Interview de Richard Stallman du 27 Janvier 2002

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  • Date : 27 janvier 2002
  • Langue : Français et anglais
  • Durée : 45min

Transcription

Vidéo 1

Frédéric Couchet
 : Bonjour Richard, on va commencer par quelques questions personnelles. Aujourd’hui tu es à Paris, je crois que la semaine dernière tu étais à Porto Alegre.
Richard Matthew Stallman
 : Non, la semaine prochaine.
Frédéric Couchet
 : La semaine prochaine tu es à Porto Alegre. Donc la première question, est-ce que tu peux nous décrire ta façon de vivre, tes occupations professionnelles et aussi tes loisirs ?
Richard Matthew Stallman
 : Ma façon de vivre, c’est une question trop vaste, je ne sais pas ...
Frédéric Couchet
 : En gros.
Richard Matthew Stallman
 : Je voyage entre la moitié et les deux tiers du temps et quand je voyage, je vis selon les circonstances, je ne sais pas quoi dire... Mes loisirs sont pour la plupart lire, mais aussi manger, parfois écouter de la musique.
Frédéric Couchet
 : Mais en fait tu travailles beaucoup dans la journée. Principalement, tu fais que travailler.
Richard Matthew Stallman
 : Non, je lis aussi quelques heures par jour.
Frédéric Couchet
 : Dans le même ordre d’idées, tu as souvent expliqué que ton implication dans le mouvement du Logiciel Libre faisait que tu avais renoncé à un certain nombre de choses dans le mode de vie de l’américain moyen comme par exemple les enfants, avoir une maison, etc.
Richard Matthew Stallman
 : Mais quant aux enfants, il ne s’agit pas de renoncer parce que je n’ai aucune envie.
Frédéric Couchet
 : Tu n’as aucune envie de renoncer aux enfants ?
Richard Matthew Stallman
 : Non, d’enfants !
Frédéric Couchet
 : Ah ! tu n’as aucune envie d’enfant.
Richard Matthew Stallman
 : Pour moi, il paraît tout à fait dégueulasse d’avoir des enfants, ne pas pouvoir dormir, il faut passer tout son temps à ramasser de l’argent, dégueulasse ! On n’a même pas le temps dans la journée de voir les enfants.
Frédéric Couchet
 : D’accord, donc tu penses en fait que le fait d’avoir des enfants serait une limitation de ton activité dans le mouvement du Logiciel Libre.
Richard Matthew Stallman
 : Oui mais si ce n’était pas cette activité, ce serait n’importe quelle autre activité. C’est une limitation dans la vie et je n’ai pas envie d’être lié comme ça à n’importe quoi sauf peut-être au mouvement du Logiciel Libre qui vaut la peine.
Frédéric Couchet
 : L’argent que tu as reçu aurait pu te permettre éventuellement de changer.
Richard Matthew Stallman
 : Non, je crois que non, je n’essaye pas de gagner assez d’argent pour les choses dont je n’ai pas envie. Je ne serais pas contre avoir une voiture, une maison je n’en ai pas envie mais un appartement si. Je n’ai pas envie d’une maison parce que ceux qui possèdent une maison à Boston apprennent à détester la neige parce qu’ils doivent nettoyer les chemins et, à cause de ça, ils détestent la neige. Et moi j’aime la neige et je ne veux pas changer cette émotion.
Frédéric Couchet
 : Et où vis-tu à Boston ?
Richard Matthew Stallman
 : À Cambridge.
Frédéric Couchet
 : Cambridge mais dans un appartement ?
Richard Matthew Stallman
 : Je loue une chambre dans une maison.

Vidéo 2

Frédéric Couchet
 : En France tu définis souvent le Logiciel Libre par « liberté, égalité, fraternité ». Est-ce que tu mettrais une notion plus en avant qu’une autre dans ces notions de liberté, égalité, fraternité.
Richard Matthew Stallman
 : Liberté.
Frédéric Couchet
 : Liberté ?
Richard Matthew Stallman
 : Oui, parce que les deux autres suivent comme conséquences de la liberté offerte à tous.
Frédéric Couchet
 : On va passer à des questions plus axées sur l’utilisation que tu fais de l’informatique. Quelle distribution GNU/Linux utilises-tu ?
Richard Matthew Stallman
 : Debian.
Frédéric Couchet
 : Quel navigateur Web utilises-tu ?
Richard Matthew Stallman
 : Je n’utilise pas.
Frédéric Couchet
 : Tu n’utilises pas ?
Richard Matthew Stallman
 : Non.
Frédéric Couchet
 : Pour quelles raisons ?
Richard Matthew Stallman
 : C’est une pénitence personnelle que je ne veux pas décrire plus que ça mais je vais sur deux sites dont le site de GNU et pour faire ça, si je veux convertir un fichier html pour le regarder, je possède Lynx et Mozilla.
Frédéric Couchet
 : D’accord. Quel gestionnaire de fenêtre utilises-tu ?
Richard Matthew Stallman
 : Normalement aucun parce que je préfère le mode texte.
Frédéric Couchet
 : La conception d’un ordinateur de façon globale fait appel à des connaissances en physique et électronique. As-tu des connaissances dans ces domaines-là ?
Richard Matthew Stallman
 : En quelques points parce que j’ai étudié la physique à l’école et j’ai appris en lisant des livres d’électronique mais je ne pourrais concevoir un ordinateur pratique.
Frédéric Couchet
 : Tu es avant tout programmeur. En tant que programmeur, quel est ton langage préféré ou ta classe de langage préféré ?
Richard Matthew Stallman
 : J’aime bien le Lisp mais aussi le langage C. Pour les choses qui doivent marcher rapidement, je préfère C. Pour les choses où il n’y a pas d’urgence, je préfère Lisp qui est un langage plus puissant.
Frédéric Couchet
 : D’accord. Et est-ce qu’il y a des langages que tu connais mais que tu n’aimes pas pour une raison précise ?
Richard Matthew Stallman
 : C++ est très laid. Beaucoup d’erreurs de conception dans ce langage. Je n’ai pas appris les langages récents parce que je n’ai pas le besoin, ni le temps, ni beaucoup d’intérêts. Si j’avais beaucoup de temps, bien sûr je voudrais les apprendre. Dans cette classe j’inclus Java, Perl, Python. Je n’ai pas appris.
Frédéric Couchet
 : Quel est ton avis sur Java ?
Richard Matthew Stallman
 : Je n’ai pas beaucoup d’opinions parce que je ne connais pas ce langage. De base, c’est évident qu’il est moins puissant que Lisp. Mais dans sa classe de langage, peut-être que c’est un bon langage comme langage dont les fonctionnalités sont limitées à celles qui peuvent être compilées sans les fonctions read eval et print. Peut-être que java est bon.
Frédéric Couchet
 : Que penses-tu de la stratégie de Sun par rapport à Java ?
Richard Matthew Stallman
 : Je déteste la stratégie de Sun parce que ce logiciel n’est pas libre et ce n’est pas éthique. Par rapport à ça, je ne le juge pas pour ses réussites ou faillites, je le juge sur le plan moral et c’est immoral.
Frédéric Couchet
 : Et, certaines personnes dans le monde java pensent que Sun va changer de stratégie pour un jour « libérer Java ». Qu’en penses-tu ?
Richard Matthew Stallman
 : Je ne sais pas, je ne vois pas l’avenir, je ne peux juger que les actions visibles mais j’espère que oui. Si Sun compte vraiment libérer un jour l’implémentation de Java et les librairies de classe de Java, ce sera un grand jour mais elle ne l’a pas fait.
Frédéric Couchet
 : Et est-ce qu’il y a des discussions entre toi ou la FSF et Sun ?
Richard Matthew Stallman
 : Non. Ceux qui travaillent sur Java chez Sun connaissent bien la question. Depuis plusieurs années ils s’obstinent contre le changement et personne ne sait s’ils vont finalement changer un jour.

Vidéo 3

Frédéric Couchet
 : Donc on va passer à quelques questions sur la GPL notamment. La première c’est sur la section 2.C de la GNU GPL fait référence à l’obligation d’afficher à l’exécution d’un programme un texte informatif. Est-ce qu’un bouton « about » dans une application X Window System correspond à cette obligation de la section 2.C de la GNU GPL ?
Richard Matthew Stallman
 : Oui. C’est une manière d’afficher ces informations au lancement du programme.
Frédéric Couchet
 : D’accord. La deuxième question est peut-être une question un peu provocante mais c’est dans le domaine de la documentation libre, la FDL. Est-ce que la FDL est sous FDL ?
Richard Matthew Stallman
 : Non bien sûr que non.
Frédéric Couchet
 : Ça semble en contradiction avec la liberté que prône la FSF non ?
Richard Matthew Stallman
 : Non, nous recommandons la FDL pour les manuels techniques, pas pour les contrats, ni les licences, ni les constats personnels. Certaines œuvres, selon leur utilisation, selon leur but, les œuvres destinées à faire un travail pratique comme apprendre quelque chose doivent être libres. Mais une licence qui décrit les intentions de quelqu’un ne doit pas être modifiée par quelqu’un d’autre.
Frédéric Couchet
 : Ce qui explique que pour tes textes, par exemple, ils ne sont pas sous GFDL mais sous copie verbatim.
Richard Matthew Stallman
 : Pour tout texte politique ou philosophique non. Mais les manuels techniques oui.
Frédéric Couchet
 : D’accord, c’est clair. Tu as lancé le projet GNU en 1984, donc en 2004 c’est les 20 ans. Est-ce qu’il est prévu une sorte d’anniversaire pour fêter les 20 ans ?
Richard Matthew Stallman
 : Non mais peut-être que ce serait une bonne idée. Est-ce que tu peux me promettre de ne pas l’oublier ?
Frédéric Couchet
 : Je te promets de ne pas l’oublier, on en reparlera dans 3 ans.
Richard Matthew Stallman
 : Parce qu’il faut penser à cette question peut-être 9 mois à l’avance. Parce que ce serait en Janvier. Moi j’ai commencé le travail en janvier 1984 mais j’ai proposé le projet quelques mois avant.
Frédéric Couchet
 : Quelle est la date pour toi du lancement du projet GNU ?
Richard Matthew Stallman
 : Pour moi, je pense que c’est le jour où j’ai vraiment commencé le travail, pas le jour où j’ai publié l’annonce donc c’est en janvier 1984.
Frédéric Couchet
 : D’accord. Une question à nouveau sur la GPL. Est-il possible de faire des modifications que l’on ne distribue pas, c’est-à-dire pour un logiciel qu’on va utiliser pour un usage privé, sans contrevenir à la GNU GPL ?
Richard Matthew Stallman
 : Bien sûr. C’est un des droits de l’utilisateur défendu par le mouvement parce que le droit de faire des changements pour votre utilisation personnelle ou le droit de le faire dans une entreprise pour une utilisation dans l’entreprise sans jamais diffuser les changements, c’est un des droits essentiels du Logiciel Libre.
Frédéric Couchet
 : Justement, cette notion d’usage privé n’a-t-elle pas changée un petit peu par rapport à la date d’écriture de la GNU GPL, je pense par exemple aux ASP (Application Service Provider).
Richard Matthew Stallman
 : Selon mon opinion, ce n’est pas une utilisation privée, c’est l’utilisation par le public donc nous cherchons une manière de changer la GPL pour imposer aux ASP l’obligation d’offrir le code source aux utilisateurs de leur service.
Frédéric Couchet
 : Et ça ce sera par exemple une modification incluse dans la GPL version 3.
Richard Matthew Stallman
 : Peut-être.
Frédéric Couchet
 : Est-ce que d’ailleurs la date de sortie de la version 3 de la GPL est planifiée ?
Richard Matthew Stallman
 : Non, ce serait idiot. On publie quelque chose, une œuvre quand elle est prête.
Frédéric Couchet
 : Mais le travail sur cette version a déjà commencé depuis longtemps ?
Richard Matthew Stallman
 : Oui ! En ce moment, notre avocat pense à comment écrire cette condition mais ce n’est pas évident, c’est un travail difficile parce que personne ne l’a fait et il n’est pas évident de savoir si les lois des droits d’auteur supportent de telles conditions.

Vidéo 4

Frédéric Couchet
 : L’un des rôles de la FSF est de défendre le Logiciel Libre d’un point de vue juridique et une des questions qui est posée est : « Si Microsoft prenait le code source d’un logiciel sous GNU GPL et le modifiait pour en faire une version propriétaire, la FSF pourrait-elle aider le développeur à faire respecter ses droits dans ce cadre-là. Aurait-elle les moyens ? »
Richard Matthew Stallman
 : Si la FSF était le développeur, je pense que oui parce que nous aurions la possibilité de gagner beaucoup beaucoup d’argent comme dédommagement et nous possédons l’argent pour payer les avocats oui.
Frédéric Couchet
 : Donc tu penses que la FSF pourrait défendre ses droits face à quelqu’un comme Microsoft.
Richard Matthew Stallman
 : Si la FSF est le détenteur des droits d’auteur parce que c’est le détenteur qui doit le faire, les autres ne peuvent pas le faire.
Frédéric Couchet
 : Et si un auteur d’un logiciel libre vient voir la FSF pour lui demander de l’aide dans une démarche similaire ?
Richard Matthew Stallman
 : Dans un tel cas, nous essayons d’aider mais pas avec une grande quantité d’argent. Nous pouvons défendre les droits d’auteur et donc les conditions, les obligations de la GPL pour un programme si quelqu’un nous a donné d’avance. Nous ne pourrons pas accepter l’obligation de défendre ces conditions pour tous les logiciels libres du monde parce que c’est trop. Un développeur doit décider d’avance s’il veut le faire lui-même ou le donner à la FSF pour le faire. Et s’il donne à la FSF pour le faire, il y a des préparations que nous faisons pour pouvoir plus facilement le faire.
Frédéric Couchet
 : Justement on parle de la FSF ; Pour beaucoup de gens la FSF et RMS c’est la même chose est-ce que tu pourrais un peu décrire le fonctionnement actuel de la FSF ?
Richard Matthew Stallman
 : Je ne saurais pas le dire de façon simple parce qu’il y a beaucoup d’activités. Il y a la publication des livres. Il y a les gens qui travaillent dans la vente des livres, il y a aussi l’entretien des serveurs pour la distribution des logiciels et des pages. Et depuis une semaine, je crois, nous avons un serveur de commerce électronique pour vendre les livres et accepter les donations. On a aussi une activité d’écriture de manuels où il y a des manques dans la documentation libre du système et maintenant est-ce que nous payons des programmeurs ? Je ne sais pas si nous payons des programmeurs en ce moment. Il y avait quelqu’un qui travaillait sur Emacs mais il est parti depuis quelques mois, il n’aimait pas travailler chez lui comme il devait le faire pour Emacs, c’est très triste de l’avoir perdu.
Frédéric Couchet
 : Et dans la définition de la stratégie de la FSF, est-ce que tu es le seul impliqué ou est-ce qu’il y a d’autres personnes ?
Richard Matthew Stallman
 : Normalement, c’est moi qui décide de la stratégie mais il y a d’autres personnes que je consulte parce que j’ai besoin de leurs opinions.

Vidéo 5

Frédéric Couchet : On va passer à deux petites questions sur le Libre et le grand public.
En France, il y a une publicité d’IBM à la télévision, qui met en valeur le noyau Linux mais je précise bien qu’ils parlent de Linux. Est-ce que tu penses que c’est un signe que tu as perdu la bataille du préfixe GNU ?

Richard Matthew Stallman
 : Non parce qu’il y a des gens qui réfléchissent de manière binaire, qui pensent qu’il n’y a qu’un seul nom de système, que ce nom doit être l’un ou l’autre, que je dois soit gagner soit perdre cette question. Mais c’est une erreur parce qu’il y a des gens qui disent « GNU/Linux ». Il y en a d’autres qui disent « Linux » tout court bien que ce soit incorrect. Les gens qui font l’erreur qui diffusent l’erreur sont majoritaires bien sûr comme ils l’ont toujours été. Mais il y en a qui diffusent la correction et je ne crois pas que la fraction diminue. Parfois je convaincs une personne et j’essaye avec d’autres donc l’idée n’est pas perdue.
Frédéric Couchet
 : Justement, en parlant d’IBM, même si IBM ne parle pas de GNU, que penses-tu de l’implication d’IBM dans le monde du Libre à la fois d’un point de vue purement, je dirais, pour le libre mais aussi pour le grand public ?
Richard Matthew Stallman
 : IBM nous aide de quelques façons, mais fait aussi des choses nuisibles comme le développement de logiciels propriétaires.
Frédéric Couchet
 : Et est-ce que tu penses que pour le grand public il est important qu’un grand de l’industrie comme IBM mette en avant Le libre dans cette publicité ?
Richard Matthew Stallman
 : Ils peuvent nous aider comme ça. Nous n’avons pas un besoin essentiel de leur aide. Donc il faut éviter l’erreur de supposer que nous sommes désespérément dépendants des décisions des grandes entreprises. C’est une erreur qui amène les gens à dépendre des décisions des grandes entreprises. Il faut à tout prix éviter le chemin de cette pensée des clients qui amène à la dépendance. Nous pouvons inviter les grandes entreprises, nous pouvons leur offrir notre coopération mais nous devons rester prêt à poursuivre notre chemin sans elles.
Frédéric Couchet
 : On pourrait dire que de nombreuses personnes découvrent l’informatique dans leur entreprise ?
Richard Matthew Stallman
 : Non chez eux, normalement c’est chez eux.
Frédéric Couchet
 : Normalement oui mais en fait beaucoup trouvent important d’avoir le même système chez eux que dans leur entreprise or aujourd’hui il y a relativement pas de systèmes libres utilisables par des non initiés. Est-ce que tu penses que, un jour ou l’autre, des systèmes libres seront utilisables par des non initiés ?
Richard Matthew Stallman
 : J’espère ! C’est la raison d’être de Gnome, rendre les systèmes faciles à utiliser pour les gens qui ne sont pas informaticiens.
Frédéric Couchet
 : Est-ce que un jour Emacs sera utilisable par un non initié ?
Richard Matthew Stallman
 : C’est déjà utilisable.
Frédéric Couchet
 : Déjà utilisable ?
Richard Matthew Stallman
 : Oui. Et ce n’est pas seulement une supposition.

Vidéo 6

Frédéric Couchet
 : En France, un groupe de travail a été mis en place par un groupe. Des gens on décidé de demander à l’UNESCO le classement des logiciels libres comme patrimoine mondial de l’humanité.
Richard Matthew Stallman
 : Qu’est-ce que ça veut dire exactement ?
Frédéric Couchet
 : C’est une sorte de reconnaissance officielle de l’UNESCO qui est une organisation internationale que quelque chose fait partie du patrimoine mondial et donc doit être protégé. Par exemple des statues.
Richard Matthew Stallman
 : Protégés des brevets informatiques ?
Frédéric Couchet
 : Protégés de tout, voila, de l’appropriation en général. Que penses-tu de cette initiative ?
Richard Matthew Stallman
 : Comme idée générale, ça me parait correct, c’est vraiment un patrimoine humain. Comme décision juridique, je devrais regarder les implications exactes avant de donner une opinion parce que dans les détails, il pourrait y avoir des problèmes ou non. Et il me manque des détails donc c’est pour ça que j’ai demandé ce que ça veut dire exactement parce que si c’est une idée générale, pas de problèmes. Si c’est une décision juridique avec des conséquences spécifiques, il faut regarder ces conséquences.
Frédéric Couchet
 : Donc la question était en fait de savoir si tu penses que le noyau Hurd aurait pu prendre la place actuelle du noyau Linux si celui-ci avait été conçu de façon monolithique ?
Richard Matthew Stallman
 : Peut-être, qui sait ? Mais ce que je sais c’est que le noyau Hurd fonctionne maintenant. Il y a même un groupe d’utilisateurs de GNU/Hurd.
Frédéric Couchet
 : Tout à fait mais l’un des problèmes de reconnaissance du projet GNU est le fait que le noyau Linux quelque part ...
Richard Matthew Stallman
 : Oui mais qui peut savoir ce qui pouvait se passer si on avait réagit différemment ? C’est impossible de savoir.
Frédéric Couchet
 : D’accord. Mais d’un point de vue technique, que réponds-tu à Linus quand il affirme que les micro-noyaux sont à la fois moins performants et plus difficiles à concevoir ?
Richard Matthew Stallman
 : Peut-être que c’est vrai, mais maintenant la différence de performance ne signifie pas grand chose et quant à la difficulté possible de la conception peut-être que c’était pour ça que ça a été un grand travail mais le travail est déjà fait donc cela n’empêche pas Hurd d’être intéressant à utiliser et il y a des fonctionnalités intéressantes qui sont la conséquence de la conception de Hurd.
Frédéric Couchet
 : Et est-ce que toi directement tu as participé à la conception du Hurd ?
Richard Matthew Stallman
 : Non.

Vidéo 7

Frédéric Couchet
 : Alors, il y a une question concernant RTAI qui est un programme qui est sous LGPL mais qui a un problème avec les licences de FSM Labs concernant RTLinux. La question c’est sur la position de la FSF par rapport à FSM Labs et l’aide que peut apporter la FSF à ses développeurs ?
Richard Matthew Stallman
 : A quels développeurs ?
Frédéric Couchet
 : Les développeurs qui utilisent RTAI. En fait la position de la FSF par rapport à ça, n’est pas très claire.
Richard Matthew Stallman
 : Nous ne pouvons rien faire pour eux. Ce que nous pouvions faire était d’utiliser le fait que FSM Labs a diffusé une version modifiée de Linux qui est sous la GPL sous une licence de brevet et comme ça nous pouvions leurs montrer la contradiction entre la GPL, la licence de Linux de base et leur licence de brevet. Et comme ça nous pouvions ... je ne sais pas le dire.
Frédéric Couchet
 : Dis le en anglais.
Richard Matthew Stallman
 : we were able to... pressure them, show them the need, not exactly force, not as strong as force, but, make them. Because we didn’t use force, but we showed them the situation required them. We used publicity, concern about legislation, to make them respect the GPL.

Loïc Dachary : Ok si je répète cela en français : « Nous n’avions pas le moyen de les forcer à prendre cette décision et nous avons choisis de faire pression sur eux à la fois en tentant de les convaincre, en leur montrant le besoin qu’il y avait pour eux ».
Richard Matthew Stallman : Oui nous avons fait une pression pour leur faire respecter la GPL dans leur licence de brevet mais nous n’avions aucune manière de leur faire rendre leur licence de brevet compatible avec la LGPL. Parce que cette entreprise n’avait pas envie de sortir une version modifiée d’un programme sous la LGPL. Donc la LGPL ne signifiait rien pour elle. Elle avait aussi une raison très importante pour ne pas le faire donc ça aurait été beaucoup plus difficile au delà de notre moyen de pression. Ça aurait été une chose que nous n’aurions pas pu accomplir parce que l’entreprise voulait interdire le développement de programmes propriétaires utilisant leur technique par d’autres avec un programme sorti sous la GPL. Cela ne permet pas le développement des programmes propriétaires parce que la GPL interdit que l’on prenne ce programme pour le mettre dans un programme propriétaire mais la LGPL le permet donc pour l’entreprise FSM Labs si elle a permis la sortie des programmes sous la LGPL, ça aurait été permettre aussi la sortie de programmes propriétaires utilisant ces techniques. Cela aurait été un recul si grand pour elle qu’elle aurait combattu très fort contre cette idée et nous n’avions pas le moyen de la faire céder. Mais ce que nous avions obtenu était beaucoup plus facile. C’était pour ça que nous avons pu l’obtenir.

Vidéo 8

Frédéric Couchet
 : Tu t’es présenté à la Gnome Fondation dernièrement, tu es en train de suivre le processus pour devenir développeur Debian. La suite c’est quoi ?
Richard Matthew Stallman
 : Je ne sais pas exactement. Je vais me présenter de nouveau dans un an comme candidat pour le conseil d’administration de la fondation Gnome. Et peut-être qu’un an leur permettra de mieux me connaître au lieu des mythes qui m’entourent, peut-être que je peux gagner cette fois.
Frédéric Couchet
 : Tu penses que le rejet de ta candidature est lié au mythe ?
Richard Matthew Stallman
 : Oui parce qu’il y a des mythes qui circulent. Et parmi les mythes il y a l’idée que je suis le pire diplomate du monde et que c’est impossible de discuter avec moi. Mais j’ai montré le contraire avec mes messages dans la discussion. Lorsqu’on m’attaquait, je gardais mon calme et j’expliquais les faits.
Frédéric Couchet
 : En parlant justement de diplomatie, lors de ton dernier passage à Paris, tu as rencontré Noël MAMERE, candidat à l’élection présidentielle en France. Comment vois-tu ton influence sur le débat politique en période pré-électorale et notamment sur le brevet logiciel ? Penses-tu pouvoir avoir une influence à ce niveau-là ?
Richard Matthew Stallman
 : Je ne sais pas. J’espère pouvoir changer le résultat sur les brevets informatiques. J’espère aider les gens en Europe qui se battent contre les brevets informatiques.
Frédéric Couchet
 : Tu n’es pas la principale personne à agir, tu es là comme soutien...
Richard Matthew Stallman
 : Oui, je suis un soutien pour les européens.
Frédéric Couchet
 : Justement, est-ce que tu as eu l’occasion dans d’autres pays européens de rencontrer des gens de la même position que Noël MAMERE, candidat des élections ?
Richard Matthew Stallman
 : Je ne sais pas, pas que je sache.
Frédéric Couchet
 : Les hommes politiques sont prêts à te rencontrer, on le voit bien en France.
Richard Matthew Stallman
 : En France oui.
Frédéric Couchet
 : Mais pourquoi pas dans d’autres pays ?
Richard Matthew Stallman
 : Dans d’autres pays je ne vois pas. Je serais bien d’accord de le faire mais il n’y a pas de demande.
Frédéric Couchet
 : Où est-ce que tu placerais la limite entre la liberté et la censure au niveau FSF ?
Richard Matthew Stallman
 : La FSF c’est une organisation privée avec un but politique donc juste comme Greenpeace ou la Ligue des Droits de l’Homme. Nous décidons quoi dire. Nous ! Les autres peuvent dire ce qu’ils veulent. Quand nous disons quelque chose, quand nous publions quelque chose, cet article, cette œuvre doit s’accorder à notre position. Mais les autres sont libres de dire le contraire.
Frédéric Couchet
 : Ça répond à la question, en fait. Mais comment tu définirais plus précisément le but politique de la FSF ?
Richard Matthew Stallman
 : Diffuser les libertés aux utilisateurs de logiciels.
Frédéric Couchet
 : Ok, c’est simple.

Vidéo 9

Frédéric Couchet
 : On a une question plus liée sur - je sais que c’est pas forcément le sujet que tu préfères - l’économie. Quel est l’intérêt pour une société de service en informatique d’utiliser ou de développer des logiciels libres ?
Richard Matthew Stallman
 : Le Logiciel Libre est utile pour ces entreprises parce qu’elles peuvent le modifier. Elle ne peuvent pas modifier les logiciels propriétaires, elles devraient l’utiliser tel quel ou pas du tout. C’est comme ça que les bienfaits pratiques de la liberté s’appliquent à ces entreprises comme à tout le monde. Le développement des logiciels libres c’est un effet secondaire naturel d’utilisation et de la modification du Logiciel Libre. Mais aussi c’est un des intérêts des gens qui travaillent dans ces entreprises. Une telle entreprise peut facilement attirer les gens qui sont idéalistes en leur offrant la possibilité de chasser, rejeter le logiciel propriétaire. Mais ces gens désirent la possibilité de développer le logiciel libre aussi et leur offrir cette possibilité est une manière de les attirer vers elles.
Frédéric Couchet
 : Et est-ce que tu penses que la situation du Logiciel Libre ces dernières années s’est améliorée et est-ce que ça va continuer à s’améliorer ?
Richard Matthew Stallman
 : Je ne sais pas parce que la situation comprend beaucoup de questions, beaucoup de détails dans beaucoup de pays du monde et je ne passe pas mon temps à surveiller les développements donc je ne sais pas répondre. Il y a des changements que je vois, il y a le danger de brevets informatiques mais est-ce que ce danger est plus grand ou plus petit maintenant par rapport à il y a deux ans ? Je ne sais pas. Le jour de la décision en Europe approche mais que sera la décision ? Je ne sais pas. Donc si c’est une amélioration ou un recul, je ne sais pas. Il y a, je suppose une plus grande quantité d’utilisateurs, je crois que les desktops comme Gnome s’améliorent et donc que le système est plus facile à utiliser pour les non informaticiens. Ça c’est une avancée mais moi je ne suis pas le progrès à ce niveau. Je fais attention aux décisions à prendre, pas les résultats.
Frédéric Couchet
 : Quand tu parlais des brevets logiciels, c’est clairement un changement juridique, en tout cas en Europe, qui serait un frein au Logiciel Libre ?
Richard Matthew Stallman
 : Il y a un recul que je vois, le traité Cyber Crime. C’est vraiment un recul, c’est une attaque aux libertés des citoyens européens mais parmi beaucoup d’attaques aux libertés il y a un changement juridique qui s’applique aux logiciels qui interdit les logiciels comme DTSS. Donc c’est un coup contre le Logiciel Libre.

Vidéo 10

Frédéric Couchet
 : Alors là on parle de lois qui sont un coup porté au Logiciels Libre. Dans le programme gouvernemental du parti socialiste en France, pour la candidature à la présidentielle, certains voudraient mettre en place ce qu’ils appelleraient une loi « Linux ».
Richard Matthew Stallman
 : Je ne serais pas un supporteur d’une loi appelée loi Linux.
Frédéric Couchet
 : Alors même si elle s’appelait « loi GNU/Linux » ou autre, tu penses que c’est une bonne solution ?
Richard Matthew Stallman
 : Cela dépend des détails de cette loi, est-ce que tu peux me décrire les détails ?
Frédéric Couchet
 : Nous n’avons pas les détails mais en fait le but ce serait d’imposer des logiciels libres dans nos administrations soit plutôt d’imposer l’utilisation de standards ouverts quelque soit le logiciel utilisé par rapport à ces 2 idées.
Richard Matthew Stallman
 : Ces deux idées sont de bonnes idées. L’une ou l’autre seraient une amélioration mais ce dont nous avons le plus grand besoin à l’égard des gouvernements c’est de ne pas nous interdire par des brevets informatiques, par des lois interdisant les programmes libres pour tourner un disque vidéo. D’abord ne pas nous attaquer puis peut-être nous aider.
Frédéric Couchet
 : Quelqu’un du monde du Logiciel Libre qui n’est pas forcément développeur, qui n’a pas de capacités mais qui veut faire quelque chose, quel est selon toi la priorité ?
Richard Matthew Stallman
 : Il peut se joindre à la bataille contre les brevets informatiques en Europe.
Frédéric Couchet
 : C’est la priorité ?
Richard Matthew Stallman
 : Oui.
Frédéric Couchet
 : Est-ce que tu voudrais ajouter quelque chose à destination des gens du Libre, la communauté francophone ?
Richard Matthew Stallman
 : Si quelqu’un veut faire un tout tout petit travail pour nous aider, le plus petit travail qui peut nous aider c’est d’appeler le système GNU/Linux. Si on est prêt à faire un plus grand travail, on peut lutter contre les brevets informatiques.
Frédéric Couchet
 : D’accord merci Richard.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.