Émission Libre à vous ! diffusée mardi 13 mai 2025 sur radio Cause Commune Sujet principal : Au café libre


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous et bienvenue dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Nous vous convions aujourd’hui Au café libre où nous discuterons des actualités autour du logiciel libre et des libertés informatiques. Également au programme, une nouvelle « Lecture buissonnière » de Vincent Calame, La guerre de l’information et, en fin d’émission, rediffusion d’une chronique d’Antanak sur l’identité numérique.

Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 13 mai. Nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. J’en profite pour saluer celles et ceux qui nous écoutent peut-être en rediffusion sur Radio Cigaloun ou sur Radios Libres en Périgord.

À la réalisation de l’émission, Julie Chaumard. Salut Julie.

Magali Garnero. : Bonjour.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame, sur l’ouvrage La guerre de l’information de David Colon

Étienne Gonnu : Nous allons commencer par une nouvelle « Lectures buissonnières » de Vincent Calame ou comment parler du Libre par des chemins détournés en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés.
Salut Vincent.

Vincent Calame : Bonjour.

Étienne Gonnu : Aujourd’hui, je crois que tu souhaites nous parler de La Guerre de l’information de David Colon.

Vincent Calame : Exactement.
David Colon est un historien, chercheur et professeur à Sciences Po, spécialiste de la communication de masse. Il se trouve que j’ai assisté à une conférence grand public à laquelle il participait à la bibliothèque Melville, dans le 13e arrondissement, métro Olympiades, je fais un peu de publicité au passage, au cours de laquelle il a dit beaucoup de mal de Facebook et de X, ce qui, vous le comprenez, me l’a rendu tout de suite sympathique. J’ai donc voulu en savoir plus et lire son ouvrage.
Évidemment, si j’en fais une chronique aujourd’hui, c’est que je l’ai trouvé très intéressant et que je vous en conseille la lecture. L’ouvrage est un vrai travail d’historien qui ne se contente pas de traiter de l’actualité des dernières années mais remonte quelques décennies en arrière. C’est d’ailleurs sur cette partie « Historique » que je vais me concentrer dans ma chronique.

En effet, David Colon commence son ouvrage par ce qu’il considère comme l’évènement déclencheur de la guerre de l’information : la première guerre du Golfe de 1991, celle qui opposa une large coalition menée par les États-Unis aux troupes irakiennes de Saddam Hussein qui avaient envahi le Koweït. Bien sûr, propagande et désinformation n’ont pas attendu 1991 pour être utilisées par les belligérants au cours d’un conflit, le 20e siècle abonde d’exemples que cite, par ailleurs, David Colon. Mais la première guerre du Golfe est la première guerre diffusée en direct, ce que permet la télévision par satellite et où une chaîne particulière va jouer un rôle essentiel, CNN, le modèle de la chaîne d’information en continu. Créée en 1980, elle est spécialisée dans la diffusion non-stop d’évènements et est devenue un acteur incontournable de l’information mondiale. Preuve de son poids, le journaliste de CNN est le seul journaliste occidental autorisé à demeurer à Bagdad au cours de la guerre. Les officiels du gouvernement de Saddam Hussein passeront par ce canal pour tenter de s’adresser au public mondial.
Cependant, la première guerre du Golfe se caractérise surtout par une réflexion très poussée de l’armée étasunienne sur la manipulation de l’information. Il était hors de question de reproduire le précédent de la guerre du Vietnam où les journalistes possédaient une très grande liberté d’action et montrèrent la réalité de la guerre – que l’on songe à la célèbre photo de la petite fille brûlée au napalm qui fit la une du New York Times. Ici, les journalistes furent « embarqués » dans les unités pour les plus chanceux ou confinés dans des centres de presse pour les autres. Jamais un conflit n’avait été couvert par autant de journalistes et de médias avec aussi peu de sources diversifiées d’information.

Toujours est-il que cette maîtrise de l’information, aussi bien en amont pour ce qui est de l’acception de la guerre par les opinions publiques qu’au cours des opérations, fut un succès qui va faire réfléchir tous les gouvernements du monde qu’ils soient alliés, neutres, simples concurrents, anciens ou nouveaux adversaires des États-Unis. Chacun va développer sa chaîne d’information au cours des années 1990. La réussite la plus éclatante est la chaîne Al Jazeera qui va placer le Qatar sur la carte mondiale, bien avant le mondial de football, et qui va jouer un grand rôle après le 11 septembre 2001. Je n’ai pas la place, aujourd’hui, de développer sur cette période. Rappelons que la deuxième guerre du Golfe et l’invasion de l’Irak furent aussi un sommet de manipulation de l’opinion avec les fameuses « Armes de destruction massive » prétendument détenues par Saddam Hussein. Je pense que le discrédit général dont souffrent les médias doit beaucoup à cette période.

Un autre intérêt de l’approche de David Colon est d’aborder le sujet par le prisme des doctrines militaires. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si son ouvrage a reçu un prix organisé par l’Armée de terre française. En effet, les doctrines militaires se déploient sur le temps long. Au début, elles ne sont l’affaire que de spécialistes et elles infusent lentement dans tout l’appareil d’État. Elles sont révélatrices de la paranoïa et de la volonté de puissance des uns et des autres.
Paradoxalement, alors qu’elles concernent des guerres secrètes, elles sont assez limpides et annoncent la couleur. Par exemple, dans les années 90, les États-Unis développent le concept de « domination informationnelle » dont l’intitulé veut tout dire. On parle même de « complexe militaro-informationnel », nouvelle version du complexe « militaro-industriel ».

En 1999, deux officiers de l’armée chinoise publient La Guerre sans limites qui date de la première guerre du Golfe, l’apparition d’un nouveau type de conflit, je cite David Colon, « dans lequel les belligérants n’utilisent plus uniquement la force armée pour obliger l’adversaire à se soumettre à leur volonté, mais « tous les moyens », y compris informationnels, « pour contraindre l’ennemi à accepter leur intérêt ». La frontière séparant militaires et non-militaires est dorénavant abolie : le champ de bataille est désormais situé partout. » Cela date de 1999 et n’a pas pris une ride. Cette notion de « guerre sans limites » est très importante car, dans les premières définitions de la guerre de l’information, celle-ci intervenait en complément du conflit conventionnel et comprenait aussi bien la destruction des infrastructures ennemies que l’action sur le moral. Dorénavant, la dimension psychologique devient fondamentale : il s’agit de gagner la guerre sans la mener.
En matière de doctrine, ce sont cependant les Russes, forts de l’expérience du KGB pendant la guerre froide, qui vont pousser le plus loin la réflexion et qui, surtout, vont mettre en action cette doctrine. Je vous propose d’aborder cela dans la suite de ma chronique, le mois prochain.

Avant de rendre le micro, vous remarquerez qu’à aucun moment je n’ai parlé d’Internet et que je me suis cantonné aux années 1990. C’est ce que j’ai trouvé d’éclairant dans l’ouvrage de David Colon : Internet, et surtout les réseaux sociaux, ont donné à la guerre de l’information une ampleur inimaginable, mais tout était en germe dans les décennies précédentes, cela n’est pas sorti de nulle part.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup Vincent pour cette perspective historique sur un sujet dont on peut difficilement dire qu’il n’est pas d’actualité. Il me tarde d’écouter la suite de la chronique, le mois prochain donc.

Vincent Calame : Exactement.

Étienne Gonnu : Parfait. Merci beaucoup.
À présent nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale, nous vous donnons rendez-vous Au café libre pour discuter des actualités autour du logiciel libre et des libertés informatiques.
Avant cela nous allons écouter Lemony par Minda Lacy. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles

Pause musicale : Lemony par Minda Lacy.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Lemony par Minda Lacy, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
J’avais eu le grand plaisir d’interviewer cette artiste, en 2022, pour une émission spéciale Fête de la musique libre, elle y parle notamment de l’écriture de ce morceau. Un échange à retrouver sur la page de l’émission 148, libreavous.org/148.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet principal

[Virgule musicale]

Au café libre : débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques

Étienne Gonnu : Bienvenue Au café libre où nous allons discuter des actualités autour du logiciel libre et des libertés informatiques.
Avec moi, autour de la table, une équipe de choc. De droite à gauche Bookynette, libraire et infatigable présidente de l’April. Salut Booky.

Bookynette : Salut Étienne.

Étienne Gonnu : Pierre Beyssac, informaticien, libriste de longue date et fondateur d’eriomem.net, un service de stockage de fichiers. Salut Pierre.

Pierre Beyssac : Bonjour tout le monde.

Étienne Gonnu : Et enfin Vincent Calame, informaticien, bénévole à l’April, qui, entre deux chroniques pour Libre à vous !, s’occupe du site web de l’émission et de la base de données des musiques libres que nous diffusons. Salut Vincent.

Vincent Calame : Salut à nouveau.

Étienne Gonnu : N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Toutes les références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous.org/247.

Un printemps avec de nombreux beaux évènements libristes

Étienne Gonnu : Pour commencer, je vous propose de parler de choses plutôt réjouissantes, mai et juin étant une période très riche en événements libristes. Je vous propose une petite liste non-exhaustive :
le 15 mai, Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre à Lyon
24/25 mai, Journées du Logiciel Libre à Lyon toujours
le Faire Festival du 22 au 24 mai à Toulouse
une rencontre April, le 30 mai, dans notre local, à Paris
les Geek Faëries, du 6 au 8 juin, à Selles-sur-Cher
du 13 au 15 juin, un congrès OpenStreetMap France, le State of the Map, à Tours
donc déjà une belle proposition et plein d’autres à retrouver sur l’agendadulibre.org.
Première question : est-ce que vous serez certains de ces événements. Booky, tu parleras en dernier parce que je sais que la réponse sera oui plusieurs fois. Vincent, as-tu prévu d’être présent ?

Vincent Calame : Oui, aux JdLL, aux Journées du Logiciel Libre à Lyon, pour une conférence où je vais justement présenter le logiciel qui est derrière la base de données des musiques libres. Je vais prendre la base de données des musiques libres comme exemple en espérant que ça créera des vocations et des propositions. Ce sera dimanche à 13 heures, malheureusement en même temps que ta conférence, c’est mal tombé. Je ferai l’aller-retour dans la journée, mais j’aurai aussi le plaisir d’aller voir des stands, je pense qu’il y aura un stand de l’April.

Étienne Gonnu : Oui, il y aura un stand de l’April. Dans la plupart des événements que j’ai cités, je crois qu’il y aura un stand de l’April, dans « Quoi de Libre », en fin d’émission je récapitulerai.
Je propose effectivement une conférence très sérieuse sur l’action de plaidoyer politique intitulée « Député·es, attrapez les toustes », que j’ai déjà eu le plaisir de présenter à Toulouse, je m’étais bien marré à la faire, j’ai donc eu envie de la proposer à nouveau.
Tu connais les JdLL ? C’est vrai que c’est un des principaux événements libristes en France.

Vincent Calame : Je ne connais pas la nouvelle formule à l’ENS [École normale supérieure], je connaissais à l’ancien lieu, en tout cas ça a toujours été très sympathique. Et puis Lyon est une belle ville, avoir l’occasion d’y aller ça fait toujours plaisir. C’était dans un autre lieu, mais il y avait du monde, ils drainaient beaucoup de personnes.

Étienne Gonnu : Oui, avec le Capitole du Libre à Toulouse, qui est plutôt en fin d’année, ça fait vraiment partie de ces événements où il y a beaucoup de monde, ce sont de beaux événements libristes, c’est vrai.
Pierre.

Pierre Beyssac : Cette année, je fais mon gros flemmard, je reste tranquille ce printemps. Je suis allé aux JdLL, à Lyon, l’an dernier, le parc de l’ENS est magnifique, c’est splendide, rien que pour le parc, c’est super agréable et puis, évidemment, dans les conférences il y a toujours des choses intéressantes.
À State of the Map, il y a plein de contributions. Ce n’est pas un truc de gourous de la cartographie, il faut voir que c’est plutôt une réunion de contributeurs OpenStreetMap, c’est très ouvert, il y en a pour tous les niveaux, ça permet de découvrir plein d’usages des cartographies libres, des choses complètement inattendues. Je pense que je vais suivre au moins les replays, en général c’est disponible en ligne après, la plupart des conférences diffusent les vidéos, donc je ferai ça, parfois c’est également diffusé en direct.

Étienne Gonnu : Cet évènement a un format de congrès, si je ne me trompe pas. Est-ce que c’est ouvert aux contributeurs/contributrices ou vraiment n’importe qui d’intéressé peut venir ?

Pierre Beyssac : N’importe qui peut venir. Je crois que l’entrée est libre ou, s’il y a une participation aux frais, ce n’est vraiment pas cher, ce ne sont pas des conférences réservées aux professionnels, c’est plutôt le style universitaire, en général c’est dans des universités, là c’est l’Université de Tours.

Étienne Gonnu : Si on est intéressé par OpenStreetMap, qu’on est pas encore membre de la communauté, qu’on aimerait la découvrir, ça peut être une bonne occasion de le faire.

Pierre Beyssac : C’est une excellente entrée en matière. Les gens qui sont dans la région de Tours, allez-y, profitez-en et ceux qui ont la possibilité de faire le voyage, ça vaut le coup.

Étienne Gonnu : Je rappelle que c’est effectivement à l’Université de Tours les 13 et 15 juin.
Bookynette, je sais que tu seras présente à plein d’événements, peut-être que ça ira plus vite si tu nous dis là où tu ne seras pas. La période riche en événements met en joie.

Bookynette : Je ne serai pas au State of the Map à Tours et je ne serai pas au Faire festival, du 22 au 24 mai, à Toulouse, parce que ça tombe un peu en même temps que les JdLL où, moi aussi, je ferai une conférence. Ça ne sera pas vraiment une conférence, ça sera une table ronde pour parler de podcast. Isabella, de l’April, sera là pour parler justement de Libre à vous !. Il y aura d’autres gens comme Benjamin Bellamy, que vous connaissez, comme Walid avec qui on va faire un enregistrement April dans les mois à venir et un autre monsieur dont j’ai oublié le prénom, je suis désolée, il n’a qu’à répondre à mes mails, peut-être que c’est Cédric, mais je n’en suis pas sûre.

Pierre Beyssac : La balance ! L’appel est passé.

Bookynette : Donc les JdLL.
Le Faire festival, c’est organisé à Toulouse, je n’y serai pas.
Je voulais surtout parler des RPLL, les Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre qui ont lieu jeudi 15 mai, c’est-à-dire dans deux jours.

Étienne Gonnu : Dans deux jours, si vous écoutez en direct et il y a x jours si vous écoutez en podcast.

Bookynette : J’aurai l’honneur de présenter l’April avec une des administratrices qui s’appelle Françoise Conil. On a choisi un titre qui tape « Adhérer à l’April c’est faire preuve d’un engagement fort et visible au logiciel libre », waouh, super titre, en espérant qu’on aura du monde.
Le dernier événement dont j’ai envie de vous parler, ce sont les Geeks Faëries. C’est un événement qui n’a pas du tout un air libriste, ce sont plutôt des geeks, pas des geeks de l’informatique, des geeks de l’imaginaire, qui se réunissent pour parler de plein de choses, mais aussi pour faire des jeux de société, pour jouer toute la nuit, pour faire de la musique, pour faire du dessin, pour écrire des textes, pour faire plein de choses, pour rencontrer aussi des auteurs, des auteurs assez cotés sont parfois venus. Il y aura un village du Libre, comme à chaque fois, sauf l’année dernière puisqu’il n’y a pas eu d’événement. On va faire du jeu de société pour découvrir les logiciels libres et l’intelligence artificielle.

Étienne Gonnu : Ah ! On ne peut pas y échapper même aux Geeks Faëries !

Bookynette : On ne peut pas y échapper ! On a fait un petit jeu assez amusant, à base de questions/réponses et chacun choisit la réponse. Des fois c’est drôle, des fois c’est vrai, des fois ça peut être sexiste. On a testé le jeu et manifestement, suivant les réponses, ça peut être sexiste, malheureusement ! Ce sera sous forme de jeu et c’est surtout pour aborder des sujets qui ne sont pas forcément connus par les participants et participantes du salon et pour répondre à leurs questions.
Je crois qu’on aura aussi une petite conférence, mais je ne sais pas encore à quel horaire.

Étienne Gonnu : Est-ce que je me trompe si je dis que cet événement est un de tes chouchous ?

Bookynette : Oui, c’est possible. J’aime bien me costumer pour y aller, donc, en plus, c’est l’occasion de faire la fête.

Étienne Gonnu : Je n’y suis pas encore allé, mais j’ai très envie d’y aller quand je pourrai, à chaque fois ça tombe sur des périodes, bref, qu’importe, mais je crois que c’est un événement super pour y aller en famille.

Bookynette : C’est génial. Pour information, c’est toujours le premier week-end du mois de juin, souvent il fait beau, il y a vraiment plein d’animations et c’est vrai qu’il y a pas mal d’enfants, il n’y a pas beaucoup d’enfants mais quand même pas mal qui tournent et qui n’ont pas l’air de s’ennuyer. Je pense qu’on peut effectivement y aller en famille. Il faut attendre que l’enfant sache lire.

Étienne Gonnu : Je répète, du 6 au 8 juin à Selles-sur-Cher.
Donc beaucoup de beaux événements. Il y en a plein qu’on a pas cités qui sont peut-être de dimension plus locale, on pourrait passer toute l’émission à les citer, vu le nombre d’événements.

Pour des raisons exceptionnelles, le festival PSES 2025 ne se tiendra pas cette année et ne se tiendra certainement plus

Étienne Gonnu : Il y a un événement qui, habituellement, a lieu en juin, un très bel événement libriste également, qui est à Pas Sage en Seine, qui a habituellement lieu à Choisy-le-Roi. Nous tenions à dire un mot de soutien aux organisateurs et aux organisatrices de cet événement parce qu’il a été annulé cette année et visiblement les années à venir également suite à des problèmes de harcèlement sur lesquels ils ont effectivement communiqué. Tout notre soutien. Je ne sais pas si vous aviez envie de partager un mot.

Bookynette : Je suis un peu triste parce que c’est un événement qui avait lieu juste avant l’été, sur Paris. Entre cet événement-là et Open Source Summit Paris, ça nous faisait deux événements en milieu d’année et puis c’était l’occasion de parler de logiciel libre dans une médiathèque. Je suis un peu triste que ça n’ait pas lieu, mais je comprends totalement la réaction des organisateurs, on leur envoie des poutous.

Vincent Calame : Rappelons que tout cela repose sur des forces bénévoles. Il y a à la fois un épuisement sur la durée et aussi une plus grande sensibilité. Je ne connais pas du tout les détails, mais il faut aussi rappeler que tout cela tient grâce à des engagements bénévoles et il faut vraiment, quelle est l’expression, « être bienveillant ». Je crois vraiment que la bienveillance vis-à-vis des bénévoles est très importante là-dessus.
Je vais jouer mon parigot, mais on peut effectivement poser la question des événements à Paris quand on voit ce que font Lyon et Toulouse. Il y a Open Source Summit. En décembre, avec Parinux, on a lancé un événement à la Cité des sciences, mais la question d’événements à Paris se pose effectivement. Il y a quand même du monde, il va falloir qu’on se retrousse tous les manches là-dessus.

Étienne Gonnu : Pierre.

Pierre Beyssac : Je vais dire un peu la même chose que Vincent. Pas Sage en Seine c’était à Choisy-le-Roi, un endroit super facile d’accès pour les Franciliens, juste à côté de la gare, le RER D, on va dire.
Après, organiser une conférence c’est du boulot, c’est pas mal de pression, c’est vraiment du gros boulot et là, apparemment, il y a un épuisement de l’équipe plus des guerres fratricides, je ne vais pas rentrer dans les détails parce que ce n’est pas forcément passionnant de creuser, il y a eu beaucoup de bisbilles. Il y a eu des hauts et des bas et, malgré ça, l’événement continuait grâce au courage des organisateurs à assurer le suivi. J’espère qu’ils pourront reprendre un peu des forces et si PSES pouvait reprendre ça serait l’idéal, mais ils n’ont pas l’air optimistes au vu de leur communiqué pour cette année.

Étienne Gonnu : C’est sûr. En tout cas, on leur souhaite le meilleur et de prendre soin d’eux et d’elles, c’est le plus important.
Booky.

Bookynette : Je vais troller. Il suffit de recommencer à organiser des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre et de les faire sur Paris, c’est tout !

Étienne Gonnu : À force de le dire !

Vincent Calame : Nous ne sommes pas le 1er avril ! C’était dans les annonces du 1er avril et je crois que ça a vraiment déçu beaucoup de monde que ce soit le 1er avril !

Étienne Gonnu : Je vous propose de passer à notre sujet suivant.

[Clochette]

Emmanuel Macron appelle l’Europe à recouvrer sa souveraineté technologique

Étienne Gonnu : « Il n’y a pas de vassalité heureuse », disait Emmanuel Macron, c’était l’appel d’Emmanuel Macron à recouvrer la souveraineté technologique. C’est le titre de ZDNET que j’ai un peu bricolé, publié le 6 mai dernier et, parmi les propos relayés, je cite : « Il n’y a pas de vassalité heureuse — a rappelé le chef de l’État. Il peut y avoir un côté agréable à ne pas faire l’investissement qui suppose de redevenir indépendant. Mais à la fin, on finit toujours par le payer. » Petite parenthèse : c’est dommage que le président actuel n’écoute pas ses propos ! Je continue de citer : « Nous ne pouvons pas dépendre de quelques entreprises américaines pour avoir un véritable cloud parce qu’il en va aussi de l’intérêt général. ». Sur le principe, je suis tout à fait d’accord.
Une autre titre d’un autre article de ZDNET toujours, qui date du 30 avril : « La dépendance de l’Europe au cloud américain lui coûte cher », qui cite un chiffre parlant : « Le Cigref estime à 264 milliards d’euros les achats annuels de service cloud des Européens auprès des fournisseurs US, dont environ 66 pour la France. » Le Cigref est un consortium de grandes entreprises, pour avoir aussi cet aspect.
Qu’est-ce que cela vous évoque quand vous entendez Emmanuel Macron dire qu’il n’y a pas de vassalité heureuse et que c’est effectivement un problème qu’on dépende de grandes entreprises américaines pour avoir un véritable cloud et que c’est une question d’intérêt général.
Pierre.

Pierre Beyssac : Je suis partagé. J’ai un peu pouffé quand j’ai lu qu’Emmanuel Macron disait qu’on n’a pas de véritables clouds européens. Les clouds étasuniens sont effectivement mis en avant, ils ont la force marketing, la puissance, etc., le politique parle beaucoup d’eux, peut-être même trop. Ça masque l’existence d’alternatives européennes, libres ou pas, il n’y a pas que du Libre, il y a aussi des initiatives privées, mais on a quand même des gros hébergeurs en France, un certain nombre, on a de l’activité. Il est d’usage, en France, d’avoir des complexes d’infériorité « ce n’est quand même pas au niveau des gros américains, ce sont vraiment des pros, etc. ». Parfois, ça demande éventuellement des efforts d’adaptation, la souveraineté ce n’est jamais gratuit, c’est ce que je dis. Si on veut du facile, c’est effectivement plus facile d’aller au plus visible, au mieux marketé, mais, dans ce cas-là, il ne faut pas pleurer quand on voit que les prix augmentent, X 3 du jour au lendemain, comme certains ont pu le faire et comme certains vont certainement continuer à le faire. Ça réclame des efforts. Je trouve quand même bien qu’il y ait une prise de conscience politique à ce niveau-là. Il y avait eu, il y a quelques années, une initiative de Bruno Le Maire, une sorte de blanchiment des clouds étasuniens, disant « ne vous inquiétez pas » parce que les administrations et le CAC 40 avaient envie de pouvoir utiliser ça sans vergogne tout en étant protégés juridiquement.

Étienne Gonnu : Une sorte de système de certification et on dit que ça passe.

Pierre Beyssac : Oui, des sortes d’installations sur des réseaux, dans des data centers français, un peu mieux maîtrisés vis-à-vis des écoutes des services secrets américains, etc., mais c’était quand même de la technologie étasunienne de base. Ça couvrait un petit peu juridiquement les sociétés qui s’en servaient, mais c’était loin d’être idéal.
Ce n’est pas juste un problème français. Il faudrait aussi qu’on ne pense pas forcément que franco-français, qu’on essaye de monter des choses européennes. On essaie de le faire.

Étienne Gonnu : C’est le propos d’Emmanuel Macron.

Pierre Beyssac : Là, il n’y a rien à dire. On peut le critiquer pour beaucoup de choses, mais il faut reconnaître qu’au niveau européen il a, au moins en paroles, une vraie vision, une tentative de…

Étienne Gonnu : En paroles. Mais c’est bon, c’est un début !

Pierre Beyssac : Oui, en paroles, on va dire ça comme ça !
Sur l’actualité en question, c’était orienté sur la science européenne, notamment récupérer, séduire les chercheurs américains.

Étienne Gonnu : Le fameux slogan Choose Europe for Science.

Pierre Beyssac : Exactement. L’idée c’était de récupérer les talents américains de la recherche qui ont été virés comme des malpropres, du jour au lendemain, par Trump. Je sais que ça ne marche pas trop mal, en volume je n’en ai aucune idée, mais j’ai eu des retours plus ou moins improbables de centres de recherche français qui m’ont dit qu’ils avaient effectivement vu débarquer des chercheurs américains qui s’installent en France. Là aussi on a un sentiment d’infériorité en disant « en France, la recherche c’est mal payé, il n’y a pas beaucoup de moyens », mais on a quand même réussi à attirer des Américains, des chercheurs étasuniens qui sont prêts à venir pour continuer leurs activités de recherche parce que ce n’est plus possible là-bas.

Étienne Gonnu : Il y a donc de l’argent pour recruter des scientifiques.

Pierre Beyssac : Il y a quand même de l’argent, apparemment.

Bookynette : Et on a récupéré des chercheurs français qui étaient partis aux États-Unis et qui, du coup, reviennent en France

Vincent Calame : En informatique, la souveraineté technologique s’appelle le logiciel libre.

Étienne Gonnu : Je pourrais difficilement mieux le dire ! C’est un point important. On parlait des chiffres mis en avant pour le cloud, c’est tout le monde confondu, notamment l’utilisation qu’en font les entités privées. Effectivement, on ne peut que les pousser à utiliser du logiciel libre pour leur propre souveraineté, leur propre maîtrise. Ça va relever de leur choix souverain : vont-ils, ou pas, utiliser du logiciel libre ? Par contre, il y a tout l’enjeu aussi de quelle informatique et quel cloud utilisent les pouvoirs publics ? Là, effectivement, on a un enjeu politique de dimension quand même supérieure parce qu’ils sont détenteurs d’une mission de service public. La question est donc, selon nous, on l’a souvent répété, qu’on ne peut pas avoir de souveraineté réelle sans logiciel libre, il faudrait qu’il y ait une priorité au logiciel libre par les acteurs publics, et là on voit tout l’intérêt, notamment via l’achat public, d’un soutien des pouvoirs publics vers les tissus économiques locaux, vers les entreprises françaises/européennes qui font du logiciel libre et il y en a, il y en a quand même pas mal. C’est comme cela qu’on va consolider sur le long terme une informatique souveraine. Ça part de là et ça se fait au niveau européen.
Après, pour nous, si c’est du logiciel libre, je pense que ça transcende la question de la nationalité, même s’il y a parfois des enjeux de lois extraterritoriales, comme avec les États-Unis, qui peuvent poser d’autres soucis, mais on voit bien l’enjeu. D’ailleurs, une circulaire intéressante a été émise par Bercy, c’est NEXT qui en parlait, circulaire qui dit que les achats de services informatiques qui ne respectent pas les préconisations de la Direction interministérielle du Numérique, la DINUM, feront l’objet d’un refus en bonne et due forme de la part des agents de Bercy chargés du contrôle budgétaire et comptable, « sauf en cas de dérogation », c’est toujours un petit peu le petit trou, on dit loop hole.

Bookynette : Ah ! Une dérogation !

Pierre Beyssac : Il va y avoir du piston !

Étienne Gonnu : En tout cas, la Direction interministérielle du Numérique, la DINUM, avait bien dit qu’il fallait éviter les services clouds étasuniens.
Je ne sais pas quel est votre regard sur ce levier de l’achat public, la nécessité aussi de soutenir.

Vincent Calame : En France, on a souvent un problème : on adore avoir des champions nationaux de très grosse taille, alors qu’on a quand même d’autres modèles économiques en Europe, notamment en Italie, avec beaucoup plus de petites PME et tout un écosystème beaucoup plus varié. Je pense qu’on ne peut peut-être pas concurrencer les mastodontes des États-Unis, mais justement, en développant un modèle différent, plus proche du modèle italien ou rhénan, plus distribué, je pense que c’est l’option plutôt que de vouloir monter un champion national, ou même européen, qui n’arrivera pas à la cheville, qui sera toujours à la ramasse.

Étienne Gonnu : Je suis entièrement d’accord. Et on a aussi beaucoup le problème de la façon dont fonctionne la commande publique en France. C’est conçu d’une certaine manière, la procédure produit le fait que c’est beaucoup plus simple, pour des très gros, de répondre à ces candidatures et ensuite de sous-traiter derrière. On a un fonctionnement qui facilite les plus gros et je pense qu’on aurait vraiment intérêt à réfléchir à la façon de consolider des tissus locaux, des réseaux d’entreprises plutôt que d’avoir effectivement ces mastodontes, mais il y a ce rêve d’avoir des champions. Je suis assez d’accord.

Bookynette : Je rebondis tout de suite. C’est très bien d’avoir des entreprises françaises qui vont proposer du cloud, mais pourquoi pas la DINUM ? La DINUM a largement les moyens de proposer du cloud qui serait utilisé par les services des autres ministères, des autres administrations. Pourquoi aller faire appel à d’autres gens alors que nous pourrions avoir notre cloud, attention, je mets des guillemets, « souverain », hébergé par les services de l’État ?

Pierre Beyssac : Je ne sais pas si c’est vraiment dans les missions de la DINUM, parce que c’est quand même une grosse infra à déployer. Ce n’est pas une énorme infra, ce ne sont pas forcément des milliards, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient vraiment outillés pour exploiter un système de ce style qui nécessite quand même pas mal d’attention.

Bookynette : Dans ce cas-là chaque ministère propose un cloud pour son institution et pour les gens qui dépendent de lui. On peut très bien faire ça au niveau étatique, suivant les besoins, sans pour autant passer par d’autres. Je n’ai rien contre les entreprises françaises qui font du cloud, surtout si c’est du Libre, je vous aime, bisous, mais, à un moment donné, c’est à l’État de prendre ses responsabilités et de faire les choses bien.

Pierre Beyssac : Je sais qu’on a eu une externalisation avec une réduction des moyens techniques de l’État : il y a eu une réduction forte du nombre de techos, on prenait plutôt des gens qui géraient des appels d’offres, du coup. Si on veut inverser la tendance, ça va mettre du temps. La DINUM est déjà une brique, de ce que j’ai compris, dans ce sens-là, avec des gens qui sont techniquement compétents. Par contre, il faut avoir un levier au niveau moyens, je pense qu’ils n’ont pas des moyens infinis, ça va donc être compliqué.
Sur ce que disait Étienne sur l’achat public, je pense qu’on peut s’inspirer des États-Unis là-dessus parce qu’ils ne sont pas mauvais pour, justement, valoriser des petites boîtes ou des boîtes de taille intermédiaire plutôt que d’acheter chez des gros. Nous avons les marchés publics qui sont un système assez lourd, souvent. Beaucoup d’entreprises, effectivement, n’ont pas envie ou pas les moyens d’y répondre parce que ce sont des délais de paiement très longs, c’est beaucoup d’énergie pour faire un dossier, c’est beaucoup de chances aussi de se faire éjecter, donc ça induit des coûts de fonctionnement qu’il faut amortir en fait sur une grosse offre. Pour une PME, ce n’est pas forcément facile, ce n’est pas intéressant.
Pareil pour toutes les normalisations type SecNumCoud et compagnie qui permettent de garantir un certain niveau de qualité, des « labels de qualité », entre guillemets, mais qui sont assez coûteuses quand on n’a pas la masse critique pour passer l’audit, en fait, parce qu’il faut payer des consultants.

Étienne Gonnu : SecNumCloud c’est pour certains usages, on va dire pour certaines missions de service public. Bref. Ce label est impératif. C’est l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information qui définit les critères.

Pierre Beyssac : Je pense qu’ils doivent plus ou moins agréer des cabinets de consultants en mesure de vérifier la conformité au label. Je ne crois pas que l’ANSSI, l’Agence de sécurité, fasse elle-même la prestation.

Étienne Gonnu : Je pense qu’elle développe les critères, me semble-t-il.

Pierre Beyssac : C’est plutôt ça, je suppose en collaboration, en coopération avec l’industrie. Il y a effectivement un rôle important à jouer pour l’achat public. J’ai vu récemment qu’une administration s’est fait critiquer pour avoir choisi une petite entreprise plutôt qu’une grosse pour une prestation informatique. Je trouve plutôt bien qu’il y ait une ouverture vers un peu plus de diversité, littéralement c’est là aussi une question de diversité et, à mon avis, ça va plutôt dans le bon sens.

Étienne Gonnu : Je n’ai pas vu passer ça, mais c’est vrai que c’est tellement ancré dans les mentalités.

Pierre Beyssac : C’était peut-être autour de la DINUM, c’était peut-être une initiative de la DINUM. La DINUM, justement, a l’esprit très libriste par certains côtés, un peu startup/petites boîtes de l’autre, pour essayer d’être agile par rapport à tout un tas de rigidités ici et là, dans le public et dans le privé.

Étienne Gonnu : Juste pour rebondir par rapport à ce que disait Booky, c’est vrai que ce sont des questions assez complexes : savoir s’il faut internaliser les compétences au sein des structures, des administrations, ou si cela fait sens d’externaliser aussi parce que ça fait vivre des communautés, on sait que le logiciel libre fonctionne aussi par des communautés.
Une suite numérique a été proposée par la DINUM, pas spécifiquement bureautique mais essentiellement me semble-t-il, et on sait que ça a créé des tensions avec l’écosystème des entreprises du Libre qui disent « on a déjà ces compétences-là ». Donc le curseur n’est pas forcément si simple à poser, même si je te rejoins dans le fait de penser que c’est important qu’il y ait un minimum de compétences et de capacités au sein des administrations, ne serait-ce que pour avoir les personnes en mesure d’échanger avec les communautés et à contribuer aux communautés et aux projets libres, qu’elles ne soient pas juste des consommatrices passives. Il y a tout un sens à ce que les administrations soient actives au sein des communautés du logiciel libre.

Bookynette : Une dernière chose sur cet article, parce que j’ai lu des mots qui m’ont procuré une certaine jouissance, désolée pour le mot. Mais quand je lis « nous avons commis une erreur, nous avons eu tort », ça fait plaisir qu’ils le reconnaissent comme ça, pas à voix haute puisque c’est plutôt à l’écrit, mais oui, ils ont fait de la merde et je suis contente qu’ils s’en rendent compte, enfin.

Étienne Gonnu : Là on parle du fait qu’il faut investir, c’est une question d’intérêt général, on ne peut pas dépendre des entreprises américaines. J’ai forcément pensé au Health Data Hub, ce projet de grande plateforme qui regroupe toutes les données de santé pour permettre de la recherche, hébergée chez Azure de Microsoft. Très récemment, l’Éducation nationale a signé à nouveau, pour quatre ans, un accord open bar avec Microsoft sur un montant, je parle de mémoire, de 150 millions d’euros maximum, quand même des gros budgets et, en plus, cela concerne un périmètre un peu sensible puisque ça parle de l’informatique qu’utilisent les enfants.
Si cette situation compliquée, tendue avec les États-Unis, permet d’initier certaines remises en cause et réflexions de fond sur comment on se procure de l’informatique, je suis pour.
On avance ou vous avez encore un mot à dire ? Alors avançons.

[Clochette]

Délais de mise en œuvre et précisions sur l’obligation de certification des logiciels de caisse

Étienne Gonnu : Si vous suivez nos actions, vous savez que nous nous sommes mobilisés sur le dossier des logiciels de caisse. On l’avait d’ailleurs évoqué lors du dernier Au café libre sans avoir le temps d’en discuter, on va pouvoir prendre un peu ce temps-là.
Pour rappel, la loi de finances pour 2025 – il y a une loi de finance tous les ans en fin d’année – a créé une obligation de certification des logiciels de caisse. Un coup dur en particulier pour les logiciels libres de caisse pour qui la certification est très lourde et particulièrement mal adaptée. L’administration fiscale chargée de la mise en œuvre de cette réforme, avec qui l’April a eu l’occasion d’échanger, a publié la mise à jour de son Bulletin officiel des impôts, sa doctrine fiscale où elle précise comment elle va mettre en œuvre, justement, cette réforme.
Deux choses importantes à noter.
Déjà, il y a un délai d’application. À partir du 1er septembre les entreprises vont devoir montrer qu’elles ont engagé les démarches de certification et, à partir du 1er mars 2026, il faudra être certifié. On avait compris que ce deuxième délai, en fonction de ce qu’il est possible parce que les certificateurs vont évidemment avoir beaucoup de boulot, pourrait, si nécessaire, être repoussé. En tout cas, à partir du 1er septembre il faudra avoir engagé les démarches.
Et il est clarifié qu’à partir d’un moment où une version du logiciel est certifiée, n’importe qui peut se prévaloir de ce certificat si il ou elle utilise la même version du logiciel. C’est une précision importante pour les logiciels libres parce que ça permet ce qu’on peut appeler une sorte de certification au niveau de la communauté du logiciel libre, ce n’est pas chaque entreprise de son côté.
Rappelons enfin que ce qu’une loi a fait une autre peut le défaire. Nous agirons donc à nouveau à la prochaine loi de finances pour essayer de réinstaurer le modèle de l’attestation, beaucoup plus souple et adapté à la réalité du développement informatique. On a eu des échos favorables, on a eu des échanges avec des députés qu’on avait contactés qui seraient, à priori, partants et partantes pour porter de tels amendements.
Qu’est-ce que vous pensez de cette mise à jour ? On peut reparler du dossier de fond qui pose beaucoup de sujets, mais comment voyez-vous cette mise à jour du BOFiP, notamment les délais d’application ?

Bookynette : Je trouve effarants des délais aussi courts . Quand on voit que pour la mise en place de la facturation électronique on a dit « vous avez deux/trois ans pour la faire, mais là vous avez six mois, point. » Je trouve ces délais totalement débiles parce que ça ne correspond pas à la réalité et puis, surtout, ça va obliger des entreprises ou des associations à payer une certification qui, d’après ce que j’ai lu, coûte énormément d’argent, donc ça risque de les mettre en danger alors que d’habitude les délais sont beaucoup plus longs !

Étienne Gonnu : En t’entendant, je voyais peut-être une différence par rapport à la facturation. Il y a effectivement une réforme qui concerne aussi la facturation. Les entreprises qui proposent ce genre de logiciel doivent gérer plein de réformes en même temps, ça fait partie des critiques. La différence c’est que la facturation imposait aussi une refonte technique, il y avait une obligation technique de mise en place d’une certaine plateforme. Là, la certification c’est juste faire reconnaître les procédures, alors ce n’est pas « juste », c’est un gros boulot, mais il n’y a pas forcément le même impact. Je pense que c’est la justification de la nécessité d’un délai plus long : ça a des impacts techniques sur la manière de faire, là où la procédure c’est plus un dossier à monter ; c’est beaucoup de boulot et c’est très cher. J’imagine que c’est le rationnel, la réflexion de l’administration sur la différence de délai. Mais c’est vrai que ça reste des délais très courts, tout à fait.

Bookynette : Tu connais d’autres lois avec des délais aussi courts ?

Étienne Gonnu : Je n’ai pas toutes les lois en tête, mais il y a des délais courts. Il n’y avait pas de délai dans la loi, c’est un amendement, il est arrivé on ne sait pas trop comment. L’administration nous avait dit, quand nous l’avons rencontrée, et un autre écho nous l’a confirmé, que la situation d’avant lui allait très bien. On ne sait pas d’où est tombé cet amendement, qui a commandé ça, c’est toujours aussi la question de la plume.

Bookynette : Ce sont les entreprises de certification qui vont s’en mettre plein les poches une année et qui, après, retourneront dans la normalité.

Étienne Gonnu : C’est possible, c’est une hypothèse.
Pierre.

Pierre Beyssac : Je fais confiance à vos analyses là-dessus parce que je connais assez mal le sujet.

Étienne Gonnu : C’est vrai qu’il est complexe.

Pierre Beyssac : Est-ce qu’on peut résumer ça par : ça avance quand même dans le bon sens, mais pas suffisamment ?

Étienne Gonnu : Je vais prendre le terme anglais qui est damaged control. Ce qui s’est passé est mauvais du point de vue du logiciel libre. La confirmation c’était surtout sur le fait qu’à partir du moment où un logiciel est certifié, la certification vaut pour tout le monde.

Pierre Beyssac : Ça parait pas mal, ça paraît moins bien que l’attestation qui était quand même bien pratique.

Étienne Gonnu : Le fait que ce soit clarifié est quand même rassurant.

Pierre Beyssac : En gros, c’est deux pas en arrière et un demi-pas en avant.

Étienne Gonnu : On peut peut-être voir ça comme ça ! Ce qui est rassurant c’est que des députés se sont montrés sensibles, à priori le gouvernement ne serait pas non plus insensible à la question parce que ça rajoute quand même beaucoup de lourdeur. Il y a d’ailleurs un projet de loi en cours sur la simplification. Des amendements dans ce projet loi de simplification de la vie économique proposaient de réintroduire l’attestation, mais ça a été déclaré irrecevable parce que c’était trop éloigné du cœur du texte, ce qui est plutôt entendable, me semble-t-il, même si on a regretté qu’ils ne soient pas débattus.

Bookynette : Et pourtant, qu’est-ce que ça simplifierait la donne si l’attestation revenait !

Étienne Gonnu : Oui, par rapport au titre, mais après il y a le contenu, c’est plus comme ça qu’on étudie. Je pense qu’il y a tellement d’amendements dans ces projets de lois qu’ils sont obligés un peu de couper.

Pierre Beyssac : C’est très difficile à suivre. C’est clair.

Étienne Gonnu : C’est vrai que ça aurait été intéressant que ça puisse passer là-dedans mais bon, on va suivre, on va continuer à proposer.

Bookynette : Et on les embêtera pour le projet de loi de finances 2026.

Étienne Gonnu : Exactement.

Pierre Beyssac : Ce n’est qu’un au revoir !

Étienne Gonnu : Je voulais aussi évoquer à nouveau ce sujet parce qu’il me semble traduire une tendance et je ne sais pas si vous avez un avis là-dessus : on voit de plus en plus souvent cette idée qu’il faudrait certifier des logiciels. Un autre exemple récent en date, c’est le Cyber Resilience Act, là au niveau européen, qui impose la certification du point de vue plus de la sécurité informatique. On s’en est bien sorti par rapport au texte initial qui était une grosse menace pour la liberté, pour le logiciel libre, le résultat final est beaucoup plus acceptable, je partagerai les références, l’April avait suivi de près ce dossier. Est-ce que c’est une tendance que vous percevez ? Comment percevez-vous cette idée de certification des logiciels ? J’ai l’impression que c’est presque incompatible avec la façon dont on produit intelligemment du logiciel.

Pierre Beyssac : Pas forcément. Par contre, c’est effectivement une poussée pour mettre de la procédure partout, une poussée qui n’est pas nouvelle dans notre monde, c’est pas mal poussé par les institutions, le politique souvent, parce qu’il y a des structurations, il y a maintenant des normes qualité dans tous les sens, donc ça nous pend au nez. Le problème c’est que ça coûte extrêmement cher. Ça peut donner un résultat peut-être plus maîtrisable, mais à quel coût ? Et en matière de logiciel, puisque le logiciel a la caractéristique relativement unique, comme les données numériques, de pouvoir être répliqué à coût quasi nul, c’est quand même une exception dans la vie économique. Ça veut dire qu’on peut faire facilement du logiciel bénévole distribué en masse, avec des moyens très faibles, par contre on ne peut pas faire une certification ; n’importe quel type de certification de logiciel coûte de l’argent et coûte du temps. Il faudrait donc essayer d’organiser ça.
Du coup, évidemment, ça arrange les sociétés, les gens qui ont une activité commerciale là-dessus, puisqu’ils ont du revenu qui leur permet de financer ça et ça permet aussi de mettre une barrière à la concurrence. La réglementation est souvent accueillie avec des applaudissements par les grosses boîtes parce qu’elles ont les moyens de répondre aux demandes du législateur, de la réglementation, et il y a ainsi une barrière à l’entrée pour de futurs concurrents. En particulier en termes de logiciels, c’est le cas du logiciel libre, contributif, éventuellement aussi de bénévoles mais aussi d’indépendants, de PME, qui n’ont pas de revenu commercial lié à cette activité, ça peut vraiment coincer et les éjecter du marché. Il n’est peut-être pas exclu que derrière ça il y ait des groupes d’intérêt liés aux éditeurs de logiciels qui poussent ça tout à fait sciemment, c’est même probablement certain.
On est dans une société où il y a une forte demande de garantie de sécurité dans tous les sens, d’assurance, de juridique, etc., mais il faut être prudent dans ce qu’on en attend et dans ce qu’on en espère.
Tu parlais du Cyber Resilience Act, il y a aussi NIS 2 [Network and Information Security] qui est plus sur l’exploitation d’infrastructures que sur le développement logiciel. Il y a eu notamment les serveurs DNS, les serveurs qui gèrent les noms de domaine, qui permettent de répondre aux adresses qu’on met dans son navigateur Web ou dans son courrier électronique, dont un certain nombre sont opérés par des entités universitaires, de manière bénévole ou pour un coût moindre, qui risquaient de se retrouver avec des obligations, d’ailleurs il y en a qui sont réellement apparues sur l’exploitation de ces services-là parce qu’ils ont une importance. Quand ils tombent en panne, on ne peut plus accéder au site, donc, si un domaine national tombe en panne, on a évidemment un déni de service sur l’infrastructure nationale en la matière, il faut donc avoir des garanties de résilience, mais ça implique également des coûts pour répondre à la réglementation. Sachant que si c’est fait hors réglementation ça va être moins lissé au niveau garantie de service, mais ça ne sera pas forcément de moins bonne qualité.
C’est un sujet de nos sociétés modernes qui se complexifient de jour en jour.

Étienne Gonnu : Avec des impacts. Booky.

Bookynette : Je suis entièrement d’accord avec ta première partie. En plus, je pense qu’il y a une perte de compétences qui fait qu’il y a une perte de contrôle : ils ne sont plus compétents à surveiller donc ils disent « si on fait des certifications, ça va être des gens qu’on connaît – ils connaissent les entreprises de certification depuis longtemps – qui vont faire, qui vont pouvoir vérifier les logiciels, donc on est sûr qu’il n’y aura pas de fraude », parce que eux sont incapables de le faire. Ce qui est d’autant plus débile parce qu’avec le logiciel libre, s’ils n’avaient ne serait-ce que quelques compétences en informatique, ils pourraient vérifier les logiciels qui sont utilisés et il n’y aurait pas ce doute, ce risque de fraude, puisque le logiciel est vérifiable, on peut voir le code et ainsi de suite. Je trouve qu’imposer une certification en plus au logiciel libre c’est totalement à côté de la plaque et ça montre à quel point ils ne sont plus en état de vérifier ce qui va ou ce qui ne va pas dans les logiciels utilisés. Quand c’est Libre, ils pourraient, mais ils n’ont pas les compétences, et quand c’est propriétaire, privateur, ils ne peuvent pas puisque le code est fermé.

Étienne Gonnu : Comme je disais, un des arguments qu’on avait sur la certification des logiciels de caisse, c’est qu’en fait toutes les entreprises qui participent autour d’un projet libre ont un intérêt collectif à prendre soin de ce commun informationnel. En prendre soin, c’est aussi éviter que des gens viennent saccager ou faire n’importe quoi avec, donc un code transparent est respectueux aussi des réglementations.
Vincent.

Vincent Calame : Deux choses.
L’idée de certifier une version stable me paraît bizarre : un code ça bouge en permanence, c’est quelque chose de vivant.
Ça me fait penser à un sujet que j’ai abordé dans une de mes chroniques qui est la question des semences, on est un peu sur la même chose. Il y a eu tout un mécanisme de certification, avec le catalogue des semences, qui a été une manière de réduire énormément la possibilité de nouveaux entrants. On parlait des gros tout à l’heure. La certification, c’est le meilleur moyen de réduire le marché, de le réduire à des gros qui ont les moyens et qui empêchent. Par la certification, sous prétexte de protéger les consommateurs, c’était le cas aussi des semences, on enlève beaucoup de liberté à tout et au développement. En plus, c’est vraiment opposé au fonctionnement d’un code source que de vouloir le certifier.

Étienne Gonnu : Ça fige dans le temps quelque chose qui, comme tu le dis, a vocation à être vivant et à circuler.

Vincent Calame : C’est vivant, comme le sont les semences. On ne peut pas assurer un logiciel qui bouge tout le temps.

Étienne Gonnu : Très bien. Je vous propose de faire une pause musicale. Nous allons écouter Les bretons de l’est par Les bretons de l’est. On se retrouve juste après pour continuer notre conversation sur radio Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Les bretons de l’est par Les bretons de l’est.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Les bretons de l’est , disponible sous licence libre Art Libre.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April. Nous sommes de retour Au café libre avec Vincent, Pierre et Bookynette pour discuter des actualités autour du logiciel libre.
N’hésitez pas à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».

Un hackathon dédié aux outils collaboratifs open source pour l’État

Étienne Gonnu : Notre sujet suivant : « Un hackathon dédié aux outils collaboratifs open source pour l’État », je cite le titre de l’article, une information relayée par le Le Monde Informatique le 30 avril et je cite : « Avec la DGNum, la DINUM– la Direction générale au Numérique et la Direction interministérielle du Numérique – organise les Hack Days – un hackathon IA & digital workspace –, une compétition qui a pour but de renforcer les applications bureautiques open source utilisées par les agents de l’État au niveau européen. Dans ce but, 300 développeurs, designers ou profils en IA et data sont attendus du 2 au 4 juin à l’ENS à Paris. ». Avant qu’on discute, est-ce que l’un ou l’une de vous se sent d’expliquer en peu de mots ce qu’est un hackathon ? Je ne vous ai pas demandé de le préparer.

Pierre Beyssac : Je veux bien tenter. Un hackathon, c’est, en fait, une sorte de concours. C’est un endroit où on invite des équipes de développeurs – ça peut être à distance, mais, en général, c’est quand même sur place – en leur donnant des missions à accomplir et ils ont un certain temps, relativement réduit, ça peut être un week-end, une journée, une soirée, pour faire le mieux possible par rapport à la demande. Après c’est jugé par les organisateurs. Ça peut être soit plusieurs équipes sur la même tâche soit des équipes sur des tâches différentes, avec une évaluation ensuite, dans le but d’avoir des avancées ponctuelles sur des sujets particuliers qui sont chers au cœur des organisateurs.
Il faut citer que l’ENS de Paris c’est sur le Campus Jourdan qui est à deux pas du parc Montsouris et de l’Institut Montsouris, c’est Paris 14e, c’est très facile d’accès en RER B.

Étienne Gonnu : D’accord. La participation est gratuite. Le lien est sur la page. On en reparlera après. Qu’est-ce que vous en pensez ? Booky, tu voulais réagir.

Bookynette : Pour moi, les hackathons, c’étaient des marathons où il fallait pisser 42 kilomètres de code, mais bon, c’est une blague !

Étienne Gonnu : Très bien. Que pensez-vous du fait que les pouvoirs publics, des administrations comme la DGNum, la DINUM organisent ce genre d’événement ?

Pierre Beyssac : Ça me semble très bien. Surtout que là c’est sur des sujets bien choisis, c’est-à-dire des choses tout à fait gérables : trouver des points particuliers à améliorer dans les applications libres de bureautique, parce qu’on a tous pesté contre tel ou tel outil parce qu’il y avait une petite fonction à laquelle il manquait un truc dans un coin ou qui n’était pas forcément très ergonomique. Je pense que ce n’est pas mal. J’ai l’impression, tu me diras si je me trompe, à la lecture du communiqué il m’a semblé que des propositions externes étaient éventuellement acceptées.

Étienne Gonnu : C’est ce qu’il m’a semblé lire aussi.

Pierre Beyssac : Ce n’est pas mal. Si vous avez des idées de choses qui vous grattouillent absolument dans les projets concernés, j’imagine que c’est LibreOffice, OnlyOffice et compagnie, vous pouvez toujours proposer des évolutions.

Étienne Gonnu : D’autres réflexions ? Une réflexion que j’avais vu passer sur les hackathons, une critique disant que c’est un peu du travail gratuit, c’est-à-dire que des gens viennent bosser et ils produisent des choses qui vont être utiles. Là, ils vont produire des choses qui seront utiles à l’intérêt général puisque c’est pour du logiciel libre donc ça bénéficie à tout le monde et, en plus, c’est pour les administrations. C’est une critique régulière que j’ai pu entendre, je ne sais pas quel regard vous avez.

Pierre Beyssac : Le logiciel libre c’est quand même pas mal de travail gratuit.

Étienne Gonnu : C’est vrai aussi.

Pierre Beyssac : Après, il y a effectivement l’argument classique qui fait pester les graphistes, c’est « tu vas me faire un dessin gratuit pour mon site et tu seras rémunéré en rien du tout, juste en audience, parce que mon site est super visible, il a 2000 visiteurs par semaine. » On peut effectivement comprendre, on peut aussi entendre cet argument.

Bookynette : Après ça peut être la classe de pouvoir mettre sur son CV qu’un des projets auxquels on a participé est utilisé par l’administration française. C’est vrai que dans le logiciel libre on n’a pas cette vision de « c’est du travail gratuit ». On est là pour faire des choses qu’on a envie de faire – je dis « nous », mais je ne suis pas du tout codeuse –, les partager avec des gens qui vont les utiliser, faire des remontées, améliorer et ainsi de suite. C’est vrai que le mot « travail gratuit » ne correspond pas forcément à notre vision des choses.

Étienne Gonnu : Très bien. D’autres réactions ? On en a parlé au dernier Café libre, mais si vous voulez en dire un mot vous pouvez, bien sûr, ça m’évoque et je ne peux pas ne pas évoquer notre volonté actuelle, ce qu’on porte actuellement comme proposition, c’est-à-dire l’idée que les pouvoirs publics doivent maintenir des forges logicielles pour les logiciels libres développés par les administrations. Là, du logiciel libre va être produit, où ce logiciel libre va-t-il être hébergé ? L’April porte cette proposition de forges logicielles maintenues par les administrations.

Bookynette : C’est vrai. Où vont-ils héberger les projets ?

Étienne Gonnu : Ces projets sont sans doute déjà existants et déjà hébergés quelque part, mais il pourrait exister effectivement… Mais bon si c’est chez GitHub de Microsoft, par exemple, ce serait dommage !

Pierre Beyssac : Je trouve ça très bien. C’est plus que de l’hébergement dans ces choses-là, ça permet d’avoir un petit noyau de communauté, faire monter un peu la mayonnaise autour d’une communauté, c’est toujours intéressant. Ça ne demande pas forcément des moyens et des ressources colossales et ça peut être la petite graine qui permet d’avoir une communauté qui décolle. Les administrations et certaines entreprises spécialisées sur tel ou tel sujet sont bien placées pour ça.

Étienne Gonnu : Ça me semble un bon résumé.
Vincent.

Vincent Calame : Je vois, dans le texte, que c’est organisé par la DINUM mais aussi par une association informatique domiciliée à l’ENS Paris, la Délégation générale numérique, je ne la connais pas, je ne sais pas si vous la connaissez, mais, en soi, qu’une association étudiante participe à cet événement faisant la promotion du logiciel libre est une très bonne chose en termes de vivier pour le futur. Je ne sais pas si des gens ont des contacts avec eux, ça pourrait être intéressant pour plus tard.

Étienne Gonnu : À noter, effectivement. Bien vu.

Vincent Calame : Les JdLL sont accueillies à l’ENS Lyon. On pourrait donc dire à l’ENS Paris qu’elle pourrait aussi accueillir.

Bookynette : De futurs événements au mois de juin. Je te vois venir. On en parle après l’émission.

Étienne Gonnu : Il faut faire jouer la concurrence qui peut exister.
Eh bien avançons.

[Clochette]

Le Conseil constitutionnel censure la vidéosurveillance algorithmique dans les transports

Étienne Gonnu : Le Conseil constitutionnel censure la vidéosurveillance algorithmique dans les transports, ce sont des titres qui font plaisir à lire, donc une décision du 24 avril relayée notamment par le site ville-rail-transports.com. Pour celles et ceux qui connaissent nos invités, je vous laisse deviner lequel des trois a proposé cet article. Je taquine Pierre. Pour les personnes qui connaissent Pierre, il est effectivement ferrovipathe.

Pierre Beyssac : Oui, ferrovipathe

Étienne Gonnu : En somme, « une loi étendait jusqu’en 2027 l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique dans les transports, qui avait été autorisée jusqu’en mars 2025 pour les JO ». Les JO se sont effectivement terminés en août 2024, mais l’expérimentation…

Pierre Beyssac : C’est parce que des gens étaient un peu en retard pour rentrer chez eux.

Étienne Gonnu : Tout à fait, ils rentraient avec les transports, sans doute.
En tout cas, ça prévoyait de prolonger de deux ans supplémentaires l’expérimentation et cette décision a été censurée, elle a été considéré comme un cavalier législatif, c’est-à-dire que ça n’avait pas de lien, même indirect, avec la proposition de loi initiale. Effectivement une bonne nouvelle qui nous vient du Conseil constitutionnel, mais ça traduit quand même une volonté ancienne, cette volonté de surveillance, d’utiliser les outils de vidéosurveillance n’est pas nouvelle.
Pierre, puisque c’est toi qui nous as apporté cet article.

Pierre Beyssac : J’avais vu passer l’actu par d’autres canaux, par les canaux tech plus habituels, mais ce qui m’a interpellé c’est de la voir repasser par La Vie du Rail, le journal des ferrovipathes, qui forcément, vu le sujet, est sensibilisé à la question, mais c’est quand même rare d’y voir passer des sujets de libertés fondamentales.

Étienne Gonnu : J’ai trouvé ça intéressant.

Pierre Beyssac : C’est ce croisement interdisciplinaire que j’ai trouvé intéressant. Les prolongations, les machins, les expérimentations qui sont prolongées d’année en année pendant 30 ans on connaît, à commencer par Vigipirate. Là, effectivement, la vidéosurveillance algorithmique et, surprise, le Conseil constitutionnel décide de retoquer ça.
Il faut savoir que, bien évidemment, toutes les gares sont équipées de caméras, ne serait-ce que pour les conducteurs pour vérifier que personne n’est coincé dans les portes avant le départ, il y a donc de la vidéo partout dans les gares, notamment en région Île-de-France. Les transporteurs et la police sont tentés de l’utiliser pour aller un cran au-dessus. La vidéosurveillance algorithmique c’est la surveillance comportementale, c’est-à-dire détecter tous les comportements qui sortent de l’ordinaire : quelqu’un qui reste un peu trop dans un hall de gare, quelqu’un qui court alors que personne ne court à part lui, quelqu’un qui va moins vite que les autres, tout un tas de comportements qui ne sont pas forcément des comportements suspects mais juste différents de ceux des autres. C’est donc un peu flippant de se dire qu’on commence à essayer de détecter ça pour attirer l’attention des gens qui surveillent. C’est donc plutôt bien que ça ait été retoqué.

Étienne Gonnu : Malheureusement, ce n’est pas sur des bases d’atteinte à la vie privée ou sur les fonds politiques des raisons pour lesquelles ce serait contraire aux libertés fondamentales. En fait, ils n’ont même pas étudié la question, ils ont dit que ça n’avait pas de lien avec la loi de départ.

Pierre Beyssac : C’est plus formel.

Étienne Gonnu : En tout cas, c’est une nouvelle heureuse. On s’imagine déjà des caméras et puis des gens disent « je vais vendre ma soupe de surveillance », parce qu’on sait que c’est vendeur, il y a une industrie importante.

Pierre Beyssac : Une industrie est en train de se créer là-dessus. C’est une volonté politique quasi explicite.

Étienne Gonnu : D’où la nécessité de tuer dans l’œuf, aussi vite qu’on peut, ce genre de projet.

Pierre Beyssac : Gérald Darmanin a récemment dit, dans une interview, qu’il fallait qu’on s’oriente vers une société à la chinoise, il a dit qu’il n’y a pas d’autre moyen, selon lui, de lutter contre les problèmes de sécurité.

Bookynette : Pourquoi ne part-il pas vivre en Chine, ce monsieur ?

Pierre Beyssac : Il est mûr pour ça.

Bookynette : Il est prêt.

Étienne Gonnu : Qu’est-ce qu’ils t’ont fait les Chinois ?

Bookynette : De la vidéosurveillance !

Étienne Gonnu : Difficile aussi de pas penser à la loi qui a été adoptée récemment pour lutter contre les narcotrafics, le trafic de drogue, et qui a également été prétexte avec, au sein de ce texte, de nombreuses tentatives, certaines abouties, d’autres non, de nouvelles manières, de nouvelles mesures de surveillance. Une qui n’a pas abouti, heureusement, mais qui a été très médiatisée, c’était sur l’atteinte au chiffrement. Heureusement, ce n’est pas resté dans le texte final, mais il y a d’autres mesures. La CMP, la commission mixte paritaire qui se met d’accord sur le texte final, a élargi l’obligation de vérification d’identité des clients des opérateurs qui ne devait être que sur les offres payées, visiblement ce sera pour tout le monde.

Pierre Beyssac : Normalement c’était plutôt pour les fournisseurs d’accès à Internet fixe. À priori, quand tu prends un burner phone pour vendre de la drogue, tu ne vas pas prendre une box ! Il y a peut-être des trafiquants un peu débiles, je ne sais pas !

Étienne Gonnu : Qui peut le moins peut le plus !

Pierre Beyssac : Moi, j’ai deux liaisons fibre, je ne voulais pas le dire, j’en ai peut-être une pour vendre de la drogue, on ne sait pas. Bref, une obligation de vérification d’identité sur les fournisseurs d’Internet fixe est effectivement passée. En fait, on a un tel tsunami de mesures comme ça, en permanence, qu’il y a des choses qui passent sans que personne ne les ait vues avant. C’est même plus qu’un boulot à temps plein de suivre, ne serait-ce que dans l’une des chambres, à l’Assemblée ou au Sénat, au jour le jour l’actu.

Étienne Gonnu : Ce projet de loi, en particulier, était très dense, il a été suivi par nos amis de La Quadrature du Net qui ont effectivement fait un gros boulot sur ce texte, on les salue. Ils ont sensibilisé, notamment pour dire qu’il n’y avait pas que le problème du chiffrement, même si c’en était un, qu’il y avait effectivement le problème de boîtes noires pour que les services de police puissent se brancher sur les appareils connectés pour récupérer des infos. Il y a énormément d’enjeux sur ce texte. On vous invite à aller consulter le site de La Quadrature du Net si vous voulez plus d’infos.
Ce qui est positif c’est qu’il y a une saisine, sans surprise, on verra ce qu’elle donne, notamment sur cette extension, dans le cadre de la commission mixte paritaire, d’un procédé qui parait quand même assez exorbitant par rapport au droit commun. Une saisine a été enregistrée hier, donc le 12 mai, du Conseil constitutionnel, on verra ce que ça donne.

Pierre Beyssac : Ah d’accord, c’est tout frais ! Tu es bien renseigné !

Étienne Gonnu : J’ai regardé tout à l’heure et j’ai vu la saisine enregistrée le 12 mai sur le site de l’Assemblée.
Avez-vous d’autres réflexions sur cette actu ?

Pierre Beyssac : Juste que ça n’arrête pas ! Au niveau européen, il y a des choses similaires, il y en a dans tous les sens. En fait, quand ça ne passe pas, c’est remis à l’ordre du jour un an après, deux ans après. Je ne sais pas combien de temps on va pouvoir arriver à échapper à une dystopie, petit à petit ça se resserre ! C’est un peu flippant !

Étienne Gonnu : C’est compliqué.
Avant d’avancer sur un sujet suivant, j’en profite pour saluer le site ville-rail-transports.com que je ne connaissais pas, et qui a le très bon goût de mettre le lien direct sur la décision dont il parle. C’est une pratique qui devrait être banale mais qui est, malheureusement, assez rare et là c’est un vrai plaisir, je n’ai pas eu à passer par un moteur de recherche pour retrouver la décision, elle était directement en lien dans l’article, c’était super, donc merci à ce journal.

Pierre Beyssac : Je me réabonne au journal. Je suis abonné depuis l’âge de 11 ans et je n’ai renouvelé récemment.

Vincent Calame : J’ai vu, j’ai été abonné, mais ça s’appelait La Vie du Rail et maintenant c’est Ville, Rail & Transports.

Pierre Beyssac : Je n’ai même pas fait attention, Il y avait La Vie du Rail qui était le truc initial, avant ça s’appelait Notre métier, c’était le truc des cheminots. Ensuite c’est devenu La Vie du Rail c’est devenu plus élargi et après il y a eu Ville, Rail & Transports qui est un peu moins technologie ferroviaire et plus « décideurs », entre guillemets, c’était la version bihebdomadaire qui intéressait moins les ferrovipathes comme moi. Il y a aussi Rail Passion dans la série.

Étienne Gonnu : Je vous invite à poursuivre vos réflexions après l’émission. Nous avons peut-être des auditeurs et auditrices qui sont intéressés par ces sujets-là et on les salue, bien sûr aussi

Bookynette : On a sorti les pop-corns, c’était amusant !

[Clochette]

Pétition pour la défense de Internet Archive

Étienne Gonnu : Comme le temps file, j’aimerais qu’on évoque un sujet qu’on pourra aborder rapidement, qui me semblait quand même important à évoquer pour soutenir cette initiative. Il y a une pétition en cours pour défendre la Wayback Machine.
Pierre, c’est toi qui as relayé cette pétition, est-ce que tu veux nous en présenter rapidement les enjeux ?

Pierre Beyssac : Très vite. C’est un procès concernant Internet Archive.

Étienne Gonnu : Il faut présenter ce que c’est, c’est vraiment un projet essentiel du Web.

Pierre Beyssac : C’est un projet essentiel qui archive le Web, c’est une sorte de dépôt légal du Web mais indépendant. Il y a des initiatives, en France, pour le dépôt légal, mais qui ne concernent que les sites français. C’est utilisé par des journalistes pour récupérer des pages d’articles qui ont disparu suite à des polémiques, ça a une énorme importance, ça n’archive pas tout parce que c’est impossible, mais ça archive pas mal de trucs essentiels, de choses essentielles. Et là, à la marge, un de leurs sous-projets c’était d’archiver les disques 78 tours, même moi je n’ai pas connu ça, ça a arrêté d’être fabriqué dans les années 50, ce sont les trucs de nos grands-parents ou de nos arrière-grands-parents, ça a été éradiqué par le microsillon, les disques vinyles, etc. Ce sont donc des choses qui n’ont plus d’intérêt commercial, ce sont des choses qui sont, pour beaucoup d’ailleurs, dans le domaine public.

Bookynette : Tu l’as dit, ça n’a plus aucun intérêt commercial.

Pierre Beyssac : C’est du Tino Rossi, du Charles Trenet, tout un tas de choses, du jazz, du blues, ça a commencé dans les années 20, c’est très ancien, mais les ayants droit ont décidé d’attaquer, en fait ils demandent 700 millions de dollars d’indemnités, pour préjudice, à Internet Archive. Ça veut dire que si le truc est accepté par la justice, ils ferment la porte parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer, ça les met en faillite directement. À la limite, ce n’est même pas forcément pour défendre le projet 78 tours sachant qu’on peut quand même le défendre en tant que tel, mais c’est pour défendre tout ce qui est autour, qui risque de couler du jour au lendemain.

Étienne Gonnu : Utilisez ce projet, vous allez voir, c’est assez génial, on peut vraiment parcourir, on peut revenir sur l’histoire d’un site web, etc. Là, c’est vraiment typiquement une procédure bâillon. Malheureusement, la pétition sur change.org, je dis malheureusement parce qu’ils sont plutôt gourmands en données personnelles. Avant de signer, vous pouvez lire les politiques de cookies, les politiques de données personnelles pour signer en connaissance de cause. Quoi qu’il en soit, c’est une initiative, un projet à défendre, je pense que c’est vraiment important de le souligner.
Booky.

Bookynette : Je me pose une question : est-ce que tous ces ayants droit ont l’œuvre originale ? Parce que s’ils n’ont pas l’œuvre originale, ils devraient payer Internet Archive pour le stockage de ces données et si chaque ayant droit paye pour le stockage de ces données que, manifestement, ils n’ont plus, mais ils veulent s’enrichir avec, peut-être qu’on arriverait à 700 millions.

Pierre Beyssac : Ce n’est pas faux.

Étienne Gonnu : C’est ce qu’on appelle une procédure bâillon. Le problème c’est que même si tu as 60 % de chances de gagner un procès, est-ce que tu vas prendre le risque de perdre ?

Pierre Beyssac : Il y a eu des précédents en France. Internet Archive permet effectivement d’archiver des choses qui sont oubliées par les détenteurs de droits eux-mêmes et ça permet de préserver des choses comme ça. Des ayants droit ont réussi à faire passer, il y a une quinzaine d’années, une loi, en France, qui interdit de récupérer des œuvres orphelines, comme ça, pour les valoriser, les préserver.

Étienne Gonnu : On pourra dire que les grandes structures de représentation des ayants droit, notamment, là, les maisons de disques, ne sont pas forcément les amis de la libre circulation de la connaissance et de la culture.

Pierre Beyssac : Absolument. Ils veulent diffuser la culture mais uniquement quand ça passe par eux.

Bookynette : Moyennant finance.

Étienne Gonnu : Je vois qu’il est déjà 16 heures 42 et c’était l’heure que je m’étais fixée. Il y a des sujets qu’on n’a pas évoqués.
Windows 11, on sait qu’il y a une mise à jour obligatoire à venir, c’est bourré d’IA, c’est mauvais notamment écologiquement et pour plein de raisons. Je lance juste un message : c’est peut-être un bon moment pour sensibiliser autour de vous, pour parler des systèmes d’exploitation libres et faire migrer vers ces systèmes qui sont maintenant de plus en plus accessibles et qui sont, d’un point de vue fonctionnel, au moins aussi bons si ce n’est souvent bien meilleurs que ce que peut proposer l’informatique privatrice. Peut-être profiter de ce moment où les personnes vont être obligées de mettre au rebut des machines qui fonctionnent encore très bien, mais qui n’ont pas les reins pour faire tourner un gros truc comme Windows 11, ça peut être le moment pour les faire migrer.

Pierre Beyssac : Ça a été bloqué par Microsoft alors qu’ils n’étaient pas obligés de le faire. Ça aurait pu passer en fait. D’ailleurs, des contournements existent, comme quoi ce n’est pas une impossibilité technique.

Étienne Gonnu : D’accord, mais plutôt que de contourner, passez au Libre.

Pierre Beyssac : Maintenant, c’est plus facile d’installer un Linux qu’un Windows sur un ordinateur nu. Windows c’est une catastrophe, il faut des outils Windows pour installer Windows, c’est un peu dommage ! Alors que pour Linux, on met la clef USB, ça démarre et on l’installe. On n’est même pas obligé de l’installer. On peut le tester, on peut le mettre sur une clé USB et ne pas réinstaller l’ordinateur si on veut juste tester. Aujourd’hui, il suffit d’avoir une clé USB pour tester Linux.

Étienne Gonnu : Et il y a plein de gens autour de vous qui pourront vous accompagner si vous avez besoin. Vous allez sur l’Agenda du Libre, plein d’associations seront ravies de vous accompagner justement dans le cadre de vos installations.
Merci beaucoup Booky, Vincent, Pierre pour ce temps d’échanges. C’est un plaisir discuter avec vous.

Pierre Beyssac : Merci à vous.

Vincent Calame : Merci.

Bookynette : Merci.

Étienne Gonnu : Je vous propose à présent de faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous entendrons une chronique d’Antanak sur l’identité numérique. Avant cela nous allons écouter Devil’s Gonna Git You par Doctor Deathray. On se retrouve juste après. Belle à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Devil’s Gonna Git You par Doctor Deathray.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Devil’s Gonna Git You par Doctor Deathray, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu. Nous allons passer au dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel », d’Antanak – L’identité numérique - Rediffusion d’une chronique diffusée le 12 novembre 2024

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la rediffusion d’une chronique d’Antanak « Que libérer d’autre que du logiciel », une chronique diffusée pour la première fois en novembre 2024. Le sujet : une critique percutante de la notion d’identité numérique.
On se retrouve juste après, toujours sur Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Isabelle Carrère : Identité numérique. Voilà deux mots que je n’avais, avant, jamais imaginé possible de mettre côte à côte. Mais en fait si, identité et numérique, on y est !
On sait pourtant qu’elle n’est pas donnée une fois pour toutes, l’identité, qu’elle se construit et se transforme et qu’elle a, selon le point où on se trouve, selon le temps de vie, temps du monde, temps du rêve, des significations, des sens et des charges différentes, qu’elle prend corps, couleur, formes, importances très variées. Elle sera, pour les uns, pour les unes, axée sur une couleur de peau, un genre. Pour d’autres, elle sera religieuse. D’autres encore la penseront nationale, d’autres sur des pratiques, des modes de vie, des cultures, que sais-je ?, une langue, un drapeau, un territoire, je comprends, mais numérique !
Je reprends un extrait du livre de Amin Maalouf, Les Identités meurtrières. Je cite : « On ne sait jamais où s’arrête la légitime affirmation de l’identité et où commence l’empiétement sur les droits des autres. Ne disais-je pas tantôt que le mot identité est un faux ami ? Il commence par refléter une aspiration légitime et soudain, il devient un instrument de guerre. »
Certes, ici, dans le sujet de ma chronique du mois, c’est plus l’identité individuelle dont il est question, celle dont on est affublé, notamment par l’administration et ce très tôt, en Occident en tout cas, juste après quelques heures de présence au monde : un nom, un prénom, un état civil.
Depuis la Rome antique, comme les classes sociales commencent à se mêler, il devient important de bien préciser le statut des personnes et d’établir avec certitude, sans contestation, l’origine et l’âge des intéressés.
En France, plus tard, on renforce, c’est François 1er qui renforce cette obligation d’indiquer toute naissance, tout décès, et c’est l’Église qui s’est chargée de la tenue de ces registres.
Bref ! Des papiers d’identité, donc, et des documents qui prouvent ce que tu es, qui tu es. Et le glissement vers l’identité numérique s’est trouvé de fait, comme logique, dès lors que les pratiques se sont numérisées.

On parle d’abord d’identité numérique pour évoquer toutes les traces que chacun laisse sur le Web via ses navigations, les informations par ailleurs collectées singulièrement par les GAFAM et autres avaleurs du même acabit, les noms, les pseudos, les images, les données de toutes sortes.
Cette notion d’identité numérique n’est toujours pas très bien définie en droit, je crois. Pour autant, on entend tous les jours des affaires qui la concernent et qui engendrent une réputation qui va, parfois, bien au-delà de ce que la personne en question avait imaginé donner comme informations sur elle ou sur sa vie, une identité pour soi et une identité sociale.
De nombreux écrits ont été réalisés sur les différents types d’identités : agissante, déclarative, civile, narrative, virtuelle, etc. Beaucoup de qualificatifs selon des modèles différents d’analyse, mais toutes font comme si l’univers numérique était un et un seul. Regardez le site de Wikipédia, par exemple, qui cite une flopée d’auteurices dont les études et recherches sont ainsi globalement décrites de la même manière. Il n’y aurait qu’une et une seule façon d’être avec Internet, avec les dimensions dites virtuelles. Comme si la mondialisation et l’hégémonie du numérique avaient réussi à consolider, engloutir toute vision du monde, des rapports sociaux et même des rapports à soi.
Tous et toutes pareil ? Un rêve occidental d’universalisme qui serait exaucé !
Même les bidules, les pictogrammes qu’on appelle des émojis, sont censés représenter tout le monde. Certes, ils sont jaunes ; le nom est emprunté au japonais. Il semble que cela veut dire « image » ou « mot » ; Wikipédia indique même que ce serait un jeu de mots interculturel avec émotion. Emoji, emojion, émotion. Ils relaient et remplacent les émoticônes qui étaient faits avec des signes de ponctuation. Depuis 2015, il y a eu des ajouts de couleurs, de faces différentes, mais ce n’est pas en standard sur tous les appareils et tous les logiciels. Il faut aller les chercher si on veut un visage non jaune, non blanc.

Toujours est-il que désormais, ici en France, il faut – cela va devenir quasi obligatoire dans peu de temps – avoir une identité numérique.
Vous avez le site France Identité. Il fallait le faire ! On a France Travail, France Connect, France bidule, France Identité. Et comme vous avez été très sages et que, majoritairement, vous avez très bien accepté d’utiliser les QR Codes, parce que, n’est-ce pas, c’est tellement pratique ! C’est bien pratique pour dire si vous avez, ou pas, le Covid. C’est bien pratique pour avoir le droit de sortir, pour aller au théâtre et avoir sur son ordiphone son billet. Pour manger au restaurant qui ne vous donnera, bientôt, plus de carte papier, mais un code collé sur la table sur lequel les plats seront indiqués. Bientôt, d’ailleurs, vous pourrez passer vous-même la commande en cuisine. Plus de serveurs, serveuses, on gagne du temps et de l’argent !
Sur le site de France Identité, on lit la mention : « Attention, pour des raisons de sécurité, seuls les téléphones iOS supérieurs à 16 et Android disposant d’un système supérieur à 10 permettront d’obtenir la certification de votre identité numérique France Identité. » Oh là ! Vous changez d’ordiphone si vous n’avez pas le bon !
Procuration de vote. Envoi de lettre recommandée. Déclaration de revenus. Payer ses impôts . Gérer un compte formation. Et, bien sûr, obtenir des pièces d’identité à l’ANTS, l’Agence nationale des titres sécurisés.
Petit à petit, ces démarches rendent obligatoire d’avoir une identité numérique. On y va, doucement, comme ça passe, avec un QR Code, on continue ! Tout ceci, bien sûr, pour votre bien, c’est bien entendu pour protéger, pour empêcher les usurpations numériques de cette identité !
La Poste gère, pour l’État, ces identités numériques. Sur le site de La Poste, on lit qu’il faut :

  • avoir 18 ans
  • détenir un document d’identité en cours de validité, carte d’identité française recto-verso, passeport français ou titre de séjour, attention !, supérieur à cinq ans
  • avoir une adresse en France
  • posséder un smartphone Android version 5 et suivantes ou iOS version 11 et suivantes et un numéro de téléphone mobile français
  • disposer d’une adresse mail et de son mot de passe associé
  • être connecté à Internet.

Est-ce que vous voyez les situations que cela exclut ? Toutes les personnes qui n’auront pas ces prérequis ! Je pourrais vous donner plein d’exemples, tellement on voit, à Antanak, des personnes dans des situations plus alarmantes les unes que les autres, en tout cas des gens qui, évidemment, ne vont pas cocher toutes les cases.
Une personne née à l’étranger, qui vit en France depuis 11 ans, mais n’a que des titres de séjour renouvelés tous les deux ans, n’est pas dans la bonne case !
Une autre qui est affublée de la date du 31/12/1992 ou du 1er janvier 1992, ce ne sont pas les mêmes dates selon les documents, parce que, dans son pays de naissance, on n’a noté que l’année et, quand les gens arrivent en France, on donne majoritairement le premier janvier, mais, parfois, ça change et du coup, ça change tout pour le calcul des droits.
Une autre a un titre d’identité français, une adresse, une adresse courriel, mais pas d’ordiphone, comme j’en parlais dans ma chronique d’octobre, alors elle ne peut pas bénéficier d’une identité numérique, ni à La Poste, ni via France Connect, parce qu’il faut absolument terminer sa demande avec un ordiphone et une application que tu vas télécharger obligatoirement sur Google ou sur Apple, et il faut un numéro de téléphone français. Pourtant, elle a 25 ans, elle veut fermer l’auto-entreprise qu’elle a créée. Eh bien non, ce n’est pas possible non plus.

Nous continuerons, à Antanak, de protester contre toute forme de discrimination. Ce n’est pas si compliqué de rendre possible une démarche avec une technologie, si elle paraît opérante, et de laisser, à côté, le choix aux personnes, en tout cas la capacité de faire autrement. D’autant plus que, dans plusieurs cas, il s’agit en fait de supprimer des emplois, de baisser les coûts, soi-disant, mais de quels coûts s’agit-il versus plutôt de quel choix de société il s’agit ?

Étienne Gonnu : Merci Isabelle pour cette chronique percutante, très intéressante et merci pour tout ce que vous faites à Antanak pour l’émancipation de tous et toutes.

Isabelle Carrère : Merci. À bientôt.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : C’était la chronique d’Antanak sur le sujet de l’identité numérique. Je le redis, merci à Antanak pour tout ce qu’ils font.
Nous approchons de la fin de l’émission. Nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Je n’ai pas le temps de rentrer dans tous les détails. On a évoqué les nombreux événements à venir en mai en juin. Je vais les citer à nouveau :

  • les Rencontres Professionnelles du Logiciel Libre, les RPLL, jeudi 15 mai à Lyon
  • les JDLL, Journées du Logiciel Libre, les 24 et 25 mai, à Lyon également, dans les deux cas l’April sera présente
  • l’April aura également un stand au Faire Festival organisé à Toulouse les 22,23 et 24 mai
  • une rencontre April aura lieu le vendredi 30 mai 2025 dans les locaux de l’April, Paris 14e</sup<, l’occasion d’échanger entre membres et soutiens de l’April mais aussi d’accueillir de nouvelles personnes intéressées par nos sujets et souhaitant en savoir plus sur nos actions ; tout le monde y est bienvenu, membres ou non, donc n’hésitez surtout pas à venir
  • l’April participera également au Village des Geek Faëries du 6 au 8 juin ; l’April et Framasoft proposent un programme de jeux pour s’initier aux logiciels libres, quitter les services des GAFAM et découvrir l’IA sous une perspective un peu plus critique et drôle, me souffle Bookynette
  • et également, nous l’avons mentionné, du vendredi 13 au dimanche 15 juin, le State of the Map, une conférence autour d’OpenStreetMap ; si vous voulez découvrir ce projet, n’hésitez surtout pas à y aller, ce sera à Tours du 13 au 15 juin 2025.

Je vous invite, comme d’habitude, à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des évènements en lien avec le logiciel libre et la culture libre près de chez vous et les associations qui les font vivre.

Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Vincent Calame, Bookynette, Pierre Beyssac, Isabelle Carrère.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, tous et toutes bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, bénévoles à l’April, ainsi que mon collègue Frédéric Couchet.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/247, toutes les références utiles de l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.

N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission.
Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse bonjour chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 20 mai à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les CRM libres, des logiciels de gestion des relations avec la clientèle.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 20 mai et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.