Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 30 avril 2019

Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 30 avril 2019 sur radio Cause Commune
Intervenants : Jean-Christophe Becquet - Olivier Fraysse - Charlotte Boulanger - Nicolas Dandrimont - Jean-Christophe Monnard - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet
Lieu : Radio Cause Commune

Date :
30 avril 2019
Durée :
1 h 30 min
Écouter ou télécharger le podcast

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Soyez les bienvenus dans Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April. Le site web de l’association est april.org, a, p, r, i, l point org.

Cette semaine pas d’émission inédite en direct, mais une compilation d’émissions déjà diffusées avec deux chroniques et un sujet principal.

Je vous souhaite une belle écoute.

Chronique « Pépites libres »

Tout de suite nous allons passer au premier sujet avec la seconde édition de la chronique de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, chronique qui s’appelle « Pépites Libres ». Dans cette chronique, Jean-Christophe nous présente une ressource sous une licence libre – texte, image, vidéo ou base de données – sélectionnée pour son intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile et les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public.

La chronique du jour, Jean-Christophe, porte sur le dessin animé de Nina Paley, Copier n’est pas voler.
Jean-Christophe Becquet : Oui. Dans ma chronique du mois de janvier je vous invitais à découvrir la conférence Un Faible Degré d’Originalité d’Antoine Defoort dont la vidéo est disponible sous licence libre. Parmi ses sources d’inspiration j’évoquais Nina Paley et c’est sur elle que j’aimerais revenir aujourd’hui.

Nina Paley est une artiste américaine auteur de bandes dessinées et de dessins animés.

J’ai donc choisi de vous parler d’un dessin animé de Nina Paley Copier n’est pas voler ou Copying Is Not Theft en anglais. Il s’agit d’une vidéo très courte, elle dure à peine une minute. De manière ludique et en chansons, Nina Paley dénonce l’amalgame entre le vol et la copie.

En effet, le vol concerne des objets matériels alors que la copie s’applique aux idées et aux œuvres de l’esprit qui, elles, sont intangibles et immatérielles. Et c’est cette escroquerie intellectuelle que dénoncent les petits personnages de Nina Paley.

Dans le code pénal français, le vol est défini comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ; c’est l’article 321.1. Donc le vol est une soustraction, c’est-à-dire qu’il prive sa victime de l’objet dérobé, alors que pour la copie c’est complètement différent : copier c’est multiplier. Je sais que le logiciel libre préserve vos libertés et je vous le dis. Alors nous sommes plusieurs à le savoir sans que je sois privé de ma connaissance initiale. On voit bien qu’il n’y a pas soustraction ! Les idées que je partage à travers cette chronique sont multipliées par le nombre d’auditeurs. En faisant le choix d’une licence libre pour ses émissions, Cause Commune encourage cette multiplication.
Les héros du dessin animé de Nina Paley s’amusent à comparer le vol et la copie d’un vélo. En effet, dans leur monde immatériel, il est possible très facilement de faire des copies : un simple coup de crayon, deux clics de souris, et chacun peut enfourcher une copie du vélo. Ils échappent à ce qu’on appelle la rivalité des biens matériels, c’est-à-dire le fait que chacun prenne une copie d’un objet nécessite une quantité importante de ressources et d’énergie.

À l’inverse, depuis l’avènement d’Internet, la copie est grandement facilitée et son coût est devenu marginal. C’est un problème pour les défenseurs de l’ancien système basé sur des rentes indexées sur le nombre de copies. C’est une formidable opportunité pour l’humanité. De plus en plus d’auteurs choisissent de partager leur travail sous licence libre.

Aujourd’hui j’ai envie de dire : copions et multiplions toutes ces pépites libres !
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. Donc ce dessin animé de Nina Paley dure à peu près une minute. Les références sont sur le site de l’April avec la version originale qui est en anglais, une version française ; il y aussi un lien vers des versions modifiées parce que dès le départ, Nina Paley qui a diffusé ce dessin animé sous licence, de mémoire, CC BY SA, Creative Commons Partage à l’identique, a encouragé les personnes à faire des modifications, à mettre leurs propres musiques. Donc il y a un certain nombre de versions modifiées avec des musiques assez sympas.

Ces petits personnages rappelleront les cartoons qu’on connaît avec notamment les petits personnages qui ont quatre doigts au lieu de cinq doigts. Ce dessin animé date de quelle époque ? Est-ce que tu te souviens ?
Jean-Christophe Becquet : C’est relativement ancien, en fait, ça date de 2010.Ça a dix ans et effectivement, comme tu l’as dit, parce que Nina Paley a choisi une licence libre, ce dessin animé a fait l’objet d’un grand nombre de reprises, d’adaptations, de traductions d’abord. On le trouve dans un grand nombre de langues. On a mis le lien vers la version française, mais il y aussi des versions en espagnol, en allemand. Il y a des adaptations avec d’autres styles de musique et on peut aussi télécharger les paroles, la partition. L’intérêt de la démarche de Nina Paley c’est que toutes les briques de sa création sont libres et qu’elle encourage effectivement la création et la réutilisation. Du coup, en dix ans d’ancienneté de cette vidéo, il y en a eu un grand nombre.
Frédéric Couchet : Et ce n’est pas la première animation que Nina Paley a libérée parce qu’en 2006 ou 2008, peut-être, elle avait distribué un dessin animé beaucoup plus long, son animation Sita Sings the Blues sous licence Creative Commons Partage à l’identique et, en plus, elle avait explicitement interdit la pause de verrous numériques, les DRM qu’on a déjà évoqués dans une précédente émission. Donc Nina Paley est une personne qui milite vraiment, on va dire depuis 2008-2010 au moins, pour un mouvement de ce qu’on peut appeler la culture libre. Sur son site ninapaley.com on peut retrouver ses différentes productions en plus, effectivement, de ce dessin animé Copier n’est pas voler dont tu nous as parlé. Quel est le lien avec le logiciel libre ?
Jean-Christophe Becquet : En fait c’est que ces licences libres qui sont aujourd’hui utilisées pour les œuvres de Nina Paley, donc les licences Creative Commons, sont les héritières des licences du logiciel libre. C’est-à-dire que le Libre est né avec le logiciel libre, Richard Stallman en 1984 et, en fait, avec le temps, d’autres personnes ont eu envie de libérer d’autres ressources que des logiciels et se sont mises à réfléchir à des licences adaptées à des ressources non-logicielles. Donc ça a donné la licence Art libre, par exemple, qu’on utilise à l’April, les licences Creative Commons dont certaines sont considérées comme libres et d’autres licences qui s’inspirent des libertés du logiciel libre, mais pour les transposer à d’autres œuvres comme des textes, des images, des livres ou des films et dessins animés dans le cas de Nina Paley.
Frédéric Couchet : Et le principe de non-rivalité que tu as expliqué et qui est explicité dans cette vidéo est évidemment valable pour toute œuvre de l’esprit qui est une ressource non exclusive et non rivale, c’est-à-dire que tout le monde a un libre accès à cette ressource, non exclusif, et il n’est pas possible d’exclure quelqu’un de l’usage d’une telle ressource sauf, évidemment, à recourir soit à des principes juridiques, soit à des principes techniques comme les mesures techniques qui, des fois, enfin souvent, sont également protégées par des principes juridiques.
Jean-Christophe Becquet : Oui. Tout à fait. C’est ce que j’ai appelé les tenants de l’ancien système qui, eux, utilisent des verrous juridiques et techniques pour lutter contre cette facilité de copie des ressources qui pose bien des problèmes à leur modèle économique archaïque.
Frédéric Couchet : Exactement. Et pour finir, je te laisserai le mot de conclusion, ça explique aussi pourquoi nous refusons le terme de « propriété intellectuelle », pour deux raisons principales. Déjà le terme « propriété intellectuelle » laisserait supposer qu’on peut, en fait, réfléchir aux œuvres de l’esprit comme on peut réfléchir à des objets matériels alors que ce n’est pas le cas, ce n’est pas la même propriété notamment ce que tu as expliqué, la non-rivalité. Et deuxième chose, c’est que le terme de « propriété intellectuelle » dans le droit englobe des domaines très différents qui vont du droit d’auteur aux brevets et à plein d’autres choses qui sont très différentes dans leurs principes. C’est pour ça que nous on préfère parler spécifiquement d’un droit particulier, par exemple le droit d’auteur et que, dans son ensemble, le terme « propriété intellectuelle » ne doit pas être utilisé parce qu’il pousse à réfléchir sur les œuvres de l’esprit comme on réfléchirait sur des œuvres matérielles.

Est-ce que tu as une phrase de conclusion ? Est-ce que tu veux rajouter quelque chose cher Jean-Christophe ?
Jean-Christophe Becquet : Oui. Juste dire que Nina Paley a fait, comme tu l’as dit, d’autres dessins animés, notamment un autre dessin animé de sensibilisation au Libre qui montre à quel point toute œuvre créée s’inspire des œuvres existantes. Je vous invite à découvrir ça et puis, dans l’attente, eh bien je me mets en recherche d’une nouvelle ressource libre pour la chronique « Pépites libres » du mois prochain. Un grand merci et bonne écoute pour la suite de l’émission.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe et on se retrouve le mois prochain.
Nous allons passer par une petite pause musicale qui va être relativement courte vu qu’elle dure 59 secondes. Évidemment, c’est la bande son du dessin animé de Nina Paley Copier n’est pas voler.
Pause musicale : Copier n’est pas voler, bande son du dessin animé de Nina Paley.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une petite pause musicale. C’est le groupe Demi-sel le titre s’appelle Allons voir (cercle circassien) et on se retrouve après ça.
Voix off : Cause Commune, cause-commune.fm.
Pause musicale : Allons voir (cercle circassien) par le groupe Demi-sel.
Voix off : Cause Commune 93.1.

Les distributions GNU/Linux

Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.

Nous venons de parler de sensibilisation. Nous allons continuer un petit peu, avec le sujet suivant, de parler de sensibilisation avec le sujet des distributions GNU/Linux, avec nos invités aujourd’hui : en studio Nicolas Dandrimont du projet Debian. Rebonjour Nicolas.
Nicolas Dandrimont : Rebonjour.
Frédéric Couchet : Olivier Fraysse, Ubuntu. Bonjour Olivier.
Olivier Fraysse : Re salut.
Frédéric Couchet : Re salut. Charlotte Boulanger, Ubuntu également. Rebonjour Charlotte.
Charlotte Boulanger : Rebonjour Fred.
Frédéric Couchet : Et normalement nous a rejoints au téléphone Jean-Christophe Monnard du projet Mageia. Bonjour Jean-Christophe.
Jean-Christophe Monnard : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Super. Donc tout le monde est présent ; toutes les personnes sont là. Nous allons essayer d’expliquer un petit peu ce que sont ces distributions GNU/Linux, comment s’y mettre, comment commencer à utiliser des systèmes libres, comment éventuellement contribuer. Nous allons passer une petite heure sur ce sujet. On va commencer par une première question, parce qu’en fait « distributions GNU/Linux », il y a plusieurs termes que, je pense, les gens qui écoutent, ne connaissent pas forcément. Nicolas peut-être, est-ce que tu veux faire l’introduction pour expliquer ce qu’est une distribution GNU/Linux, un système d’exploitation, on dira ?
Nicolas Dandrimont : Une distribution GNU/Linux c’est effectivement un système d’exploitation complet qu’on va pouvoir mettre sur son ordinateur par exemple. L’idée c’est qu’au lieu d’être basé sur un système classique, on peut penser par exemple à Windows de Microsoft, ça va être basé autour du noyau Linux qui est un logiciel libre, qui est développé maintenant depuis 25 ans par une communauté de développeurs. Au-dessus de ce noyau Linux on va ajouter des logiciels qui seront aussi, dans la majorité des cas, des logiciels libres, donc des logiciels qui vont permettre d’avoir un environnement de bureau, un navigateur web qui va être, par exemple, Firefox qu’on va pouvoir utiliser pour naviguer sur Internet, un client e-mail, de la bureautique, etc. Donc tous les logiciels que l’on peut vouloir utiliser sur son ordinateur vont être disponibles à travers les distributions GNU/Linux.
Frédéric Couchet : Tu as expliqué, et après je passerai la parole évidemment aux autres personnes, tu as expliqué « Linux » et « distribution ». Le terme GNU ?
Nicolas Dandrimont : Le terme GNU vient du projet GNU. En fait, le projet GNU est un projet de système d’exploitation qui a été lancé par Richard Stallman dont on a probablement déjà parlé dans cette émission.
Frédéric Couchet : Tout à fait.
Nicolas Dandrimont : Il y a maintenant 35 ans, oui, 35 ans cette année. L’idée du projet GNU c’est d’avoir un système d’exploitation qui libère les utilisateurs. L’idée c’est d’avoir un ensemble de logiciels qui sont des logiciels libres en fait, donc que tout le monde va pouvoir utiliser pour n’importe quel usage, va pouvoir diffuser, va pouvoir modifier et redistribuer, s’il en a les compétences bien sûr. Donc le projet GNU c’est vraiment l’idée d’avoir un système d’exploitation qui soit utilisable par tous pour n’importe quel usage, qui libère la personne.
Frédéric Couchet : Un système d’exploitation libre, entièrement libre, utilisable par toute personne. Olivier est-ce que tu veux compléter cette introduction ?
Olivier Fraysse : Je crois que l’essentiel a été dit. Distribution ce n’est peut-être pas forcément très clair pour tout le monde.
Frédéric Couchet : Voilà ! Vas-y.
Olivier Fraysse : On ne va pas distribuer des gnous en plastique comme on distribue des flyers. Une distribution c’est un ensemble de logiciels, on peut dire ça comme ça je pense, c’est une sélection de logiciels libres avec telle version du noyau, enfin le noyau Linux plus une interface graphique plutôt qu’une autre. Et surtout un système de packaging. Un système de packaging, je ne sais pas si je vais pouvoir l’expliquer facilement ; je ne sais pas si Nico est inspiré là-dessus.
Frédéric Couchet : Ou peut-être Jean-Christophe. Jean-Christophe, est-ce que tu veux compléter l’introduction et après peut-être que je pourrais continuer cette discussion ?
Jean-Christophe Monnard : Moi j’ai envie de parler avec un mot français : « empaquetage », donc emballage, empaquetage, c’est-à-dire qu’on prépare les morceaux de logiciels. Ce qui est important dans le logiciel libre, avec les quatre libertés, c’est d’avoir un code source, comment le logiciel a été écrit par des êtres humains ou à peu près, ce qu’on appelle des informaticiens. Donc on fabrique du logiciel libre et on peut lire son code source tel qu’il a été écrit. Ensuite, si on veut l’utiliser, il faut transformer ce code source dans un langage que les machines peuvent comprendre. Les machines ne comprennent que le binaire, les 0 et les 1. Quand on achète un logiciel propriétaire on n’a jamais que les 0 et les 1, donc on ne sait pas très bien ce qui se passe dedans. Dans un logiciel libre, il y a quelque part le code source et il faut préparer ce code source de manière cohérente. Je crois que pour chaque distribution le mot « cohérence » est important. Chaque distribution est un ensemble cohérent de logiciels qui ont été préparés, empaquetés, de manière à être cohérents entre eux pour fabriquer cette architecture qui fonctionne bien, qui est bien huilée d’habitude ; il y a parfois des petits problèmes, mais pas plus qu’ailleurs.

Donc on a cet ensemble cohérent. Donc Debian, Slackware, Ubuntu, Mageia, ce sont des ensembles cohérents où, à partir de ces codes sources qu’utilisent toutes ces distributions, ces codes sources ont reçu un empaquetage, une préparation, pour en faire des paquets de 0 et de 1 que l’ordinateur peut utiliser. Parce que l’ordinateur n’est pas capable d’utiliser ce qu’a écrit l’informaticien, il faut lui préparer. J’espère que je n’ai pas dit de bêtises.
Frédéric Couchet : Ça me paraît très clair. En fait, avant l’existence de ces distributions GNU/Linux ou d’autres systèmes libres, finalement les personnes qui souhaitaient avoir un système libre devaient composer elles-mêmes leur système en réunissant tous les éléments nécessaires. Ce qu’ont apporté les distributions c’est évidemment une sélection de logiciels libres, mais finalement, on va en reparler tout à l’heure, on retrouve à peu près les mêmes logiciels libres dans l’ensemble des distributions. La grosse différence ça va être peut-être sur l’environnement de bureau et on en reparlera peut-être tout à l’heure, peut-être aussi sur la présence de logiciels privateurs en plus, mais ce qu’apportent les distributions c’est une méthode d’installation qui varie en fonction des distributions et une méthode de mise à jour des paquets ensuite pour, effectivement, soit rajouter des paquets, soit mettre à jour les paquets dans leur cycle de vie, parce que ce sont des logiciels libres qui évoluent, donc il y a un cycle de vie. Est-ce que ça vous paraît à peu près clair comme résumé ?
Nicolas Dandrimont : Oui, c’est ça.
Jean-Christophe Monnard : Tout à fait.
Frédéric Couchet : D’accord. On va passer à la deuxième question. Tout à l’heure Nicolas Dandrimont de Debian parlait de Microsoft Windows, on pourrait aussi citer Mac OS d’Apple. Les gens qui ont l’habitude de ces systèmes se disent, enfin ont la compréhension que finalement l’ensemble des logiciels vient d’une seule structure, que ce soit Microsoft ou Apple.

Aujourd’hui, il y a une ambiance un peu particulière au studio. Je préviens si vous entendez des rires, il y a une ambiance très détendue.
Nicolas Dandrimont : C’est de ma faute !
Frédéric Couchet : Là, tout d’un coup, on va parler de distributions GNU/Linux au pluriel. Nous avons quelqu’un de Debian, deux personnes d’Ubuntu, quelqu’un de Mageia. J’ai une question assez « basique » entre guillemets, pourquoi il y a plusieurs distributions GNU/Linux et qu’est-ce qui les différencie ? Pour l’instant on va rester à un niveau un peu supérieur c’est-à-dire sans forcément rentrer dans le détail. Pourquoi il y a plusieurs distributions GNU/Linux ? Qui veut intervenir sur cette question ? Nicolas Dandrimont de Debian.
Nicolas Dandrimont : Tout à fait. J’ai une analogie. On pourrait se poser la même question : pourquoi il y a plusieurs marques de chaussures ? Eh bien parce qu’il y a plusieurs formes de pieds.
Olivier Fraysse : Il y a des pieds plus poilus que d’autres !
Nicolas Dandrimont : Je veux dire que tu ne vas pas être confortable dans toutes les paires de chaussures. De la même manière, les usages de l’informatique sont très divers donc les gens vont vouloir assembler leur univers informatique de la manière qui les intéresse. C’est pour ça qu’on a une diversité assez large dans les distributions GNU/Linux. La possibilité qui est ouverte par la publication du code source, la disponibilité des logiciels et la possibilité aussi de les modifier permet à chacun de trouver chaussure à son pied et de faire chaussure à son pied. Donc c’est comme ça qu’on se retrouve avec des centaines voire des milliers de distributions Linux qui sont différentes, qui vont toutes partir de la même base, de plus ou moins les mêmes logiciels, mais qui vont être intégrés de manières subtilement différentes pour convenir à leurs utilisateurs.
Olivier Fraysse : Donc Debian ce serait comme une grosse botte où il faut lacer pendant très longtemps et Ubuntu ce serait la chaussure à scratch. C’est ça ?
Nicolas Dandrimont : On peut le voir comme ça.
Frédéric Couchet : On ne va pas commencer le débat entre les distributions, je vous préviens. Je préviens Olivier qu’on rentrera dans le détail des débats tout à l’heure. Jean-Christophe Monnard, est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur cette question, finalement, de l’existence de plusieurs distributions, notamment l’existence de Mageia en plus d’Ubuntu, Debian et évidemment des autres, on en citera certaines tout à l’heure ? Jean-Christophe.
Jean-Christophe Monnard : C’est à la fois la puissance et la faiblesse du Libre : la liberté ; la liberté c’est le choix. Je ne parlerais pas de tailles de pieds différentes, mais plutôt d’utilisations différentes : entre un escarpin et une chaussure de montagne, il est clair qu’il vaut mieux avoir des savoir-faire différents. Certaines distributions sont plus adaptées à faire du serveur, d’autres au grand public et ainsi de suite, plus les particularismes nationaux qui existent aussi, je crois, à partir du moment où chacun peut modifier quelque chose. Un jour, bien que n’étant pas un vrai informaticien, j’avais pris une distribution, une distribution qui tenait sur trois disquettes et je l’ai francisée ; je peux dire, quelque part, que ce jour-là j’ai fait ma distribution, or je me suis bien amusé ; ça n’a pas servi à grand-chose d’autre.

Donc le Libre permet plein de possibilités et je crois que c’est une de ses richesses. Malheureusement c’est aussi une de ses faiblesses parce qu’il n’y a peut-être pas toujours assez de monde pour telle ou telle distribution. Je me souviens, par exemple, de la distribution Zenwalk que j’adorais, mais qui n’est plus vraiment mise à jour.
Frédéric Couchet : Effectivement, comme tu le dis, après je repasserai la parole à Olivier Fraysse, c’est une des forces et une des « faiblesses », entre guillemets, du logiciel libre, mais quand tu parles de la distribution que tu t’es faite de ton côté, ça me fait penser qu’il est important de préciser, là on parle de distributions génériques, qu’il y a aussi des distributions spécialisées par exemple pour l’audio, pour la vidéo, pour l’éducation, pour la sécurité. Le but aujourd’hui ce n’est pas de les citer toutes parce qu’il y en a beaucoup et vous retrouverez des références sur le site de l’April ou sur Wikipédia. Et c’est aussi, quand même, une des grosses forces du Libre, effectivement, d’adapter par rapport à des besoins spécifiques et sans dépendre du choix d’un éditeur qui, peut-être économiquement, n’aura pas intérêt à créer une distribution ou un système d’exploitation pour une communauté dédiée, là où le Libre a cette réponse. Et aussi la force de la communauté, on y reviendra tout à l’heure, c’est un des critères de choix. Ça va être une de mes questions, évidemment : comment on choisit entre ces différentes distributions ; c’est un des critères de choix. Olivier, tu voulais réagir ?
Olivier Fraysse : Justement sur le choix. Je trouve que l’inconvénient du Libre c’est qu’il y a vraiment beaucoup de choix et, du coup, ça rend inaccessible au grand public. Plus il y a de choix, plus c’est complexe, il faut comparer tout un tas de trucs. Même dans une même distribution il y a plusieurs variantes, donc pour Ubuntu mais c’est vrai aussi ailleurs. Il y a plein d’interfaces différentes. Il y a une version pour les ingénieurs du son et de la vidéo qui s’appelle Ubuntu Studio ; il y a Kubuntu dont on ne sait pas vraiment la différence réelle avec Ubuntu sans le tester directement. Et c’est ça qui fait, d’après moi, que ce n’est pas facile pour le grand public de passer à un système GNU/Linux, c’est qu’il y a trop de choix. Déjà il faut expliquer pourquoi GNU/Linux, ce n’est pas juste Linux et ce n’est pas toujours la même chose. Pourquoi GNU ? Il faut préciser GNU. Il faut toujours tout expliquer surtout si on veut être juste. Et voilà ! Et surtout, le fait d’avoir à choisir. Je me souviens, quand j’ai installé ma première Debian, ça me demandait pourquoi s’il fallait que je mette un serveur IIRCD, je n’ai jamais compris ce que c’était, avec deux « I ». À chaque fois que j’installais ça chez quelqu’un, je disais « cette question-là tu dis oui ou tu dis non, on s’en fout ; moi-même je ne comprends pas ! » Il y avait plein de questions : il fallait choisir entre Gnome et KDE. Est-ce tu veux expliquer ça à tes potes qui veulent se passer de leur système vérolé ? Tu leur mets une Debian mais ça te pose des questions : Gnome, KDE ? Ce n’est pas la même forme des boutons ; la souris va marcher pareil, mais le curseur ne sera pas de la même couleur. Enfin !
Frédéric Couchet : On va revenir sur ces questions-là parce que sinon, là je crois qu’on va déjà perdre les gens ; Gnome, KDE. La précision que j’ai demandée au départ sur distributions GNU/Linux, comme c’est le terme, le titre du sujet, il est important de le préciser, mais j’ai parfaitement conscience que dans des évènements libristes ces questions-là ne sont pas forcément abordées au départ et ce n’est pas forcément un mal ; les personnes font ce qu’elles veulent.

Je voudrais aussi avoir un petit peu la réaction de Charlotte qui a la délicate tâche aujourd’hui d’être aussi en régie, je la remercie, sur cette multiplicité de distributions et aussi avoir un petit peu son parcours. Comment elle est venue, finalement, aux distributions libres et sa rencontre avec Ubuntu. Est-ce que tu peux nous faire un petit point là-dessus ?
Charlotte Boulanger : Effectivement mon parcours n’est pas celui d’une informaticienne parce que j’ai découvert Ubuntu par le web design de façon un peu détournée. En m’intéressant au design je me suis intéressée au développement, en m’intéressant au développement je me suis intéressée à l’informatique. Ce n’était pas lié à mon métier. En fait Linux, quand tu ne connais pas, même si tu ne connais pas, ça a une espèce d’aura de personne qui fait de l’informatique pour de vrai. En m’intéressant à ça je suis partie vers Ubuntu parce que, pour les débutants, c’est celle qui est conseillée par beaucoup de sites grand public. Moi, par exemple, j’ai découvert avec le site OpenClassrooms, anciennement le Site du Zéro. Eux, leur but du jeu, c’est d’être le plus grand public possible, donc moi j’ai commencé avec Ubuntu. J’ai essayé Debian il n’y a pas longtemps. Effectivement ça pose beaucoup questions au début mais après c’était plutôt cool. C’était plutôt une bonne surprise parce que, des fois, on a l’impression qu’il y a un gouffre entre Debian et Ubuntu alors que pas du tout !
Frédéric Couchet : Merci Charlotte. On aura l’occasion de parler tout à l’heure sur la deuxième partie, la partie contribution, de ta participation en tant que contributrice qui est également intéressante. Je vais continuer sur les questions justement. Je vais vous demander si possible d’être relativement brefs, en tout cas d’être relativement clairs, et je vais commencer par Jean-Christophe Monnard : expliquez en quelques mots votre distribution. Pourquoi elle existe, d’où elle vient, comment elle fonctionne. En tout cas essayer, entre guillemets, de la « vendre » aux personnes qui écoutent pour qu’on comprenne mieux, un petit peu, quel est le positionnement de chaque distribution et, éventuellement, les différences entre elles. Jean-Christophe sur Mageia.
Jean-Christophe Monnard : Ce qui caractérise Mageia aussi bien que ses ancêtres, c’est la facilité : la facilité d’installation, la facilité d’utilisation, de mise à jour. Il y a toute une interface graphique, il y a tout un système graphique qui permet de gérer cette distribution sans faire de ligne de commande. Je me souviens une fois, aux Rencontres mondiales du logiciel libre, il y avait un « debianeux » qui, pour se moquer d’un ancêtre de Mageia, disait : « Ça c’est une distribution pour les secrétaires, ce n’est pas une distribution pour les hommes, les vrais ». Je lui ai répondu : oui, parce qu’avec ça une secrétaire installe facilement un serveur ou un poste client sans avoir besoin d’un informaticien.

Mageia, aussi parce que j’ai rencontré une communauté qui est en grande partie francophone donc c’est assez intéressant, c’est pour ça que je l’utilise, entre autres. Quand je vais chez les gens pour installer Linux ou au cours des install-parties, c’est effectivement la distribution que je préconise pour les débutants à cause de sa grande facilité et de sa variété d’interfaces graphiques : on peut choisir en fonction des personnes et puis d’une équipe qui est assez réactive.
Frédéric Couchet : Mageia est une distribution qui existe je ne sais plus depuis combien de temps. Tu parlais des ancêtres, c’est une dérivée d’autres distributions qui existent depuis une vingtaine d’années. Ça me fait penser, d’ailleurs, que les premières distributions GNU/Linux doivent dater, je crois, de 1992, vraiment les premières à l’époque des noyaux Linux 0.90, quelque chose. Nicolas me fait un petit signe en doutant. Étant plus vieux que Nicolas j’ai à peu près confiance sur le fait que la première fois que j’en ai utilisé une c’était à peu près à cette époque-là. Je crois d’ailleurs que celle-là existe toujours, c’était Slackware ; à l’époque c’était sur des disquettes, il devait y avoir 50 ou 70 disquettes.

En tout cas Mageia a un long historique de mises à jour. Il faut rappeler que l’association qui porte Mageia est une association dont le siège social est à Paris. Il y a un forum qui a l’air très actif, en français, comme les forums d’Ubuntu. D’ailleurs c’est là que j’ai sollicité pour avoir quelqu’un de Mageia du fait que, suite au changement de date, la personne qui devait parler de Mageia, Anne Nicolas, ne pouvait plus être disponible. Voilà, ça c’est Mageia. On va passer maintenant la parole à Nicolas Dandrimont pour Debian.
Nicolas Dandrimont : Pour la distribution Debian, notre slogan c’est d’être le système d’exploitation universel. La distribution a été créée en août 1993, donc elle fait partie des toutes premières distributions Linux qui ont été créées.

Notre vision c’est d’avoir une distribution qui soit le plus proche possible de ce que vont fournir les projets amont. Donc les logiciels que l’on va empaqueter dans notre distribution vont être le moins possible modifiés par rapport à ce qui est publié par les auteurs originaux. Notre autre force c’est la diversité des architectures sur lesquelles on fonctionne, c’est-à-dire que Debian va pouvoir fonctionner du téléphone au supercalculateur en passant, bien sûr, par l’ordinateur classique de bureau ou ordinateur portable. On va pouvoir faire tourner les mêmes logiciels sur toute cette diversité de dispositifs, d’ordinateurs.
Jean-Christophe Monnard : Je voudrais intervenir sur Debian pour en dire du bien. Un jour un expert en sécurité m’a dit, à propos de Debian, que ce sont les gardiens du temple parce que non seulement la distribution utilise des logiciels libres mais le fonctionnement associatif au niveau mondial de Debian cherche à appliquer les valeurs du Libre. Maintenant je suis chez Mageia parce que nous ne sommes plus dirigés par une entreprise mais par une association. Mais je pense que c’est ça : les gardiens du temple ça correspond très bien à Debian.
Nicolas Dandrimont : Merci. Oui, effectivement, ça fait partie des choses qui sont vraiment au cœur de Debian. La philosophie du projet est très proche de la philosophie qui est à la base du logiciel libre. Je ne sais pas si tu as prévu d’en reparler après, Fred.
Frédéric Couchet : Ça dépendra évidemment du temps disponible. Debian est souvent la mère d’autres distributions plus spécialisées.
Nicolas Dandrimont : Oui, aussi.
Frédéric Couchet : C’est une distribution un petit peu, effectivement, à part. Olivier et Charlotte, sur Ubuntu-fr, qui en premier ?
Olivier Fraysse : Sur Ubuntu-fr ?
Frédéric Couchet : Sur Ubuntu, excuse-moi.
Olivier Fraysse : Parce qu’on avait une version francophone d’Ubuntu, mais on a arrêté de la faire. Elle avait de différent le fait que le français était la langue par défaut et, très momentanément, on a désactivé des fonctionnalités très contestées dans la communauté qui était la recherche dans Amazon.
Frédéric Couchet : Je n’avais pas prévu d’en parler mais c’est bien que tu le cites. Alors Ubuntu.
Olivier Fraysse : Il n’y a pas de problème. C’est aussi ça la différence avec Debian, c’est qu’Ubuntu est relativement impure. Mais Debian est aussi la mère d’Ubuntu, pas la merde, j’ai dit la mère !
Frédéric Couchet : Olivier, s’il te plaît !
Olivier Fraysse : Excusez-moi. Pardon ! On est à la radio. Sans Debian il n’y aurait pas d’Ubuntu. D’ailleurs, quand on nous demande comment contribuer à Ubuntu, généralement on renvoie vers Debian, on dit : « Contribuez à Debian, vous aiderez Ubuntu ». Je pense que Debian survivra à la fin du capitalisme beaucoup plus facilement qu’Ubuntu.
Frédéric Couchet : Je ne suis pas sûr qu’on ait le temps de traiter la fin du capitalisme dans l’heure de l’émission. Est-ce que tu peux, en quelques mots, nous donner la spécificité d’Ubuntu ?
Olivier Fraysse : Je n’avais pas prévu de rentrer complètement dans les cases que tu avais imaginées.
Frédéric Couchet : D’accord. À ce moment-là, je vais demander à Charlotte. Charlotte !
Charlotte Boulanger : Je ne pensais pas parler de la fin du capitalisme.
[Rires]
Olivier Fraysse : Notre plan tombe à l’eau !
Charlotte Boulanger : SOS ! Ubuntu, moi je veux bien parler des mauvais côtés, quelque part, parce qu’il ne faut pas hésiter.
Frédéric Couchet : Vas-y.
Charlotte Boulanger : Ubuntu, pour beaucoup de personnes qui sont dans l’univers du logiciel libre, qui sont des libristes, c’est Canonical, en fait, qui est l’entreprise qui a créé, qui a lancé Ubuntu disons, et qui prend pas mal de décisions dont les petits boutons Amazon qui sont là par défaut et ce genre de choses. Il faut entendre les critiques sur Ubuntu et quand quelqu’un me dit avec un air, comme le disait Jean-Christophe sur Mageia, quand quelqu’un d’une autre distribution vient me voir en me disant « moi je ne suis pas sur Ubuntu parce que machin, machin ! » Je dis : « C’est super cool pour toi ! » Par contre Ubuntu a cette raison d’être, d’être facile pour les débutants. En tout cas c’est une bonne porte d’entrée vers le monde des distributions libres.
Frédéric Couchet : Merci Charlotte. Très clairement, Ubuntu a joué un rôle considérable pour l’accès, la découverte par le grand public du logiciel libre, à la fois par sa facilité d’installation, d’usage, à un moment où Debian n’était peut-être pas à ce même niveau et aussi par les Ubuntu Parties dont on reparlera tout à l’heure, les évènements, c’est-à-dire la communauté, l’accueil, etc. Olivier, tu voulais ajouter quelque chose en lien avec le capitalisme ou Ubuntu ?
Olivier Fraysse : Non. C’était pour dire qu’effectivement, moi si je suis sous Ubuntu et que je participe à l’association Ubuntu francophone c’est essentiellement parce que ça permet au grand public d’accéder au logiciel libre. C’est en ça que je trouve Ubuntu génial et que c’est plus facile de le faire avec Ubuntu qu’avec Debian ou Fedora ou Mageia, d’après moi.
Nicolas Dandrimont : Je suis tout à fait d’accord avec ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Nous allons poursuivre notre échange après une pause musicale. Nous allons écouter Lord’s Mistake de l’album Not Kings par Candy Says et on se retrouve juste après.
Pause musicale : Lord’s Mistake de l’album Not Kings par Candy Says
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.10 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Vous écoutez l’émission de l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Nous parlons actuellement des systèmes d’exploitation libres avec mes invités : Nicolas Dandrimont pour le projet Debian, Olivier Fraysse pour le projet Ubuntu, Charlotte Boulanger aussi pour Ubuntu et Jean-Christophe Monnard, avec nous au téléphone, pour Mageia.

La pause musicale c’est Lord’s Mistake de Candy Says. C’est en licence libre CC BY-SA, donc partage dans des conditions à l’identique ; vous retrouverez la référence sur le site de l’April.
Juste avant la pause nous parlions un petit peu des différences entre les distributions Mageia, Ubuntu et Debian.

Nous allons maintenant aborder le sujet, parce qu’évidemment on a parlé de distributions, mais comment s’y mettre ? Parce que l’une des difficultés aujourd’hui du monde du logiciel libre — pas aujourd’hui, d’ailleurs, mais depuis très longtemps — c’est le fait que quand on achète un ordinateur dans le commerce il est très souvent préinstallé avec un système d’exploitation privateur, que ce soit Microsoft Windows ou Mac OS d’Apple et donc, assez souvent, on doit installer une distribution GNU/Linux si on veut commencer à utiliser un environnement entièrement libre.

De ce point de vue-là, est-ce qu’aujourd’hui il est possible d’installer des distributions GNU/Linux par n’importe quelle personne ? Qui veut commencer ?
Jean-Christophe Monnard : Je veux bien parler.
Frédéric Couchet : Jean-Christophe, vas-y.
Jean-Christophe Monnard : J’ai participé à beaucoup d’installations dans les install-parties ou chez des particuliers. La plupart des gens n’installent pas Windows donc, effectivement, ils ne savent pas très bien installer un système d’exploitation. Donc il vaut mieux quand même avoir quelqu’un avec soi, ne serait-ce que pour être rassuré psychologiquement. Quelques personnes douées peuvent le faire uniquement en lisant des conseils sur le Web ou dans des livres, des revues très bonnes, mais en général il vaut mieux quand même être accompagné parce qu’il y a des questions de vocabulaire qu’on ne s’est jamais posées et là, on gagne quand même beaucoup de temps. C’est le conseil que je donnerais. Et naturellement essayer de contacter une association d’utilisateurs de logiciels libres, il y en a à peu près partout en France maintenant.
Frédéric Couchet : Nicolas Dandrimont.
Nicolas Dandrimont : Je suis tout à fait d’accord avec ça. Je pense qu’aujourd’hui c’est effectivement à la portée de tout un chacun de pouvoir installer une distribution GNU/Linux. Par contre, l’aspect communautaire est super important, l’avis de la communauté, et faire en sorte que les gens comprennent que dans le logiciel libre il n’y a pas qu’un outil technique qui est super utile, qui est un système d’exploitation, mais qu’il y a aussi une philosophie, des valeurs, et puis des gens qui sont derrière ces projets. C’est super important. Du coup, les initiatives comme les Premier Samedi du Libre de Parinux qui sont des install-parties en fait.
Frédéric Couchet : Les Premier Samedi de Parinux, Parinux est le groupe d’utilisateurs et utilisatrices de logiciels libres de la région parisienne, ça se passe à La Villette chaque premier samedi du mois. Une install-partie c’est une fête d’installation, en tout cas un évènement dans lequel il y a des personnes qui ont certaines compétences un peu avancées sur l’installation de logiciels libres et de distributions libres, qui aident d’autres personnes à se faire installer, donc accompagnent des personnes débutantes à l’installation de distributions libres.
Nicolas Dandrimont : C’est ça. À la Cité des sciences, je précise. Tu as dit à La Villette.
Frédéric Couchet : Donc à la Cité des sciences et de l’industrie, porte de La Villette à Paris.
Nicolas Dandrimont : Au Carrefour numérique.
Frédéric Couchet : Ce genre d’évènement existe, évidemment, dans d’autres régions et on les retrouve sur le site de l’Agenda du Libre.
Nicolas Dandrimont : Bien sûr. Et puis ces évènements-là ça fait aussi un point un peu fixe, un point focal, où les gens qui ont un système libre sur leur machine peuvent venir poser leurs questions. Ça fédère vraiment les communautés. Je reprends l’exemple de La Villette, je sais qu’il y a des gens qui installent des Ubuntu, des Mageia, des Fedora et d’autres distributions diverses et variées, et on est vraiment tous contents de s’entraider, en fait, et d’aider les gens à se libérer.
Frédéric Couchet : Charlotte, je lui laisse le temps d’allumer son micro, toi qui participes aux Ubuntu Parties, aujourd’hui est-ce que c’est obligatoire de venir à une Ubuntu Party pour se faire installer Ubuntu ? C’est sans doute un bon conseil.
Charlotte Boulanger : Oui. Oui !
Nicolas Dandrimont : Elle organise ! Elle organise les Ubuntu Parties.
Frédéric Couchet : Elle organise, c’est vrai !
Charlotte Boulanger : C’est quoi l’expression « prêcher pour sa paroisse » ou un truc comme ça ?
Frédéric Couchet : Est-ce que tu peux nous expliquer comment fonctionne une Ubuntu Party ?
Charlotte Boulanger : Une Ubuntu Party, il y a une install-partie et il faut avouer que c’est l’évènement central. Une install-partie, vous l’avez compris, on aide les gens à installer un système d’exploitation libre sur leur machine, c’est ce dont parlait Nicolas, je crois, ou Jean-Christophe, je ne sais plus.
Frédéric Couchet : Les deux.
Charlotte Boulanger : Les deux, c’est magnifique. Oui, Jean-Christophe parlait qu’on peut avoir besoin d’aide pour se rassurer et c’est exactement ça. Après, une Ubuntu Party c’est un peu particulier par rapport au Premier Samedi du Libre parce qu’il y a aussi des conférences à côté qui sont filmées, des ateliers aussi où on met des gens devant un ordinateur et on va dire : là on va apprendre comment prendre en main son environnement Ubuntu, par exemple et plein d’autres sujets.
Nicolas Dandrimont : Ça dure deux jours complets.
Charlotte Boulanger : Ça dure deux jours sauf s’il y a des manifestations, ça dure un seul jour dans ces cas-là, par rapport à la dernière Ubuntu Party.
Frédéric Couchet : Charlotte fait référence à l’annulation du samedi de la dernière Ubuntu Party suite à la fermeture des lieux culturels à Paris pour les manifestations gilets jaunes.
Charlotte Boulanger : C’est ça. Et pour clarifier, avec Olive on fait partie de Ubuntu-fr.
Frédéric Couchet : Explique-nous ce qu’est Ubuntu-fr.
Charlotte Boulanger : Oui, ça peut être bien. C’est l’association francophone des utilisateurs d’Ubuntu et ce sont des utilisateurs. Il y en a qui contribuent ; pas tous. Moi je n’ai jamais contribué à la distribution Ubuntu, j’ai uniquement contribué à l’association Ubuntu-fr en faisant notamment des designs, des tee-shirts, des sites internet de temps en temps. Il faut distinguer la communauté Ubuntu-fr de ceux qui font la distribution. Olive, est-ce que tu es d’accord avec moi ?
Olivier Fraysse : Oui, c’est ça. Dans Ubuntu-fr, donc Ubuntu francophone, il y a très peu de contributeurs au code de Ubuntu et des logiciels qui composent Ubuntu. C’est essentiellement les 200 000 inscrits du forum Ubuntu-fr, les organisateurs et les bénévoles des Ubuntu Parties.
Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Jean-Christophe et Nicolas sur la partie, justement, forums, communautés, c’est important ce point que tu évoques Charlotte. On pense que contribuer au logiciel libre ça ne passe que par la contribution au code ; c’est une des contributions, évidemment essentielle, parce que sans contribution au code il n’y aurait pas forcément de logiciel libre. Mais on peut contribuer, comme toi tu le fais, Charlotte, par du design, parce que toi, à titre professionnel, tu fais du design. Je le précise parce que je ne l’ai peut-être pas dit au début : toutes les personnes qui sont invitées aujourd’hui sont des bénévoles dans chacun des projets. Charlotte contribue par du design : tu l’as fait pour les tee-shirts et pour les plaquettes. On peut contribuer en écrivant de la documentation à laquelle faisait référence tout à l’heure Jean-Christophe Monnard de Mageia, pour expliquer aux personnes débutantes comment installer du logiciel libre ou comment utiliser tel logiciel. On peut faire de la traduction, etc. Je crois, Nicolas, que c’est là-dessus que tu voulais réagir. Vas-y. Nicolas Dandrimont.
Nicolas Dandrimont : Je ne suis pas du tout d’accord avec Charlotte qui dit : « Je ne contribue pas à Ubuntu, je ne fais que du design pour Ubuntu-fr. » Ça n’a aucun sens quoi ! Des contributions comme ça, qui permettent d’animer et de faire grandir la communauté, sont critiques à la vie de nos projets.
Olivier Fraysse : En plus c’est le seul avantage d’Ubuntu, c’est son design ! Donc !
Charlotte Boulanger : Pourtant j’ai essayé de bien préciser : la distribution. C’est vrai qu’indirectement, du coup, les gens dans la communauté, etc.
Frédéric Couchet : Jean-Christophe, justement, la communauté Mageia, je crois qu’il y a des forums Mageia en ligne, il y a des listes de discussion. Est-ce que tu peux nous en parler un petit peu, s’il te plaît ?
Jean-Christophe Monnard : Je crois comme la plupart des projets libres. On parle des distributions, je vais placer un petit mot en plus. Parfois il arrive aussi, il nous arrive à tous d’installer des logiciels libres sous Windows, qui est une première étape avant de passer aux distributions.
Frédéric Couchet : Tout à fait.
Jean-Christophe Monnard : Pour rebondir sur ce qui a été dit, j’ai vu un chiffre une fois, précisément je ne sais pas, mais que la moitié du travail d’une distribution ce sont des non-informaticiens. C’est effectivement la traduction, la documentation, c’est faire connaître, parce que cette distribution elle n’est pas autiste, elle ne va pas se limiter à être utilisée par ceux qui la font, enfin la plupart du temps, en tout cas pour Ubuntu, pour Mageia et pour d’autres.

Pour Mageia, effectivement, nous avons des listes à peu près dans toutes les langues, enfin toutes les langues utilisateurs, ça en fait beaucoup, des forums, des forums IRC, des blogs, qui permettent les remontées, les difficultés, parfois aussi les félicitations, les remerciements aux contributeurs informaticiens. Donc effectivement toute cette communauté internationale, en grande partie française mais pas exclusivement, pas du tout – il y a aussi pas mal de Brésiliens, d’Allemands et ainsi de suite –, donc toute cette communauté amène ses contributions qui ne sont pas du code pur. Chacun à son tour, à un moment de sa vie, peut contribuer et profiter.

Je crois aussi qu’un jour Michel Rocard avait dit qu’un grand avantage du logiciel libre c’est qu’on a intérêt à ce que l’autre réussisse. Je pense, en tout cas pour moi philosophiquement, que c’est une chose importante dans le Libre, ça permet plus de partage, de solidarité, on va dire même d’amour chrétien entre les êtres humains. On a intérêt à ce que les autres réussissent et ce n’est pas de la jalousie. Si l’autre fait quelque chose, fait un joli dessin, une couverture de CD ou un peu de documentation, tout le monde va en profiter même au-delà de la distribution. Il y a des contributions à telle ou telle distribution qui vont profiter aux autres. Il faut voir ça aussi.
Frédéric Couchet : Oui, tout à fait. Il y a des contributions effectivement croisées. Merci Jean-Christophe.

Je voudrais juste aborder deux petits points, je ne sais pas qui voudra en parler, parce que dans l’arrivée vers les distributions de logiciels libres, il y a deux points qui me paraissent intéressants : la notion de double amorçage, qui existe encore aujourd’hui, par quelqu’un qui veut garder par exemple son Microsoft Windows. Et la deuxième notion que je voudrais que vous explicitiez, ce sont les CD ou clef USB dites live c’est-à-dire autonomes, pour tester. Nicolas Dandrimont, Debian.
Nicolas Dandrimont : C’est vrai. Si on veut faire un premier pas vers le logiciel libre sans sauter dans le grand bain, effectivement la première solution, Jean-Christophe en parlait, c’est d’installer des logiciels libres sur son système d’exploitation existant. Il y a beaucoup de gens qui le font, notamment installer LibreOffice ou Firefox sous Windows, c’est un grand classique.

Après, si on veut tester les systèmes d’exploitation GNU/Linux, le plus simple, effectivement, c’est de prendre une clef USB qui va avoir le système d’exploitation dessus ; on va pouvoir la démarrer et tester sans rien modifier sur son ordinateur. Ça permet effectivement de tester l’environnement de bureau, de voir si on est confortable ou pas avec le système et après, une fois qu’on est prêt à sauter le pas et à avoir une installation fixe sur son ordinateur, on peut effectivement faire de la place à côté de son système d’exploitation existant ; donc on garde son système d’exploitation existant et on ajoute, en double amorçage, la distribution Linux qui nous a fait plaisir.
Frédéric Couchet : La distribution GNU/Linux.
Nicolas Dandrimont : Oui, Linux, GNU/Linux, GNU/kFreeBSD.
Frédéric Couchet : Il faut préciser qu’au démarrage de la machine, il y a aura ensuite un menu qui permettra de choisir le système d’exploitation qui démarrera.
Nicolas Dandrimont : Effectivement. On va avoir quelques secondes au démarrage de la machine pour choisir sous quel système on veut démarrer.
Frédéric Couchet : Jean-Christophe, est-ce que tu veux rajouter quelque chose sur ce point ou Olivier ?
Jean-Christophe Monnard : Oui. La plupart des distributions grand public ont des cédéroms, plutôt des DVD maintenant, autonomes. Je voudrais souligner un apport de Debian qui est fait par un professeur allemand, herr Doktor Knopper [herr Professor ou herr Ingenieur, Note de l’intervenant], qui nous a fait la fabuleuse Knoppix, que j’ai utilisée très souvent pour des démonstrations ou pour tester du matériel. Si je veux acheter un ordinateur ou quand je le récupère à la déchetterie, ce qui coûte beaucoup moins cher, je le teste d’abord avec une Knoppix qui est un cédérom live.

Au passage une chose pour parler du logiciel libre, de toutes nos distributions. Certains systèmes d’exploitation propriétaires passent beaucoup à observer ce que nous faisons et à chercher à savoir s’ils nous en donnent la permission. Ça veut dire beaucoup de puissance de calcul. Ce qui fait que très régulièrement sur des ordinateurs, disons-le que je récupère, qui ont dix ans d’âge, je retire les systèmes Windows, j’installe Linux, et ils marchent aussi vite qu’un système Windows récent. Ça c’est un grand avantage. On peut adapter Linux aussi bien à des super serveurs qu’à des ordinateurs de récupération ce qui leur évite de partir ensuite dans des déchetteries où ils seront plus ou moins bien traités.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe parce que ça me fait penser à un point suivant et on reviendra au point précédent sur les distributions parce que je voudrais quand même que vous parliez rapidement des environnements de bureau parce que ça me semble être une des principales différences au niveau des distributions.

Là on a parlé d’installation d’un système libre sur un ordinateur mais quid de la personne qui veut se procurer une machine avec un système préinstallé ? Je voudrais déjà citer, et je vous laisserai proposer vos propres solutions, un site qui me paraît très important, qui est en référence sur le site de l’April, c’est le site de bons-vendeurs-ordinateurs.info ; c’est bons tiret vendeurs tiret ordinateurs point info. C’est un site qui existe depuis très longtemps, sur lequel vous retrouvez en fait des vendeurs — ça peut-être des boutiques en ligne, des boutiques sur rue — qui vendent des ordinateurs soit nus, c’est-à-dire sans système d’exploitation donc vous ne payez pas la licence Microsoft, soit des systèmes préinstallés avec des versions libres, des distributions GNU/Linux, ça peut être Ubuntu ou Debian.

À l’instant Jean-Christophe parlait des vieux ordinateurs. Moi, à titre personnel, je pense qu’on est plusieurs dans ce cas-là, à la maison j’ai des ordinateurs, des laptops, donc des ordinateurs portables qui datent de 2010, pour mes enfants, que j’ai achetés chez un de ces revendeurs qui est cité, en l’occurrence Ecodair, qui est une structure qui fait du recyclage d’ordinateurs, qui fait travailler des personnes en situation de handicap et en reprise d’emploi. Il y a des versions avec Microsoft Windows, mais il y a aussi des versions avec Ubuntu, donc j’en ai acheté. Je suis désolé, la première chose que j’ai faite ensuite c’est que j’ai installé Debian à la place et ces machines fonctionnent très bien, mes enfants les utilisent au quotidien. Un autre de mes serveurs est sur une autre distribution libre, dont on parlera peut-être tout à l’heure, qui est Trisquel.

En tout cas ceci était important, ça permet effectivement d’avoir l’ordinateur soit préinstallé avec un système libre, soit éventuellement nu. Est-ce que vous avez d’autre pistes de réponses là-dessus ?
Olivier Fraysse : Moi ? Absolument pas !
Frédéric Couchet : Jean-Christophe Monnard et après Nicolas.
Jean-Christophe Monnard : Juste un petit conseil : j’ai toujours été beaucoup plus satisfait d’aller chez des assembleurs ou des petits revendeurs, des artisans qu’on trouve dans les villages, dans les petites villes, qui vous donnent, qui vous fabriquent votre ordinateur — enfin ils ne fabriquent pas, mais ils assemblent ce qu’il faut —, plutôt que dans les grandes surfaces. Parce que là, de toute façon en plus, on aura beaucoup de mal à se faire rembourser Windows, parce que ça coûtera plus cher de se le faire rembourser si on veut le retirer, et on est souvent avec des machines qui sont très captives, très propriétaires.
Frédéric Couchet : Sur le site bons-vendeurs-ordinateurs.info vous trouvez des références de vendeurs en ligne et de vendeurs dans les différentes régions. Je citais Ecodair parce qu’ils sont en région parisienne, mais ils livrent et effectivement, sans doute, il y a des revendeurs dans la plupart des régions françaises qui permettent de récupérer des machines recyclées, voire des ordinateurs nus.
Par rapport aux licences Microsoft Widows, ce qu’on appelle la vente forcée, c’est un sujet qu’on abordera sans doute un jour. Malheureusement la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que ce n’était pas une pratique déloyale en toutes circonstances, alors qu’en fait c’en est une parce que, concrètement, on ne peut pas se faire rembourser ou se faire désinstaller Microsoft Windows alors qu’il existerait des solutions techniques. Tout à l’heure, quand on parlait du double amorçage, une solution technique serait simplement que les fabricants préinstallent plusieurs systèmes et lors de l’achat de l’ordinateur, avec un code d’activation qui serait par exemple payant pour Microsoft Windows ou à un coût raisonnable pour d’autres systèmes et qui permettrait d’activer tel ou tel système. C’était une petite parenthèse. Je crois, Nicolas, que tu voulais réagir sur ce point-là.
Nicolas Dandrimont : Non !
Frédéric Couchet : Alors compléter, vas-y.
Nicolas Dandrimont : Je pense à des fabricants, là c’est plus sur du matériel neuf, du coup, qui poussent des solutions libres. Je pense à Librem, par exemple, qui est un fabricant de matériel qui fait des ordinateurs portables et qui commence aussi à faire des téléphones qui tournent sur une distribution qui s’appelle PureOS et qui est une dérivée de Debian. PureOS emploie d’ailleurs un certain nombre de développeurs Debian pour faire leur travail dans Debian. Donc en plus d’avoir du logiciel libre, on a du matériel qui est un peu meilleur au niveau du respect de la vie privée de ses utilisateurs. Ils font ce qu’ils peuvent pour essayer d’avancer sur ces questions.
Olivier Fraysse : C’est peut-être un peu plus cher comme matériel, je crois.
Nicolas Dandrimont : Oui, ça a un coût.
Olivier Fraysse : La liberté a un coût !
Nicolas Dandrimont : Malheureusement oui. Ce ne sont pas des produits de masse encore aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Pour le moment !
Nicolas Dandrimont : Pour le moment. Il y a bon espoir pour que ça se généralise mais aujourd’hui ce sont effectivement des produits qui sont plutôt sur le haut de gamme au niveau prix.
Olivier Fraysse : Et leur téléphone Purism Librem 5 tournera donc sur PureOS, effectivement, mais pourra aussi faire tourner Ubuntu Touch. Je le précise parce qu’on présente souvent la version téléphone d’Ubuntu comme abandonnée, mais ce n’est pas totalement le cas grâce à la fondation qui s’est montée autour de ce projet, Ubuntu Touch.
Nicolas Dandrimont : It’s alive !
Olivier Fraysse : Yes.
Frédéric Couchet : On a parlé de Librem lors de notre sujet sur la téléphonie mobile libre, le téléphone mobile est annoncé pour avril-mai. Par rapport aux autres fabricants de téléphonie qui ont un système soit iOS pour Apple, soit Android, l’idée du Librem c’est de partir d’une distribution, on va dire générique, la distribution mère de toutes les distributions c’est-à-dire Debian, de l’adapter et d’en faire PureOS, ce qui permettra aussi de régler pas mal de problèmes techniques liés en fait à Android, pas mal de problèmes de vie privée aussi. Je vous invite à réécouter le podcast qui est disponible sur le site de l’April.
Je vois que le temps avance, je voudrais revenir sur un petit sujet qui me paraît souvent être une différence entre les distributions. Je vais solliciter Charlotte sur cette question-là mais aussi, évidemment, les autres personnes. Tout à l’heure Nicolas et Jean-Christophe disaient qu’une des premières étapes c’était d’installer des logiciels libres sur son environnement privateur parce qu’ensuite on les retrouve sur son environnement libre. On retrouve VLC, Firefox, LibreOffice. Par contre, un des gros changements, c’est l’environnement de bureau. Tout à l’heure c’était Olivier Fraysse qui parlait de KDE qui est environnement de bureau, Gnome qui est un autre environnement de bureau, moi j’ai un autre environnement de bureau. Ça me paraît être un changement vraiment important pour les personnes qui débarquent d’un environnement différent, Windows ou Mac OS. De ton expérience, Charlotte, est-ce que c’est un point bloquant ? Comment vous expliquez ça ? Est-ce que vous orientez les personnes vers tel ou tel bureau ?
Charlotte Boulanger : C’est vrai que souvent quand on dit aux gens : « On vous a installé Ubuntu et là on vous fait un atelier Gnome, Gnome qui est l’environnement de bureau », il y a un peu une incompréhension de temps en temps sur « attendez ! c’est quoi Gnome, c’est quoi Ubuntu, tout ça ? » Et là on doit expliquer que Ubuntu vous pouvez l’avoir avec un environnement de bureau. Donc là les touches sont comme ça et tout et là c’est en bas à gauche pour aller ouvrir tel menu alors que l’autre c’est en haut à droite, etc. Ce sont des petits changements pour un libriste, quelqu’un qui va voir plutôt les grosses différences entre les distributions, mais pour quelqu’un, par exemple une personne âgée qui a déjà du mal, je ne sais pas, à changer son fond d’écran, je dis ça parce que j’en connais, c’est assez important.

Moi, de mon expérience, quand quelqu’un veut installer Ubuntu et c’est sa première utilisation, je lui conseille d’utiliser ce qui est par défaut dans la dernière version. En ce moment c’est Gnome par exemple. Pourquoi ? Parce que tout simplement, à la moindre difficulté, les tutoriels les plus récents que la personne va voir seront souvent avec cet environnement de bureau-là. Après, s’il y en a qui me disent : « Moi je fais du montage vidéo, je fais du graphisme, quel environnement me conviendrait le plus ? » Et là, si la personne est à l’aise, je n’hésite pas à la rediriger vers Kubuntu.
Olivier Fraysse : Ubuntu Studio.
Charlotte Boulanger : Ubuntu Studio, que moi je n’aime pas personnellement.
Frédéric Couchet : Merci Charlotte. Jean-Christophe, est-ce que tu veux ajouter quelque chose sur cet aspect bureau, environnement de bureau ?
Jean-Christophe Monnard : Il y a effectivement un phénomène que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître c’est qu’autrefois il y avait DOS ; on tapait « win » et il y avait Windows 3.1 qui apparaissait. Pour ces générations-là, parfois, on peut montrer qu’il y a plusieurs gestionnaires de fenêtres, plusieurs windows pour Linux tandis que Windows n’en a qu’un seul. La liberté fait parfois un petit peu peur.

Au début, pour moi, ça dépend vraiment beaucoup de la puissance de l’ordinateur. Quand c’est vraiment une machine ancienne, peu puissante, IceWM, par exemple, je ne sais pas si je le prononce bien, il y a des environnements de bureau qui sont très légers, XFCE est quand même aussi assez léger.

C’est vrai que souvent, par défaut, sur Mageia nous mettons en place KDE. En général là les gens s’adaptent assez rapidement parce que ça ressemble un petit peu à Windows. Il y a un bouton en bas à gauche ; ça marche assez bien. Mais effectivement, c’est une question parfois pour les gens. Au bout d’un certain temps, ceux qui vont essayer plusieurs environnements de bureau verront que certains sont plus pour les artistes de l’informatique ou plus faciles à utiliser.

Il me semblait à propos d’Ubuntu, la version pour la vidéo, que la différence était surtout le noyau qui permettait du traitement en temps réel beaucoup plus que l’interface graphique.
Olivier Fraysse : Oui, en effet. Mais il y a aussi un changement d’interface graphique de ce dont je me souviens de Ubuntu Studio, mais j’avoue que je n’ai pas testé récemment. Il me semble que c’est sous KDE, Ubuntu Studio.
Charlotte Boulanger : Moi j’avais essayé.
Olivier Fraysse : Effectivement il y a le noyau real time.
Charlotte Boulanger : Au temps pour moi.
Olivier Fraysse : Tu avais essayé Ubuntu Studio, Charlotte ?
Charlotte Boulanger : Non Kubuntu il me semble. En fait, c’était encore quelque chose d’autre.
Olivier Fraysse : Kdenlive.
Charlotte Boulanger : Peut-être.
Olivier Fraysse : Qui est le logiciel de montage.
Frédéric Couchet : De montage vidéo.

Le temps passe vite, il va nous rester à peu près cinq minutes sur ce sujet. Avant de faire un tour de table final j’ai une question. On a parlé de distributions libres, mais, en fait, il n’y a pas forcément que des logiciels libres installés sur les distributions. Est-ce qu’on pourrait faire un petit point sur cette séparation entre les logiciels libres et non libres sur les distributions ? Aussi par rapport aux critères de la Fondation pour le logiciel libre qui a émis un certain nombre de critères pour dire que telle distribution n’installe que du logiciel libre, en allant jusqu’au BIOS, c’est-à-dire le petit bout de programme qui s’exécute au démarrage de l’ordinateur avant même le système d’exploitation. Quelle est votre politique par rapport à cette information des personnes qui les utilisent au niveau de la séparation logiciel libre-logiciel privateur ? Je vais commencer peut-être par Ubuntu. Vas-y.
Olivier Fraysse : Moi je pense que c’est très bien qu’on puisse installer une distribution GNU/Linux comme Debian sans la moindre trace de logiciel privateur, sans le moindre driver pollué.
Frédéric Couchet : Pilote de périphérique.
Olivier Fraysse : Pardon, sans le moindre pilote pas libre. C’est nécessaire que ça existe. Après, je pense que si on veut diffuser des solutions libres au plus grand monde il faut accepter des compromis comme le fait Ubuntu avec des drivers Wifi, notamment, qui ne sont pas libres sur la version d’installation. En fait, quand tu installes Ubuntu, il te permet de te connecter à ton Wifi avec des pilotes pas libres pour pouvoir faire l’installation correctement. Mais surtout, après, il t’informe et une fois que tu as installé il te dit : « Tu veux des drivers ou tu ne veux pas Internet ? »
Frédéric Couchet : D’accord.
Olivier Fraysse : Voilà. Ça me semble super nécessaire de faire ce genre de compromis. Après j’ai une question pour toi : est-ce qu’on va parler des distributions payantes qui sont libres mais payantes, comme Red Hat ?
Frédéric Couchet : Non, parce que là on s’adresse aux distributions directement accessibles pour le grand public. On fera un deuxième sujet, de toute façon, sur ces distributions, on abordera d’autres sujets dont les distributions pour entreprises, etc.
Olivier Fraysse : Avant de passer la parole à Nico, justement, il me semble que Debian aussi a touché à des pilotes pas libres, il fut un temps, mais ce n’est peut-être plus le cas.
Frédéric Couchet : Nicolas Dandrimont pour Debian et après Jean-Christophe.
Nicolas Dandrimont : Effectivement, si on fait une installation par défaut de Debian aujourd’hui on a 100 % de logiciel libre. Il y a beaucoup de travail qui a été fait notamment au niveau du noyau Linux pour séparer la partie noyau logiciel et tous les petits micros logiciels qu’on va mettre dans divers périphériques pour qu’ils puissent fonctionner, qui sont, eux, justement, pas forcément libres. Ce travail-là a été pas mal poussé par Debian.

On a la possibilité, par contre, d’ajouter effectivement les pilotes de périphériques et les micros logiciels qui sont nécessaires pour le fonctionnement du matériel qui sont, du coup, des logiciels qui ne sont pas libres. On ne met pas trop ça en avant sur nos pages web, sur notre documentation. Par contre ce sont des choses qui sont vraiment disponibles publiquement et qui sont assez proches. En fait, ils sont dans la même archive que les logiciels libres et c’est d’ailleurs le reproche qui nous est fait pas la Free Software Foundation.
Frédéric Couchet : La Fondation pour le logiciel libre.
Nicolas Dandrimont : C’est que la partie non libre de Debian n’est pas assez bien séparée de la partie libre. C’est un peu la position orthodoxe de la FSF là-dessus.
Frédéric Couchet : Jean-Christophe Monnard pour Mageia. Quelle est la politique de Mageia par rapport à cette séparation logiciel libre ou cette information ?
Jean-Christophe Monnard : Fondamentalement, tous ces paquets de logiciels sont séparés sur différentes étagères, pour prendre un terme commun. Il y a des étagères pour les logiciels libres, des étagères pour les logiciels qui ne sont pas libres et là on prévient au moment de l’installation. C’est vrai qu’au début j’étais très puriste, je ne les mettais pas, mais pour le plus grand public j’ai vite compris qu’effectivement on peut les mettre comme étape intermédiaire. Je ne les mets pas pour moi.

Il y a aussi, on va dire, une étagère pour les logiciels qui sont gratuits ou libres mais qui posent des problèmes dans certains pays. Parce que là aussi les problèmes de brevet logiciel, par exemple, font que certains logiciels sont utilisables dans certains pays et pas dans d’autres. Donc on a des miroirs qui, en fait, sont des espèces d’étagères ou tiroirs où on range tous ces paquets de logiciels et, à l’installation, il y a un avertissement : « Est-ce que vous voulez installer aussi des logiciels non libres ? », mais c’est vrai que c’est un peu discret et c’est surtout pour des utilisateurs avertis. C’est vrai que quelqu’un du grand public va faire OK, OK, il les aura. On sait bien que pour les débutants c’est nécessaire.
Frédéric Couchet : D’accord. Cette partie va se terminer. Je vais vous laisser chacun et chacune une minute si vous avez quelque chose à ajouter. Jean-Christophe, puisque tu avais la parole, est-ce que tu souhaites ajouter quelque chose sur ces distributions GNU/Linux ?
Jean-Christophe Monnard : Je trouve excellent qu’il y ait beaucoup de distributions GNU/Linux. On n’a pas peur d’aborder des sujets qui fâchent. Quand le fondateur d’Ubuntu a dit publiquement qu’il voulait qu’on remplace Linux par Ubuntu c’est vrai que ça m’a beaucoup énervé et c’est pour ça aussi que je n’utilise pas Ubuntu même si c’est une distribution qui est techniquement tout à fait au point. Effectivement sa facilité d’utilisation est très bonne.

Utiliser des logiciels libres, eh bien c’est participer à un monde de liberté et d’entraide et c’est ça le plus important. Et, comment dire, Mageia est une distribution communautaire, associative, qui, quelque part, procède de la liberté du côté non marchand de Debian, mais aussi avec une facilité d’utilisation très grand public que j’apprécie tous les jours.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe, Olivier pareil, Oliver Fraysse en moins d’une minute.
Olivier Fraysse : Je ne me souviens pas de cette parole de Mark Shuttleworth sur Linux qui devrait être remplacé par Ubuntu, mais je ferai des recherches. Apparemment Nico non plus ne s’en souvient pas.
Charlotte Boulanger : Shuttleworth qui est le fondateur de Canonical.
Olivier Fraysse : Le fondateur de Canonical qui sponsorise Ubuntu, qui est donc le créateur d’Ubuntu, en fait. Je n’ai pas grand-chose à ajouter si ce n’est que : n’hésitez pas à tester. J’invite toutes les personnes qui souhaitent avoir un peu plus de liberté sur leur ordinateur, avoir moins de virus voire pas de virus du tout — c’est un débat qu’on peut avoir — à essayer ne serait-ce que Ubuntu ou Debian ou Fedora ou Mageia ou autre, mais il faut tester.
Frédéric Couchet : Nicolas Dandrimont pour Debian.
Nicolas Dandrimont : Je pense qu’effectivement les tester c’est les adopter. Et surtout, surtout, surtout, rapprochez-vous des structures locales, de vos groupes d’utilisateurs de logiciels libres locaux, que ce soit à Paris, Parinux, ou en région, ou ailleurs dans le monde, parce que le point clef du logiciel libre c’est la communauté. Que ce soit les distributions ou le reste de la communauté du logiciel libre, ce sont vraiment les gens qui constituent ça qui sont la clef.
Frédéric Couchet : Et vous trouvez l’annuaire de ces groupes d’utilisateurs sur le site de l’Agenda du Libre. Charlotte Boulanger, pour conclure également.
Charlotte Boulanger : Un petit mot si jamais vous êtes séduit par l’orthodoxie, c’est ça qu’on a dit ?, de la Free Software Foundation, la Fondation pour le logiciel libre, ils ont une page qui liste les distributions agréées par la Free Software Foundation. Donc vous pouvez aller faire un tour et en essayer une si vous avez un cœur de libriste pur. Aucune de nos distributions dont on a parlé n’est présente sur cette page-là.
Frédéric Couchet : Comme l’émission est très bien préparée cette page de références est déjà sur le site de l’April.
Charlotte Boulanger : C’est génial !
Frédéric Couchet : Il y a deux pages en fait : il y a la page qui liste les distributions reconnues comme 100 % logiciel libre par la Fondation pour le logiciel libre dont la principale est sans doute la distribution qui s’appelle Trisquel. Ça me fait penser qu’il y a une société qui s’appelle Minifree qui, je crois, est basée en Angleterre, qui vend des laptops, des ordinateurs portables préinstallés avec Trisquel.

Et la deuxième page qui est citée c’est pourquoi certaines distributions ne sont pas référencées comme distributions 100 % logiciel libre par la Fondation pour le logiciel libre. Donc vous verrez pourquoi Debian, mais tout à l’heure Nicolas Dandrimont l’a expliqué : c’est la séparation effectivement du paquet libre et non libre.

Évidemment il y a beaucoup d’autres distributions dont on aurait pu parler. Il y aussi d’autres familles de systèmes d’exploitation notamment nos amis de BSD : NetBSD, FreeBSD, OpenBSD.

C’était une première introduction sur les distributions GNU/Linux.
Petite pause musicale, elle est vraiment courte, c’est Under the sky of Jah, l’album c’est Exorciste de style par notre ami Rico da Halvarez.
Voix off : Toutes nos émissions en libre écoute cause-commune.fm.
Pause musicale : Under the sky of Jah par Rico da Halvarez.
Voix off : Cause commune, cause-commune.fm.
Frédéric Couchet : Vous êtes de retour sur l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm.
Maintenant nous allons faire une deuxième chronique et ce sera la première chronique de cette personne, en l’occurence de Véronique Bonnet qui est professeur de philosophie, qui est également membre du conseil d’administration de l’April. La chronique nous l’avons enregistrée il y a quelques jours et pour cette première chronique Véronique Bonnet va nous commenter deux citations de Richard Stallman. La chronique va durer 14 ou 15 minutes et on se retrouve juste après.

Chronique « Partager est bon »

Frédéric Couchet : Eh bien aujourd’hui je suis avec Véronique Bonnet, pour sa première chronique intitulée « Partager est bon ». Première question : Véronique, peux-tu te présenter ?
Véronique Bonnet : Oui. Je suis initialement professeur de philosophie. La philosophie est mon approche qui est un peu particulière de la philosophie GNU. Ça n’est pas pour rien que Richard Stallman parle de philosophie GNU puisqu’il dit d’entrée que son projet est idéaliste, que c’est un idéalisme pragmatique et tel va être l’objet de ma chronique d’aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Par ailleurs tu es aussi vice-présidente de l’April, tu as de multiples activités sans aucun doute. Comme tu viens de le dire, ta chronique d’aujourd’hui qui est la première, le sujet est « Idéalisme pragmatique » et tu enchaîneras sur « Pourquoi le logiciel doit être libre », justement. Je te passe la parole pour commencer cette chronique.
Véronique Bonnet : « Idéalisme pragmatique ». Peut-être est-il besoin de rappeler que par principe il y a un moment où Richard Stallman, que ce soit à cause d’une impossibilité de réparer une imprimante, que ce soit à cause de la vente par le MIT du travail qui est fait par tout un labo, à Symbolics, décide, il décide à ce moment-là, par principe, d’arrêter de se situer dans la logique d’un logiciel propriétaire. Il le dit, je cite : « Idéalisme pragmatique c’est un but idéaliste qui motive mon travail pour le logiciel libre, propager la liberté et la coopération. »

Donc il me semble tout à fait important de commencer ces chroniques par ce petit texte-là, parce qu’on pourrait penser que logiciel libre c’est seulement une affaire d’écriture de code, or ça va bien au-delà. Voilà ce qu’écrit Richard Stallman : « Je veux encourager la définition des logiciels libres et le remplacement des logiciels privateurs qui interdisent la coopération et rendre ainsi notre société meilleure ». Autrement dit ça n’est pas une affaire de pure technicité qui tiendrait avec une forme affective à ce qui a été réalisé, ça n’est pas une affaire simplement de cohérence de terminer ce qu’on a commencé, l’idée est morale, « idéalisme », c’est-à-dire qu’on essaie de se représenter ce que serait une société fraternelle, ce que serait une société dans laquelle il y aurait en effet une diffusion et ce terme d’ « idéalisme pragmatique » dit à la fois que bien sûr on ne transigera pas sur les principes, mais qu’en même temps il faut se donner les moyens. Et c’est vrai que l’appel aux hackeurs qui est fait dans le projet GNU essaie d’avancer en matière d’écriture du code avec, toujours à la clef, une intransigeance extrêmement forte parce que le logiciel doit être libre. Et très vite il y a de la part de Richard Stallman l’écriture argumentée de pourquoi le logiciel doit être libre.

Simplement sur « idéalisme pragmatique », j’ajouterais qu’il y a bien dans l’idéal du free software quelque chose qui relève du sens moral. Il parle assez souvent du sens moral du programmeur. De deux choses l’une : soit le programmeur veut simplement être riche, soit le programmeur veut, d’une façon affective, développer sa chose, son code en le gardant pour lui, soit il y a quelque chose qui va au-delà et qui s’appelle la fraternité.
Frédéric Couchet : Ce texte dont tu parles, « idéalisme pragmatique », on le trouve sur le site du projet GNU, gnu.org ; la référence sera aussi sur le site de l’April dans la page consacrée à l’émission. Ce texte date d’une vingtaine d’années, de mémoire, je pense.
Véronique Bonnet : Oui. Il date du début, parce que dès le début du projet GNU, il y a cette teneur d’intransigeance idéaliste qui, bien sûr, va déboucher sur la tentative ; alors au début il essaie de maintenir Lisp indépendamment de cette session à Symbolics, ensuite il s’aperçoit qu’il ne pourra pas le faire et c’est là qu’il fédère des programmeurs ayant comme lui un sens moral, c’est-à-dire partageant cette visée d’une société qui sera meilleure.
Frédéric Couchet : Le projet GNU est donc un projet fondateur pour le mouvement du logiciel libre lancé par Richard Stallman. Lisp, Symbolics, les détails seront retrouvés sur le site de gnu.org, dans l’article « Idéalisme pragmatique ».
Véronique Bonnet : « Idéalisme pragmatique », oui.
Frédéric Couchet : C’est un texte fondateur parmi des textes importants. Ça me permet de préciser que le site de gnu.org est traduit en français principalement par le groupe de travail Traduction de la philosophie GNU de l’April, ce qui permet de mettre à disposition ces textes en français.

Cet idéalisme pragmatique implique, comme tu l’as dit tout à l’heure, que le logiciel doit être libre. Est-ce que tu peux détailler cette partie s’il te plaît ?
Véronique Bonnet : Il y a bien dans le texte intitulé ainsi et dont les références seront également sur le site de l’April, l’idée que si dans notre vie quotidienne, pour préparer un repas pour ses amis, on avait à se plier à des licences qui imposeraient de se référer à telle manière de procéder de tel cuisinier — on ne pourrait déroger à la recette, on ne pourrait pas ôter du sel, en ajouter —, vous avez d’une façon très pragmatique l’idée que les mathématiques ne sont pas, elles, sous copyright. Il n’y a aucune raison que l’informatique se trouve sous copyright, que la cuisine se trouve sous copyright. Souvent il y a deux arguments en faveur du logiciel propriétaire : l’argument affectif, l’argument économique qui bloquent complètement les choses sans qu’on voie à quel point ceci verrouille la société et notamment porte atteinte à la liberté, à l’égalité et à la fraternité des humains.

Donc dès le tout début de ce texte qui s’appelle « Pourquoi le logiciel doit être libre », vous avez à imaginer ce que ce serait si les recettes de cuisine étaient logées à la même enseigne que les logiciels : comment modifier cette recette ? Et là, si on ne peut pas le faire, si on ne peut pas ôter le sel, il va y avoir des procédures infinies pour joindre l’auteur de ce qui est sous copyright, il n’aura pas le temps de modifier. Par des formes très prosaïques et très quotidiennes, et là je crois que c’est la marque du discours de Richard Stallman, on arrive à voir l’absurdité de ce que serait une société totalement partitionnée par des contraintes qui empêcheraient donc de propager, de diffuser dans une fraternité, une inventivité qui, dans le registre humain, relève de la rencontre de plusieurs.
Frédéric Couchet : Tu parles de fraternité. Ça me permet de rappeler qu’en France, quand Richard Stallman fait une conférence, il commence très souvent par l’expression : « Je peux définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité » et, de temps en temps, il rajoute un commentaire par rapport au pouvoir politique présent en France qui n’est pas dans cet état d’esprit-là, quels que soient les pouvoirs politiques. En tout cas liberté, égalité fraternité.
Véronique Bonnet : Sur la liberté, il ne s’agit pas du tout d’une liberté telle que l’entendrait par exemple même ce qu’on appelle le mouvement open source, avec l’idée que s’il y a beaucoup d’utilisateurs, si on permet l’accès au code source, il y aura beaucoup de rapports de bugs et donc ça marchera mieux, ça permettra de trouver des solutions pour réparer les bugs, donc il y aura une grande puissance du programme. Il s’agit d’une liberté aussi bien ce qui m’oblige moi, c’est-à-dire une autonomie, quand je fais quelque chose j’y réfléchis à deux fois avant de voir si, par là, la société va se trouver dégradée, améliorée ; ça m’engage dans mon rapport aux autres, dans mon rapport au monde et donc il me semble qu’il est très important de bien regarder, j’en reviens à cet article « Pourquoi le logiciel doit être libre », les arguments qui font que très souvent, quand on écrit du code, on ne pense pas immédiatement aux effets sur la société.

Qu’est-ce qui se passe par exemple, là je cite Richard Stallman, lorsqu’on écrit du code propriétaire, lorsqu’on réalise un logiciel propriétaire, qu’on verrouille son usage ? Ça ressemble à, cette chose-là, l’argument affectif ressemble à ceci : « J’ai mis ma sueur, mon cœur, mon âme dans ce programme, il vient de moi, c’est le mien ! » Autrement dit liberté, ça n’est pas simplement je ne suis pas contraint à quelque chose, je fais en sorte de réaliser ce qui est mien et je me moque du reste. Il me semble que la liberté c’est ce à quoi je m’engage lorsque humain parmi les humains, effectivement je mets de ma sueur, de mon cœur et de mon âme dans quelque chose, est-ce que c’est pour le garder pour moi ? Est-ce que c’est misère affective autocentrée simplement pour empêcher que les autres l’utilisent ?
Il y a un autre argument dans « Pourquoi le logiciel doit être libre », c’est l’argument économique. C’est : je veux devenir riche et si vous ne me permettez pas de devenir riche en programmant, eh bien je ne programmerai pas. Là on est dans une liberté qui ferait également contresens, ça serait celle du libéralisme, c’est-à-dire absence d’entrave, c’est-à-dire produisez, enrichissez-vous, gardez pour vous ce que vous avez produit et que le reste du monde s’écroule ou soit privé de ce que vous faites. Il me semble que dans la philosophie GNU est affirmée une forme de prima de l’humain dans toutes ses dimensions — et c’est vrai que l’humain est peu de choses seul —, donc il me semble que ce à quoi tu faisais référence, Frédéric, c’est-à-dire liberté, égalité, fraternité, essaie de penser l’humain parmi les humains. Et ça me paraît, comme dans ma pratique philosophique, quelque chose de très essentiel.
Frédéric Couchet : En tout cas je trouve que c’est très clair et très intéressant. Est-ce que tu veux ajouter un mot de conclusion ?
Véronique Bonnet : Le mot de conclusion que je dirais c’est que le terme de philosophie GNU peut paraître intimidant, peut paraître abstrait, mais moi chaque fois que je regarde — d’où cette émission qui s’appelle « Partager est bon » ; « Partager est bon » est une phrase que dit assez souvent Richard Stallman —, moi ce qui m’intéresse dans la philosophie GNU c’est de rencontrer beaucoup de situations du quotidien, beaucoup d’analogies avec utiliser une chaise, pourquoi est-ce que n’est pas pareil d’utiliser un logiciel qu’utiliser une chaise, de manger un sandwich, quelle réécriture ça permet, quelle diffusion ça permet, il me semble que la philosophie GNU c’est aussi une philosophie du quotidien.
Frédéric Couchet : Ça me parait être une très bonne conclusion. Si je me souviens bien, quand Richard explique que « partager c’est bon », il ajoute assez souvent que « attaquer le partage c’est attaquer la société ».

En tout cas merci Véronique Bonnet, professeur de philosophie, vice-présidente de l’April, pour cette première chronique intitulée « Partager est bon » et on se retrouve bientôt. Merci Véronique.
Véronique Bonnet : À bientôt.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.