À quoi sert le CNNum - Émission La Grande Table - France Culture

Titre :
À quoi sert le CNNum ?
Intervenants :
Mounir Majhoubi - Adrienne Charmet - Caroline Broué - Antoine Mercier
Lieu :
Émission La Grande Table France Culture
Date :
02 mars 2016
Durée :
34 min 15
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Présentation

Enseignement supérieur, chiffrement de données personnelles, open source, uberisaton… en quoi sommes-nous concernés par l’action du Conseil national du numérique ?
Pour cette seconde partie d’émission, nous recevons le « jeune, entrepreneur et geek » Mounir Mahjoubi, qui le 2 février dernier a remplacé Benoît Thieulin à la tête du Conseil national du numérique (CNNum). Il dialogue avec la coordinatrice des campagnes de la Quadrature du Net Adrienne Charmet.

Transcription

Dernière partie de La Grande Table de Caroline Broué

Caroline Broué :
Bonjour Mounir Majhoubi.
Mounir Majhoubi :
Bonjour.
Caroline Broué :
Et bienvenue à La Grande table. Vous êtes Directeur général adjoint de BETC Digital, qui est une agence marketing filiale du groupe Havas. Mais ce n’est pas à ce titre-là que nous vous avons invité aujourd’hui, c’est parce que vous venez de prendre la présidence du Conseil national du numérique, après Benoît Thieulin qui est resté trois ans à la tête de ce CNNum, c’est comme ça qu’on l’appelle, le CNNum [1], et Benoît Thieulin vous a adoubé de trois mots : jeune, entrepreneur et geek. Ça vous fait plaisir ?
Mounir Majhoubi :
Oui, ça me fait plaisir et ça me qualifie bien. Le Conseil national du numérique, c’est un objet un peu particulier. C’est un objet qui est dans l’État, à côté de l’État, on est indépendants, on exprime des avis sur tous les sujets, et surtout, on réunit trente experts qui viennent de différents horizons. Comme moi il y a des entrepreneurs, il y a des chercheurs, il y a des gens qui viennent de grosses boîtes, il y a des gens qui viennent de toutes petites startups qui viennent d’être créées, il y a des animateurs d’écosystèmes digitaux. Et puis ce qui nous réunit tous, c’est une expertise du quotidien, du digital et du numérique. Et cette expertise, ce côté geek, cette expertise de la vie numérique, cette expertise de la société à l’ère du numérique, eh bien on la met à la disposition du gouvernement, du parlement, mais aussi des Français pour essayer de donner un peu un regard, une vision, un chemin sur les transformations qu’on est en train de vivre à cause du numérique. Et vous l’avez vu avec l’actualité, elle concerne tout : la vie privée, la sécurité, la vie des entreprises. Ce sont tous ces sujets-là qu’on est amenés à porter. Alors parfois ça nous amène à nous prononcer sur des sujets très divers et ça, nous, on est très heureux à chaque fois qu’on arrive à être utiles.
Caroline Broué :
On va essayer de ne pas partir dans tous les sens parce que précisément, le Conseil national du numérique touche à tout, vous l’avez dit Mounir Majhoubi, mais on va quand même se concentrer sur ce rôle du Conseil national du numérique et sur ce rôle en regardant de près un certain nombre de questions qui ont trait à l’actualité, qui touchent non seulement l’actualité française, mais peut-être même plus, qui touchent l’actualité mondiale. Je pense notamment à cette bataille, on y viendra dans un deuxième temps de l’émission, entre Apple et le FBI puisqu’il touche, ce débat, au débat entre les libertés et la sécurité. Pour vous interroger, à nos côtés, nous avons quand même sollicité la compétence et les savoir-faire de quelqu’un qui connaît très bien tout ce monde du numérique, qui est Adrienne Charmet. Bonjour.
Adrienne Charmet :
Bonjour.
Caroline Broué :
Qui est la coordinatrice de La Quadrature du Net [2]. La Quadrature du Net, c’est l’association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Vous vous occupez de gérer toutes les campagnes de la Quadrature du Net. Et la spécialité de cette association, précisément, c’est la liberté et la sécurité, en tous les cas les libertés.
Adrienne Charmet :
Les libertés oui.
Caroline Broué :
Au sens très large. Aujourd’hui les libertés se confrontent à la question de la sécurité, donc je pense qu’on va y venir. Mais je voudrais qu’on s’arrête effectivement un temps sur ce rôle et cette utilité du Conseil national du numérique, Mounir Majhoubi. Ce Conseil a été créé par Nicolas ou sous Nicolas Sarkozy, par, c’est un peu la même chose disons, en 2011. Comment qualifieriez-vous ce que le Conseil a fait depuis quatre ou cinq ans ? Vous avez rendu, enfin vous, vous n’étiez pas forcément encore là, mais le Conseil a rendu une vingtaine de rapports, sur la fiscalité, sur le numérique à l’école, sur le travail, sur l’emploi. Est-ce que vous avez été suivi, écouté ? Là où ça a pêché, là où ça a porté ses fruits. Qu’est-ce que vous diriez ?
Mounir Majhoubi :
Le Conseil du numérique il est comme le numérique, c’est-à-dire qu’il évolue très vite, il s’adapte et son rôle se transforme. Quand il a été créé on lui a un peu reproché d’être un peu trop un conseil de l’industrie du numérique, avec des membres notamment plutôt issus de l’économie numérique, et pas forcément un conseil de la société à l’ère du numérique. Ce qui s’est passé les trois dernières années avec Benoît Thieulin c’est que ce Conseil a vraiment repositionné sa façon de travailler dans le choix des sujets et dans la façon de les appréhender comme un conseil de la France, du monde, à l’ère du numérique. Ce qui fait que, ces trois dernières années, on l’a plus interrogé sur le travail, sur la santé, sur l’Éducation nationale. Très récemment et là on va rendre dans quelques semaines un rapport sur l’enseignement supérieur, et là je viens d’annoncer la feuille de route avec un grand sujet sur les PME. Donc vous voyez c’est assez divers ce que nous faisons et nos moyens d’intervention, aussi, sont divers.
Caroline Broué :
C’est-à-dire ?
Mounir Majhoubi :
C’est-à-dire qu’on peut être saisi par le gouvernement lors d’un grand projet de loi et dans ce cas-là on demande au CNNum de proposer, comme on le propose à d’autres acteurs, une vision, un regard, un avis sur des questions. Et puis il y a l’auto-saisine, c’est quand le gouvernement ne nous saisit pas sur un sujet, mais qu’on décide que la question est majeure et qu’on a envie d’exprimer une voix importante. C’est notamment ce qui est arrivé en 2015 sur la loi renseignement. Nous n’avions pas été saisis par le gouvernement, qui n’attendait pas forcément notre position sur le sujet. Nous nous sommes auto-saisis, nous avons apporté un regard, une vision sur le sujet. On n’a pas été suivis sur toutes les recommandations qu’on a faites. On a travaillé avec la Quadrature du Net. On ne porte pas toujours les mêmes positions, mais sur la loi renseignement on peut dire que la Quadrature travaille sur le sujet depuis de nombreuses années et, au-delà des positions prises par la Quadrature, il y a aussi ce que la Quadrature a réussi à mettre en place comme vocabulaire. Parce que le problème sur les libertés, sur la sécurité, sur le chiffrement, c’est qu’on manque de vocabulaire simple pour pouvoir parler de ces concepts-là. Parce que ce sont des sujets qui sont assez compliqués, mais qui, finalement,dans notre quotidien de citoyen, dans notre quotidien d’entreprise sont hyper-importants. Donc comment on arrive à trouver un vocabulaire, des valeurs, un système, une doctrine, pour vraiment débattre de ces sujets-là.
Antoine Mercier :
C’est ce que j’ai noté comme questions travail, santé, éducation, éducation supérieure aussi, PME. Ce sont des champs d’action, quelle est votre philosophie principale ? Si vous pouvez la résumer ?
Caroline Broué :
La philosophie de Mounir Majhoubi ou du Conseil national du numérique ?
Antoine Mercier :
Non la philosophie du Conseil. Vers quoi vous allez ?
Caroline Broué :
Quelle vision ?
Antoine Mercier :
Quel est votre corps de doctrine ?
Mounir Majhoubi :
Je vous ai expliqué ce que Benoît Thieulin avec le conseil précédent a réussi à porter : être utile à l’heure d’une société à l’heure du numérique. Nous, on va apporter aussi un upgrad, une augmentation, un suivi et un nouveau moment pour ce Conseil national numérique autour de l’utilité immédiate et sur la praticité et l’opérativité. On a traité de sujets très complexes sur lesquels on a offert un éclairage global, et puis avec des rapports assez longs, assez entreprenants dans l’analyse de l’existant, l’analyse des controverses, avec des recommandations assez larges. Là, dans les rapports qu’on va rendre, notamment sur l’enseignement supérieur et sur les PME, on va essayer d’avoir des recommandations plus directement utilisables par les publics dont on parle. En gros, quand on parle de transformation numérique des universités, on va essayer de faire que ce qu’on va rendre à la fin ce soit utile aux universités elles-mêmes et pas uniquement au gouvernement ou au parlement dans le cadre d’une loi qui, potentiellement, leur serait utile ensuite. Donc ça c’est une première direction nouvelle qui est importante pour nous.

Sur la question, plus largement, du chiffrement par exemple, de la sécurité, un des objectifs qu’on se donne pour cette première année, c’est de faire la pédagogie de ce sujet-là. Nous on veut que les Français, tout à l’heure on a parlé de démocratie participative, je veux que les Français se saisissent du sujet et le comprennent. Et là je pense qu’on peut avoir un rôle, nous, d’éclairage, de pédagogie du sujet, à destination des Français, mais aussi des parlementaires.

Caroline Broué :
Ça veut dire, Mounir Majhoubi, que vous ne serez plus seulement dans l’auto-saisine ou saisis par le gouvernement. Ça veut dire que vous allez, vous-mêmes, proposer des modes d’action, eh bien par exemple de la communication, comme vous le faites aujourd’hui, si vous êtes dans la pédagogie à destination du public.
Mounir Majhoubi :
Tout à fait. C’est aussi un des rôles qui découle de cette capacité d’auto-saisine du Conseil, c’est de se dire il y a des sujets qui aujourd’hui ne sont pas traités ou pas traités nécessairement de la meilleure des manières, sur lesquels il est important qu’une voix nouvelle, une voix d’expert, une voix distanciée et neutre, on n’est pas la voix d’un lobby, on ne représente personne. On n’a pas et on cette chance-là, on n’a pas la responsabilité qu’a un gouvernement dans les équilibres, dans la vie politique, nous on n’a pas cette responsabilité-là. On est là pour donner un regard de ce qu’on imagine comme étant la société idéale à l’ère du numérique.
Caroline Broué :
Adrienne Charmet.
Adrienne Charmet :
Oui. Comme disait Mounir, on a souvent à la Quadrature, été auditionnés de façon très formelle ou beaucoup plus informelle par le CNNum. L’avis de la Quadrature sur le CNNum c’est que globalement c’est un travail intéressant, des rapports intéressants. Maintenant, moi je me pose une question après plus de quatre/cinq ans d’existence du Conseil national du numérique. Après plusieurs rapports, certains sur lesquels on n’était pas forcément toujours d’accord, d’autres de très grande qualité, je pense notamment aux avis du CNNum sur la loi renseignement ou sur le projet de loi numérique, qui était vraiment le gros morceau aussi de l’année dernière, comment faire pour que le Conseil national du numérique serve vraiment à quelque chose, au-delà de produire des rapports qui sont, vraiment pour nous, la plupart du temps intéressants et c’est bien qu’une institution qui soit à côté, mais sous l’autorité de l’État, mais pas totalement, enfin bref, qui ait quand même une certaine reconnaissance gouvernementale, comment faire pour que le CNNum, au-delà de produire des rapports, au-delà de poser un avis, commence à servir à quelque chose, soit pris en compte par le gouvernement ? Le gouvernement actuel ne prend pas beaucoup d’avis en compte, même hors du numérique, c’est quand même une constante depuis quelque temps, mais là, côté CNNum, on va finir par se demander à quoi sert le CNNum s’il ne sert qu’à produire de bons rapports.
Caroline Broué :
C’est la question de l’utilité que vous posiez vous-même d’ailleurs, Mounir Majhoubi.
Adrienne Charmet :
Voilà. Vraiment la question de l’utilité.
Mounir Majhoubi :
C’est la question que je me pose et c’est celle sur laquelle je veux introduire une transformation dans le rôle du CNNum. Je pense que vraiment, sur les trois dernières années, les sujets n’avaient pas été balayés sous ce prisme-là depuis très longtemps. C’est-à-dire que ça a été très important d’avoir ce travail. Sur la loi santé par exemple, sur la loi travail, c’était important qu’on ait ce gros travail de fond, ce gros travail de recherche et qui redonne à tous un vocabulaire, une vision, un regard, qui a stimulé beaucoup de chercheurs. Les rapports du CNUM ils ont beaucoup été utilisés par les associations et les experts, et par les chercheurs de l’autre côté, et aussi par le gouvernement, qui n’a pas forcément tenu compte de toutes nos recommandations. Là aujourd’hui ce qu’on se dit et le bilan que je fais c’est de dire « on a balayé la plupart des questions majeures. Aujourd’hui il faut que sur certains sujets on rentre dans une deuxième phase qui soit celle de l’utilité et de l’opérativité. »
Caroline Broué :
Oui, mais comment ? Vous ne répondez pas à la question du comment.
Mounir Majhoubi :
On va prendre un exemple, c’est plus simple. Enseignement supérieur. C’est une saisine qu’on a reçue de la part du ministre de l’enseignement supérieur à la fin du précédent mandat, le travail a continué entre les deux et puis c’est un travail qu’on a repris avec le nouveau collège qui est arrivé il y a trois semaines. On avait la tentation de faire un grand rapport. Un grand rapport sur l’enseignement supérieur, l’université en 2020, etc. Et puis le ministre Thierry Mandon a été un des premiers à nous bousculer un petit peu en disant : « Écoutez des rapports sur la transformation numérique de l’université j’en ai déjà reçu plein ».
Caroline Broué :
Et ils sont dans tels tiroirs.
Mounir Majhoubi :
Ou parterre derrière telle porte, parce qu’ils sont gros et ne rentrent plus dans les tiroirs. Il nous a lui-même invités à penser l’utilité. Et c’est là que nous on arrive et c’est là où je propose cette nouvelle méthode et on s’est dit « sur l’enseignement supérieur, on ne va as rendre un rapport. On va rendre des outils ».
Caroline Broué :
Chiche !
Mounir Majhoubi :
Chiche ! Mais surtout je peux encore plus dire chiche, parce que c’est prêt. On travaille sur la finalisation de la recommandation. Et donc à quoi ça va ressembler ? Ça va ressembler à une matrice de transformation des universités, c’est-à-dire un objet, un objet conceptuel, sur cinq grands axes de l’enseignement supérieur. Sur chacun de ces axes on a identifié des échelons, de 1 à 4, et dans chacun des échelons des items, c’est-à-dire des actions à mener pour passer à l’échelon supérieur. Cet outil, les universités vont pouvoir l’utiliser pour se positionner elles-mêmes, faire leur propre diagnostic, parce que rappelons que les universités sont autonomes, donc ça c’est très intéressant dans le cadre de notre projet, et elles vont pouvoir identifier les mesures à mettre en place pour pouvoir mener cette transformation numérique.
Antoine Mercier :
Par exemple ? Vous pouvez être plus précis sur un exemple ?
Mounir Majhoubi :
Contenu pédagogique. Contenu pédagogique des universités. L’alpha et l’oméga ce n’est pas le MOOC, parce que tout de suite on se dit c’est le MOOC. En fait, entre rien du tout, il y encore malheureusement des établissements supérieurs qui n’ont rien numérisé dans le cadre de leurs contenus, eh bien il y a une première étape qui pourrait être la numérisation des contenus écrits. Une deuxième étape qui pourrait être la création de vidéos et de supports écrits et de capture des contenus existants. Puis l’ultime étape, le niveau 4, ce serait un parcours pédagogique étudiant, délinéarisé, avec un mélange de présentiel et de numérique, avec une communauté en ligne, etc. Mais nous ce qu’on dit c’est qu’il ne faut pas demander à un établissement qui n’a pas reçu les financements ou qui n’a pas su prendre le virage suffisamment tôt de tout de suite passer ça. Parce que ça nécessite des changements structurels, des changements organisationnels et des investissements. Donc on dit à ces établissements « regardez tout ce que vous pouvez déjà faire en étape 1. Regardez ce que vous pourrez demander comme financements. » Parce qu’en fait, à quoi elle va servir cette matrice ? C’est que ces établissements, pour pouvoir avancer, il faut qu’ils soient financés. Le problème, c’est que sur les questions numériques, tout change extrêmement rapidement. Eh bien c’est compliqué, pour une université, de savoir exactement quoi demander dans le cadre des grands financements PIA2, PIA3, qui sont quand même des enveloppes de plusieurs dizaines de millions d’euros, centaines de millions d’euros, mais pour lesquels il faut candidater avec des projets très précis, très complets et parfois trop complexes.

Musique
France Culture – La Grade Table – Caroline Broué

Caroline Broué :
Avec Mounir Majhoubi, aujourd’hui, qui est le nouveau président du Conseil national du numérique. Et autour de la table pour l’interroger à nos côtés la coordinatrice de la Quadrature du Net Adrienne Charmet. C’est à vous Adrienne.
Adrienne Charmet :
Je voulais poser une question sur la question de la doctrine du CNNum, où il n’y a pas de doctrine affichée, il n’y a pas de programme affiché du CNNum. Et du coup, ce que vous venez d’expliquer sur l’enseignement supérieur me fait poser la question : est-ce que vous avez l’intention de lier un peu plus les différents sujets que vous traitez ? Par exemple sur la question des étapes pour l’enseignement supérieur, pour les universités pour pouvoir arriver à une transformation numérique, est-ce que, dans votre réflexion, vous intégrez d’autres réflexions que vous avez ? Par exemple est-ce qu’on fait progresser une université en la faisant rentrer dans un partage de ses contenus sous licence libre ? Dans l’intégration de la notion de Communs que le CNNum a défendu au moment de loi numérique, même si, une fois encore, ce n’est pas arrivé dans la loi ? Est-ce que, finalement, vous allez réussir à porter une doctrine un petit peu unie avec, vraiment, un programme de fond ? Ou est-ce que vous allez rester…
Caroline Broué :
Au cas par cas.
Adrienne Charmet :
Au cas par cas, sur des sujets où une fois on va être d’accord, une fois on ne va pas être d’accord. Pour l’instant nous on n’a pas une vision.
Caroline Broué :
On en revient à la vision du numérique.
Antoine Mercier :
On a prononcé le mot Communs, donc très bien !
Caroline Broué :
Mounir Majhoubi.
Mounir Majhoubi :
Il faut en parler des Communs. Le nouveau CNNum s’est réuni pour la première fois vendredi dernier. N’oubliez pas que je suis président d’un collège de trente personnes indépendantes, on est tous bénévoles et donc je représente ce collège. Et une des discussions qu’on a eues ensemble c’est de se dire c’est quoi notre vision et alors pas du numérique, mais quelle est notre vision de la société à l’ère du numérique. Eh bien c’est ça cette discussion qu’on a aujourd’hui, parce que vous avez raison, tout se tient. Si on ne fait que des recommandations extrêmement pratiques et opératives comme je viens de vous le décrire, on va manquer de vision. C’est pour ça qu’il y a un autre élément dont je ne vous ai pas parlé sur le rapport enseignement supérieur qu’il ne faut plus appeler rapport. Il y a cette matrice et il y a note de vision. C’est juste 15 pages et ça raconte l’université en 2020 dans une société qui aura passé la transition numérique. Et donc aujourd’hui, on fait cet exercice ensemble, avec les trente nouveaux membres, pour voir ce qu’on partage avec le précédent collège. Et le précédent collège, vous l’avez dit, a, autour du Commun, tenté de créer un vocabulaire, une doctrine, une compréhension sociétale de ce que ça pourrait vouloir dire, avoir une société des Communs. Société des Communs c’est une société où il y a des éléments, des objets culturels, des objets de savoir, des objets de vivre ensemble, qui appartiennent à tous. Cette philosophie du Commun c’est quelque chose qui nous habite et, aujourd’hui, j’essaye de ressentir, auprès de ces trente membres, si c’est bien quelque chose qui les habite aussi. Moi c’est quelque chose qui m’habite vraiment et j’aimerais qu’on arrive à penser ce que ça veut dire ce Commun pour les décennies à venir et donc l’influence que ça pourrait avoir sur nos différents sujets.
Antoine Mercier :
Parce qu’il y a quand même une grande question de savoir est-ce qu’on va partager tout cela ou est-ce qu’on en fait une marchandise ? Est-ce que, sur ce plan-là, votre idée est claire, Mounir Majhoubi, précisément établie ?
Mounir Majhoubi :
Si on parle de l’enseignement supérieur.
Antoine Mercier :
En général.
Mounir Majhoubi :
En général, il ne faut pas oublier qu’il y a l’activité des entreprises et il y a l’activité de ce qui vient du public. Moi je vais vous parler de ce qui vient du public, par exemple la recherche publique, le contenu pédagogique créé par les établissements publics. Aujourd’hui, ce n’est pas très clair l’accessibilité de la recherche publique ! Et heureusement, dans la loi « République numérique », on a parlé de ce sujet-là. Est-ce qu’un laboratoire, intégralement financé par l’argent public, qui historiquement est financé par l’argent public, dans une institution financée par l’argent public, est-ce qu’on peut encore accepter que le résultat de ses recherches ne soit accessible uniquement que dans des revues où l’abonnement coûte plus de six mille euros par an ? Eh bien la réponse, pour moi elle est assez évidente, c’est non ! Mais il y a quand même un système économique qui existe autour de ces publications. L’équilibre qu’a essayé de trouver la loi, qui n’est pas celui qu’on a proposé mais qui est quand même un équilibre très acceptable, c’est de dire il y a une durée pendant laquelle on va donner le monopole à ces grands éditeurs pour mettre à disposition ces résultats, sauf qu’au bout d’un moment, les résultats de la recherche publique, eh bien ils appartiennent au public. Et c’est tout le sujet de l’open data. L’open data ce n’est pas juste les statistiques du train qui passe et à quelle heure il passe. L’open data c’est aussi un potentiel en valeur d’utilité commune énorme. Et sur la recherche publique, le potentiel d’utilité, il est au-delà de ce qu’on imagine et ça peut être assez incroyable comme transformation si tous ces résultats étaient à disposition de tous.
Caroline Broué :
Mais de tous, précisément, pas seulement des Français je suppose. Vous êtes le Conseil national du numérique, mais vous ne dépendez de personne, vous nous avez dit, mais vous êtes nommés, disons, par un gouvernement, Mounir Majhoubi. Là on touche à la question de l’accès aux données, ce que vous venez de dire concernant la recherche publique, et les publications devraient être accessibles à tout le monde, partout, et pas seulement pour les Français.
Mounir Majhoubi :
Là vous posez la deuxième étape des Communs. Pour l’instant on parle des Français au niveau de la nation. Oui il y a le niveau communautaire, le niveau européen et puis il y a peut-être au-delà. Et c’est vrai que sur la recherche publique, si vous regardez la création d’Internet, si vous regardez la recherche historique, notamment dans les sujets informatiques, si vous regardez le logiciel open source, ça fait longtemps que le logiciel open source a dépassé les nations. Aujourd’hui, quand on regarde les contributeurs de Linux, c’est dur de dire qu’il y a un pays qui est plus puissant que les autres dedans. Même si, et c’est un de mes grands chevaux de bataille en ce moment, c’est de dire que l’open source, notamment sur la souveraineté numérique nationale, eh bien les logiciels open source ils sont open quand on les comprend. Donc il faut qu’il y ait plus de gens qui participent et qui contribuent en France. Et pourquoi pas des informaticiens financés par le public. Aujourd’hui on manque de contributeurs dans ces logiciels-là et moins on contribue, moins on comprend. Je ne sais pas s’il y a besoin de développer un nouveau système d’exploitation français.
Caroline Broué :
Non, dit Adrienne Charmet.
Mounir Majhoubi :
Si on avait plusieurs centaines de Français qui participent au développement des systèmes open source, eh bien ça créerait une souveraineté commune.
Caroline Broué :
Adrienne Charmet.
Adrienne Charmet :
À ce propos-là, beaucoup de gens, notamment dans le milieu du logiciel libre en France, se sont un peu inquiétés de la nouvelle composition du collège du Conseil national du numérique. On a vu un glissement entre les deux, l’époque de Benoît Thieulin et la vôtre maintenant, avec un effacement, on va dire, du monde du Libre, du monde des Communs, enfin d’une certaine vision, avec des nouveaux membres plus accès sur du logiciel propriétaire, plus axés sur le monde de l’entreprise. Forcément on s’inquiète de la vision que le CNNum va porter du numérique et de la société numérique avec ce glissement. Qu’est-ce que vous pouvez en dire ? Est-ce que ça veut dire quelque chose ? Est-ce que vous allez continuer à porter une vision favorable au logiciel libre ? On en a, effectivement, beaucoup besoin, et vous le rappelez. On a des frictions avec le gouvernement ou avec le parlement là-dessus qui refusent absolument de donner cette priorité aux logiciels libres y compris dans l’administration publique. Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Caroline Broué :
Mounir Majhoubi.
Mounir Majhoubi :
La question de la composition. C’est toujours compliqué de composer un collège représentatif de trente personnes. Aujourd’hui, moi je peux vous assurer que les trente membres de ce conseil ont été nommés pour leurs compétences personnelles. Heureusement, ce n’est pas un conseil représentatif des lobbies ou représentatif des sociétés dans lesquelles ces personnes-là sont parfois salariées ou qu’elles dirigent. Aujourd’hui, dire que le logiciel libre n’est pas représenté, ce n’est pas quelque chose de vrai, parce qu’on a, quand même, parmi nos membres des gens qui sont des grands soutiens officiels, contributeurs du logiciel libre, je pense à Véronique Torner. Et après, on a des chercheurs, des professeurs, que ce soit Yves Poilane ou le président de l’Inria Antoine Petit ou Sophie Pène, et moi-même, qui sont, historiquement, des grands soutiens du logiciel libre. Et donc moi je peux vous assurer que ce logiciel libre, je vais tout faire pour que un, on fasse la pédagogie parce que je pense et je l’ai vu avec les échanges qu’on a eus avec des parlementaires, qu’il y a une méconnaissance, une incompréhension. C’est quand même bizarre comme objet le logiciel libre ! C’est un objet où le code source est ouvert à tous, où, pour participer c’est un peu comme Wikipédia, les gens ne comprennent pas forcément comment ça fonctionne ce système où tout le monde peut contribuer. Eh bien le logiciel libre, il y a une gouvernance du logiciel libre, qui n’est pas la même selon les licences, qui n’est pas la même selon les logiciels. Qui est parfois entraînée par une société commerciale et qui ouvre le code source à d’autres. Parfois l’origine du leadership naît plutôt de développeurs qui ont créé un objet et qui réunissent une communauté de développeurs autour, et qui créent une gouvernance véritablement ouverte. En fait, ce sujet du logiciel libre mériterait à lui tout seul qu’on s’y pose collectivement et qu’on ait une stratégie nationale autour du logiciel libre.
Caroline Broué :
Puisque vous parlez, Mounir Majhoubi, de ce logiciel libre, la liberté, également, d’accès et de l’ouverture du code source, évidemment le sujet qui vient tout de suite en tête c’est ce sujet qui occupe aujourd’hui, en tous les cas, la plus grande entreprise américaine face au plus grand pays du monde, c’est-à-dire Apple contre FBI, et cette idée de la volonté du FBI de demander à Apple de déverrouiller ce téléphone utilisé par l’un des terroristes dans l’attentat de San Bernardino en Californie. Cette demande-là est en débat, oppose clairement Microsoft, Facebook, Google d’un côté et le gouvernement de l’autre. C’est un débat qui rejoint des débats que l’on connaît sur la protection de la vie privée d’un côté, la sécurité nationale de l’autre. Sur une question comme celle-là est-ce que le Conseil national du numérique peut être saisi pour qu’on lui demande, alors là je vous le fais, moi, à titre personnel, qui a raison dans cette histoire ?
Mounir Majhoubi :
Qui a raison, ce n’est pas forcément notre position préférée parce que nous, ce qu’on aime, c’est faire de la pédagogie et expliquer, en tout cas, quels sont les enjeux. Là, sur ces sujets dont vous parlez, qui, pour moi, sont très différents du sujet de l’open source parce qu’on a le droit d’avoir des grands éditeurs qui ont des logiciels fermés, qui n’ouvrent pas leur code source, etc. La grande question, là, c’est de se dire l’accès aux données, et aux données chiffrées, et la souveraineté personnelle qu’on peut donner au citoyen lambda de créer un lieu de souveraineté numérique, que ce soit son téléphone, que ce soit sur son ordinateur, que ce soit dans un cloud qui serait un cloud personnel sécurisé, etc. Et ça pose la plus grande question et qui est la question la plus complexe, celle de la confiance. Tout à l’heure on a parlé de Trump. Quand on parle des États-Unis sous Obama et qu’on connaît les moyens du renseignement américain, etc. Bon ! On a déjà un peu peur pour nos données. Mais on se dit à la fin c’est quand même un gouvernement avec lequel on partage beaucoup de positions internationales. Le jour où ce n’est pas Obama et où c’est Trump. Le jour où ce ne sont pas les États-Unis et c’est la Russie ou la Chine qui demandent la même chose, eh bien je pense que les gens n’auront pas le même avis. Mais moi ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui, c’est de revenir sur la question de la confiance personnelle. Aujourd’hui on se connecte à sa banque et on n’a pas peur parce qu’on sait que la connexion qu’on a entre soi et sa banque elle est chiffrée.
Caroline Broué :
Elle est chiffrée, donc cryptée ? C’est ça ?
Mounir Majhoubi :
C’est-à-dire que les données qui passent de mon ordinateur à celui de ma banque, même si quelqu’un les intercepte au milieu, pour comprendre ce qu’il y a à l’intérieur, ça va durer longtemps et c’est compliqué à faire.
Caroline Broué :
C’est protégé quoi, ça reste secret.
Mounir Majhoubi :
Ça reste protégé, ça reste secret. Ça peut quand même être intercepté, ça peut quand même être déchiffré, ça prendra du temps. La question de la back door, c’est de se dire eh bien en fait ça peut être intercepté et puis il n’y aura même pas besoin de prendre du temps, on pourra lire de façon massive l’intégralité des échanges. Ça c’est une des premières questions sur l’interception et le chiffrement des communications. Et puis il y a la deuxième question qui est celle de l’appareil. Et c’est là où le débat est nouveau et c’est là où les amendements aujourd’hui de Yann Galut, d’Éric Ciotti, c’est là où la position Apple contre FBI est très importante, c’est « est-ce que oui ou non on peut décider que les Français, qu’un citoyen, qu’une entreprise, peut avoir un coffre-fort non exploitable, dans lequel il met ses informations et dans lequel il a une confiance absolue ? » Ça c’est une grande question. Si on y croit, alors si on fait une brèche, on casse l’intégralité de ce système et cette promesse n’existe plus et on dit à tout le monde : « Eh bien aujourd’hui, dans les temps troubles qu’on traverse, eh bien nous l’annonçons : plus personne ne peut avoir de lieu garanti de la sécurité de ses données. » Je ne sais pas si c’est la société dont je rêve, notamment dans un avenir à moyen terme ou long terme, où on va pouvoir voter en ligne, on va pouvoir développer les échanges en ligne, où les PME françaises auront peut-être 100 % de leur chiffre d’affaires en ligne.

Moi je pense qu’il faut surtout avoir une culture commune du chiffrement. Si tous les Français comprenaient l’enjeu du chiffrement, si toutes les PME françaises comprenaient les enjeux du chiffrement, déjà on se protégerait bien. Parce qu’aujourd’hui la réalité du chiffrement et des écoutes, ce n’est pas la lutte antiterroriste. La lutte antiterroriste c’est un millième, un millionième des écoutes et un millionième de la question du chiffrement. Ce qui est très dangereux c’est plutôt l’écoute économique, c’est-à-dire le hacking économique où on prend des données dans nos entreprises françaises parce qu’on ne chiffre rien. Aujourd’hui, si on se dit la vérité, en France les entreprises ne chiffrent rien. Elles envoient en clair par e-mail, dans des protocoles de mail non cryptés, avec leurs partenaires, avec tout le monde, on n’a pas peur ! Il n’y a que le gouvernement qui, à certains échelons, impose le chiffrement des communications. Mais si tout le monde se disait « ces données-là je les protège elles sont chiffrées », là on résoudrait quand même beaucoup plus que cette question du terrorisme. Et après, la vérité, c’est que cette question du terrorisme elle est quotidienne. Aujourd’hui on est menacés. Est-ce que, au nom de l’arrestation d’un terroriste ou de quelques terroristes, on doit remettre en cause l’intégralité de la confiance de la société numérique de demain ? C’est ça le débat qui est offert à tout le monde et qu’on pose à tout le monde aujourd’hui.

Caroline Broué :
Adrienne Charmet.
Adrienne Charmet :
Voilà comme j’aime bien entendre le CNNum. Justement, à ce propos-là, vous avez rapidement parlé d’amendements dans la loi française. On a une loi sur la réforme pénale, la lutte conte la criminalité organisée, le terrorisme, qui est entrée en discussion à l’Assemblée nationale hier, qui touche assez largement les domaines de la vie privée en ligne ou de la vie privée tout court, et qui fait l’objet d’une discussion extrêmement rapide dans un contexte d’état d’urgence, avec cette pression du risque terroriste. On avait vu, effectivement, arriver des amendements demandant aux entreprises de donner des accès, en prenant l’exemple d’Apple, pour accéder aux données chiffrées, mais, plus généralement, qui alourdit encore les capacités d’intrusion de la police dans les systèmes informatiques. Qui étend à la police les moyens donnés aux services de renseignement l’année dernière. Je sais que c’est allé très vite, parce que cette loi est arrivée extrêmement vite, mais on n’a pas vu d’avis du CNNum dessus. En plus vous étiez en pleine transition. Maintenant on a nous, par exemple en tant qu’association, énormément de mal aujourd’hui à se faire entendre sur ce sujet parce qu’il y a une pression du risque terroriste très forte. Est-ce que le CNNum va reprendre un peu la main là-dessus, remonter au créneau ? Quelle est l’écoute du côté du gouvernement ? On a l’impression, vu d’une association de défense des droits, d’une sorte de glissement extrêmement rapide, en un ou deux ans, sur les questions sécuritaires qui sont aujourd’hui très massivement liées à la question d’Internet. Est-ce que vous allez continuer à essayer d’influencer le gouvernement, les parlementaires, ou du moins de prendre position de manière extrêmement claire sur ces questions-là, en disant qu’on ne peut pas, comme ça, exactement comme vous venez de l’expliquer, pour résoudre une, deux, trois, affaires terroristes, mettre en péril le principe même de vie privée à l’ère numérique ?
Caroline Broué :
Mounir Majhoubi.
Mounir Majhoubi :
Il y a une question qui est très importante, parce que parfois on peut l’occulter quand on prend des positions comme celle-là, c’est celle du rôle du renseignement dans la sécurité des Français. La position du CNNum c’est une position équilibrée sur ce sujet-là : on a besoin de services de renseignement très puissants. On a besoin d’avoir, au niveau français, des capacités de déchiffrement et des capacités de sécurité, de cybersécurité, de cyber compréhension, très élevées. Il y a eu un plan de financement militaire les cinq, dix dernières années, qui a permis à la France de s’équiper en termes technologiques, en termes de profils, en termes de formation de personnes de très haute compétence. Donc nous on ne remet pas en cause ça. Heureusement qu’on a ces services de renseignement pour nous protéger. Après, on pense qu’il faudrait aussi qu’il y ait une mise en commun européenne, mais on voit tous les problèmes que ça cause parce qu’aujourd’hui le renseignement fait partie de la souveraineté nationale. Ce renseignement est très important. Nous, ce qu’on essaye de souligner c’est le moment où cette politique de renseignement atteint à d’autres droits, et à d’autres modes de vie, et à d’autres éléments de la façon dont on vit ensemble. Et c’est ça la question que vous avez posée sur, aujourd’hui, les amendements qui sont posés.

Ce que nous on veut absolument, c’est que quand on fait la discussion de ces amendements au parlement, on aborde bien les conséquences sur le projet de société que peuvent avoir ces amendements-là. Si la souveraineté nationale, représentée par le parlement et le gouvernement, décide, mais il faudra le dire clairement et on peut l’entendre, que aujourd’hui eu égard aux renseignements qui sont disponibles, eu égard aux capacités technologiques des États, eu égard à la menace imminente, nous considérons qu’il faut mettre de côté ces libertés individuelles pendant une période qui va avoir un impact très long puisque le temps qu’on puisse se réapproprier cette souveraineté personnelle ça va prendre beaucoup de temps. Alors ce sera une responsabilité importante et lourde du parlement et du gouvernement, mais il faudra le dire très clairement. On ne pourra pas faire passer ces deux amendements discrètement comme ça.

Adrienne Charmet :
Il n’y a pas que ces deux amendements. Le fond de la loi même pose des problèmes, l’écriture même, le texte de la loi présenté par le gouvernement est déjà assez lourd en termes d’extension des atteintes à la vie privée. Et là il ne s’agit pas d’amendements déposés par deux députés dont on a l’impression qu’ils n’ont pas tout à fait compris de quoi ils parlaient. On est dans la doctrine du gouvernement là-dedans qui veut, en très peu de temps, à nouveau étendre les moyens d’intrusion, à nouveau criminaliser encore plus les accès aux systèmes de traitement de données. Enfin on a quand même des choses qui sont publiées maintenant depuis un mois et sur lesquelles il y a besoin aussi de faire ce travail. Et je repose, du coup, la question de l’utilité du CNNum.
Caroline Broué :
Que faites-vous, quoi ?
Mounir Majhoubi :
On a une position dessus qui était dans l’avis qu’on a rendu sur la loi renseignement. Pour dire aussi ce qu’on fait, j’ai réuni, parmi les trente membres du collège, un groupe qui travaille spécifiquement sur cette question. On essaye de rencontrer les différentes personnes qui travaillent sur ces sujets-là. Mais on a quand même des éléments de doctrine là-dessus, c’est de se dire si le gouvernement souhaite absolument mettre en place ces lois, et avec le parlement c’est sa souveraineté, nous on veut des garde-fous, notamment l’implication du juge judiciaire, notamment des autorités de contrôle indépendantes au milieu des dispositifs de renseignement. On souhaite que tout cela soit documenté. On souhaite que tout cela soit fait dans le cadre de contre-pouvoirs, y compris des contre-pouvoirs ayant le droit au secret. On n’est pas forcément pour rendre publiques les interceptions de renseignement qui pourraient avoir lieu. Mais aujourd’hui il n’y a pas encore de contre-pouvoir fort, y compris dans les services de renseignement, sur l’équilibre entre ces interventions de renseignement et ces écoutes et la protection des droits individuels.
Antoine Mercier :
Il y a un mot qu’on n’a pas prononcé : Uber, ubérisation. Est-ce que la société numérique c’est une société ubérisée ? Ou pas forcément ? Trente secondes.
Mounir Majhoubi :
Ubériser, si ça veut dire créer de la précarité, de l’instabilité dans les parcours de vie, malheureusement le numérique va perturber énormément de secteurs industriels, notamment ceux qui ne se sont pas préparés à la transformation numérique. Et c’est un des grands enjeux sur les PME/PMI qu’on a pris cette année, c’est de se dire « on ne peut pas laisser nos PME françaises ne pas aborder elles-mêmes activement la transition numérique et se la faire aborder par des plates-formes qui viendraient des pays étrangers, notamment des États-Unis, et qui seraient potentiellement destructrices d’emplois. » Le numérique c’est surtout un potentiel de création d’emplois et de valeur pour le pays, incommensurable.
Caroline Broué :
Mounir Majhoubi, le Conseil national du numérique a bonne réputation ?
Mounir Majhoubi :
J’espère !
Caroline Broué :
Vous, vous avez une bonne réputation ?
Mounir Majhoubi :
Pour l’instant, je l’espère, oui.
Caroline Broué :
Vous avez choisi La Mauvaise Réputation pour quelle raison ?
Mounir Majhoubi :
J’aime beaucoup cette chanson, j’aime beaucoup Brassens, et puis le numérique, si on écoute bien, et notamment avec votre dernière question, n’a pas toujours eu bonne réputation !

La Mauvaise Réputation – Georges Brassens

Caroline Broué :
En tout cas nous allons suivre la voix du Conseil national du numérique, essayer de voir si vous arrivez à vous rendre plus utile dans les cinq ans, disons, qui viennent.
Mounir Majhoubi :
Je l’espère.
Caroline Broué :
Merci beaucoup Mounir Majhoubi d’être venu au micro de La Grande Table.
Mounir Majhoubi :
Merci.
Caroline Broué :
Un grand merci Adrienne Charmet d’être venue également à La Grande Table

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Références

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.