Vers un usage raisonné du numérique - La tête au carré - France Inter

Titre :
Vers un usage raisonné du numérique
Intervenants :
Karine Mauvilly - Dominique Cardon - Axel Villard - Mathieu Vidard
Lieu :
France Inter - Émission La tête au carré
Date :
mai 2019
Durée :
34 min (partie transcrite)
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Présentation de l’émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Logiciels libres, Petit guide du logiciel libre et gratuit - Licence Creative Commons BY-NC-SA

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

L’entrée du numérique dans nos sociétés est souvent comparée à une révolution. Mais prend-on le temps de s’interroger sur ses enjeux et notre dépendance aux objets connectés ?

Transcription

Voix off : La tête au carré du lundi au vendredi à partir de 14 heures.
Mathieu Vidard : Ces dernières années la vie numérisée s’est imposée à nous tous de façon fulgurante mais beaucoup d’entre nous commencent déjà à fatiguer, à percevoir les limites de la connexion permanente, des amitiés sur les réseaux sociaux ou de l’information en continu, et pourtant il existe des alternatives pour alléger la charge numérique et son impact écologique. L’essayiste Karine Mauvilly publie au Seuil Cyberminimalisme - Face au tout-numérique, reconquérir du temps, de la liberté et du bien-être. Elle est mon invitée dans un instant avec le sociologue Dominique Cardon, auteur de Culture numérique aux Presses de Sciences Po. L’occasion de réfléchir avec eux aux liens qui sont les nôtres avec Internet et nos objets connectés et comprendre quels sont les enjeux de la culture numérique dans nos sociétés. Vous pouvez nous rejoindre dès maintenant avec vos messages et toutes vos questions franceinter.fr et le mot-clé #laTAC. Axel Villard, bonjour.
Axel Villard : Bonjour Mathieu.
Mathieu Vidard : Une surprise aujourd’hui dans les profondeurs noires des océans avec De la science.
Axel Villard : Eh oui ! On imaginait les poissons des abysses incapables de voir les couleurs. Une étude montre que leur vision est en réalité complexe et certainement bariolée. On plonge dans le noir dans un instant.
Mathieu Vidard : Et puis dans la dernière partie de l’émission nous retrouverons la campagne pour les Européennes. Nathalie Poitevin réalise cette émission préparée aujourd’hui par Lucie Sarfaty.
Voix off : La tête au carré les mercredis psy et philo avec Mathieu Vidard. sur France Inter
Mathieu Vidard : Cyberminimalisme et culture numérique dans un instant dans le dossier avec mes invités que je salue, Karine Mauvilly et Dominique Cardon. Bonjour à tous les deux et bienvenue.
Karine Mauvilly : Bonjour.
Dominique Cardon : Bonjour.
Mathieu Vidard : Karine Mauvilly c’est une véritable diète ou hygiène numérique finalement que vous proposez dans ce livre. C’est un petit peu cela le cyberminimalisme ?
Karine Mauvilly : Je dirais que c’est plutôt porter un regard critique sur la société cybernétique qu’on nous propose et sur l’artificialisation du monde, puisque aujourd’hui chaque geste est relayé par une application. Donc plutôt que de la digital détox, je dirais que c’est un regard critique et une forme de mode d’emploi pour mettre les données à distance le plus possible.
Mathieu Vidard : Est-ce que vous-même avez été victime de fatigue numérique dans votre parcours ?
Karine Mauvilly : J’en suis victime tous les jours dans mon travail, dans ma vie administrative. Je l’ai été à un moment donné ce qui m’a amenée à ne plus avoir de téléphone portable pendant quatre années, mais je dois dire que la pression s’intensifie tous les jours donc je n’en suis pas sortie et c’est aussi pour ça que j’ai voulu chercher des solutions pour en proposer en particulier aux parents vis-à-vis des enfants.
Mathieu Vidard : Vous dites « pas de portable avant 15 ans ».
Karine Mauvilly : Bien sûr ! Ça me semble la base.
Mathieu Vidard : Bon ! Beaucoup de parents qui nous écoutent vont certainement en douter avec nous. Dominique Cardon, en tant que sociologue, l’idée de débrancher un petit peu finalement ça vous inspire quoi à vous aujourd’hui ?
Dominique Cardon : L’idée de critiquer je la partage à 100 %. L’idée de se débrancher me semble plus complexe, même si moi je serais plutôt dans l’idée qu’il faut se brancher autrement. Toute l’idée aussi de quelque chose sur la culture numérique, de toute façon nous sommes dans un monde numérique, en revanche il faut le comprendre, il faut le décoder pour avoir d’autres comportements à l’intérieur du monde numérique qui peuvent être des comportements de minimalisation de nos pratiques et de nos usages. Je crois moins à l’idée de se débrancher parce qu’elle me semble ranimer, là je le dis avec beaucoup de sympathie, une sorte de rêverie pastorale qui est fréquente chez les grands accélérés, parce qu’on a ça dans les enquêtes sociologiques ; c’est très fréquent. C’est-à-dire que ces gens qui vont passer le week-end dans un monastère en enlevant leur portable pour se ressourcer et retrouver une vie authentique, ce sont des gens qui, du lundi au vendredi, sont des grands accélérés, des grands communicants et qui accélèrent les autres, parce qu’il ne faut jamais oublier que ceux qui sont très accélérés…
Mathieu Vidard : Embarquent tout le monde avec eux.
Dominique Cardon : Embarquent tout le monde, qui sont des gens de service qui les aident à aller encore plus vite et à communiquer avec plus de gens. Donc il y a quelque chose de paradoxal à faire une proposition qui est moins celle des milieux sociaux plus ordinaires, qui ont d’ailleurs des usages très différents des technologies qu’on n’imagine pas.
Mathieu Vidard : Bon, eh bien le débat est ouvert. Finalement on a des choses à se dire dans un instant et à échanger et également, bien sûr, avec les auditeurs qui ont leur avis sur la question et qui nous rejoignent sur franceinter.fr et sur le mot-clé #laTAC. À tout de suite.

La une de la science, Les couleurs des abysses par Axel Vilard, non transcrit

Pause musicale : Se kon sa par Delgres.
Mathieu Vidard : Se kon sa, c’était Delgres à l’instant.
Voix off : La tête au carré, les mercredis psy et philo avec Mathieu Vidard sur France Inter.

Tu veux faire quoi plus tard ?

― Attends je ne t’ai pas dit. Tu sais ce qu’ils ont fait à l’école aujourd’hui ?
― Ah ben non ! Vous avez fait quoi ?
― Vas-y, dis lui.
― On a parlé de ce qu’on voulait faire plus tard.
― Eh ben c’est bien ça. Qu’est-ce que tu as dit à la maîtresse du coup ?
― Médecin.
― Pardon ?
― Médecin.
― Oh ! Putain ! Il fallait que ça tombe sur nous !
― Tu as compris maintenant ? Ce petit con veut faire médecin. Écoute mon chéri, moi je comprends que tu aies envie te démarquer des autres, OK ! Mais il faut être un petit peu réaliste, il faut penser à faire un vrai métier, quelque chose comme instagrameur.
― Ben oui mon grand, ça a combien de followers un médecin ? Hein ! Même pas mille ! C’est ça que tu veux faire de ta vie ?
― Écoute mon chéri, moi quand je te vois je vois un youtoubeur.
― Ou un pro-gamer. Tu vois, on n’a pas non plus des ambitions incroyables ! Bon, allez, ça suffit ! Maintenant tu files dans la chambre. Tu vas prendre des selfies et je te garantis que tu vas twitter.
― Tu me dégoûtes !
― Et je veux voir des notifications ! Hein ! Et que ça buzz !
Mathieu Vidard : Voilà. Est-ce un monde rêvé ? En tout cas c’est un court métrage qui s’appelle Tu veux faire quoi plus tard ? de Clément Hudelot et Maxime Blanc, justement pour illustrer notre dossier et essayer de prendre un petit peu de recul avec le monde numérique aujourd’hui en tout cas pour réfléchir à notre rapport aux objets qui nous entourent.

Karine Mauvilly vous êtes essayiste, formée en droit et en sciences politiques et vous publiez ce livre Cyberminimalisme avec un sous-titre Face au tout-numérique reconquérir du temps, de la liberté et du bien-être, c’est au Seuil dans cette collection Anthropocène.

Dominique Cardon vous êtes sociologue, directeur du médialab de Sciences Po et auteur de cet ouvrage Culture numérique aux Presses de Sciences Po. Les auditeurs nous rejoignent sur franceinter.fr et sur le mot-clé #laTac.
Je vous voyais beaucoup sourire, Karine Mauvilly, en écoutant cet extrait. On est dans la pure fiction, là, ou on en est déjà au point d’avoir des parents qui encouragent les enfants à entrer de plain pied dans ce monde-là ?
Karine Mauvilly : Je crois qu’on en est là. Bien sûr ça c’est la partie fictionnelle, mais quand un parent offre un téléphone portable dès huit ou dix ans et puis un ordinateur et puis, pourquoi pas, une télévision dans la chambre, sans moyen de contrôler l’activité de l’enfant, de fait il le pousse vers ce genre d’activité, vers les réseaux sociaux qui démontrent pourtant leurs impacts très négatifs sur le sommeil, sur les risques de dépression pour les enfants, sur les sentiments de solitude, etc. Même si ce court métrage était sous l’angle de l’humour je crois qu’on n’est pas loin d’encourager les enfants à aller vers ce genre d’activité et ensuite on le déplore. Donc il y a là une contradiction qu’il n’est peut-être pas si difficile de dépasser finalement.
Mathieu Vidard : On voit justement à quel point nous sommes aujourd’hui immergés dans ce monde et dans cette culture numérique. Justement, Dominique Cardon, à quel moment véritablement le numérique a commencé à transformer profondément nos sociétés ?
Dominique Cardon : C’est compliqué mais l’intérêt effectivement d’entrer dans la culture numérique c’est de comprendre qu’il y a une histoire, une histoire longue, une histoire qui commence avec le calcul, puis avec l’informatique, l’article d’Alan Turing, 1936, les premiers ordinateurs à la sortie de la Seconde guerre mondiale qui étaient d’énormes machines ; l’ordinateur personnel qui arrive dans les années 70, qu’on commence à connecter avec Internet dans les années 80-85. Le Web arrive arrive en 1990. La diffusion grand public du Web, moi je vais dire sa démocratisation, arrive à partir de 1995 et là on est vraiment entré dans l’ère du numérique, c’est-à-dire des usages qui ne sont plus ceux de ceux qui avaient fabriqué ces mondes de l’informatique, qui étaient nés précédemment, mais qui étaient des hommes blancs, américains, très diplômés, et dans un monde qui était lié à l’université et à l’entreprise. Tout d’un coup ça va rentrer dans la vie quotidienne parce que c’est simple d’usage, parce que ça apporte de l’information, ça permet de mettre en connexion des individus qui peuvent échanger, ça permet de publier des informations et ça va devenir progressivement un univers, une infrastructure qui va occuper nos vies de façon très forte. Moi j’aurais envie de dire qu’on y a vu beaucoup de promesses, très positives, et le numérique a été associé à des choses très positives dans le début des années 2000, très fortement, et puis on a aujourd’hui une sorte de retour de bâton avec des discours qui, à mon avis, commettent la même erreur que ceux qui avaient trop promis, c’est-à-dire qu’ils sont beaucoup trop critiques.
Mathieu Vidard : Les leaders du Web eux-mêmes, les pionniers du Web.
Dominique Cardon : Les pionniers du Web eux-mêmes et je trouve qu’il y a une date charnière qui est, il faudrait retrouver mais je crois que c’est 2012 [2013, NdT], c’est l’affaire Snowden. C’est-à-dire qu’il y a un moment où, dans les représentations publiques, les promesses qui étaient associées au numérique tout d’un coup ont basculé dans l’idée « hou là, mais c’est de la surveillance ». Les États ont une importance dans cette affaire, les entreprises et les grands groupes industriels du numérique donnent des données aux États et, tout d’un coup, l’état d’esprit a basculé autour du début des années 2010.
Mathieu Vidard : Avec l’idée de surveillance.
Dominique Cardon : Avec l’idée de la surveillance.
Mathieu Vidard : L’idée que ces outils peuvent nous surveiller et entrer dans nos vies privées de façon très profonde.
Dominique Cardon : Absolument ; c’est la bascule.
Mathieu Vidard : Karine Mauvilly.
Karine Mauvilly : Vous parlez du décrochage, en fait du dédoublage entre Web et liberté, et l’espérance de liberté, mais il y en a deux autres qui se font jour aujourd’hui : c’est le décrochage entre les espérances qu’on avait autour de l’Internet et les espérances de croissance. On voit que ce n’est plus lié. Aujourd’hui les dépenses numériques croissent de façon plus forte que la croissance. Donc la promesse qui était faite à l’économie n’est pas tenue.

Et la seconde promesse qui était celle de la baisse de la consommation d’énergie, puisque le numérique devait entraîner une transition énergétique, n’a pas lieu non plus puisque chaque année l’industrie numérique participe plus que l’année d’avant à l’augmentation non seulement des gaz à effet de serre mais, en plus, de l’énergie consommée.
Mathieu Vidard : Et c’est quelque chose, évidemment, qui est plutôt encore ignoré, même si les citoyens commencent quand même à le savoir, mais c’est vrai que derrière le digital, l’aspect abstrait précisément de ces outils, on en oublie les conséquences directes aussi pour la planète, tout simplement.
Karine Mauvilly : Absolument. Il y a un lobby énorme qui essaye d’associer en permanence numérique et dématérialisation alors qu’on est au contraire dans une économie extrêmement matérielle, qui repose sur la croûte terrestre, sur l’extraction de minerais, de terres rares, d’énergie qu’elle soit carbonée ou même non carbonée. Je vous rappelle que pour envoyer des mails, il ne faut pas seulement un ordinateur, il faut des réseaux, il faut des antennes relais, il faut un satellite, il faut une fusée qui a envoyé le satellite en orbite, il faut une énergie importante pour que les ondes électromagnétiques puissent être émises, etc.
Mathieu Vidard : Après il faut stocker les données dans des lieux qui sont très importants qui consomment eux-mêmes beaucoup d’énergie.
Karine Mauvilly : Il faut stocker les données, bien entendu. Les data centers qui représentent presque 40 % de l’énergie du numérique. Donc là on a effectivement à faire à quelque chose de tout sauf dématérialisé.
Mathieu Vidard : Dominique Cardon, justement ce lien entre le numérique aujourd’hui et le développement durable, c’est un vrai sujet quand même ?
Dominique Cardon : Oui ! Absolument. Effectivement, on a découvert que le numérique n’était pas une solution aux problèmes de consommation d’énergie. Ça n’a jamais fait partie des promesses initiales du numérique, en revanche, d’être économe en énergie.
Mathieu Vidard : D’être économe en énergie.
Karine Mauvilly : Chez beaucoup d’écologistes, la transition numérique devait permettre la descente énergétique. Malheureusement les faits ne leur donnent pas raison.
Dominique Cardon : Absolument. On a découvert qu’il y a des coûts environnementaux importants du numérique, mais sortir du numérique pour retrouver un monde carboné, un monde du pétrole et du courrier transporté par des voitures n’assure pas la meilleure solution. Je vais faire un peu le défenseur du numérique dans ce débat. Effectivement, les serveurs de données, par exemple, consomment une énergie absolument considérable parce qu’il faut les refroidir, mais on trouve aussi des solutions qui améliorent en partie cette affaire. Ceci étant, c’est vrai qu’il y a des propositions dans le monde numérique, il y en a notamment une célèbre parce qu’elle est très à la mode, on ne sait pas très bien à quoi ça sert mais c’est très à la mode, qui est la blockchain. La blockchain ça consomme une énergie absolument considérable pour des promesses dont on ne sait pas très bien où elles vont. Donc effectivement, il y a aussi une fuite en avant qui fait partie des vecteurs économiques du numérique actuellement.
Mathieu Vidard : Tout ça ayant servi au capitalisme, c’est aussi ce que vous dites, s’il y a un message politique au fond dans ce livre, Karine Mauvilly, c’est celui-là aussi, puisque vous dites finalement que la société s’est livrée aux mains des entrepreneurs du numérique avant tout.
Karine Mauvilly : Oui, tout à fait, et on peut même dire que le gouvernement régulièrement livre une nouvelle portion de la population aux entrepreneurs du numérique. Si on veut prendre les exemples récents, eh bien c’est par exemple la fin des lignes fixes.
Mathieu Vidard : De téléphone.
Karine Mauvilly : Voilà. À partir de 2021 Orange n’installera plus de lignes fixes, mais il faudra avoir une box en intermédiaire entre son fixe et sa prise. Donc on ajoute un objet qui n’était pas nécessaire mais qui va être produit par des entreprises.
Mathieu Vidard : C’est déjà le cas dans plusieurs pays. Hier on a passé un coup de fil en Norvège, on voulait appeler notre invité de La Une de la science justement sur un téléphone fixe, or il n’en avait plus dans son bureau, il fallait appeler sur le portable.
Karine Mauvilly : Il n’en avait plus. C’est ça, on alors sur ce qu’on appelle un téléphone internet qui est aussi possible. Si on prend par exemple les compteurs d’électricité, la décision a été prise, évidemment sans consultation démocratique, de changer tous les compteurs qui fonctionnaient très bien pour des compteurs communicants ou compteurs connectés.
Mathieu Vidard : C’est toujours en débat au sein de la société.
Karine Mauvilly : C’est toujours en débat. Certaines personnes résistent, se réunissent en collectifs pour essayer de refuser l’installation du compteur Linky, mais voilà ! Régulièrement, sans débat, comme une évidence, comme si c’était le progrès, eh bien on livre la population par paquets. Aujourd’hui les administrés, demain les élèves ; on y est déjà pour les élèves qui sont livrés à l’école numérique.
Mathieu Vidard : Dominique Cardon, est-ce qu’il y a un déficit démocratique dans cette question du numérique, vous qui êtes un observateur de la société ?
Dominique Cardon : Démocratique sur ce genre de décision ?
Mathieu Vidard : Oui, bien sûr.
Dominique Cardon : Oui, effectivement. Je pense qu’il y a des choses qu’on nous impose, il y a des effets de conformisme, notamment dans les usages du numérique, qui sont extrêmement présents. Après, il faut aussi un peu de culture du numérique. Ça fait 20 ans que la ligne fixe est numérique, elle n’est plus analogique. Donc quand on défend la ligne du téléphone fixe, c’est bien un outil numérique, ce n’est que numérique derrière. C’est pour ça que moi j’ai une appréhension plus large de cette idée du numérique. Maintenant il est extrêmement présent, il est complètement ambivalent, c’est-à-dire qu’on peut en faire le meilleur et le pire.
Mathieu Vidard : Est-ce qu’il y a beaucoup de mythes pour vous autour de la culture numérique justement et des usages que nous en faisons ?
Dominique Cardon : Oui, il y a beaucoup d’idées qu’on construit sur le numérique parce que c’est un secteur industriel qui ne cesse de promettre et qui vit de la promesse. Du coup, on entretient effectivement un certain nombre d’idées qui ne sont pas constatées dans les pratiques et dans les usages.
Mathieu Vidard : Est-ce que la technologie fonctionne sans nous aujourd’hui ou est-ce qu’au contraire, finalement, la société s’est embarquée là-dedans cautionnant aussi, au fond, les bénéfices qu’elle en tire ?
Dominique Cardon : C’est toute l’ambiguïté des transformations qui est de dire que le numérique, dans son ambivalence, est incorporé à nos pratiques, à nos usages. Parfois il a forcé la porte. Moi je serais entièrement d’accord pour dire que parfois il a forcé la porte. Mais c’est quand même un encastrement assez profond dans nos sociétés, donc il peut produire des choses qui sont très bénéfiques et des choses qui le sont moins. Pour prendre juste un mythe, on a un grand mythe qui est un peu présent dans l’idée : en face-à-face, là, on est dans le réel et c’est authentique ; le numérique ce n’est pas authentique, c’est artificiel.
Mathieu Vidard : C’est virtuel. Le réel et le virtuel.
Dominique Cardon : C’est artificiel. Ce n’est pas vrai, etc. Là, ici, il faudrait décomposer la pièce mais le nombre de technologies numériques qui permettent de faire ce qu’on est en train de faire est absolument hallucinant. Donc une des idées qui me semble très fausse sur le numérique et compliquée à décrypter c’est que, en fait, on est complètement articulés dans ces mondes, donc l’idée d’en sortir complètement est très difficile à faire et surtout l’idée que le face-à-face est absolument authentique - ce n’est pas toujours très authentique un face-à-face quand vous êtes face à votre patron - et l’idée que le numérique on ne peut pas y vivre des choses dans lesquelles il y a une expérience sensible incroyablement forte est aussi attestée par plein de choses.
Mathieu Vidard : On en a déjà souvent parlé avec vous de cette opposition entre le réel et le virtuel, que vous combattez d’ailleurs.
Dominique Cardon : Il y a une sorte de fiction sur cette affaire.
Mathieu Vidard : Karine Mauvilly, vous êtes d’accord là-dessus ou pas ?
Karine Mauvilly : Non. Je crois que le numérique s’insinue dans nos vies à chaque instant, sans qu’on le maîtrise, poussé à la fois par des lobbies californiens ou autres parce qu’aujourd’hui on a une French tech, donc un écosystème français aussi très important qui tente de s’imposer et qui réussit puisque les lois lui sont de plus en plus favorables. Par exemple un petit article dans une loi obscure prévoit que des sites internet pourront faire des médiations judiciaires pour des parties à un procès. Voilà ! On va soudain permettre à un site internet de rendre la justice sans garantie. L’enquête publique, par exemple, vient également de disparaître dans la loi ESSOC [LOI n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance] de l’année 2018 : maintenant on peut faire une consultation internet des citoyens à la place de l’enquête publique, etc. Ça avance petit pas par petit pas et au fur et à mesure notre vie est véritablement colonisée par les applications, par les données, et il devient de plus en plus difficile de choisir. On a encore quelques domaines où on peut choisir.
Mathieu Vidard : Encore quelques espaces de liberté pour vous ?
Karine Mauvilly : Quelques espaces de liberté et je pense en particulier qu’il y a beaucoup de choses qui se jouent au moment de l’enfance, c’est-à-dire ne pas habituer trop tôt les enfant à cet écosystème parce qu’après c’est très difficile de s’en sortir.
Mathieu Vidard : Il y a un chapitre sur le téléphone, on le disait tout à l’heure, pas de téléphone avant l’âge de 15 ans. Vous citez cette histoire, qui ferait presque pleurer dans les chaumières, de cette petit fille de 11 ans qui jouait jusqu’à l’âge de 11 ans justement avec ses camarades, même peut-être avec vos enfants, et qui, tout d’un coup, disparaît, on ne la voit plus parce qu’on lui a offert un téléphone portable.
Karine Mauvilly : Tout à fait. En une semaine elle n’était plus là, elle ne jouait plus. On la voyait passer, de loin, mais elle n’était plus avec nous. Et elle a été véritablement happée par ce qui lui était proposé par l’écran, sans contrôle parental, donc j’imagine à voir des vidéos YouTube, à aller sur les réseaux sociaux, et là il y a vraiment, je trouve, un espace d’action pour les parents de ce côté-là puisqu’il est vraiment possible de ne pas offrir de téléphone à son enfant, ce n’est pas quelque chose de très compliqué, c’est simplement agir par omission et on peut le remplacer par énormément d’activités intéressantes avec les adolescents.
Mathieu Vidard : Avant 15 ans. Il va falloir lutter, Dominique Cardon. Oh là là !
Dominique Cardon : Ça va être compliqué à mettre en place.
Karine Mauvilly : Mais c’est ça être parent, c’est lutter, ce n’est pas être aimé.
Mathieu Vidard : Oh là ! Carrément.
Karine Mauvilly : Bien sûr.

Dominique Cardon : Moi je suis assez d’accord avec votre idée qu’il faut être très attentif et très critique, mais là on a un truc qui est ! Je voudrais le dire comme observateur des transformations globales de nos sociétés : le numérique est arrivé dans nos sociétés avec une individualisation des pratiques sociales, des comportements, des représentations du sujet contre le paternalisme des médias, des institutions, des politiques, des gens qui leur disent ce qu’il faut faire, comment il faut vivre, etc. Là, mon sentiment, c’est qu’à vouloir leur dire : « Écoutez, vous ne devriez pas faire ça, vous devriez faire ça, vous devriez vivre comme ça », c’est exactement la manière dont ça ne fonctionne pas dans nos sociétés. Ma voix critique sur le numérique c’est d’expliquer aux gens : enquêtez, comprenez, éducation, faites attention à un certain nombre de pratiques, réorientez votre curiosité, mais ce n’est pas de leur dire « attention vous ne devriez pas faire ça ! »
Mathieu Vidard : Donc l’injonction c’est contre-productif.
Dominique Cardon : On ne cesse de voir dans nos sociétés que l’injonction a quand même du mal, aujourd’hui, à avoir des effets.
Karine Mauvilly : Mais avant d’avoir acquis les fondamentaux, c’est-à-dire avant d’avoir 15 ans, d’avoir terminé le collège, c’est très difficile d’avoir cet esprit critique.
Dominique Cardon : Je vous assure qu’à 15 ans on peut faire plein de choses avec le numérique.
Karine Mauvilly : À 15 ans, pas avant.
Dominique Cardon : À 12 ans on peut faire plein de choses.
Karine Mauvilly : On peut aussi faire plein de choses simples. Et justement commencer à appréhender le monde avec ses sens, avec son intuition, avant d’en arriver aux objets technologiques.
Mathieu Vidard : Allez, on en discute dans un instant. Il y a beaucoup de messages pour vous, de réactions des auditeurs et des parents qui interdisent le téléphone portable à leurs enfants avant l’âge de 15 ans justement. On vous transmet ça dans un instant.
Pause musicale : Poly blue de Jessica Pratt
Mathieu Vidard : Poly blue, c’était la voix de Jessica Pratt.
Voix off : La tête au carré, Mathieu Vidard.
Voix off de Philippe Noiret : Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ? On a le temps. Il faut prendre son temps. Il faut prendre le temps de prendre son temps. Comprends-tu ? Dis-donc, tu as déjà regardé une fleur de carotte ? Hé ! Tiens, regarde ça. Eh ben tu vois, c’est ça la vie.

Tiens, je m’en roule une, je vais me la faire moi-même et je vais prendre le temps de me la faire, puis je vais prendre le temps de me la fumer et puis je vais prendre le temps d’en profiter et puis je vais prendre le temps. [Bâillement]
Mathieu Vidard : Voilà. Alexandre le Bienheureux, Philippe Noiret, évidemment pour parler aujourd’hui d’un petit recul sur le numérique autant que possible avec Karine Mauvilly qui publie cet ouvrage Cyberminimalisme au Seuil et Dominique Cardon avec Culture numérique aux Presses de Sciences Po. Est-ce que prendre son temps et vivre dans la culture numérique est aujourd’hui compatible, Dominique Cardon ?
Dominique Cardon : Oui. Il n’y a aucune incompatibilité. Une partie du débat c’est de savoir qu’est-ce que nous faisons des technologies qui sont disponibles. C’est vrai qu’il y a des intérêts industriels à capter notre attention, mais ça ça concerne les grandes plateformes qui essaient de nous capter. Mais le numérique ce n’est pas simplement Facebook, Google et Instagram. Le numérique ce sont des sites web, c’est de l’information, c’est de la connaissance, c’est de la production scientifique, c’est de l’échange, c’est de la sociabilité, c’est plein d’autres choses qu’on peut faire et, parmi les choses qu’on peut faire, on peut aussi, et là je souscrirais vraiment à vos propositions, être attentif à limiter, maintenir ou garder le temps qu’il est possible. Mais on est dans une société où il y a un autre facteur, il y a un autre moteur important qui n’est pas que le numérique, même si le numérique est greffé en partie, c’est le néolibéralisme, c’est l’accélération de la vie sociale. C’est le fait que les enfants, aujourd’hui, quand ils ne sont pas à l’école ils sont au solfège, quand ils ne sont pas au solfège ils sont au club de sport, quand ils ne sont pas au club de sport… On est en train d’accélérer leur temps considérablement. Donc on ne leur laisse pas de marge de temps, parce que toute la vie sociale ne cesse de dire non pas qu’il faut devenir une star sur Instagram mais qu’il faut réussir les grandes écoles, qu’il faut se former, etc., et que cette accélération de la vie sociale, cette pression constante à la réussite est inscrite dans le numérique mais elle inscrite dans énormément d’autres facteurs de la vie sociale qui poussent à cette accélération, ce qui ne libère sans doute pas assez de temps contemplatif pour les personnes.
Mathieu Vidard : Et ça joue sur la cognition humaine tout ça quand même, ça a un effet direct.
Dominique Cardon : Sans doute, absolument.
Mathieu Vidard : Karine Mauvilly, pour réagir.
Karine Mauvilly : Je suis tout à fait d’accord avec cette idée d’accélération, sauf qu’aujourd’hui les écrans, les données au sens large, les applications vont venir remplir le moindre interstice de temps qui pouvait rester aux enfants, qui pouvait rester aux salariés. On peut dédouaner cette culture numérique en disant qu’elle n’est pas responsable de cette situation, effectivement, puisque c’est simplement le dernier avatar du capitalisme, la façon pour le capitalisme de trouver des nouveaux débouchés. On est bien d’accord que ce n’est pas le numérique en lui-même, c’est plutôt cette production permanente de marchandises qui est en cause. Sauf que cette nouvelle manifestation du capitalisme prend des traits qui viennent remplacer notre temps libre, notre attention et également nos capacités d’apprentissage. C’est là où il y a un problème.
Mathieu Vidard : Puisque vous avez fait cette expérience de quitter un petit peu le monde numérique pendant en quatre ans, en tout le cas avec le téléphone en particulier.
Karine Mauvilly : Juste le téléphone, mais j’avais un ordinateur…
Mathieu Vidard : C’est ça, mais quand même. Ça a changé beaucoup de choses, finalement, dans votre façon de vivre ? Vous avez vécu le temps autrement ?
Karine Mauvilly : Ça n’a pas changé fondamentalement ma vie parce que, malheureusement, le numérique est partout ailleurs. La Machine avec un grand « m » est partout autour de nous. Mais c’est vrai que ça enlève de la pression. C’est-à-dire qu’on n’a plus la pression de répondre, de regarder l’heure sur son portable, d’être à l’affût des opinions des autres, etc. Donc ça apporte un certain bien-être que j’essaye de prolonger aujourd’hui en oubliant le plus possible chez moi mon téléphone.
Mathieu Vidard : Dominique Cardon vous avez fait l’expérience, ou pas, de vous couper un temps des outils ?
Dominique Cardon : Je me sens très coupé du numérique pendant les vacances et je pense qu’on peut en faire des usages avec de très grandes alternances. C’est ce qu’on observe aussi dans les enquêtes. Il faut vraiment faire attention à cette idée de la capture de l’attention. Il y a une capture de l’attention pour un temps complètement distrait qui est de scroller sa page Facebook ou Instagram et, dans ces cas-là, on n’est pas dans l’univers productiviste qu’est en train de pousser le phénomène d’accélération. On est tout simplement en train de s’abrutir à regarder des trucs idiots. La télé, une partie de la télé, a toujours fait ça. Mais dans cette dynamique-là on peut aussi avoir des usages. Je voudrais vraiment y revenir pour élargir cette notion du numérique. Un bel exemple que j’aime bien, c’est un collègue qui m’a montré ça, vous avez des chaînes YouTube qui sont faites par des conducteurs de train, scandinaves, qui posent la caméra devant le train et qui filment les trajets dans les montagnes. C’est absolument sublime, ce sont des vidéos qui font trois heures. Vous êtes scotché, vous êtes accroché, c’est complètement contemplatif, il y a un côté absolument zen à le voir.
Karine Mauvilly : Et on fait tourner les data centers pour un peu de zénitude ; c’est un petit peu dommage !
Dominique Cardon : D’accord ! On dit « écran » ; la question centrale c’est : qu’est-ce qu’il y a sur l’écran ? Qu’est-ce qu’on en fait ? Avec qui on discute ? Quel échange on est en train d’entamer.
Mathieu Vidard : Qu’est-ce que ça dépense aussi comme énergie. C’est une vraie question.
Dominique Cardon : Ça dépense de l’énergie !
Karine Mauvilly : Ce n’est pas secondaire.
Dominique Cardon : Ce point est absolument indiscutable.
Mathieu Vidard : Il y a beaucoup de messages d’auditeurs. Alain nous dit : « J’aimerais bien quand même que vous nous parliez des logiciels libres qui nous donnent les moyens de se protéger des prédateurs numériques, ça ne manque pas », dit-il. Qu’est-ce que c’est qu’un logiciel libre ? C’est justement une des solutions que vous proposez, Karine Mauvilly.
Karine Mauvilly : C’est une des solutions dont je parle après y avoir beaucoup réfléchi parce qu’aller vers les logiciels libres finalement c’est toujours faire de l’informatique, donc ça ne nous éloigne pas vraiment des écrans. Sauf que c’est une solution on va dire temporaire, avant qu’on vive peut-être avec moins de numérique un jour, dans un scénario post-effondrement qu’on peut imaginer, ce n’est pas pour rien que c’est quand même dans la collection Anthropocène. Ces logiciels libres permettent, pendant un temps transitoire, d’avoir moins de surveillance sur nos données en installant des logiciels qui n’institutionnalisent pas le vol de données comme peuvent le faire Windows ou Google, chacun dans son domaine.
Mathieu Vidard : Dominique Cardon, efficaces ? C’est une solution intéressante ?
Dominique Cardon : Le logiciel libre [1], c’est le cœur de la culture numérique, c’est le cœur de la culture de l’histoire d’Internet. C’est la culture de la coopération, du partage, de l’échange : des informaticiens qui partagent ensemble le code qu’ils ont produit, qui ne mettent de brevet dessus ou qui mettent un brevet qui protège les libertés. C’est ça le logiciel libre, ce n’est pas lié à la protection des données personnelles ; c’est la manière de faire des logiciels. 80 % des serveurs qui font tourner Internet aujourd’hui sont en logiciel libre, sous Apache. Le logiciel libre occupe aujourd’hui une place considérable ; il est dans l’esprit de la culture numérique, et c’est pour ça qu’il faut s’en servir, un point d’appui critique contre l’emprise propriétaire que d’autres acteurs exercent, qui cherchent non seulement à contrôler nos données mais aussi à ce qu’on ne puisse pas accéder au logiciel pour le transformer, pour le bidouiller. La culture du numérique c’est une culture de la bidouille ; il faut pouvoir fabriquer, il faut pouvoir coder, il faut pouvoir imaginer de nouvelles choses. Quand les logiciels sont propriétaires et fermés ils ne donnent pas cette liberté à l’utilisateur alors que le logiciel libre le fait.
Mathieu Vidard : Il nous reste peu de temps malheureusement. Encore des messages. Alain qui envoie un petit coup de griffe à France Inter et nous dit : « On regrettera cependant que le site de France Inter mette en avant Facebook et Twitter pour le contact et utilise ensuite un captcha de Google qui lui permet d’affiner gratuitement ses outils ». Et bim !
Karine Mauvilly : Il a bien raison. Il faut arrêter avec Google, il faut arrêter ! Il y a quand même des logiciels alternatifs, que ce soit en moteur de recherche, en navigateur, etc.
Mathieu Vidard : Vous pouvez nous en citer un ou deux. On peut donner…
Karine Mauvilly : Oui. En navigateur internet ?
Mathieu Vidard : En moteur de recherche, par exemple ?
Karine Mauvilly : En moteur de recherche vous avez Qwant [2], DuckDuckGo [3], Startpage [4]. Il y en a beaucoup d’autres.
Mathieu Vidard : Ça existe. Nicolas nous dit : « Je suis enseignant. De plus en plus l’Éducation nationale me demande d’utiliser les smartphones justement dans les enseignements. Que faire ? »
Karine Mauvilly : Là c’est une des situations où les parents doivent résister. C’est très compliqué parce que les établissements et les départements poussent à l’équipement des collèges et des écoles. Il y a là un scandale puisque, derrière, on a quand même une capture des données des enfants. On enferme la relation enseignant-élève-parents dans des logiciels alors qu’avant on communiquait très bien par le cahier de texte. Et puis on propose de remplacer les livres et les cahiers par des logiciels, par des tablettes, c’est-à-dire par des objets extrêmement énergivores, qu’on ne saura pas recycler et qui n’ont pas encore prouvé leur efficacité pédagogique. On cherche encore les études qui nous montrent qu’étudier sur numérique serait plus efficace.
Mathieu Vidard : Marjorie nous dit : « Allez dire à son ado de 15 ans qu’il ne peut pas avoir un portable ou jouer, c’est mission impossible. On ne peut pas mettre en avant le libre arbitre et en même temps leur interdire ce qui constitue la culture des jeunes de leur âge ». Dominique Cardon.
Dominique Cardon : Je crois effectivement que c’est un peu paternaliste et rigoriste cette histoire des 15 ans. En revanche ma recommandation, qui est celle de beaucoup de pédagogues sur le numérique, c’est d’être attentif à ce qu’ils font avec le numérique. La question centrale c’est l’usage. La variable décisive c’est une variable d’éducation parentale, c’est : est-ce qu’on les laisse avec leur téléphone faire ce qu’ils veulent ou est-ce qu’on essaye de comprendre l’intérêt qu’ils y prennent ? Pourquoi c’est intéressant ? Pourquoi tel jeu, tel ami, tel espace de discussion est pertinent et parfois telle pratique, tel type de communication l’est beaucoup moins ? Et c’est à ce moment-là, à mon avis, que la relation éducative et parentale peut intervenir. Le côté un peu fixe, ferme, de « tu n’auras pas ce que tous tes copains ont ! », je dis ça en sociologue, c’est intéressant de le dire, mais c’est tellement peu pertinent du point de l’efficacité de la proposition.
Karine Mauvilly : Il existe quand même des limites d’âge extrêmement courantes dont nous avons l’habitude. On n’a pas le droit de conduire avant 18 ans. On n’a pas le droit de se marier, maintenant pour garçons et filles, avant 18 ans. On n’a pas le droit d’acheter d’alcool avant 18 ans. On a intégré ces limites d’âge aujourd’hui. Ce n’est inimaginable d’envisager une limite pour le numérique.
Mathieu Vidard : Malheureusement on est obligé de s’arrêter parce qu’il y a la campagne pour les Européennes qui nous attend. Je suis vraiment désolé, on aurait aimé discuter beaucoup plus. On peut renvoyer vers vos ouvrages : Cyberminimalisme, Karine Mauvilly, c’est aux Éditions du Seuil et Culture numérique aux Presses de Sciences Po, Dominique Cardon.

Merci beaucoup d’être venus cet après-midi dans La tête au carré.

Références

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Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.