Tout plaquer pour élever des logiciels libres - Marien Fressinaud

Retour d’expérience personnel : comment gagner sa vie avec du logiciel libre ?

Vous vous ennuyez dans votre job actuel ? Votre patron est insupportable et vos collègues vous ennuient ? En plus le baby-foot est cassé et le café insipide… Avez-vous songé à tout plaquer pour vivre votre meilleure vie ? Tout plaquer pour élever des logiciels libres ?

Je me suis lancé, il y a plus de deux ans, avec Flus. Je vous propose un retour d’expérience — pas du tout exhaustif — sur les pourquoi et comment je me suis lancé. Je vous parlerai de tout ce à quoi il faut penser, de mes techniques pour ne rater aucune échéance de déclaration de chiffre d’affaires à pourquoi j’utilise le vouvoiement lorsque je fais du support. Je vous expliquerai évidemment ce que j’ai appris et, surtout, ce qui n’a pas marché. Je ne parlerai pas d’échec, mais peut-être me poserai-je la question de savoir si, tout compte fait, je ne devrais pas arrêter.

Merci à vous d’être venus pour cette conférence intitulée « Tout plaquer pour élever des logiciels libres ». Je vais déjà remercier les JdLL pour l’accueil et la salle des Rancy pour le lieu, c’est toujours agréable de se retrouver tous ensemble pour les JdLL.

Je vous ai déjà dit qu’il n’y aurait potentiellement pas de temps pour les questions, mais je vais faire de mon mieux. De toute façon les précédentes ont pris plus de temps. On verra. Comme ça c’est dit !

Alix au travail

Avant de commencer, je vais vous raconter une petite histoire, l’histoire d’Alix. Elle est développeuse dans une petite société de services. Elle est employée dans une entreprise ; sa force de travail est vendue pour développer des logiciels pour d’autres entreprises. Actuellement, son client c’est une banque. Pour Alix ce n’est pas le client idéal, mais, au moins, c’est un client qui paye bien, en plus elle n’a pas besoin de se déplacer sur site, ce qui est plutôt une bonne situation dans les sociétés de services.

Elle se prépare, elle arrive au boulot, il est 9 heures et, première chose qu’elle fait, elle regarde ses mails. Elle n’en a qu’un, de son client, qui est intitulé très sobrement « Urgent ». Il lui demande d’importer des données générées par la banque dans l’outil qu’elle développe pour la banque et c’est à faire pour demain 9 heures, sachant que le mail a été envoyé la veille au soir, donc demain c’est aujourd’hui, 9 heures c’est maintenant.

Petit coup de stress pour Alix. Elle se dépêche, en un quart d’heure c’est réglé. Elle finit en envoyant un petit mail pour s’excuser du retard auprès de son client. Évidemment, elle ne pense pas vraiment ses excuses, c’est un peu la faute du client si elle est dans cette situation ! C’était un peu stressant, mais au moins c’est passé, ce n’est pas très fréquent donc ça va.

Arrive midi. Elle se dépêche d’aller chercher à manger avec ses collègues parce qu’à 13 heures leur patron a mis une réunion d’équipe, c’est évidemment le seul horaire qu’il ait trouvé ! Le pitch de la réunion c’est « on a du mal à trouver des clients qui nous intéressent, il va falloir communiquer un peu plus vers l’extérieur, ce serait bien que les devs s’y mettent un petit peu en écrivant des articles sur le blog, en participant à des conférences, en tenant des stands, etc. ». La question de comment on organise tout ça, est-ce qu’on adapte les horaires, est-ce qu’on augmente les développeurs pour faire ce travail, est-ce qu’on adapte les fiches de poste, n’est pas du tout abordée. Alix sait très bien ce qui va se passer : il ne va rien se passer | C’est déjà au moins la troisième fois qu’elle participe à ce genre de réunion et ça ne change jamais. C’est un peu désolant, elle rage un petit peu intérieurement, mais c’est habituel et, au final, ce n’est que sa boîte donc elle s’en fiche un petit peu.

La journée se poursuit. Elle bosse, elle bosse, elle bosse, déjà parce que ça lui plaît et puis ça fera plaisir à son client. Elle finit sa journée, elle rentre chez elle, elle s’effondre dans son canapé, elle est épuisée, elle n’en peut plus. Elle a plus ou moins prévu de faire du bénévolat le soir, mais là, ce soir, ça va être soirée canapé/film, elle ne va rien faire. Elle se dit « c’était crevant mais au moins aujourd’hui j’ai été bien productive, ce n’est pas si mal ! », tout en pensant « productive pour qui ? Productive pour ma boîte ! » Ça ne lui a pas apporté grand-chose.

Si je vous raconte cette histoire c’est parce que ça m’est arrivé, c’est un peu caricatural mais pas tant que ça. Je voulais illustrer tous ces petits désagréments qu’on a, qu’on peut avoir au quotidien dans son boulot et qu’on passe tout son temps à relativiser, tout le temps. J’ai eu une discussion, hier soir, avec quelqu’un qui relativisait beaucoup son cadre de travail et qui ne cherchait pas à l’améliorer, pour lui c’était secondaire. Pourtant, pour moi, tous ces petits désagréments c’est ce qui va faire qu’on va finir par ne plus rien ressentir au boulot ou qu’on va être contrarié, en colère ou crevé, voire ce qui peut mener aussi au burn-out et le burn-out ce n’est pas cool.

Je me suis retrouvé dans cette situation à un moment donné et la question s’est posée : est-ce que l’informatique est un truc que j’ai encore envie de faire ? J’ai répondu en restant, en continuant de faire de l’informatique.

Pourquoi je n’ai pas quitté l’informatique

Je vais vous parler de moi. Je vais me présenter : je m’appelle Marien Fressinaud, je suis développeur de logiciels libres depuis 10 ans au moins, avant ça utilisateur depuis au moins 15 ans. Au fil du temps j’ai développé des logiciels. Le premier, le plus connu, c’est FreshRSS [1] qui est un agrégateur de flux RSS, ça permet de suivre différents sites, blogs, etc., puis un certain nombre d’outils. Je gère aussi un service en ligne qui s’appelle Flus, qui est un service de veille, j’y reviendrai un peu plus tard.

À côté de ça je suis aussi bénévole chez Framasoft [2]. Aujourd’hui je m’occupe principalement des aspects RGPD [3] dans l’association, ça avance petit à petit mais ça avance.

En parallèle de tout ça, durant ces dix dernières années, j’ai aussi passé trois ans dans une grosse entreprise et trois ans dans une boîte de services, plus petite, beaucoup plus petite. Il faut noter que si, structurellement, ces boîtes n’avaient pas grand-chose à voir, elles m’ont mené au même questionnement : ce que je faisais dans ces boîtes ne me plaisait du tout, je ne comprenais pas le sens qu’il y avait à bosser dans ces boîtes. En 2018, notamment, je me suis retrouvé dans une situation où j’étais en totale perte de sens de ce que je faisais au boulot, jusqu’à ce qu’on me parle d’un évènement qui a été assez clé dans ma démarche, qui s’appelle Sud Web.

Sud Web

Sud Web [4] était une conférence qui se passait dans le Sud, qui parlait de Web. Ce qui est intéressant c’est qu’il y avait beaucoup de discussions en parallèle des conférences, très orientées autour de la recherche de sens au boulot, très axées sur l’humain. C’est exactement ce dont j’avais besoin à ce moment-là et j’ai réalisé que ma carrière professionnelle était posée sur un rail, que je n’avais plus du tout la maîtrise de ma carrière. J’ai eu le déclic de me dire « je veux reprendre la main là-dessus et je veux retrouver du sens dans ce que je veux faire. Est-ce que je veux encore faire de l’informatique ? Est-ce que je n’irais pas élever des chèvres dans la Creuse, retour aux sources pour moi ? ». Et je ne l’ai pas fait pour plusieurs raisons.

Première raison : la société se numérise. Qu’on le veuille ou non, elle se numérise de plus en plus et pas forcément en bien. Et moi je suis développeur, je maîtrise le code et, du coup, je me dis que je peux être utile pour essayer de recadrer un peu ce numérique. En plus j’adore ça, c’est peut-être le point qui m’a pris le plus de temps à réaliser, mais vraiment, le truc que je kiffe c’est développer des logiciels. Il y a un dernier point, qui est peut-être plus évident, c’est que je n’ai pas trop envie d’aller élever des chèvres. J’ai de la famille dans l’agriculture, je sais ce que ça implique, et ce n’est pas un truc qui me fait spécialement envie. Donc il y a des raisons pour rester dans l’informatique, je vous assure.

Le sens du logiciel libre

L’une des raisons, c’est que je veux bien faire de l’informatique, mais je veux y trouver du sens et moi je pense trouver le sens dans le logiciel libre, mais, pour ça, il faut bien définir ce qu’est le logiciel libre. À priori, si on s’en tient à la définition par défaut, le logiciel libre c’est quatre libertés assurées aux utilisateurs, c’est important de le préciser, de replacer l’utilisateur :

  • la première c’est la liberté d’exécuter le logiciel ;
  • la liberté d’étudier son code source ;
  • la liberté de le distribuer à ses proches, à ses collègues, etc. ;
  • la liberté de l’améliorer et de redistribuer les améliorations.

Si on s’en tient à cette définition, on peut se poser la question : est-ce que ça suffit pour trouver du sens dans son boulot ?

Si je prends l’exemple de Google, Google libère le code d’Android qui est sous licence Apache – je ne rentre pas dans le détail de « est-ce que c’est entièrement libre ou pas ? » – et il se trouve qu’il publie du code source sous licence libre. Si je devais me retrouver à bosser pour Google, pour travailler sur Android, j’aurais quelques soucis à trouver le sens de mon boulot. Pour ça, à mon avis, il faut aller plus loin dans la définition et là je me base sur un article que j’ai écrit en 2018, que j’avais intitulé « Ce qui nous pousse au Libre », un article [5] qui explique ce que moi, en tant que développeur, je trouve d’intéressant dans le logiciel libre, ce qui me pousse à en écrire. Il y avait plusieurs raisons.

La première raison c’est l’apprentissage. En écrivant on apprend et, en faisant du Libre, on bénéficie des retours des autres développeurs. Il y a le plaisir, parce qu’on se consacre généralement à quelque chose qui nous plaît, qu’on trouve intéressant en lui-même, et il y a la partage. On partage le code, on partage aussi nos connaissances, du coup on travaille pour soi-même, mais on travaille aussi pour les autres. Il y a encore un quatrième point qui est vraiment déterminant pour moi dans tout ça, c’est l’éthique. L’éthique c’est vague, c’est un peu subjectif, mais on peut la définir par le fait de vraiment se consacrer à ce que le logiciel reste au service de l’utilisateur.

Si je reprends l’exemple de Google avec Android, il suffit que vous preniez un téléphone Android fourni par Google et vous allez très vite vous rendre compte que, pour l’utiliser, vous allez être enfermé dans l’écosystème de Google. Pour moi, ce n’est pas ce qui s’appelle rester au service de l’utilisateur, c’est plutôt l’utilisateur qui est au service du logiciel, qui est au service de Google.

À Framasoft, on a l’habitude de définir l’éthique comme étant ce qui fait la différence entre le mouvement du logiciel libre et le mouvement de l’open source. L’open source étant du Libre sans éthique ; c’est notre façon de voir les choses.

Donc l’éthique c’est ce qui me sert de boussole, ce qui va me servir de boussole quand je vais faire du Libre. Quand je vais annoncer que je fais du logiciel libre, j’annonce à mes utilisateurs « je vous respecte en tant qu’individu », même si certains, on va le voir, sont des clients, eh bien cette petite boussole que je garde en tête va influencer ma façon de réfléchir. Ce n’est pas forcément inné, ce n’est pas parce que je libère mon code que je respecte mes utilisateurs. Il faut garder à l’esprit que c’est plutôt dans ce sens-là qu’il va falloir aller ; ça me sert de boussole.

Le quotidien d’un service en ligne

Je vous ai parlé de la raison pour laquelle j’ai quitté mon boulot. Je vous ai expliqué vers quoi je pensais aller, faire du numérique, faire du logiciel libre où, je pense, trouver du sens, mais concrètement je fais quoi ?

J’ai un service en ligne. Je vais vous présenter ce service, je vais vous présenter comment il se met en place et son quotidien, comment je gère tout ça au quotidien.

Je vous ai dit que j’ai un service, mais c’est un peu plus compliqué que ça.
On est début 2019 et je me dis : « Le logiciel libre je connais, j’ai développé, quand j’étais étudiant, un logiciel qui s’appelle FreshRSS, un agrégateur de flux RSS, le problème c’est que c’est un logiciel qui s’installe sur un serveur et tout le monde n’a pas les compétences ou n’a pas envie de gérer un service en ligne comme ça. » L’un des manques de FreshRSS, c’est qu’il n’y a pas de service associé. Je me dis que je peux proposer un FreshRSS clés en main, ouvrir les inscriptions et faire payer les gens pour l’utiliser, comme ça, ça m’assure un revenu et, d’une certaine manière, je finance du logiciel libre.

Je fais ça, j’ouvre ça fin novembre 2019 et, assez vite, je me dis une chose :« Si des personnes utilisent déjà des agrégateurs de flux RSS, qui ne soient pas FreshRSS, je pense qu’elles vont s’y retrouver. FreshRSS est un agrégateur de flux RSS très traditionnel qui n’apporte pas forcément grand-chose par rapport à d’autres. Si on parle en termes marketing, le marché est saturé, il y a plein d’alternatives gratuites. Plein de gens utilisent déjà un agrégateur, soit installé sur un serveur soit en local, et moi je n’apporte pas forcément grand-chose dessus ». Ce service que j’ai installé, que j’ai présenté comme flux, je le renomme en Flus(1), ce qui veut dire, du coup, qu’il y a un Flus(2).

Je ne rentre pas dans les détails du pourquoi, mais je décide de redévelopper un logiciel de zéro, qui sera un logiciel de veille, qui va faire de l’agrégation de flux RSS, pas de manière traditionnelle, mais qui fera quand même de l’agrégation, qui va permettre de stocker des liens pour les lire plus tard, pour les organiser, pour pouvoir les commenter, pour pouvoir repartager sa veille publiquement à d’autres personnes, sachant que les collections créées peuvent être elles-mêmes suivies par des flux RSS. On est dans un écosystème qui est connu, qui est plutôt bénéfique. L’idée c’est de pousser l’agrégation de flux RSS un peu plus loin en mettant plusieurs outils de veille en un seul. Je le nomme Flus(2) et le logiciel derrière, qui est libre, s’appelle Flusio.

Pour clarifier le truc, j’essaye de ne plus parler de Flus(1) ou de Flus(2), je parle de Flus [6] qui est, on va dire, la marque de mon entreprise. Mais, quand je parle de Flus, en fait je parle principalement de Flus (2) qui est le service que je compte vendre parce que je pense que c’est celui qui a le plus de potentiel pour me permettre d’en vivre. J’ai rajouté la prononciation de Flus parce que beaucoup de gens ont tendance à prononcer FluS.

Public : De toute évidence il faut dire fly !

Marien Fressinaud : Je me suis basé sur le Wiktionnaire, Flus avec un « s ».

Monter sa boîte c’est compliqué

Maintenant que je vous ai présenté rapidement ce que je proposais, se pose la question : j’ai besoin d’en vivre, j’ai besoin de me nourrir, bizarrement, et on a tendance à penser que le logiciel libre est gratuit, je pense que ce n’est pas nécessairement gratuit. Il y a un coût de développement, il y a un coût de maintenance et c’est bien aussi que les développeurs de logiciels libres puissent vivre de leur travail.

Se pose la question : monter sa boîte, est-ce que c’est compliqué ? La réponse est simple, ce n’est pas très compliqué en soi. J’ai noté trois points principaux que j’ai mis en place avant de créer ma boîte.

Le premier point : il faut décider du modèle économique. J’aurais pu décider de mettre de la pub sur mon service, j’aurais pu décider de vendre les données de mes utilisateurs au plus offrant pour gagner un maximum. J’ai dit que je faisais du logiciel libre et, pour moi, ces deux modèles économiques sont totalement incompatibles avec ma vision du logiciel libre.

J’aurais pu décider de vendre en une fois : la personne paye une fois et utilise le service continuellement. Ça me pose problème parce que j’ai besoin de revenus récurrents et il y a un coût de maintenance qui se place sur la durée. Je suis plutôt parti sur un abonnement mensuel à trois euros par mois ou un abonnement à 30 euros par an, tout en me disant que ce n’est pas forcément le modèle idéal dont je rêve. J’ai donc proposé en plus, par-dessus ça, un système de cagnotte ; si vous connaissez le principe du « café suspendu », c’est pareil. Les gens qui peuvent se le permettre, qui veulent soutenir le projet, payent un peu plus, ce qui développe des abonnements gratuits pour ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas payer un abonnement mensuel. Je ne vérifie pas, derrière, si les gens n’ont pas les moyens de payer, ce n’est pas mon but.

Public : Peux-tu répéter ? Le café… ?

Marien Fressinaud : Le café suspendu. En Italie c’est un truc qui se fait bien à priori. On paye un café supplémentaire pour une personne qui arrive après.

Public : Pas qu’en Italie.

Marien Fressinaud : Oui, pas qu’en Italie, mais c’est né là-bas. Ça se fait aussi dans les boulangeries en France.

Le second point c’est la structure juridique. Il y a des tas de manières de créer sa boîte. J’ai hésité entre une CAE [Coopérative d’activité et d’emploi] et la microentreprise. Je ne savais pas vraiment où j’allais, je ne savais pas vraiment si ça allait marcher, je ne savais pas si au bout de deux mois je n’allais pas tout lâcher parce que j’en aurais marre. Je me suis dit que la microentreprise c’est simple à mettre en place, il n’y a pas beaucoup de critères, ça m’allait bien. Je suis parti là-dessus, mais il y a d’autres choix possibles. C’est simple si vous survivez au formulaire de création, il faut quand même le préciser. Je ne suis même pas passé par l’URSSAF. Je ne m’en suis pas sorti. C’était juste une pique !

Le dernier point c’est la banque, il faut choisir une banque. En dessous d’un certain seuil de chiffre d’affaires, à priori on peut rester sur son compte personnel. Moi je ne veux pas, je veux séparer les deux, j’ai pris un compte séparé. Normalement on peut utiliser un compte courant, il n’y a pas de conditions, mais les banques rajoutent souvent des conditions. Moi je n’aime pas beaucoup m’emmerder, j’ai suivi le mouvement, pas forcément pour le meilleur, sachant que quand j’ai ouvert mon compte ils ont perdu le dossier. Je ne précise pas le nom de la banque ! C’est la Banque postale !

Public : J’avais deviné !

Marien Fressinaud : Il faut préciser que leur support téléphonique est très bon ! En tout cas j’ai eu une très bonne expérience de leur support téléphonique. Ce n’est pas forcément une expérience !

Public : Et le courrier ils ne connaissent pas trop, c’est le problème d’envoyer par la poste !

Et au quotidien ? C’est (très) varié

Marien Fressinaud : On a vu que monter sa boîte ce n’est pas très compliqué, par contre, au quotidien, qu’est-ce que ça donne ? Au quotidien, c’est très varié. C’est du taf, on ne va pas se le cacher.

Pour commencer, il y a de l’administration système. J’ai mon logiciel, j’ai ma banque, j’ai développé un petit plugin pour faire payer les gens, maintenant il faut que j’installe ça sur un serveur. Il faut que j’installe le serveur, il faut que je gère la sécurité du serveur, il faut que je déploie l’application dessus, il faut que je gère la supervision, il faut que je crée des backups, que je vérifie que les backups fonctionnent bien. Je faisais déjà à peu près ça en amateur, j’avais un serveur personnel, mais là il a fallu que je passe à l’étape suivante, professionnaliser tout ça. C’est un peu de taf au début et après, aujourd’hui, en fait ça me prend quelques minutes par mois ou quelques jours par mois, en fonction de ce que j’ai à faire.

C’est bien. Notre service est installé sur un serveur. Il y a des gens potentiellement intéressés, il va falloir aller les chercher, communiquer, créer un message qui attire les gens pour utiliser le service. Je suis allé au plus simple. J’ai créé un blog [7] sur lequel je partage mon expérience, mon l’activité, j’explique les nouveautés, je donne des petites astuces d’utilisation, j’explique ce qu’est le RSS, etc. À côté de ça j’ai un compte Twitter et un compte Mastodon parce que, si je reste dans ma bulle, je ne vais toucher personne ; il faut aller chercher les gens. Aujourd’hui ça me prend quelques heures, au mieux, par semaine et je crois que ce n’est pas suffisant. Je vais avoir l’occasion de vous parler des problèmes de communication/marketing un peu plus tard.

Ensuite il y a le support. J’adore le support, je pense que c’est l’un des trucs les plus intéressants que je fais après le développement parce que c’est un moment où on échange avec les gens, c’est un moment où ils nous font des retours, positifs ou négatifs. C‘est le moment où on peut se reposer des questions, des questions bêtes qu’on ne se pose pas forcément, par exemple : est-ce que je vouvoie ou est-ce que je tutoie mes clients ? Dans une relation commerciale je suis toujours mal à l’aise quand on commence à me tutoyer, je me demande ce qu’il me veut, ce qu’il essaye de faire. J’ai décidé de vouvoyer par défaut. Sauf si la personne me contacte en me tutoyant je me permets de la tutoyer.

Une autre chose que j’aime bien c’est quand il y a des demandes de fonctionnalités, quand il y a des bugs, etc., je garde toujours la référence de ce qui m’est demandé. Deux mois, trois mois plus tard, quand je corrige ou quand j’ajoute la fonctionnalité, ça me permet de recontacter la personne pour dire « ce truc que tu m’as demandé c’est bon, c’est là » et c’est toujours bien apprécié. Là on est un peu à la limite entre communication et support, mais c’est le genre de chose à laquelle on peut penser.

Public : Tu utilises quel média en termes de support ?

Marien Fressinaud : L’e-mail, ça marche très bien ! C’est vrai que j’avais prévu de le dire en plus. Il y a des outils dédiés. Quand on est tout seul et qu’on a quelques clients, l’e-mail va bien. J’ai juste un formulaire de contact pour cacher l’e-mail ; il pourrait être public, ce serait pareil.

Public : Pas de téléphone ?

Marien Fressinaud : Pas de téléphone, non, je n’aime pas le téléphone. Donc le support me prend quelques minutes par semaine tout au plus, ce n’est vraiment pas grand-chose aujourd’hui, mais c’est très variable en fonction des moments.

Ensuite il y a l’administratif, tout ce qui est administratif/compta : déclarer son chiffre d’affaires, contacter la banque parce qu’elle a perdu un dossier, etc., je vais arrêter avec la banque ! Ce n’est pas très lourd, c’est pareil. En tant que microentreprise la compta c’est très léger, il y a juste un livre des recettes à tenir. Je vais un peu plus loin, j’ai un fichier Calc parce que j’aime bien avoir une vision d’ensemble de ma trésorerie, où j’en suis de mes dépenses, de mes revenus, etc. C’est un truc que j’aime bien faire, donc ça ne me pose pas de problèmes. Pour cet aspect-là, je bloque le lundi matin toutes les semaines, toutes les semaines je bloque ce moment-là. Ça me prend littéralement quelques minutes à tenir à jour, mais, au moins, je sais que s’il y a des emmerdes avec l’administratif j’ai ce temps qui est bloqué et ça ne bouge pas.

Conception/design. Là on approche un peu de l’amélioration des outils. Avant de développer une fonctionnalité il faut la concevoir, l’imaginer pour qu’elle soit la plus utilisable possible. Ce point-là est le seul point où j’ai vraiment une aide dédiée : Maiwan [8] — il y en a qui connaissent — m’aide dessus de façon récurrente et ça change absolument tout. Je voulais développer un outil qui soit pensé dès le début avec une réflexion de designer derrière pour qu’il soit le meilleur possible, autant que possible. Il y a un petit temps de synchronisation, c’est le seul niveau où j’ai un temps de synchronisation avec quelqu’un. En fait, le temps que je gagne sur le développement, où je ne me pose pas 1000 questions, est très bénéfique.

Gestion de projet. Pour moi ce n’est pas grand-chose, c’est un kanban avec la liste de toutes les fonctionnalités, toutes les idées, tous les retours, les bugs, etc., qu’on a pu me faire, ça me permet de les prioriser, de décider ce qui est le plus important à faire maintenant, de suivre où ça en est, ce que je suis en train de développer, si ça a besoin d’être déployé, si c’est en production, etc. Ça me donne une vision d’ensemble de ce que je fais et ça me permet de planifier un petit peu à moyen terme.

Suite à ça, il y a le développement, c’est vraiment mon cœur de métier et c’est pour le développement que je fais tout ça. C’est développer le code, c’est aussi faire les tests, c’est écrire la documentation, c’est gérer les versions parce que je suis en train de développer un logiciel libre, je ne le fais pas juste pour moi, je le fais aussi pour les autres, donc il y a tous ces aspects qui viennent s’ajouter au développement simple. Du coup ça me prend toute la semaine, disons quatre jours par semaine, quatre jours et demi, sachant que je ne bosse pas les week-ends.

Et qui dit logiciel libre dit communauté, ou pas ! C’est plus compliqué que ça : gérer une communauté, pas gérer une communauté...

J’ai fait le choix de refuser les contributions de code sur Fusio parce que les contributions de code, c’est du temps de relecture, c’est du temps de retour – faire des retours –, c’est du temps d’intégration, c’est du temps de maintenance. Quand on n’a pas fait de logiciel libre, on ne s’en rend pas forcément compte mais c’est beaucoup de temps à passer là-dessus. C’est aussi, potentiellement, gérer des refus, parce que je suis en train de développer un truc qui doit aussi me rapporter de l’argent, qui a une vision, donc je n’ai pas envie d’aller, non pas vers des emmerdements, ça apporte aussi des choses, mais ça prend vraiment beaucoup de temps, ça peut être chronophage et j’ai fait ce choix-là.

Ceci dit, je fais du logiciel libre et je le fais pour des gens. Donc je participe, on va dire de temps en temps parce qu’avec le covid il n’y a pas eu trop d’opportunités, à des Contribateliers [9]. Les Contribateliers sont des ateliers destinés à des personnes qui ne font pas forcément de code, pour les aider, les accompagner à contribuer à des logiciels libres. Je propose généralement des tests utilisateur. Je donne une mission à une personne dans le logiciel, faire quelque chose, une tâche spécifique et je l’observe ; je ne dis rien, je ne commente rien – quand j’y arrive. J’observe ses réactions, si elle est étonnée, si c’est facile pour elle, toutes ses petites remarques et ça donne énormément de retours sur le logiciel, comment il est perçu, comment il est vraiment utilisé, concrètement.

Je crois que j’ai fait le tour des choses que j’ai à gérer en tant qu’autoentrepreneur. Il y a peut-être des choses que j’oublie, potentiellement il y a d’autres choses.

Là on peut se dire qu’il y a quand même pas mal de choses, ça a l’air compliqué. J’ai essayé de vous donner, tout du long, le temps que chaque chose me prend, en fait la plupart des trucs ne me prennent pas beaucoup de temps, c’est surtout de l’organisation. Je vous ai dit que je me bloque le lundi matin pour faire l’administration/compta. Le support, ça va être au fil de l’eau : dès que j’ai une demande je vais y répondre le plus rapidement possible. Le développement c’est tout le temps, mais souvent au détriment de la communication que, du coup, j’ai plus de mal à gérer.

[Marien se désaltère. Diapositive avec photo de verre]

Marien Fressinaud : C’est inspiré de je ne sais plus qui, je vous conseille de mettre cette slide, je l’ai rajoutée ce matin !

Je tourne autour du pot depuis tout à l’heure. Je me dis que je ne fais peut-être pas assez de communication, ce n’est pas suffisant et je vais vous expliquer pourquoi.

(Se) vendre… ou pas

On est en septembre 2021. Jusque-là, grâce à une rupture conventionnelle, j’ai bénéficier du chômage, un chômage confortable. J’avais aussi des économies confortables derrière et pas particulièrement de charges. J’ai eu de la chance, c’est une situation privilégiée, j’ai le chômage, il faut le dire, et j’étais bien payé. J’arrive au bout de mes allocations, je commence à taper dans mes économies et je me dis « j’en ai encore pour un an, à peu près, à vivre à ce rythme-là. En fait, je ne vends pas assez, je n’ai pas assez d’abonnements annuels ou mensuels pour arriver à en vivre. D’ici un an je n’y crois pas, si je ne change pas des choses. »

C’est là où la communication entre en jeu. Je vous ai dit qu’il faut arriver à toucher des gens, les faire venir, etc., et je me demande comment faire la communication. J’observe un petit peu et, typiquement sur Twitter, on publie quelque chose, les personnes lisent, elles disent « ah oui, OK c’est intéressant » et elles passent à la suite. On peut communiquer à nouveau une semaine plus tard ou un mois plus tard, c’est pareil. Si vous ne matraquez pas votre message, si vous n’avez pas une communication frénétique pour toucher des gens, en fait ça ne marche pas. Je ne vous cache que ce n’est pas vraiment mon kif, parce que je considère que c’est totalement en contradiction avec ce que je veux faire. Je suis en mode « je veux libérer du temps de cerveau disponible plutôt que l’accaparer », donc je me dis que là ça coince, mais je n’en démords pas encore totalement. Je fais appel à une amie qui bosse dans la communication pour lui demander des conseils, pour voir un peu ce que je peux en tirer. Elle me fait un audit, elle me donne plein de conseils. Le conseil principal que je retiens c’est de mieux définir ma cible, parce que, jusque-là, je vise large. Je savais depuis le début qu’il fallait que j’aie une cible bien définie, etc., mais c’est un truc pour lequel je rechigne un peu, je traîne les pieds.

Public : Quelle est cette cible ? L’entreprise !

Cible = entreprise

Marien Fressinaud : Quelle est la cible que je définis ? L’entreprise !

Je me dis que si je ne veux pas avoir à communiquer de manière vraiment frénétique, il va falloir que je vise des gens qui payent, qui sont prêts à payer. Les entreprises c’est parfait, elles ont trop d’argent, elles sont prêtes à dépenser un max pour des choses utiles, elles ont des budgets, un service marketing. Du coup je me dis que l’entreprise c’est bien, je commence à viser ça. Je commence à bosser sur un site, je commence un peu à prévoir une meilleure stratégie de comm’, plus adaptée, et je me dis qu’en plus j’ai envie de développer des fonctionnalités dédiées aux équipes, notamment pouvoir créer des collections en équipe, pouvoir partager une collection d’une entreprise ou d’une association, peu importe, faire du suivi d’agrégation à plusieurs, entre collègues ou entre amis. Je me dis que ça tombe bien, c’est vraiment le bon plan.

Vraiment ?

On est fin novembre 2021, début décembre, je me pose dans le canapé et je me demande si j’ai réellement envie de bosser pour les entreprises. À la base je fais du logiciel libre pour moi, un individu, et j’ai envie de cibler des individus : être en relation avec les personnes, avec les utilisateurs et les utilisatrices finales me plaît. Je me dis si, par exemple, j’ai une entreprise qui fait la moitié de mon chiffre d’affaires, qu’elle vient toquer à ma porte et me dit « on a besoin de telle fonctionnalité », que je dis « oui, mais cette fonctionnalité est nase », je vais quand même me sentir obligé de la développer parce que sinon, si elle part, c’est la moitié de mon chiffre d’affaires qui part.

Et là, en décembre 2021, je ne vous cache pas que c’est compliqué et je sais que je vais devoir faire un choix qui ne va pas me convenir entièrement. Le choix que je fais, c’est de prendre mon temps.

[Image de tortue]

Public : Y compris de manger des tortues !

Marien Fressinaud : Ce n’est pas dans mon régime alimentaire !

Je n’ai pas envie de communiquer plus, mon système de communication me convient. Je n’ai pas envie de changer de cible ; définir une cible ça m’emmerde ! Donc je sais que ça va prendre plus de temps, potentiellement ça ne va pas marcher, mais j’ai déjà des clients. Des gens ont été convaincus, payent régulièrement depuis le début, mensuellement, etc. Il y a des gens intéressés et puis je vois, à côté, Nicolas Lœuillet qui gère wallabagit [10], ça fait des années qu’il fait ça, il ne communique pas beaucoup. Il a un jour par semaine et encore !, parce qu’il est maire de son village, donc il ne passe pas énormément de temps sur wallabag et, d’année en année, ça se développe tranquillement. Je me dis que je vais faire ça. Le problème, évidemment, c’est que mes économies diminuent et la solution que je choisis finalement ça va être, parce que ce n’est pas encore fait, de prendre un job à temps partiel pour pouvoir continuer à attribuer du temps à Flus, mais en me finançant aussi à côté avec un job alimentaire, enfin alimentaire !, on verra. Si la situation me plaît, ce sera tout bénef.

Élever ses logiciels en plein air

On approche de la conclusion, de la fin, et je n’ai pas envie que vous repartiez avec ce sentiment de « il est bien gentil, mais son truc ne marche pas, ça ne marche pas du tout ! » En vrai ça marche pour ce que je recherchais à la base qui était de retrouver du sens dans mon boulot. Aujourd’hui je me plais vraiment dans ce que je fais, c’est parfait. Je recherchais aussi du temps disponible, pouvoir gérer mon temps de travail sans avoir à en référer à qui que ce soit. Aujourd’hui j’habite à Grenoble. Si vous ne connaissez pas, les montagnes sont littéralement à dix minutes à pied de chez moi, c’est vraiment juste à côté, et je kiffe partir en rando le matin en me disant « aujourd’hui je vais faire une petite rando ». Vous n’imaginez pas le nombre de problèmes résolus, le nombre de décisions prises, le nombre d’idées que j’ai pu avoir en rando, ça m’a débloqué énormément de choses et c’est un vrai plaisir de pouvoir en profiter grâce à mon organisation actuelle.

Vous voulez vous lancer ? Ne faites pas comme moi !

Il y a des gens qui se posent la question de leur boulot, qui se disent qu’ils aimeraient bien vivre du logiciel libre, etc. J’espère que ça leur a donné un petit peu envie. Si vous voulez vous lancer je vous conseille de ne pas faire comme moi. Si on regarde en arrière mon parcours, on peut avoir l’impression que c’est par une ligne droite que j’en suis arrivé là. En fait, cette ligne droite cache beaucoup de choix que j’ai faits tout du long.

Le premier choix important que j’ai fait a été de ne pas continuer sur FreshRSS mais de redévelopper un logiciel de zéro. Je me suis pris un an de développement, un peu moins, dans les dents. Vous pourriez avoir l’idée de vous baser sur la communauté existante, de viser éventuellement un public international – je n’ai pas précisé que je vise un public uniquement francophone – et ça pourrait marcher. Un autre choix : c’est potentiellement OK de bosser avec les entreprises.

Je tiens un blog, vous aurez l’adresse à la fin, pour raconter, expliquer tous ces choix que j’ai faits au fil du temps, tout du long, pour aider d’autres personnes, potentiellement, à se dire « il a fait ce choix-là, moi je n’aurais pas fait celui-là », pour essayer d’explorer d’autres chemins pour financer du logiciel libre.

Si mon chemin n’est pas le bon, je sais qu’il en existe et qui fonctionnent. Je pense à Piwigo [11] en ligne, une photothèque en ligne. Ça fait des années qu’ils sont là et ils ont fait le choix de viser plutôt des entreprises. Il y en a d’autres, il y a des tas d’exemples qui existent. Je voulais un truc qui me ressemble plus et c’est ce que j’ai fait au détriment de la rentabilité.

J’en ai fini.

Il y a les crédits.
Le site : https://flus.fr.
Je suis aussi, du coup, sur Mastodon - @flus chez pouet.chapril.org - et sur Twitter - @flus_fr.
Il y a mon site perso : https://marienfressinaud.fr

Et, vous l’aurez compris, je cherche un job à mi-temps.

[Applaudissements]

Questions du public

Marien Fressinaud : Du coup, on a du temps pour les questions finales. J’ai été beaucoup plus vite que quand j’ai répété, du coup j’ai certainement oublié énormément de choses, mais ce n’est pas grave.

Public : Bonjour. Merci pour ce retour d’expérience qui est vraiment intéressant, du coup on peut se tutoyer. J’ai une petite question : au tout début tu parlais de l’histoire d’Alix qui est un peu stressée parce qu’elle a reçu un courriel d’un client qui est un petit peu dans le rush, quelque chose comme ça. Est-ce que le fait d’avoir ta solution open source, d’avoir des clients qui utilisent cette solution open source, si demain ils disent « ça, ça ne marche pas », est-ce que tu vas te mettre la pression pour résoudre la problématique, ou pas ? Ils payent et, du coup, on peut penser qu’ils sont légitimes et, au final, te retrouver un peu dans le même cas que celui d’Alix.

Marien Fressinaud : Les utilisateurs sont importants, mais je n’adhère pas du tout au « le client est roi ». En tout cas le client passe après ma santé mentale, donc je ne vais pas me mettre la pression. Je dis ça en mode facile, mais ce n’est pas forcément évident. Ceci dit, aujourd’hui je n’ai pas eu de grosses demandes, mais je pense que je serais à l’aise, que je suis à l’aise, j’ai déjà des demandes auxquelles je ne peux pas répondre : je dis soit « ce n’est pas prévu et ce n’est pas dans la philosophie du logiciel de faire ça », soit « c’est plus ou moins prévu, il y a déjà des demandes qui arrivent en ce sens-là, mais il y a d’autres trucs qui passent en priorité », soit « ah oui, tiens, ce n’est pas con, c’est facile à faire », donc je le fais rapidement et voilà !

Je reprends l’exemple de l’entreprise. Mes clients ont un poids qui se mélange à celui des autres, ils n’ont pas plus de poids que les autres clients, donc au final, si un client n’est pas content, eh bien ce n’est pas si grave que ça. Je ne me mets pas spécialement la pression.

Public : Ça marche. Merci.

Public : Pour moi, dans ma tête, le Libre c’était que n’importe qui puisse contribuer, c’était un peu ça l’avantage. Tu refuses les contributeurs, du coup c’est quoi, pour toi, l’avantage de faire du Libre ?

Marien Fressinaud : je refuse les contributions au code. Contribuer au Libre ce n’est pas qu’avec du code. On l’oublie souvent et on oublie qu’il y a notamment des gens qui veulent contribuer et qui ne peuvent pas contribuer. La plupart des logiciels libres vont dire « si vous voulez contribuer, ouvrez une pull-request, etc. » Du coup eux aussi excluent tout un tas de contributeurs potentiels. Moi j’ai fait le choix d’accepter les contributions mais pas au niveau du code. Ça peut être du soutien financier, ça peut être les retours qu’on me fait, etc. Il y a effectivement des gens qui peuvent être intéressés par le code, des gens qui me demandent « comment peut-on contribuer au code ? », eh bien non, on ne peut pas. Ce n’est pas un choix définitif, c’est juste qu’aujourd’hui je ne me peux pas me permettre d’accepter des contributions.

Par contre, si des gens veulent forker le projet et disent « nous voulons faire un truc communautaire », je n’aurai pas de souci à rajouter un lien dans la documentation pour dire « si ça vous intéresse plus, allez-y ! »

Public : On aurait peut-être pu avoir des statistiques depuis la création : combien as-tu eu de clients depuis le début ? Savoir si le fait que tu étais déjà un petit peu plus exposé qu’une personne lambda grâce à FreshRSS ça ne t’a pas donné un petit coup de boost plus simple, comme moi demain si je veux faire quelque chose ?

Marien Fressinaud : Je ne suis pas sûr, ou très indirectement, que ce soit FreshRSS qui m’ait apporté de la visibilité. C’est plus le fait que je fasse partie de Framasoft, que j’aie pu bénéficier de quelques boosts de la part de Framasoft et aussi d’une interview sur le blog.

En termes d’utilisateurs, je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais je suis à peu près sur une grosse centaine de clients actuellement. En fait, ça cache toutes les personnes qui se sont inscrites et qui n’ont pas continué parce qu’elles n’ont pas voulu continuer ou qu’elles n’ont pas voulu renouveler, sachant que le renouvellement est quasiment toujours manuel, tous les mois, donc ça peut être un peu lourd, c’est une chose que je pourrais améliorer, mais je ne suis pas non plus très à l’aise avec ça.

Sur le FreshRSS que j’ai installé, je crois qu’il y a 300/400 utilisateurs. Sur Fluvio on est sur 3000 utilisateurs. L’été dernier, j’ai bénéficié d’une vidéo faite par un vidéaste sur sa chaîne qui s’appelle Science étonnante, sur un flux qu’il avait commencé à utiliser et ça lui avait rappelé un bouquin. Du coup, il m’a proposé d’en reparler à la fin de sa vidéo ; j’ai eu un gros pic d’utilisateurs qui sont venus s’inscrire pendant l’été.

En termes de chiffre d’affaires, je vais pouvoir être un peu plus précis. Je suis à peu près sur 300 euros mensuels. En période de pic, quand j’annonce une nouvelle grosse fonctionnalité, etc., je peux atteindre 700 à 800 euros, sauf en mars, je ne sais pas ce qui s’est passé, c’est redescendu à peu près à 100 euros de chiffre d’affaires. Finalement j’ai besoin de revenus réguliers. Il y a quand même des limites à ce truc ; c’est limité. Je ne sais pas exactement mais, en mars, je n’ai pas du tout communiqué, donc ça peut aussi expliquer.

Public : Tu parlais de la gestion de la communauté. Est-ce que tu as une feuille de route publique pour que les clients ou les utilisateurs puissent savoir ce qui va venir ? Autre question : est-ce que tu as prévu un mécanisme de don indépendant de l’abonnement pour les gens qui veulent te donner parce qu’ils utilisent ailleurs ton logiciel ?

Marien Fressinaud : Pour le don c’est la cagnotte. À la base, la cagnotte était ouverte à tous et toutes. Je ne sais plus exactement pourquoi j’ai décidé de la réserver. En fait, je ne suis pas à l’aise, en tant qu’entreprise, du fait d’obtenir des dons, même si je le cache un petit peu sous des conditions générales de vente, je suis plus à l’aise en me disant « les gens ont un compte, on peut considérer que ce sont vraiment des clients ».

Je n’ai pas de feuille de route.

Public : Tu as le kanban, c’est une sorte de feuille de route. Est-ce qu’il est public ?

Marien Fressinaud : Oui, mais non ! En fait je ne le considère pas comme une feuille de route. C’est très fluctuant et j’essaye, de temps en temps, de dire « je vais bosser là-dessus » mais c’est à court terme, « la prochaine fonctionnalité ce sera ça ». Et généralement, quand je m’aventure à dire, à aller un peu plus loin, eh bien je ne le fais pas. Je préfère ne pas m’engager pour être plus flexible sur ce que je veux faire, comme ça je m’adapte beaucoup mieux. Typiquement l’été dernier, quand j’ai eu le gros pic d’utilisation, je me suis retrouvé avec des problèmes auxquels je n’avais pas pensé, des problèmes de performance. J’ai dû bosser là-dessus en priorité, ça m’a pris trois mois et je n’ai plus bossé sur des fonctionnalités. Je préfère ne pas trop m’avancer là-dessus. J’y pense un petit peu de temps en temps, pourquoi pas une feuille de route vraiment minimale pour donner au moins la direction.

Public : Je rebondis sur ce que tu viens de dire sur l’histoire des dons. En fait j’ai un peu la même question, je suis aussi autoentrepreneur, je suis aussi développeur de logiciels libres maintenant à mon compte. J’ai la même histoire que toi avec un an de retard, je suis un an derrière toi ! Au début j’ai cru que tu faisais ma biographie. Ensuite j’ai cru que tu écrivais mon futur ! Je me pose des questions un peu bêtes de comptabilité. Je n’ai pas su comment me placer par rapport aux dons niveau compta en tant qu’autoentrepreneur, je n’arrive pas à trouver l’info claire.

Public : Personne ne sait !

Public : Je génère des factures au nom de PayPal ou Stripe ? Ce n’est pas la bonne façon de faire. Je sais qu’en dessous de 25 à 50 euros on n’est pas obligé de faire une facture en tant qu’autoentrepreneur, le livre de recettes suffit. L’autre jour j’ai reçu un don de 250 euros par Paypal, comment je fais ?

Marien Fressinaud : Je n’ai clairement pas la réponse. Mon frère est comptable, quand j’ai eu des questions de comptabilité il m’a dit « si tu veux avoir une réponse vraiment claire, tu fais un rescrit fiscal à l’administration et c’est une réponse officielle. Si on te pose des questions tu montres le truc et voilà ! »

Public : Même pour le crowdfunding, quand on regarde sur des plateformes genre Ulule et compagnie, il n’y a pas de réponse claire. Ils disent « c’est à vous de le déclarer dans votre compta, de faire des factures pour les dons. » Mais est-ce qu’ils fournissent des outils pour avoir la liste des dons et faire des factures ? Je ne sais même pas !

Marien Fressinaud : C’est pour ça que je ne veux pas m’aventurer là-dedans.

Public : J’avais deux questions. Une c’est plus une réflexion.
Pour ces questions de financement, est-ce qu’il n’existe pas certaines subventions ou des aides quelque part qui pourraient aider, sur du récurrent je ne pense pas, mais au moins pour essayer de repousser un peu plus l’échéance, pour se donner la possibilité de venir voir.

Marien Fressinaud : Je n’ai pas cherché plus que ça, mais dans ma tête oui, ça existe. Je ne veux pas me lancer là-dedans, c’est surtout pour ça que je n’ai pas cherché. En fait, je veux que mon modèle économique fonctionne. Demander des subventions, c’est repousser l’échéance et, potentiellement, se donner plus de temps, mais, à un moment donné il faut dire stop et je n’ai pas envie de prolonger. Si je commence à rentrer dans ce jeu de subventions, je ne vais pas arrêter de chercher des subventions et, en plus, ça ne m’intéresse pas de faire des dossiers pour ça.

Code Lutin [12] est une coopérative qui fait des dons au Libre et les entreprises peuvent demander. Le dossier de Code Lutin est très simple. L’année dernière j’ai fait une demande à tout hasard et ils m’ont dit non, aussi parce qu’il y avait d’autres projets aussi intéressants, et je crois, d’ailleurs, que John en a bénéficié.

John Livingston : D’ailleurs si quelqu’un sait s’ils sont présents, s’il y a des personnes ici, je veux bien qu’on me les présente, .

Marien Fressinaud : Et tu as une deuxième question.

Public : Oui. Je me suis trompé de salle et je suis arrivé sur le petit storytelling du tout début, dans lequel je me reconnais et, malheureusement, j’ai peur que ça se termine dans le même état. Ma question : tu cherches un job, mais comment est-ce que tu cherches ? Est-ce que tu as changé ta façon de chercher un job pour éviter que ça se reproduise ?

Marien Fressinaud : Je n’ai pas commencé !

Public : Zut !

Marien Fressinaud : Si, en fait j’ai commencé, j’ai plus ou moins commencé. Déjà j’ai commencé par me fixer des critères.

Public : J’imagine, du coup, que tu as les as changés ; tu as une vision différente.

Marien Fressinaud : Plus ou moins. En fait ce ne sont pas tant les critères qui changent que mon esprit critique quand on va me vendre la boîte et je vais chercher plutôt des structures coopératives, en tout cas qui font du Libre, des gens en lesquels je me dis que je me reconnais. Honnêtement je suis allé voir Probesys [13] hier et Tracim [14] tout à l’heure, pour savoir s’ils recrutent. Je ne suis même pas sûr de vouloir bosser là-bas. Je prends juste des contacts vite fait, je vois un petit peu, je réfléchis. Comme j’ai encore jusqu’à la fin de l’année pour vraiment décider, je me dis que j’attends. Il y avait aussi, potentiellement, bosser pour l’État, pourquoi pas, j’attends les élections. Concrètement je n’ai pas encore vraiment commencé ma recherche. C’est le genre de chose que je pense partager, peut-être pas sur Flus, plutôt sur mon site personnel.

Public : Je n’ai pas suivi ton blog personnel, mais je vais regarder ça avec attention.

Marien Fressinaud : Il est 58. Je pense que je vais être sur le stand de Framasoft cet après-midi, peut-être pas là parce que j’ai faim, je vais manger. N’hésitez pas à passer.

Public : Merci beaucoup.

[Applaudissements]