OpenData, situation et perspectives en France - Révision de la directive EU PSI - Tangui Morlier

Description

Les dernières années ont été particulièrement riches en France pour l’open data, tant sur le plan local que national. Un an après l’arrivée du nouveau gouvernement, nous nous proposons de réaliser un tour d’horizon des dernières évolutions politiques et citoyennes ainsi que des nouveaux obstacles à franchir : renouvellement politique, dialogue entre administrations, création du chapitre français de l’Open Knowledge Foundation, évolution du catalogue data.gouv.fr, usage des formats ouverts, ouverture aux nouveaux domaines comme la santé, réflexion sur les données personnelles, lobbying anti-gratuité...
La directive PSI définit le cadre général de la réutilisation des données publiques en Europe depuis bientôt 10 ans. Sa révision par les institutions européennes entamée depuis un an est l’occasion pour les communautés du Logiciel Libre et de l’open data de promouvoir les principes et les bonnes pratiques indispensables à l’écosystème de la réutilisation : gratuité, licences libres et formats ouverts. Quelles avancées et reculs au sein de cette révision ?

Transcription

Bonjour à tous. Je suis Tangui Morlier. Je fais partie d’une association française qui s’appelle Regards Citoyens. On est spécialisé dans l’utilisation de données publiques pour expliquer comment fonctionnent les institutions démocratiques. Je vais vous expliquer, un petit peu, ce qu’on fait, et il se trouve que, utilisant beaucoup de données publiques, on s’est assez rapidement intéressé à ce qu’était l’open data et on a participé à essayer d’influencer nos décideurs publics, en France et un petit peu au niveau européen, pour qu’ils prennent en considération cette spécificité.
En fait Regards Citoyens est née d’une envie de créer un site qui s’est appelé plus tard nosdéputés.fr. Nosdéputés.fr est un site qui permet aux Français de savoir, en quelques clics, ce que font leurs parlementaires à l’Assemblée nationale. On s’est retrouvé, un certain nombre de citoyens, à s’investir dans des débats français dont vous avez peut-être entendu parler, comme la DADVSI en 2005 ou l’HADOPI en 2009. Et en plus d’essayer de solliciter nos élus pour leur faire part de notre point de vue autour du logiciel libre, eh bien, on est allé voir physiquement ce que faisaient les parlementaires, et on s’est aperçu que les parlementaires avaient un travail un peu différent de ce que nous en laissait voir la télévision française, les fameuses questions au gouvernement à quinze heures, où on nous présente le Parlement comme étant une grande cour de récréation. En fait, on s’est aperçu que les parlementaires bossaient aussi beaucoup, avaient beaucoup de réunions, et notamment travaillaient assez tard le soir puisqu’on restait avec eux jusque vers une heure et demie ou deux heures du matin à discuter des sujets, en l’occurrence sur le numérique.

Et on s’est dit que c’était un petit peu dommage, que le site de l’Assemblée nationale française était très bien fait, mais il l’était pour un usage juridique. C’est-à-dire qu’en fait la parole des parlementaires permet d’éclairer le droit. Donc, du coup, il a été conçu pour permettre à des juristes de consulter ces documents qui ont une valeur légale et donc de mieux comprendre comment la loi était faite.
Et quasiment les premiers intéressés de l’activité parlementaire, c’est-à-dire les citoyens, étaient un petit peu exclus de l’usage de ces sites-là. Donc on s’est dit qu’avec nos compétences informatiques on allait passer un petit bout d’été pour intégrer toutes les données qui existaient sur le site de l’Assemblée nationale française et essayer de les présenter sous une forme qui soit peut-être plus dans l’attente de ce que pouvaient avoir les citoyens.
Premier élément, qui peut paraître un peu basique, mais qui est son député ? Sur le site de l’Assemblée nationale française, ce n’est pas possible de savoir facilement qui est son député, alors que chez nous vous remplissez cette petite case-là, vous mettez votre code postal, et ça vous dit qui est votre parlementaire. Après, on a une page qui permet de savoir, en deux minutes, ce qu’a fait le parlementaire dans les douze derniers mois. On agrège un certain nombre d’informations qui permettent de tracer une courbe de présence et donc de savoir si le parlementaire a été physiquement présent à l’Assemblée nationale, et, lorsqu’il a été présent, est-ce qu’il a participé aux débats. On a ainsi une série d’indicateurs qui permettent de savoir s’il a posé des questions écrites, s’il s’est investi en commission, etc. Et enfin, on a un indicateur qui est un peu plus qualitatif, qui permet de faire ressortir l’expertise du parlementaire. En ayant accès à l’ensemble des prises de parole des parlementaires, on peut, comme ça, agréger les mots pour pouvoir faire ressortir une expertise particulière.
Dans cette expérience, nous on était juste motivés parce qu’on est des geeks, et qu’on est férus de logiciel libre, et on voulait appliquer nos connaissances à un nouvel objet qui était le Parlement. On s’est aperçu, en fait, que sur deux mois et demi de travail, deux mois ont été consacrés à l’extraction de données, de documents parlementaires, et à la mise en forme pour un format de type base de données. En fait l’interface, c’est-à-dire ce que consultent réellement les gens, ça ne nous a pris, en gros, que quinze jours, que deux semaines.
Public : Ça vous a pris deux mois de travail pour combien de personnes ?
Tangui Morlier : On était deux développeurs et demi, parce qu’il y a quelqu’un qui n’avait pas pu prendre autant de vacances que nous et puis un intégrateur, un designer intégrateur, qui a travaillé un petit peu à la fin sur les interfaces.
En gros on a commencé à prendre conscience que l’envie qu’on avait de proposer une innovation sociale autour de l’utilisation des données publiques était un peu freinée parce que les institutions qui possédaient les informations sous la forme de bases de données n’avaient pas forcément le réflexe de les mettre à disposition sous ce format-là à des citoyens. Elles préféraient les mettre en forme soit dans des pages HTML, soit dans des PDF, puisqu’on exploite aussi des PDF qui sont publiés au Journal officiel. Au bout de deux mois et demi de travail, deux mois d’extraction de données et quinze jours d’interface, eh bien on a pu sortir le site nosdéputés.fr.
À partir de là on a commencé à se dire « il y a quand même un enjeu important, et en plus on n’est pas les seuls citoyens ». Si on regarde simplement dans le petit monde du Libre, Wikipédia, vous connaissez sans doute toutes ces box qui sont sur la droite des pages de Wikipédia, à l’intérieur, il y a de l’information publique. Les codes postaux qui sont ici ou le nombre de personnes qui habitent dans chacune des villes de Belgique ou chacune des villes de France ont été intégrés, insérés de manière automatique, dans Wikipédia. Donc il y a une exploitation, comme ça, des données publiques, qui est faite par la société civile et qui permet de valoriser un territoire, par exemple là dans Wikipédia. OpenStreetMap est un autre très bon exemple qui exploite des informations publiques, comme en France les informations du cadastre, pour pouvoir créer un outil de cartographie citoyen.
Après il y a d’autres projets candidats.fr ou son frère jumeau candidats.be, on utilise des données publiques liées aux candidats aux élections pour essayer de créer une plate-forme de sollicitation des candidats aux élections. Ça a été fait à l’initiative de l’April en France et une association belge s’est chargée de le faire ici en Belgique.
Mémoire Politique est un projet de la Quadrature du Net qui vise à agréger toutes les prises de position des différents élus pour pouvoir expliquer aux gens qui sont proches de la Quadrature du Net quels sont les élus qui sont plus à même d’écouter leurs points de vue.
Donc il existe des ré-utilisateurs de données publiques bien avant le buzzword autour de l’open data.
Il se trouve que c’est un enjeu pour les décideurs publics. Il se trouve que la transparence des décisions publiques est un marqueur fort de la démocratie. Depuis des centaines, peut-être pas des centaines d’années puisque les démocraties n’existent malheureusement pas depuis autant d’années, mais depuis des dizaines d’années on a des imprimeries nationales qui sont chargées de publier le Journal officiel. Dans le monde du papier, c’est quelque chose qui est un effort assez intense de transparence de la vie publique.
L’open data démontre aussi une attitude bienveillante envers les citoyens. C’est-à-dire que plutôt que de se dire que le citoyen est un ennemi potentiel qui pourrait s’accaparer de la donnée publique, en les mettant à disposition avec des règles juridiques qui permettent de limiter les abus, eh bien on peut changer ce paradigme-là et faire en sorte d’avoir une attitude bienveillante envers le citoyen.
Et enfin le fait que ces informations soient mises à disposition de manière publique permet potentiellement des émergences positives d’initiatives citoyennes ou d’entreprises qui peuvent permettre de mettre à disposition, de créer des services autour de ces données publiques.
Ce que je vous propose dans cette conférence c’est d’essayer de voir quelles sont les étapes importantes de l’émergence de l’open data. Il se trouve que l’open data n’est pas née en 2009, grosso modo lorsque ce terme-là a réellement émergé, mais est née d’une pratique administrative qui met en place tout un système de transparence de la décision publique et une rencontre du monde de l’Internet et, peut-être plus encore, du monde du logiciel libre, pour se dire qu’il y avait un enjeu autour de la réutilisation des données publiques.
Dans un très grand nombre de démocraties il y a un droit d’accès aux documents publics. Il se trouve que ça fait partie des fondamentaux démocratiques, notamment à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui reconnaît aux citoyens le droit d’avoir accès à l’usage des comptes publics et aux détails de la prise de décision publique.
En France, vu que c’est un peu ce que je connais le mieux, on a une loi qui s’appelle la loi Cada, qui est la loi de Commission d’accès aux documents administratifs, qui permet à chaque citoyen de demander accès à un document, s’il le connaît, au sein de l’administration. C’est une loi qui est relativement faible par rapport à d’autres démocraties comme, notamment, les démocraties américaines du Canada ou des États-Unis où il y a un vrai Freedom of Information Act, c’est-à-dire un droit d’accès à l’information publique et non pas simplement aux documents.
Le problème de loi française c’est que si on ne connaît pas le document précisément, on n’y aura pas accès.

Après, ce sont des textes qui sont axés communication. C’est-à-dire qu’il faut que le citoyen fasse une démarche active pour avoir le droit d’accéder à l’information, alors qu’on pourrait imaginer et la démarche Open Data est plutôt axée sur une démarche de publication volontaire de la part des administrations.

C’est également une démarche assez axée papier. La loi Cada, en France, a été inventée en 1978, autant dire que les systèmes numériques, les formats de fichiers, n’étaient pas aussi bien consolidés qu’aujourd’hui et donc, du coup, cette loi adresse essentiellement le fait qu’on puisse avoir accès à des documents papier.
Enfin elle est relativement peu contraignante pour l’administration, puisque la Commission qui est en charge de dire si un document est accessible ou non, n’a pas de pouvoir d’injonction, donc ne peut pas aller forcer une administration à donner un papier, elle ne peut que donner des avis sur ces éléments-là.
Le numérique se développant, il se trouve que, sur la base des lois d’accès aux documents administratifs, un certain nombre d’entreprises se sont spécialisées dans la publication de l’information publique. C’est le cas des grands mastodontes de l’édition juridique, notamment les LexisNexis au niveau international, Lamy dans le monde francophone, et donc ils ont poussé l’émergence d’une directive en 2003 qui visait déjà à reconnaître, au niveau européen, un droit d’accès et qui instaure un droit de réutilisation. Donc la capacité que chaque citoyen a le droit non seulement de lire l’information, mais de pouvoir se la réapproprier pour en changer le format, agréger de l’information, faire sortir de nouvelles informations.
Le problème de cette directive, qui était déjà assez innovante à l’époque, c’est qu’il y a un certain nombre d’exceptions, notamment des exceptions liées au lobbying réalisé par la France autour de l’exception culturelle française et autour du coût des données culturelles. C’est-à-dire que dans la Directive PSI, tout ce qui est produit par des archives publiques, des musées financés par l’argent public ou des bibliothèques, n’est pas accessible à travers la directive Public Sector Information. L’idée n’est pas de dire tout livre qui devrait être dans une bibliothèque doit être accessible à tout le monde. Il faut, évidemment, respecter le droit d’auteur de l’ensemble de auteurs, mais il se trouve que ces musées, ces archives et ces bibliothèques possèdent des informations qui ont été élevées dans le domaine public, c’est-à-dire dans lequel il n’y a plus de droit non pas moral mais patrimonial, autour de ces œuvres-là. C’est-à-dire que le catalogue de l’ensemble des œuvres qui sont possédées par une bibliothèque ne rentre pas, par exemple, dans le cadre de la directive PSI. On ne peut pas forcément créer d’éléments liés, de services innovants pour savoir si un livre est contenu dans une bibliothèque précise, par exemple.

Public :
Quels étaient les arguments pour les faire avancer ?
Tangui Morlier :
C’est la notion forte, en France, d’exception culturelle qui a permis de faire un peu de feud et de dire que comme les bibliothèques possédaient des œuvres qui contenaient du droit d’auteur, du coup il fallait interdire toute possibilité d’accès à des documents qui sont possédés par des bibliothèques, des musées ou des archives. C’était l’argument du droit d’auteur, alors qu’avec le recul cet argument n’avait pas forcément pas de valeur puisqu’il y a plein d’informations publiques qui sont possédées par toutes ces archives ou toutes ces bibliothèques, qui ne rentrent pas dans le cadre du droit d’auteur.
Public :
Je peux poser une question là-dessus ? Qui a poussé ça ? Politiquement ?
Tangui Morlier :
Je dois dire qu’on a un problème autour des directives européennes, c’est que c’est très compliqué de retracer précisément les prises de décisions publiques, pour une raison c’est que les tractations, notamment à l’époque, en 2005 où le Parlement n’avait pas autant de poids que maintenant, les tractations entre la Commission européenne et les États membres, ne sont pas publiques. C’est-à-dire que sans la capacité que peuvent avoir certains fonctionnaires de faire fuiter des informations, on ne peut pas savoir qui est à l’origine des choses. Il se trouve qu’il y a une association qui s’appelle Access Info, une association européenne qui milite pour le droit d’accès aux documents administratifs, qui a réussi à créer une jurisprudence assez récemment, en demandant de pouvoir accéder aux documents qui sont transmis des États membres au Conseil de l’Europe, j’ai un peu de doute, enfin bref l’entité qui regroupe l’ensemble des États membres.
Public :
Conseil des ministres.
Tangui Morlier :
Pardon ?
Public :
Conseil des ministres.
Tangui Morlier :
Conseil des ministres, oui peut-être. Donc, en demandant l’accès des opinions de chacun des États membres, ils ont pu, comme ça, participer à mieux retracer les prises de décision sur certaines directives. Sur la directive PSI, cet effort n’a pas été fait et, comme il n’est pas de droit, mais dans une construction de la jurisprudence, eh bien on n’arrive pas à retracer précisément. Ce qu’on nous a dit c’est que la France n’avait pas été indifférente dans ce choix-là.

Autre problème autour de la directive PSI, c’est qu’elle ne traite pas le problème des formats. On reste encore dans une culture du papier, c’est-à-dire qu’on a le droit de prendre des papiers, de les numériser et d’en extraire des données, par contre, elle ne traite pas assez bien les problématiques de formats numériques. Elle autorise aussi à travers cette culture du papier, elle autorise des redevances donc, la possibilité, pour les administrations, de faire payer les citoyens lorsqu’ils souhaitent accéder à de l’information. C’est assez logique dans le monde du papier puisque, forcément, la création de papier a un coût marginal relativement élevé. À chaque fois qu’une nouvelle demande vient, on doit la traiter et envoyer des liasses de papier au citoyen. Lorsqu’on est dans un monde numérique où le coût marginal est quasiment nul une fois la donnée créée, là c’est un peu moins logique.
Il se trouve qu’à partir de 2009, grosso modo, même si c’était quand même dans l’air depuis un certain temps, il y a eu une prise de conscience autour de l’open data, et notamment autour d’organisations internationales qui agissent essentiellement soit aux États-Unis autour de la Sunlight Foundation, soit en Angleterre autour de MySociety qui a fait un site à peu près équivalent à celui qu’on a sur nosdéputés.fr. C’est le cas aussi de la Sunlight Foundation qui a fait un site dont on va parler un petit peu plus tard, un logiciel libre qui s’appelle FixMyStreet qui est de plus en plus utilisé, et puis l’Open Knowledge Foundation, une fondation qui vise à promouvoir le libre accès à la connaissance.

Donc à partir de 2009, ces organisations vont commencer un travail de plaidoyer auprès des organisations publiques, aidées aussi par un certain nombre de chercheurs, notamment par des démographes qui travaillent sur des données au niveau mondial, et qui sont assez complexes à collecter. Ils vont réussir à convaincre notamment des institutions comme la World Bank, la banque mondiale, qui a des gros problèmes de communication au sein de ses différentes antennes et a essayé un certain nombre de choses, le storytelling pendant les années quatre vingt dix, pendant les années nonante, et dans les années 2000 ils se disent qu’il y a enjeu pour faire mieux communiquer les différents silos de cette institution-là. Eh bien, que chacun des silos mette à disposition les données qu’il produit sur Internet va permettre une meilleure communication interne. C’est-à-dire qu’en communiquant, même de manière infime vers l’extérieur, on arrive, pour des grandes institutions, à permettre une meilleure communication interne. Ce sont des prises de conscience comme ça qui vont permettre à des administrations, notamment américaines et anglaises dans un premier temps, de créer les premiers portails open data qui seront rejoints ensuite par l’Italie, par la Norvège, etc.
Donc grâce à ce dialogue entre la société civile et un certain nombre d’institutions ou d’administrations, on voit émerger les règles de l’open data qui sont de permettre la libre réutilisation des données publiques.
Qu’est-ce qu’on entend par libre réutilisation ? On entend des réutilisations qui n’aient pas de barrières économiques, c’est-à-dire que le citoyen ayant beaucoup d’argent ou des entreprises ayant beaucoup d’argent comme les éditeurs juridiques, par exemple, mais également des citoyens lambda qui n’ont pas forcément les ressources financières, doivent avoir accès, sur un pied d’égalité, à l’information publique.
La deuxième c’est l’absence de barrières juridiques. C’est-à-dire qu’on ne doit pas faire de différence soit sur des points juridiques, notamment sur des points de réutilisation commerciale ou non. C’est vraiment l’idée des licences libres qui doivent être utilisées ici.
Et enfin, pas de barrières techniques. C’est-à-dire que les données brutes doivent être accessibles dans des formats ouverts. Et c’est l’intégralité des données qui doivent mises à disposition, et non pas des tronçons de données à travers des API, puisque si on n’a pas accès à l’ensemble des données, eh bien on a sans doute plus de difficultés pour faire des analyses réellement correctes. Donc voilà.

L’absence des trois barrières permet de définir si une politique est open data ou non.
Et enfin, open data doit être un vecteur de confiance vis-vis des citoyens. Donc, un élément qui est très important, c’est que les informations personnelles des citoyens, puisque l’administration connaît quand même beaucoup de choses sur nous, ne font pas partie de cette politique open data. Pas de données personnelles. Éventuellement des données nominatives lorsqu’elles ont trait aux décideurs publics, mais la règle c’est « pas de données personnelles du tout dans la politique open data ».
En France, le mouvement institutionnel va débuter en 2010 à travers différentes collectivités territoriales, notamment les collectivités de Rennes, la ville de Paris et la ville de Nantes et, au niveau national, un mission est créée, la mission Etalab, qui va assez rapidement prendre la décision de dire que la gratuité devient la norme en matière de données publiques. Déjà c’est un gros changement puisque jusqu’à présent l’institution qui était en charge de la diffusion des données publiques s’appelait l’APIE, l’Agence pour le patrimoine immatériel de l’État, et cette agence-là avait comme culture de faire payer les données publiques, utilisant une métaphore un peu balourde de dire que les données publiques étaient le pétrole du XXIe siècle et donc, du coup, qu’il fallait payer chaque goutte de pétrole ! C’était assez peu dans la philosophie de l’open data.
Ils créent une licence ouverte qui est compatible avec les licences libres, accès de données existantes. Pour être très schématique, ils ont fait un choix BSD par rapport à un choix GPL. Tout le monde peut réutiliser les données. Il n’y a pas de contrepartie autre que citer le producteur de la donnée. Et ils créent un portail qui s’appelle data.gouv.fr. Chose qui est assez intéressante et qu’on va retrouver dans chacun des pays qui ont pris la voie de l’open data, c’est qu’avec une alternance politique on a une accélération du mouvement, contrairement à d’autres politiques ou, en général, la gauche vient défaire ce qu’a fait la droite ou inversement. Là, aux États-Unis, lorsque le Sénat de droite décide de faire une culture open data, lorsqu’il passe à gauche, ça continue. En Angleterre, lorsqu’on Gordon Brown décide d’aller vers une culture open data, son homologue de droite qui vient au pouvoir l’accélère également, et c’est la même chose en France. On a eu quelques mois de cafouillage parce qu’ils n’avaient pas bien appréhendé le sujet, mais maintenant ils sont très volontaristes et on voit émerger des jeux de données qui sont de plus en plus intéressants d’un point de vue politique.
Il se trouve qu’au niveau européen ils se sont aperçus que la directive de 2003 n’était pas forcément à jour avec cette nouvelle émergence de l’open data. Du coup ils ont décidé de la rénover. Ils ont discuté pendant un an là-dessus et elle a été publiée le 26 juin dernier, adoptée par le Parlement européen.

Il y a plusieurs bonnes nouvelles à l’intérieur, notamment le fait que les données culturelles ne sont plus exclues du champ de la directive PSI. Cela veut dire qu’on va avoir un vrai droit d’accès, y compris aux documents qui sont possédés par les musées, les archives ou les bibliothèques. Par contre, le problème, c’est que la directive PSI reconnaît encore un droit de redevance et que ce droit de redevance a été élargi pour ces différents établissements culturels, notamment sur la raison que les ré-utilisateurs de données publiques doivent participer à l’effort de conservation de ces informations.
Il y a un gros débat économique autour de ce financement par le privé grosso modo, par les ré-utilisateurs, qu’ils soient citoyens ou entrepreneuriaux d’une mission de service public. Est-ce que les archives, le fait de pouvoir archiver la connaissance, fait partie des missions de service public d’un certain nombre d’organismes ? Et le fait que des acteurs, des ré-utilisateurs publics, soient amenés à participer à l’effort de financement, ça désintéresse le public, l’acteur public, dans le financement de ces missions-là. Il se trouve que, notamment dans les archives, une fois qu’on a payé, qu’on a eu accès à une information relative aux archives, on n’aura pas tendance à venir repayer. C’est-à-dire qu’au fur et à mesure du temps, la somme qui va être mise à disposition des acteurs publics pour réaliser leur mission de service public va réduire. En tout cas, la part du privé va réduire et donc, sans doute, la mission de service public va être réduite aussi par cette réduction de finances. Voilà ! Il y a des vrais problèmes.
Un autre problème aussi autour des données culturelles, c’est que la directive PSI reconnaît un droit d’exclusivité pendant dix ans. C’est-à-dire que toutes les campagnes de numérisation autour de Google, etc, des bibliothèques publiques, n’étaient pas reconnues par le droit européen. C’était seulement des droits nationaux. Là, avec la directive PSI, on a une reconnaissance européenne de ces éléments-là.
Par contre, il y a des bonnes nouvelles. Les bonnes nouvelles c’est qu’on a une définition de ce qu’est un format machinery dable, c’est-à-dire un format qui peut être récupéré automatiquement par des logiciels. On va pouvoir, comme ça, créer comme ça des automates qui vont pouvoir récupérer de l’information publique.
Et on a aussi une définition des formats ouverts qui est correcte, qui n’est pas idéale, mais qui est correcte. Cela a été une grosse bataille. Notamment, pendant un moment, le Conseil voulait mettre dans la définition du format ouvert le fait que Microsoft Excel était un format ouvert ! Donc on a pas mal bataillé. On a réussi à gagner cette bataille-là, mais par contre, on n’a sans doute pas la définition idéale en termes de formats ouverts.
Enfin un truc qui est assez intéressant c’est que dans le préambule de la directive, il y a un souhait qui est clairement énoncé, qui est une convergence de l’ensemble des outils juridiques vers l’usage des licences libres. Ce n’est pas encore formalisé dans le droit, dans la directive, mais dans le préambule de la directive, on a ces éléments.
Autre bonne nouvelle, on a une charte qui a été signée au G8, par l’ensemble des membres du G8, autour de l’open data, qui vise, notamment, à généraliser l’absence de barrières et également d’avoir une liste essentielle de données, donc toutes les données géographiques, les données financières de la finance publique, les données légales, les données des codes postaux, etc, sont listées comme des données essentielles à libérer d’ici 2015. Donc on va, je pense, avoir plutôt de bonnes nouvelles autour de ces données publiques qui seront mises à disposition, au moins par les pays du G8, et on imagine que ça va continuer à alimenter la sensibilisation des autres États autour de ces éléments.

Malgré ces bonnes nouvelles, il faut évidemment rester vigilants. Les engagements sont globalement bons, par contre les mises en œuvre sont vraiment très longues, notamment parce qu’on n’a pas une culture, dans les administrations, de la transparence. Il y a un un article du Monde qui est paru il n’y a pas très longtemps autour de la fameuse loi CADA, et 60% des administrations qui sont sollicitées par des citoyens pour avoir accès aux documents administratifs ne répondent pas à cet avis-là. Donc on a un vrai problème des administrations qui voient le citoyen comme un empêcheur de tourner en rond plutôt que comme quelqu’un qui est capable de valoriser l’activité des décideurs publics et de leur administration.
Enfin on a des guerres internes en France. On a une guerre assez connue entre la Commission d’accès aux documents administratifs et la CNIL, la Commission qui est chargée des informations personnelles. La CNIL n’a toujours pas compris que l’open data ce n’était pas les données personnelles, mais ils sont dans une volonté expansionniste, et donc tout ce qui touche de près ou de loin aux données, ils veulent mettre le grappin dessus, et donc, du coup, ça crée quelques tensions.
Enfin on a des redevances qui existent toujours dans les différents pays, notamment pour conserver des monopoles. C’est le cas de l’information légale, dont l’accès est assez complexe, parce qu’il y a des monopoles de fait autour de LexisNexis, notamment, et des éditions Lamy.
On a évidemment, du coup, un rôle à jouer nous en tant que citoyens sur deux points. Il faut réutiliser les données publiques. C’est-à-dire que dès que vous avez un petit peu une idée, n’hésitez pas à solliciter les administrations et à leur demander des informations publiques parce que, sans ré-utilisateurs, l’effort qui est engagé autour de l’open data ne restera sans doute qu’un effort de communication. C’est-à-dire qu’en ce moment, s’il est de bon ton pour un politique de faire de la com’ autour de l’open data, ça ne restera pas dans le temps. On l’a vu avec le logiciel : dans les années nonante c’était très populaire de parler de logiciel libre, maintenant on en entend un petit peu moins parler. Donc sans ré-utilisateurs, l’open data ne restera qu’un axe de communication.

Il faut suivre les engagements, parce qu’il se trouve que les administrations sont en général assez enthousiastes autour des engagements, mais que c’est long à mettre en place et, du coup, elles ne trouvent pas forcément tout le temps nécessaire pour mettre en œuvre ces engagements. Si on est des citoyens derrière qui viennent les solliciter et les accompagner dans ces modifications structurelles, on peut leur faire gagner beaucoup de temps. parce qu’il se trouve qu’on a des réflexes qui ne sont pas forcément intuitifs pour les administrations, en les accompagnant, on peut leur faciliter le travail.
Voila donc pour ce panorama rapide de l’état des lieux, malheureusement avec un prisme français puisque c’est le champ d’action de Regards Citoyens, et puis les à-venir, puisque dans tous nos pays européens on va devoir transposer la directive PSI, donc il y a un momentum politique qui sera plutôt propice à faire évoluer les administrations et nos droits nationaux dans le bon sens pour plus de transparence et plus d’inclusion des citoyens dans les administrations.
Je vous remercie et si vous avez des questions, je ne sais pas si on a le temps.
Applaudissements
Public : Qu’est-ce qu’il en est des barrières économiques dans la dernière directive ? Il me semblait avoir lu quelque chose, que l’accès aux données pouvait être… le coût marginal d’accès en fait. Qu’est-ce que tu peux dire ?
Tangui Morlier : Effectivement ils rappellent cette règle du coût marginal. Autant dire que dans le numérique, normalement, la règle doit être la gratuité. Mais il y a eu un lobbying d’un certain nombre de pays, je crois que la France y a participé dans son volet ministère de la Culture, c’est qu’on peut demander de participer aux efforts de production et de mise en forme des données. C’est-à-dire que les données peuvent exister dans un format, dans des bases de l’administration. Si ça ne fait pas partie de la mission de service public de modifier ce format pour le mettre à disposition, dans ce cas-là, les administrations peuvent faire payer ces informations.

C’est tout le débat autour des données juridiques, notamment, puisqu’un certain nombre de données liées à la jurisprudence contiennent des noms à l’intérieur et donc on doit anonymiser ces informations-là. Donc, pour la préservation des informations au sein du ministère de la Justice, ça ne pose pas de problème, la base de données contient des noms. Mais par contre, le fait de la rendre publique ça oblige un effort d’anonymisation qui, pour le stock, est assez important. Tout le débat c’est combien ça coûte. Évidemment les éditeurs juridiques disent que ça coûte des fortunes. Dans la réalité, on connaît les algorithmes qui sont capables de le faire, et ça coûte un peu moins cher que ce qu’ils veulent bien nous dire. Il se trouve qu’il y a un vrai problème autour de ces données juridiques c’est que, oui il y a un effort d’anonymisation, mais, à l’heure actuelle, c’est le privé qui le supporte et qui le fait repayer à l’ensemble des ministères qui doivent s’abonner aux différents services des éditeurs juridiques. En gros, on a une perdition d’argent, qui est relativement forte, au profit d’acteurs monopolistiques, alors qu’on pourrait très bien imaginer que l’administration s’organise pour faire en sorte que, dans les bases de données, on ait directement des versions qui soient anonymisables, simplement en organisant structurellement le système d’information de la justice.
Malheureusement, sur les redevances, on risque encore d’avoir des barrières économiques et c’est pour cela qu’il faut que chacun soit attentif dans la transposition de la directive PSI pour vraiment s’assurer que ce soit très limité et que la gratuité soit la règle.
Public : Quels sont les pays européens qui ont déjà une certaine avancée au niveau des règles, des réglementations du droit d’accès à l’information ? Ça c’est ma première question. Deuxième question : mon expérience concerne l’INSEE. l’INSEE, on le sait tous, a des bases de données extraordinaires, et surtout le temps de réponse. Est-ce qu’il y a moyen d’accélérer l’accès à ces informations pour des délais les plus brefs possibles ?
Tangui Morlier : Les pays nordiques sont très avancés sur le droit à l’information publique. Ce sont des équivalents de Freedom of Information Act. On a tous vu des reportages dans lesquels il y a des journalistes qui sont quasiment résidents dans les lieux d’accès, où ils demandent un certain nombre de documents y compris les feuilles de dépenses des différents ministres et ce genre de choses. Il y a des évolutions notamment en Angleterre. De mémoire, il me semble que c’est en 2010, mais je ne suis pas sûr, il y a eu un Freedon of Information Act qui est assez puissant. Ce sont un peu les bons élèves en termes de droit d’accès à l’information publique. De l’autre côté l’Espagne se refuse toujours à légiférer sur cette problématique-là, même si des associations comme Access Info ont réalisé une démarche juridique pour monter de plus en plus, pour aller à la Cour européenne de justice, puisqu’on sait que la Cour européenne de la justice protège le citoyen. Il se trouve que là ils ont eu, il y a quelques mois, un petit problème, c’est que les juges espagnols, n’ayant pas de loi spécifique là-dessus, ont débouté Access Info de sa demande d’accès à des documents, et ils leur ont demandé de payer les frais d’avocat du gouvernement. Donc ils ont une facture de trois mille euros à payer pour avoir le droit d’accéder à ces documents liés aux négociations internationales. Ils vont continuer et ils vont, du coup, aller jusqu’au niveau européen et essayer de faire condamner l’Espagne là-dessus.

Sur l’INSEE. L’INSEE a l’impression de faire beaucoup d’efforts en termes d’open data. Notamment ils ont pris les données de recensement françaises, ils les ont transformées en trente six mille communes, ils les ont toutes mises dans un data.gouv.fr. Donc si vous voulez connaître le recensement global de la France, il va falloir que vous fassiez trente six mille requêtes à data.gouv.fr pour pouvoir récupérer individuellement ces données de recensement. Et pourtant sincèrement, eux, ils ont l’impression d’avoir fait le job correctement. Il y a encore ce manque de culture qui est plutôt de voir l’open data comme Wikipédia en gros. C’est-à-dire de permettre aux citoyens de savoir de combien est la population de telle ou telle ville française. Ce n’est pas vraiment l’enjeu de l’open data qui est sur vraiment la réutilisation. Ils ne sont pas encore totalement là-dessus. Et ils ont un problème de modèle économique aussi, c’est qu’il font payer non pas la réutilisation brute, mais le service autour de la réutilisation, puisqu’il y a des données personnelles à l’intérieur des bases de données de l’INSEE et donc, du coup, ils peuvent répondre à des requêtes d’entreprises qui veulent avoir, exploiter une partie de la base de l’INSEE. Et donc l’INSEE se charge de réaliser des requêtes et de les anonymiser. Et donc il faut payer là-dessus.
On essaye de les faire évoluer pour dire très bien, c’est important de protéger la vie privée des citoyens français, il faut par contre faire en sorte que l’ensemble des données qui ne contiennent pas de données personnelles soient mises à disposition de tout le monde, parce qu’autrement on a un vrai problème d’accès.On va peut être s’arrêter, parce que je crois que je déborde un petit peu. C’est jusqu’à quelle heure ?

Organisateur :
C’est jusqu’à onze heures.
Tangui Morlier :
Ah bon, parfait ! Désolé. Mais si vous n’avez plus de question évidemment, on va s’arrêter !
Public :
En France il y a le texte ? Comment s’appelle le texte ? Droit d’accès à l’information.
Tangui Morlier :
C’est la loi CADA de juillet 1978. Après je dois dire que j’ai oublié le numéro exact de la loi. Mais si vous regardez loi CADA juillet 1978. Je dois l’avoir dans mon cache de navigateur. 1978 ! C’est la loi numéro 78-753.
Public :
Pour avoir accès aux informations militaires ?
Tangui Morlier :
Ah non ! Le secret malheureusement. On a eu une évolution…
Public :
C’est quoi le secret défense ?
Tangui Morlier :
En France, on a eu une évolution assez incroyable de la notion de secret défense. Il y a eu une disposition en 2007, je crois, lorsqu’ils ont inventé la DCRI. Ils ont dit que le secret défense ne touchait plus des documents qui étaient étiquetés secret défense, mais des bâtiments ; du coup ils ont labellisés des bâtiments entiers en disant ce bâtiment est secret défense. Donc l’ensemble de la DCRI, l’ensemble de la DGSE, l’ensemble de la DRM au ministère de la Défense, etc., étaient labellisés secret défense.

Il se trouve que le Conseil Constitutionnel n’a pas trouvé ça très opportun et a cassé cette décision juridique. Il y a eu une grande panique au sein des services, notamment des services secrets, parce que, du coup, ils ne s’évertuaient plus à mettre sur chacun des documents « secret défense » comme ils avaient l’habitude de le faire. Et donc il y a tout un tas de documents qui se sont retrouvés, du jour au lendemain, accessibles au nom de la loi CADA puisqu’ils n’étaient pas labellisés comme tels. Il y a eu une panique pendant deux/trois mois qui est racontée par un journaliste de La Croix dans un bouquin sur l’évasion fiscale qui, visiblement, a été assez éponyme dans cette administration.
La loi CADA dit pas de secret défense , etc., ce qui est assez logique. Si jamais il y a des informations liées à des données personnelles, les documents doivent être anonymisés si c’est possible. Mais quoi qu’il en soit, ils sont accessibles par la personne concernée. C’est-à-dire que vous pouvez demander tout document administratif, en France, qui vous concerne directement. Ne sont pas accessibles à travers les documents administratifs s’il y a des droits liés à la propriété littéraire artistique ou aux droits industriels, donc typiquement, malheureusement, les rapports faits par des cabinets de consultants, etc., ne sont pas directement accessibles à travers la loi CADA. C’est-à-dire que si l’administration n’a pas envie de vous le donner, on ne pourra jamais l’obliger légalement. Donc voilà.
Si jamais vous avez un doute, la loi CADA, enfin la Commission d’accès aux documents administratifs est très réactive, pas du tout puissante, mais très réactive. Vous demandez à l’administration. Si l’administration ne vous répond pas dans un mois, vous écrivez à la CADA par mail, je crois que c’est cada chez cada.fr, et ils instruisent votre dossier dans le mois qui suit et vous allez avoir une réponse claire de savoir si le document vous est accessible ou non. Malheureusement ils n’ont pas de pouvoir d’injonction, donc après c’est libre à l’administration d’y avoir accès, mais il y a un truc qui est assez intéressant, c’est qu’il y a forcément un dialogue ente la CADA et l’administration. Et il se trouve que ce dialogue est un document public. Donc vous pouvez demander, si jamais vous voyez que l’administration est trop récalcitrante, vous pouvez demander à la CADA de vous fournir le dialogue qu’elle a eu avec l’administration. Et là-dedans on a régulièrement des perles. Notamment la CNIL refusait de nous donner un de ses avis relatifs à un décret. On a fait huit mois de procédure avec la CADA et, à la fin, ils ne voulaient toujours pas le faire. Avant d’aller devant le juge on s’est dit « tiens, on va demander la communication, l’échange qu’il y a eu entre la CNIL et la CADA ». Et là, la présidente de la CNIL disait à l’intérieur « nous, notre vision juridique, c’est qu’on ne peut pas y avoir accès. Ceci dit, si jamais vous estimez autrement, nous nous plierons à votre avis et nous donnerons communication de ce document, évidemment, aux citoyens qui le demandent ». Ils ne l’avaient pas fait et le fait de rendre public, le fait qu’ils n’avaient pas tenu leurs engagements même vis-à-vis de la CADA a fait en sorte qu’on l’a eu assez rapidement. Il y a eu un article dans un journal et hop, immédiatement, les quatre personnes qui avaient demandé le document ont reçu ce document par e-mail. C’est assez rigolo.
Il y a aussi une très bonne nouvelle en France. Vous avez sans doute entendu parler de ce mythe autour de la réserve parlementaire. C’est-à-dire que les parlementaires ont une somme d’argent qui est attribuée de manière discrétionnaire, on ne sait pas trop comment. C’était le ministère de l’Intérieur qui était chargé de la diffusion de ces financements aux différentes collectivités territoriales. Il y a un citoyen, qui s’appelle Hervé Lebreton, qui a demandé au ministère de l’Intérieur de le faire, qui a demandé à la CADA d’y avoir accès, et puis, comme la CADA n’a pas de pouvoir d’injonction, l’étape suivante c’est d’aller voir le Tribunal administratif. Du coup, il est allé au Tribunal administratif. Il a réussi à faire condamner le ministère de l’Intérieur pour non diffusion de cette information publique. Du coup, cette semaine, je crois mercredi, il va mettre à disposition de tout le monde ce document qui permet de voir comment sont financées plusieurs milliers de collectivités territoriales et je crois que le montant total c’est cent cinquante millions d’euros qui sont distribués de manière discrétionnaire par les parlementaires. Sachant qu’il y a un parlementaire qui a filé douze millions d’euros en 2011, le suivant a filé trois millions d’euros, le suivant, Jérôme Cahuzac, 1,5 million d’euros et puis député de base n’avait que trente mille euros. C’était un fonctionnement totalement discrétionnaire qui était, de fait, géré par les présidents des deux assemblées françaises et le fait que ce soit rendu public crée quelques petites tensions au sein du Parlement. Puisque typiquement le fait que le Président de l’Assemblée nationale se soit octroyé quasiment dix pour cent de la réserve qui était attribuée normalement à neuf cents parlementaires n’a pas été du goût de tout le monde, surtout ceux dont on avait refusé le fait qu’ils puissent participer au financement d’une collectivité.

Public :
J’imagine que c’est un peu tôt, mais est-ce qu’on a une idée, qu’on commence à voir, notamment en France, la mise en œuvre de la directive, notamment sur les formats ? On a une idée de quand ça va commencer ?
Tangui Morlier :
Non c’est vraiment dépendant de chacun des États membres. Et là c’est tout nouveau. Je sais que Etatlab est assez volontaire en France sur ces sujets-là. Du coup ils vont sans doute utiliser la directive pour pouvoir le pousser. Maintenant j’ai un peu un doute qu’on ait un vrai débat législatif autour de ça. J’ai l’impression, en regardant la directive, qu’on pourrait très bien passer par ordonnance comme ils l’ont fait en 2003, pour modifier la loi CADA par ordonnance et dire c’est le pouvoir exécutif qui pose directement un projet législatif, sans discussion réelle au Parlement. Une partie des décisions sont également des décisions qui sont à prendre au niveau réglementaire. Du coup il n’y a pas besoin de débat législatif autour de ça. On va voir. Pour l’instant c’est encore un peu trop neuf, mais je pense que d’ici octobre on aura sans doute une meilleure vision de l’agenda autour de ça. Il y a deux questions.
Public :
La directive s’applique évidemment aux États membres, mais est-ce qu’elle s’applique aussi aux institutions européennes ?
Tangui Morlier :
Non là, alors je ne suis pas hyper fort dans le droit européen, mais il me semble que la directive ne s’applique qu’aux États membres.
Public :
Normalement, ce n’est qu’aux États membres. Donc on ne peut pas l’utiliser pour avoir accès aux mandats de la Commission européenne ? Ça ne peut pas marcher pour le grand marché transatlantique par exemple ?
Tangui Morlier :
Non. Il faut demander à la Commission et, si elle vous le refuse, demander à la Cour européenne de justice.
Public :
Ce n’est pas un document qui est en France.
Tangui Morlier :
Si. Il est possédé par un certain nombre d’administrations européennes. Vous pouvez attaquer à la Cour européenne de justice. Pour le coup, c’est comme ça qu’Access Info a réussi à avoir les documents liés aux négociations des États membres sur les événements d’accès à l’information.
Public :
En fait, le gouvernement doit l’avoir ce document, mais, si j’ai bien compris, il faut qu’on sache exactement comment il s’appelle pour pouvoir l’avoir.
Tangui Morlier :
En France oui. Encore une fois la Commission est soumise à des règles européennes et comme la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît le droit aux citoyens d’avoir accès à l’information publique, on peut très bien, en tant que citoyen, demander à la Commission sur cette base-là. Et s’ils ne répondent pas, demander à la Cour européenne de justice de plancher sur notre cas, éventuellement, de faire condamner la Commission qui ne répondrait pas. C’est une procédure qui est assez lourde parce que attaquer à la Cour européenne de justice, directement, c’est compliqué, mais en même temps c’est la seule juridiction qui soit compétente pour trancher un problème de droit des institutions elles-mêmes.
Public :
Dans les astuces administratives qu’on trouve ici en Belgique, un document n’est accessible qu’évidemment quand le procès est terminé. Il y a des procès qui ne se terminent jamais, notamment dans l’environnement. Tout est grave, mais il n’est jamais prêt, donc il n’est jamais accessible.
Tangui Morlier :
Effectivement. On a aussi cette règle-là en France. On ne peut pas avoir accès à des documents qui permettent de mettre en œuvre une décision tant que la décision n’est pas prise. Par contre, une fois qu’elle est prise, effectivement, là on peut y aller. Je ne connaissais pas ce truc-là. J’imagine qu’en France on est capable de le faire aussi !

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.