Émission Libre à vous ! diffusée mardi 17 juin 2025 sur radio Cause Commune Sujet principal : association La Mouette et la bureautique libre


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
L’association La Mouette et la bureautique libre avec Laure Patas d’Illiers et Régis Perdreau, c’est le sujet principal de l’émission du jour, avec également au programme la chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « L’IA ne s’en ira pas » et aussi une interview de l’association Infini.

Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 17 juin 2025. Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. Nous saluons également les personnes qui nous écoutent sur Radio Cigaloun, Radios Libres en Périgord et désormais aussi sur Radio Quetsch qui diffusera Libre à vous ! les mardis de 18 heures à 19 heures 30. La radio diffuse sur le territoire du Sundgau qui va du pied des Vosges aux débuts du Jura Suisse et sur son site web radioquetsch.eu.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui, mon collègue Frédéric Couchet. Salut Fred.

Frédéric Couchet : Salut à vous. Bonne émission.

Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

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Chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « L’IA ne s’en ira pas »

Isabella Vanni : Nous allons commencer avec la chronique « Les humeurs de Gee ». Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille vous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Le thème du jour : « L’IA ne s’en ira pas ».
Bonjour Gee, c’est à toi.

Gee : Salut Isa et salut à toi, public de Libre à vous !.
Je suis désolé, mais il faut qu’on en parle. Oui, il faut encore qu’on parle d’intelligence artificielle. J’aurais préféré un sujet plus léger et plus fun pour ma dernière chronique de la saison, mais qu’est-ce que tu veux, c’est quand même le sujet du moment. J’ai compté, c’est déjà ma quatrième chronique sur l’IA, la toute première datant de mars 2023, en pleine explosion de popularité de ChatGPT. Et je ne suis pas le seul à en parler régulièrement, sur cette radio comme ailleurs.
Quand un libriste, comme moi, parle d’IA, en général, il oscille entre trois axes :

  • 1. C’est dangereux, c’est écocide, c’est caca, c’est pipi, c’est capitaliste. Ce qui est vrai. Donc là, tu boycottes le truc et tu appelles massivement au boycott.
  • 2. C’est nul, regardez, ça ne marche pas bien, ChatGPT ne sait pas compter et il se plante sur des devinettes pour enfant, ce qui est vrai aussi. Là, tu es plus sur l’humour, tu rigoles en montrant que malgré les résultats, parfois impressionnants, ça fait quand même rapidement de la daube. Moi j’ai commencé plutôt sur ce mode, réécoutez ma première chronique sur le sujet pour vous e convaincre.
  • 3. C’est une mode, une bulle, c’est comme le Métavers et les NFT, on en voit partout, c’est insupportable, mais ça va finir par passer, ce qui est partiellement vrai. Oui, c’est insupportable ! En revanche, plus le temps passe, plus ça me semble très optimiste de penser que l’IA va finir par simplement disparaître, parce qu’insoutenable, parce que tout cela.

Moi le premier, j’ai dit à plusieurs reprises que l’IA était une bulle, qu’elle allait finir par exploser et je le maintiens aujourd’hui. Je pense que l’IA est une bulle financière, mais il ne faudrait pas se méprendre sur ce que ça signifie : à la fin des années 90, il y avait un truc qu’on appelait la « bulle internet » et qui a éclaté au début des années 2000. Pourtant, au risque de te surprendre, Internet est toujours là. Pire, l’importance et le poids de l’Internet actuel feraient passer celui d’avant la bulle pour une charmante expérience sociologique. Ce n’est donc pas parce que la bulle financière de l’IA finira par éclater qu’il faut s’imaginer que l’IA disparaîtra dans la foulée sans laisser de traces. Lorsque la bulle éclatera, ça mettra, à n’en pas douter, un beau boxon économique et social – une reconfiguration du marché, comme on dit chez les conn… chez les néolibéraux – mais l’IA ne s’en ira pas. Il y a même un risque, comme avec Internet, qu’elle finisse par en ressortir plus forte que jamais.
Le fait qu’elle soit insoutenable écologiquement est hors de propos : le système capitaliste est intrinsèquement insoutenable écologiquement et ça ne l’a jamais empêché de diriger la marche du monde, à sa perte, sans doute, mais tu vois bien que ça ne suffit pas à l’arrêter.
Quant à un modèle économique viable, j’ai de moins en moins de mal à croire qu’OpenAI et compagnie le trouveront : nous sommes encore dans la phase « la première dose est gratuite », mais, ne nous y trompons pas, c’est une drogue redoutable dont des millions de gens deviennent déjà dépendants à vitesse grand V. Il ne faudrait pas que notre propre bulle – une bulle de filtre cette fois – nous fasse oublier que ChatGPT est devenu, en quelques mois, le logiciel avec le taux d’adoption le plus rapide de l’histoire de l’informatique, en gagnant plus de 100 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices par mois. La pertinence des comparaisons avec le Métavers ou les NFT devrait s’arrêter là. Si ChatGPT cesse de fournir une version gratuite, je prends le pari que le taux d’adoption de la version payante sera lui aussi vertigineux. Et on verra fleurir des offres « forfait internet + abonnement ChatGPT », comme aujourd’hui Orange propose du « forfait internet + abonnement à Deezer ». Et ça marchera. Parce que l’IA générative est déjà devenue un besoin incontournable pour des millions de gens, à commencer par les plus jeunes. Une étude publiée jeudi dernier indique que 42 % des 18-25 ans déclarent utiliser l’IA tous les jours, 80 % l’utilisent au moins une fois par semaine. Un usage qui, à mon humble avis, va tout simplement tendre vers le taux d’usage des smartphones, avec ChatGPT qui deviendra une application aussi commune que WhatsApp ou YouTube, si ça n’est pas déjà le cas.

Dans l’IUT d’informatique où je donne quelques cours, la quasi-intégralité des élèves ont toujours une fenêtre ChatGPT dans le navigateur, c’est devenu un outil aussi courant qu’un navigateur. Tous les élèves n’en ont pas exactement le même usage, il y en a qui l’utilisent avec parcimonie, avec recul et puis d’autres qui copient-collent les énoncés, puis copient-collent les réponses sans rien comprendre à rien… mais qui s’en sortent quand même. Pas les mêmes profils, ces élèves d’ailleurs, mais je vais y revenir. En tout cas, j’ai dû mal à leur en vouloir : à leur place, du haut de mes 18 ans, j’aurais sans doute fait pareil.
N’empêche, la première fournée d’étudiants et d’étudiantes qui ont obtenu leur diplôme en déléguant l’intégralité de leurs études à une IA arrive déjà, et elle arrive vite, pas dans 5 ans, maintenant. Ce sont ces mêmes jeunes adultes pour qui la question de faire sans IA ne sera plus une option : s’il faut payer, ce sera fait.
On me rétorquera que je parle d’un IUT d’informatique, ce qui est encore une bulle un peu particulière, eh oui, évidemment. Mais on a peu ou prou les mêmes échos en fac de droit, de langue, d’économie et même de médecine, ce qui m’inquiète un peu sur les compétences de nos futurs médecins.
En plus, là je parle de jeunes adultes en train de faire leurs études, mais chez les 12-17 ans, on a 45 % des jeunes qui déclarent avoir déjà utilisé l’IA pour leur vie scolaire ou privée. Oui, parce qu’un cas d’usage apparemment très répandu, c’est l’IA comme confidente, à qui on raconte à sa vie, avec qui on dialogue comme avec un bon pote, mais en plus, un bon pote qui est toujours disponible, toujours poli, qui vous parle toujours avec bienveillance et patience.
Une grande part de la génération actuelle d’étudiants et d’étudiantes ne peut déjà plus imaginer sa vie professionnelle sans IA ; une grande part de la génération actuelle de lycéens et lycéennes ne pourra bientôt plus imaginer sa vie sans IA.

Donc, l’IA ne s’en ira pas.

À ce titre, les appels au boycott de l’IA me semblent, au mieux, anachroniques, je suis désolé, c’est trop tard pour le boycott !
Il n’est plus question d’empêcher l’avènement de l’IA, il est question de savoir comment on continue à lutter pour l’émancipation, pour la justice, pour l’écologie, pour l’égalité sociale, dans un monde où l’IA est omniprésente.
Mon camarade Pierre-Yves Gosset, de Framasoft, allait même jusqu’à dire, dans sa dernière conférence sur l’IA, que pouvoir boycotter l’IA était un truc de privilégié. Oui, pour toi et moi, boycotter l’IA c’est facile, on a grandi sans, on n’en a pas besoin. De la même manière, perso je suis pour un boycott de la voiture pour des raisons écologiques. Évidemment, c’est facile pour moi qui habite dans un coin bien desservi par les transports en commun, qui n’ai pas d’enfant et qui bosse de la maison.

Une grosse erreur que je vois souvent dans les milieux libristes consiste à voir l’IA comme un gadget de tech bro comme on dit, un joujou technologique pour jeune cadre riche, comme les lunettes connectées ou la blockchain. Et si l’IA est bien une idée de tech bro et de géant de la tech au départ, c’est à mon sens au contraire chez les classes populaires qu’elle a le plus d’impact.

Je reviens à mon IUT. Un IUT d’informatique, ce n’est pas exactement la même chose qu’une école d’ingénieurs informaticiens : on a un brassage social beaucoup plus important, des gamins, gamines qui viennent du lycée général, d’autres de lycées technologiques ou professionnels, des gosses de prolos mélangés à des gosses de petits fonctionnaires ou autres, avec des niveaux extrêmement hétérogènes et tout le défi, pour les profs, est d’arriver à faire que les plus faibles ne soient pas largués par les plus à l’aise.
Eh bien, ça va peut-être te surprendre, mais ce sont plutôt les gosses qui ont le plus de difficultés, souvent issus de milieux pauvres, qui usent et abusent de l’IA. Les élèves qui viennent de milieux plus favorisés sont, en général, les plus critiques de cette technologie. Dans un cours sur Android, on a récemment découvert avec mes élèves qu’Android Studio, le logiciel de développement, ajoutait à ses messages d’erreur ask Gemini  », « demande à Gemini », l’IA de Google. Eh bien mon élève Thomas, issu de lycée général, jean, t-shirt, 16 de moyenne, a réagi par un « pff, c’est n’importe quoi ! ». Il a quand même essayé par principe, mais il a vite vu que Gemini racontait des salades, et, en lisant le message d’erreur, il a rapidement compris et il a corrigé par lui-même.
Plus tard, pendant l’examen où tous les documents étaient autorisés – on ne voit pas l’intérêt de faire retenir du par cœur pour de la programmation –, Brandon, lycée technologique, survêt et baskets, 8 de moyenne, répondait aux questions de la manière suivante : il avait préparé un petit document où il avait fait bouffer l’intégralité du cours à ChatGPT, puis lui avait demandé de lui générer des dizaines et des dizaines de questions possibles. Et, pendant l’examen, il recherchait les termes des questions dans son petit document, il trouvait une question suffisamment proche et il copiait-collait la réponse. Vu la vitesse à laquelle il le faisait, je ne pense pas qu’il ait vraiment lu la moindre de mes questions. Je ne suis même pas certain qu’il ait compris de quoi le cours parlait, mais il a eu 11 à son examen. J’avais interdit Internet mais autorisé tous les documents, il a suivi les consignes, je ne vois pas bien pourquoi je l’aurais pénalisé. Thomas, qui a eu 17 en utilisant juste ses connaissances, aura, lui aussi, le même diplôme. Je précise au passage que j’ai changé les prénoms pour ne pas balancer mes élèves en direct.
Maintenant, c’est sur le marché du travail que Thomas et Brandon se distingueront et, spoiler, c’est encore Brandon qui morflera.
Parce qu’un informaticien ou une informaticienne qui sait juste taper des prompts, on peut en trouver qui n’ont pas des prétentions salariales de bac+3.
Parce que l’IA sera, à la fin, malgré les illusions, un aggravateur d’inégalités sociales, un accélérateur de paupérisation des classes populaires.
En même temps, qu’ai-je de mieux à proposer à Brandon ? Quelles sont mes chances d’arriver à lui faire « boycotter » l’IA qui lui a permis de décrocher un diplôme qu’il n’aurait sans doute pas eu sans, quand l’intégralité de ses camarades font de même ?
ChatGPT a permis à une foule de personnes nulles en expression, en orthographe et en grammaire de pondre des lettres de motivation parfaites et d’arrêter de se faire recaler avant même l’entretien d’embauche !
Qui suis-je, moi, du haut de mon doctorat et de mon capital culturel de fils de prof, pour leur dire de boycotter ?

Oui, je sais, le monde sera meilleur quand on aura arrêté de considérer que les non diplômé⋅es méritent d’être pauvres, ou même quand on aura supprimé ces conneries de lettres de motivation, mais ça c’est comme abattre le capitalisme : je sais bien qu’on va y arriver la semaine prochaine, c’est une question de jours, mais, en attendant, on fait quoi ? On fait quoi pour les aliéné⋅es en attendant d’avoir aboli l’aliénation ? On fait quoi pour cette génération qui a intégré l’IA comme nous-mêmes avions intégré Internet, comme d’anciennes générations avaient intégré l’électricité ou l’eau courante ? On fait quoi pour tous ces gens qui utilisent l’IA pour aller mieux, pour améliorer leur vie, pour s’extraire de leurs conditions sociales ?

Ah ça fait chier, comme question ? Moi aussi j’aurais préféré ne pas avoir à me la poser. Moi aussi j’aurais préféré qu’on empêche OpenAI et compagnie de développer leurs saletés. Moi aussi j’aurais préféré que cet ouragan n’arrive pas, mais c’est là, c’est partout, et ça ne s’en ira pas de si tôt.
Boycotter, c’est-à-dire ne rien faire, c’est une bonne réponse à titre individuel, mais c’est comme aller bosser en vélo pour l’écologie. Déjà, il faut avoir la possibilité le faire, et surtout, ça ne suffira pas à l’échelle collective !

Pour agir contre l’hégémonie de l’IA, il faut donc arrêter le déni, regarder cette réalité difficile en face, mais sans tomber pour autant dans la résignation ou l’aquoibonisme, bref, garder l’espoir que nous avons quand même le pouvoir d’améliorer notre monde. Et pour cela, j’aime bien citer ce dialogue du Seigneur des Anneaux. C’est Frodon qui se lamente de la guerre dans laquelle il est entraîné et dit : « J’aurais voulu que cela n’ait pas à arriver de mon temps. » Ce à quoi Gandalf, le magicien, lui répond : « Moi aussi, et il en va de même pour tous ceux qui vivent en de pareils temps, mais il ne leur appartient pas de décider. Tout ce qu’il nous appartient de décider, c’est ce que nous comptons faire du temps qui nous est imparti. »

Alors, ami⋅e libriste, face à l’IA comme au reste, je te laisse pour l’été avec cette question : « Qu’allons-nous faire du temps qui nous est imparti ? »

Isabella Vanni : Voilà ! Merci, Gee, pour cette chronique, nous avons donc tout l’été pour penser à une réponse.

Gee : J’espère que vous aurez la réponse, parce que moi je ne l’ai pas tout de suite.

Isabella Vanni : On verra ! Je suis contente de vous annoncer, chères auditrices et auditeurs, que Gee reste avec nous aussi pour la saison 9, donc merci à toi. On se revoit, on se réentend, plutôt, à la grande rentrée de septembre.
Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous parlerons de l’association La Mouette et de bureautique libre.
Nous allons maintenant écouter In My Bones par Terror Bird. On se retrouve dans moins de deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : In My Bones par Terror Bird.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : C’était In My Bones par Terror Bird, disponible sous licence libre Creative Commons By SA 3.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Nous allons maintenant passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Association La Mouette et la bureautique libre, avec Laure Patas d’Illiers et Régis Perdreau – Sujet animé par Laurent Costy

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte aujourd’hui sur l’association La Mouette et la bureautique libre avec nos personnes invitées, Laure Patas d’Illiers et Régis Perdreau. L’échange sera animé par Laurent Costy, vice-président de l’April.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Toutes les références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/251, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez en podcast.
Bonjour Laurent. Tu es avec moi au studio, c’est à toi.

Laurent Costy : Bonjour Isabella. Nous allons effectivement parler de l’association La Mouette. J’ai fait un copié-collé du site, soyons très transparents, parce ça décrit très bien l’objet de l’association et j’introduirai après nos deux invités qui sont à distance aujourd’hui, Régis Perdreau et Laure Patas d’Illiers.
Ne réinventons pas la fourchette, je reprends donc le paragraphe d’introduction du site internet de l’association, lamouette.org, car il a le mérite d’être explicite et de donner à voir ce dont nous allons parler dans cette émission.

« L’objectif de l’association est de développer l’usage de la bureautique libre dans tous les domaines, pour tous les publics, en francophonie, et en particulier :

  • d’apporter son soutien aux projets de logiciels libres, implémentant le format ODF (Open Document Format) « norme ISO 26 300 » – on va avoir besoin d’explications – (et évolutions futures) tels que LibreOffice de « The Document Foundation » ou tout autre projet similaire respectant les standards du logiciel libre, tels que définis par la Free Software Foundation, qui aurait besoin d’un soutien,
  • d’assurer la promotion de ces projets et soutenir les projets à l’international lorsqu’il s’agit de ressources partagées (machines par exemple),
  • de représenter les utilisateurs francophones des suites bureautiques ou des produits autres rattachés à ces projets,
  • de susciter des actions visant à améliorer les produits.

Voilà pour la description qu’on retrouve sur le site lamouette.org.
Maintenant je vais laisser Régis, président de l’association La Mouette, se présenter et puis Laure, vice-présidente de l’association La Mouette, prendra sa suite.
Régis, je te passe la parole. Bonjour.

Régis Perdreau : Bonjour. Régis Perdreau. Je suis libriste depuis bien des années. Je suis effectivement le président de l’association La Mouette, une association qui regroupe une communauté d’utilisateurs de bureautique libre, qui aime promouvoir des solutions alternatives.
Un premier objet de La Mouette c’est donner de la visibilité à des professionnels engagés qui soutiennent le Libre. À la création de l’association, en 2011, le Libre était moins un choix et moins développé en entreprise.
Historiquement, La Mouette avait fait la promotion de la suite Open Office, que beaucoup connaissent, qui avait été développée par Sun Microsystems, une entreprise américaine. Malheureusement, cette entreprise a été rachetée par Oracle, une entreprise qui n’a pas souhaité poursuivre ce projet libre et des volontaires, peu satisfaits de cette situation, ont créé le logiciel qu’on connaît, LibreOffice. La Mouette y contribue dans l’espace francophone, on fait des propositions et on soutient son développement.

Laurent Costy : Très bien. Merci à toi. Et professionnellement, avant de passer la parole à Laure, que fais-tu dans la vie ?

Régis Perdreau : Forcément, je suis informaticien. Je travaille dans une entreprise du logiciel libre, Arawa, et je fais essentiellement du support sur des systèmes Nextcloud par exemple. On ne fait que du Libre.

Laurent Costy : OK. Merci beaucoup. Il n’y a pas que des informaticiens dans le Libre, heureusement, il y a maintenant des personnes qui n’ont pas forcément de compétences informatiques, on peut quand même participer au Libre, en tout cas faire de l’appui et du soutien.
Je passe la parole à Laure Patas d’Illiers pour qu’elle nous dise un peu comment elle est arrivée vice-présidente de La Mouette et aussi ce qu’elle fait dans la vie.

Laure Patas d’Illiers : Bonjour. Je suis Laure Patas d’Illiers, un nom un peu compliqué. Je suis informaticienne depuis très longtemps puisque j’ai commencé en 1974, à une époque où la plupart d’entre vous n’étaient pas nés. J’ai découvert les logiciels libres autour de l’an 2000 pour une raison complètement financière, bassement financière : j’étais informaticienne, chef de projet, je voulais mener un projet informatique, j’étais au ministère des Finances et on a sabré mon budget, donc je ne pouvais plus utiliser le logiciel éditeur, payant, que j’avais prévu. Du coup, je me suis rabattue sur du logiciel libre vraiment faute de mieux. En fait, le problème c’est que le virus a pris et j’ai commencé à être vraiment intéressée par le logiciel libre en voyant pas seulement le logiciel. En fait, le logiciel libre c’est plus que du logiciel et l’idée qui est derrière m’a séduite, du coup, ça a orienté ma carrière professionnelle. Je travaillais toujours au ministère des Finances, mais je me suis mise à travailler pour essayer de répandre les logiciels libres sur les postes de travail au ministère des Finances et dans les autres ministères.
J’ai cocréé et animé un groupe interministériel, qui s’appelle MIMO [Mutualisation interministérielle pour un environnement de travail ouvert], sur l’environnement de travail et sur les logiciels libres et, au niveau ministériel, j’ai aussi créé un groupe inter-directionnel entre les différentes directions du ministère, toujours sur ce même sujet du poste de travail informatique.
Tout cela c’est du passé, parce qu’aujourd’hui je suis en retraite, je ne suis plus informaticienne, par contre je participe à La Mouette, notamment sur des stands lors de salons, puisque l’une des activités de La Mouette c’est de faire connaître les suites bureautiques libres et le format ouvert dans les salons professionnels et aussi dans les salons grand public.

Laurent Costy : D’accord. Merci beaucoup. En lisant ta biographie, je n’avais pas appréhendé qu’il avait pu se produire cela dans des ministères, en particulier aux périodes que tu évoques. Avec un peu de recul, qu’est-ce que ça a produit ? Est-ce que tu es en capacité de nous raconter un peu ce qu’a produit ce que tu avais initié à l’époque ?

Laure Patas d’Illiers : Je n’ai aucune prétention ; tout ce qui s’est passé dans les ministères, notamment au ministère des Finances, n’est pas dû qu’à moi, beaucoup d’autres personnes ont participé et ont poussé, bien entendu. Par contre, il est de fait que le ministère des Finances est un des premiers qui a vraiment utilisé les logiciels libres du poste de travail à grande échelle. La première direction a été la Douane, une direction avec de gros effectifs, ensuite la Direction générale des finances publiques, une direction qui a également de très gros effectifs, la majorité des postes de travail du ministère utilise donc de la bureautique libre, LibreOffice aujourd’hui.
La Douane était passée sur Open Office parce que, à l’époque, c’était Open Office ; aujourd’hui c’est LibreOffice sur la majorité des postes, puisque les grosses directions, avec de gros effectifs comme la Douane, les Finances publiques et l’Insee, ont fait le choix des suites bureautiques libres par défaut.

Laurent Costy : Très bien, ce sont des informations. Autant on entend parler de la gendarmerie qui est souvent brandie comme un étendard, autant ce qui a été produit dans ces ministères-là est beaucoup plus discret, en tout cas, je n’étais pas au fait de ces migrations, ce qui prouve, d’ailleurs, qu’une migration vers des bureautiques libres est possible à grande échelle. On cherche souvent des exemples. À petite échelle, c’est relativement simple, je dis « relativement », pour m’y frotter dans des petites associations c’est déjà compliqué, mais à grande échelle, comme ça, je trouve que c’est quand même intéressant à mentionner.

Laure Patas d’Illiers : En ce qui concerne les Finances, nous avons été un des premiers à avoir un marché de support des logiciels libres, puisqu’un des écueils pour migrer vers le Libre, c’est que les services informatiques, notamment les directeurs informatiques, craignent de ne pas avoir le même support qu’ils auraient avec des outils éditeurs, avec une société qui leur garantit le bon fonctionnement, enfin, qui ne leur garantit pas mais c’est l’impression qu’ils ont.

Laurent Costy : Il a fallu consolider ça et rassurer sur ce plan-là, d’accord.

Laure Patas d’Illiers : Voilà ! C’est pour cela qu’un levier très important c’est le marché de support des logiciels libres qui a été ministériel, qui, ensuite, s’est étendu aux autres ministères, c’est un outil très puissant. De toute façon, on a toujours eu des relations avec les gendarmes. Ils sont effectivement à la pointe du Libre depuis toujours, notamment sur le poste de travail avec leur version d’Ubuntu et le fait qu’ils créent eux-mêmes des logiciels par exemple pour rédiger les PV. Quand on se fait gauler sur la route par des gendarmes, à une époque en tout cas, on avait la satisfaction que le PV était rédigé sur LibreOffice.

Laurent Costy : Comme quoi les logiciels libres, ça marche bien !
Merci beaucoup pour ces éclairages, parce que, encore une fois, je n’avais pas forcément cette visibilité-là et ça donne à voir un peu ce qui est possible à grande échelle. On va arrêter là pour ce point. On va revenir à la bureautique libre et puis peut-être expliquer aux gens qui ne connaîtraient pas ce qu’est l’Open Document Format et l’interopérabilité et en quoi, finalement, c’est important de migrer déjà sa bureautique vers des logiciels libres. Qui veut prendre la parole ? Régis ?

Régis Perdreau : Le format Open Document, ODF.
L’interopérabilité c’est la capacité des logiciels à échanger leurs données, j’ajouterais sans perte, c’est-à-dire que vous pouvez donc passer d’un traitement de texte à un autre, d’un logiciel de dessin à un autre facilement, soit par des copier-coller, des échanges de fichiers. Ça paraît très facile de nos jours, mais il n’y a absolument rien d’évident à cela. Cela veut dire qu’il fallut, à un moment donné, s’entendre sur un format d’échange de données, c’est-à-dire comment on se présente les données.
Pendant longtemps, quand il n’y avait pas de format défini, d’entente, chacun faisait sa cuisine dans son coin et n’était compatible qu’avec lui-même. Pendant longtemps, ça a été un peu le cas qui nous préoccupe, la bureautique propriétaire, le format.doc bien connu qui n’était pas, à l’époque, très documenté.
Dans les années 2000, on a ressenti le besoin d’avoir des formats plus solides, documentés, ils ont un joli numéro, ISO 26300, qui est un numéro de norme, une identification précise qui renvoie à des documents de normalisation. Régulièrement des gens se rassemblent, des professionnels de l’industrie, qui décident comment les normes sont faites de manière à définir un standard que tout le monde devrait respecter.

Laurent Costy : On est bien à l’échelon mondial, OSI [Open Systems Interconnection] c’est bien international.

Régis Perdreau : Tout à fait. Un logiciel qui lit l’Open Document Format le lira de la même façon partout dans le monde.
Malgré ça, il peut y avoir quelques variantes dans les formats parce que la technologie évolue, donc souvent les standards sont des bases de départ.
L’histoire c’est que Microsoft, puisque c’est d’eux dont on parle, a aussi normalisé son format qui s’appelle Open XML, qui n’a rien de véritablement open. Ils ont normalisé et c’est un concurrent de l’Open Document Format. On va dire que deux formats normalisés coexistent pour la bureautique.

Laurent Costy : C’était finalement pour garder une domination acquise au début du développement de Word et d’Excel. C’était la technique de Microsoft pour garder sa domination sur la bureautique.

Régis Perdreau : Tout à fait, ça facilite un peu les choses. Disons que le format est aussi un petit peu l’image de ce qui se passe dans le logiciel, ça permettait sans doute aussi d’être plus, on va dire, directs dans leur développement. Il y avait quand même une promesse, de leur côté, qui était de simplifier le format et de donner un maximum de documentation pour permettre l’interopérabilité. Aujourd’hui, ce n’est pas tout à fait le cas. En fait, l’Open XML Microsoft est un format que, strictement parlant, personne n’utilise puisque Microsoft a fait évoluer le format en introduisant des variantes. Dans les nouveautés de Word et d’Excel il y a des objets nouveaux qu’il faut bien intégrer dans le format. La difficulté qu’on a c’est que Microsoft ne donne pas d’outil libre que l’on puisse intégrer dans nos logiciels. Nous sommes donc obligés de développer nos propres outils, ce qui est assez complexe et impose une veille permanente sur les évolutions du format Microsoft.

Laurent Costy : Vous êtes obligés de travailler par rétro-ingénierie.

Régis Perdreau : C’est ça, de faire des tests, des remontées de bugs, de regarder dans les docs ce qui est exploitable facilement, tandis que la situation d’ODF est un peu plus facile, déjà c’est ouvert, les outils libres existent, on est donc dans une démarche beaucoup plus de long terme.

Laurent Costy : D’accord. Laure, peut-être peux-tu expliquer ce qu’on doit dire à des gens qui nous disent « LibreOffice Writer ne marche pas bien, quand j’ouvre mon document avec LibreOffice Writer il est complètement déstructuré et je suis obligé de refaire la mise en page. » On est en train de comprendre que, finalement, ce n’est peut-être pas de la faute des gens qui développent LibreOffice Writer.

Laure Patas d’Illiers : Probablement pas, en effet. Si le document s’ouvre mal sous LibreOffice, c’est peut-être parce qu’il a été créé par Microsoft Word, notamment avec des polices de caractères qu’on ne retrouve pas quand on est dans LibreOffice et il suffit de très petites différences dans les polices pour décaler les lignes et les pages. Ça peut être tout simplement quelque chose de ce genre-là. Il faut savoir que les polices c’est comme les logiciels : il y a des polices libres et des polices qui ne le sont pas et Microsoft utilise en général, dans ses logiciels, ses propres polices par défaut. Il faut donc faire tout un travail pour constituer des polices similaires, mais libres cette fois, et on n’est pas toujours susceptible de les fournir de façon suffisante pour que le résultat soit parfait.

Laurent Costy : Si on résume bien, la déstructuration d’un document qui a été créé à partir de Word de Microsoft, lorsqu’on l’ouvre avec Writer, est bien, entre guillemets, de la « responsabilité » de Microsoft qui ne veut pas rendre les choses interopérables pour garder cette domination sur la bureautique, domination acquise depuis de très nombreuses années.

Laure Patas d’Illiers : Oui bien sûr, c’est bien entendu une question de concurrence. La Mouette défend les suites qui utilisent des formats ouverts, des formats libres, c’est-à-dire des formats qui sont transparents pour les développeurs comme pour les utilisateurs : on peut voir la description du format, savoir comment les informations sont stockées dans les fichiers, on peut aussi les manipuler librement et de façon transparente. Clairement, avec son format XML, Microsoft ne joue pas jeu, ne cherche pas à faciliter la compréhension de son format. Au contraire, il joue la difficulté et il reporte sur LibreOffice le problème de l’interopérabilité alors que chaque logiciel et chaque format doit jouer le jeu de l’interopérabilité.

Laurent Costy : Ça me semble extrêmement important de dire cela. Quand on dit aux gens que ce serait bien de passer à LibreOffice, ils sont tout de suite réfractaires parce qu’ils disent que ça ne marche pas, etc. Non seulement Microsoft ne joue pas le jeu, mais, en plus, « occupe », entre guillemets, les gens qui travaillent au sein de la fondation : ils doivent faire de la veille, surveiller qu’il n’y a pas encore des changements, etc., et ils tâtonnent pour adapter au mieux, au plus proche, ce que fait Microsoft. On est vraiment dans de l’entrave. Ce n’est pas de la mauvaise programmation de LibreOffice. J’aime bien le répéter, quand j’interviens auprès d’associations, parce que c’est vraiment dommageable : beaucoup de gens travaillent sur le développement de LibreOffice Writer et on n’arrête pas de leur casser du sucre sur le dos alors que, finalement, la faute ne leur échoit absolument pas ! C’est extrêmement important que vous le précisiez en tant qu’association La Mouette, vous qui travaillez sur ces dossiers-là.

Laure Patas d’Illiers : C’est-à-dire que quand on passe du format Open XML au format ODF et vice versa, il y a une conversion. La conversion peut être transparente pour l’utilisateur : vous ouvrez un fichier, il s’ouvre bien dans votre traitement de texte, vous avez l’impression qu’il s’est ouvert tel quel. En réalité, il y a eu une conversion invisible, instantanée ; cette conversion fait un travail et qui dit conversion dit transformation, c’est comme les traductions d’une langue à une autre ; un proverbe italien dit qu’un traducteur est un traître, traduttore, traditore. La conversion d’un fichier c’est la même chose, il y a toujours une transformation, ce n’est jamais parfait. La bonne façon de travailler c’est donc d’utiliser des formats ouverts et des suites qui utilisent ce format ouvert comme format de référence, comme format par défaut, comme format de base.

Laurent Costy : C’est très clair. Merci beaucoup Laure. Régis, tu voulais ajouter quelque chose ?

Régis Perdreau : Disons que c’est un problème général, qui n’est pas cantonné à LibreOffice, d’autres suites ont cette difficulté, même les suites totalement en ligne, Google Docs, peuvent rencontrer des incohérences puisqu’il y a toujours une transformation des données, basée sur des hypothèses qui peuvent être changeantes.

Laurent Costy : Merci. En tout cas Isabella a beaucoup apprécié cette citation italienne, très évocatrice. Merci beaucoup.
On pourrait peut-être parler aussi des suites bureautiques qui dérivent, en tout cas qui sont liées à LibreOffice.

Régis Perdreau : C’est un logiciel libre. LibreOffice, la technologie LibreOffice a donné son nom. Un nom sort de temps en temps, plus technique, c’est l’interface, l’API UNO.
En fait, LibreOffice est une collection de fonctions auxquelles vous accédez quand vous écrivez un document, c’est transparent.
D’autres outils peuvent s’appuyer sur cette API UNO et c’est le cas, par exemple, de Collabora Online qui est un LibreOffice en ligne. Sans entrer trop dans les détails, on a isolé certaines fonctions de LibreOffice pour permettre le fonctionnement sur un serveur distant sur Internet. C’est ce qu’manquait. À une époque, il y avait Google Docs qui a ce mode de fonctionnement, ça date de 2006. Collabora est sorti quelques années plus tard, c’est l’outil de bureautique libre qui manquait pour la collaboration, d’où le nom Collabora, en ligne.
C’est l’outil que vous rencontrerez le plus couramment, sans toujours le savoir, sur tous les services en ligne qui proposent de l’édition. Il y en a d’autres, mais, pour ce qui est de LibreOffice, c’est celui-là.
Un autre outil très récent, basé sur une autre technologie, utilisable aussi dans le navigateur, qui est également un dérivé de LibreOffice, c’est ZetaOffice. Il a été présenté au salon Open Source Experience en décembre, en France. Ça permet d’avoir des possibilités d’édition dans les pages web comme d’autres traitements de texte, mais ça reste un produit encore en version bêta, qui nécessite encore des développements

Laurent Costy : Très bien. Ça donne déjà à voir qu’il y a effectivement pas mal de solutions libres possibles, ça me semble extrêmement important. Tu n’as pas évoqué, en particulier en tant qu’Arawa, que ces solutions sont généralement intégrées dans un fonctionnement avec Nextcloud qui est finalement un moyen de partager des documents et de les éditer très facilement sur un serveur distant.

Régis Perdreau : Tout à fait. C’est le cas le plus classique. Vous pouvez intégrer Collabora dans des applications web diverses si vous le souhaitez.

Laurent Costy : Très bien.
Je vais vous proposer de faire une pause musicale et puis on continuera d’échanger sur ce sujet passionnant qu’est LibreOffice et le format Open Document.

Isabella Vanni : Tout à fait. Nous allons écouter Beyond the door, un titre composé dans le cadre des Journées de création musicale Ziklibrenbib. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Beyond the door par Les journées de création musicale Ziklibrenbib.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : J’adore les chœurs dans les chansons, je ne sais pas vous. C’est pour cela que je vous ai proposé ce morceau. Nous venons d’écouter Beyond the door par Les journées de création musicale Ziklibrenbib, disponible sous licence Libre Creative Commons By SA 3.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre notre sujet principal.
Je suis Isabella Vanni de l’April. Je redonne tout de suite la parole à Laurent Costy qui parle aujourd’hui de bureautique libre et de formats ouverts avec nos personnes invitées, Régis Perdreau et Laure Patas d’Illiers de l’association La Mouette.
N’hésitez pas à participer à notre conversation. Vous pouvez appeler au 09 72 51 55 46 ou bien participer sur le salon webchat dédié à l’émission sur le site causecommun.fm, il y a un bouton « chat », vous pouvez le trouver. À toi Laurent.

Laurent Costy : Merci Isabella. On reprend effectivement le fil du sujet.
Dans la première partie, nous avons évoqué le fait que pas mal de travaux et d’engagements avaient été pris par exemple au ministère des Finances. Laure qui, justement, était au ministère des Finances, pourrait-elle nous parler du référentiel général d’interopérabilité et du socle interministériel des logiciels libres ? Comment la bureautique libre se situe-t-elle dans ce socle ? Depuis quand existe-t-il ? Est-ce qu’on est en capacité d’avoir un aperçu du nombre de postes équipés de bureautique libre ? Vous n’avez peut-être pas les chiffres, mais, si vous avez quelques indicateurs, ce sera intéressant.

Laure Patas d’Illiers : Je n’ai pas des informations fraîches sur le sujet puisque je suis en retraite, je n’ai donc plus accès à ce genre d’information, évidemment.
En fait le RGI, le référentiel général d’interopérabilité, existe depuis très longtemps. Il a été créé par une entité qui est chargée de coordonner l’informatique dans tous les ministères et qui est rattachée en général au Premier ministre, qui a eu différents noms : le CIIBA [Comité Interministériel pour l’Informatique et la Bureautique dans l’Administration], la DISIC [Direction interministérielle des systèmes d’information et de communication de l’État], etc. Aujourd’hui, elle s’appelle la DINUM, la Direction Interministérielle du Numérique. C’était effectivement une tentative de mettre en place des choix de logiciels ou de formats permettant l’interopérabilité entre les ministères, d’une part, et entre l’administration et les administrés d’autre part.
Dans le cadre du RGI, par exemple, il y a eu des débats houleux pour savoir quel format bureautique on inscrivait, est-ce que c’était le format de Microsoft ou est-ce que c’était Open Document Format ?
Ensuite, grâce à la création de groupes interministériels pour promouvoir les logiciels libres, notamment le groupe MIMO [Mutualisation interministérielle pour un environnement de travail ouvert], s’est créé le SILL, le socle interministériel de logiciels libres, qui est en fait une liste de logiciels préconisés par usage, par exemple pour la navigation on préconise Firefox, pour la messagerie on préconise Thunderbird, pour la bureautique on préconise LibreOffice, etc. ; bien entendu ça ne touche pas que le poste de travail, ça touche l’ensemble de l’informatique. À chaque fois, pour chaque fonctionnalité, il s’agissait de préconiser une unique solution pour permettre aux administrations de faciliter leurs choix et leur passage au Libre, qu’elles ne soient pas perdues devant le foisonnement de logiciels libres, puisqu’un des freins de la migration vers le Libre c’est « oui, d’accord, mais lequel ? »

Laurent Costy : Effectivement, on a souvent un écosystème très large, un panorama de logiciels susceptibles de répondre à certaines fonctionnalités qui sont proches. C’est vrai que ça peut perturber dans un premier temps, j’entends ça.

Laure Patas d’Illiers : L’idée du SILL c’était donc d’aiguiller vers des logiciels qui étaient déjà utilisés par certaines administrations, dont l’expérience avait prouvé qu’ils étaient utilisables dans un contexte d’administration.
L’idée c’était également d’intéresser les collectivités territoriales dans le choix de leurs outils quand elles voulaient passer au Libre. Finalement, le socle interministériel de logiciels libres s’adresse aux ministères et aux administrations d’État et, pour les collectivités territoriales, il y a une association qui s’appelle l’ADULLACT [Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales], qui s’adresse aux collectivités territoriales, c’est-à-dire aux régions, aux départements, aux communes, pour leur préconiser également des solutions et les aider à passer au logiciel libre.

Laurent Costy : Merci beaucoup Laure. Très bien pour cet éclairage. Je pense que le socle interministériel des logiciels libres aide effectivement à faire prendre conscience de l’importance de migrer vers de tels logiciels. Je ne sais pas si vous avez cette visibilité-là, mais j’imagine que ce qui a motivé la création du référentiel et du socle, c’est finalement aussi une question de souveraineté, un mot très à la mode en ce moment, qui est évidemment remis sur le haut de la pile avec le comportement outre-Atlantique. Est-ce que ça a joué ? Est-ce que la mise en place de ce référentiel et de ce socle, même si ce ne sont pas des choses qui sont imposées, ce sont bien des choses qui sont suggérées, change les choses au fil du temps selon vous ?

Laure Patas d’Illiers : À posteriori oui. C’est-à-dire que les informaticiens, les libristes de l’administration qui travaillaient pour le RGI et pour le SILL, qui voulaient promouvoir le logiciel libre, essayaient d’utiliser l’argument de la souveraineté numérique pour convaincre leur hiérarchie. À l’époque du RGI, cet argument ne portait pas. La souveraineté ça ne portait pas, ça n’était pas compris par les états-majors des différentes administrations, à l’époque de la création du SILL non plus, c’était un argument qui ne convainquait pas les politiques.
Aujourd’hui les choses ont changé et la souveraineté numérique n’est plus un terme tabou ou un gros mot, au contraire, c’est un mot à la mode et tant mieux, du coup ça soutient d’autant plus la démarche d’aller vers le Libre. Il y a eu un énorme progrès de ce point de vue-là puisqu’il y a une prise de conscience de nos politiques que la souveraineté numérique c’est vraiment important, que le numérique n’est pas simplement un élément de logistique comme la plomberie ou des choses de ce genre-là, mais que c’est le cœur de l’action de l’État ou de toute autre organisation, qui est fragile et qui nécessite d’être protégé et d’être solide, d’être protégé des interventions extérieures.

Laurent Costy : Je renvoie peut-être la question à Régis. En tant qu’association La Mouette, êtes-vous parfois sollicités lorsqu’il s’agit, par exemple, de consolider le socle, de rallonger la liste sur les aspects justement plutôt bureautiques ? Est-ce qu’on vous a sollicités pour éclairer un peu ce socle ?

Régis Perdreau : Le socle, c’est surtout une structure de l’État. Nous sommes évidemment en contact avec des professionnels. Le fait de faire une liste établie a permis de nommer les choses, de donner de la visibilité, on va dire administrative, à des logiciels libres conçus parfois à l’étranger, c’est un peu le paradoxe, on a des solutions souveraines qui sont développées internationalement. En fait, ça a permis effectivement l’émergence de demandes de support, de marchés publics d’État. En tant que La Mouette, on pousse un petit peu, très modestement. Nous avons effectivement des contacts à travers des salons, à travers nos adhérents pour influer, très modestement.

Laurent Costy : C’est vrai qu’on n’en a pas parlé, on pourra parler de l’association en elle-même. Vous comptez une cinquantaine d’adhérents, c’est bien ça ? Je fais une petite parenthèse.

Régis Perdreau : Environ une cinquantaine. Après, on a un volant de sympathisants.
C’est vrai que c’est apprécié d’avoir une association qui regroupe des utilisateurs, des utilisateurs qu’on retrouve dans toutes les sphères, dans toutes les structures. Nous pensons que cette association reste importante à développer.

Laurent Costy : Nous aussi !

Régis Perdreau : C’est un outil dont il faut s’emparer puisqu’il y a toujours des aspects qui ne sont pas forcément mis en valeur : la présence de documentation, des solutions nouvelles et bien sûr un éclairage neutre sur certains aspects.
On a évidemment des liens avec la fondation qui supervise le développement de LibreOffice [The Document Foundation] et avec l’Open Document, on peut donc faire des suggestions. Parce que, en fait, rien ne se fait sans l’action de la base.

Laurent Costy : Sans les besoins exprimés par les utilisateurs et utilisatrices.

Régis Perdreau : Tout à fait. Et tous les jours, toutes les semaines, on a des suggestions qui sont à collecter, à évaluer, parfois on en présente certaines, on les pousse suivant les besoins ressentis.

Laurent Costy : Très bien. Pour revenir un peu sur la souveraineté, pour bien expliquer aux personnes qui n’auraient pas appréhendé les enjeux qu’il peut y avoir à utiliser des logiciels privateurs de liberté et puis des logiciels libres. Quand on utilise Office 365, par exemple, la suite Office avec un traitement de texte à l’intérieur, comme c’est un logiciel privateur de liberté, on ne peut pas savoir qu’elles sont les données qui sont remontées à l’éditeur, remontées, par exemple, aux États-Unis, ou les métadonnées aussi, on peut faire la distinction entre données et métadonnées. Alors que quand on utilise une suite libre, comme LibreOffice, on a la capacité de savoir si des données pourraient être extraites. Le code est accessible, on peut donc savoir ce que fait le logiciel. C’est peut-être la différence qu’on peut expliquer par rapport aux données.

Régis Perdreau : La question s’est posée du maintien de la version desktop. C’est une question qui existe sachant que maintenant il y a des offres en ligne. Nous pensons que c’est effectivement important du point de vue de la confidentialité de conserver des outils qui n’ont pas besoin de se connecter à Internet pour fonctionner. C’est de moins en moins le cas de Word. On prête même à Microsoft l’ambition de supprimer les applications desktop, qu’on connaît, pour conserver uniquement les versions en ligne. Et même les versions existantes vont prendre des ressources sur Internet, surtout avec l’IA actuelle, c’est un sujet qui nous concerne aussi. Donc Microsoft, quelque part, sait ce que vous écrivez, bien sûr.

Laurent Costy : Je vais me permettre de relayer une question posée sur le chat avant de passer à la question suivante, au point suivant qu’on voulait aborder : comment fait concrètement une personne si elle souhaite tester LibreOffice et qu’ensuite elle veut échanger des documents – texte, tableur – avec d’autres personnes ?

Laure Patas d’Illiers : Elle peut tout simplement les envoyer à ces personnes sous le format Open Document Format et sous le format Open XML de Microsoft, c’est-à-dire docx. Elle peut envoyer les deux formats au choix du destinataire.
On a un petit logiciel additif, qui s’installe sur LibreOffice, qui permet d’envoyer le même document à la fois sous le format docx, sous le format ODT et PDF.

Laurent Costy : D’accord. À l’époque, le PDF était une capacité qu’avait LibreOffice que n’avait pas Word, qui, pour certaines personnes, avait fait la différence. J’avais trouvé que c’était extrêmement puissant parce que, justement, ça permettait d’envoyer en PDF et là, pour le coup, c’était, entre guillemets, assez « universel » pour les gens que de recevoir du PDF, à priori tout le monde pouvait l’ouvrir.
La question d’après : comment la personne installe-t-elle LibreOffice ? Là, on va commencer à arriver aux ressources, je poserai des questions après. Effectivement, comment installe-t-on LibreOffice ? De quoi faut-il se méfier peut-être aussi, puisque beaucoup de sites proposent des versions de LibreOffice ? Comment fait-on pour être certain ?

Régis Perdreau : Il faut aller sur le site officiel, libreoffice.org. Vous avez une rubrique « Télécharger ». C’est vrai que si vous faites une recherche par Google, vous allez avoir des liens sponsorisés. C’est devenu un peu plus rare, il a dû y avoir une chasse qui a pu se faire, quand même. Vous aviez des liens sponsorisés qui vous dirigeaient vers des versions payantes, on vous réclamait de l’argent. LibreOffice est totalement gratuit et va le rester. Vous pouvez toujours faire un don.

Laurent Costy : Il faut le rappeler.

Laure Patas d’Illiers : C’est même lourdement conseillé quand on télécharge.

Laurent Costy : C’est recommandé. Ce n’est pas la gratuité de LibreOffice qui est intéressante.

Isabella Vanni : Comment fait-on pour faire un don ?

Laure Patas d’Illiers : Au moment où vous téléchargez sur le site officiel de LibreOffice, vous téléchargez librement et gratuitement, et on vous suggère, on vous propose de faire un petit don.

Isabella Vanni : Et si on a déjà téléchargé LibreOffice depuis longtemps, qu’on a oublié pendant des années de faire un don, l’endroit le plus simple c’est toujours d’aller sur libreoffice.org, j’imagine, je n’ai pas regardé.

Laurent Costy : Sur fr.libreoffice.org office, j’imagine que c’est là qu’on va retrouver la possibilité de faire un don.

Régis Perdreau : C’est à vous de le faire avec votre conscience.

Isabella Vanni : On profite de la radio pour rappeler cette possibilité.

Laurent Costy : Isabella a raison. C’est vrai que nous sommes utilisateurs et utilisatrices de LibreOffice depuis longtemps et ça fait très longtemps qu’on n’a pas fait de don. C’est peut-être une bonne occasion de remettre ça sur le dessus de la pile. Tout à fait.

Régis Perdreau : Il est important de rappeler qu’on ne trace pas les donateurs.

Laurent Costy : Ouf ! Très bien. Merci pour ces réponses.
Avant de passer aux perspectives pour l’association La Mouette, que doit-on répondre aux personnes qui pestent encore contre LibreOffice ? On a parfois l’impression que ça ne marche pas, on a déjà donné des explications : ce n’est pas la faute du LibreOffice. On m’a rapporté, par exemple, le cas d’une personne qui avait beaucoup de mal à numéroter ses chapitres sur des documents qui faisaient plusieurs pages. Comment fait-on quand on est confronté à ça et qu’on s’agace un peu sur son changement d’habitude, puisque finalement, c’est un peu le cas quand on passe de Word à LibreOffice ?

Laure Patas d’Illiers : Personnellement j’ai fait de nombreux documents avec beaucoup de chapitres et je n’ai pas eu trop de soucis. De ce point de vue-là, c’est quand même assez similaire à Word, ce sont les mêmes fonctionnalités de base.

Laurent Costy : Cette personne était quand même très énervée !

Laure Patas d’Illiers : C’est clairement la situation où il faut poser la question sur les forums. Il y a peut-être aussi un petit problème d’usage, c’est-à-dire cette personne est-elle à l’aise par exemple avec l’usage des styles ?

Laurent Costy : Ça pose effectivement après la question de l’appropriation du logiciel qui n’a pas été pensé de la même manière que Word, c’est cette question de désapprendre et de réapprendre. C’est finalement assez violent de se dire « il faut que je désapprenne quelque chose, il faut donc que je perde des compétences ». C’est toujours un peu difficile à admettre quelle que soit la personne.

Isabella Vanni : Pardon Laurent. On a parlé de demande d’aide. Sur le site qu’on a cité, fr.libreoffice.org, il y a aussi un onglet « Aide ». Donc posez vos questions, n’hésitez pas à demander de l’aide à la communauté.

Laurent Costy : On mettra dans les pages de l’émission beaucoup de sites que nos deux invités nous ont mentionnés sur le pad de préparation : les forums, les lieux où on peut poser des questions et puis trouver déjà des réponses, puisqu’il y a certaines questions assez récurrentes, sinon interagir avec des humains qui vont effectivement répondre et qui sont généralement bienveillants. Merci pour ces éléments qu’on mettra sur la page de l’émission.
On a parlé de Collabora Online, de Collabora Office. On va peut-être parler des perspectives. Quelles sont les tâches sur lesquelles les bénévoles travaillent en ce moment à La Mouette ? Régis.

Régis Perdreau : De façon courante, on fait des rapports de bugs, ça nous occupe déjà un petit peu. Certains bugs n’existent qu’en français, on a donc un apport. C’est quand même important parce que ça contribue à la qualité du logiciel. On a un lien direct, quasi direct, avec les développeurs, en tout cas une relative proximité, on peut donc faire avancer la résolution d’un bug ou on aura une réponse si jamais ça ne peut pas se faire pour différentes raisons. Parfois ce n’est pas un bug, c’est une fonctionnalité, comme on dit.
On essaie de répandre un peu les compétences là-dessus.
Il y a un chapitre « documentation » qu’on aurait bien aimé pouvoir faire avancer, on nous réclame souvent un manuel utilisateurs qui n’existe pas vraiment en français, ou dans une vieille version, lorsqu’il y a un côté référence. La version anglaise est très bien maintenue grâce à la fondation. L’arrivée de l’IA nous aidera peut-être à trouver une solution plus satisfaisante que la traduction manuelle. C’est un peu cet axe-là.
Il y a toujours aussi la nécessité de produire quelques ressources, des vidéos, des templates, des modèles qui aident un petit peu à structurer son travail.
Voilà un peu, mais c’est déjà énorme et ça contribue à la qualité générale du logiciel.

Laurent Costy : Et à la Mouette vous êtes finalement une petite équipe. Combien êtes-vous de bénévoles actifs ?

Régis Perdreau : Nous sommes environ 50. Après, il faut savoir mobiliser les gens sur les événements. Il y a des gens qui donnent un coup de main ponctuellement et c’est quand même très appréciable, comme tenir un stand. C’est justement un peu la liberté du bénévolat. On voit peut-être une dizaine de personnes régulièrement.

Laurent Costy : Il y a quand même beaucoup de travail pour une petite quantité de personnes, c’est souvent ça la vie des associations.

Régis Perdreau : Ce sont nos souhaits et le challenge c’est quand même de pouvoir passer le message, il y a quand même une grande technicité dans un logiciel de bureautique. On va dire que ce n’est pas forcément tendance par rapport au développement web, bien qu’il y ait des technologies web maintenant, avec Collabora Online, peut-être que ça devrait inciter certaines personnes à s’y intéresser d’un peu plus près. Je pense que le document va quand même rester en ces temps d’IA, on peut espérer qu’il y aura quand même encore besoin d’outils à construire, à structurer.

Laurent Costy : Pour structurer la pensée.
Il nous reste quatre minutes. Je vais demander à chacun et chacune de prendre deux minutes pour parler d’un point qu’il aurait envie de partager, un point dont on n’aurait pas parlé ou pour appuyer quelque chose qui a été dit. Je crois que l’un de vous deux ou l’une de vous deux voulait parler de peluches, mais il n’y a pas que ça. Je vous laisse.

Isabella Vanni : Si possible sans cliquer sur l’ordinateur parce qu’on entend des clics depuis tout à l’heure.

Laurent Costy : Attention au clavier proche du micro, s’il vous plaît. À qui je donne la parole ? Laure ?

Laure Patas d’Illiers : Oui, je veux bien vous parler de peluches. Nous avons des jolies peluches en forme de mouette, bien entendu. Nous vous les proposons dans notre boutique qui est sur le site En Vente Libre, que tous les libristes connaissent. Nous les vendons actuellement à moins de 10 euros. Je vous suggère donc de recueillir une mouette abandonnée, c’est dans l’air du temps. Par ailleurs, nous pouvons également en offrir, gratuitement cette fois, mais dans un cadre différent, par exemple à un hôpital ou à une organisation de ce type-là, à distribuer à des personnes à qui ça pourrait faire un petit peu plaisir. Nous vous avons donné les contacts. Surtout n’hésitez pas.

Isabella Vanni : Juste rappeler aux personnes non-libristes qui nous écouteraient qu’En Vente Libre est une plateforme qui propose effectivement plein de goodies de différentes associations autour du Libre. Vous aurez bien sûr la référence sur la page de l’émission.

Laurent Costy : Directement sur la peluche ! Régis ?

Régis Perdreau : Je pense qu’il faut continuer à encourager la souveraineté numérique, ce n’est pas un vain mot.
Notre ambition, à travers notamment l’association, c’est aussi de partager l’état d’esprit du Libre, partager les compétences afin de rester maîtres de notre monde, rester acteurs de notre existence et cela me semble quelque chose d’important à maintenir.

Laurent Costy : Merci. Cette volonté de permettre aux gens de reprendre en main un peu leur destin se rapproche effectivement un peu de l’éducation populaire, c’est un bien grand mot, mais c’est quand même un peu ça l’idée, reprendre en main son informatique et être le maître, un peu, de son informatique et de ses données.
Je vais repasser la parole à Isabella, mais avant, je vais vous remercier, Régis et Laure, pour le temps que vous avez pris pour cette émission qui, à mon avis, éclaire beaucoup de choses sur LibreOffice et la bureautique libre et au plaisir de vous recroiser peut-être sur un salon. C’est vrai que l’April et La Mouette se croisent souvent sur des salons, j’espère qu’on aura l’occasion de se croiser. En tout cas, merci à tous les deux.

Laure Patas d’Illiers : Merci beaucoup.

Régis Perdreau : Merci beaucoup,

Isabella Vanni : Vous pourrez retrouver toutes les références de l’émission de ce jour sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/251, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez en podcast.
Nous allons maintenant faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Isabella Vanni : Après la pause musicale suivra une interview de l’association Infini.
Pour l’instant, nous allons écouter Boulevard St Germain par Jahzzar. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Boulevard St Germain par Jahzzar.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Boulevard St Germain par Jahzzar, disponible sous licence libre Creative Commons By SA 3.0.

[Jingle]

Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Interview du coordinateur de l’association Infini

Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec une interview d’Infini, une association brestoise engagée dans la promotion des logiciels libres depuis de nombreuses années.
François, coordinateur d’Infini, est avec nous aujourd’hui pour nous parler notamment de l’actu estivale de l’association et pas que, une association qui ne part pas vraiment en vacances, comme on le verra.
François intervient à distance aujourd’hui, déjà je le salue. Bonjour François.

François : Bonjour.

Isabella Vanni : Merci de participer à notre émission pour parler d’Infini et de ses actions. La dernière fois qu’on a eu le plaisir d’accueillir Infini c’était en 2020, pour parler d’accompagnement à l’utilisation des logiciels libres. Je pense que c’est bien de rappeler ce qu’est Infini, je te laisse la parole pour la présenter.

François : Rapidement. Infini est une très vieille association qui a été créée en 1995 par des passionnés d’informatique et d’Internet et qui a pour objectif de faire la promotion des logiciels libres, d’un Internet émancipateur, de rendre les gens autonomes sur toutes ces nouvelles technologies.

Isabella Vanni : C’est une association qui a son siège à Brest.

François : Oui, c’est très implanté localement.
On a deux principales activités :
on fait de l’hébergement de sites internet, adresses e-mail, mailing lists, pour des associations locales essentiellement, même si on a aussi des gens très loin, dans les Maldives, mais la plupart des gens sont sur Brest/Finistère ;
on a aussi une activité plus orientée sociale. On va dans les centres sociaux ou avec les gens du voyage pour essayer de casser la fracture numérique et pour commencer, aussi avec ces gens-là, de parler un peu de logiciel libre, des alternatives aux GAFAM et tout ça.

Isabella Vanni : Quand tu dis que vous hébergez des sites web d’associations, etc., ces associations doivent-elles être membres d’Infini pour pouvoir profiter de ces services ?

François : Exactement. C’est réservé aux adhérents mais l’adhésion est à prix libre. On recommande 30 euros pour les particuliers, 90 euros pour les associations, mais pour une petite association qui vient de se créer, qui n’a pas encore de compte, on accepte une adhésion à un euro sans problème. On va demander aux associations qui utilisent beaucoup nos services de participer un peu plus, puisqu’à peu près la moitié du budget d’Infini vient des adhésions, et ça correspond à peu près à la moitié de mon salaire, du coup, puisque je suis salarié chez Infini.

Isabella Vanni : Oui, c’est bien de le rappeler. On a la chance d’avoir beaucoup d’associations, en France, de promotion du logiciel libre, mais ce n’est pas le cas de toutes les associations d’avoir un modèle financier qui permet d’avoir un ou plusieurs salariés. Est-ce que l’association Infini est une association employeuse depuis ses débuts ?

François : Je ne sais pas si c’est depuis le début, mais, au moins depuis une vingtaine d’années, il y a toujours eu une ou un salarié, essentiellement aussi grâce à l’aide de la ville de Brest, du Finistère, de la région Bretagne qui ont porté le projet et soutenu les logiciels libres assez tôt, en fait, dans l’histoire de l’informatique.

Isabella Vanni : C’est bien de le dire parce que ce n’est pas forcément le cas pour toutes les collectivités, ça dépend vraiment des personnes, des décideurs qui sont dans les différentes collectivités.
Tu disais que tu es salarié, d’ailleurs aujourd’hui tu me disais que tu es en reconversion. Tu peux nous en dire plus ?

François : Rapidement. En fait, je suis développeur à la base. Du coup, quand Infini a posté une annonce, en juillet dernier, j’ai candidaté pour essayer le travail en association et pour faire la promotion des logiciels libres en vrai, tous les jours.

Isabella Vanni : Du coup, tu me disais qu’aujourd’hui tu n’écris pas de code.

François : Non, je ne fais pas du tout de technique, je suis coordinateur. Idéalement, mon travail c’est de mettre en relation les bénévoles, puisqu’on fonctionne avec une vingtaine de bénévoles actifs. Ce sont eux et elles qui écrivent le code, qui sont sysadmins, qui font la communication, qui font la gestion de la comptabilité. Toute l’association est gérée par des bénévoles et mon poste, idéalement, c’est de la coordination, c’est de dire à tel bénévole qu’il faudrait parler à tel autre bénévole ou à tel partenaire local. En pratique, je fais beaucoup ça et je fais aussi tout ce que les bénévoles ne peuvent pas ou ne veulent pas faire et qui fait marcher l’association, par exemple les demandes de subvention ou des choses comme ça.

Isabella Vanni : Ça ne m’étonne pas qu’ils n’aient pas envie de faire la recherche de subventions. En fait, tu es un facilitateur des échanges.
On disait qu’Infini est très bien implantée, très enracinée à Brest, dans le Finistère, même s’il y a d’autres d’associations membres qui peuvent être ailleurs, mais c’est vraiment très localisé. Tu disais que vous avez l’appui de la ville, du département, de la région et vous êtes très connus par les associations locales. Peux-tu nous dire à peu près combien de membres et associations vous avez ?

François : Je pense qu’on doit avoir entre 200 et 300 associations locales hébergées chez nous soit pour leur site internet soit pour leurs mails. En gros, on a tous les centres sociaux, tous les patronages laïcs, beaucoup d’associations de théâtre, de peinture, différents domaines culturels, dans l’écologie. Nous sommes vraiment très connus localement, on participe à beaucoup de salons, à diverses activités, on est aussi beaucoup en contact avec les fablabs. En gros, tous les gens qui veulent s’héberger à Brest viennent chez nous, soit pour le côté logiciel libre, soit, certains, juste pour être hébergés localement et ne pas avoir des serveurs éloignés.

Isabella Vanni : Donc aussi pour une question de sécurisation des données.
Je crois que Laurent veut faire une intervention.

Laurent Costy : Je crois que la Fédération régionale MJC de Bretagne/Pays de la Loire a des listes Sympa chez vous et trouve ça très pratique.

François : Plusieurs centaines de milliers de mails partent tous les jours via les listes Sympa.

Isabella Vanni : Je crois qu’on a fait un peu le tour de la présentation, mais je voulais vraiment qu’on parle aussi de toutes les actions que vous avez en vue pour l’été, dans les mois à venir. Est-ce que tu peux en parler, parce que, là, ne vous partez pas du tout en vacances !

François : On va s’organiser quand même pour faire des choses.
Du coup, ça va faire un petit peu liste : pour commencer, le 20 juin, donc dans trois/quatre jours, à la médiathèque Les Capucins, on participe à une install-party qu’on coordonne avec la plus grosse médiathèque de la ville de Brest qui est la médiathèque Les Capucins.

Isabella Vanni : Une install-party c’est pour aider les personnes, accompagner les personnes à installer un système d’exploitation libre et d’autres logiciels libres.

François : Installer ou juste répondre à des questions à des gens qui ont entendu parler de Linux ou des choses comme ça.
Le 27 juin, on organise un grand barbecue dans nos locaux et tous les gens qui nous écoutent en ce moment sont invités à venir s’ils peuvent. Il faut apporter un petit peu à manger, un petit peu à boire et puis, s’il fait beau, on va rester tard discuter logiciels libres, Internet émancipateur, et on va changer le monde !

Isabella Vanni : Sur le webchat, on me demande si vous avez prévu des options végés.

François : On a plusieurs végans chez Infini, donc il y aura du végé, c’est sûr.

Isabella Vanni : Cela pour dire que les associations de promotion du logiciel libre ce n’est pas que de la technique, c’est aussi et surtout de l’humain. C’est bien d’avoir ces moments conviviaux pour pouvoir parler, se rencontrer, c’est aussi beaucoup plus simple pour poser des questions.
Nous allons continuer notre liste, François.

François : Le 28 juin, on va faire un petit atelier avec S2S, qui est un chaton comme nous, qui a un PeerTube spécialisé pour les malentendants, avec de la langue des signes. On voulait les inviter au départ, mais on n’a pas trop le budget, pour l’instant on fait juste un petit atelier, ça sera quand même un atelier sympa le 28 juin. On envisage, plus tard, de faire une vraie conférence et de les inviter à venir.

Isabella Vanni : C’est une action très importante et je suis obligée de te demander ce qu’est un chaton.

François : Je voulais en parler à la présentation. Infini fait partie du Collectif CHATONS, un collectif d’hébergeurs, je ne connais plus l’acronyme par cœur [Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires]. En gros, ce sont un peu toutes les associations comme Infini, Framasoft, ou d’autres moins connues – Deuxfleurs, TeDomum – qui vont proposer de l’hébergement en garantissant qu’il n’y a pas de collecte de données, qu’on utilise un maximum de logiciels libres et qu’il n’y aura pas d’usage commercial de tout ce qui est sur leurs serveurs.

Isabella Vanni : Il n’y a pas que de l’hébergement, il y a plein de services, des services en ligne, alternatifs à ceux des GAFAM.

François : Il y a des réseaux sociaux, du fediverse. Mastodon, par exemple, est installé chez plusieurs chatons, des PeerTube, des Mobilizon ; tous les logiciels libres du fediverse sont souvent hébergés par des chatons.

Isabella Vanni : PeerTube, ce sont des plateformes pour partager des vidéos. Mobilizon sert à organiser des événements, c’est une belle alternative par exemple Facebook.
Continuons notre liste, on n’a pas beaucoup de temps.

François : Le 18 juillet, on va faire un petit atelier-apéro pour libérer son téléphone, pour discuter de la façon dont on peut moins dépendre de Google sur un téléphone et commencer à donner des pistes aux plus curieuses et aux plus curieux sur ce sujet-là.
Ensuite, on va participer au camp CHATONS cet été.
Et dernière chose de l’été, avant de passer à l’automne, on va participer à quelque chose qui est organisé au Centre social des Abeilles, à Quimper, qui s’appelle Pas Sage en Steïr, un grand rassemblement qui se veut un peu à la façon Pas Sage en Seine, en gros des conférences, des ateliers. Beaucoup de monde vient, des gens que vous connaissez déjà.

Isabella Vanni : L’April aussi.

François : Oui, Bookynette vient.

Isabella Vanni : Notre présidente.

François : Tous les gens que vous avez déjà vus en conférence sur un PeerTube seront là ou presque, ce sont les 21, 22 et 23 août. On va participer parce que nous sommes assez amis avec les gens du Centre social des Abeilles.

Isabella Vanni : Par la proximité aussi.
Malheureusement on n’a plus de temps. Je sais que tu voulais parler aussi d’un anniversaire très important.

François : Ce sont les 30 ans d’Infini cette année. De toute façon, je n’ai pas grand-chose d’autre à dire sinon qu’en septembre et en octobre, il faudra aller notre site internet, même un peu avant, on va organiser plein de choses pour fêter ça.

Isabella Vanni : Et on va les annoncer sur la radio, de toute façon, on va les annoncer dans notre émission.

François : Ça marche !

Isabella Vanni : Merci beaucoup François et bon été.

François : Merci. Au revoir.

Isabella Vanni : Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Isabella Vanni : Les liens utiles concernant les annonces de fin sont sur la page consacrée à l’émission du jour, libreavous.org/251, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez un podcast.

Ce sont les tout derniers jours pour répondre au questionnaire pour mieux connaître l’auditorat de Libre à vous !, une action qui ne vous prend que cinq minutes mais qui est très précieuse pour l’April. Ne tardez pas, le questionnaire sera clos mercredi 18 juin au soir.

Nous organisons une réunion de bilan de la saison 8 de Libre à vous ! et de préparation de la saison 9, vendredi 27 juin de 10 heures 30 à midi. La réunion aura lieu en visio, elle est ouverte à toute personne qui souhaite participer.

L’association Le deuxième texte organise un atelier Wikisource Autrices samedi 21 juin de 11 heures à 18 heures à la librairie-café Violette and Co, à Paris dans le 11e. Wikisource est la bibliothèque collaborative d’ouvrages dans le domaine public. Le but des ateliers proposés par Le deuxième texte est de rééquilibrer l’écart des genres sur la plateforme.

Je vous invite à consulter de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec le logiciel libre et la culture libre près de chez vous.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Laurent Costy, Régis Perdreau et Laure Patas d’Illiers de l’association la Mouette, François d’Infini.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Frédéric Couchet.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent le podcast complet des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui qui sont bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/251, toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez en podcast.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Vous pouvez également nous poser toutes questions et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse bonjour chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez mis cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 24 juin à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur le Parcours libriste d’une salariée de l’April et il se trouve que ce sera moi !

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 24 juin et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.