Benjamin Huet, conseiller municipal : Ma question va concerner les licences de logiciels.
En 2022, vous avez décidé de passer les ordinateurs de la mairie du logiciel libre au logiciel privateur en passant notamment à la suite bureautique de Microsoft, question, à l’époque, d’ergonomie, de compatibilité, je crois, avec les partenaires. Mais bon, on sacrifie toujours un peu quelque chose à la facilité.
On disait déjà, à l’époque, que ce choix impliquerait :
- « de confier des données à Microsoft, ce qui est un recul concernant la souveraineté sur les données des Voironnais ;
- que ce type de décision empêche le soutien à des solutions françaises ainsi que tous les emplois qui s’y attachent ;
- que, depuis 2012, on avait des circulaires du gouvernement [1] qui plaidaient plutôt pour le logiciel libre créé sur le territoire européen ;
- et enfin, et pas des moindres puisqu’on parle d’argent, qu’abandonner le Libre semblait grandement contradictoire avec votre annonce de vouloir réduire grandement les dépenses de fonctionnement. » Fin de citation.
Pour cette année, sur le budget prévisionnel, on est à 357 255 euros, en 2021 nous étions à zéro. En 2022, la première année, on était déjà à 70 900 et rien que cette année, le poste de licences de logiciels augmente de 113 000 euros par rapport à l’an dernier, dont une moitié environ semble strictement liée à des augmentations tarifaires.
Le Courrier des maires et des élus locaux rapporte que Microsoft s’est fait une spécialité de remporter des marchés publics en proposant des prix imbattables mais intenables sur le moyen terme. Nous ne sommes pas la première collectivité à le vivre.
Est-ce que vous vous êtes fait avoir, comme beaucoup de consommateurs individuels d’ailleurs, qui ont pris 45 % sur leurs licences cette année ? Est-ce que vous étiez prêt à courir ce risque ? Honnêtement je ne sais pas, je peux me projeter dans les deux possibilités. Ça vient en complément de l’aggravation des questions de souveraineté des données. Voiron reste Voiron. On ne va pas se donner une importance démesurée, mais, dans le contexte géopolitique actuel, cette question n’est pas si anodine que ça. Microsoft est connue pour laisser des backdoors dans ses logiciels. En clair, les données des Voironnais sont donc accessibles au gouvernement d’un pays qui, lui-même, ne se considère plus comme un allié, les choses bougeant très vite ces derniers temps, sans entrer dans le détail du risque plus élevé de coupures ou autres, bref, comme ça s’est déjà vu dans d’autres pays.
On vous avait prévenu, on en est là et je ne vois pas comment on peut sortir de cette situation.
Julien Polat, maire de Voiron : Pour répondre aux questions de Monsieur Huet sur les logiciels, je vais être clair. Les logiciels, c’est un outil de travail, c’est ce qui conditionne le confort et la performance des agents qui travaillent pour la collectivité. Je suis désolé de le dire, et avec des regrets, mais le niveau de performance des outils bureautiques développés par Microsoft, en l’état actuel des choses, ne me paraît pas égalé par les propositions du logiciel libre. Faire un tableau sur, je ne sais plus comment s’appelle l’équivalent de Word dans la suite de LibreOffice [2] ce n’est quand même pas la même chose que de le faire sur Word. Nos agents nous ont réclamé des outils qu’ils maîtrisent, qui sont dans la suite Office, donc c’est d’abord Word, Excel, Outlook aussi, pour la qualité du travail, qui sont plus performants que ceux qu’on peut trouver par ailleurs. Je suis désolé, mais quand il s’agit de donner à nos agents des outils de travail pour leur permettre d’être performants, c’est quand même quelque chose qui compte au-delà de la poursuite du combat politique en faveur du logiciel libre qui est tout à fait respectable, mais qui, pour moi, est un sujet qui passe après la qualité des outils qu’on donne à ceux qui travaillent pour la ville afin de travailler dans des bonnes conditions et avec performance.
La question de la hausse des cotisations, des abonnements logiciels, des licences, c’est le terme adapté. Malheureusement, je ne sais pas si vous l’avez observé, mais on a un modèle économique global qui s’est transformé au profit des licences. De moins en moins, dans ce que vous pouvez faire dans la vie quotidienne, quel que soit le domaine, vous achetez un produit qui vous donne un droit d’usage pour la vie. De plus en plus, on achète un droit d’usage à renouveler tous les ans, même n’importe quel particulier qui, aujourd’hui, achète un ordinateur, peut prendre une licence pour avoir la suite Office, elle est valable pour un an, pour deux ans. Il faut la renouveler sinon on perd le droit d’utilisation, alors qu’au début des années 2000, on achetait Word et on l’avait pour la vie, on pouvait l’utiliser 15 ans plus tard, on n’avait pas à repayer. C’est le modèle économique global du logiciel qui évolue, le modèle de la société, à certains égards, même des voitures. Maintenant, quasi systématiquement, on achète une voiture électrique et en est le locataire plutôt que propriétaire parce que le modèle économique évolue. On peut en penser du bien ou du mal. Pour vous dire la vérité, j’en pense plutôt du mal, mais c’est juste un constat général d’évolution de la société auquel on est exposé comme tout un chacun.
Par ailleurs, quand vous évoquez les questions de sécurité informatique les backdoors supposément laissées par Microsoft, etc., c’est évidemment un sujet très sérieux, fondamental, stratégique pour nos collectivités. Mais, permettez-moi de dire que ce n’est pas l’apanage de Microsoft de poser ce genre de questions. Demain on passe en logiciel libre, la sécurité des données à quoi est-elle liée ? À l’endroit où sont localisés les serveurs où sont stockées les données. Si vous travaillez sur un logiciel libre dont les données sont stockées en Russie ou aux États-Unis, vous n’êtes pas mieux protégé que vous ne pouvez l’être si vous travaillez sur du Microsoft. Tout l’enjeu, ce sont les serveurs sur lesquels sont localisés les données. Je sais qu’il y a un travail en cours à l’échelle nationale ou européenne pour que les serveurs de Microsoft soient implantés en Europe, pour que, précisément, la question de la sécurité des données sur les serveurs soit rendue un petit peu moins dépendante du côté de l’océan Atlantique qui nous sépare.
Je tiens à vous dire que les données informatiques de la ville sont logées sur des serveurs qui sont non seulement en France, mais qui sont dans le pays voironnais et qui sont propriété du pays voironnais. Je ne pense pas que beaucoup de collectivités aient fait ce choix-là, mais notre collectivité, notre direction des services informatiques avait pris le parti, il y a quelques années déjà, d’investir dans son outil de datacenter pour précisément ne pas être dépendantes d’opérateurs qui nous louent des espaces sur leurs serveurs mais qu’on maîtrise moins. Sans doute que les choses ne sont pas totalement parfaites, mais je crois qu’on est quand même un peu plus au point que beaucoup sur cette question.
Et puis, avec un peu de malice, vous me permettrez Monsieur Huet, vous êtes quand même très actif sur les réseaux sociaux, sur Facebook en particulier, vous prenez des publicités sponsorisées sur Facebook, vous enrichissez Facebook plus que moi. Donc, pour ce qui concerne la souveraineté nationale et le financement des grands acteurs du numérique international, concernant notre bilan individuel, le vôtre est plus dégradé que le mien.
Intervenant : Juste pour rajouter un point : les logiciels ne sont pas forcément facturés chaque année, pour certains c’est deux ans ou trois ans, ce qui fait qu’on a une augmentation cette année parce qu’on ne les avait pas l’année dernière. C’est important de le savoir.
Julien Polat, maire de Voiron : C’est vrai qu’il peut y avoir aussi de la volatilité. Si on a un abonnement de trois ans, l’année où on le paye, effectivement le montant augmente et ce n’est pas pour autant qu’il ne sera pas inférieur l’année d’après.
Benjamin Huet : Sur la question de l’efficacité, je vous invite à vous rapprocher, éventuellement, de la ville d’Échirolles, qui a 37 000 habitants ou 40 000, je ne sais plus, à peu près de tête, qui fonctionne en logiciels libres [3]. Il y a un directeur de la stratégie numérique [Nicolas Vivant] et ce n’est pas une commune sous-développée, à l’arrière-garde.
Et, pour l’attaque personnelle, heureusement que nous avons des fonctionnements qui ne sont pas forcément les mêmes sur les prises de position politiques et les prises de position individuelles qui, en plus, pour le coup, ne relèvent pas que de nous. Je vous remercie.