiques que par rapport à l’eau ou l’air. On est face à un objet juridique nouveau, un bien commun nouveau.
Qui plus est Internet, par rapport au modèle de l’industrie du divertissement et de la mécanisation de la diffusion, révolution de l’imprimerie, va ré-horizontaliser les échanges. On avait un modèle totalement pyramidal où quelques-uns décidaient de l’information qui allait être consommée par des centaines de millions de personnes. On se retrouve avec un réseau a-centré dans lequel tout le monde peut échanger avec tout le monde. Et clairement, ça dynamite tous les modèles économiques et sociaux qui avaient été édictés du temps de la mécanisation de l’imprimerie, en particulier avec la notion d’auteur. Le régime du droit d’auteur est un régime qui avait été conçu quand il y avait quelques auteurs et aussi un nombre assez petit de directeurs de salles de théâtre. C’était Beaumarchais qui avait, en France, créé la société des auteurs, avait fait édicter le droit d’auteur. C’était arrivé un petit peu avant aux États-Unis. Maintenant nous sommes tous des auteurs. Sur Internet, une majorité de contenus est auto-produite. Et qui plus est, on se retrouve aussi face à des moyens de création collective. Nous sommes tous des auteurs parce qu’il ne se passe plus un événement dans le monde sans que quelqu’un, avec son téléphone mobile, le capte, et l’envoie, et l’échange sur les réseaux où il est dupliqué à des centaines voire des dizaines de milliers d’exemplaires
De ce fait d’ailleurs, quand on voit, quand on pense à Internet, Internet est le lieu de la copie. Quand vous demandez une page web sur un serveur, elle ne disparaît pas du serveur. Elle est copiée de machine en machine jusqu’à atterrir dans la mémoire de votre ordinateur puis sur la carte graphique. Donc effectivement, vouloir interdire la copie sur Internet, c’est contraire à ce qu’est Internet. C’est, j’allais dire, techniquement impossible. Donc on voit bien les conflits qui peuvent en découler.
Ceci parce que le fait d’avoir extrait l’information du support a radicalement changé les modèles économiques qui vont sous-tendre les échanges de cette information. En particulier, on va se trouver avec les biens informationnels, dans un cadre économique qui s’appelle celui des biens non rivaux. Un bien est rival quand on est en compétition pour : moi j’ai ma montre, si je vous la donne je ne l’ai plus. Si je vous donne idée, eh bien je l’ai toujours, vous l’avez aussi. Donc effectivement, on se retrouve, avec la numérisation, à avoir un coût de copie de l’information qui est nul. Et ça aussi ça change complètement. Quand quelqu’un avait l’idée d’une voiture et fabriquait le prototype de la voiture, pour chaque voiture qu’il construisait il devait rajouter un bout d’acier, un bout d’électricité, un bout d’usine autour, avec des ouvriers dedans. Chaque voiture coûtait un certain prix qui faisait qu’on ne pouvait pas la vendre au-dessous de ce prix.
Dans le monde numérique, la copie est identique à l’original : un 0 pour un 0, un 1 pour un 1, et elle s’effectue à coût nul. Parce que votre ordinateur fonctionne, eh bien il consomme de l’électricité, que vous fassiez quelque chose ou que vous ne fassiez pas. Et finalement, faire, cliquer, copier, hop, hop, ou envoyer plein de courriels, ça ne vous coûte rien de plus que si la machine ne faisait rien. Bien sûr il y a un coût parce que l’électricité il faut la fabriquer, la machine il a fallu la fabriquer, mais tout ça c’est forfaitisé, c’est dilué. Ce qui fait que le coût de copie, le coût de l’acte de copie, est fondamentalement nul et ça, ça veut dire que, finalement, un logiciel, dès le moment où son coût de développement a été amorti, vous pouvez le déployer en des millions d’exemplaires, ça ne vous coûte rien. Et donc un logiciel peut être distribué gratuitement dès le moment où son développement a été financé.
Autre point essentiel dans l’économie des biens informationnels, qui existait aussi dans l’économie matérielle, a minima, c’est la notion d’effet de réseau. L’effet de réseau c’est que la valeur d’un bien augmente avec le nombre de personnes qui l’utilisent. S’il n’y a que deux personnes au monde qui ont le téléphone, est-ce que c’est intéressant que vous, vous ayez le téléphone ? Deux chances sur six milliards que vous connaissiez les personnes en question, ça ne vaut peut-être pas le coup ! En revanche, si 80 % de vos amis ont le téléphone, ça devient vachement intéressant d’avoir le téléphone pour organiser la prochaine soirée ou autre.
Donc on se retrouve, grâce à Internet, avec une capacité d’innovation considérable. Pourquoi ? Parce qu’Internet est un réseau stupide. Ça peut paraître antinomique ce que je dis, mais pensez que avant, du temps du téléphone, c’était le central téléphonique qui possédait l’intelligence. Le combiné que vous aviez chez vous était un truc complètement idiot avec un micro, un haut-parleur et des bouts de fil. Vous ne pouviez rien en faire par vous-même, vous étiez obligé de passer par l’opérateur qui, sur son central, mettait en place des services, la conversation à trois, le renvoi d’appel. Et puis si vous n’étiez pas prêt à payer le prix, eh bien vous ne l’aviez pas. Et puis vous vouliez la conversation à quatre, eh bien l’opérateur vous dit : « Non, ça on ne l’a pas. — Moi je la voudrais.— Oui mais ça ne nous intéresse pas. » Et vous étiez prisonnier de ce que l’opérateur pouvait faire.
Avec Internet, le réseau est stupide : il sert juste à acheminer les 0 et les 1 d’une machine à l’autre. Et l’intelligence est dans les logiciels que vous allez mettre sur chacun des ordinateurs. Et quand vous voulez un nouveau service, eh bien vous installez le logiciel qui va bien. Ça tombe bien, le coût de copie est nul, donc vous déployez à des centaines de milliers d’exemplaires et vous mettez en place un nouveau service. C’est comme ça que, par exemple, Skype est arrivé. Avant les opérateurs téléphoniques vous disaient que téléphoner aux États-Unis c’était un euro la minute. Tout d’un coup on vous dit : « Eh bien non ! Tiens, maintenant c’est gratuit. » Et on voit effectivement, j’allais dire la révolution en termes de modèle économique que ça cause, et donc c’est pour ça qu’on parle vraiment de la révolution numérique.
Et donc ce marché est très volatile, puisqu’effectivement un service arrive, si un concurrent propose des nouvelles fonctionnalités, le coût de déploiement et d’installation d’un logiciel étant quasiment nul, eh bien le nouveau concurrent arrive, prend les parts de marché. Il y a une volatilité très grande, ce qui va justement permettre une innovation et une vitesse d’innovation considérable, qui n’a rien à voir avec ce qu’elle est dans le monde matériel.
Donc effectivement, de quoi parle-t-on finalement quand on parle de logiciel ? J’ai repris une phrase de Lawrence Lessig qui dit Code is law, c’est-à-dire que finalement on vit un peu dans le monde de Matrix. On ne peut faire que ce que le logiciel demande. Si vous voulez maintenant une place de train particulière, eh bien vous êtes obligé de passer par le logiciel de l’opérateur de chemin de fer et c’est finalement le logiciel qui vous dit quelle place vous avez le droit d’avoir ou pas. Avant on pouvait toujours s’arranger, maintenant ce n’est pas possible. Les gens qui font Wordpress eux parlent de Code is poetry qui est quelque chose que j’aime bien, en fait, parce qu’en tant que développeur de logiciels j’aime bien me considérer un peu comme un artiste, en tout cas comme un artisan. Je pense de façon plus globale, en me mettant au niveau des autres, que Code is life et j’essaierai de vous montrer pourquoi.
Premier point, de quoi parle-t-on ? Peut-être que la majorité d’entre vous savent ce qu’est un logiciel ou en produisent, mais finalement c’est bien de rappeler des choses fondamentales. En fait, on peut avoir des idées de méthode, de trucs. « Tiens j’aimerais bien que mon logiciel fasse ça, alors peut-être qu’il faut que je commence par trier les noms des personnes, et ensuite je recherche ceux que je veux, etc. » En fait, on met en place ce qu’on appelle des algorithmes, c’est-à-dire des méthodes intellectuelles, et puis il y a un moment où il faut que l’ordinateur fasse le boulot. Donc ces algorithmes, on les traduit par une action de codage en un programme et ce programme c’est lui qui va être exécuté par l’ordinateur. Mais en fait, un programme c’est beaucoup plus que ça. Parce que, effectivement, c’est une œuvre de l’esprit. C’est : j’ai pensé l’idée et je l’ai écrite dans un langage de programmation. Mais mon collègue programmeur, il lit mon programme et il comprend ce que j’ai voulu dire. Donc au-delà d’être simplement un objet de transmission d’informations entre un humain et un ordinateur, un programme c’est aussi un bien qui permet la communication d’humain à humain et, de façon extrêmement importante, surtout dans le cas du logiciel libre où le code source va être accessible, c’est-à-dire on pourra réellement voir ce qu’ont écrit les autres. Et bien sûr, quand on donne ça à manger à un ordinateur, chouette il fait le boulot à notre place, c’est exactement ce qu’on voulait.
Donc finalement, on voit que l’écriture d’un logiciel ça ressemble à un artisanat, un peu comme un processus de création littéraire, pas tout à fait mais presque, et donc le droit s’est un peu adapté. Les législateurs ont toujours deux techniques : soit ça ressemble et donc ils étendent le droit existant au nouvel objet. Soit ça ne ressemble pas puis ils fabriquent une loi spéciale pour. Là ça ressemblait beaucoup et donc le régime des droits d’auteur a été également appliqué au logiciel, en rabotant un peu parce qu’on considère que les salariés, par exemple qui travaillent dans les boîtes, ne sont pas titulaires des droits d’auteur sur le logiciel, c’est directement l’employeur qui l’est, ce qui ne serait pas vrai avec le droit d’auteur traditionnel. Et puis, pour les œuvres littéraires, on a le droit de faire une copie à usage privé, même autant qu’on veut pour notre usage privé. Là pour les logiciels, si vous avez trois ordinateurs rien que pour vous, eh bien vous devez payer trois licences de logiciel si le vendeur vous l’impose. Et donc pas d’exception de copie privée pour les logiciels.
Tout ça passe par un truc qu’on appelle une licence, qui est une espèce de contrat entre le titulaire des droits d’auteur et puis les usagers, qui va donc légiférer sur, réglementer vos capacités d’utiliser ou d’exploiter l’œuvre logicielle. La plupart du temps vous n’avez le droit de rien faire, ce sont les fameux trucs « contrat et cliquer » où, quand vous les lisez, je n’ose même pas faire lever la main aux gens en demandant « qui a jamais lu un contrat jusqu’au bout avant de cliquer sur j’accepte », mais a priori, je vous suggère de le faire de temps en temps. Mais en tout état de cause, vos droits sont relativement écornés.
Alors qu’avec le logiciel libre, qui est l’objet de notre réunion tous ici, eh bien on se trouve face d’abord à un nouvel objet qui est, en fait, une innovation juridique. On dit les logiciels libres c’est super bien, ça marche, c’est innovant, etc., mais finalement, on ne parle pas de technique là, on parle de droit. Un logiciel libre, c’est un logiciel comme tous les autres. Simplement sa caractéristique de liberté est basée sur les conditions de licence avec laquelle ce logiciel va être distribué. Et en fait, on va s’appuyer sur le mécanisme de droit d’auteur qui était censé limiter les droits des usagers pour, au contraire, garantir à l’usager des droits et aussi quelques devoirs, parce que, par réciprocité, les droits des uns sont les devoirs des autres.
Et donc on se trouve dans un écosystème, finalement, où on voit que le coût de copie de l’information est nul. Où on va pouvoir, comme ça, diffuser de l’information de façon très rapide. Et on va se retrouver, donc, avec des coûts de transaction négligeables qui vont, là aussi, changer la façon dont on va produire le logiciel.
Avant, quand il n’y avait pas Internet, les gens qui produisaient le logiciel étaient loin et on avait besoin de les réunir tous ensemble dans le même bâtiment. Et donc il fallait construire le bâtiment, il fallait de l’électricité, ça coûtait des ressources. Maintenant qu’il y a Internet, eh bien les gens, on n’a pas besoin de les bouger. Ils peuvent être là où ils étaient avant et en plus, puisque le coût d’accès à Internet maintenant lui aussi est nul, on peut permettre à n’importe qui de faire de la micro création de valeur ajoutée.
Quand vous regardez la page de la Wikipédia, si vous voyez une faute d’accord, vous cliquez sur modifier. Tac tac vous modifiez. Prévisualiser. Hop. Ça y est, c’est bon. Valider.
Avant, quand on construisait des encyclopédies, il y avait des gens qui étaient des correcteurs orthographiques, qui étaient payés de façon salariée pour faire ce boulot-là, sur l’ensemble du travail. Là, chacun d’entre nous fait un peu de valeur ajoutée et cette valeur ajoutée n’est pas taxée. Il y a une taxe sur la valeur ajoutée, on en entend bien parler de nos jours. Tout ça pour montrer aussi que le fisc peut lui aussi se poser des questions sur le changement de société en disant « eh bien finalement, on taxait la valeur ajoutée. Maintenant on crée de la valeur ajoutée non taxée », mais parce que, finalement, elle bénéficie à tous. Donc est-ce qu’il y a un intérêt à taxer ce qui bénéficie à tous ?
Et donc, les licences libres, eh bien elles ont en commun quatre libertés. La majorité d’entre vous le sait peut-être déjà : liberté d’exécuter le programme pour tout usage. Il n’y a pas de version Home et de version Professionnal où, quand on tape un courriel pour le boulot chez soi sur sa version Home peut-être que les gendarmes vont débarquer à six heures du matin en disant : « Hou, ce n’est pas bien ! » On a la liberté d’étudier le logiciel. On a la liberté de pouvoir l’adapter à ses besoins. Et on a la liberté de rediffuser soit le programme original, soit le programme modifié. Et donc on se trouve dans un régime de capitalisation du savoir et de mutualisation des développements. La mutualisation va être l’objet de ma conférence, j’en parlerai.
Il existe une flopée de licences libres exactement comme il existait une flopée de licences privatives, ce que j’appellerai privatives par la suite, c’est-à-dire qui créent des espaces privés autour du logiciel. Je ne vais pas rentrer dans les détails à ce niveau-là. Si vous voulez on pourra en parler.
Clairement, le truc à retenir si vous êtes confronté pour la première fois à la notion de logiciel libre, c’est que libre ne veut pas dire gratuit et qu’il ne faut absolument pas confondre ce qu’on appelle en québécois les gratuiciels, qui se dit en anglais freeware parce que free veut dire gratuit. Ce sont des logiciels qu’on vous fournira pour un coût nul, mais qui peuvent être sous une licence qui ne vous garantit absolument pas des libertés d’usage. Et puis les logiciels libres qui s’appellent les free software et vous voyez que ça ressemble quand même beaucoup, mais ce n’est pas pareil, qui eux vont préserver la liberté des usagers. C’est pour ça que, puisqu’on a une belle langue qui s’appelle le français, je vous incite à utiliser le terme gratuiciel et logiciel libre, au moins on verra réellement de quoi on parle. D’autant plus que, clairement, cette polysémie du terme free est extrêmement dommageable. Libre et gratuit ça ne veut absolument pas dire la même chose. L’exemple en est, qu’effectivement, quand un dealer vous fourgue les premières doses de drogue gratuitement ce n’est vraisemblablement pas pour vous rendre libre !
Donc, au-delà de ça, puisqu’on parle de société et qu’on nous dit que l’économie dirige la société, ma foi, quelle est l’économie du logiciel ?
Premier point, premier principe d’économie : rien n’est gratuit à part l’air qu’on respire et encore, et donc il faut financer le développement de logiciels. Mais rappelez-vous que parce que le coût de copie est nul, dès le moment où un logiciel a été financé, il peut être distribué à coût nul, soit gratuitement soit éventuellement, et c’est ce que je prône ici, librement.
Et donc on trouve différents modèles d’affaires. Le modèle classique qui était l’analogue du modèle dans le monde matériel, c’était la cession de licence, c’est un modèle de rente, parce le prix auquel on vend une licence de logiciel peut être largement supérieur au coût réel de fabrication. Rappelons qu’effectivement, sur les produits de la gamme Office, Microsoft fait plus de 85 % de marge et sachant que les 15 % qui restent ce n’est pas du coût de développement. C’est du coût de pub, c’est du coût de lobbying. Je veux dire les coûts structurels de développement sont très faibles par rapport à la réalité des bénéfices engrangés.
Ou alors, puisque dans ce cas-là un logiciel coûte à produire, comment ça se fait qu’on puisse le diffuser gratuitement ? Il y a donc nécessairement derrière, une valorisation possible à travers des avantages indirects. Soit c’est un produit d’appel, soit c’est la possibilité de récupérer des informations commerciales, parce que vous êtes obligé de vous connecter sur le site et de laisser vos identifiants pour récupérer un accès au logiciel. Donc ça c’est quelque chose qui a une valeur commerciale très intéressante. Ou alors on peut vous fournir des services annexes, tels que du développement sur une base existante, des services d’installation et de configuration. Mais sachant que pour que le système soit soutenable, les revenus collectés doivent pouvoir bénéficier au créateur.
Avec le système privatif ou ce qu’on appelle parfois propriétaire – je n’aime pas le terme justement parce que propriété intellectuelle ça ne veut rien dire. Propriété c’est pour le monde matériel et intellectuel ce sont les idées, et on a vu que les idées ne fonctionnaient dans le régime des biens rivaux physiques, donc je parlerai plutôt de privatif au sens partie privative d’un immeuble par rapport aux parties communes.
Donc l’économie du logiciel privatif est très simple : c’est la monétisation de tous les échanges, et donc on est dans un modèle où, finalement, le créateur d’un logiciel dans ce monde-là doit payer pour ses briques et, une fois qu’il a payé pour ses briques, il va se rétribuer en se faisant payer pour les cessions de licences. Donc c’est « paye d’abord et gagne ensuite ! » Finalement on se retrouve à restaurer un coût marginal non nul puisque comme ça a coûté d’obtenir les logiciels éventuellement avec des contrats qui disent « par licence que tu utiliseras tu devras me reverser tant » . Donc on retrouve une transposition du modèle ancien de l’économie matérielle et, finalement, on s’aperçoit que c’est modèle qui est par nature expansionniste. C’est-à-dire que vous-même si vous voulez faire un logiciel, vous êtes obligé d’acheter avant de revendre et donc vous rentrez dans ce système-là. C’est pour ça que les critiques des tenants de ce modèle-là face au logiciel libre, à certaines licences qu’ils ont qualifiées de contaminantes ou de choses comme ça, en trouvant que le modèle était expansionniste, finalement on est modèle expansionniste contre modèle expansionniste et finalement, c’est simplement une bataille pour un territoire.
Donc point important, là aussi, je vous ai montré qu’il ne fallait pas confondre logiciel libre/logiciel gratuit, il ne faut pas dire logiciel libre et logiciel commercial. Le logiciel libre peut être du logiciel commercial et l’intérêt c’est que la majorité des développeurs de logiciels libres puisse en vivre. Donc il faut faire du business, du commerce, avec du logiciel libre, c’est tout à fait permis et c’est même encouragé. En particulier, François Elie dans son livre Économie du logiciel libre dit bien qu’il faut faire cesser le scandale du travail non rémunéré en trouvant des moyens de faire en sorte que les développeurs de logiciels libres soient rémunérés pour leurs créations.
Là, en revanche, il y a une plus grande variété de modèles économiques permettant de rendre cette activité soutenable, soit être développeur à façon de logiciels libres. Mais donc il faut garantir le fait qu’on continuera à en vivre, ce qui est peu antinomique on se dit : « Mais oui, c’est bizarre. Mais alors, dans ce cas-là, si le logiciel on le diffuse, d’autres peuvent le copier, alors on n’aura pas de licence. » Effectivement non, on ne marchera plus sur le modèle des licences, il faut trouver autre chose. Par exemple la fourniture de services tels que la maintenance et la modification, mais ça, d’une certaine manière, faire du service autour du logiciel, c’est de l’activité mais ça n’aide généralement pas à la création de nouveaux codes sources. Donc ce n’est pas une activité qui participe, j’allais dire, à l’amélioration de l’ensemble, du pool de logiciels existants. Ça crée de nouveaux clients, ça augmente le marché, mais ça ne crée pas de nouveaux logiciels.
Donc il y a maintenant des services nouveaux, par exemple des accompagnements au développement. Puisqu’on peut modifier le logiciel, un client qui aurait envie de modifier le logiciel à sa manière pourrait soit le faire dans son coin et bricoler son truc à partir d’un logiciel obtenu. Mais le problème c’est que le logiciel une fois qu’il est obtenu, lui, de son côté, il évolue. Et on va se retrouver face à une divergence, ce qu’on appelle un fork. Et donc ça c’est ballot, parce que les améliorations faites par les autres, vous, comme vous êtes allé vous mettre sur votre petite voie de garage, là où vous avez agencé vos trucs, ça va devenir de plus en plus compliqué de les réintégrer. Donc il y aura un coût induit par ça. Donc l’accompagnement au développement va permettre d’essayer d’éviter les divergences entre branches et donc c’est de la gestion de projet, c’est de l’action à haute valeur ajoutée qui, en général, est faite par les gens qui ont développé le logiciel parce qu’ils savent ce qu’on peut faire ou pas. Et donc ça devient de plus en plus un modèle économique intéressant pour les créateurs de logiciels libres.
Point auquel j’attache aussi une grande importance c’est qu’effectivement l’absence de rente, puisqu’on sort du modèle de rente, va autoriser mais surtout va imposer l’efficacité économique. Parce qu’il y a une grande volatilité du marché, les gens ne sont plus captifs de tel ou tel logiciel qui enfermerait leurs données dans un format fermé. Et donc ils peuvent très bien décider de dire « eh bien tiens, votre logiciel finalement il ne m’intéresse pas, je vais aller prendre celui de l’autre personne ». Sauf qu’on ne bascule pas d’un environnement logiciel à un autre aussi facilement, ça c’est un peu un mythe, et donc il y a quand même un coût de sortie d’une solution, y compris en logiciel libre, un coût d’entrée dans une solution, y compris en logiciel libre. Et donc ça peut être le moyen d’essayer de restaurer les effets de rente indirecte en maintenant une complexité artificielle du coût de sortie ou du coût d’entrée.
On peut aussi imaginer qu’il puisse exister une bande de parasites qui attendent la sortie de la version du logiciel pour la récupérer puis la monétiser auprès d’autres, en fournissant un service de faible valeur. Ça, finalement, on verra que c’est assez peu vrai. C’est toujours une inquiétude des gens qui disent : « Ah oui, mais moi si je libère mon code source, les gens vont me le prendre. » Ça, en fait, on verra, ça ne fonctionne pas comme ça, justement parce que l’efficacité économique va imposer qu’on ne sorte pas juste un logiciel comme ça. On sort un logiciel comme ça et on le fait vivre. Et donc on a un avantage compétitif par rapport aux gens qui seraient simplement des parasites passifs et qui n’auraient pas la maîtrise de la connaissance du logiciel. Alors que si vous avez « un parasite », entre guillemets, qui acquiert la connaissance de votre logiciel, eh bien finalement ce n’est plus un parasite, c’est quelqu’un qui est capable d’intervenir, c’est quelqu’un qui est capable de développer et finalement, cet adversaire peut devenir un allié.
Et on se retrouve donc avec un phénomène qui va être essentiel et qui est déjà essentiel pour les sociétés humaines, et qui sera encore plus flagrant dans le monde du logiciel, qui est la question de la mutualisation des dépenses, en particulier hors ce que j’appelle, hors du cœur de métier. Et ça, ça va introduire deux éléments clefs de la création du logiciel libre qui sont la mutualisation et la coopétition.
Coopétition c’est un terme un peu bizarre, un peu barbare. C’est la fusion de coopération et compétition. Pour vous donner une image claire, regardez des athlètes au niveau international. Ils ne sont pas tout seuls dans leur coin, ils s’entraînent ensemble. Le moment où ils sont seuls avec eux-mêmes c’est quand il y a la compétition pour de vrai et que, quand ils doivent gagner un marché, une médaille, une compétition, là ils sont seuls face aux autres. Mais en revanche, ils s’entraînent ensemble, parce que c’est en s’entraînant ensemble qu’ils arrivent à monter de niveau. Effectivement, en plus, ils peuvent s’unir : « Tiens il y a une course de relais, il faut tenir une distance plus longue ». Alors celui qui était finalement un adversaire à un compétiteur sur une petite problématique peut devenir un allié quand il y a un problème plus important à résoudre qui nécessiterait, justement, qu’on fasse étalage de plus de force.
Donc, je me marre un peu en écrivant ça, mais Adam Smith s’est complètement planté quand il avait écrit et développé sa théorie donc ensuite sur la tragédie des Communs, c’est-à-dire le fait que c’est l’égoïsme qui permet l’efficacité et que finalement l’intérêt général est la somme des intérêts particuliers. Non, ce n’est pas tout à fait vrai. Plus exactement, l’intérêt particulier ne peut prospérer que grâce à la prise en compte de l’intérêt général. Et ça justement, c’est l’élément clef qui est la mutualisation.
Pensez que vous avez deux banques, qui sont dans un environnement compétitif, où elles essayent de se tirer des parts de marché. Elles ont toutes besoin d’avoir des logiciels de traitement de texte. Est-ce qu’elles vont chacune développer leur propre logiciel de traitement de texte ? Ce n’est pas un avantage compétitif pour elles. Ce n’est pas leur cœur de métier. Elles ont tout intérêt à payer le moins possible pour ça, pour augmenter leurs marges. Donc finalement, ces gens qui sont en compétition sur leur cœur de métier ont tout intérêt à s’allier pour mutualiser leurs coûts sur les segments qui ne représentent pas en fait, pour eux, des gains importants et qui ne représentent pas un avantage différenciant.
Et c’est comme ça qu’est née l’industrie du logiciel. L’idée c’est de dire je fabrique un logiciel et je le fournis à plusieurs clients. Là où le système est parti en vrille c’est qu’on l’a fourni à chaque client quasiment au prix qu’il aurait payé pour le développer en entier. C’est-à-dire que l’industriel, quand il met en place un système de rente, eh bien il s’arrange pour se goinfrer le plus possible, en faisant en sorte que les clients raclent le plus possible et ne puissent pas s’en échapper.
Bien sûr, la mutualisation suppose qu’on ne mutualise pas seul dans son coin. Par exemple, vous faites un logiciel, c’est l’exemple qu’avait pris Éric Raymond, vous faites un logiciel de calcul de découpe de planches pour les scieries. Avec qui vous allez pouvoir imaginer ouvrir votre code source pour mutualiser ? Les seules personnes qui sont capables de faire ça, ce sont les gens qui font aussi des logiciels de scierie, donc ce sont vos concurrents. Donc ça veut dire que vous allez donner votre valeur essentielle à des gens qui vont en profiter pour aller gagner des parts de marché sur vous. Donc si finalement les seules personnes avec lesquelles vous pouvez échanger le code sont vos compétiteurs directs, là où est votre valeur ajoutée, eh bien ça ne va pas marcher, quoi ! Vous ne pouvez pas faire ça !
En revanche, si moi je suis un dirigeant de scierie, plutôt que d’avoir un logiciel fermé où le vendeur me fait le prix qu’il veut, j’aimerais bien avoir un logiciel ouvert où je puisse décider de dire « non, moi ce que je veux sur ce logiciel c’est ça et pas ça. Et si toi tu ne me le fais pas, c’est quelqu’un d’autre qui va me le faire. »
C’est-à-dire que finalement la mutualisation, ça c’est François Elie qui l’a théorisé dans son bouquin, elle peut passer par deux stades. Pour les logiciels d’infrastructure, les trucs généraux, genre les traitements de texte, tout ça, eh bien finalement on se retrouve face à une mutualisation par l’offre. Et on voit apparaître des consortiums, The Document Foundation, avec plein d’entreprises qui, pour mutualiser leurs coûts de développement, vont créer une espèce de super éditeur de logiciels qui permettra d’offrir des coûts censés être raisonnables aux usagers. Mais les usagers sont toujours, d’une certaine manière, un peu esclaves, parce qu’ils peuvent éventuellement intervenir à la marge sur le développement du logiciel, mais pas tant que ça.
Alors qu’effectivement, si vous êtes dans le cas d’un logiciel métier, typiquement le logiciel de scierie, eh bien là ce sera intéressant que les utilisateurs se coalisent et reprennent le contrôle du développement. Pour mettre au pot commun, pour dire finalement l’argent on doit le donner aux gens, mais il vaut mieux qu’on le donne aux éditeurs de logiciels qui nous font le logiciel qu’on veut. Donc on voit qu’une reprise en main, à l’inverse de ce qui s’était passé il y a vingt ans quand on a dit il faut externaliser le développement logiciel, etc., enfin, et où toutes les entreprises ont transféré, finalement, la richesse stratégique que constitue la gestion de leur système d’information à des entités privées, ils se sont liés pieds et poings à des éditeurs qui ensuite leur ont fait payer très cher pour des logiciels qui n’étaient pas nécessairement ce qu’ils voulaient.
Donc on se trouve aussi, pour organiser la création de logiciels, face à un truc qu’on a appelé les communautés, parce que ça a l’air cool et sympa, et en fait ça remplace ce qu’on appelait avant l’entreprise, dans le monde industriel. La communauté c’est cool parce que ça s’organise tout seul. Avant, une entreprise, il fallait réunir des parts de capital, il fallait organiser les lieux, il fallait trouver un lieu, fabriquer l’usine, fabriquer les bureaux. Tout ça c’était coûteux. Là on voit que c’est un truc, ça s’évolue, enfin ça évolue tout seul, et donc ça a des capacités de plasticité et de résilience qui sont très supérieures. En plus on voit que, parfois, il y a des structures qui existent, qui deviennent obsolètes et qui passent leur temps à consommer de l’énergie à se maintenir alors qu’elles n’ont plus de raison d’être. Et donc, finalement, elles deviennent des postes de coût pour la société. Alors qu’avec un système qui s’auto-organise, eh bien des moments où les gens voient qu’ils n’ont plus de boulot, ils vont s’en chercher ailleurs. Et donc on voit des développeurs qui migrent de projet en projet, de communauté en communauté, parce que finalement le fun, parce que l’intérêt économique, se trouve déplacé dans d’autres pans, sur d’autres fronts de l’innovation, dirais-je.
On est avec un système très plastique où justement il n’y a pas de hiérarchie dure. On a une gouvernance qui est basée sur la reconnaissance par les pairs. Ce qui est, là aussi, quelque chose de très difficile parce qu’il ne suffit pas d’être bon un jour et d’être nommé chef et ensuite de se débrouiller. Il faut être bon tout le temps parce que sinon il y a quelqu’un d’autre qui dira : « Bon, eh bien maintenant tu es un peu outdated, c’est moi qui prends la place parce que mes idées sont meilleures ». Et donc, effectivement, cette communauté devient un lieu d’échanges et de construction, plus ou moins formel, et on voit qu’en fonction des besoins spécifiques de l’écosystème logiciel, on verra des communautés qui ont des fonctionnements différents : soit des communautés d’usagers, soit des communautés de développeurs, ou des communautés hybrides. Tout dépend vraiment du niveau de maturité logicielle, parce qu’il y a aussi une évolution dans le temps qui est tout à fait possible.
Donc c’est vrai que l’industriel qui veut acheter du logiciel à la papa/maman, quand on lui dit : « Il y a un super logiciel libre qui fait ce que tu veux », il va voir ça, il voit une espèce, et puis, comme ils disent, finalement pour contacter le chef développeur du super projet qui va être le moteur stratégique de son entreprise, il doit envoyer un courriel à riquiqui at toto.org. Effectivement, ça sèche un peu au début. Mais non pourtant ! C’est finalement la garantie de la pérennité des développements. Parce que si une entreprise fond les plombs, eh bien les gens qui avaient basé toute leur infrastructure logicielle sur ces produits-là, ils sont obligés de changer dans la douleur et parfois c’est très cher, et parfois ils n’ont pas accès à leurs propres données, ça devient monstrueux. Là, finalement, si riquiqui at toto.org passe sous un camion, eh bien finalement, c’est fifi sur tutu.com qui pourra lui répondre. Et donc c’est relativement intéressant.
Les gens craignent aussi beaucoup le fork en disant : « Oui, mais tous ces gens-là, c’est tellement le bordel que chacun va partir avec le soft dans son coin, va bricoler son truc, etc. » En fait ce qui et assez intéressant maintenant qu’on a le recul c’est de voir, là aussi, que c’est l’efficacité énergétique qui guide le fonctionnement des communautés, au niveau macroéconomique.
Un fork, c’est un événement affreusement consommateur d’énergie, c’est quelque chose qui crée du stress, de la tension, qui fait en sorte que les gens doivent gérer le conflit plutôt que de faire ce qui les fait croûter c’est-à-dire écrire du code et donc c’est très rare. Un fork, c’est vraiment exceptionnel. On l’a vu, le dernier avec OpenOffice versus LibreOffice, c’était en plus lié à un événement, une pression extérieure dont je parlerai par la suite sur comment essayer de les éviter. Et donc penser à ça plutôt comme le départ des nouvelles reines de la ruche. C’est assez intéressant de voir comment finalement, à un moment donné, quand il y a des nouvelles reines qui arrivent parce que la ruche est devenue trop grande, parce qu’elle n’est plus gérable en tant qu’entité auto-organisée, alors il se crée des nouveaux leaders qui vont emmener une partie de la communauté pour essaimer, et faire quelque chose de différent, qui pourra éventuellement rester en relation.
En fait, les communautés parfois ont besoin de se structurer un peu plus, continuer à interagir avec le vieux monde physique et dans ce cas-là il y a des structures plus rigides qui doivent être mises en place. En fait, le but c’est de créer une personne morale au sens du droit. Et ça, ça va servir, justement, à gérer des points qui sont, par exemple, la gestion des droits d’auteur ou la gestion des marques. C’est ballot que la marque OpenOffice ait été la propriété de Sun puis d’Oracle, c’est-à-dire des entités privées, qui n’avaient pas le même objectif que la communauté qui était censée développer le logiciel. Alors que penser que la Mozilla Foundation, justement, elle est là pour héberger l’ensemble des éléments qui conduisent le développement du projet, y compris les marques et autres. Et c’est ce qu’ils vont essayer de faire avec The document Foundation, mais, manque de bol, la marque appartient encore à Oracle. Alors il a transmis les droits sur le code source à, justement, la Fondation Apache, dont ce n’est pas le métier. Donc on voit que finalement la gestion des droits, c’est-à-dire les trucs un peu pénibles, eh bien c’est ça qui peut créer des problèmes de friction. Et donc c’est intéressant, pour passer outre la durée de vie d’une entité privée, de créer une structure publique qui servira à héberger le patrimoine immatériel, finalement, du projet, c’est-à-dire la titularité des droits d’auteur sur le code, le droit des marques. Et en plus, ce sont ces entités-là qui pourront, éventuellement, être chargées de la collecte de fonds, d’être destinataires des fonds qui seront récupérés, de façon à allouer ces fonds de la façon la plus efficace possible, aux développeurs qui proposeront les innovations les meilleures possibles pour le développement du produit.
Avoir une personne morale, ça permet aussi de pouvoir faire valoir ses droits alors qu’effectivement riquiqui at toto point com, quels droits il a sur le projet machin ? À un moment donné il a fait dix lignes de code. Ouais, mais est-ce que ça suffit ? Le juge pourrait décider qu’il n’est pas fondé à agir en justice. Le fait d’avoir une personne morale c’est toujours pratique pour ça.
Dernier point sur lequel je veux insister, finalement on voit des systèmes auto-organisant, auto-organisés, et on se trouve face à un défi considérable qui est celui de la gestion de la complexité. Et on retrouve la même chose dans les sociétés humaines. Finalement ce que je vous raconte, quand je dis « le Libre, un modèle de société », finalement ça ressemble beaucoup à ce qu’on nous raconte. Sauf qu’en ce moment on est en train de nous raconter que c’est en se bouffant la gueule les uns les autres que la société ira mieux, alors que, finalement, quand on fait une petite étude par le petit bout de la lorgnette de la société des abeilles et des fabricants, des concepteurs de logiciels libres, eh bien on voit que ce n’est peut-être pas ça, non, le truc qui marche bien.
Et donc effectivement on se trouve face à des objets, comme les systèmes d’exploitation, qui sont les assemblages immatériels les plus complexes jamais réalisés. Pensez que dans une voiture, quand vous analysez une voiture, il y a le moteur, mais vous pouvez découper le moteur, il y a le démarreur, il y a les pistons, il y a ça. Il y a un découpage en sous-systèmes, avec quelques niveaux de complexité, jusqu’à arriver à des vis, des courroies, enfin des éléments élémentaires dont vous comprenez la nature.
Dans un système d’exploitation, si vous regardez le découpage fonctionnel d’un système, c’est éminemment complexe. La navette spatiale était l’objet le plus complexe qu’un humain avait réalisé au niveau matériel, en termes d’intégration de sous-système, de la rondelle et de la vis jusqu’à l’objet complet. Un système d’exploitation c’est d’une architecture extraordinairement belle et complexe, où vous allez, justement, de la ligne de code jusqu’à l’objet immatériel complet.
Donc, avec les théories classiques du développement logiciel, du fait que l’augmentation de la production de lignes de code source et de l’injection de nouveaux codes à l’intérieur d’un système d’exploitation croît d’une façon considérable, normalement, ce truc-là devrait être un tas de bugs. Ça ne devrait pas marcher. Or, ce n’est pas le cas. Et on voit qu’effectivement, l’auto-organisation des communautés est le moyen de gérer cette complexité croissante des logiciels. C’est-à-dire que dès le moment où il y a un problème qui est identifié comme étant un problème saignant, un problème un peu dur — la gestion de la pagination mémoire, la gestion de l’allocation du processeur à tel ou tel processus, eh bien il y a une communauté qui va se créer autour et donc il va y avoir une auto-organisation des ressources, des gens, un peu comme ce que je vous ai raconté précédemment, qui va permettre de gérer cette complexité. Et qui va donc répondre à un besoin d’organisation et d’auto-organisation double.
D’abord les gens veulent travailler tranquilles, sans qu’on les embête en regardant tout le temps par-dessus leur épaule. Et puis l’intérêt c’est que, s’ils se débrouillent pour faire un truc super joli, par exemple comme dans une voiture, moi je fais un démarreur, moi je fais un alternateur, eh bien ça pourra servir à une voiture, mais ça pourra servir à un camion, à un bateau, finalement ce sera réutilisable. Et donc en fait, le principe d’économie qu’on voit mis en œuvre, c’est finalement celui qu’on appellera, dans le jargon, la minimisation des interfaces. C’est-à-dire qu’un démarreur c’est cool parce qu’il est juste tenu à la voiture par quatre vis, une courroie et deux fils. Et ça c’est bien, parce que ça veut dire que vous pouvez changer de démarreur, en mettre un autre d’une autre marque : si cette marque-là est pourrie, vous pouvez changer votre produit. Donc c’est bien ! Plutôt que d’avoir un gros moteur avec un tas de trucs où vous ne savez pas du tout extraire les morceaux, c’est super bien d’avoir un truc qui est bien découpé en modules, avec des interfaces, c’est-à-dire des zones de contact qui soient les plus identifiées et les plus petites possibles.
C’est un peu comme, vous voyez, des bulles de savon. Les bulles de savon elles sont organisées, tac, tac, pour minimiser leurs interfaces, pour faire en sorte qu’elles prennent l’espace, les unes par rapport aux autres, de façon à ce que les surfaces de contact minimisent l’énergie. Et ça, en fait, c’est un facteur d’amélioration de la qualité de production du logiciel. Mais on le voit aussi dans les sociétés humaines normales. Quand, dans une boîte, il y a le service compta qui se mêle de regarder comment les gens taillent leurs crayons ou comment ils vissent les boulons, ça ne fonctionne pas ! Les gens sont embêtés parce qu’il y a toujours un type qui regarde à quelle vitesse ils vissent. Ça marche moins bien ! Le stress sur la productivité, ça emmerde tout le monde.
C’est la même chose en fait, finalement. C’est que si on donne à chacun un espace dans lequel il peut s’épanouir, résoudre son problème et ensuite interagir avec les autres, on a une efficacité accrue du développement. Et donc, alors là du point de vue, je suis désolé j’utilise des termes de geek, mais du point de vue de la maintenabilité, c’est-à-dire de la capacité à réparer le truc tout seul, eh bien oui, s’il n’est pas lié à plein de choses, identifier les pannes, c’est beaucoup plus facile.
Par rapport à la réutilisabilité. C’est-à-dire j’ai fabriqué un truc que j’identifie comme étant un alternateur et donc je peux aller le mettre ailleurs.
Ou au contraire la substituabilité. C’est : moi je fais le moteur et je vois que l’alternateur ne marche pas, donc je vais en chercher un d’un autre fabricant. Tout ça ce sont, eh bien justement, des garants de l’efficacité des logiciels libres par rapport à des structures beaucoup plus rigides, basées sur des effets de rente où, au contraire, on voudra rendre les trucs les plus opaques possibles pour que les gens n’aillent surtout pas toucher dedans, et qu’ils nous appellent à chaque fois pour qu’on récupère très cher de la maintenance. Et donc on voit, finalement, qu’en termes de modèle d’organisation sociale, cette auto-organisation fonctionne remarquablement bien.
Je suis extrêmement bavard et donc je parle beaucoup. Je vais m’arrêter là. J’aurais pu vous raconter d’autres trucs sur la révolution numérique. Je vais juste me permettre de vous passer deux slides. Ça aura l’air un peu d’être des cheveux sur la soupe, mais le point important c’est que la capacité accrue de traitement de l’information permet de faire plus de choses, y compris dans le fichage des gens. Et donc on voit, en ce moment, on a vu année après année, sous prétexte de protéger nos enfants contre les affreux pédonazis et de protéger les revenus de Johnny le Suisse, on a vu plein de réglementations apparaître qui, finalement, visent à surveiller l’ensemble des activités que nous effectuons avec nos outils de traitement informatique.
Clairement, face à cette révolution, il faut au contraire se rendre compte qu’un nouvel espace s’ouvre à nous et que, j’allais dire, autant nous avions des libertés qui étaient garanties par la Constitution dans le monde physique, autant nous devons voir garanties les mêmes libertés, ou la transposition de ces libertés, dans le monde numérique. Par exemple, il y a un truc qui s’appelle la neutralité d’Internet. Nous sommes tous égaux face à Internet parce que les paquets que moi j’envoie à un copain ont la même priorité que les paquets que la société Schmurtz essaiera de m’envoyer pour me vendre sa pub. Si tout d’un coup on casse cette neutralité-là pour favoriser les envois d’informations de la part de Schmurtz et m’empêcher de discuter avec mon pair, au sens mon égal, alors effectivement on a un problème.
Le fait que je puisse faire interagir mes logiciels avec ceux des autres et ceux que je fabrique, et récupérer mes données, ce qu’on appelle l’interopérabilité, ou habilité, la capacité à, inter, entre égaux, opérer, œuvrer, travailler, donc la capacité à travailler ensemble, eh bien c’est l’équivalent de la liberté d’association dans le monde physique. Et on voit justement, à travers des verrous numériques, les fameux trucs qui vous empêchent de copier la musique de votre CD à votre baladeur MP3. Ou le truc bizarre qui fait que quand vous mettez un DVD dans votre lecteur, eh bien vous n’avez pas le droit de sauter la pub. C’est bizarre ça ! C’est comme moi quand je prends un livre, dans le monde matériel, je peux aller à n’importe quel chapitre immédiatement. Pourquoi je dois voir quinze secondes ou trente secondes de pub dont je n’ai rien à meuh, simplement parce que c’est dans le monde numérique ? Ben !
Et donc effectivement, il faut prendre conscience que, du fait de la révolution numérique, on a maintenant une identité physique, on a des identités physiques, on a des identités numériques, on existe aussi dans le monde numérique et que, de fait, il faut combattre avec la plus grande véhémence les lois anti-révolutionnaires. Chaque fois qu’il y a une révolution il y a un phénomène de pré rigidification, où les tenants de l’ordre établi cherchent à mettre le pied sur la marmite pour empêcher que ça change. Un peu ce qui s’était passé avant la nuit du 4 août. Il y avait un truc génial : quand les automobiles sont arrivées en Angleterre, les éleveurs de chevaux avaient fait passer une loi où tout véhicule automobile devait être précédé d’un type à pied avec un drapeau rouge qui dit : « Attention, il arrive ! », dans le but de ralentir le développement de l’automobile. Cette loi n’a été abrogée qu’il y a une quinzaine d’années.
Quand on voit qu’effectivement la révolution numérique permet énormément de choses et qu’on voit des lois pour nous empêcher de faire ces choses-là à des prétextes économiquement douteux, clairement il faut se poser la question de comment accompagner, au contraire, la révolution numérique plutôt que de la combattre.
Voilà. J’en ai terminé pour ce qui est de ma présentation. Bien volontiers pour répondre aux questions.
Applaudissements

Présentateur :
Est-ce qu’il y a des gens qui ont des questions ? Il y a quelque chose que j’ai oublié de dire. En fait, est-ce que vous pourrez reprendre la question pour que les gens entendent ?
François Pellegrini :
Oui, bien sûr. Vous pouvez répéter la question ?
Présentateur :
Est-ce qu’il y a des questions ?
François Pellegrini :
Oui !
Public :
Vous parlez des systèmes, enfin des modèles économiques hors modèle classique de la rente. Est-ce que vous pensez que ça peut-être applicable, notamment la mutualisation, dans le cadre de logiciels grand public, où les utilisateurs pourraient faire ensemble, je pensais à du logiciel grand public. Est-ce que ça peut marcher ? Sinon pourquoi ?
Frnçois Pellegrini :
Je répète la question : est-ce que la mutualisation fonctionne dans le cadre de logiciels grand public ? Oui, ça fonctionne, justement, et on est dans le cadre de ce que François Elie appelle la mutualisation par l’offre. C’est-à-dire que ce qui va se passer c’est que, là encore, on a tous intérêt à avoir un traitement de texte pas cher. Donc c’est plutôt intéressant si on arrive à trouver quelqu’un qui nous fournit un traitement de texte pas cher. Et donc il va y avoir du point de vue des gens qui fabriquent des traitements de texte, surtout ceux qui décident de le faire en logiciel libre. Pourquoi ils vont le faire en logiciel libre ? Parce que ça va accroître leurs parts de marché. Pourquoi ? Parce qu’ils vont pouvoir mutualiser les développements avec d’autres, également. C’est-à-dire que, finalement, la question derrière, enfin excusez-moi je vais revenir un coup en arrière, la question essentielle c’est la question aussi du coût de la gouvernance. En tant que Mme Michu ou même François Pellegrini qui adore faire de l’informatique sur son sujet qui est son cœur de métier, je n’ai pas envie de passer un quart d’heure de mon temps à gérer la gouvernance pour le logiciel de traitement de texte que j’utilise. Donc ce coût de la gouvernance, je vais moi, souhaiter le voir mutualiser également. Et donc il sera mutualisé parce que sera créé un consortium et c’est ce consortium-là, l’Open Document Foundation ou autre, qui o.rientera le développement du logiciel dans une voie dont j’espère qu’elle sera bonne. Si ça devient une nuisance pour moi parce que les types font n’importe quoi, alors selon le principe célèbre when you want a think done, do it yourself, il y aura des gens que ça énervera suffisamment, parce que ce sera leur cœur de métier stratégique, pour qu’ils investissent dans la gouvernance. C’est-à-dire que les gens qui dépendent de la production de documents vont dire « ce logiciel de traitement de texte fait n’importe quoi. Avec quelques personnes qui pensent comme moi, je vais reprendre le lead du projet, donc éventuellement je serai prêt à investir dans un fork, ou alors j’investis dans la création d’un module que je financerai moi-même avec mes copains, pour obtenir ce que je veux ». Mais en cherchant à le mutualiser avec des gens qui ont les mêmes besoins que moi.

Si je suis, en revanche, dans du logiciel métier, là je ne veux surtout pas lâcher la gouvernance, et donc j’investis en permanence pour contrôler la feuille de route du projet.
Mais on est toujours dans une démarche de mutualisation. Les logiciels grand public, en fait, c’est qu’on mutualise la gouvernance parce qu’on suppose qu’il y a tellement de personnes qui pensent comme nous, qu’il y en bien quelques-unes qui vont se charger du boulot. Et si ce n’est pas vrai, eh bien il va falloir qu’on s’en charge nous. Typiquement dans le cas des logiciels métier. Donc ça marche pareil. Ça marche pareil !
Je n’ai pas assez parlé de la gouvernance, effectivement, dans mes transparents. Mais la gouvernance est un coût, c’est une charge. C’est un pouvoir, puisque influencer le cours des choses c’est un truc qui peut être super cool surtout quand l’intérêt stratégique de la boîte en dépend. Mais justement, si mon intérêt stratégique n’en dépend pas au jour le jour, je délègue ça à d’autres et je mutualise ce coût-là. Oui !
Public : On a lu dans Le Monde de la Technologie que Android c’est open source, est distribué gratuitement, s’est assez répandu et a rapidement conquis la majorité des parts de marché. Alors dans ce cas-là comment expliquer que parmi les PC de bureau grand public, comment expliquer que les constructeurs continuent de se référer à des logiciels propriétaires, privatifs comme vous avez dit, alors que dans la téléphonie mobile, Android a été adopté massivement ? Comment on explique cette différence ?
Frnçois Pellegrini : D’abord parce qu’il y a un truc qui s’appelle la vente liée. Je vous invite à faire un tour sur un site qui s’appelle racketticiel.info, qui est assez bien par rapport à ça. C’est très simple. La question, en fait, elle tient à plusieurs points. Premier point, l’effet de rente. Deuxième point, les formats de données fermés. Prenons un exemple. En fait, le coût des données, le coût de vos données, est irremplaçable. Si vous cramez un ordinateur, vous avez perdu cinq cents euros, ça peut faire deuil, mais ce n’est rien. Si vous effacez toutes les clefs de licence des logiciels pour lesquels vous avez payé des licences, ça peut représenter des dizaines de milliers d’euros, mais ce n’est rien. Si, quelque part au CEA, on efface les données des essais nucléaires, vous imaginez le président de la République retourner à l’ONU, dire « excusez-nous, on va refaire péter six bombes parce que voilà ! » Ou alors les photos des grands parents. Vous avez pris des photos, les grands parents sont mourus, si vous crashez les photos, vous n’avez plus rien et vous ne retrouverez jamais plus rien ! Donc les données sont irremplaçables.
Et effectivement quand vous utilisez, pour stoker vos données à vous, le format de données Schmurtz de l’éditeur Schmurtz, et que ce format est fermé, c’est-à-dire que vous ne savez pas comment vos données sont mises en place, sont archivées, plus vous mettez de données sous le format Schmurtz et plus vous vous mettez pieds et poings liés avec l’éditeur Schmurtz. Et le jour où il faudra changer de version logicielle, eh bien vous serez toujours obligé d’acheter le logiciel Schmurtz. Donc c’est multifactoriel.
Pourquoi est-ce les gens font de la vente liée avec, par exemple, le système d’exploitation Windows de chez Microsoft ? Parce que, déjà, Microsoft dit aux fabricants d’ordinateurs : « Vous nous installez sur tous les ordinateurs et on vous fait la licence à tant. S’il existe un seul ordinateur que vous sortez sur lequel vous ne mettez pas notre logiciel, on multiplie le prix de la licence par poum ! » Donc bien sûr que le fabricant, lui, pour minimiser ses coûts, il va avoir tendance à le mettre partout et à ne pas se poser la question si c’est légal ou pas qu’il fasse une vente liée. De la même façon Mme Michu qui aura pendant des années créé du logiciel Schmurtz, ou alors les étudiants qui croient que parce que ce sont des hackers ils ont craqué la version du logiciel Schmurtz et ils ont mis de plus de données à eux sous le format Schmurtz, le jour où il faudra qu’ils légalisent leur situation, eh bien quel logiciel ils vont prendre ? Le logiciel Schmurtz !
Donc l’effet de réseau, à travers les formats fermés, il est considérable. Donc voilà pourquoi, eh bien à cause de ça ! Et parce que justement la vente liée fait que, quand on achète un ordinateur, on ne voit pas le coût caché de ces logiciels-là, qui représente près du tiers du prix de la machine. Au moins ! Si sur l’étiquette il y avait marqué la machine nue c’est tant et la machine avec le logiciel Schmurtz c’est tant plus poum, on serait sur une base, j’allais dire, de concurrence libre et non faussée beaucoup plus saine.

Présentateur :
Une dernière question, sinon on peut clore le débat.
Frnçois Pellegrini :
Oui !
Public :
Pour créer une communauté, aujourd’hui, quelles seraient les clefs de son succès ?
Frnçois Pellegrini :
Alors ça c’est vraiment la question !
Public :
On la pose en dernier.
Frnçois Pellegrini :
À ne pas poser en dernier. Mais justement on ne mutualise pas seul dans son coin. Ça veut dire que, justement, il faut déjà sentir que le logiciel pourra bénéficier à une communauté. C’est-à-dire qu’il faut faire une étude de marché, d’une certaine façon, pour voir qui sont les personnes capables de contribuer au logiciel et à quel titre. C’est un peu comme ce que je racontais pour l’exemple de la scierie. Vous analysez le marché en disant quels sont mes clients qui pourraient bénéficier ? Quelles sont les contributeurs que je pourrais avoir ? Et vous êtes dans cette dualité de mutualisation par l’offre ou la demande.

C’est-à-dire que si vous êtes en mutualisation par la demande, vous avez plutôt intérêt vous, à être le client qui cherchez à créer une communauté de clients, pour mutualiser vos coûts de développement et garder le contrôle sur la feuille de route du logiciel, la road map, comme on dit en grand breton. Alors que si vous faites effectivement un logiciel d’infrastructure, typiquement un langage, vous créez un nouveau langage. Regardez comment sont apparus Java, regardez comment sont apparus Ruby. C’est justement en essayant de montrer à quel point le soft était cool et en le diffusant le plus possible pour que les gens arrivent à s’exprimer dans ce langage, décident de l’apprendre. Sur terre il y a plus de gens qui parlent le klingon que le navajo. C’est un truc. Mais pareil, il y a des nouveaux langages qui se créent en permanence et les gens les apprennent. Pourquoi ils les apprennent ? Parce que ça répond à un besoin. Vous ne créerez pas de communauté si vous ne répondez pas à un besoin. Il faut avoir un argument économiquement différenciant. Ça demande vraiment une connaissance fine de votre écosystème, de penser si vous allez pouvoir faire une communauté ou pas. Et ensuite il faut la gérer sa communauté, ça aussi ça fait partie des jobs, l’animation de communauté. C’est justement d’identifier les gens qui seront capables de prendre le lead et de gérer les problèmes qu’ils soient techniques ou relationnels. Parce que c’est partout dans la vie, c’est comme dans les modèles sociétés, des psychopathes il y en a partout. Et des pervers, des pervers au sens pervers pas sexuel, mais pervers dans la relation psychologique, des manipulateurs qui veulent le pouvoir pour le pouvoir, il y en a aussi. Ça, ça peut flinguer une communauté si jamais vous avez un élément comme ça qui rentre. Exactement comme dans n’importe quel service de n’importe quelle entreprise. Vraiment une communauté c’est une société humaine et donc eh bien il faut qu’il y ait des gens qui aient envie de s’associer pour que la communauté fonctionne et qu’elle résiste aux aléas, c’est-à-dire aux accidents individuels : les décès de certains, les changements d’orientation, le fait que, effectivement, un pervers déboule et foute le box. C’est super dur comme réponse. Mais en tout cas c’est là où est la valeur ajoutée. Le Master of Ceremonies a dit que…
Présentateur : Merci.
Applaudissements

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.