Présentation
- Titre : Culture numérique, cours n°2, Les logiciels libres
- Intervenant : Hervé Le Crosnier
- Lieu : ’Université de Caen, Basse-Normandie
- Licence : CC-by-SA
- Durée : 27min48s
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Transcription
Donc, logiciels libres
Mon objectif c’est de vous présenter un peu les logiciels libres en partant de la spécificité de ce que sont les logiciels et puis de montrer à quel point c’est un mouvement d’une innovation extraordinaire.
Ah ! Bon à l’origine du mouvement, il faut revenir à ce qu’était la vie de la communauté des informaticiens dans les années 60 à 70. À ce moment-là quand un informaticien produisait du code informatique, son premier souhait c’était de le partager avec ses autres collègues informaticiens. Quand il utilisait une machine et qu’il arrivait à lui faire faire quelque chose, c’était surtout qu’on puisse construire dessus. On était dans un modèle qui ressemblait, on le verra un peu plus tard, à la construction de la science. Chacun apporte sa brique et le mur se monte comme ça. Il y avait quand même une espèce d’émerveillement à être capable de faire faire des choses à une machine, à être capable de faire que ces machines communiquent, à être capable de faire fonctionner une imprimante ou fonctionner un autre système à partir de sa machine et donc l’émerveillement ça se partage toujours assez facilement donc les informaticiens faisaient une communauté où l’objectif de partage était naturel à leur communauté jusqu’au jour où des gens se sont dit « Oui mais si mon imprimante, si mon terminal, si mon ordinateur… — je suis le seul à posséder le code, alors je vais pouvoir le vendre, je vais pouvoir vendre le code, non seulement vendre la machine mais vendre aussi le code qui va avec ».
Donc l’idée qu’il devenait possible d’avoir une propriété sur du code informatique et à partir de ce moment-là en faire un objet de marché, quelque chose qui n’allait plus être échangé entre informaticiens. Ça, ça a mis en colère monsieur Richard Stallman, qui est ici en photo et qui a dit « non non ça ne va pas marcher comme ça, on va créer nous du code qui est libre », c’est-à-dire que les informaticiens vont continuer comme auparavant à pouvoir s’échanger et on va vouloir que ce code soit capable de remplir les mêmes fonctions que tout cet autre code dit privatique que les autres, que les entreprises à l’époque, Dec, IBM et tout ça arrivaient à produire.
Et donc on voit bien dès le début, le début des années 80, deux idées de ce que c’est que le code informatique. Est-ce que le code informatique va être un outil pour faire fonctionner les ordinateurs au service des gens ou est-ce que ça va être un nouveau produit pour lequel on va pouvoir créer un marché ? Ça ça a été l’épitomé, une espèce de résumé de tout cela, c’est l’accord puis la détestation entre IBM et Microsoft. À l’origine IBM était fabricant de matériel quand il crée son PC, son Personal Computer, il veut vendre du matériel. Son objectif n’est pas du tout de vendre du logiciel, mais il a besoin d’un système d’exploitation pour faire tourner ce matériel, il passe un accord avec Microsoft. Microsoft n’était ni le meilleur techniquement ni..., mais il était celui qui avait compris, Bill Gates, que le système d’exploitation allait devenir un logiciel qu’on va pouvoir vendre de manière indépendante du matériel, et que le bénéfice ne va pas être uniquement à celui qui va vendre le matériel mais très vite à celui qui va vendre l’outil pour faire tourner ce matériel. C’est d’ailleurs ce que l’histoire a prouvé, c’est Microsoft qui est devenu le numéro 1 et qui a poussé IBM qui a été son premier cheval, dans le fossé. Donc on est là dans une situation nouvelle où on voit émerger un nouveau produit qui est le logiciel qui peut être placé sur un marché, y compris s’accompagner d’un phénomène de pouvoir, c’est-à-dire tout ce qu’on connaît aujourd’hui sur les logiciels commerciaux, leurs grands monopoles en fait qui sont mis en œuvre.
Donc Richard Stallman s’oppose à ce système-là et dès 1985 crée la Free Software Fondation dont l’objectif va être de regrouper la communauté des informaticiens qui refusent ce processus-là et qui au contraire veulent construire du code qui va être partagé. Pour cela il invente un système juridique qui s’appelle la GPL, General Public Licence, une licence, on dit maintenant en français une licence, en fait c’est un contrat qui se rajoute au droit d’auteur. Donc quel était le principe ? Le principe c’est comme je suis auteur du logiciel j’ai le droit du créateur dessus, un droit d’auteur et je décide que mon logiciel va être libre, c’est-à-dire qu’il va respecter les 4 libertés qui sont ici. Les informaticiens donc la liberté commence à zéro. Les informaticiens ceux qui viennent d’arriver là dans un système qui sont en ingénierie de l’internet ont compris assez vite, ou ceux qui sont en licence comme webmestre, que, pour un informaticien, le premier c’est zéro. C’est le premier symbole. Donc la liberté 0 c’est le fait qu’on va pouvoir, tout le monde va pouvoir utiliser un programme. Je ne vais pas pouvoir empêcher quelqu’un de s’en servir, et donc toi tu n’as pas le droit de t’en servir, par exemple parce que tu n’as pas payé, par exemple parce que tu n’as pas acheté le code qui permettait de le faire fonctionner, etc. et c’est toi qui décides de l’usage que tu vas faire de ce programme. Moi je te le donne tel quel, tu te débrouilles pour faire ce que tu veux.
La liberté numéro 1, c’est que comme tu veux faire ce que tu veux, mon programme n’a pas forcément prévu tous les cas donc tu peux l’adapter. Ça veut dire qu’un autre informaticien, pas forcément l’utilisateur moyen, mais un autre informaticien, va pouvoir aller regarder un programme et le changer pour l’adapter à ses propres besoins, donc pas aux besoins qu’avait le premier informaticien. Pour ça il y a une conséquence. Quand je dis il faut qu’un programmeur puisse aller regarder, ça veut dire qu’il faut qu’on lui donne le code source. En informatique il y a le code source et le code objet. Le code objet c’est celui qui fait fonctionner la machine, il est fait de 0 et de 1, il est incompréhensible. Le code source c’est du texte, c’est des commandes, c’est des instructions, c’est des mots enfin des choses qu’un humain peut lire et s’il est du métier peut arriver à comprendre, surtout si le code est bien fait. Donc pour pouvoir accéder à la liberté numéro 1 il faut qu’un informaticien puisse disposer du code source. Ça aujourd’hui, vous allez chez Microsoft, vous ne pouvez pas avoir le code source ! Vous allez chez Apple, vous ne pouvez pas avoir le code source !
La liberté numéro 2 c’est je peux distribuer des copies du logiciel que j’ai dans mes mains. J’ai le droit de le copier, j’ai le droit de servir mon voisin, j’ai le droit d’être généreux avec mon voisin avec ce logiciel que j’ai pu obtenir, ça veut dire que si je prends un logiciel que je l’installe sur un des ordinateurs toute la classe, dans le cadre de l’éducation, peut partager ce logiciel.
Enfin la liberté numéro 3 c’est que j’ai la liberté de coopérer, qu’on a appelé la liberté de coopérer. C’est que j’ai le droit d’améliorer le système et donc de partager les améliorations que j’ai données au système. Ça c’est un autre élément très important, ça évite la logique dite du passager clandestin. Le passager clandestin, c’est celui qui profiterait du système, viendrait, prendrait un logiciel ferait des changements, et puis vendrait les changements sans en faire bénéficier la communauté de ceux qui avaient fait tout le boulot auparavant.
Donc là c’est typiquement le système que la GPL veut éviter. D’où le fait que quand on prend un logiciel GPL et qu’on le modifie, il faut que ces modifications soient elles aussi en GPL. Donc une des conséquences, liberté numéro 1, c’est que le code source va être libre. Donc je vais pouvoir voir ce qui a été modifié et éventuellement re-modifier dessus et donc on est dans ce système incrémental d’amélioration globale du logiciel. Donc ça c’est un phénomène à la fois très important du point de vue de l’amélioration et de l’adaptation des logiciels, très important du point de vue de la formation des informaticiens – quand on peut aller regarder du code, c’est comme ça qu’on apprend - très important du point de vue du statut de la communauté donc c’est un bien commun le logiciel libre c’est-à-dire à nouveau c’est une communauté qui s’est fixée des formes de régulation dont cette fameuse GPL, General Public Licence.
Puis il y a un effet secondaire à tout ça, c’est l’effet que comme tout informaticien pourra avoir le code source, on ne pourra jamais empêcher quelqu’un de distribuer gratuitement le logiciel. Un informaticien qui a un code source, il compile hop il distribue le logiciel. Donc la gratuité du logiciel libre est une conséquence de l’ensemble des libertés qui sont autorisées au programmeur et à l’usager du logiciel libre. Ce n’est pas obligatoirement gratuit un logiciel libre, mais c’est une conséquence, ça peut le devenir. Donc c’est un modèle viral qui ouvre la porte aux micro-améliorations.
Alors il y a eu un autre terme qui est utilisé, autre que logiciel libre, c’est Open Source. Là aussi on garde le principe qu’un informaticien puisse regarder le code source et donc puisse le modifier. L’idée c’est plus de ne pas faire peur aux gens qui viennent du monde du marché en leur disant vous allez être obligés de rendre le logiciel à la communauté. Ça permet en substance de le modifier et de le garder en interne dans l’entreprise, par contre pas de le vendre parce que si on le vend on le revend avec le code source, et à ce moment-là le code source lui-même il faut qu’il reste sur la base de la GPL. L’idée aussi c’est que quand il y a plein de personnes, je vous avais expliqué la dernière fois que le bug fait partie de l’informatique ; programmer du code sans erreur, ce n’est pas possible. Donc le bug en fait partie mais par contre plus il a de gens qui vont regarder le code informatique et plus vous avez de chances qu’on voit les trous de sécurité, qu’on voit les bugs, qu’on voit les problèmes et qu’on les corrige. Donc le logiciel libre est beaucoup plus fiable en réalité que le logiciel propriétaire. C’est d’ailleurs pour ça qu’en France aujourd’hui la gendarmerie est passée en logiciel libre, que l’armée est en train de se poser des questions sur le logiciel libre, c’est que justement, non pas seulement, ce n’est pas seulement une question une question d’argent, on peut dire que ça existe mais ce n’est pas seulement une question d’argent, notamment pour l’armée ; la gendarmerie peut-être, je ne dis pas, mais pour l’armée clairement il y a une question de sécurité du logiciel lui-même.
Juste une chose, je ne sais plus si il y a le transparent plus loin, je vais le dire maintenant cet aspect de gratuité justement, cet aspect du prix. On peut vendre un logiciel libre qui est gratuit. Ce qui est important c’est qu’il existe quelque part la possibilité de le redistribuer gratuitement. Ça ne dit rien sur la capacité à le vendre. Et je peux désirer pour ma part acheter un logiciel qui est gratuit parce que c’est plus pratique pour moi, s’il n’est pas cher, de l’acheter que de passer un temps fou à aller rechercher des bouts de code, des trucs comme ça, je préfère l’acheter, payer et avoir la paix. Et donc c’est un service qui est vendu. Ce n’est pas strictement le logiciel, c’est le service qui va avec. Ce qui fait qu’une entreprise comme Red Hat a pu être cotée en bourse à Wall Street en vendant du logiciel libre, en le vendant aux entreprises, parce que pour l’entreprisse c’est bien plus simple d’acheter le cédérom de Red Hat que d’aller chercher des bouts de code partout en internet et de les reconstituer et tout ça. Et donc il y avait un service qu’on appelle une distribution qui a été faite, qui mérite tout à fait que ces gens gagnent de l’argent avec. Donc le logiciel libre n’est pas contre la vente. Par contre si j’ai acheté un logiciel de chez Red Hat, un cédérom et que je le donne à mon voisin, j’en ai le droit. C’est 2 choses totalement différentes et dans l’esprit du grand public on tend à mélanger tellement ces 2 choses-là qu’on finit par ne rien comprendre. Comment expliquer qu’il y a plein de gens et qu’aujourd’hui IBM est un des principaux contributeurs du logiciel libre. Aujourd’hui Oracle, numéro un des bases de données a racheté Sun et ce faisant est propriétaire de MySQL qui est une base de données en logiciel libre, donc qui est gratuite. Donc on aurait du mal à comprendre que ces grands groupes dont le métier c’est de faire de l’argent, participent à la création du logiciel libre. Ils ont le droit de les vendre, ils s’en servent même. Puis par ailleurs, moi je peux y accéder gratuitement. Donc c’est la double qualité de ce logiciel libre.
Alors, souvent les logiciels libres sont des logiciels essentiels au réseau. C’est-à-dire tout ce dont on a parlé tout à l’heure, BID le logiciel qui gère le DNS est un logiciel libre. Il n’y aurait pas d’internet sans logiciel libre. Si on avait attendu après Microsoft, il n’y aurait jamais eu d’internet. D’accord ! La plupart des logiciels Apache qui servent dans la majeure partie des serveurs web sont en logiciel libre. C’est moins vrai du coté du poste de l’usager, même si ça commence à se développer, les gens utilisent encore le logiciel qui est pré implanté dans leur système, c’est-à-dire Microsoft Internet Explorer au lieu d’installer Firefox dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est de meilleure qualité, mais bon les gens moyens ne savent pas qu’il est de meilleure qualité et donc ils restent avec leur horreur de service.
Et ça permet aussi le logiciel libre l’interopérabilité. C’est un élément intéressant. Le terme interopérabilité a commencé à être compris au moment de la discussion sur le loi DADVSI en France par nos députés. C’est l’idée que quand on a 2, c’est la base même de l’idée d’internet au départ c’est j’ai 2 systèmes différents et je veux n’avoir qu’un terminal pour causer aux 2 systèmes. Pas être obligé de changer de pièce et de terminal et d’appareil quand je suis sur un système ou sur un autre. C’est ça 69. Là on est revenu à la base de base de définition de l’internet. Aujourd’hui l’interopérabilité c’est un peu la même chose. Si j’ai un fichier qui vient d’un certain logiciel ou d’un certain système, je veux pouvoir m’en servir avec un autre logiciel, avec un autre système. Par exemple au début j’avais acheté un DVD, je l’achète et je ne peux pas m’en servir sous Linux. Ça on a bloqué l’interopérabilité. Aujourd’hui sur mon système, quand je vais à l’INA et que j’achète une vidéo à l’INA je ne peux pas la lire. Donc là, on est dans un système où effectivement on a bloqué l’interopérabilité.
Il y a plein de types de logiciels libres. Il y a des logiciels qui servent au fonctionnement du système, notamment le système d’exploitation Linux représenté par le petit pingouin, qui est le plus connu, qui est un peu emblématique. En fait il faudrait dire GNU Linux, GNU étant l’ensemble des autres logiciels. Sous Linux il y a ce qui gère vraiment le système, le noyau et puis ce qui gère l’interface avec l’usager, l’interface graphique et puis les applications. GNU et Linux, cet ensemble-là, forme ce système que j’utilise sur ma machine où j’ai un logiciel là par exemple le logiciel Firefox qui me permet de vous présenter les transparents et puis j’ai le système Linux qui me permet de gérer l’interconnexion, de gérer le courant quand je referme, de me mettre en pause, toutes une série d’applications qui me permet de savoir où sont les fichiers, où sont les appareils ma souris, etc, ça c’est le système d’exploitation.
Alors, Linus Torvalds, qui a créé Linux, était en fait étudiant comme vous à Helsinki en Finlande quand il a pris un premier système qui était dans un cédérom glissé à la fin d’un livre sur les systèmes d’exploitation, un livre théorique lié à l’informatique et il a dit « Ah je vais améliorer ce truc-là, je vais rajouter... » et puis une fois qu’il a eu fait un système fonctionnel il l’a mis sur un serveur, à l’époque FTP, aujourd’hui ce serait sur un serveur web et puis il a écrit un mail en disant aux gens « Écoutez là je viens de bidouiller à partir de Linux un nouveau système, vous pouvez aller regarder et si ça vous plaît, vous pouvez vous en servir et me dire ce que vous en pensez. » Et des milliers de programmeurs sont venus petit à petit et dire ben là on pourrait rajouter ça, qu’est-ce que tu penses de ceci, comment on va corriger telle faute ou rajouter la possibilité de mieux contrôler le disque dur ou d’aller plus vite pour afficher ou que sais-je encore. A partir de ce moment-là il y a une dynamique qui s’est créée, une communauté qui s’est créée autour de ce petit noyau déposé en 91. Nous ici à l’université de Caen dans le laboratoire d’informatique, dès 95 le système Linux a commencé à être implémenté sur certaines des machines qui étaient disponibles dans le département. Maintenant toutes nos machines sont sous Linux. Donc voilà.
Alors ce qui est intéressant c’est de voir comment fonctionne cette communauté. Pourquoi des gens vont bénévolement participer à l’amélioration d’un logiciel. Et puis est-ce que tout le monde peut comme ça dire je viens, je change, je tripatouille, je modifie et j’ajoute.
Pourquoi des gens le font ? C’est Éric Raymond dont vous aviez le portrait tout à l’heure qui disait c’est « Home Staying the noosphère ». J’habite la noosphère, c’est-à-dire la boule de la connaissance qui englobe, je fais partie, c’est mon domaine, j’ai mes copains, j’ai mes réseaux, j’ai mes voisins. Ma vie sociale c’est d’appartenir à cette noosphère. Et puis je suis programmeur donc je vais avoir une discussion, si j’étais footballeur je discuterais de football, je suis avec mes copains programmeurs, je discute de programmes et on vit ensemble, c’est une manière de vivre. Ça c’est une bonne raison pour participer, pour avoir une vraie raison à participer à un système comme ça, ce que le philosophe, son nom va m’échapper, Patrick Viveret, appelle « Pourquoi ça ne va plus mal ». Il a écrit un livre qui s’appelle « Pourquoi ça ne va pas plus mal » . En fait parce que dans la vie de tous les jours il y a des tas de gens qui font ça. Qui vivent, qui font fonctionner le système, non pas en étant payés, non pas parce que c’est leur boulot, juste, ils sont bénévoles. Ils ont leur gamin qui fait du basket, ben tiens, ils prennent leur voiture, ils vont accompagner l’équipe. C’est comme ça que le système que le système marche, c’est la sphère non marchande qui est en fait majoritaire de tous les échanges. En informatique c’est un peu pareil. C’est d’autant plus pareil que les gens dans leur métier peuvent combiner les deux. C’est plus facile quand on est prof d’avoir son mercredi libre pour aller s’occuper des jeunes et faire du sport. Et c’est plus facile quand on est informaticien programmeur de programmer aussi une partie de logiciel libre. Donc on a là une espèce de cohérence qui fait que les gens le font. Pas la peine de se poser des fois des problèmes métaphysiques, il n’y a qu’à regarder, ils le font.
Le deuxième aspect de la gouvernance interne à cette communauté-là, c’est ce qu’on appelle « le bénévolend dictatorship ». Un oxymore. Deux termes contraires qu’on a mis ensemble. C’est en fait une manière de dire je dirige, c’est moi qui choisis, mais je le fais avec une grande distance, je vous laisse en fait le maximum de libertés puis au moment de choisir c’est Linus Torvalds qui choisit, qui dit oui j’accepte d’intégrer ça dans le noyau ou pas. Et ça c’est compensé par un droit élémentaire de ce type de communauté qui est le droit de forker. Le droit de forker c’est l’idée de dire « Quoi ! Linus Torvalds il n’a pas voulu de mon amélioration ! Je m’en vais ! Et je m’en vais en prenant tout ! » Je crée un fork c’est-à-dire une nouvelle branche du logiciel. J’en ai le droit puisque c’est la GPL donc moi j’ai amélioré le système puis je le rends public, il suffit que ma nouvelle branche soit libre pour que j’en ai parfaitement le droit. Par contre ça a un coût, c’est-à-dire je vais me retrouver tout seul et là « home Stayind The noosphère », ce n’est plus tout à fait possible. Donc le jeu de régulation interne à la communauté des programmeurs de logiciels libres c’est trouver l’équilibre entre le « bénévolend dictatorship » et le fait que les gens l’acceptent parce qu’il y a un coût supérieur à forker et à dire : « bon après tout mon idée n’était peut être pas si bonne si elle n’a pas été acceptée » , trouver des manières de se réintégrer quand même dans la communauté sans avoir à aller piquer sa crise et faire son fork de l’autre côté. Par contre si ça devient absolument essentiel et nécessaire, et c’est arrivé très souvent dans l’histoire des logiciels libres, il y a des forks qui se font et puis des communautés où la moitié des gens disent « bon ben non, moi je ne suis plus d’accord. Je vais faire autre chose ! » en partant de la même base. Donc là on voit aussi qu’il y a des formes de gouvernance qui sont adaptées à la fois aux produits logiciels, aux types de personnalité de la communauté qui y participe et qui maintient en permanence cette logique du bien commun c’est-à-dire de quelque chose qui va rester partageable dans la communauté et, en plus dans le cas du logiciel, en dehors de la communauté. Ce que Linus Torvalds, quand il a écrit un livre, a appelé une révolution accidentelle.
Alors après je vais aller plus vite parce qu’on est hors des temps, c’est voir quels sont tous les logiciels, enfin tous les systèmes qui utilisent des logiciels libres, on a parlé de système d’exploitation parce que c’est la base, mais tous les logiciels applicatifs qui vous pouvez utiliser sur un systèmes propriétaire ont une version qui fait le travail équivalent, souvent de meilleure qualité, en tout cas pour les navigateurs web très clairement de meilleure qualité, en logiciel libre, alors pour le réseau donc il y a des navigateurs, il y a le gestionnaire de courrier, le gestionnaire Instant Messenger on peut faire de la messagerie instantanée sous Linux, en utilisant GAIM, maintenant ce n’est plus GAIM qu’il s’appelle, il s’appelle Pidgin, on n’est pas du tout obligé de passe par le système Microsoft.
Chacun sait que Firefox aujourd’hui est devenu le système le plus compétent. Pour la bureautique, on a Open Office qui remplit la majeure partie des activités de bureautique, je n’irais pas jusqu’à dire que c’est aussi compétent que Word, il y a encore des améliorations à faire. Voilà. L’avantage c’est qu’il est libre et puis le format de fichier est stable. Le format de fichier est normalisé. C’est-à-dire quand je passe d’Open Office 1, à Open Office 2, à Open Office 3, je peux, je ne suis pas obligé de le racheter à chaque fois. Tandis que quand je passe de Microsoft 95 à Microsoft 97, etc, je suis obligé de racheter à chaque fois le logiciel parce que le format de fichier a changé. Ça c’est un élément très important il n’y a as pas seulement le logiciel mais il y a les formats des fichiers à l’intérieur. Donc ce qu’on appelle les formats ouverts.
Bon je vais accélérer parce que c’est un peu la fin.
Tous les outils possibles pour utiliser des logiciels libres sont disponibles selon ce processus. Voila.
Alors pourquoi une telle merveille n’est pas partagée par tout le monde ? C’est peut être la dernière question qui mérite d’être posée. Il y a un problème en informatique, c’est le coût de basculement. Ce qu’on appelle le « total cost of ownership » . C’est-à-dire même quelque chose qui est gratuit va me coûter quelque chose. Il va falloir, si je passe de Microsoft à Open Office, que je forme mes secrétaires. Donc temps de formation, payer la formation. Si je passe d’un système Windows que mes informaticiens connaissent bien à un système Linux qu’ils ne connaissent pas bien, il va falloir que je les remette en formation. Et puis au début ça risque de ne pas marcher aussi bien. Il y a un moment donné, pareil quand on découvre quelque chose de nouveau ça ne marche pas forcément aussi bien, et puis on dit « Ouais, mais ça marchait mieux avant ! » Il y a un coût à tout basculement, qui fait que celui qui était là le premier, garde une place toujours. Ça s’appelle l’effet réseau. Il y a toujours des programmes qui sont écrits en Cobol qui est un langage des années 50 qui servait à fabriquer des programmes de paye et plein d’entreprises ont encore des programmes de paye faits en Cobol. IBM continue à revendre des systèmes qui sont relativement anciens parce qu’ils étaient là les premiers et que c’est déjà installé et que ça coûterait plus cher de passer à un autre système fut-il gratuit. Donc Microsoft, il est là, il est installé et en attendant ça tire, ben oui il faut continuer dans cette voie-là parce qu’il y a un coût d’apprentissage au changement. Alors c’est souvent difficile. La ville de Munich quand elle a décidé de tout basculer en logiciel libre s’est donnée 5 ans pour le faire et au bout de 5 ans ils n’ont pas réussi. Il leur faut encore plus. Ce n’est pas une question de qualité des logiciels, ce n’est pas ça qui est en jeu. C’est vraiment ce coût de la formation.
Et donc là on s’aperçoit que le logiciel ça n’est pas un outil technique, c’est un outil social. Alors il est bien technique il y a une technique du logiciel, il y a des sources d’apprentissage, mais c’est avant tout un outil social. Donc le comportement qu’on doit avoir face au choix logiciel ou face au développement ultérieur du logiciel c’est comment les communautés sociales qui se constituent en usage de logiciels vont pouvoir se maintenir dans le temps. Et là on comprend bien par contre qu’une fois qu’on a payé cher le basculement vers le logiciel libre, toutes les évolutions, on va pouvoir en bénéficier en incrémental. Au fur et à mesure ça reste gratuit. Donc je n’ai pas besoin de dire « Ah, il faut encore repayer la licence cette année pour avoir l’amélioration. » Tout reste en incrémental. Et donc à ce moment-là le coût de maintenance lui va tendre à diminuer. Donc il y a un coût de basculement qui est cher et un coût de maintenance qui va tendre à diminuer parce qu’on apprend les fonctions une à une, au fur et à mesure de l’évolution et de l’amélioration des systèmes que l’on utilise.
Voila. Je vais m’arrêter là. Il y aurait bien d’autres choses à dire sur le Logiciel Libre. On aura l’occasion d’y revenir notamment sur le fait que cette innovation juridique qu’est la GPL a servi de modèle à plein d’autres systèmes de développement communautaire du bien commun.