Autour de la préservation des biens communs cognitifs, rencontre entre Richard Stallman et Albert Jacquard le 10 juin 2011

Photo de Richard Stallman

« Le 10 juin 2011, Richard Stallman est intervenu sur "la gauche d’auteur" et les biens communs et Albert Jacquard sur "Comment garantir les biens communs cognitifs de l’humanité ?" sur l’invitation de Libre Accès à la mairie du 2ème arrondissement de Paris.

Transcription

Richard Stallman et Albert Jacquard

Jérémie Nestel : Bienvenue si nombreux et désolé de ne pas savoir mieux vous accueillir. Cette conférence a été un peu improvisée sur les deux agendas de Richard Stallman et d’Albert Jacquard, elle ouvre le festival des Arts Libres du collectif Libre Accès où nous avons d’autres événements, notamment le 17 juin un concert à La Gare Expérimentale où des musiciens vont jouer et qui diffusent uniquement en licence libre, et le 20 juin trois projections de cinéma, parrainées par le collectif Kassandre et la revue Cassandre/Horschamp qui s’intéressent à la libre diffusion.

Donc, je fais un petit rappel, nous avons la chance d’être accueillis en mairie du 2 [NdT : 2e arrondissement de la ville de Paris]. Pour être bien accueilli, il faut respecter et ici c’est limité à 80 personnes, donc je vous invite vraiment à aller en salle des mariages. Je suis désolé pour ceux qui ne verront pas grand chose mais on ne peut pas être plus de 80. Si on pouvait respecter cette maison qui nous accueille... Et d’ailleurs je tenais à remercier dans cette aventure de Libre Accès, ça fait 4 ans qu’on fait des choses ici et en fait ce n’est pas non plus par hasard, parce qu’il y a une dame, avec laquelle on travaille depuis trois ans qui s’appelle Dominique Butin-Friez qui est poétesse et qui en plus d’être poète est la chef de cab. du maire Jacques Boutault. Cette manifestation n’aurait pas pu avoir lieu sans elle, sans la facilité qu’elle a donné à une petite association comme Libre Accès qui est fait d’un collectif hyper-agissant mais qui a quasiment aucun moyen. Donc le collectif Libre Accès, je suis obligé de citer des personnes importantes : Rico da Halvarez et Bituur Esztreym de l’association Musiques Libres ; Joseph Paris, qui vient filmer aujourd’hui, du collectif Kassandre ; Antoine Moreau qui a fondé la Licence Art Libre qui est la licence que nous préconisons à Libre Accès parce que nous trouvons qu’elle est vraiment CopyLeft.

Jérémie Nestel : ça veut dire qu’elle est en adéquation avec ce que nous croyons, c’est-à-dire la possibilité de copier une œuvre, la diffuser et la modifier, voire plutôt que la modifier, la transformer. Voilà. Je tenais aussi à saluer Benjamin Jean, le juriste de Libre Accès qui est aussi sur-actif, Didier Guillon-Cottard qui mène un festival des Arts Libres à Lyon. Voilà, il y a un collectif. Et moi je suis Jérémie, je suis au sein de ce collectif, sans oublier Mathieu Pasquini qui essaie de mener un travail d’édition novateur autour d’In Libro Veritas.

Ce collectif est modeste, mais il est ambitieux dans le sens où nous avons conscience que plus que jamais, ce qui allait de soi, ce qu’on pensait être une prose comme le langage comme disait Monsieur Jourdain, devient quelque chose de fondamental car plus que jamais les auteurs qui créent, se trouvent au centre, à travers les débats du droit d’auteur, instrumentalisés, sur des personnes qui sont en train de vouloir mettre en propriété la pensée. Et on sait très bien que si on commence à vouloir mettre en propriété la pensée, il n’y a plus de création possible. C’est ce qui se passe quand on empêche une personne de copier une musique, par exemple de pouvoir donner des partitions.

Un autre acteur important de Libre Accès, c’est une école de musique, Musiques Tangentes, qui fait le son ce soir avec Bruno Mauguil qui est là. Et Bruno ça fait par exemple plus de 20 ans qu’il se bat dans le jazz pour avoir le droit de donner des partitions à ses élèves. Maintenant c’est interdit, pour apprendre, on n’a plus le droit de donner une partition de musique, parce qu’on considère que donner une partition de musique à un élève c’est enfreindre le droit de l’éditeur et empêcher les auteurs de toucher de l’argent dessus. Car on sait très bien que si il n’y a plus personne qui apprend la musique, si on ne peut plus donner de partitions à des élèves, et bien il n’y aura plus d’amateurs d’art et finalement il n’y aura plus de personne en capacité d’acheter des œuvres, qui auront de plus en plus de mal de vivre actuellement, comme ce qu’essaie de défendre Musiques Tangentes ; ça veut dire du jazz, du rock indé, de la musique électronique, ou des expérimentations musicales.

Donc on est au cœur ce soir de ce qu’on appelle les biens communs, qui nous appartiennent à tous et notamment les biens communs cognitifs, ça veut dire qu’est-ce qui nous permet de faire de la recherche, qu’est-ce qui nous permet de créer et c’est pour ça qu’on tenait à cette rencontre avec, pour nous et on est très modeste, deux des plus grands humanistes de ce siècle qui sont Richard Stallman et Albert Jacquard.

Et je tenais à saluer le travail de Richard Stallman, parce que Richard mène un travail complètement insensé de précision. Il est toujours celui qui pense la logique des choses et qui nous alerte sur les dangers. Son combat contre les menottes numériques est en ça exemplaire. Et donc il y a aussi Albert Jacquard qui est venu, qui est un autre humaniste qui s’est battu sur le droit au logement, sur l’égalité de tout un chacun. Donc ce sont deux hommes qui préservent notre humanité qui vont je pense nous apporter des choses et des pistes sur comment préserver ce qu’on pensait jusqu’à présent appartenant à tous. C’est-à-dire, la pensée et la pensée m’appartient à moi en tant qu’attention mais je ne peux pas privatiser des choses qui sont à tous comme une formule mathématique, comme un poème etc.

Voilà, je tenais aussi à donner la parole à la mairie qui nous accueille avant de vous laisser, je vous remercie.

applaudissements

Représentant de monsieur le Maire : Alors bonsoir à tous. Merci d’être tous aussi nombreux présents. Bienvenue dans la mairie du deuxième arrondissement, la seule mairie verte de Paris, je le répète à chaque fois, mais ça me fait plaisir. Je suis très heureux d’accueillir Albert Jacquard et Richard Stallman pour ce débat qui sera animé par Jean-Pierre Archambault. Jacques Boutault le maire est vraiment désolé de ne pouvoir être présent, il connaît Albert et Richard, il a même participé, il y a quelques années avec Albert Jacquard à un jeûne pour l’abolition des armes nucléaires qui se déroulait dans l’immeuble des petits pères juste à côté de la mairie.

Alors, comment garantir les biens cognitifs de l’humanité ? Ici, modestement, en mairie du deuxième arrondissement nous sommes équipés de logiciels libres, en partie. Nous souhaitons aller plus loin mais cela dépend de la ville de Paris. Plus largement, pour Europe Écologie-Les Verts, le partage du savoir en général mais aussi des semences pour ne citer que cet exemple doit se faire librement.

Voilà. Je ne vais pas parler plus longtemps parce que je sais que le débat va être très riche et très intéressant, que vous êtes tous impatients d’entendre nos intervenants. Je vous souhaite une bonne soirée à la mairie du deuxième.

Applaudissements

Jean-Pierre Archambault : On ne présente plus Albert Jacquard et Richard Stallman, d’autant plus qu’ils viennent d’être présentés. Deux scientifiques de renom international, généticien et informaticien, deux humanistes. Alors pour nous parler de cette importante question de la préservation des biens communs cognitifs... Tout le monde ne le sait peut-être pas mais il y a 2500 ans, Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer et les théorèmes et les démonstrations. Depuis, la recherche scientifique, la science avait évolué, avait changé de méthode, mais on a un peu l’impression de régression qui nous ramène un peu à 2500 ans en arrière. On a un peu l’impression, même plus qu’une impression, qu’aujourd’hui l’objectif, le fil conducteur principal de la recherche scientifique, c’est de créer des monopoles privés au détriment de la production de connaissance.

Donc on est là pour en parler et tout de suite je me tourne vers notre invité qui a traversé l’Atlantique pour venir nous voir, Richard Stallman, de Copyleft, la recherche scientifique ... à toi Richard.

Richard Stallman : Moi d’abord ? Je dois commencer ?

Jean-Pierre Archambault : Oui, tu es l’invité...

Richard Stallman : D’accord. Le sujet de... Comme ça ? Comme ça peut-être ? (NdT : problème pour tenir le micro) Je n’aime pas, je n’aime pas ce goût ! Peut-être ... est-ce qu’il y a un micro au fond de chocolat ?
Rires

Jean-Pierre Archambault : On essaye d’en commander...

Richard Stallman : Est-ce que ça marche ?

Jean-Pierre Archambault : Oui, c’est mieux.

Richard Stallman : J’ai du mal à aborder ce sujet parce que c’est un mélange étrange d’autres questions et je ne sais pas le faire sauf en séparant les questions. Parce qu’il s’agit de la liberté cognitive mais vraiment on a toujours la liberté de penser. Le problème commence quand on essaie « d’exprimer » (NdT : d’exprimer) les pensées dans les mots écrits. Parce que comme ça, il y a des lois qui sont capables de l’interdire. Surtout le droit d’auteur est capable de le faire mais il faut bien distinguer le droit d’auteur des brevets. Les brevets font d’autres choses et normalement ne limitent pas la continuité d’un livre, par exemple. Il n’y a que le droit d’auteur qui limite les mots dans un livre. Et donc vraiment il s’agit plutôt du droit d’auteur.

Et pour bien comprendre le droit d’auteur, il faut le distinguer complètement des autres lois, comme la loi des brevets ou la loi des marques qui font d’autres choses, qui exigent d’autres choses, qui interdisent d’autres choses. Vraiment ces lois n’ont rien à voir entre elles mais elles se confondent souvent sous l’expression « propriété intellectuelle ». Cette expression ne signifie rien que confusion. Et donc pour parler clairement, il ne faut pas l’utiliser. Et je ne l’utilise jamais. Je mentionne cette expression pour la critiquer, je ne l’utilise jamais parce que je veux considérer les questions complètement différentes de chaque loi.

Donc le droit d’auteur interdit de copier, même avec des changements, même avec des transformations la parole de l’œuvre d’autrui. Mais si ça s’étend trop loin, ça peut gêner la création des œuvres et donc cette loi a la tendance d’être destructrice de ses propres buts. Mais pourquoi est-ce qu’on interpréterait une loi de manière à nuire à son but ? C’est parce que ce sont les entreprises qui donnent les ordres et pas la démocratie. Sous l’empire des grandes entreprises, n’importe quelle loi peut être transformée en mesure de pouvoir injuste. C’est la tendance normale d’un état qui obéit aux entreprises comme par exemple l’état français sous Sarkozy et l’état américain sous Obama. L’un et l’autre sont des chevaliers « serveurs » (NdT : servants) des entreprises. Ils sont des fonctionnaires de l’Empire et sous l’Empire des entreprises les choses vont de pire en pire.

Et c’est comme ça que Sarkozy propose toujours des lois, chacune plus injuste que l’autre sur l’Internet.

Parce que son idée de la civilisation dans l’Internet est la civilisation soviétique : surveillance et censure. Mais quant au droit d’auteur, je ne propose pas d’éliminer le droit d’auteur, mais il y a des libertés essentielles pour l’utilisation des œuvres publiées selon le type d’œuvre. Il y a les œuvres d’utilisation pratique, dont la contribution à la société est de s’utiliser dans les travaux de la vie. Il y a aussi les œuvres d’opinion et de témoignages qui servent à montrer la pensée de quelqu’un. Et il y a aussi les œuvres d’art et de « diversion » (NdT:divertissement) ; dont la contribution est dans l’impact de l’œuvre. Et je recommande des diminutions dans le droit d’auteur selon la catégorie de l’œuvre.

Pour les œuvres d’utilisation pratique, il faut commencer par noter que le logiciel est un exemple d’une œuvre d’utilisation pratique. Et je crois que j’ai lutté pendant presque 30 ans pour que les programmes soient libres, pour qu’ils respectent la liberté et les droits de l’Homme des auteurs. Mais toutes les œuvres d’utilisation pratique doivent le faire.

Quelles autres œuvres d’utilisation pratique y a-t-il ? Il y a les recettes de cuisine. Et c’est normal que les cuisiniers copient et changent les recettes puis diffusent leur version des recettes. Les mêmes libertés qui « define » (NdT:définissent) le Logiciel Libre est pour la même raison. Parce que les cuisiniers utilisent les recettes pour faire des travaux dans la vie, pour faire des résultats, c’est-à-dire la cuisine. Donc ils méritent le contrôle des œuvres qu’ils utilisent dans les travaux. Juste comme un utilisateur d’un programme mérite le contrôle du programme qu’il utilise.

Il y a aussi les œuvres de référence et les œuvres éducatives qui doivent aussi être libres, parce que les utilisateurs de ces œuvres méritent le contrôle des œuvres. Et quelles sont les 4 libertés qui définissent en ce cas qu’une œuvre est libre ? Il y en a 4 des libertés essentielles :

  • La liberté d’utiliser l’œuvre comme tu veux, sans restriction de licence, par exemple.
  • La liberté d’étudier l’œuvre dans la forme la plus commode pour l’étudier et de l’échanger dans cette forme plus commode pour l’échanger, pour que l’œuvre fasse ton travail comme tu veux.
  • Et aussi la liberté de diffuser des copies exactes de l’œuvre, c’est-à-dire la liberté d’aider les autres.
  • Et la dernière liberté, la numéro 3, parce que c’est 0, 1, 2 et 3, donc la liberté numéro 3 c’est de diffuser des copies de tes versions modifiées de l’œuvre. C’est-à-dire la liberté de contribuer à ta communauté. Parce qu’il ne suffit pas de protéger la liberté cognitive, ni de protéger le domaine public. Il faut l’augmenter, protéger ne suffit pas.

Et donc les œuvres d’utilisation pratique doivent contribuer à la liberté cognitive et la liberté pratique de faire des travaux dans la vie. Quand je dis la liberté de l’utiliser comme tu veux, ça ne veut pas dire que tu peux faire n’importe quoi. Il y a des mauvaises choses qu’il ne faut pas faire. Comme par exemple si tu as un stylo, tu peux l’utiliser pour la fraude. C’est un crime et doit être un crime. Je ne suis pas pour la liberté de faire de la fraude mais l’œuvre ne doit pas porter de restriction à son utilisation. Faire la fraude est un crime quelques soient les moyens utilisés, il n’y a pas besoin d’imposer une licence sur le stylo. Ce stylo ne peut pas être utilisé par la fraude, il suffit d’interdire la fraude. Donc le stylo ne doit pas porter une licence qui restreigne son utilisation, ni les programmes, ni les recettes, ni n’importe quoi.

Ou quelque chose est mauvais et ne doit pas être fait n’importe comment ou c’est légal et tu dois pouvoir utiliser l’œuvre pour le faire.

Donc la liberté zéro est essentielle et n’entre pas en conflit avec les lois qui interdisent les mauvaises actions.

Et les libertés s’appliquent même au commerce parce que le commerce est légitime. Je ne veux pas interdire le commerce, ni l’éliminer. Donc, les libertés d’utiliser les œuvres doivent s’appliquer aussi au commerce. Ça comprend étudier et changer un programme ou une recette pour l’utiliser dans le commerce, aussi la liberté de diffuser des programmes, des copies commercialement.

J’arrive à la conclusion que les œuvres éducatives doivent être libres aussi parce qu’elles s’utilisent pour un travail pratique. Les États financent la plupart des œuvres éducatives, les États doivent arrêter de financer des œuvres pas libres, ils doivent s’assurer que leur argent, l’argent du public, finance des œuvres éducatives disponibles au public, en liberté.

Mais il y aussi la seconde catégorie, les œuvres d’opinion et de témoignage. Publier une version modifiée d’une telle œuvre et mal représenter quelqu’un d’autre, ce n’est pas une contribution, donc je suis d’accord pour avoir un droit d’auteur qui l’interdise. Mais si les gens ne peuvent pas publier de version modifiée, il n’y a pas besoin qu’ils puissent publier commercialement des copies exactes. Donc, nous pourrions avoir un système réduit de droit d’auteur qui s’applique à toutes modifications et utilisations commerciales.

Mais il y a une liberté minimale qu’il faut que tout le monde ait, c’est la liberté de partager. C’est-à-dire de la distribution non commerciale des copies exactes de l’œuvre. C’est essentiel parce que partager est bon, parce que c’est très utile et parce qu’aujourd’hui c’est possible. Quand le droit d’auteur a été inventé, partager des copies était impossible parce qu’il n’y avait pas de « copieuse », il n’y avait pas d’ordinateur. Donc, la question de savoir si « Le partage était libre ou interdit ? » était une question sans importance dans la vie. C’est comme la question de légaliser que les gens s’envolent avec les bras, c’est impossible, que ce soit interdit ou pas ne change rien.

Mais aujourd’hui, nous pouvons copier les œuvres publiées. C’est très utile. Nous voulons les copier, nous voulons partager et par conséquent ce monde de lois cruelles et injustes est capables de l’empêcher. Et ces lois, les lois que Sarkozy cherche à imposer toujours, sont injustes parce que ce monde de lois injustes est capable de convaincre les gens de ne pas s’aider les uns les autres. Donc partager doit être légalisé.

Mais dans cette catégorie on trouve les œuvres scientifiques, c’est-à-dire les articles qui disent : « Nous avons fait ces expériences et nous avons vu ces résultats ». Ces articles sont des œuvres de témoignage. Les noms des auteurs sont essentiels parce que c’est leur réputation qui est en jeu. Si un problème se trouve après dans cet article, il faut savoir leur nom pour « investiguer » s’ils travaillent pour une entreprise de médicaments, s’ils ont été corrompus, etc. Comment juger sans savoir le nom de l’auteur ? C’est pour cela que ces œuvres se trouvent dans la seconde catégorie.

Mais, comme vous le savez, il y a un grand problème aujourd’hui axé aux articles scientifiques parce que les éditeurs des revues scientifiques ont pris dans l’ère de l’impression le contrôle sur la distribution. Sans même payer les auteurs, ils prennent tous les droits sur les articles pour restreindre la diffusion. Mais dans l’ère de l’impression, ces éditeurs faisaient un service essentiel, ils ne restreignaient pas la diffusion mais faisaient la distribution de la seule manière possible à l’époque. Mais aujourd’hui, la meilleure manière de distribuer ces articles est par Internet, sans frein. Et les éditeurs des entreprises, et des sociétés professionnelles aussi, se sont transformés en obstacles, en parasites. Ils cherchent à bloquer l’accès aux articles scientifiques, ils interdisent la redistribution des articles. Il faut leur ôter ce pouvoir. Il faut légaliser le partage des articles scientifiques et très vite, les universités du monde organiseraient la redistribution de tous les articles pour les rendre facilement et commodément disponibles à tout le monde, avec beaucoup de sites de répétition. Et comme ça, en plus, nous éviterions le danger de perdre ces œuvres dans un désastre.

Si l’œuvre n’est disponible que dans un site, c’est un grand risque. Et même si cette organisation a un « dépositoire » de sauvegarde, ce sont deux sites. Un désastre peut détruire deux sites dans un même pays. Il en faut cinquante, dans tous les continents et quelques uns dans l’intérieur, bien protéger des tsunamis, des astéroïdes, de n’importe quoi. Et ce serait très facile parce qu’un site de distribution peut être un PC normal. Ça suffit aujourd’hui pour distribuer beaucoup de revues scientifiques. Donc ce serait très facile, il ne faut que le permettre.

Mais il y a aussi les œuvres d’art, de « diversion » (NdT : divertissement) et je propose que pour 10 ans il y ait un droit d’auteur sur l’œuvre mais que même dans cette période le partage soit légal. Parce que partager est bon. N’importe quel essai d’interdire le partage attaque la société. Il ne faut jamais. Mais après 10 ans, l’œuvre tombera dans le domaine public et tout le monde pourra publier des versions modifiées de l’œuvre.

Parce qu’une version modifiée d’une œuvre peut aussi être une contribution à l’art. Mais il y a aussi la pratique de « remix », je ne sais pas le dire en français.

Public : Remix.

Richard Stallman : Remix veut dire... Mais il n’y a pas de mot vraiment français pour ça ? L’Académie doit en inventer un pour préserver la langue. Remix veut dire prendre des morceaux de plusieurs œuvres et les combiner pour faire quelque chose de complètement nouveau, de complètement différent. Et ce doit être légal.

Et si l’État interprétait le droit d’auteur pour son but légitime, il serait légal. Mais l’État s’est rendu aux entreprises, à l’Empire et fait la volonté des entreprises dans chaque domaine. Dans le domaine de l’édition, il fait la volonté des grandes entreprises de l’édition qui cherchent toujours à restreindre n’importe quoi qui ait une relation avec une œuvre. Et c’est comme ça que la création même des nouvelles œuvres est restreinte par le droit d’auteur. Le remix doit être légal, évidemment.

Mais en légalisant le partage, nous pouvons réduire un petit peu le système qui appuie un tout petit peu les artistes. Il faut noter que ce système fonctionne très mal. Avec quelques exceptions... il y a des grandes stars qui reçoivent beaucoup d’argent par le système actuel. Et tous les autres reçoivent pas vraiment assez ou presque rien. Donc c’est un système qui ne fait pas bien son but. Je rejette complètement l’idée de rémunérer les artistes parce que ce mot, rémunérer, suppose qu’ils font un travail payé et que nous avons le devoir de les payer, que nous avons un dette à l’artiste pour avoir apprécié l’œuvre. Mais c’est absurde. Voici les œuvres, je peux les apprécier mais est-ce que je dois quelque chose au créateur ? Non, il n’y a pas de telle dette, c’est une pensée absurde. Ce qu’il y a, c’est le désir d’appuyer les arts, c’est autre chose. Je veux pouvoir voir, écouter, etc, ces œuvres donc je reconnais la responsabilité d’appuyer les artistes. Mais c’est autre chose. Quand ils parlent de rémunérer, ils parlent aussi des ayants-droit. Ils disent les ayants droit ... j’ai oublié le mot ... oh c’est ...comme... swindle... escroquerie. C’est une substitution parce que tu dois penser qu’il s’agit des artistes mais en vérité il s’agit des éditeurs. Il s’agit des éditeurs qui ont acheté des droits injustes pour nous punir. Donc ils ne méritent rien, sauf faire faillite.

Et donc ils gagnent dans leur appui pour s’approcher des ayant-droits, tu penses qu’il s’agit des artistes mais en vérité ils versent l’argent aux entreprises. Je rejette ce que l’on sait, je suis contre, rémunérer les ayants droit, je suis pour appuyer les artistes et voici trois manières de le faire, en légalisant le partage :

  • D’abord, avec de l’argent public. On peut recueillir de l’argent par l’impôt spécial ou utiliser de l’argent public, du budget normal. La question est comment le dépenser pour bien appuyer les artistes ? Je propose de diviser la quantité entre les artistes en fonction du succès de chacun. Comme le système actuel. Le système actuel prétend donner de l’argent à chaque artiste selon son succès mais dans ma proposition il ne serait pas divisé en proportion linéaire au succès de chacun parce que comme ça plusieurs grandes stars reçoivent beaucoup d’argent et les artistes au succès moyen en reçoivent très peu. Parce qu’une star peut facilement avoir mille fois le succès de musiciens assez connus ou artistes assez connus mais pas stars. Et donc avec la proportion linéaire, les stars recevraient mille fois l’argent d’autres artistes donc nous faisons des stars très très riches et d’autres artistes ne reçoivent pas assez bien pour leurs besoins normaux. Et donc le système ne fonctionne pas, ce n’est pas efficace comme système pour appuyer les artistes. Donc je propose de diviser l’argent selon la racine cubique du succès de chacun. La racine cubique a cette forme. Si la star A a mille fois le succès de l’artiste B, avec la racine cubique, A recevra dix fois l’argent de B, pas mille fois, mais seulement dix fois l’argent de B. Et donc presque tout l’argent ira aux artistes pas star pour appuyer de manière adéquate beaucoup d’artistes pas stars. Et chaque star recevra plus mais pas énormément plus. Et comme ça nous pourrions appuyer« beaucoup meilleur » (NdT mieux) beaucoup plus d’artistes avec moins d’argent. Parce qu’il ne s’agit plus de rendre très riches les stars, il ne s’agit plus d’appuyer les entreprises.
  • Autre moyen de donner à chaque reproducteur un bouton pour envoyer une petite somme d’argent aux artistes, à l’anonymat et de manière efficace. Et comme ça, presque tout le monde enverra des fois quelqu’argent aux artistes. Cela suppose que chacun de vous pourrait le faire une fois par jour sans noter la perte d’argent, peut-être 1 euro. Je crois qu’un euro serait une quantité appropriée en France. Mais chaque pays choisirait la quantité pour maximiser la quantité totale envoyée.
  • On peut aussi combiner les deux systèmes. Francis Muguet, il y a deux ou trois ans, a inventé un système de mécénat global

et il m’a invité à participer à la conception de ce système. Son idée était de suivre les relations juridiques actuelles pour faciliter l’adoption de ce système et j’ai apporté l’idée d’appui selon la racine cubique. Et donc ce système fonctionne comme si chaque internaute devait payer une somme forfaitaire mensuelle et il pourrait attribuer jusqu’à peut-être un tiers de cette somme aux œuvres, comme il veut. Il peut choisir des œuvres et attribuer ce tiers ou moins s’il veut aux œuvres. Et pour chaque œuvre, la quantité qu’il veut jusqu’à un tiers. Et cet argent ira aux artistes de cette œuvre. Mais le reste serait, et c’est mon idée, distribué selon la racine cubique du succès calculé par les quantités attribuées à chacun. Donc avec l’attribution que les internautes feront, on peut calculer une quantité du succès pour chaque artiste. Puis, le reste serait divisé selon la racine cubique de ces quantités de succès.

Il y a aussi d’autres manières de combiner les deux idées de base. Il peut y avoir d’autres manières de le faire. Le point plus général, c’est qu’il y a des manières « d’appuyer meilleur » les artistes en légalisant le partage avec ces systèmes. Tous les artistes diront : « Prière de partager mes œuvres ». Parce que plus une œuvre se partage, plus l’artiste reçoit. Il faut remplacer le système que nous avons, qui a été inventé dans l’époque de l’impression par un système approprié, à la liberté dans l’informatique de chacun.

Applaudissements

Jean-Pierre Archambault : Merci Richard, tu as posé des questions intéressantes sur lesquelles on pourra revenir. Tu as notamment dit, je suppose qu’il y a un certain nombre d’enseignants dans la salle, que l’État ne devait financer que des œuvres pédagogiques libres. C’est un débat très intéressant parce qu’il n’est pas évident en France actuellement. Tu as aussi fait la promotion de la racine cubique, c’est bien.

Je vais passer la parole à Albert Jacquard. Et pour faire la transition, pour montrer, pour illustrer la globalité, la convergence de toutes ces problématiques, je vais citer John Sulston, prix Nobel de médecine, qui dans les colonnes du journal Le Monde Diplomatique en décembre 2002, évoquait les risques de privatisation du génome humain, et il disait : « Les données de base doivent être accessibles à tous pour que chacun puisse les interpréter, les modifier, et les transmettre », et ajoutait-il : « à l’instar du modèle des logiciels libres, en informatique ». Donc, informatique, génétique, même combat.

Albert Jacquard : Je commence par affirmer que je n’ai aucune compétence à propos des racines cubiques. J’aurai personnellement préféré le logarithme. C’est pas pour le plaisir de faire une plaisanterie, mais je crois que la courbe logarithmique se prête mieux que la courbe au cube pour obtenir des répartitions qui ont du sens.

Mais en amont de toutes ces discussions techniques, il est opportun de s’interroger sur ce que nous considérons comme une liberté intellectuelle. D’accord pour une propriété intellectuelle dont on ne parlera plus, mais une liberté intellectuelle. La liberté de penser, ça au moins, mais la possibilité de diffuser ce que l’on pense, on l’a pas toujours. Et même, on peut penser que c’est en train de régresser. Quelle est donc la vision de l’Homme qu’il faudrait avoir en amont de toutes ces discussions pour essayer d’être cohérent avec notre vision de l’Humanité ?

Qu’est-ce que c’est que l’Humanité ? Par qui ça a été construit ? L’Humanité bien sur a été construite par les Hommes. Mais les Hommes ont été construit par qui ?

La réponse est évidente : par l’Humanité. Et je crois qu’il est bon de partir de cette vision où l’Humanité a été construite par elle même. Et que chacun d’entre nous est le produit de ce qu’il a reçu des autres.

Je crois, le concept essentiel : qu’est-ce que je suis ? Qu’est-ce que je suis en tant qu’être humain ? Je suis bien sûr un être vivant, je suis un objet, je suis... On peut définir des quantités de caractéristiques. Mais ce que je suis fondamentalement, c’est le membre d’une espèce qui a été capable de se construire elle même, et qui maintenant, est capable de se diriger dans les directions qu’elle définit elle même. Cela donne, de chaque espèce, de chaque être humain, une vision qui est nécessairement admirative, l’émerveillement, je suis capable de devenir. C’est ça vivre une vie humaine : devenir. Devenir en fonction de quoi ? En fonction de tout ce que l’on reçoit. Qu’est-ce qu’on reçoit ? On reçoit des cadeaux de la nature : et le pétrole, et le gaz et toutes les matières premières sont des cadeaux de la nature. Mais ce que l’on reçoit de bien plus décisif, c’est les cadeaux de l’Humanité elle-même. Ce que je suis est le résultat de ce que la nature m’a donné, mais ce qui est dans la nature, au fond, je n’y peux rien, est le résultat surtout de ce que je me suis donné à moi-même grâce aux autres.

Et on peut difficilement négliger, comme point de départ de notre réflexion, la vision extraordinaire de Rimbaud disant : « Je est un autre ». « Je est un autre », c’est-à-dire que ce que j’ai de plus riche en moi, c’est ce que j’aurais obtenu des rencontres que j’ai faites. Et finalement, l’essentiel dans une société, qu’elle soit, comme vous l’avez dit tout à l’heure, sous Sarkozy ou sous un autre, l’essentiel d’une société est de permettre à chacun de participer à cet échange, à ces liens et d’admettre comme point de départ que chacun d’entre nous est, en fait, une série de liens. Je suis les liens que j’ai été capable de tisser et je n’ai pu en être capable que grâce aux autres. C’est à la lumière de cette réflexion là, qui est « émerveillante » pour chacun, mais qui est, je crois, lucide, que l’on peut raisonner sur la meilleure façon de distribuer, de répartir, de partager toutes les richesses intellectuelles.

En matière de plaisanterie, j’avais lors d’une réunion préparatoire, évoqué le fait que Archimède aurait pu, il y a un peu plus de 2 000 ans, aurait pu proposer sa vision de la poussée de bas en haut des liquides déplacés, il aurait pu le distribuer autour de lui mais avec un droit d’auteur. Et ce droit d’auteur durant encore, les descendants d’Archimède seraient très riches puisque chaque fois qu’on mettrait le pied dans l’eau, on devrait payer une petite ristourne de quelques centièmes de dollar ou de...

Le public : Euro.

Albert Jacquard : Euro. Euro ! Excusez-moi, c’est significatif de l’âge. Il y a des mots qui m’échappent. Euro est probablement très significatif, euro m’a échappé. Le mot « euro » n’était plus présent dans ma tête, heureusement que vous étiez à côté de moi. Mais je crois que, j’en profite pour le noter, finalement on n’est pas maître de ce qui se passe dans son cerveau et il faut de temps en temps savoir utiliser les accidents. L’accident du mot qui avait disparu me semble significatif, peut-être qu’au fond il ferait mieux de disparaître ce mot, définitivement. Non pas pour calculer en dollar, mais pour calculer en autre chose qu’en valeur.

Et cela me donne la liaison... la liaison avec la réflexion, l’autre réflexion, faite en écoutant mon voisin, la réflexion concernant le rôle de l’argent, du fric, de la valeur. Et il n’a pas été question de valeur au G20, j’ai compris, mais il a été question du fait qu’il y a eu pression de l’argent à toutes les occasions. Lorsque mon voisin a évoqué le rôle de l’État et le rôle des entreprises, en fait, c’était le rôle de l’argent.

Car le rôle de l’État dans l’argent, c’est un rôle donné : fiscal et de redistribution. Alors que pour les entreprises, c’est la finalité qui est de gagner de l’argent.

On ne devrait jamais oublier, chaque fois qu’on fait un choix, et ce qu’il nous a été proposé, c’est une série de choix, d’évoquer la finalité qui est sous-jacente. Quelle est la finalité d’une entreprise ? Cette entreprise peut être aussi bien un fabriquant de semences qu’un éditeur de livre. Quelle est sa finalité ? De gagner de l’argent. Alors que la finalité de l’État, c’est de permettre à chacun de jouer son rôle, d’humain véritable, de jouer son rôle de liaison avec tous les autres sans considérer l’argent.

Par conséquent, on est obligé pour développer des idées concernant la répartition de la propriété, j’allais dire intellectuelle, mais surtout pas, la propriété des idées, s’apercevoir à quel point elle ne peut être réellement appropriée pour la bonne raison qu’elle est inaccessible. Ce que j’ai de plus riche intellectuellement, c’est ce qui m’a été donné par les rencontres que j’ai faites. Et ces rencontres ont été quelques fois des événements décisifs. Ce que je suis en tant qu’être humain, c’est l’être capable de dire « je », comme je l’ai rappelé à propos de Rimbaud. L’être capable de raisonner et qui met l’essentiel de sa richesse à l’abri de la promiscuité avec la valeur.

Et je voudrais, enfin... bien loin, évoquer le rôle néfaste du concept même de valeur, qui était sous-jacent dans la plupart des libertés qui ont été évoquées par mon voisin, sous-jacent avec cette idée qu’une entreprise est là pour fabriquer de la valeur, que l’État lui au contraire, ne fait que s’approprier, au nom de tous, cette valeur.

Est-ce qu’il est normal de laisser une entreprise privée jouer un rôle dans la répartition de la valeur ? Je pensais en écoutant hier une petite anecdote qui a le mérite d’être réelle, ça n’est pas une invention, l’histoire bien connue de « Monsieur 5% », l’homme qui avait découvert le moyen de s’enrichir avec des pétroles qui ne lui appartenaient pas. C’était monsieur Calouste Gulbenkian, mais peut être que tout le monde connaît cette histoire. C’était dans les années 20, et c’est très révélateur du rôle de chacun. Dans les années 20, on a découvert du pétrole quelque part dans le nord de l’Irak, à Kirkuk, et quatre entreprises nationales se battaient les unes contre les autres pour récupérer ce pétrole. Les français qui disaient : « c’est à moi », les anglais en disaient autant, les américains et les hollandais. Donc il y avait quatre puissances décidées à se battre bec et ongles pour récupérer le pétrole de Kirkuk, et risquaient de ne rien avoir du tout, lorsqu’un monsieur Gulbenkian, qui n’avait rien à voir avec le pétrole, qui était directeur d’une galerie de tableaux, ce qui l’amenait à parler pas mal de langues, a fait le tour des quatre nations, des quatre entreprises exactement, en leur disant « vous pouvez espérer avoir tout le pétrole de Kirkuk, vous avez peu de chances de réussir, mais si vous voulez, signez-moi ce papier et je vous donnerais 23,75% des bénéfices ». Les quatre nations se sont laissées faire, ont dit d’accord, et finalement ça a été réparti, chacun des quatre a reçu 23,75%. Mais on s’est aperçu à ce moment-là que 4*23,75 ça fait 95. Il reste donc 5% pour monsieur Gulbenkian. Il n’a pas créé de valeur, il a simplement joué le jeu de faire se heurter des gens, les faire s’opposer, et de faire que cette opposition soit finalement féconde, essentiellement d’ailleurs pour monsieur Gulbenkian, plus que pour les autres. Et bien je crois qu’on est obligé de mêler les considérations d’argent, de valeur, dans toutes les réflexions concernant la répartition de la sagesse, la répartition des savoirs. Un savoir a une valeur. Mais qu’est-ce que la valeur ? La meilleure définition, elle a été donnée par un prix Nobel français d’économie : Maurice Allais qui disait : « La valeur n’est pas une quantité que l’on peut attribuer à un bien, c’est une qualité qui dépend de l’environnement de ce bien ». Et bien le mot « valeur » est donc, si on en croit Maurice Allais, un mot dont on peut se passer, dont on devrait se passer. De même que l’on doit se passer de la propriété intellectuelle, il nous faut apprendre à se passer du mot « valeur ». Imaginez une société qui ne croit plus à la valeur marchande des objets, elle aurait intellectuellement raison, mais il est peu probable qu’elle serait écoutée.

Voilà, ce sont quelques mots que je voulais développer.

Pour en revenir à la définition de l’Homme comme un individu spécifique capable de devenir lui-même au contact des autres, deuxièmement, une vision de la construction de ces individus, les uns par les autres, ce qui suppose que les rencontres qu’ils ont eu les uns avec les autres ont été fécondes et cette fécondité dépend de l’attitude qu’ils avaient lors des rencontres. Une rencontre à base de conflit, à base de destruction, est une rencontre qu’il faut éviter alors qu’elle peut être créatrice. Voilà le critère pour obtenir une société où les rencontres soient des occasions de revaloriser de chacun. Merci.

Applaudissements

Jean-Pierre Archambault : Oui, on a...

Technicien : Ne l’oriente le pas vers les deux micros là-haut si c’est possible.

Jean-Pierre Archambault : D’accord.

Public : ...

Jean-Pierre Archambault : Donc là, la rencontre d’Albert Jacquard et de Richard Stallman a déjà été féconde. On est dans la bonne voie, donc je propose de vous donner la parole pour continuer à féconder.

Public L’idée est définitivement qu’il y a du matériel libre aussi, du design pour des objets...les brevets matériels... Matériel, brevet...

Richard Stallman : Je n’ai rien entendu, il parle trop faiblement pour moi.

Jean-Pierre Archambault : Il demande ce que vous pensez du brevet pour les matériels et du matériel libre.

Richard Stallman : À moi ?

Jean-Pierre Archambault : Peut-être oui...

Rires

Richard Stallman : Je trouve que les brevets posent des problèmes différents selon le champ. Par exemple, les brevets dans l’informatique gênent le développement de logiciels, parce qu’ils menacent tout développeur de logiciels, et les entreprises qui l’utilisent. Parce que chaque brevet s’applique à une idée, mais un grand programme doit combiner beaucoup d’idées, comme des milliers d’idées. Et dans un pays avec la politique idiote, d’autoriser les brevets sur les idées informatiques, si 10% des idées sont brevetées, ce seront des centaines d’idées brevetées dans un programme, des centaines de procès possibles aux développeurs et aux utilisateurs de ce programme, c’est fou ! Et cette politique ne réussit même pas à faire son but, qui est supposé au moins de promouvoir le développement de l’informatique. Mais c’est plutôt un obstacle.

Mais dans d’autres champs les problèmes des brevets sont complètement différents. Rien à voir, rien en commun, sauf qu’ils viennent de la même loi.
Par exemple, il y a les « drogues » (NdT : médicaments). Dans les « drogues », on peut avoir plus d’un brevet sur le même médicament. Oui, et c’est vrai qu’on peut inventer une « drogue » nouvelle et trouver qu’elle est déjà brevetée par quelqu’un d’autre. Et que vous n’avez pas le droit de la produire. Mais il ne peut pas y avoir beaucoup de brevets dessus, pas des centaines de brevets sur une « drogue ». Parce que notre capacité de combiner des idées pharmaceutiques n’est pas si avancée. Personne ne sait combiner des milliers d’idées, dans une « drogue ». Peut-être 10 ? Peut-être.

Donc ce problème est … donc les entreprises pharmaceutiques sont capables de passer cet obstacle. Mais le problème des brevets sur les« drogues » (NdT : médicaments), c’est dans les pays pauvres, où pour les gens pauvres dans beaucoup de pays, qui ne peuvent pas payer le prix de la « drogue ». L’Inde a adopté dans les années 70 une loi très sage de brevets qui disait que breveteune « drogue » n’était pas possible mais on pouvait breveter une manière de produire une « drogue ». C’était pour encourager la recherche, comment produire mieux les « drogues »s connues, pour réduire le prix. Et cette loi a réussie à réduire beaucoup le prix des « drogues » en Inde. Mais l’Organisation mondiale du commerce dans un acte d’assassinat massif a exigé le changement de cette loi et son remplacement par une loi meurtrière. Et pour ça, les chefs de l’Organisation mondiale du commerce et les politiciens qui ont adopté cet agrément devraient être poursuivis à La Haye, pour le meurtre massif. Mais c’est un problème complètement différent parce qu’il ne s’agit que du prix. Mais c’est un problème très important parce que c’est une question de vie ou de mort.

Dans l’agriculture, les brevets posent d’autres problèmes. Parce qu’ils nient aux agriculteurs, le droit de reproduire les semences.

Trois problèmes de structure complètement différents, dans une loi. Mais il y a d’autres champs comme la production des voitures, où des brevets seulement changent des relations entre des grandes entreprises et je n’ai pas d’opinion. Peut-être ce n’est pas important qu’il y ait des brevets ou pas.

Jean-Pierre Archambault : Et sur le matériel libre ?

Richard Stallman : Rappeler que les 4 libertés sont intéressantes pour des choses que nous pouvons facilement copier et modifier. Comme par exemple les œuvres. Si nous avons par exemple une copie d’une œuvre dans un ordinateur, avec un ordinateur nous pouvons faire des copies, nous pouvons faire des changements, donc la liberté de pouvoir le faire a des effets dans notre vie. Mais avec, par exemple, ce microphone, ces libertés n’ont aucun sens. Est-ce que les microphones doivent être libres ? Ça peu importe, ça ne changerait rien parce que ce serait des libertés purement théoriques et impossible à exercer. Donc je ne me bats pas pour une liberté que je ne pourrai pas et que personne ne pourrait exercer dans sa vie. Mais dans le futur, ça peut-être différent. Dans cinquante années, peut-être nous aurions des « fabricateurs » personnels pour faire toutes les choses. Et les instructions de fabrication de quelque chose, dans un « fabricateur » personnel doivent être libres ! Parce que ce sont des œuvres d’utilisation pratique dans la vie pour faire du travail. Mais pas tous, parce qu’il y a aussi des objets décoratifs, à faire dans les « fabricateurs » personnels. Et je crois que les instructions pour les dessins d’objets décoratifs sont de l’art. Donc, je les traiterais comme d’autres œuvres artistiques.

Jean-Pierre Archambault : Donc, dans certaines manifestations de logiciels libres, parfois on propose de la bière libre, donc en fait ce n’est pas de la bière libre.

Richard Stallman : Mais une recette peut être libre. Et les recettes doivent être libres.

Jean-Pierre Archambault : Je crois qu’il y a des mains qui se lèvent. Oui ?

Public : Alors, je vais parler plus philosophie. Sur la liberté justement. Est-ce que la liberté ne permet pas justement de pouvoir créer des conflits et, par les conflits, créer et générer des choses. Parce qu’on a éliminé le conflit ... enfin M. Jacquard a éliminé le conflit comme source de restriction sur l’évolution, c’est un peu une pensée qui gêne. J’aimerais avoir un peu l’avis de M. Jacquard ?

Jean-Pierre Archambault : Vous pouvez répéter plus fort ?

Public : Alors je répète, c’est pour mettre en parallèle la notion de conflit et de création. Dans la liberté, est-ce que la liberté justement nous permet le conflit, et par le conflit, créer et générer ? Parce que la pensée, comment dire, par rapport à ce qui est dit sur le partage de l’argent au niveau des artistes, d’uniformiser et de passer par l’État, en apparté, est-ce que ça ne nivelle pas par le bas les libertés de conflit et de création ?

Albert Jacquard : Je crois qu’il n’y a pas opposition entre conflit et création. En fait, une rencontre pour être féconde, doit être en partie conflictuelle. Et pour autant, ça n’est pas une action, qui soit ou qui ressemble à une compétition. Dans une rencontre, il y a les deux attitudes extrêmes, qui sont la compétition où je veux me débarrasser de l’autre, être un gagnant, l’emporter sur lui, et l’autre attitude c’est l’émulation, où je suis heureux que l’autre soit meilleur que moi car il peut m’aider à être meilleur que moi.

Je cours avec vous, vous courrez plus vite que moi, si on est dans une ambiance de compétition, j’essaie de gagner quand même, quitte à tricher et vous faire un croc en jambe. Je serai gagnant au prix de la triche, mais ce n’est pas grave, c’est mon rôle de compétiteur. Au contraire, deuxième attitude, je cours avec vous, cous courrez plus vite que moi, je m’en réjouis car je me dis « il va m’aider à mieux courir ». Et par conséquent c’est de l’émulation.
L’important c’est de ne pas transformer les conflits en opposition violente, et en compétition mais de les remplacer par de l’émulation, qui signifie une coopération.

Malheureusement, dans notre société, on a développé l’idée que la nature nous obligeait à la compétition. Ce qui est une interprétation fausse du Darwinisme. On est persuadé dans notre société que l’important c’est de gagner. En fait si on ne cherche qu’à gagner, on est sûr que l’aboutissement ce sera la catastrophe. Car il y à la mort au bout. L’émulation n’empêche pas la mort, mais lui donne un autre goût.

Par conséquent, derrière votre remarque, pour moi, il y a une erreur qui est l’erreur de Darwin. Darwin nous l’a appris d’une façon remarquable que l’évolution entre des espèces avait eu lieu, et il a cherché quel était le moteur de cette évolution. Et ce qu’il a trouvé de mieux c’est la sélection naturelle. Mais c’est une vision très arbitraire. En fait, ce qui avait manqué à Darwin, c’est de comprendre ce qui se passait quand on passait le patrimoine génétique d’une génération à la suivante.
Cette transmission de la réalité biologique n’avait été comprise qu’à la suite des travaux de Mendel, qui dit le contraire de ce que disait Darwin. On n’a pas besoin de sélection naturelle, pour expliquer l’évolution. Ce dont on a besoin, c’est du rôle du hasard dans la transmission de la procréation. Mais là, c’est tout un cours que je vais commencer à développer, ça serait trop mais j’insiste, la sélection naturelle est une idée que l’on peut abandonner, on n’en a pas besoin pour expliquer l’évolution. Ce qu’il faut connaître, c’est le rôle du hasard dans la transmission individuelle.

Mais là, je vous donne rendez-vous à une série de cours qu’il faudrait mettre en place pour repenser autrement cette vision que nous avons de l’évolution liée à la sélection.

Jean-Pierre Archambault : On s’inscrira... On s’inscrira aux cours. Une question là ?

Jérémie Nestel : Juste comme les micros portent mal, on peut l’utiliser, mais n’oublions pas que nous avons un organe, ça évite de compter sur une technique défaillante, libre ou pas.

Jean-Pierre Archambault : Comment il s’appelle ce bébé, que vous avez dans les bras ?

Public : Bon, il a pas entendu, ça veut pas porter ? M. Jacquard, vous disiez que chacun d’entre nous n’est que l’ensemble des liens qu’on a pu tisser avec les autres. Que pensez vous de l’évolution de l’homme et de la société avec l’utilisation d’internet et des réseaux sociaux. Comment vous voyez évoluer l’Homme dans ses nouvelles connexions avec l’autre ?
Avec les réseaux sociaux, avec tout ce qui est autour d’Internet aujourd’hui, comment vont évoluer justement les relations qui sont à la base de la définition de l’être humain selon vous ?

Albert Jacquard : J’aimerais vous donner raison mais je le dis, Je vis en marge de l’Internet, donc je ne suis pas l’interlocuteur qu’il vous faut. Je ne sais pas m’en servir.

Public : Ce serait pourtant intéressant d’avoir votre avis.

Albert Jacquard : Mon ordinateur me traite d’imbécile à peu près tous les jours.

Rires

Albert Jacquard : Je ne peux pas lui donner tort. Puisque quelqu’un qui est présent d’ailleurs, ce soir ici, m’aide à jouer avec mon ordinateur, sinon tout seul je ne sais pas faire. Donc, je n’ai pas une opinion loyale vis-à vis de votre question. Je ne crois pas que les liens passant par les machines comme l’ordinateur, soient des liens de haute qualité. L’ordinateur répond à la question qu’on a posée. Mais ce qui est intéressant, c’est de poser une autre question que, de fait, l’ordinateur ne peut pas toujours poser. En fait, c’est une aide à la réflexion, une aide à la … mais ça ne remplace pas une réflexion.

J’aime bien m’apercevoir par exemple ... tant pis je vous demande 3 minutes d’arithmétique. L’arithmétique vous savez tous ce que c’est, un nombre pair vous savez ce que c’est, un nombre premier vous savez aussi, si on vous colle assez, je prends des mots, l’addition, les nombres pairs, les nombres premiers, et si je vous dis créez un langage où 2+2 c’est 4 c’est vrai, 2+2 = 5 c’est faux.

C’est un domaine où quand je dis une phrase, je sais qu’elle sera soit vrai, soit fausse. Et bien c’est faux. Car si je vous dis que tout nombre pair peut-être décomposé en la somme de deux nombres premiers, est-ce que c’est vrai ou est-ce que c’est faux ?

On voit vraiment que vous n’y avez jamais réfléchi et vous vous apercevrez qu’un nombre pair comme 10 c’est 7+3. comme 100 c’est 47+53 ça marche. Prenez n’importe quel nombre pair, vous trouverez deux nombres premiers dont la somme fait le nombre pair. Est-ce que c’est toujours vrai ? Celui qui a découvert ça il y a deux cents et quelques années a écrit au meilleur matheux de l’époque, Euler, et qui a répondu ça marche, mais je ne peux pas démontrer que c’est vrai.

Deux siècles et demi plus tard, on est en train de démontrer qu’on ne pourra jamais démontrer que c’est vrai ou que c’est faux.

Cette phrase admirable que je viens de vous dire, « on ne peut pas démonter etc. », cette phrase-là, jamais l’ordinateur ne me la suggérera.
J’ai besoin de tout autre chose pour vivre avec mon appareil, pour savoir si je suis dans le vrai ou dans le faux. C’est pourquoi, j’ai l’impression qu’à force de me traiter d’imbécile, mon ordinateur va mal terminer sa carrière.

Rires

Jean-Pierre Archambault : Restez gentil avec quand même. Richard sur les liens … ?

Richard Stallman : Je n’ai pas entendu la question, ni la réponse. Je suis dur d’oreille et ça ne marche pas pour moi.

Jean-Pierre Archambault : Sur la question des liens entre les individus, par l’intermédiaire des réseaux sociaux ?

Richard Stallman : Ce n’est pas une question, c’est un grand sujet. Je ne sais pas répondre à ce grand sujet. J’aurais besoin de quelque chose de plus étroit, pour donner une réponse.

Jean-Pierre Archambault : Pas de problème. Oui, là, oui, là, il y en a trois, vas-y.

Public : Donc une question pour Richard Stallman. Vous avez parlé de l’appui aux artistes, qu’est-ce qu’on peut faire pour les producteurs des deux autres catégories d’œuvres, les œuvres scientifiques, donc de témoignage et d’opinion, et les œuvres de la vie pratique comme les programmeurs ?

Richard Stallman : Pour les œuvres scientifiques, les États, et parfois des entreprises, financent la recherche et les chercheurs écrivent leurs articles comme une partie du travail financé. Donc il n’y a rien à faire. Les revues scientifiques ne les paient pas. Donc il n’y a rien à remplacer. Ces auteurs font le travail et donnent le travail sans paiement à une revue qui gêne la distribution de l’article. C’est vrai que la revue fait un service utile. C’est, je ne sais pas le dire, c’est « peer review ». comment dit-on ? Je n’entends rien de ce que tu dis !

Public : Revue produite par les pairs.

Richard Stallman : Quoi ?

Public : Revue à référer peut-être.

Richard Stallman : Mais il n’y a pas besoin de beaucoup d’argent pour faire ça. Donc vraiment, la solution est connue, il ne faut que la volonté de l’appliquer. Quant aux programmes, la solution que j’ai proposée pour l’art ne fonctionnerait pas pour des programmes, ni plus généralement pour les œuvres d’utilisation pratique. Parce que c’est commun que des centaines ou des milliers de contributeurs participent dans la production d’une œuvre. Et il ne serait pas pratique de leur donner de l’argent. Il serait même impossible de décider quelle fraction de cet argent mérite chaque contributeur. Cette question pose des problèmes philosophiques, sans réponse. Mais, heureusement, il paraît que beaucoup participent dans le développement des œuvres pratiques, donc pas besoin. Mais les États peuvent participer dans le financement du développement du Logiciel Libre. Et les États financent déjà la plupart des œuvres éducatives, donc les États pourraient payer quelqu’un ou beaucoup pour écrire des livres de textes libres comme ils payent maintenant.

Public : Est-ce que vous pensez que le Logiciel Libre, enfin le Logiciel Libre et tout ce qui est de type du libre en fait...

Richard Stallman : Je n’entends presque pas !

Public : Est-ce que vous pensez que cette multitude en fait favorise la mémoire en fait ? Le fait de conserver, la conservation, en fait de à la fois des idées et puis comme vous dîtes des recettes, qui n’est pas écrite mais diffusée, elle peut se perdre.

Richard Stallman  : Je n’entends pas et je ne comprends pas ! C’est dommage mais est-ce que vous pouvez redire brièvement la question ?

Public  : Je parlais de la mémoire et en fait de la façon de gérer des idées de telle sorte qu’elles soient conservées de façon meilleure, tout ce qui est produit.

Richard Stallman : Je ne comprends pas bien le sujet. Est-ce qu’il s’agit des recettes pas explicites que des cuisiniers utilisent sans jamais noter les détails ?

Public : Non, ce n’est pas ça c’est en fait,

Richard Stallman : Je suis perdu.

Public  : Quelque chose qui n’est pas diffusé peut disparaître, c’est ce que vous parliez avec les ordinateurs, les choses qui auraient été créées une fois.

Richard Stallman : Donc il s’agit des recettes privées qu’un cuisinier ne publie pas ?

Public : Ça peut être n’importe quoi, un document que quelqu’un écrit, une idée qu’il a pu émettre.

Richard Stallman : Je suis perdu.

Public : Est-ce que c’est préférable, en fait, d’avoir quelque chose qui est …

Jérémie Nestel : Je vais essayer de reformuler, je ne garantis rien.

Jean-Pierre Archambault : Oui vas-y !

Jérémie Nestel : Est-ce que par rapport au problème de garder les idées, de les préserver, du fait qu’il y a des idées qui ne circulent plus, qui ne se diffusent plus, comment finalement favoriser ce que tu disais, garantir que finalement l’ensemble des idées circulent pour garantir...

Richard Stallman : Est-ce qu’il s’agit des idées pas publiées ?

Jérémie Nestel  : Des idées pas publiées pour garantir...

Richard Stallman : Ah donc une recette que quelqu’un utilise sans l’écrire, sans la raconter ?

Jérémie Nestel : Si c’est ça,

Public  : Non, non c’était...

Richard Stallman : Ce que je propose, - discussions dans la salle – je n’entends rien !

Public : C’est aussi les DRM qui empêchent les bibliothèques d’avoir une mémoire à long terme.

Richard Stallman  : Non non, ce sont deux sujets complètement différents. Parce qu’une idée privée dans la tête d’une personne, il n’est pas obligé de le dire et s’il préfère ne pas le dire, tout le droit d’auteur n’a rien à voir. Donc c’est une autre question. Nous pourrions peut-être proposer que les cuisiniers écrivent leurs recettes secrètes pour les garder en cas de mort. C’est possible, on peut l’envisager. Le but du système de brevet était théoriquement de convaincre les gens à publier leurs idées. Mais ce système a été complètement distordu, et maintenant ne sert plus ce but. C’est l’excuse, mais pas vraiment le but. Je ne voudrais pas appliquer les brevets et plus largement pour dans un essai de convaincre les gens à publier des choses. Parce que je sais que ce système a été corrompu. Il y a aussi le problème des œuvres publiées une fois qui se trouvent dans les bibliothèques. Et les bibliothèques n’osent pas les distribuer. Donc le changement que je propose aidera en ce cas, parce que les bibliothèques pourraient les distribuer, pour repartager les copies.

Public : M. Jacquard, vous avez distingué le rôle de l’État, enfin l’intérêt de l’État dans l’entreprise, et quelle place assigneriez-vous à l’État ?

Albert Jacquard : Je n’ai pas compris.

Public : Quelle place vous donnez à l’État ?

Albert Jacquard : Mais l’État, c’est moi. Et je crois qu’il faut que j’affirme ça. L’État c’est moi. C’est un sur 50 millions ou 60 millions de français.

Richard Stallman : Non, c’est moi !

Rires

Albert Jacquard : Bravo !

Richard Stallman : C’est une blague !

Rires

Albert Jacquard : Donnez moi votre papier, votre passeport, et mon objectif, bien je vais vous répondre par une petite anecdote vraie. Ça c’est passé à 500 mètres d’ici, où je défilais dans les rues de Paris pour le droit au logement, et pour les papiers. Avec des amis qui n’avaient pas de papiers, qui risquaient d’aller en prison. Et j’étais avec mes camarades en train de défiler et en poussant des grands cris : « des papiers pour tous ! Des papiers pour tous ! ». Je gueulais comme tout le monde et à 500 mètres d’ici, devant une pharmacie, j’ai eu tout d’un coup une illumination, comme Jeanne d’Arc. Je me suis dit il ne faut pas dire des papiers pour tous, il faut dire des papiers pour personne.

Applaudissements

Albert Jacquard : On a quand même continué mais il ne faut des papiers pour personne. Pour que l’État ne soit pas capable d’emprisonner, de limiter les libertés. Et il n’y a pas que l’État qui limite les libertés, il y a aussi les entreprises. Et tout à l’heure, en écoutant mon voisin, je me disais :« Est-ce qu’il va parler, après j’ai mal compris, du rôle, des rôles spécifiques de l’État d’une part et de l’entreprise de l’autre ». Je crois que nous vivons avec une espèce de fatalisme, qui nous fait croire que les entreprises sont nécessairement gagnantes dans leurs conflits avec l’État. C’est pourtant l’inverse qu’il faut obtenir. Il faut obtenir que celui qui gouverne c’est Sarkozy, c’est Jacquard, ce n’est pas le patron de Monsanto. Le vrai chef, c’est celui que nous avons élu. Alors bien sûr, on peut dire qu’on est mal gouverné, etc., ça c’est toujours vrai, mais il vous faut comprendre qu’au dessus des entreprises, il y a l’État. Et justement parce que l’État c’est moi.

Public : Bonjour, Richard, en fait vous voulez que l’État reverse de l’argent aux artistes,

Richard Stallman : Je n’entends pas, il faut me parler plus lentement.

Public : Vous voulez que l’État reverse de l’argent à des artistes, en fonction du succès qu’ils ont...

Richard Stallman : Oui, c’est une des méthodes que j’ai proposées.

Public : Et pour faire cela, il faudrait quantifier le succès.

Richard Stallman : Oui, je propose d’utiliser des sondages, pour déterminer le succès, pas exact mais environ de chaque artiste, sans surveiller les utilisateurs.

Public : Moi, j’aurais une deuxième question. vous venez de dire, M. Jacquard, qu’on devait observer que l’État était au dessus des entreprises, mais quelque part, on a un souci là-dedans puisque la plupart des entreprises sont des multinationales, sont implantées dans des États différents, se servent justement de la législation dans ces différents États pour faire différents abus, et se servent surtout des traités internationaux qui sont négociés au dessus des États. Quelle est votre opinion par rapport à la position justement des nations dans toutes ces questions autour du droit d’auteur et de différentes propriétés qu’on essaie d’imposer sur les idées ?

Albert Jacquard : Vous avez raison, il y a des multinationales. La conséquence, c’est qu’il faut qu’il y ait un pouvoir qui soit supérieur aux multinationales. Ça suppose une gouvernance planétaire. On parle beaucoup de mondialisation, j’aime pas le mot monde, le monde, on ne sais pas ce que c’est le monde. L’univers c’est trop grand, ce qui est important, c’est la planète. Ce qui est à ma portée, moi qui suis l’État français, c’est d’apporter une possibilité de changer l’état de la planète, l’état de l’humanité, j’en profite pour le faire. Et pour cela, il me faut bien mettre en place un pouvoir supranational. Les nations sont faites pour disparaître. « Les frontières », disait Georges Bidault, un ministre des affaires étrangères français, « les frontières sont les cicatrices de l’histoire », elles sont faites pour disparaître. Et par conséquent, elles nous font penser, par les problèmes les plus larges, à une vision planétaire de la gouvernance mondiale. On y échappera pas.
La grande difficulté, c’est évidemment de maintenir la démocratie au niveau des multinationales. Pour cela, il faut revoir la façon d’élire nos chefs. Il y a dans l’histoire humaine, un exemple, c’était l’histoire de Rome, un exemple de chef d’État qui n’avait pas voulu l’être. C’est pourtant assez clair que celui qui mérite le mieux d’avoir le pouvoir c’est celui qui n’en a pas voulu. C’est arrivé avec Cincinnatus, qui labourait son champ et qui a été obligé de venir gouverner à Rome. Lui, il est retourné dans son champ sitôt que ça a été arrangé.
Par conséquent, n’oubliez pas que celui qui gouverne, c’est celui qui n’a pas envie de gouverner et quant à moi, je ne désire pas gouverner.

Rires

Jean-Pierre Archambault : Le message est clair.

Richard Stallman : L’idée de la démocratie est que tous les pas riches se combinent pour être plus forts que les riches. Mais aujourd’hui, la plupart des États supposés démocratiques se sont rendus aux riches, c’est-à-dire aux entreprises multinationales et donc sont des États traîtres. Ils font des traités appelés de libre commerce, mais vraiment libre exportation, pour rendre le pouvoir qu’ils devraient appliquer de manière démocratique aux entreprises. Donc ce sont des traités visés à nuire à la démocratie. Évidemment complètement injustes. Donc un État qui veut s’échapper, qui veut libérer le peuple de cet Empire devrait rompre ces traités, devrait s’exclure de ces traités, et rétablir la démocratie. Théoriquement, nous pourrions avoir un seul état mondial, et ça peut être bon si c’est démocratique. Pour moi, ça paraît plus difficile que de rétablir la démocratie dans un pays actuel.

Jérémie Nestel : Je ne sais pas si au fond il y a des questions car on privilégie la salle de façon un peu arbitraire.

Public : D’abord une question qui est un petit peu naïve, mais que je vais poser quand même.

Richard Stallman : Je n’entends pas, c’est trop vite pour moi. Je suis dur d’oreille !

Public : Je vais ralentir un peu. Donc, je disais que ma question est peut-être un tout petit peu naïve mais je vais quand même la poser. Pour ce qui est de la rémunération, qu’une loi en racine cubique ou logarithme soit une amélioration par rapport au système actuel, j’en conviens, mais pourquoi se contenter de réduire les inégalités et ne pas les supprimer complètement, pousser le raisonnement jusqu’au bout ?

Richard Stallman : Je n’entends pas bien, qu’est-ce que vous proposez ?

Public : Et bien je propose, pourquoi rémunérer les artistes en fonction de leur succès, pourquoi est-ce que ceux qui ont plus de succès auraient plus de droits que les autres, pourquoi ne pas laisser tomber tout ça et passer directement à l’égalité ?

Richard Stallman : Je n’entends pas ce qu’il dit ! C’est complètement inutile, ça m’embête, il vient de proposer quelque chose pour me critiquer et je ne sais pas quelle critique il a dit ?

Rires

Jérémie Nestel : Il ne t’as pas critiqué, il a juste dit pourquoi réfléchir à des racines cubiques ou des logarithmes, pourquoi ne pas simplement supprimer les rémunérations légales…

Richard Stallman : Je ne parle pas de rémunération, j’ai dit que je rejette ce mot, parce que ce mot suppose une dette vers l’artiste pour apprécier l’œuvre, je n’ai pas proposé une manière de rémunérer à personne, mais j’ai proposé une manière d’appuyer les artistes. Mais à qui ? À tout le monde ? Est-ce que tout le monde est un artiste ? Tout le monde est de quelque manière un artiste, tout le monde peut faire de l’art, est-ce que nous devons donc appuyer également tout le monde ? Peut-être dans une société idéale dans le futur où il n’y aurait plus de manque de n’importe quoi, où il y aurait beaucoup de ressources. Ce peut être..., je pourrais vivre dans une telle société, mais ce changement serait très radical, donc j’ai proposé quelque chose petit, qui pourrait être fait aujourd’hui.

Public : Bonjour, je vais essayer de parler tout doucement, je pense que vous avez entendu parler aussi du…

Richard Stallman : Lentement ! Lentement !

Public : Voilà, je recommence. Je pense que vous avez entendu parler et vous avez participé également à des conférences qui parlaient du revenu de base, du basic income. Alors est-ce que ça ce ne serait pas l’ultime solution pour sauver les artistes et les activités non marchandes justement.

Richard Stallman : Peut-être mais c’est très radical. Et je veux proposer quelque chose de pas radical. Un changement dans une petite portion, dans une seule loi, donc très facile à adopter. Sauf pour l’opposition de l’Empire. Mais l’adoption de ce que je viens de proposer, ne provoquerait pas de grands changements sociaux.

Jean-Pierre Archambault : Sur cette question du revenu minimum...

Albert Jacquard : En tout cas, ce qui est nécessaire pour avoir une vie décente, ça peut être calculé, et ça peut se multiplier par 7 milliards sans problème. Actuellement, la planète produit suffisamment de richesses pour que personne n’ait faim, pour que tout le monde puisse avoir accès à la justice, etc.
Par conséquent c’est une question d’organisation, et pas une question de disponibilité. Pour ça, il faut faire preuve d’un peu d’imagination, pour mettre un pays comme la France au service de pays moins riches. Il faut absolument comprendre à quel point nous sommes en porte-à-faux sur des possibilités qui existent. La terre nous les donne, nous nous en donnons aussi, ça n’est pas une ère, ça n’est pas une utopie, faire que tout être humain ait le minimum décent, je crois que c’est concrètement possible. C’est une question de volonté. Et c’est ça que nous pourrions demander à ceux qui nous gouvernent. Leur demander de, non seulement se sentir en charge de la France ou de l’Angleterre ou de l’Inde, mais d’être en charge de la planète. Au fond, tout être humain est en charge de la planète. J’ai besoin d’être participant à cette gouvernance mondiale. Il faudrait quelques gestes, ça viendra, ça viendra, mais ça vient trop lentement.

Public : Donc, vos idées sont bien jolies, mais qu’est-ce que vous pensez si on continue comme ça ? Pensez-vous qu’on pourrait devenir condamné à être libre. Et donc, je veux dire par exemple, un artiste, qui a une très grande estime de soi, il pourrait ne pas vouloir donner sa partition. Ou un chef de cuisine pourrait ne pas vouloir donner sa recette. Est-ce que vous pensez que ce genre de personne serait en tord ?

Richard Stallman : Est-ce que cette question est posée à moi ?

Public : Oui.

Richard Stallman : Je ne propose pas d’exiger la publication d’aucune œuvre. Je parle du comment, du remplacement du système actuel, qui essaie d’appuyer ceux qui publient des œuvres.

Problèmes de micro

Richard Stallman : Damned. Mais si je le coupe, comment parler à toute l’audience ? Il y a besoin de ce microphone. Donc, si quelqu’un utilise une recette sans la publier, nous n’aurons pas de copie, et la question d’avoir ou ne pas avoir le droit de faire d’autres copies ni de les changer ne se posera pas.

Public : Mais les autres pourraient exiger la copie ?

Richard Stallman : Je n’entends rien, c’est inutile.

Public : Les autres pourraient exiger la copie ?

Richard Stallman : C’est une autre question. Ça c’est une autre question. Je ne propose pas d’exiger des copies, des fois, pas pour une recette, mais des fois, il peut y avoir quelque œuvre utile pour quelque chose de si important que ce serait un devoir envers la société de publier l’œuvre. Je ne crois pas qu’une recette puisse être si importante. Mais peut-être un programme, peut-être. C’est une autre question, ce n’est pas la question à laquelle je me suis dirigé.

Public : Bonsoir, moi je voudrais vous faire part d’un constat, qui est que l’occident en général, les pays industrialisés, se sont dés-industrialisés en fait au fil du dernier siècle, et il me semble que nous produisons majoritairement des biens immatériels. C’est-à-dire des brevets, des œuvres culturelles, tout ce qu’on regroupe faussement sous le terme de propriété intellectuelle.

Richard Stallman : Mais il ne faut pas l’utiliser ! C’est une confusion. Ce que vous venez de dire est pure confusion. Les brevets n’ont rien à voir avec les droits d’auteur.

Public : Mais l’occident en général s’est spécialisé dans de la production immatérielle. Est-ce que vous êtes d’accord avec moi jusque là ?

Richard Stallman : Pas vraiment, non, je trouve que c’est une erreur de combiner même jusqu’à ce point les idées, et les œuvres.

Public : Bon, mais vous êtes d’accord que l’occident s’est dés-industrialisé ?

Richard Stallman : Oui, jusqu’à un point.

Public : Donc dans la mesure où les biens matériels ne sont pas copiables à l’infini, par contre les biens immatériels, eux, sont facilement duplicables à l’infini.

Richard Stallman : Non, non, parce que la duplication s’applique uniquement aux œuvres. Une idée peut être transmise mais on ne la copie pas.

Public : D’accord. Est-ce que vous n’avez pas l’impression que, dans la mesure où il y a une inégalité de traitement entre les biens matériels et les biens immatériels...

Richard Stallman : Je ne vois pas d’inégalité. Ce sont deux choses complètement différentes et l’idée de les traiter de manière égale est absurde.

Public : Bon d’accord, donc ma question ne se pose pas.

Rires

Public : Je voulais faire le postulat que ce combat qu’essaient de mener les pays industrialisés pour, je mets des guillemets autour pour ne pas vous offusquer, les « propriétés intellectuelles »,

Richard Stallman : Non c’est trop vite, je n’ai entendu que l’expression « propriété intellectuelle », qui ne veut dire rien.

Public : Alors, cet acharnement que nous avons nous, je parle de nous, des pays industrialisés, à défendre ces brevets, ces droits d’auteur, etc, est-ce que ce n’est pas les prémices d’une guerre qui se prépare entre nous, entre les pays industrialisés, enfin anciens pays industrialisés, l’occident, et le reste du monde.

Richard Stallman : Je ne sais pas, ce que je note, c’est que les entreprises qui possèdent et utilisent les droits d’auteur n’appartiennent à aucun pays et donc aucun pays n’a le droit de les protéger. Et ces entreprises exploitent les gens dans tous les pays et donc les gens dans tous les pays doivent les traiter comme des ennemis.

Public : Que nous restera-t-il ? Il faudra que nous nous mettions nous-même à produire des biens matériels, que nous avons perdu l’habitude de produire.

Richard Stallman : Qu’est-ce qu’il a dit ?

Jean-Pierre Archambault : Il a dit qu’on ne produit plus de bien matériel et qu’on ne sait plus les produire.

Richard Stallman : Ce n’est pas vrai. C’est seulement que les ouvriers chinois reçoivent moins de salaires. C’est si simple.

Jean-Pierre Archambault : Encore deux questions ?

Public : J’avais une question pour M. Jacquard. Je voulais savoir si vous croyez à la noosphère.

Albert Jacquard : La noosphère, ah l’explication de Teilhard de Chardin. Pour moi, c’est une question de définition. Il appelle noosphère ce qui nous échappe. On peut toujours, mais ça ne sert à rien d’y donner un nom. Pour moi c’est une description sous forme de sphères emboîtées les unes dans les autres. C’est une façon qu’il a d’expliquer les choses, mais ça ne peut pas être un objet, ça ne peut pas être une représentation qui a du sens au niveau géométrique. Pour moi c’est un mot inutile. Et vous avez employé le verbe croire, je crois que le verbe croire est hors du discours scientifique. En science on ne croit pas. On fait l’hypothèse, on regarde si ça marche, quand ça marche on garde, quand ça ne marche pas, on recommence. Mais on ne se dit pas j’y crois. Croire est une attitude de soumission, à une parole qui serait soit révélée, soit affirmée. Cette attitude, je n’en ai pas besoin. Être scientifique, c’est ne pas croire. Jamais Newton n’a cru à l’attraction gravitationnelle. Il n’avait pas besoin d’y croire. Il disait : « tout se passe comme si les masses s’attiraient ». Alors ça c’est vrai, tout se passe comme si, mais ce n’est pas pour autant que la force gravitationnelle est une réalité. C’est bien que nous supprimions le verbe croire. Le monde y gagnerait des étapes intermédiaires.

Jean-Pierre Archambault : Dis-donc, c’est un beau programme, ça.

Public : Bonsoir, j’ai une question au sujet des ... spécialement pour M. Stallman, que pensez-vous de la diffusion et de la promotion de tout ce qui est aspect du libre, donc musique libre, film libre, et logiciel libre sur des plates-formes fermées ?

Richard Stallman : Sur des plates-formes quoi ?

Public : Fermées.

Richard Stallman : Je n’aime pas utiliser ce mot. Fermé ni ouvert. Parce que il faut noter que ceux qui promeuvent du logiciel libre mais ne veulent pas poser la question en terme éthique, qui veulent éviter les questions éthiques ont l’habitude de dire ouvert pour ne pas dire libre. Et ils disent fermé pour ne pas dire privateur. Et je ne suis pas leur opinion, donc je n’utilise pas le mot ouvert ni fermé dans ce contexte.

Mais s’il s’agit de faire un programme libre, qui a besoin de tourner sur une plate-forme privatrice, c’est évidemment un programme piégé. Ce programme peut être libre mais il ne peut pas, il n’est pas capable d’être utilisé dans le monde libre, où nous rejetons la plate-forme privatrice. Donc c’est une erreur. Normalement c’est une erreur d’écrire le programme comme ça. Il faudrait écrire le programme différemment, pour pouvoir fonctionner sur une plate-forme aussi libre. Mais ce problème peut être « curé » (NdT : résolu). Si on développe une autre plate-forme libre pour le même langage alors à ce moment le programme pourra fonctionner dans le monde libre. Et ce que nous avons fait avec le développement d’une plate-forme libre pour Java. Il y avait beaucoup de programmes en Java qui ne pouvaient pas fonctionner dans le monde libre. Mais maintenant ils peuvent.

Mais vous avez parlé de la musique libre. Il faut noter qu’un morceau de musique ou un enregistrement de musique est libre s’il vient avec les 4 libertés. Et je ne dis pas que la musique doit être libre, je dis qu’elle doit être partageable. Ce qui est moins. Mais un morceau de musique ou une partition peut être libre et je ne me plains pas, je ne m’oppose pas à la musique qui est libre, mais je n’exige pas tant.

Mais de toute manière je ne comprends pas comment un morceau de musique pourrait avoir besoin d’une plate-forme pas libre. Il y a des formats de diffusion d’audio qui gênent la liberté. Il y a des formats secrets, par exemple. Il ne faut pas utiliser ces formats pour la diffusion, mais l’enregistrement même pourrait être diffusé dans n’importe quel format. C’est un choix à faire. Donc, il faut choisir bien mais ce n’est pas que ce morceau de musique a besoin d’une plate-forme pas libre. Dites plutôt que ce site diffuse ce morceau de musique dans un format pas libre. Et donc ce site fait une erreur. Ce site devrait le diffuser dans un autre format. Mais ce n’est pas un problème avec le morceau ni avec l’enregistrement.
Et c’est la même chose pour la vidéo. Il y a des formats secrets et des formats brevetés, et c’est un grand problème, mais c’est un choix à faire dans la distribution de la vidéo. Et pas un problème, comment dit-on « inherent » en français ?

Public Inhérent.

Richard Stallman : Inhérent. Ce n’est pas un problème inhérent, c’est un problème de choix dans la distribution. Les formats secrets sont par exemple les formats de RealPlayer et les formats de Quicktime, souvent les formats de Microsoft, de Windows Media Player souvent sont secrets. Mais il y a aussi des problèmes de formats brevetés, comme par exemple MP3, et Mpeg2, Mpeg4, sont des formats brevetés. Donc, quand je fais un fichier de musique, je ne fais jamais en format MP3.

Public : Je voulais préciser ma question, notamment au niveau des idées du libre, donc pas seulement tout ce qui est œuvre, que ce soit la musique ou des films, mais aussi que pensez-vous par exemple que lorsqu’une association se met à créer un site sur...

Richard Stallman : Je n’entends pas les consonnes.

Public : Excusez-moi. Que pensez-vous notamment lorsqu’un site qui se dit diffuser du libre se met à créer une page Facebook notamment qui est une plate-forme plutôt fermée juste pour….

Richard Stallman : Non, non, Facebook n’est pas fermé, pas ça non plus parce que les questions qui se posent pour un service sont des questions complètement différentes. Libre et privateur s’appliquent à une œuvre, pas à un service. Il y a des questions éthiques pour les services mais ce sont d’autres questions. Je crois que c’est meilleur de ne pas utiliser Facebook et je vous prie de ne pas mettre des photos de moi dans Facebook parce que je n’aime pas leur système de reconnaissance automatique de visage, mais c’est une autre question.

Public : Vous pensez que c’est légitime de vouloir diffuser les idées du libre par l’intermédiaire de n’importe quelle plate-forme ?

Richard Stallman : C’est une autre question, je crois que, je conseille les gens de ne pas utiliser Facebook, et je ne l’utilise pas. Mais ça n’a rien à voir avec la question de ce qu’une œuvre soit libre ou pas. C’est une autre question. Il y a beaucoup de questions éthiques dans la vie. C’est une erreur d’essayer de réduire toutes les questions éthiques dans la vie à une seule question qui s’appliquerait à toutes les activités de la vie. Non. Ce sont des questions différentes. Les questions qui s’appliquent à un service, comme par exemple Facebook, sont différentes.

Public : À ce propos, j’aurais une question sur vos espaces d’indignation. C’est-à-dire que moi, je suis indigné contre le fait que l’air qu’on respire, ou les bruits par exemple en vacances, quelqu’un qui fait des bruits avec la moto, toutes les choses qui sont libres….

Richard Stallman : Indignés ! Mais oui, c’est une autre question.

Public : Mais plus généralement et vous je vous pose personnellement la question, qu’est-ce que vous avez comme perspective, quels sont les meilleurs espaces d’indignation pour vous actuellement ?

Fin de l’enregistrement

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.