Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Au cœur de l’April, échange avec des personnes qui font vivre l’association, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, une nouvelle chronique « F/H/X » de Florence Chabanois et, en fin d’émission, la chronique « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous », de Benjamin Bellamy.
Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission c’est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 18 novembre 2025.
Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Nous saluons également les personnes qui nous écoutent sur la webradio radio Cigaloun, et sur les radios FM Radios Libres en Périgord et Radio Quetsch.
À la réalisation de l’émission, mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
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Chronique « F/H/X » de Florence Chabanois – « La riposte »
Frédéric Couchet : Nous allons commencer avec la chronique « F/H/X » de Florence Chabanois, présidente de l’association La Place des Grenouilles. Statistiques éclairantes, expériences individuelles et conseils concrets, votre rendez-vous mensuel pour comprendre et agir en faveur de l’égalité des genres.
Le thème de la chronique du jour « La riposte ».
Bonjour Florence. C’est à toi.
Florence Chabanois : Bonjour Fed. Bonjour Ewa. Bonjour Benjamin. Bonjour les copaines.
« Je suis une geekette. Quand je suis arrivée sur le Net vers 96, sur les forums, on me disait : "Allez, avoue que tu es un homme, tu parles comme un homme." Et quand j’ai prouvé que j’étais vraiment une femme, on me reprochait un trop-plein d’hormones. Marrant. Être une femme, c’est aussi se faire draguer par certains qui deviennent hyper lourds, voire stressants. Il m’est arrivé d’être complètement traquée. À la fin, j’ai pris un pseudo masculin pour être tranquille. » Ce témoignage n’est pas de moi, même si j’ai aussi fini par dé-féminiser mon pseudo pour être tranquille quand j’étais plus jeune. Il illustre une réalité : pour participer à un forum informatique, il faut soit prouver qu’on est trois fois meilleure que les hommes cis, soit faire croire qu’on est un homme. Résultat : 2 % de femmes dans le milieu du libre. Quand le pseudo est « neutre », entre guillemets, on projette surtout des hommes cis, ce qui nourrit l’invisibilisation des autres genres donc le patriarcat.
En parlant de patriarcat, j’ai assisté à son procès fictif au Théâtre de la Concorde. Quand la magistrate lui demande qui assure sa défense, il répond qu’il n’en a pas besoin, qu’il n’a même pas à lever le petit doigt pour que tout le monde prenne sa défense. C’est très vrai ! Parfois juste par des silences, il y a une garde invisible, mais bien présente, pour maintenir ce système.
Les victimes de violences le savent bien. D’après une étude du SSMSI [Service Statistique Ministériel De La Sécurité Intérieure] de 2023, seulement 6 % des femmes victimes de viols ou d’agressions sexuelles ont porté plainte.
Concernant les violences conjugales, une étude de l’INSEE évoque plusieurs raisons à ce défaut de plainte : le désir de trouver une autre solution, le sentiment que cela ne servira à rien, la volonté d’éviter des épreuves supplémentaires comme un témoignage ou une confrontation.
Il y a aussi la stigmatisation, la honte, la responsabilité qu’on fait porter aux victimes ; le fait de devoir raconter plusieurs fois les violences subies, voire de se justifier, le fait qu’on remette en question leur parole parce que le récit casse notre croyance en un monde juste.
Un pote me racontait qu’il était certain que sa voisine se faisait violenter. Il est allé sonner pour proposer son aide, elle lui a dit que « tout allait bien. » Un peu vexé, il m’a dit que c’était tant pis pour elle, il ne pouvait rien faire de plus.
Mais quand on se penche sur ces situations, on sait que c’est plus compliqué. Emprise et domination sont très fortes ; une victime de violences conjugales fait en moyenne sept allers-retours avant de porter plainte. D’ailleurs, je préfère parler de « personne qui a subi une violence » plutôt que de « victime ». L’étiquette est pesante et généralisante, ce qui la rend plus difficilement identifiable. Tout comme « agresseur » qui alimente la figure du monstre. Ces comportements ne définissent pas les personnes, elles ont subi ou commis des violences.
Pour une personne qui a l’habitude d’écouter son intuition sans faire trop attention à ce qu’il y a autour – un homme cisgenre –, c’est incompréhensible de ne pas répondre ni de réagir quand quelqu’un ou quelqu’une empiète sur ses limites. Avant de pouvoir riposter, il faut déjà voir, identifier la violence, poser des mots dessus. On peut aider la personne à le faire en disant qu’on la croit, qu’elle n’est pas isolée, qu’elle n’y est pour rien, que c’est lui le coupable, et que la loi est de son côté.
Les collectifs Ubuntu et MARC, Men Against Rape Culture, recommandent aussi de vérifier la santé et la sécurité, de redonner du contrôle avec des questions fermées, de la croire, de se taire, de ne pas ajouter de violence, de connaître ses propres limites et d’élargir le réseau de soutien.
Sur des violences physiques flagrantes, un homme me disait que s’il se faisait agresser sexuellement, ou agresser tout court, il lui mettrait son poing dans la figure. C’est une solution très peu accessible aux femmes qu’on élève à être polies, souriantes, à ne pas se mettre en colère, à prendre plus soin des autres que de soi et à ne pas avoir confiance en leurs propres forces.
Dans son ouvrage Non, c’est non, Irène Zeilinger montre qu’une défense, même légère, avec des refus et des gestes de résistance hésitants, fait cesser l’agression dans 3/4 des cas. Plus les femmes se sont défendues avec force, plus elles ont réussi à se dégager, encore plus en public. La défense physique n’entraîne l’escalade que dans un cas sur presque 300 tentatives de viol.
Une étude allemande montre que dans les cas de harcèlement au travail, la défense physique utilisée à bon escient fonctionne dans 90 % des cas, contre 50 % quand on tient tête ou qu’on cherche juste à l’éviter. Si la confrontation est immédiate et qu’elle a lieu devant des tiers, elle s’avère généralement plus efficace qu’une défense à huis clos.
Point crucial : ignorer le harcèlement ou y réagir avec humour est l’attitude qui marche le moins bien : dans 10 % des cas, elle aggrave l’agression.
Les agresseurs sont parvenus à violer 81 % des femmes qui n’ont pas résisté, mais seulement 16 % de celles qui se sont défendues, même faiblement.
Donc faites du bruit, faites un scandale. Criez « Au feu ! » plutôt que « Au secours ! » pour que des gens viennent.
Les violences se construisent sur du sexisme ordinaire. Comment réagir ?
Concernant les micro-agressions, certains et certaines ont une super répartie. Il y a même des jeux de société dessus comme Moi c’est Madame, le jeu pour riposter face au sexisme, on y joue le 20 novembre à Paris avec La Place des Grenouilles si ça vous dit ! En fait, je suis nulle à ça. À « tu as tes règles ou quoi ! », je ne peux pas répondre avec humour « oui j’ai une cup, tu en veux un verre ? » ni « Toi tu as la chiasse pour dire des merdes pareilles ! ». Par contre, je pourrais dire « je n’ai pas besoin de mes règles pour ne pas être d’accord avec toi. ». Je pense que c’est important de réagir, quand on peut, même si ce n’est pas la réplique du siècle. Il n’y a rien à prouver, et pas besoin de chercher à humilier ou dominer l’autre, comme elle ou lui essaie de le faire avec nous. Cela contre la sidération et supprime tout débat sur le fait qu’on ne cautionne pas.
De la même façon que les stéréotypes sont des réflexes, vous pouvez vous construire un stock de réponses automatiques, quelle que soit votre posture, témoin ou cible.
Dire ce que ça fait : « Ça me met mal à l’aise » ou prendre position : « Je ne suis pas d’accord. »
Nommer ce qui se passe : « C’est sexiste. »
Retourner le malaise : « Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »
Il y a aussi la méthode en trois temps :
- décrire : « Tu ne me laisses pas finir » ;
- dire l’effet, ce qu’on ressent : « Ça m’énerve. » ;
- demander un changement : « Laisse-moi terminer. ».
Vous pouvez aussi :
casser le script avec une phrase incongrue : Alea jacta est ou « Les truffes vertes n’existent pas. » ;
réinterpréter : à « Tu es chiante ! », répondre « Oui, elle est très exigeante. » ;
rappeler les règles : « Je préfère ne pas mélanger le privé et le professionnel. »
Si c’est vous qui êtes à l’origine du +1 au patriarcat ou que vous avez manifesté de la violence et que vous recevez un retour, la réplique est plus simple : recevez, respirez, absorbez. Rangez votre égo dans une boite et réfléchissez.
Parfois les réactions ne sont pas dirigées vers leur émetteurice et ça a quand même un impact. Deux personnes avaient réagi à une de mes conférences, entre elles, sur Twitter, car j’avais dit « je suis une femme, donc je m’épile. ». J’étais peu déconstruite à l’époque et ne comprenais pas le souci. Merci à elles et eux, ça m’a fait réfléchir.
J’ai vu un CTO [Chief Technical Officer] supprimer les messages problématiques sur Slack et en discuter avec leurs auteurs et autrices en privé ; c’est faire respecter la loi tout en assurant un environnement de confiance.
J’ai vu une dame interpeller un homme qui en agressait une autre dans les transports.
J’ai vu un conférencier décliner une invitation à un événement 90 % masculin et dire publiquement pourquoi.
J’ai vu des joueuses de foot cis reprendre des joueuses extérieures qui disaient « les filles » et expliquer en quoi c’était excluant pour les joueuses trans et non binaires.
J’ai vu une grand-mère arrêter trois hommes qui en frappaient un autre à terre.
J’ai vu un gars proposer en règle à une conférence que les questions doivent être réellement des questions suite aux trop nombreuses « fausses questions » provenant d’hommes.
J’ai vu une femme blanche prendre la mesure de ses privilèges en écoutant réellement une femme noire ayant subi des violences conjugales et galérant à trouver du travail.
J’ai entendu un homme prendre conscience qu’il avait violé.
J’ai vu des gars raconter à d’autres mecs cis ce qu’ils faisaient pour l’égalité, plutôt qu’à des minorités de genre qui n’ont pas de médailles à distribuer.
Chaque réaction, chaque visibilisation des minorités de genre, chaque soin que vous apportez en tant que minorité sociale, chaque mètre carré gardé contre les tentatives, ô combien nombreuses, d’avancée du patriarcat est une riposte efficace.
Depuis quelques jours, le 6 novembre 2025, l’absence de consentement est enfin inscrite dans la définition du viol dans le Code pénal. La sidération d’une personne agressée ne signifiera plus « oui » légalement.
Je vous donne rendez-vous samedi 22 novembre en manifestation contre les violences sexistes et sexuelles avec #NousToutes, parce que se retrouver, c’est aussi une riposte. À samedi !
Frédéric Couchet : Merci Florence.
Tout à l’heure tu as parlé de dépôt de plainte, tu viens de parler de #NousToutes. J’encourage les gens à aller consulter l’enquête que #NousToutes vient de publier sur les violences sexistes et sexuelles faites par les forces de police, notamment sur les personnes qui viennent porter plainte pour ça. Il y a donc une enquête sur #NousToutes, c’est noustoutes.org.
Juste te demander que tu reprécises ce que veut dire le terme cis, cisgenre.
Florence Chabanois : Cisgenre, c’est une personne qui a une identité de genre conforme au sexe qu’on lui a attribué à la naissance. Je ne sais pas si c’est suffisamment clair.
Frédéric Couchet : Pour moi c’est très clair. Ce n’est pas un terme forcément très connu et tu l’as dit plusieurs fois.
En tout cas, c’était la chronique « F/H/X » de Florence qui va rester avec nous parce qu’elle intervient tout à l’heure dans le sujet principal.
En attendant, on va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, ce sera le moment du Au cœur de l’April, échange avec des personnes qui font vivre l’association dont Florence, dont Benjamin Bellamy, dont Ewa Kadziolkqui est déjà au studio et Gee qui sera à distance.
En attendant, nous allons écouter À toi de jouer, par KPTN, en duo avec le groupe 7Fridays. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : À toi de jouer, par KPTN, en duo avec le groupe 7Fridays.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter À toi de jouer, par KPTN, en duo avec le groupe 7Fridays, disponible sous licence libre Creative Commons.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Au cœur de l’April – Des personnes actives au sein de l’April parlent des groupes de travail, des activités de l’April, de son fonctionnement
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, Au cœur de l’April, un échange avec des personnes qui font vivre l’association.
Nous aurons le plaisir d’interviewer Ewa Kadziolka, qui est en face de moi au studio, Florence Chabanois, que nous venons d’entendre, qui est également au studio, Benjamin Bellamy, également au studio, et Gee qui a préféré rester chez lui, mais on le comprend, il habite quand même loin. Ces personnes vont nous parler de leur contribution à l’April, de leur arrivée à l’April.
N’hésitez pas à participer à notre conversation 09 72 51 55 46. Je ne vous donne pas le salon web de l’émission, car il ne fonctionne pas et cela n’a rien à voir avec Clouflare qui est plantée, c’est juste un problème technique.
Ewa Kadziolka, développeuse web et bénévole pour l’April
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par Ewa. Bonjour Ewa.
Ewa Kadziolka : Bonjour.
Frédéric Couchet : Ce n’est pas la première fois que tu viens au studio, j’en reparlerai tout à l’heure, en fin d’interview. Déjà petite question rapide de présentation : qui es-tu ?
Ewa Kadziolka : Je m’appelle Ewa Kadziolka. Je suis d’origine polonaise. Je suis développeuse web full stack suite à une reconversion.
Frédéric Couchet : Explique-nous ce que signifie développeuse full stack.
Ewa Kadziolka : Cela veut dire que je m’occupe un petit peu de tout ce qui est le front et le back d’une application web, tout ce qu’on voit et tout ce qui est un petit peu les entrailles.
Frédéric Couchet : D’accord. Le front c’est ce que les personnes utilisent et le back-office ?
Ewa Kadziolka : C’est pour alimenter le front.
Frédéric Couchet : D’accord. Comment as-tu connu le logiciel libre ?
Ewa Kadziolka : La première fois que j’ai entendu parler de logiciel libre, c’était pendant mon stage. Je commençais ma formation chez Konexio et il fallait que je fasse un stage de six mois chez Iroco, une toute petite startup qui était en train d’écrire une boîte mail éthique et écologique, adaptée aussi aux personnes handicapées. On m’a montré mes premiers logiciels libres, ce que c’est, comment ça marche et comment alimenter un petit peu ces logiciels, en fait comment faire.
Frédéric Couchet : Quand tu parles de reconversion, si je me souviens bien, avant tu as été éducatrice spécialisée pendant un moment.
Ewa Kadziolka : Oui, J’ai travaillé avec des enfants autistes comme intervenante.
Frédéric Couchet : Je précise tout de suite, et je préciserai aussi pour Florence, un peu d’auto-promo, c’est normal. J’ai dit que ce n’est pas la première fois que tu viens dans le studio, car Julie Chaumard t’as interviewée dans le cadre de l’émission Chemins de traverse pour présenter ton parcours. C’est une émission de Cause Commune. Vous allez sur causecommune.fm, c’est l’émission Chemins de traverse 33. C’est une émission sur les parcours de vie que j’ai le plaisir de coanimer avec Julie. Tout à l’heure, j’en parlerai aussi avec Florence qui est venue deux fois. Si vous voulez en savoir plus sur le parcours d’Ewa, qui vient de Pologne et qui a fait d’autres métiers avant de devenir développeur full stack, vous écoutez Chemins de traverse émission 33.
Ça c’est la découverte du logiciel libre. Comment as-tu découvert l’April, parce que c’est très récent.
Ewa Kadziolka : J’ai découvert l’April il n’y a pas très longtemps, c’était en mars de cette année, grâce aux Ladies of Code, une communauté sur Internet, qui est aussi à Paris. Ce sont des femmes dans la tech. C’est aussi cette association qui m’a un petit peu aidée à me reconvertir, c’est une autre histoire. Sur un des channels du slack de Ladies of Code, il y avait un appel à speakers, une proposition de faire une petite présentation pendant l’AG de l’April.
Frédéric Couchet : Avant l’assemblée générale, le matin.
Ewa Kadziolka : Oui, juste avant, on pouvait proposer différents sujets. Du coup, comme sujet, j’ai proposé de présenter le langage Loglan’82, mis au point en Pologne pendant le communisme, comment il s’est développé et pourquoi ce langage. Bien qu’il ne soit plus utilisé, il peut être très important aussi aujourd’hui.
Frédéric Couchet : D’accord. Juste pour préciser le contexte. Chaque année, l’assemblée générale de l’association a lieu un samedi après-midi, qui est réservée aux personnes membres. Le matin on fait ce qu’on appelle des conférences éclairs qui sont des sessions ouvertes à toute personne. On fait un appel à propositions et les gens viennent pour intervenir. Conférences éclairs, ça veut dire, de mémoire, que ça dure six minutes, l’idée étant de multiplier les interventions, de permettre de voir beaucoup de sujets. On avait donc largement diffusé l’appel à conférences pour avoir, évidemment, des gens en dehors de l’association et en dehors des gens qu’on connaît. Ta proposition était intéressante parce que objectivement, chez nous, personne n’avait jamais entendu parler de ce langage. Tu es venue, c’est la première fois que tu venais à l’April, tu n’étais pas membre et je crois bien que tu es devenue membre l’après-midi. C’est ça ?
Ewa Kadziolka : Oui !
Frédéric Couchet : Donc finalement tu es restée, tu es devenue membre. Qu’est-ce qui t’a plu ?
Ewa Kadziolka : Déjà l’ambiance m’a beaucoup plu, quand je parlais avec les gens c’était vraiment super.
Deuxième chose qui m’a vraiment plu, c’est l’ouverture : des femmes ont parlé, des hommes ont parlé. Il y avait aussi une diversité des sujets qui étaient présentés.
Et aussi, quand j’ai parlé avec les gens, j’ai eu le temps de connaître un petit peu plus la cause de l’April, ça m’a plu et défendre le logiciel libre m’a vraiment tenu à cœur. On en a besoin, ses enjeux sont vraiment très importants, pas seulement en France mais vraiment au niveau mondial.
Frédéric Couchet : C’était cool pour nous aussi parce qu’on a une intervenante le matin qui vient nous parler d’un logiciel qu’on ne connaît pas et, finalement, elle est tellement convaincue par l’accueil qu’elle reste l’après-midi pour devenir membre. En plus, tu es allée encore plus loin, tu n’es pas « juste » membre de l’association, entre guillemets, et c’est déjà beaucoup d’être membre, c’est un soutien important, tu es aussi devenue bénévole. Depuis que tu es arrivée, donc depuis mars 2025, aujourd’hui nous sommes le 18 novembre 2025, tu as participé à l’animation de trois stands de l’April. L’April est présente sur pas mal d’événements et, à chaque fois, on essaye d’avoir des gens qui animent le stand, tout simplement des personnes présentes pour répondre aux questions. Qu’est-ce qui t’a motivée, alors que tu venais juste d’arriver à l’April, à proposer ta présence sur le premier stand ? Je crois que le premier stand c’était en Essonne, à Vigneux-sur-Seine. C’est ça ?
Ewa Kadziolka : Oui. Premièrement j’avais le temps, ce qui est quand meme important. J’avais ce temps à consacrer et je voulais aussi mieux connaître l’April, mieux connaître d’autres gens. Je voulais aussi parler des différents logiciels libres, des différentes possibilités justement pour casser un petit peu ces monopoles qu’on connaît, de Microsoft et d’autres grandes compagnies, et montrer qu’il y a des petits logiciels qu’on peut utiliser, qui peuvent être plus écologiques, qui peuvent être plus libres, plus accessibles, plus souverains aussi, c’est important surtout maintenant. C’est premièrement cela que je voulais apprendre plus et apprendre aux autres.
Frédéric Couchet : D’accord. L’idée c’est donc déjà d’apprendre mieux le logiciel libre, ce que ça recoupe, mais aussi la transmission de savoirs, quelque chose qui te paraît important. Je pense que c’est aussi pour cela que tu es venue faire cette conférence, pour faire connaître un logiciel qui, certes, n’est plus utilisé mais qui te paraît intéressant. Et là, sur les stands, c’est la transmission au public. Est-ce que parler comme cela, avec des gens, pour essayer de les convaincre sur quelque chose, c’est quelque chose que tu faisais avant ?
Ewa Kadziolka : J’ai plus travaillé avec des enfants, en tête à tête. C’est vrai que c’était la première fois que j’ai osé sortir un petit peu de ma zone de confort. C’est toujours enrichissant de sortir de ce qu’on faisait avant, de faire ce pas en avant.
Frédéric Couchet : Au niveau donc de l’organisation ? En fait, c’est plutôt ma collègue Isabella Vanni qui s’occupe de l’organisation des stands, elle prépare beaucoup de choses, c’est-à-dire que beaucoup de documentation est prête, elle échange beaucoup avec vous. Et puis vous n’êtes pas seul, de mémoire, il n’y a jamais une personne seule sur un stand.
Ewa Kadziolka : Non, il y a toujours d’autres bénévoles qui viennent. D’habitude nous sommes deux ou trois.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que tu as été surprise par certaines questions que le public pouvait poser ou, finalement, tu t’attendais un petit peu aux questions qui allaient être posées ? D’ailleurs, quel type de public était-ce ? Tu as été présente sur un salon à Vigneux-sur-Seine, en Essonne, à Paris-Saclay au Forum des associations et au Festival des Réparations récemment, c’était le 25 octobre, je crois, à Paris. Majoritairement, ce ne sont pas forcément des gens qui connaissent le logiciel libre. Quelles sont leurs questions, leurs centres d’intérêt quand ils viennent sur le stand de l’April ?
Ewa Kadziolka : Premièrement, ils veulent savoir ce qu’est le logiciel libre. Pas mal de personnes posaient des questions. Les enfants voulaient des tatouages.
Frédéric Couchet : Je précise que ce sont des tatouages temporaires, évidemment, ce sont des petits gnous.
Ewa Kadziolka : Les petits gnous ont fait sensation surtout à Vigneux. Du coup, les parents qui accompagnaient les enfants venaient et commençaient à poser des questions : pourquoi, comment, pourquoi c’est important ? Certains partageaient aussi leur expérience avec un logiciel libre.
La deuxième fois, c’était à l’Université Paris-Saclay. Beaucoup d’étudiants sont venus surtout que c’était à l’époque où l’université voulait vraiment tout passer sur Microsoft. Du coup, ils demandaient des conseils : comment persuader les enseignants et le doyen de l’Université à utiliser les logiciels libres qu’on a au lieu de payer et d’être dépendants d’un logiciel, en fait, qui est en Amérique. L’enjeu c’est aussi de donner plein de choses.
Frédéric Couchet : Je suppose qu’au dernier événement, le Festival des Réparations en octobre, ce sont plus des personnes qui sont intéressées par la pérennité soit des objets qu’ils utilisent, soit des logiciels qu’ils utilisent. Peut-être des personnes qui avaient déjà entendu parler de logiciel libre ou pas.
Ewa Kadziolka : Certaines oui. Certaines demandaient ce que nous faisons. On leur a présenté justement les problèmes avec Windows 10 concernant les mises à jour de sécurité.
Frédéric Couchet : Ça a été prolongé d’un an.
Ewa Kadziolka : Du coup, ils demandaient s’il y a des alternatives, s’il est possible de faire quelque chose d’autre. C’est comme cela qu’on leur a parlé de Linux et d’autres OS basés justement sur Linux, donc qu’ils peuvent changer leur système.
Frédéric Couchet : Être sur un stand, ce n’est pas forcément très évident. Parfois des gens débarquent, posent des questions et on n’a pas forcément toujours la réponse ou des gens qui ne sont pas forcément toujours agréables. À titre personnel, est-ce que tu te sens de mieux en mieux sur les stands par rapport au fait que c’est ton troisième stand ? Est-ce que tu vois une évolution par rapport à ça ?
Ewa Kadziolka : Oui, c’est beaucoup plus facile aujourd’hui. Au début, je ne savais rien du tout parce que je venais d’arriver, je ne savais même pas comment disposer les choses. Petit à petit, c’est beaucoup plus facile. On s’écoute mutuellement. Il y a aussi des gens qui arrivent avec des informations qui sont très intéressantes. Je pense que ce dialogue permanent est aussi très intéressant parce qu’on s’enrichit tout le temps, et c’est aussi plus facile de répondre aux questions que les gens peuvent avoir.
Frédéric Couchet : D’accord. Cool ! Est-ce que tu as une actu à annoncer, est-ce que tu veux rajouter quelque chose ? Après, si tu veux intervenir tu pourras, c’est juste pour ne pas oublier.
Ewa Kadziolka : Je voudrais parler d’une toute petite intelligence artificielle qui est open source, dans la limite où une intelligence artificielle peut être open source, c’est Bielik. C’est une intelligence artificielle polonaise, spécifiquement dédiée à la langue polonaise, qui est vraiment toute petite, qu’on peut déjà installer sur son ordinateur. Elle est tout particulièrement adaptée pour tout traitement de texte en polonais. Elle est déjà utilisée dans les institutions polonaises, justement pour l’entraîner avec les données polonaises, les données des entreprises qui sont en Pologne et qui sont limitées parce qu’on peut vraiment les couper d’Internet. Pour dire que maintenant c’est possible, avec une toute petite intelligence artificielle, de faire un petit ChatGPT à soi, complètement libre et qu’on peut utiliser. Il y en a déjà pas mal, par exemple LLaMA [Large Language Model Meta AI] qui, je pense, est aussi libre.
Frédéric Couchet : C’est un autre sujet. On ne va pas rentrer dans les détails aujourd’hui.
Ewa Kadziolka : En ce qui concerne les intelligences artificielles, je sais que c’est très difficile de les faire vraiment libres, open source. Disons que dans la limite du possible, c’est libre.
Frédéric Couchet : D’accord. Peut-être qu’un jour on traitera ce sujet qui est complexe et qui regroupe beaucoup de réalités et d’enjeux.
Merci Ewa. De toute façon, tu restes avec nous si tu veux réagir.
Florence Chabanois, cofondatrice et présidente de La Place Des Grenouilles
Frédéric Couchet : Nous allons passer à Florence Chabanois qui, tout à l’heure, a présenté sa chronique. Ça va être un peu les mêmes questions, en tout cas la première c’est la même : te présenter un petit peu, ce que tu fais.
Florence Chabanois : J’ai une formation en informatique. Je suis directrice ingénierie et cofondatrice de l’association La Place Des Grenouilles, une association antisexiste. L’idée c’est de mettre à disposition des ressources pour avoir conscience des injonctions de genre et pouvoir s’en affranchir.
Frédéric Couchet : L’association organise notamment un atelier sur les jeux féministes.
Florence Chabanois : Oui, je l’ai gardé pour la question de la fin.
Frédéric Couchet : Tu répéteras. Je pense qu’il y aura le lien dans la page de l’émission du jour.
Même question qu’à Ewa : comment as-tu connu le logiciel libre ?
Florence Chabanois : C’est mon cousin qui était assez militant dessus, du coup en 2000, quand j’ai commencé l’informatique. Pour moi, la partie informatique et les logiciels libres sont venus ensemble. Après j’en ai toujours utilisé, j’ai été sur Linux assez rapidement en faisant des études en informatique, je vais dire, mais je restais quand même sur une vision plutôt usagère, je trouvais que c’était mieux, mais je ne trouvais pas ça forcément réaliste, on va dire, en termes de système.
Frédéric Couchet : C’était il y a 25 ans. Ça a donc progressé depuis.
Florence Chabanois : Oui, clairement ! J’ai quand même eu le temps de voir Mandrake qui tenait la route, ce n’était pas que du Gentoo ou des Debian. Bref !
Frédéric Couchet : Ce sont des distributions libres. Mandrake est une des premières, notamment française. La structure Mandrake n’existe plus, c’est devenu un fork communautaire qui s’appelle Mageia maintenant. Mandrake existe toujours, mais, derrière, ce n’est plus une entreprise. Gentoo est aussi un environnement libre pour personnes très avancées. Debian est aussi un environnement libre utilisé par exemple par l’April, à la fois sur les postes de travail de l’équipe salariée et sur les serveurs.
Tu le connais depuis 25 ans, c’est donc une connaissance ancienne.
Florence Chabanois : Je connaissais de loin. Je connaissais aussi Richard Stallman par ses exubérances.
Frédéric Couchet : Ses exubérances ! D’accord.
Florence Chabanois : C’est quelque chose que je voyais de loin, c’étaient un peu des hippies !
Frédéric Couchet : OK. Et ta découverte de l’April ? Ta rencontre ? Peut-être que c’est l’April qui t’a contactée, je ne sais plus.
Florence Chabanois : Je connaissais quand même de nom via différentes initiatives. Sur le site LinuxFr, vous apparaissez quand même assez souvent, mais pas au point que ce soit vraiment identifié dans ma tête. Par contre, là où je me souviens plus spécifiquement avoir découvert l’April, c’est quand j’étais dans l’équipe core des Duchess et qu’on a reçu un message relayé par Agnès Crepet, une demande pour participer à une émission de radio.
J’en profite pour faire encore le pont par rapport à la question de tout à l’heure sur le fait que je m’intéresse au Libre. J’ai quand même eu un switch, à un moment, parce que je trouvais la démarche intéressante, le côté commun, le côté transmettre et rendre cela accessible à tout le monde, mais, pour moi, c’était quand même un monde lointain. Avec les Duchess, j’avais participé à un hackathon, mais je trouvais que je n’avais pas tellement le niveau, ce qui fait que ça n’a pas duré. Le vrai switch, ça a été à un Open Source Expérience, encore avec Agnès Crepet, qui a fait une conférence sur la durabilité et les apports du Libre par rapport à l’obsolescence programmée et l’aspect plus politique. Ça m’a vraiment convaincue.
Frédéric Couchet : Je vais préciser qu’Agnès Crepet est, je crois, responsable logiciel et durabilité chez Fairphone, le téléphone.
Florence Chabanois : Je crois qu’elle est responsable R&D.
Frédéric Couchet : R&D ? Je ne me souviens plus de tête. En tout cas, elle travaille chez Fairphone. Aux personnes qui se demandent qui est Agnès Crepet, c’est Fairphone et elle est déjà intervenue dans des émissions Libre à vous !.
Donc ton lien avec l’April, ton arrivée dans la partie bénévole, en tout cas ta première contribution, c’est plus précisément en 2022 quand on t’a contactée pour participer à une émission autour du recrutement dans le Libre. C’est ça ?
Florence Chabanois : Oui. En tout cas, c’était avec Marcy.
Frédéric Couchet : Marcy Charollois, effectivement. C’était suite à une de tes conférences à MiXiT, en 2022, un événement inclusif, informatique à Lyon : « Comment recruter des femmes dans un milieu d’hommes et enfin avoir des équipes diverses. Et la compétence alors ? ». J’ai noté ça, c’était le titre. Ça nous a intéressés, on s’est dit « c’est un sujet qu’on aimerait traiter. Elle fait une conférence. » Comme on aime avoir deux personnes invitées dans chaque sujet principal, excepté Au cœur de l’April qui est un sujet un peu particulier, nous avons invité une autre personne qui connaît bien le sujet, Marcy Charollois. Ça a pris un peu de temps, je crois que vous êtes intervenues en 2024. En tout cas, c’est comme cela qu’on a pris contact.
Florence Chabanois : En fait, je te connaissais encore d’avant. Comme je faisais partie des Duchess, je ne sais pas si tu savais que c’était moi et je ne pense pas vu l’échange qu’on avait eu antérieurement, mais tu es assez persévérant, tu avais tendu plusieurs perches aux Duchess, auxquelles on a répondu, ou pas. J’avais accepté une autre intervention, une participation à la Fête de l’Humanité et je pense que c’était avant la conférence. Et puis, il y a aussi d’autres choses auxquelles j’ai répondu au nom des Duchess à chaque fois.
Frédéric Couchet : Explique ce qu’est Duchess France.
Florence Chabanois : Duchess France est une association pour augmenter la visibilité des femmes dans l’informatique et aussi pour les femmes dans l’informatique. C’est un espace communautaire.
Frédéric Couchet : C’est vrai que nous sommes assez persévérants. Comme je le disais tout à l’heure à Ewa, pour les conférences éclairs à l’AG, on fait un travail pour essayer d’avoir des intervenantes, parce que, si on fait juste l’annonce, on sait qu’on ne les aura pas. Une des façons c’est donc d’aller contacter les structures d’informaticiennes, pas forcément libristes d’ailleurs, Duchess n’est pas forcément libriste, La Place Des Grenouilles non plus, c’est beaucoup plus large, ce n’est même pas informatique. Il y a donc cette démarche-là.
Tu es intervenue. Finalement nous nous sommes plutôt bien entendus, ça a plutôt bien fonctionné et, en septembre 2024, on t’a proposé de rejoindre l’équipe des chroniques parce que chaque année on essaye un petit peu de faire évoluer les chroniques, notamment une chronique comme celle que tu as faite tout à l’heure, « F/H/X », et c’est comme ça que tu es arrivée dans l’équipe des chroniques de Libre à vous !. Qu’est-ce qui t’a motivée à faire une chronique qui est un petit peu un pas de côté par rapport aux chroniques plus techniques et plus « libristes », entre guillemets, que peuvent faire les autres personnes de l’équipe ?
Florence Chabanois : En fait, j’ai l’impression qu’on a fait l’enregistrement avec Marcy il n’y a pas si longtemps, peut-être que je me trompe. Pour arriver à vraiment faire ce fameux enregistrement, même si on a échangé entre-temps, on a fait Au café libre avant. Ce qui m’a fait accepter de participer au Café libre c’est que, je l’ai dit tout à l’heure, je ne me sentais pas super légitime sur la partie open source parce que je n’ai jamais contribué en tant que codeuse sur de l’open source, je n’ai, non plus, jamais vu de femmes en faire, même si, en réalité,il y en a ; c’est aussi le fait que c’est un format assez informel. Ça traite du logiciel libre, un sujet qui m’intéressait aussi, sur lequel je n’étais pas experte mais c’était l’occasion de me pencher dessus, et que le format du Café est assez sympathique.
Frédéric Couchet : Je précise que l’émission avec Marcy c’était en novembre 2024, il y a quand même un an déjà, même si, effectivement, ça a pris un peu de temps vu que je t’avais contactée en 2022 pour diverses raisons. Tu as rejoint l’équipe des chroniques pour cette chronique « F/H/X » et tu as aussi rejoint l’équipe de Au café libre, le prochain Au café libre c’est le la semaine prochaine, le 25 novembre, où des gens débattent autour de l’actualité du logiciel libre. Ça fait un an et demi que tu as rejoint l’équipe Au café libre, donc tu participes depuis un an et demi.
Qu’est-ce qui t’intéressait dans cet aspect débat autour du Libre, alors que tu dis que le Libre c’est un petit peu à côté pour toi ?
Florence Chabanois : Je pense que c’est important que les femmes soient visibles et participent à ces sujets-là. Je dis que même si on ne sent pas légitime, il faut quand même le faire parce que les hommes ne se posent pas cette question, que c’est important d’apporter des points de vue différents, ou pas différents, en tout cas d’exister et après on verra si c’est différent ou pas. Pour moi, c’est aussi pour incarner ce que je prône qui a fait que j’ai participé.
Après, en vrai, tu m’étais sympathique. Tu n’avais pas du tout une posture de stalker, de quelqu’un qui demande de façon répétée la même chose alors que la personne ne veut pas ce genre de sollicitation. Ce n’était pas que je ne voulais pas, c’est juste que, les fois où tu as demandé, ce n’était pas le moment et, à chaque fois que tu as demandé, c’était une vraie question, le « non » était entendu si c’était un non, c’était une vraie question. Du coup c’est petit à petit, c’est vraiment à la longue que je me suis dit « pourquoi ne pas tester quelque chose avec eux et elles ». J’ai donc accepté par curiosité et, quand je suis arrivée, j’ai trouvé, un peu comme Ewa, que c’était une super ambiance, que les gens étaient trop cool, dit comme ça, ça ne veut rien dire, mais c’est vrai que j’avais l’impression d’être avec des gens avec qui je partage des valeurs, même si c’était quand même assez vague. Le format radio c’est aussi quelque chose que je n’avais jamais fait. J’avais donné des conférences et participé à des podcasts, mais le côté direct c’était nouveau. Je me suis donc dit pourquoi pas.
Pour répondre à ta question d’avant, pourquoi « F/H/X » qui est un sujet effectivement annexe au monde du Libre. C’est un sujet important pour moi, mais que je n’assume pas vraiment dans le sens où, dans le monde pro, je vais plutôt parler d’informatique. En parallèle j’avais créé l’association La Place Des Grenouilles, mais les gens qui viennent vers nous ont déjà envie d’entendre ces sujets-là.
Frédéric Couchet : Il s’agit de personnes déjà intéressées, déjà sensibilisées.
Florence Chabanois : Exactement. Donc proposer, dans une émission, un sujet sur l’anti-sexisme, en tout cas qui va parler des normes de genre ou de la façon dont parler vraiment à tout le monde, je ne savais pas très bien comment ça allait être vécu, mais le fait que tu l’aies proposé, je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas le faire dans la mesure où c’est justement toucher un public que je n’ai pas l’habitude de côtoyer pour ces sujets-là, que j’ai l’habitude de côtoyer de par ma vie professionnelle, sinon chacun et chacune reste entre eux et elles et on n’avance pas. C’est donc cela et c’est aussi parce que le monde du Libre, avec seulement des hommes, qui déjà assez incarné par des hommes, fait qu’on va se retrouver avec des angles morts, ce qu’on a déjà vu dans le passé avec les logiciels propriétaires.
Frédéric Couchet : Tout à fait. C’est pour cela qu’on tenait à cette chronique, qui est un peu un pas de côté, mais un pas de côté important. On te l’a proposée parce qu’on avait déjà échangé, parce que tu participes Au café libre, parce que tu étais intervenue avec Marcy et qu’on savait que ça allait correspondre à ce qu’on voulait et à ce que tu voulais aussi. Mon collègue Étienne précise qu’avec Marcy c’était en juin 2024, en novembre c’était une rediffusion. Je précise qu’en juin dernier, en juin 2025, on a fait un questionnaire auprès l’auditorat principalement podcast parce que c’est un peu compliqué de toucher l’auditorat FM, on a posé des questions par rapport à chacune des chroniques, des questions adaptées à chaque chronique, et les gens qui ont fait des retours sur ta chronique étaient tout à fait ravis et nous ont encouragés à continuer.
Florence Chabanois : Comme quoi tu as bien fait de me proposer ça.
Frédéric Couchet : Comme quoi nous avons bien fait. À l’April, ce n’est pas que moi qui propose, même si j’ai géré le contact parce que je te connais mieux que mes collègues. Quand on a proposé ce sujet-là, on s’est posé la question sur la façon dont ça allait être pris et en fait, dans les retours au questionnaire, les gens sont vraiment enchantés de cette thématique. En plus à chaque fois, moins aujourd’hui, tu fais toujours un lien avec la partie logicielle libre, avec des conseils ou autres. En tout cas les retours étaient très positifs.
Même question que celle posée à Ewa : est-ce que tu as une actu, une annonce ? Tu peux redire ce qui se passe jeudi soir.
Florence Chabanois : Jeudi soir, l’association La Place Des Grenouilles organise une Soirée jeux féministes. C’est gratuit mais sur inscription et ouvert à tout le monde.
Et le 22 novembre, manifestation contre les violences sexistes et sexuelles, une façon aussi de se ressourcer et de se faire plaisir.
Frédéric Couchet : Il y a plusieurs jeux, un dont le titre, quand j’ai regardé la page, m’a fait mourir de rire c’est « Le Cœur des Zobs, le jeu sur la contraception masculine ». En tout cas, je vous encourage à suivre La Place Des Grenouilles, les liens sont dans la page consacrée à l’émission du jour et si ça n’y est pas, on va les rajouter.
Étienne, on ne va pas faire de pause musicale, on va enchaîner directement, je vois que le temps file et, si vous voulez réagir, n’hésitez surtout pas.
Benjamin Bellamy, fondateur et dirigeant de la société Ad Aures, papa de Castopod et animateur de Rien De Grave Patron
Frédéric Couchet : On va passer à Benjamin, qui est aussi un chroniqueur, on entendra sa chronique après. Lui, c’est un peu différent. Je vais te poser la première question, en fait te présenter en quelques mots.
Benjamin Bellamy : Bonjour. Je m’appelle Benjamin Bellamy. En trois mots, j’ai commencé l’informatique dans les années 80, je suis aussi vieux que ça, j’ai 50 ans.
Frédéric Couchet : D’accord ! J’ai cru que tu avais commencé professionnellement dans les années 80 !
Benjamin Bellamy : Non. J’ai commencé professionnellement en 91, à 16 ans, je faisais des bases de données Microsoft à l’époque.
Frédéric Couchet : Access. C’est ça ?
Benjamin Bellamy : Exactement. On voit les connaisseurs !
Frédéric Couchet : Je crois qu’en informatique, dans le monde des bases de données, tous ceux de cette génération-là ont fait de l’Access.
Benjamin Bellamy : On a tous fait de l’Access, J’ai commencé avec MS-DOS 4, puis 5, puis Windows 2, 3, 3.1, j’ai été biberonné à Microsoft, j’ai un diplôme d’ingénieur en informatique, je suis allé à l’EFREI [École française d’électronique et d’informatique]. J’ai fait ma carrière essentiellement dans le service, j’ai fait pas mal d’e-commerce, j’ai vendu beaucoup de livres sur Internet, en librairie, un peu partout, et j’ai été sensibilisé au logiciel libre, je pense un peu comme tout le monde, parce que c’était gratuit. De mémoire, le premier logiciel libre que j’ai utilisé ça devait être GIMP.
Frédéric Couchet : À quelle période à peu près ?
Benjamin Bellamy : Je serais incapable de dater ça. J’ai utilisé des très vieilles versions de GIMP qui n’étaient pas du tout stables. Je me suis acharné dessus, je n’ai jamais lâché l’affaire. Tout le monde s’est moqué de moi. Aujourd’hui, je continue d’utiliser GIMP quasiment tous les jours, c’est vraiment un truc que j’adore et la raison c’est parce que c’était gratuit.
Frédéric Couchet : GIMP est un outil de manipulation d’images.
Benjamin Bellamy : Exactement. J’ai beaucoup utilisé Paintbrush.
Frédéric Couchet : GIMP a énormément progressé et a très peu de développeurs. Je crois qu’il n’y a qu’une personne qui est payée, par une université, par contre il progresse parce que pas mal de bénévoles travaillent dessus.
Benjamin Bellamy : C’est super stable, ça permet de faire énormément de choses.
La porte d’entrée, et ce n’est pas honteux, il ne faut pas avoir peur de dire que bien souvent les gens vont vers le logiciel libre parce que c’est gratuit.
Par la suite, ce qui m’a intéressé c’est que c’était open source. On peut savoir comment c’est fait, on peut regarder ce qu’il y a dedans, on peut le modifier, ce qui me paraît fondamental.
Frédéric Couchet : C’est donc un intérêt en tant que développeur finalement.
Benjamin Bellamy : En tant que développeur, bidouilleur, et même, il n’y a pas forcément besoin d’être développeur pour se demander « comment ça se fait que ça fait ça ». C’est avoir la possibilité d’ouvrir le capot et de comprendre comment ça marche. Typiquement, je ne vais jamais regarder le code source de GIMP !
La deuxième étape c’était donc vraiment le côté open source, sachant qu’on fait souvent un amalgame entre open source et Libre, je pense que ce n’est pas grave du tout, parce que, globalement, il y a souvent une adéquation entre les deux : ce qui est Libre est open source, ce qui est open source est Libre.
Frédéric Couchet : Pour toi, quelle est la différence entre les deux ? Tu t’arrêtes sur ce sujet-là sinon tu vas perdre les gens qui nous écoutent.
Benjamin Bellamy : En fait, il y a une différence et elle est fondamentale, je pense juste qu’il ne faut pas se battre si certains utilisent un mot pour l’autre. Je disais que je suis passé au Libre parce que c’était gratuit puis parce que c’était open source.
Open source, on a accès au code source, donc, en gros, on a le droit d’ouvrir le capot.
Logiciel libre, en fait c’est fondamentalement différent : c’est une licence d’utilisation, c’est ce qu’on a le droit de faire d’après le contrat du logiciel. On a le droit d’utiliser un logiciel libre comme on veut, c’est la règle numéro 0, chère à Stallman qu’on évoquait tout à l’heure, et ça change tout. On peut très bien avoir des logiciels dont on a le code source mais qu’on n’a pas le droit d’utiliser comme on veut.
Frédéric Couchet : OK. Je vois la différence que tu fais.
Benjamin Bellamy : Et le droit de l’utiliser comme on veut, sans restrictions de personne, de géographie, etc., c’est fondamental. Tout à l’heure on parlait de LLM open source, donc Large Language Model, un grand modèle de langage, en gros c’est ChatGPT, ce sont ces technos-là. Aujourd’hui il y a de l’open source washing là-dessus parce que la plupart des modèles LLM open source dont on parle, comme LlaMA, ne sont pas du tout open source, ils sont open weight, c’est-à-dire qu’on peut le prendre et l’installer comme on veut, mais on n’a pas accès à ce qu’il y a dedans, on ne peut pas tout reproduire et surtout, si on prend LlaMA, les licences d’utilisation sont ultra restrictives.
Le logiciel libre m’intéresse aujourd’hui parce que c’est une question de libertés fondamentales et de démocratie, c’est un choix politique.
Frédéric Couchet : Là nous sommes d’accord comme différence avec l’open source, nous sommes d’accord là-dessus.
Benjamin Bellamy : Open source c’est technique : tu as les plans de fabrication ; ça peut être business aussi « regardez, mon logiciel est open source, venez l’acheter », parce que ça se vend.
Libre c’est ce que ça veut dire, c’est la liberté : j’ai le droit de faire ce que je veux et on ne peut pas me l’interdire, même la personne qui l’a créé ne peut pas me l’interdire.
Frédéric Couchet : Ça c’est ta rencontre avec le Libre, ton intérêt pour le Libre, je te coupe parce que le temps avance.
Ton arrivée à l’April ? Comment en es-tu venu à te proposer une contribution à l’April ? En fait, c’est toi qui es venu nous chercher ou plutôt tu nous as proposé de faire une chronique.
Benjamin Bellamy : J’écarquille les yeux parce que je ne sais plus !
Frédéric Couchet : Là je suis assez tranquille. Comme je l’ai dit, c’est ma collègue Isabella Vanni qui a préparé l’émission, qu’elle ne pouvait finalement pas animer, c’est elle qui a regardé dans les archives et j’ai mon petit papier – j’ai l’impression d’être un journaliste de France Inter à qui quelqu’un d’autre a préparé un petit papier qu’il va lire : « Dans le cas de Benjamin, c’est lui qui a pris contact avec nous en nous proposant une chronique dans Libre à vous ! », et ta première chronique c’était en octobre 2024.
Benjamin Bellamy : Eh bien c’est une fake news !
Frédéric Couchet : C’est une fake news ? Je lui dirai.
Benjamin Bellamy : Déjà, je connais l’April depuis très longtemps, je pense que j’ai adhéré à l’April en 2020, si je ne dis pas de bêtise, par la société Ad Aures que j’ai créée, parce que ça me paraît important, voire indispensable, de militer pour le logiciel libre, qu’on ne peut pas militer tout seul et qu’on a besoin d’organisations et d’associations comme l’April pour le faire tous ensemble. Il se trouve que c’est en 2023 que l’April était venue me proposer une chronique, ce que j’avais refusé parce que je n’avais pas d’idée. J’avais dit « super, merci pour l’invitation ». Je n’avais pas trop d’inspiration.
Frédéric Couchet : D’accord, on vérifiera.
Benjamin Bellamy : Pendant un an, j’y ai réfléchi, et au bout d’un an j’avais des idées. C’est effectivement moi qui suis revenu en disant « j’ai des idées, est-ce que ça vous plairait ? ».
Frédéric Couchet : Donc la chronique que tu fais, qu’on va entendre tout à l’heure, je vais retrouver son titre. Il y en a qui mettent des titres très courts, comme « F/H/X » ! Le titre de ta chronique c’est « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous ». D’abord, quel est le type de sujet cette chronique ?
Benjamin Bellamy : Il n’y a pas un mot en trop dans le titre de cette chronique, on ne peut pas le réduire, chaque mot compte !
En fait, c’est parti pas d’un épiphénomène mais d’un truc en particulier : la manière dont scandaleusement on nous a mésinformés sur le RGPD et la manière dont on nous fait croire que le RGPD n’est pas du tout ce qu’il est et, pour le coup, ça nous concerne vraiment toutes et tous, c’est super important. C’est super important dans notre vie numérique et aujourd’hui notre vie numérique c’est tout le temps, tous les jours. Personne ne comprend, mais on a besoin de savoir. En fait, je voulais non pas faire du prosélytisme mais de la pédagogie, avoir une chronique didactique qui explique, parce que, dans une démocratie, on ne doit pas tolérer ne pas comprendre les règles qui régissent nos vies, en particulier dès que ça devient technique ! C’est « t’inquiète, c’est compliqué, c’est technique, tu ne peux pas comprendre ! ». Si.
Pourquoi le RGPD ? Parce que c’est un sujet qui m’a toujours intéressé depuis 2016. J’ai vu le truc arriver entre 2016/2018, je me suis dit « on ne sera jamais prêts, on va jamais y arriver » et on n’était pas prêts, mais ce n’est pas grave ! Ça me paraissait tellement obscur et en fait non, ça ne l’est pas beaucoup.
Je suis allé voir Aeris, qu’on est plusieurs à connaître ici, qui, pour moi, était un peu la référence en termes de RGPD, je pense que personne au monde n’a enquiquiné autant de gens avec le RGPD. J’ai donc commencé à lui poser plein de questions et j’ai compris que ce n’était pas si dur que ça et qu’avec un tout petit peu d’effort tout le monde peut comprendre ces sujets. On ne doit donc pas accepter de ne pas les comprendre, c’est donc ce que j’essaye de faire ici une fois par mois : expliquer des sujets qui nous concernent toutes et tous, qu’on a pas vraiment compris, mais qu’il faut qu’on comprenne.
Frédéric Couchet : OK. On verra tout à l’heure si tu y arrives dans ta chronique.
Je vais juste rappeler que le RGPD c’est Règlement général sur la protection des données à caractère personnel. Ta chronique, juste après, va être sur un de ces sujets.
Pour conclure, parce qu’après il y Gee qui est à distance, as-tu une actu, une annonce ?
Benjamin Bellamy : Une annonce non, mais une actu oui : soutenez le Libre tout le temps, partout. Refusez les logiciels propriétaires tout le temps, partout, chaque jour. C’est vraiment un combat qui aujourd’hui, dans le contexte géopolitique actuel, ne peut pas être mis de côté, on ne peut pas dire « ce n’est pas grave, on verra plus tard. »
Frédéric Couchet : OK. C’est un bel appel, surtout au moment où Framasoft, l’April et La Quadrature du Net sont en campagne de financement, même si on sait que les temps sont difficiles pour tout le monde.
Gee, docteur en informatique, auteur-dessinateur, administrateur de l’April
Frédéric Couchet : Mettez vos casques, Florence a mis son casque parce que Gee, dernier intervenant, est à distance. On va voir si la technique est avec nous. Bonsoir Gee.
Gee : Salut.
Frédéric Couchet : Gee, également célèbre chroniqueur dans Libre à vous !. Ma première question, une présentation rapide : qui es-tu Gee ?
Gee : Je suis auteur-dessinateur, c’est mon activité principale, mais, de base, je suis développeur de formation, je suis même docteur en informatique, pour ne rien vous cacher !
On me connaît pas mal sur Internet justement pour mes BD. J’en avais notamment fait une, il y a quelques années, qui s’appelle Geektionnaire, qui a eu son petit succès dans le milieu libriste. Depuis quelques années, je publie assez régulièrement une BD qui s’appelle Grise Bouille.
Frédéric Couchet : Quand as-tu connu le logiciel libre ? Comme tu es docteur en informatique, je suppose que c’est pendant tes études.
Gee : Oui, mais c’était vraiment tout début, c’est-à-dire pendant ma première année de prépa, en 2006/2007. À ce moment-là, j’avais un nouvel ordinateur qui avait Windows XP à l’époque et un autocollant disait que l’ordinateur était compatible avec Vista qui allait sortir, super, sauf qu’à ce moment-là on a eu les premiers retours sur Vista qui étaient un peu désastreux. Un ami m’a dit « plutôt que Vista, tu pourrais mettre Ubuntu », en fait, il m’avait dit Linux. Après il m’a expliqué qu’il y a plusieurs distributions et il m’avait conseillé de mettre Ubuntu, ce que j’avais mis. C’est un peu comme ça que j’ai mis le doigt dedans, c’est grâce à Windows, comme pour beaucoup de monde finalement.
Frédéric Couchet : Oui, pas mal de gens, notamment de cette génération, ont effectivement commencé par Ubuntu, les plus anciens ayant souvent commencé par Debian, voire Mandrake dont on a parlé tout à l’heure.
Et l’April ? Comment as-tu connu l’April ?
Gee : Je ne m’en souviens pas ! Je pense que ça fait partie des institutions que j’ai dû découvrir à peu près dans ces eaux-là, en fait j’ai l’impression de l’avoir toujours connue depuis que je connais le Libre. C’est un peu comme Framasoft, la Free Software Foundation, La Quadrature, toutes ces associations que j’ai l’impression de connaître un peu depuis toujours, pas toujours parce qu’avant de connaître le Libre, je ne les connaissais pas, évidemment, mais je t’avoue que je ne me souviens pas. Je sais qu’à l’époque je m’étais abonné un truc qui s’appelait Planet-libre, d’ailleurs, je ne sais pas si ça existe encore. C’était un agrégat, un planet c’est apparemment un logiciel qui regroupe les flux de plusieurs blogs. Je sais que j’ai connu pas mal de choses comme ça, je ne sais plus si l’April faisait partie de ce planet, tu pourras peut-être nous le dire, mais c’est peut-être par ça.
Frédéric Couchet : En tout cas, il y avait un planet.april.org qui regroupait les flux RSS de membres. Actuellement, il n’est plus en ligne parce qu’il est cassé, il doit être réparé. C’est donc probablement comme cela que tu nous as connus.
Tu ne te souviens plus exactement quand tu as rejoint l’April.
Outre tes talents de chroniqueur dans Libre à vous !, dont on profite chaque mois, aujourd’hui c’est plus tes talents de dessinateur qui nous intéressaient, parce qu’on met à contribution tes talents de dessinateur, notamment pour les illustrations de pages sur le site web, par exemple pour les événements, mais aussi dans la campagne du Lama déchaîné. Qu’est-ce que tu fais exactement à ce niveau-là ?
Gee : Je m’occupe un petit peu de la partie j’allais dire graphique, mais c’est plus compliqué, parce que l’illustration et le graphisme sont deux choses pas totalement similaires. Je produis des illustrations qui sont pertinentes d’un point de vue libriste et normalement un peu drôles, un peu satirique, on va dire.
Il y a effectivement deux choses : il y a la campagne qu’on est en train de mener cette année comme l’année dernière, sous forme d’une espèce de gazette, Le Lama déchaîné, qu’on publie toutes les semaines. C’est vrai que je m’étais dit, quand on a commencé à discuter de ça, que ce n’était pas idiot de mettre un petit dessin, comme la caricature qu’on peut trouver dans n’importe quel journal de presse hebdomadaire. Il y a donc ça.
Après je fais des illustrations souvent un peu plus fouillées, on va dire, souvent en couleur alors que les illustrations pour Le Lama déchaîné c’est du noir et blanc en mode caricature, pour illustrer des choses plus générales dans l’April. J’ai fait des illustrations pour l’annonce des événements, j’ai évidemment fait le lama qui est devenu une petite mascotte. Il y a un peu ces deux choses-là. De temps en temps je reçois un message de Isabella qui me dit « on aurait besoin d’une illustration pour tel ou tel type de message sur Mastodon, est-ce que tu peux en faire une petite ? », c’est le genre de chose que je fais.
Frédéric Couchet : C’est clair que depuis ton arrivée, nos communications sont égayées de dessins qui sont à la fois jolis et pleins d’humour. Il suffit, par exemple, d’aller voir sur chaque Lama déchaîné. Aux gens qui veulent découvrir, allez sur april.org, je crois que le premier bouton c’est un lien vers Le Lama déchaîné. Il y a plusieurs dessins, notamment un qui illustre l’édito textuel. Par exemple demain, donc le 19 novembre, je crois que l’édito parle de quitter Google et compagnie. Tu as fait un dessin qui illustre l’édito et qui est à mourir de rire ! L’April a toujours eu une image un peu austère, c’est vrai que nous sommes quand même les rois et les reines de la publication de textes très longs, d’analyses sans aucune image. Toi, tu apportes une touche de fun, d’humour et c’est quand même très bien.
Est-ce que tu mets beaucoup de temps à faire, par exemple, un dessin par rapport à l’édito du Lama ?
Gee : Techniquement non. Comme ce sont des dessins un peu en mode caricature, c’est justement ce que je disais, historiquement ce sont des trucs que j’ai toujours un peu faits. À la base, j’avais adopté ce style à l’époque du Geektionnaire, ça remonte, j’ai ouvert ça en 2009. J’avais pris ce style parce que, à l’époque, j’avais eu l’idée un peu farfelue de faire un article tous les jours, il ne fallait donc pas que ça me prenne trois heures par jour parce que je faisais mes études, je n’avais pas que ça à faire. C’est donc assez rapide. Le plus long, finalement, c’est souvent trouver la bonne idée, quoi faire. Pour Le Lama déchaîné, ça consiste à bien lire l’édito, à bien piger ce que ça raconte, et après essayer de trouver une illustration qui soit à la fois en rapport avec l’édito et, en même temps, qui apporte un truc un petit peu drôle. Je ne vais pas révéler celui de demain.
Frédéric Couchet : Tu peux !
Gee : Disons que c’est en rapport avec Alphabet, la maison-mère de Google. L’idée c’est de faire un jeu de mots avec le fait qu’Alphabet, comme souvent chez les grosses boîtes, est un mot commun qui devient un petit peu une marque, alors que, à la base, alphabet c’est un alphabet, on est bien d’accord, comme Apple c’est une pomme. C’est donc basé là-dessus.
Frédéric Couchet : Si je me souviens bien, en fait c’est un personnage qui exerce le métier de prof et qui demande aux élèves de réciter leur alphabet. Plutôt que faire A, B, C, c’est Apple, Google, etc. C’est bien ça ?
Gee : Oui, effectivement, sauf que, à chaque fois, ce sont des services de Google, donc c’est Android pour A, Books pour B. J’ai cherché sur Internet s’il y avait un service de Google par lettre. Il y en a pas mal. Dans l’image, je me suis arrêté à « I » parce que je n’ai rien trouvé pour « J ». Il y a vaguement un truc qui s’appelle Google Jobs, mais ce n’est pas le vrai titre, donc je me suis arrêté à « I » avec Google Images.
Frédéric Couchet : Après, avec tous les produits qu’ils ont lancés et arrêtés, peut-être qu’il y a de quoi trouver. Je pense que ça doit y être sur la page Wikipédia de Google. On va arrêter la pub pour Google. En tout cas, lisez Le Lama déchaîné vous allez vous marrer. Gee a franchement un grand talent là-dessus.
Je vais préciser qu’on peut aussi te passer des commandes si on a une idée. Je l’ai fait l’an dernier, j’avais un besoin, je t’ai expliqué ce besoin et tu m’as produit quelque chose. C’est sous forme de prestations, tu vis, en tout cas tu essayes de vivre de tes talents de dessinateur.
Gee : Oui, c’est ça. À l’heure actuelle, les commandes ne représentent pas une énorme fraction de mes revenus. Mes revenus principaux, comme pour pas mal de gens qui publient sur Internet, c’est du financement participatif, ce sont des gens qui font des dons pour que je continue à produire de l’art sous licence libre. Je ne sais pas si on l’a précisé, mais, évidemment, tout ce que je produis aujourd’hui est sous licence libre ; de toute façon, je pense que pour l’April ce serait non négociable, mais même en dehors de ça, tout ce que je fais est sous licence libre. Il y a des gens qui supportent ce genre d’initiative, qui donnent, et je les en remercie énormément.
Frédéric Couchet : Tu as raison de préciser. Ça nous paraît naturel, mais c’est important de préciser que ce que tu fais, ce que tu produis est sous licence libre. Le Lama déchaîné est sous licence libre, comme les émissions de radio qu’on diffuse, comme les pauses musicales qu’on diffuse, on va diffuser une pause musicale juste après.
C’est sans doute le côté qui t’amuse le plus dans l’April, mais tu as des responsabilités parce que tu es aussi membre du conseil d’administration de l’April. Est-ce que c’est une activité qui te plaît ou tu le fais simplement, entre guillemets, « par devoir » ?
Gee : C’est plutôt une activité qui me plaît. Je trouve toujours gratifiant de s’impliquer dans l’associatif de manière générale, pas juste dans le Libre. Après, c’est vrai que se tenir à jour sur les discussions par mail ce n’est pas toujours simple, j’ai le même truc avec d’autres associations dans lesquelles je suis. Comme il y a pas mal de mails, parfois j’ai tendance à être silencieux et, au bout d’un moment, de rattraper les 35 mails que j’ai reçus depuis quelques jours. Il peut m’arriver de louper des choses importantes, mais j’essaie d’être assidu de ce point de vue-là.
J’aime bien toutes les discussions de vive voix qu’on peut avoir quand on fait des réunions, quand on fait l’AG et le fait de pouvoir s’investir. Je pourrais m’investir dans Le Lama déchaîné sans être au CA, c’est sûr, mais être au CA permet d’être un peu aux premières loges de ce qui se passe, de ce qui se décide en termes de campagne, je trouve ça super chouette.
Frédéric Couchet : C’est bien que tu le précises. Dans la quasi-totalité, les activités de l’April peuvent effectivement être menées sans être membre de l’April. D’ailleurs, il y a des gens qui ne sont pas membres de l’April qui tiennent des stands de l’April, qui contribuent par exemple à des traductions et autres. Ce n’est absolument pas une obligation et c’est voulu comme ça, même si certaines personnes deviennent membres de l’April. Si des personnes qui nous écoutent souhaitent contribuer d’une façon ou d’une autre, il y a plein de façons contribuer, vous allez sur april.org, sachez que vous n’avez pas besoin d’être membre de l’April.
Même question qu’à tes camarades : est-ce que tu as une actu ou une annonce à partager ?
Gee : J’ai écouté les autres, mais je suis quand même pris au dépourvu par la question. J’ai toujours un peu des trucs à annoncer, parce que mon blog tourne assez régulièrement, une nouvelle BD est sortie ce matin. Que te dire ? Je ne sais pas si c’est vraiment une exclusivité, parce que j’en ai déjà un peu parlé à certaines occasions : j’ai un bouquin pour enfants sur le feu, ce que je n’ai jamais fait, plutôt pour jeunes enfants, genre album avec images et texte en dessous que tu lis à tes enfants avant d’aller dormir. Il sera donc sous licence libre. Il a été relu, avec commentaires, notamment par Bookynette qui est présidente de l’April et qui est libraire, c’est donc pour ses activités de libraire que je l’ai sollicitée.
Frédéric Couchet : D’accord. Il sera disponible pour ce Noël 2025 ou le prochain ?
Gee : Non, il ne sera pas disponible pour ce Noël, c’est un petit peu trop court pour le sortir, ce n’est pas prêt. Il sortira probablement début 2026, je ne sais pas encore trop quand, on va voir.
Frédéric Couchet : D’accord. Il doit nous rester une minute ou deux. Est-ce que quelqu’un, l’une ou l’autre, souhaite ajouter quelque chose, même Étienne, si tu as envie, avant qu’on passe la pause musicale et qu’on attaque la chronique de Benjamin. Non. Ou Gee. Je précise aux gens qui nous écoutent qu’ils sont en train de se regarder en disant non. Il n’avait pas prévu qu’on pourrait rajouter quelque chose après.
Vas-y Étienne.
Étienne Gonnu : Je peux rajouter ce que j’aime sur les stands, puisque Ewa en parlait tout à l’heure. Je rappelle que je suis un des salariés de l’association, je m’occupe du plaidoyer politique. Ce week-end j’ai eu le plaisir d’aller au Capitole du Libre organisé à Toulouse tous les ans, un événement majeur du logiciel libre. Je pense que pour l’April, je vais, on va dire, à deux événements de ce type par an. J’ai aussi un grand plaisir à passer du temps sur les stands. Ça veut dire que je ne vais pas voir les conférences, mais je peux les rattraper après en vidéo car souvent, dans ce genre d’événement, elles sont enregistrées. J’adore être sur les stands parce qu’on rencontre des gens et ça nous stimule. On présente l’April et on a ce savoir-là, mais on reçoit aussi beaucoup de choses, beaucoup de réflexions, et je trouve que ce sont vraiment des moments assez riches de ce point de vue-là. Après, j’ai aussi plaisir à rencontrer des bénévoles lors de ces événements.
J’encourage vraiment les gens qui hésiteraient à aller sur un stand, à franchir ce pas comme Ewa a pu le faire. D’ailleurs, quand j’ai commencé, moi aussi je n’étais pas du tout à l’aise et maintenant je prends vraiment plaisir à le faire.
Frédéric Couchet : Je précise que l’équipe salariée est à Paris, mais beaucoup de choses se passent dans d’autres régions. Donc, pour les personnes, une façon de contribuer à l’April c’est tenir un stand dans un événement local. Notre collègue Isabella Vanni prépare beaucoup de choses, elle envoie de la documentation, des explications. Il ne faut pas hésiter. Il y a des évènements sur lesquels on n’est pas, tout simplement parce qu’on ne les connaît pas. Si vous êtes dans une région de France, que vous souhaitez tenir un stand même pas globalement libriste, n’hésitez pas à nous contacter, on a de la documentation, on a de l’aide et il y a toujours des gens sur place qui pourront aider. C’est important et c’est vrai qu’on doit faire peut-être une quinzaine d’événements dans l’année, 10/15 événements dans l’année, et c’est possible uniquement parce qu’on a des bénévoles qui tiennent qui tiennent ces stands.
Je vais remercier chacune et chacun. Vous pouvez évidemment rester pour écouter la chronique de Benjamin.
En attendant, on va faire une pause musicale, parce qu’on en a besoin.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : C’est Isabella qui a préparé l’émission, mais j’ai au moins choisi les musiques. Je me suis fait un peu plaisir, c’est un de mes groupes préférés. Nous allons écouter Requiem for a fish par The Freak Fandango Orchestra. On se retrouve dans trois minutes quarante. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Requiem for a fish, par The Freak Fandango Orchestra.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Requiem for a fish, par The Freak Fandango Orchestra, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
[Jingle]
Frédéric Couchet : On va passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous » de Benjamin Bellamy – « L’emmerdification du Web »
Frédéric Couchet : On retrouve Benjamin Bellamy pour sa chronique « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous ».
Aujourd’hui Benjamin tu voulais nous parler d’« emmerdification du Web », c’est ça ?
Benjamin Bellamy : Eh bien oui. Enfin non. Enfin, pas tout à fait. C’est-à-dire qu’à l’origine, le week-end dernier, enfin pas le dernier, celui d’avant, parce que le dernier j’étais à Toulouse, au Capitole du Libre, je voulais moi, monter une ligue résistante en réponse à tous les tech bros qui nous pourrissent la vie avec leurs GAFAM et leurs silos fermés. Parce que le Web des années 90 me manquait, celui où Internet était un vrai espace collaboratif, de partage, quand l’interopérabilité c’était la norme, quand on était libre de choisir un serveur pour diffuser une information ou proposer un service puis de choisir un client pour les consommer, quand le RSS était partout et pas juste pour les podcasts.
Frédéric Couchet : Eh alors !
Benjamin Bellamy : Et alors ? Flemme, quoi ! Déjà il pleuvait, je n’avais plus envie de sortir. Et puis il faut être honnête, la résistance ça a un côté romanesque sur le papier, mais, en vrai, ça a l’air épuisant. Finalement j’ai mis de l’eau à bouillir, je me suis fait un thé, j’ai sorti une couverture, j’ai pris ma liseuse électronique et j’ai concentré tout mon militantisme wish [militantisme bas de gamme, en référence à la plateforme chinoise, Note de l’intervenant] dans la lecture, en téléchargeant le dernier livre de Cory Doctorow.
Je sais pas si vous voyez qui est Cory Doctorow. C’est un auteur de science-fiction canadien et britannique, mais surtout, c’est un journaliste et un blogueur de la première heure qui milite, entre autres, en faveur des licences libres. Son dernier livre donc, s’appelle Enshitification, que l’on pourrait traduire par « Emmerdification » en français. Le mot n’existe pas, ni en français, ni en anglais, c’est lui qui l’a inventé. Mot inventé qui, au passage, a été élu mot de l’année 2023 par l’American Dialect Society.
Frédéric Couchet : Quelle est la définition de « emmerdification » ?
Benjamin Bellamy : L’emmerdification, c’est un processus qui décrit un enchaînement de trois étapes que l’on constate de plus en plus souvent sur Internet. C’est devenu tellement courant que le besoin de créer un mot est une évidence. Ça concerne essentiellement les plateformes. Une plateforme c’est une interface qui connecte deux types d’utilisateurs. Alors qu’Internet était censé connecter tous les êtres humains, sans intermédiaires, eh bien tous les services qu’on nous vend aujourd’hui sont des plateformes, des intermédiaires, entre des prestataires et des utilisateurs. Airbnb : des loueurs et des vacanciers ; Uber : des chauffeurs et des clients ; Amazon : des vendeurs et des acheteurs. YouTube : des annonceurs et des vidéastes. Bref ! Tu as l’idée. Donc le processus d’emmerdification est toujours le même.
Frédéric Couchet : Le même !
Benjamin Bellamy : Oui et tu vas voir, c’est à la fois très simple et diabolique ! Imagine un nouveau service, plutôt novateur. Dans un premier temps, c’est génial. Le service est top, c’est gratuit, et, comme tu trouves ça trop cool, tu en parles à tout le monde pour en faire profiter ta famille, tes collègues et tes voisins. Tu ne piges pas vraiment le business modèle, et pour cause, il n’y en a pas ! Ou plutôt si, mais pas avouable. En fait, tout le pognon cramé par la plateforme vient des investisseurs qui financent le lancement en acceptant des pertes colossales. Les montagnes d’argent des actionnaires servent à développer des vraies usines à gaz.
Frédéric Couchet : Ils perdent de l’argent, mais ils sont contents !
Benjamin Bellamy : Bonne remarque ! On peut légitimement se demander si les actionnaires, au moins vont être contents que leur argent ait servi à développer ces énormes machins. Pour eux, à quoi la plateforme sert-elle ? On se pose la question ! Alors, ils vont être contents les actionnaires ?
Diverses voix of – Un extrait de Ready Player One :
— Les actionnaires ne vont pas être contents.
— Notre rôle, ce n’est pas de leur faire plaisir, mais de leur faire gagner du blé. Mais une fois qu’on aura lancé ce petit bijou, ils vont faire des bonds. Son nom, c’est… Pur oxygène. C’est la première de nos mises à jour programmées. Une fois qu’on pourra éliminer toutes ces restrictions publicitaires, on estime qu’on pourra vendre jusqu’à 80 % du champ visuel d’un utilisateur avant de provoquer la crise d’épilepsie. Imaginez un peu.
Benjamin Bellamy : Oui, imaginez un peu ! Les plus cinéphiles auront bien entendu reconnu un extrait de Ready Player One. Les plus déprimé·es auront reconnu… tous les GAFAM.
C’est donc ça la deuxième étape de l’emmerdification. Alors que tu avais juré à tes utilisateurs, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer, que ton seul objectif dans la vie c’était le bien commun de l’humanité, eh bien tu retournes ta veste, tu retournes ton t-shirt et tu retournes même tes sous-vêtements s’il le faut, parce que la trahison de ses valeurs ne s’arrête pas à l’hygiène corporelle quand il s’agit d’emmerdifier le monde. Rappelez-vous que Google, à ses débuts, criait partout : Don’t do evil, « ne faites pas du mal ». Je suis sûr que certains se le sont fait tatouer sur le torse et on devrait bientôt les voir débarquer dans Tattoo Cover : sauveurs de tatouages : « J’ai fait ça quand j’étais jeune, naïf et innocent, est-ce que vous pourriez le recouvrir, à la place je voudrais un gros GAFAM qui urine sur le RGPD. » À la même époque, Facebook se ventait même de respecter la vie privée contrairement à ses concurrents. Si je n’avais pas été là pour le voir, je ne le croirais pas !
Frédéric Couchet : Oui, mais, à ce moment-là, les utilisateurs quittent la plateforme, non ?
Benjamin Bellamy : Eh bien non. Car c’est un des ressorts les plus puissants de l’emmerdification : une fois que tu es dans la plateforme, c’est très dur, voire impossible d’en sortir. Il n’y a qu’à voir notre président quand on lui demande pourquoi il est encore sur un réseau social nazi. Les trésors de périphrases dont il use et il abuse pour nous faire comprendre qu’au fond il aimerait bien en partir, mais que, en surface, on peut se brosser et lancer si on veut des pétitions pour demander de cesser d’utiliser ces merdes pour les communications officielles du gouvernement – lien vers la pétition dans les notes du podcast –, eh ben lui va continuer à nourrir la bête immonde.
Frédéric Couchet : Mais pourquoi est-ce si compliqué de partir ?
Benjamin Bellamy : Cory Doctorow avance plusieurs raisons. La principale, on la connaît tous, c’est l’effet réseau. Ces plateformes sont aussi des réseaux sur lesquels nous sommes tous interdépendants les uns des autres. Une plateforme où tu serais seul n’aurait pas beaucoup d’intérêt.
La première étape de l’emmerdification servait à ça : faire du dumping, du service gratuit, une expérience de qualité pour recruter des victimes et atteindre la masse critique.
Une fois que tout le monde est là, tu passes, tranquillou bilou, à la phase deux parce que tu sais que tes utilisateurs auront la flemme d’aller voir ailleurs tous en même temps. Et puis c’est bon ! C’est juste un peu de pub, un peu de données perso, ça va ! Sans compter que migrer ça peut être compliqué, techniquement parlant, voire tout simplement impossible, faute d’interopérabilité. En Europe on a du bol, l’article 29 de mon règlement préféré…
Frédéric Couchet : Le RGPD !
Benjamin Bellamy : Le RGPD, tout à fait, impose la portabilité des données. Merci l’Europe, je t’aime. C’est grâce à ça que, normalement, vous pouvez télécharger toutes vos données depuis toutes les plateformes. Mais au final, migrer ça a toujours un coût en temps, en argent, en énergie, et puis flemme. Et on finit vite, comme la grenouille ébouillantée qui reste dans sa casserole dont l’eau est chauffée progressivement, parce que, petit à petit, on ne se rend même plus compte qu’on est en train de se faire cuire le cu… curbitacée. Et bien souvent, quand on se réveille, il est trop tard, on a laissé un GAFAM imposer un monopole de fait : « Mais on n’a pas le choix, personne d’autre ne sait faire alors on va filer toutes nos données de santé au mec qui a avoué au Sénat qu’il n’était pas même capable de les protéger » – toute ressemblance avec des député·es ne serait, bien entendu, qu’une coïncidence malencontreuse !
Donc voilà comment meurt la démocratie.
Frédéric Couchet : Au début tu as mentionné trois étapes. Là, ça ne fait que deux !
Benjamin Bellamy : Tout à fait. À l’étape deux, il y a une des deux populations qui dépend de la plateforme qui vit encore sa meilleure vie : les vendeurs Amazon, les chauffeurs Uber, les annonceurs Facebook, pour eux c’est même pas business as usual, c’est business so much better than usal ! Ils n’ont jamais été aussi florissants. Mais une fois que tous leurs clients sont là, captifs, une fois qu’on a bien détruit le tissu commercial des centre-villes, que les logements sont accaparés pas des loueurs saisonniers qui font exploser les loyers, qu’on ne trouve plus de taxi à New-York, que la publicité en ligne est intégralement gérée par un duopole qui a tout phagocyté, eh bien on passe à la phase trois : réduire les revenus des prestataires, sans aucune possibilité de négociation possible. C’est ce qui, d’après Cory Doctorow, est enseigné au MBA Darth Vader. Tu es livreur, un matin tu te connectes et tu ne comprends pas pourquoi tes revenus ont été divisés par deux, alors tu appelles ton N+1 pour qu’il t’explique, ce connard. Et effectivement, il t’explique.
Voix off : Je change les termes du contrat. Soyez heureux que je ne les change pas davantage.
Benjamin Bellamy : À ce moment on est tous là, comme des débiles, on s’est bien fait avoir. Les services se dégradent, nos données se font piller, les tarifs augmentent et en face les prestataires se font exploiter. Note que depuis tout à l’heure on parle de « prestataires », mais le terme est très largement exagéré. C’est un des coups machiavéliques qu’on aurait dû voir venir. Tu vois de quoi je parle, ça porte même le nom de la plateforme qui en a fait sa religion : l’uberisation. C’est vraiment un coup de génie parce que même aux États-Unis où le droit de travail n’est pas aussi protecteur qu’en France, et ce n’est rien de le dire, c’est une des pires régressions jamais vues. Les plateformes se défaussent de leurs responsabilités d’employeur – au passage merci au statut d’auto-entrepreneur, une belle arnaque –mais surtout, elles peuvent désormais changer le salaire de leurs « esclaves » comme elles veulent, quand elles veulent, à la hausse, mais surtout à la baisse. Je ne sais pas si on se rend bien compte du scandale. Et la revue de salaire, ce n’est pas un entretien annuel ou même mensuel. Ton salaire peut être divisé par deux à chaque putain de seconde. Voilà. C’est ça l’emmerdification. L’algorithme qui décide qui a le droit de manger ce soir. Le capitalisme nous a vaincus !
Je vais vous laisser là-dessus et en rester là pour aujourd’hui, et je vous souhaite à toutes et à tous une bonne fin de semaine.
Frédéric Couchet : Benjamin, n’as-tu pas une petite note positive pour conclure ?
Benjamin Bellamy : Une note positive, vraiment ? Pff, j’ai la flemme… Bon OK. Justement, déjà, si on veut que ça change, il faut en finir avec la flemme.
La flemme de bouger nos gros culs pour aller chercher à dîner ou pour aller acheter un bouquin.
La flemme de changer nos messageries instantanées parce que tous nos potes, flemmards aussi, sont encore là.
La flemme d’héberger nos données en France.
La flemme de choisir une solution libre et open source parce que personne ne s’est jamais fait engueuler pour avoir choisi un GAFAM.
La flemme d’engueuler celles et ceux qui choisissent ces putains de GAFAM.
Et enfin, la flemme de dire et de répéter, autant de fois qu’il sera nécessaire, que « autonomie stratégique » et « souveraineté numérique des citoyennes et des citoyens » ne sont pas des gros mots.
Frédéric Couchet : Merci Benjamin, pour cette note positive finale. On te retrouve tous les mercredi dans RdGP, Rien De Grave Patron, en podcast et sur le Fédiverse.
À bientôt Benjamin.
On va terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Frédéric Couchet : Les liens utiles concernant les annonces de fin sont sur la page consacrée à l’émission du jour, sur libreavous.org/260, ou dans les notes de l’épisode si vous nous écoutez en podcast.
Depuis trois ans, la situation financière de l’April n’est plus à l’équilibre. L’année dernière grâce à un magnifique élan de soutien, la campagne du Lama déchaîné nous a permis de boucler le budget. Malheureusement les restrictions budgétaires des collectivités, la baisse du chiffre d’affaires des entreprises, l’érosion des membres physiques font que l’April a besoin de 30 000 euros pour finir sereinement l’année 2025. Il nous a donc paru opportun de relancer une campagne d’appel à soutien. Notre gazette, Le Lama déchaîné, est donc de retour pour une deuxième saison. Les premiers numéros sont disponibles. Le prochain numéro devrait être publié demain, mercredi 19 novembre. À ce jour nous avons récolté seulement 15 % de la somme nécessaire. Alors n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et un énorme merci aux personnes qui nous soutiennent.
Ce mardi 18 novembre est aussi la date de lancement de la campagne de don de Framasoft, association d’éducation populaire aux enjeux du numérique, amie de l’April. À cette occasion, Framasoft propose des mises à jour importantes de ses services en ligne existants et aussi de nouveaux services.
Vous souhaitez quitter Windows et passer à un système d’exploitation qui respecte et prolonge la vie de votre ordinateur ? Le portail « Adieu Windows, bonjour le Libre ! » que l’on propose, est fait pour vous. Retrouvez les événements près de chez vous qui vous proposent de l’aide pour installer un système libre sur votre machine. Parlez-en autour de vous et à vos proches. Mentionnons par exemple
à Beauvais le 19 novembre
à Juvisy-sur-Orge, en Essonne, où tu étais, je crois, Ewa, il y a quelques mois, le 22 novembre
à Marseille le 28 novembre.
C’est aussi l’occasion, pour nous, de mettre en valeur le travail inestimable des associations locales de promotion du logiciel libre. Un grand merci à elles et à leurs bénévoles.
Vous retrouvez sur le site de l’Agenda du Libre des événements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Florence Chabanois, Ewa Kadziolka, Benjamin Bellamy, Gee.
Merci à ma collègue Isabella Vanni qui a préparé l’émission mais qui, finalement, ne pouvait pas l’animer.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Étienne Gonnu.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, bénévoles à l’April.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/260, toutes les références utiles de l’émission du jour ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez en podcast.
Vous pouvez nous laisser un message sur le site ou encore sur le répondeur de la radio. Je vous donne le numéro : 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 25 novembre à 15 heures 30. J’aurai le plaisir d’animer cette émission. Notre sujet principal sera un Café libre, débat autour de l’actualité du logiciel libre, des libertés informatiques, avec notre équipe de choc.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 25 novembre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.