Rebecca Fitoussi : Internet, le piège du clic [1], écrit et réalisé par Peter Porta, un film pas très rassurant sur le marché mondial des données personnelles, des données que nous mettons en ligne avec beaucoup d’inconscience ou de naïveté ou par confort, sans trop se poser de questions. Est-ce qu’on devrait s’en poser des questions, justement ? Faut-il craindre ce commerce qui surfe sur nos identités, sur nos habitudes, nos goûts et nos opinions politiques ? C’est tout l’enjeu de ce débat avec nos invités que je vous présente.
Mickaël Vallet, bienvenue. Vous êtes sénateur socialiste de la Charente-Maritime, secrétaire du Sénat, membre de la commission des affaires étrangères. Vous faites partie du groupe numérique au Sénat et c’est vous qui avez présidé la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok [2], son exploitation des données, sa stratégie d’influence.
Gilles Babinet, bienvenue à vous également. Vous êtes entrepreneur dans le numérique, coprésident du Conseil national du numérique [3], membre du comité de l’intelligence artificielle générative [4] créé par l’ancienne Première ministre, Élisabeth Borne, auteur de plusieurs ouvrages dont celui-ci Green IA – L’intelligence artificielle au service du climat chez Odile Jacob.
Olivier Tesquet, bienvenue à vous également. Vous êtes à la cellule enquête de Télérama, en charge des questions numériques et des libertés publiques. Cela fait plus de 15 ans que vous vous intéressez à la façon dont la technologie bouleverse nos sociétés. Vous avez produit et animé l’émission Tout est numérique sur France Inter et vous êtes l’auteur de À la trace ainsi que de cet autre livre État d’urgence technologique, tous les deux parus chez Premier Parallèle.
Delphine Sabattier, bienvenue. Vous êtes journaliste et présentatrice de Smart Tech, émission quotidienne de découverte et de débat sur l’innovation, diffusée sur la chaîne économique et financière B-Smart, productrice du podcast Politiques Numériques [5]· Vous êtes vous-même spécialiste des enjeux du numérique et vous avez longtemps dirigé des médias d’information dédiés aux nouvelles technologies. Enfin, vous êtes l’autrice d’articles comme « Meta vers l’au-delà » et « L’âge bête de Wikipédia ».
Merci à tous les quatre d’être ici.
On a beau savoir qu’il faut être prudent avec Internet, on a beau savoir que nos données personnelles sont l’objet de marchés juteux depuis quelques années, que les publicitaires s’en servent pour nous cibler, pour nous profiler, on n’en est pas moins effrayé, je pense, par la démonstration de ce documentaire. Avons-nous pactisé avec le diable ? Avons-nous créé un monstre, Olivier Tesquet ?
Olivier Tesquet : Déjà, le documentaire a une immense vertu, on a beau le répéter, je pense qu’il faudra le répéter encore longtemps, ça rappelle que les grandes plateformes, ce qu’on appelle les grandes plateformes, les GAFAM, etc., en fait sont des régies publicitaires, fonctionnent comme des régies publicitaires, ont des modèles économiques de régie publicitaire et il faut les observer, les regarder comme tels. Ça permet quand même de les ramener un peu à leur nudité, c’est-à-dire que tout à coup ce ne sont plus ces espèces de mastodontes un peu difficiles à saisir dans le temps et l’espace, ce sont des régies publicitaires et il faut les appréhender de cette façon-là.
Sur le fait de pactiser avec le diable, on le sait aussi, malheureusement depuis assez longtemps. Il y a cette petite musique « si c’est gratuit c’est toi le produit », on l’a dit, on l’a répété, on continue à le faire. Ce qui est très intéressant c’est que certains exemples permettent, je pense, d’inscrire quand même ça dans une matérialité et une urgence qu’il n’y avait peut-être pas jusqu’à présent. Quand on reçoit des publicités non sollicitées pour des aspirateurs, ça peut être un peu effrayant. Il y a cette expérience, évoquée dans le film, sur le fait de savoir si nos téléphones nous écoutent ou pas, il y a ce sentiment parfois un peu incongru : on a parlé de quelque chose avec quelqu’un et, tout à coup, on a la publicité qui vient derrière. Quand vous êtes une femme qui va réaliser un avortement, que vous vous rendez dans une clinique spécialisée, et qu’en fait, derrière, des groupes anti-choix vous matraquent de publicité, viennent faire le siège devant chez vous parce qu’ils ont récupéré des infos de géolocalisation, tout de suite ce n’est plus la même musique. Je pense qu’il est important de montrer ces exemples-là, il est important de les répéter, particulièrement en ce moment. On aura relevé qu’un bon nombre de ces sociétés sont des sociétés américaines. Les États-Unis étant ce qu’ils sont aujourd’hui, il faut peut-être les regarder avec encore plus de vigilance.
Rebecca Fitoussi : On y viendra à cette question de l’idéologie qui peut passer derrière.
Gilles Babinet, le ton du film est quand même assez alarmant. Est-ce qu’il vous semble alarmiste ?
Gilles Babinet : Pas du tout. En fait, à titre personnel, j’ai beaucoup plus évolué dans ma perception de ces entreprises. J’ai toujours eu une certaine méfiance sur ces modèles basés sur la publicité, mais je crois qu’on est face à un enjeu de déstabilisation de la démocratie, il faut le dire comme cela, parce que c’est ce qui est en train de se passer. Pour des raisons assez simples de maximisation de leurs revenus publicitaires, les plateformes ont tout intérêt à mettre en avant des contenus spectaculaires et qui vont nous antagoniser au sens large. On le sait depuis un certain temps, mais, pour autant, les pratiques n’ont pas changé. On voit que ce phénomène de polarisation est très corrélé aux écrans et plus particulièrement encore aux réseaux sociaux et si on n’a pas une action politique forte, la démocratie ne tiendra pas. Elle tient déjà assez peu. Je pense que ce qu’on observe aux États-Unis, au Myanmar, en France sous différentes formes, c’est la même chose, c’est une absence de gouvernance des contenus, une absence d’éthique dans la gouvernance des contenus, finalement un souci absolument secondaire du vivre ensemble et de ce qui constitue la base de la démocratie.
Rebecca Fitoussi : On y viendra peut-être à cette démocratie ou nos démocraties qui seraient en péril.
Delphine Sabattier, on a quand même le sentiment que les annonceurs savent tout de nous et que c’est un marché extrêmement opaque. On entend un spécialiste nous dire dans le film « même nous, on ne sait pas exactement où vont ces pubs, où va cet argent. » Est-elle réelle, cette opacité ? Comment est-il possible de ne pas savoir exactement où va cet argent et où vont ces pubs ?
Delphine Sabattier : Elle est réelle, et je trouve qu’une vertu de ce documentaire, c’est justement de nous sensibiliser à des risques vraiment systémiques, comme le disait Gilles Babinet. On est vraiment face à des campagnes de manipulation, de déstabilisation. On a beaucoup parlé pendant des années, c’est vrai, du problème des données personnelles, du ciblage politique mais aussi publicitaire, commercial, en disant « c’est votre vie privée que vous exposez sur Internet » et ça n’a pas eu tellement d’échos. Il faut quand même bien constater qu’on a plein d’outils disponibles, qui permettent aujourd’hui de brouiller les pistes a minima, en tout cas de limiter la collecte de ces données, on ne s’en empare pas. Je dis « on », pour dire globalement ; les citoyens ne se sont pas emparés ces outils.
Rebecca Fitoussi : Pourquoi ?
Delphine Sabattier : Parce qu’ils se sont dit « finalement, moi je n’ai rien à cacher », j’entendais ça systématiquement. Vous parlez de l’opacité de ces algorithmes, elle est tout à fait réelle, en revanche, l’intention des plateformes, elle est claire, elle est limpide depuis très longtemps.
Rebecca Fitoussi : C’est nous vendre.
Delphine Sabattier : Je me souviens du patron de Google en 2009 qui disait : « Si vous pensez que certaines choses que vous faites ne doivent pas être sues, le mieux c’est de ne pas les faire ! ». Vous voyez l’ironie ! C’était clair que la vie privée leur appartenait, ce n’était plus un sujet, la vie numérique était même une notion obsolète dans la tête de ces GAFAM et c’était clair pour tout le monde. Là, ce qui est nouveau c’est qu’on s’aperçoit, que finalement « OK, je n’ai rien à cacher, mais je n’ai peut-être pas envie d’être manipulé. » Aujourd’hui, on est en train de découvrir ce que sont véritablement ces externalités négatives pour la société, pour les citoyens et là je pense qu’on a moyen de mobiliser davantage, de manière collective, autour de ce qu’on veut protéger : nos enfants, la santé mentale, l’addiction aux écrans, les ingérences, la démocratie, le partage de notions communes, tous ces sujets. Je trouve que ce documentaire a cette vertu : il répète les choses mais différemment, on comprend mieux l’impact sur la vie réelle.
Rebecca Fitoussi : C’est vrai que c’est intéressant. Vous parliez de notre pouvoir, à nous, internautes, consommateurs de contenus sur les réseaux sociaux. Mickaël Vallet, finalement a-t-on un petit pouvoir, celui de résister, de dire non aux cookies ? Y a-t-il des choses que nous pouvons faire pour éviter cette manipulation ou le fait de donner autant d’informations sur nous ?
Mickaël Vallet : C’est très paradoxal parce que le reportage permet de comprendre concrètement les choses et il y a quand même une frustration derrière. C’est un peu comme la question de la fameuse parabole, d’ailleurs un peu fatigante, du colibri, qui fait que si vous triez correctement à la maison, dans votre sac jaune, le risque c’est que vous pouvez avoir le sentiment que vous avez fait ce qu’il faut et que, par ailleurs, le reste ne vous appartient plus.
Est-ce que, à partir du moment où on met un VPN [Virtual Private Network], on fait en sorte de ne pas cliquer toujours « J’accepte » et où, par exemple, on n’a pas Google comme moteur de recherche… ?
Rebecca Fitoussi : Il y a des alternatives aujourd’hui.
Mickaël Vallet : Plein, qu’on peut d’ailleurs enseigner. La question de l’enseignement et de l’éducation est un sujet fondamental sur ce qui nous occupe là.
À partir du moment où chacun met à peu près en place ce qu’il doit mettre, est-ce que ça règle la question systémique de ce qu’on a vu ? Vous demandez « est-ce qu’on a pactisé avec le diable ? ». Quand la question, dans le documentaire, est posée très franchement à Zuckerberg sur son modèle économique, vous avez vu le sourire qu’il ne peut pas retenir, à la fin, sur la question de la publicité. Donc, si on a pactisé avec le diable, il reste encore à écrire quelques Tables de La loi et quelques règles pour faire en sorte qu’on conserve son libre arbitre et la maîtrise de son destin, et pas seulement de son destin individuel, parce que son destin individuel se résume presque au micro-ciblage, c’est bien expliqué, mais surtout au destin commun. On appartient à une communauté, à diverses communautés qui veulent garder la maîtrise de leur destin et ne pas laisser ça au marché, à la publicité, et ne pas être essentialisées.
Rebecca Fitoussi : Avons-nous été naïfs ou avons-nous été trahis ? Je repense à ces années 2007/2008 où on s’est tous un peu créé un compte Facebook, contents de retrouver nos copains, contents de partager des photos. À l’époque, nous n’avions pas signé pour ce qui se passe aujourd’hui. Avons-nous été trahis ou avons-nous été profondément naïfs ? Olivier Tesquet.
Olivier Tesquet : Je pense que nous avons tous été un peu naïfs, tous à tous les niveaux, que ce soit les utilisateurs, les citoyens, les responsables politiques. Nous avons peut-être mal envisagé ce qu’étaient ces entreprises, ce qu’était la Silicon Valley. Encore aujourd’hui, quand Trump a été réélu, on a vu les grands patrons de la Silicon Valley, ceux qu’on voit d’ailleurs dans le film, les Mark Zuckerberg, d’autres qu’on ne voit pas, Jeff Bezos, etc., qui se sont tous précipités à la Maison-Blanche pour prêter allégeance au nouveau président. Et là on s’est dit « on ne comprend pas, on pensait que la Silicon Valley c’était démocrate. »
Quand on se penche sur une histoire un peu plus longue de ce qu’est la Californie, de ce qu’est la Silicon Valley, en fait ce n’est pas ça, ça n’a jamais été ce grand paradis démocrate, progressiste, ami de la liberté.
Rebecca Fitoussi : En fait, ils n’ont pas de colonne vertébrale idéologique.
Delphine Sabattier : Disons qu’au départ il y avait quand même une colonne vertébrale idéologique, il y avait ce sentiment d’ouvrir la connaissance, le savoir au monde.
Olivier Tesquet : Je suis assez dubitatif sur cette promesse initiale de connecter le monde, de mettre un peu d’huile dans les rouages des relations humaines, etc. Tous ces grands patrons sont quand même des individus qui détestent la société, qui détestent l’organisation collective, que ce soit d’ailleurs à l’intérieur de leurs entreprises ou l’organisation collective des citoyens.
Rebecca Fitoussi : Ce qui les arrange, c’est de nous segmenter.
Olivier Tesquet : Ils veulent qu’on soit atomisés, atomisables, réductibles à un certain nombre de fonctions mathématiques qu’on peut prédire, etc. Ils sont dans une vision de la société qui est très cynique. On disait « ce sont des libertariens », l’historienne Sylvie Laurent [6] dit que ce libertarianisme c’est une impunité réactionnaire. Ce qu’on n’a peut-être pas perçu, et ce qu’on est en train de se prendre un peu en pleine figure aujourd’hui, c’est que nous avons, face à nous, des forces contre-révolutionnaires, je mets un peu d’emphase en disant ça, je pense qu’on a quelque chose de cet ordre-là. Quand on regarde ça avec ces lunettes-là, le modèle économique de ces sociétés, la manière dont elles fonctionnent, la prédation systématique de nos vies, que ce soit nos vies privées, nos choix, nos goûts, la manière dont on mène nos existences et la manière dont on fait société ensemble, on voit les choses un peu différemment.
Rebecca Fitoussi : Gilles Babinet.
Gilles Babinet : L’évolution idéologique de la Silicon Valley est un sujet vraiment passionnant, parce que c’est de cela dont on parle. Dans les années 70, la Silicon Valley était plutôt communautariste. Quinze millions d’Américains vivaient dans des communautés à cette époque et aujourd’hui elle est devenue réactionnaire. Cette évolution a une explication et je crois qu’elle est assez intéressante. Pour moi, le moment pivot c’est l’élection de Reagan en 1980. Un certain nombre de personnages vont passer de cette culture communautariste, par exemple Steve Jobs, à être l’inventeur du smartphone, qui est vraiment l’emblème de cette fracture, de cette pixellisation de la société de façon assez forte. En fait, il va y avoir d’abord l’idée de dire qu’on veut s’affranchir de l’État fédéral, c’est très fort dans la Californie qui, pendant des décennies, voulait littéralement quitter les États-Unis, avec une histoire qu’il serait trop long de raconter ici, et qui va se transformer dans la logique communautariste : on veut s’affranchir de toute structure de contrôle vertical.
Vous avez finalement une culture politique qui reste assez faible, mais qui est structurée autour de quelques éléments qui sont quand même extrêmement identifiants, avec beaucoup d’argent derrière pour financer ça. Quand vous regardez ce que pense Mark Zuckerberg, je pense qu’il a été assez constant, depuis 20 ans, dans ce qu’il exprime en matière de culture politique c’est : on veut connecter les gens – c’est ce qu’il fait – et on considère que les États sont nos ennemis. En ce moment un certain nombre d’auditions ont lieu au Sénat américain sur cette thématique-là.
Ces gens-là sont des dangers pour la démocratie, je ne peux pas le dire autrement.
Rebecca Fitoussi : On va prolonger cette réflexion.
Delphine Sabattier : Je pense effectivement que nous avons été naïfs sur l’idéologie de cet Internet qui allait tous nous connecter, nous rassembler, mais nous avons aussi été naïfs sur l’impact du numérique, sur la puissance que représente le numérique aujourd’hui dans la société. En tout cas au niveau politique, ici en Europe, on n’a pas vu venir cela.
Rebecca Fitoussi : Pour nous faire acheter toujours plus, pour nous cibler toujours mieux, les annonceurs ont compris qu’il fallait capter notre attention, c’est une des thèses fortes du film, et pour cela, quoi de mieux que des sites qui proposent des contenus sensationnalistes, haineux ou complotistes ? Quoi de mieux que l’émotion engendrée par la peur, le danger le mensonge ? C’est la dérive observée ces dernières années et qui, cette fois, met en danger nos démocraties, en tout cas à en croire ce militant britannique.
Militant britannique, traducteur, voix off : La concurrence de Facebook, ce n’est pas Twitter. La concurrence de Facebook, c’est passer du temps avec vos enfants, c’est passer du temps avec votre femme, c’est lire un livre. Ils ont besoin de garder vos yeux captifs pour pouvoir vous envoyer des publicités et l’une des choses qui fait que nos yeux restent accrochés aux contenus d’un site, c’est la désinformation et la haine, des états hyper émotionnels.
Rebecca Fitoussi : Mickaël Vallet, ce modèle économique pousse à la désinformation, à la diffusion de fake news et met en danger nos démocraties.
Mickaël Vallet : Je vais dire à quoi ça m’a fait penser quand je l’ai vu : un homme d’État de haut niveau, quelqu’un qui n’est pas de mon bord, il y a deux ans de cela, m’a expliqué en discutant, : « Je connais Bolloré depuis très longtemps. Il y a une chose qu’on ne voit pas : on pense qu’il a un projet idéologique par rapport à sa frénésie médiatique, mais en fait, il ne faut pas oublier qu’il s’est d’abord rendu compte que la violence, le clash, le discours haineux, faisaient gagner de l’argent. » C’est une des premières fois où j’ai entendu quelqu’un le théoriser comme cela avec le cas concret Bolloré, il y a eu une commission d’enquête sénatoriale sur le sujet, etc.
Ce qu’on constate là, ce que montre bien le documentaire et ce qui doit vraiment nous alerter, c’est la conjonction d’intérêts entre le capital, ce qui rapporte de l’argent, et la volonté autoritariste. C’est ce rapprochement entre le marché et ceux qui ont des tentations autoritaires qu’on ne doit pas laisser faire, c’est cette jonction qu’on ne doit pas laisser faire.
Rebecca Fitoussi : N’est-ce pas parti d’un intérêt financier pour dériver lentement mais sûrement vers un intérêt politique et idéologique ?
Mickaël Vallet : Non. Je pense qu’il y a une conjonction d’intérêts. On est passé de ce qu’on a connu, la propagande de masse – et c’est là où on a peut-être été un peu naïfs parce qu’on pensait que c’était le fait des régimes autoritaires –, à maintenant du micro-ciblage hyper spécialisé. Le danger c’est qu’on ne voit plus le mécanisme. Avant, au moins on pouvait essayer de décrypter la propagande de masse avec un regard un petit peu distancié. Par exemple, sur la première élection de Bolsonaro au Brésil, il y a eu un temps de retard sur l’analyse de l’élection. On s’est rendu compte, un peu après coup, que les choses se passaient de manière micro ciblée dans la poche des gens sur des groupes WhatsApp, qui n’étaient pas publics, on ne voyait pas cette information être donnée publiquement, mais un nombre impressionnant de gens la recevait. Ça pose donc quelle question ? Je crois que c’est dit dans le reportage : une information fausse ou qui donne un peu du clash, est, je crois, deux fois et demie propagée plus vite et six fois plus repostée, si je peux dire.
Rebecca Fitoussi : D’ailleurs, ça fait appel au cerveau, à la partie reptilienne de notre cerveau.
Mickaël Vallet : Ça fait appel à ça, donc ça fait appel au fait qu’il faut retourner vers la confiance qu’on doit avoir dans la science pour décortiquer tout cela et nous expliquer comment faire en sorte, comme disent les neuroscientifiques, d’inhiber, mais inhiber pour se dire « ce n’est pas parce que j’ai vu l’info deux fois, quatre fois, dix fois, qu’elle est plus vraisemblable qu’une autre », et inhiber, ça s’apprend. On retombe sur les questions d’éducation et l’éducation c’est l’État, c’est le commun, c’est le public, et le public et le marché, s’il n’y a pas ou peu de contraintes, il y en a un qui prend le pas sur l’autre très aisément.
Rebecca Fitoussi : Delphine Sabattier, on a changé de danger. On est d’abord passé par des questions économiques et financières, on a essayé de nous attirer pour nous vendre, aujourd’hui on essaye de nous attirer pour nous convaincre ?
Delphine Sabattier : En fait, c’est le même mécanisme. En publicité, ce qui compte c’est le taux de transformation. Quand on utilise des outils de ciblage, on récupère de la donnée personnelle, mais qui ne vaut rien si elle ne permet pas de changer un comportement. Là, on est passé à un changement de comportement pas juste d’achat mais d’opinion.
Rebecca Fitoussi : Donc, on a peut-être changé de niveau de danger.
Delphine Sabattier : Oui. Ce sont les mêmes mécanismes et on n’a pas vu arriver, encore une fois, l’importance du numérique qui n’est pas juste un moyen de s’informer, de partager le savoir ou d’acheter. Aujourd’hui, c’est vraiment un outil qui innerve toute la société et toute la politique.
Peut-être un point qui n’est pas soulevé dans le documentaire, aujourd’hui c’est l’intelligence artificielle. Vous dites que ça change de dimension, oui, mais on est déjà en train de passer encore à une dimension supérieure. On sait que de la manière dont elles sont construites ces IA génératives ont une capacité de tromperie très importante, ça a été démontré dans plusieurs études, et on autorise aujourd’hui ces systèmes à collecter nos discussions, nos informations, nos données, quand on utilise ces IA génératives pour les entraîner à encore mieux simuler, copier notre langage. Et pour l’instant, on laisse faire ! Il y a cet intérêt légitime qui est une sorte de trou dans la raquette du Règlement européen sur la protection des données.
Rebecca Fitoussi : On laisse faire peut-être parce qu’on est désarmé et qu’on ne sait pas du tout quoi faire face à l’intelligence artificielle.
Olivier Tesquet : Non ! Je ne crois pas.
Mickaël Vallet : Je voudrais simplement préciser que je crois qu’on ne change pas de degré, on change de nature. Quand vous passez d’un système qui s’adresse aux consommateurs et qu’ensuite vous rippez vers la question du citoyen, c’est d’une autre nature. Vendre de la lessive de la manière la plus ciblée possible ou vendre tel ou tel produit, c’est une chose ; manipuler le citoyen, vous changez le projet de nature.
Rebecca Fitoussi : Gilles Babinet.
Gilles Babinet : Je pense qu’on sait quoi faire, maintenant la traduction politique n’est pas toujours là. Lorsque la traduction politique est là, je crois qu’après on a un problème de courage politique. Je prends un exemple : le DSA, Digital services Act [7], a été mis en œuvre maintenant il y a plus de deux ans, c’est un texte assez contraignant pour les plateformes et qui peut les enjoindre à des amendes qui vont jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires. Pour l’instant, ça n’a pas été fait, des instructions sont en cours. Je trouve assez surprenant d’entendre dans les murs de la Commission qu’on hésite à le faire. Normalement, ce n’est pas à la Commission de décider de cela, c’est au pouvoir judiciaire qui est saisi notamment par les citoyens d’abus potentiels, de ce genre de choses. D’après ce que je comprends, la Commission essaie de retenir le pouvoir judiciaire.
Ça ne marche pas comme ça ! Si on a peur de son ombre, on ne va nulle part.
Je crois, et je le dis assez souvent en ce moment, que c’est à nous, Européens, d’avoir la force d’énoncer un projet, un projet politique. Ce n’est pas uniquement en réaction, c’est aussi en action : qu’est-ce qu’on veut ? Qu’est-ce qu’on veut collectivement et pourquoi on pense que ces plateformes sont problématiques ? Si on est toujours en fond de cour, ça va être compliqué. On a l’AI Act [8] qui prévient quand même beaucoup de ces dérives possibles à l’égard des modèles d’intelligence artificielle.
Delphine Sabattier : Sur les usages à haut risque, mais sur les usages du quotidien, finalement aujourd’hui on attend de voir comment ça va s’arbitrer avec le RGPD [Règlement sur la protection des données].
Gilles Babinet : Certains éléments de l’AI Act traitent aussi des biais potentiels des modèles à cet égard. La vraie question, après, c’est vraiment d’avoir une culture collective qui ferait qu’il y ait une sorte de pression politique pour qu’il y ait un passage à l’action et je crois qu’on n’y est pas encore Tout à fait.
Olivier Tesquet : Les premières amendes devaient être prononcées dans le cadre du DSA. On voit qu’il y a des délibérations à la Commission sur le timing, le montant des amendes, parce qu’il faut ne pas s’aliéner l’administration américaine. On essaie, comme ça, de s’adapter, un peu de danser avec le diable. Je pense qu’il ne peut rien en sortir, c’est une stratégie qui a quand même peu payé ces dernières années.
Le souci c’est que j’ai l’impression qu’on voudrait conserver un modèle de libéralisme très débridé, où la compétition est reine, où il faudrait pouvoir stimuler l’innovation des acteurs européens – je peux l’entendre dans une certaine mesure –, mais on voudrait se débarrasser juste des effets toxiques et indésirables de ce modèle-là. Je ne suis pas certain qu’on y arrive sans changement plus radical que ça. Encore une fois, on est face à ces acteurs. Quand vous avez un Peter Thiel qui vous dit que la démocratie est incompatible avec la liberté ! Gilles parlait tout à l’heure de Reagan. L’un des grands économistes, totem de tous ces gens-là, c’est Friedrich Hayek [9] qui, quand il va visiter le Chili de Pinochet, n’a aucun problème, parce qu’entre une dictature et un système libéral, le plus important c’est que le système libéral soit préservé. Si ça doit se faire par le biais d’une dictature ou d’un régime autoritaire, ce n’est pas un problème.
Je pense que tant qu’on n’aura pas envisagé les choses comme ça, on continuera de se fracasser sur les mêmes écueils.
Rebecca Fitoussi : Avant de poursuivre, je voudrais qu’on regarde un dernier extrait parce qu’il porte précisément sur le sujet que vous avez abordé. Ce texte est entièrement applicable depuis le 17 février 2024 et l’idée, je la reprécise pour vous qui nous regardez, est de responsabiliser les plateformes numériques et de lutter contre la diffusion de contenus illicites. On va écouter celle qui a porté le texte, l’ancienne commissaire européenne à la concurrence.
Margarethe Vestager, traductrice, voix off : Que ce soit dans la rue ou sur nos écrans, nous devrions pouvoir faire nos achats en toute sécurité. Que nous tournions des pages ou que nous fassions défiler des pages, nous devrions pouvoir choisir et faire confiance aux informations que nous lisons.
Beaucoup de choses sont illégales dans notre société. Vous ne pouvez pas vous tenir devant l’hôtel de ville et distribuer de la pornographie enfantine, mais ce n’est pas la même chose en ligne. Qui est chargé de surveiller la place publique lorsque vous êtes en ligne ? L’objectif du règlement sur les services numériques [7] est donc de s’assurer que ce qui est illégal hors ligne l’est aussi en ligne et soit traité comme tel.
Rebecca Fitoussi : Est-ce que tout le monde a compris le problème ? L’Europe a posé le bon diagnostic et pourtant le politique semble impuissant.
Mickaël Vallet : Moi qui ne suis pas un européiste de première bourre, vraiment pas, au moment où on a fait la commission d’enquête sur TikTok [2], j’ai constaté que de toute façon, si on veut être sérieux, il faut traiter ce sujet-là d’un point de vue continental. D’autant que là, l’Union européenne a l’occasion d’être sur un point qui correspond vraiment à l’ADN, s’il existe, de la culture européenne, c’est-à-dire le libre arbitre, le fait de pouvoir penser ce que l’on souhaite mais pas forcément l’exprimer comme on le veut parce qu’il y a la question du commun. C’est la question du roman, c’est la question de Don Quichotte, c’est la question de ce qui fait vraiment le fond de la culture européenne et les Trump, les Twitter, etc., sont contre cet état d’esprit.
Madame Vestager a le mérite d’avoir posé le diagnostic. Le texte n’est pas si ancien que ça, mais, à un moment, je vais avoir un propos très politique, vous pouvez faire confiance à Ursula von der Leyen pour appuyer sur le frein en même temps que d’autres appuient sur l’accélérateur.
Rebecca Fitoussi : Parce qu’elle a d’autres intérêts.
Mickaël Vallet : Parce qu’elle a d’autres intérêts, parce que c’est une américanophile qui ne s’exprime qu’en anglais, jamais dans sa langue natale, parce qu’elle fait un discours sur l’état de l’Union tous les ans et qu’on sent qu’elle est dans une autre approche, parce qu’elle essaye de ménager l’administration américaine, parce que ces gens-là ont peur de leur ombre et ne sentent pas souffler le vent de l’histoire et parce qu’il faut que chacun prenne ses responsabilités. Jusqu’à preuve du contraire, c’est elle qui a eu la peau de Thierry Breton [Commissaire européen de 2019 à 2024], très bien aidée en cela par le président Macron. À un moment, il faut aussi se demander ce que les politiques nationaux posent comme actes pour essayer de pousser sur ces sujets-là.
Donc non, je ne fais pas confiance à von der Leyen pour se dire qu’elle va se mettre à dos l’administration américaine avec tout ce qu’on a vu tout à l’heure sur la question de l’allégeance faite par les GAFAM à Trump.
Rebecca Fitoussi : J’entends qu’il y a plus qu’un problème d’efficacité, il y a un problème de volonté politique.
Mickaël Vallet : Si vous prenez le RGPD, qui a quand même été une initiative venue de l’Europe qui, dans d’autres parties du monde, a été vu comme quelque chose de très normatif et souhaitable. Il faudrait qu’on arrive à faire la même chose dans l’application du DSA, la directive sur les services numériques [7], mais ça demande, et je rejoins monsieur, qu’il y ait un combat culturel et il faut aussi que les opinions publiques, que les gens, que les fondations, que ceux qui travaillent sur le sujet aident à cette prise de conscience. Il y a une question de prise de conscience. Ce n’est pas une conscience de classe, mais on n’est pas loin du même mécanisme, une conscience de ces sujets dans l’opinion publique.
Rebecca Fitoussi : Delphine Sabattier.
Delphine Sabattier : Sans entrer dans la politique politicienne de qui décide et des volontés politiques, on a un problème de dépendance à ces technologies américaines. C’est cela qui fausse aujourd’hui toutes les décisions. Le Règlement européen sur la protection des données, le RGPD, est aujourd’hui très faible avec les forts. Il a, en revanche, pas mal cassé un écosystème du marketing, de la pub qu’on peut ne pas apprécier, en tout cas européen, français, qui l’a subi vraiment très violemment.
Aujourd’hui, ces règlements peinent à nous convaincre. Est-ce que le marché a été assaini sur la collecte des données personnelles ? Non. Est-ce que les Big Tech ont été affaiblis ? Non. On voit donc bien que ce n’est pas efficace. Pourquoi ? Parce qu’on ne fait pas de mise en application, on n’est pas assez fort face aux forts parce qu’aujourd’hui on a problème de dépendance. La question c’est : pourquoi n’a-t-on pas nos géants du numérique ?
Rebecca Fitoussi : Et ça fait des années qu’on l’entend. Qu’a-t-on attendu pour les créer ?
Olivier Tesquet : Le problème de situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui, c’est que vous avez une administration américaine avec Trump qui l’a dit très clairement : « Je protégerai, je serai une sorte de bouclier pour les entreprises américaines si l’Europe essaie de s’en prendre à elles. » C’est une menace. Je peux faire un petit exercice de politique-fiction, il n’y a pas besoin de se projeter très loin. On imagine que si l’Union européenne essaie d’infliger des amendes avec des montants un peu importants, peut-être même d’aller plus loin dans des stratégies assez offensives vis-à-vis de ces plateformes, aujourd’hui combien avez-nous de données de l’administration, en France ou en Europe, qui sont hébergées sur des services américains et nous avons face à nous le président qui pratique l’art du deal depuis sa tendre enfance. Que va faire Trump ? Il va nous forcer le bras, donc je pense que c’est aussi un élément d’explication des raisons pour lesquelles nous sommes un peu tétanisés, paralysés.
Rebecca Fitoussi : On arrive très tranquillement à la conclusion de ce débat. Je vais demander à tous de conclure sur cette simple question : qu’est-ce qu’il faut faire ? Est-ce que c’est entre les mains du politique ? Du citoyen ?
Gilles Babinet : On n’en a pas parlé, mais un aspect important c’est effectivement le citoyen, c’est-à-dire que le politique, finalement, quoi qu’on en dise on est quand même en démocratie et, sans avoir un support fort du citoyen, c’est très difficile pour le politique d’agir. Dès que vous commencez à vouloir vous en prendre à ces plateformes, ça a été démontré à maintes reprises, elles ont des capacités de rétorsion, notamment en faisant en sorte que certains politiques ne soient pas réélus. Dans un livre qui vient de sortir, Careless People : A Cautionary Tale of Power, Greed, and Lost Idealism, l’ancienne patronne des affaires publiques de Meta [Sarah Wynn-Williams] montre que les chefs d’État ont peur de Facebook. Ils ont peur de Facebook parce qu’ils savent que c’est Facebook qui peut décider de leur réélection ou pas.
Vous avez donc une altération forte de la démocratie et vous avez un autre problème, c’est qu’il n’y a pas de compréhension de ces sujets. Il y a des débats sur les chaînes de télévision toute la journée, je suis très heureux, nous sommes très heureux d’en débattre, on ne peut pas dire que ça fait le 20 heures. Si vous voulez vraiment qu’il se passe quelque chose, il faut que nous ayons une culture collective de ça, qu’on se dise « OK, je dois faire attention à mes données, je dois utiliser, comme vous le disiez à l’instant… ».
Rebecca Fitoussi : De l’éducation.
Gilles Babinet : On est quand même assez loin de ça et pourtant c’est déterminant pour le futur de l’Europe. Je crois que ce sujet reste un sujet qui est important. C’est pour cela que j’ai monté Café IA [10]. Café IA c’est un mouvement citoyen d’acculturation à l’intelligence artificielle et à tous ces enjeux d’algorithmes. Il faut aller plus loin, il faut démanteler ces dispositifs, il faut faire en sorte notamment qu’on se réapproprie les algorithmes. C’est-à-dire qu’un algorithme qui vous pousse vers des contenus haineux, vous n’en savez absolument rien puisque ce truc est totalement opaque. Des plateformes moins connues, par exemple Bluesky, vous permettent de choisir l’algorithme qui va vous exposer à des contenus que vous choisissez. Ça peut paraître de la science-fiction, mais il n’y a pas d’alternative ou alors il faut fermer ces trucs.
Rebecca Fitoussi : Delphine Sabattier.
Delphine Sabattier : Je pense que pour la sensibilisation, l’idée de dire « OK, vous n’avez peut-être rien à cacher, mais vous n’avez pas envie d’être manipulé », ça peut être un discours qui fonctionne. La mésinformation, le fait d’être mal informé, c’est le premier risque mondial à court terme aujourd’hui, en tout cas selon le rapport du Forum économique mondial. Il faut donc qu’on ait conscience de cela.
On peut vacciner aussi contre la désinformation. Des tests ont été faits par des scientifiques anglais qui nous disent qu’en exposant à petites doses le citoyen a de la désinformation pour lui montrer les mécanismes, il est plus en éveil, c’est évidemment toute la partie éducation.
Et puis du côté du politique, l’Europe n’a pas voulu véritablement se créer de géants. Aujourd’hui nous sommes prisonniers de cette dépendance. Il faut commencer à se faire confiance. On a des géants par exemple dans le jeu vidéo. On a aussi des exemples intéressants dans les télécoms. Autorisons-nous à avoir ces puissances numériques aujourd’hui en Europe.
Rebecca Fitoussi : Olivier Tesquet.
Olivier Tesquet. : En faisant un petit tour de zap, j’ai essayé de rassembler les éléments qui poussent à l’optimisme, ce n’est pas simple.
Je rejoins Gilles sur le constat que les personnalités politiques, les responsables politiques, sont un peu paralysées, tétanisées parce qu’elles ont peur de puissances qui sont plus fortes qu’elles, finalement plus influentes, mais il y a quand même un vrai pouvoir de mobilisation des citoyens. Je pensais à un exemple qui peut sembler un peu lointain sans l’être. On voit qu’à force de tirer sur la corde, Elon Musk est en train de dissuader des milliers, des centaines de milliers de personnes d’acheter des Tesla, on voit toute cette espèce de mobilisation, parfois très symbolique, parfois très pratico-pratique de vandalisation, etc. je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire, en tout cas on voit qu’il y a une mobilisation et qu’à un moment, à force de tirer sur la corde, les gens disent stop.
Ne sous-estimons pas notre capacité collective à être parfaitement révoltés par ce qui est en train de se passer.
Rebecca Fitoussi : Intéressant. Mickaël Vallet pour conclure.
Mickaël Vallet : C’est exactement ça. Il faut réactiver ou donner la possibilité d’avoir une capacité d’indignation. Par exemple ce qui s’est passé, ce qui a été décrit dans Cambridge Analytica [11] aurait dû indigner les États-Unis et le monde entier sur cette manipulation qui a permis de faire basculer des comtés, qui a fait basculer des États et faire honte à ceux qui ont fait ça, réintroduire la capacité d’indignation.
Pour transformer l’individu en citoyen, en l’occurrence le consommateur en citoyen, on n’a jamais trouvé mieux que l’éducation, donc l’Éducation nationale, comme on dit en France à raison, l’éducation populaire qui permet de créer du collectif. Tout ne procède pas de la politique au sens des décisions gouvernementales ou législatives. Il faut avoir cette humilité-là, c’est un tout. Vis-à-vis de l’IA, vis-à-vis des dangers qu’il peut y avoir à côté des effets positifs, c’est sur l’éducation qu’il faut miser. Dix ans, 15 ans ça passe très vite et quand vous avez formé des gens qui sont capables d’avoir une forme de subversion par rapport à ces nouvelles autorités privées qui essayent d’imposer leur modèle, je crois qu’on est sûr de pas se tromper sur des moyens là-dessus, mais il faut avoir le courage de le faire. Quand on voit que sur le contenu des programmes, sur les durées, sur la façon de mettre l’enfant au centre de tout, ce n’est pas évident, il y a donc du chemin à faire, mais il faut avoir l’espoir qu’on y arrive de ce point de vue-là.
Rebecca Fitoussi : Et on espère que cette émission participera à ce début d’éducation et de chemin.
Mickaël Vallet : À n’en pas douter.
Rebecca Fitoussi : Merci. Merci beaucoup à tous les quatre. Merci de cet échange.
Merci à vous de nous avoir suivi comme chaque semaine. Émission et documentaire à retrouver en replay sur notre plateforme publicsenat, fr. À très vite. Merci.