Les associations du Libre, un combat quotidien -OWF 2014

Titre
 : Les associations du Libre, un combat quotidien.
Intervenants
 : Thierry Noisette, François Élie, Jeanne Tadeusz, Tangui Morlier, Pierre-Yves Gosset, Laurent Seguin, Tristan Nitot, Nicolas Vérité.
Lieu
 : Open World Forum 2014
Date
 : Octobre 2014
Durée
 : 34 min 36

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Transcription

Présentateur
 : Pour conclure cette journée d’interventions et avant la ’’Student Demo Cup’’ de tout à l’heure, j’invite à me rejoindre sur scène Thierry Noisette qui va animer cette table ronde. J’invite également à me rejoindre sur scène Patrice Bertrand, Tristan Nitot, Pierre-Yves Gosset, Jeanne Tadeusz, François Élie, Laurent Seguin et Nicolas Vérité. Ça fait du monde.
Thierry Noisette
 : Bonsoir. Merci pour ceux qui sont encore là après cette longue journée. On va parler non plus business, non plus technologie, mais aussi le monde du Libre ça n’est pas que ses aspects d’affaires ou ses affaires de technique, c’est aussi une question d’engagement, une question de militantisme, il faut bien dire, avec certaines associations. Et ce soir nous avons, je crois, on peut dire, la crème de la crème des associations libristes françaises qui vont nous parler de leurs actions, de leur vision, de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire, chacun dans leur domaine d’action spécifique. Alors, comme on est extrêmement nombreux, comme vous pouvez le voir, pour un temps en théorie très court, trente à quarante minutes, on va avoir d’abord quatre interventions de cinq minutes, à peu près chacun maximum, s’il vous plaît, et ensuite on sera dans un question-réponses. Je ne suis pas sûr, excusez-moi mais s’il est possible d’avoir un peu moins de lumière sur la scène parce qu’on ne voit absolument pas la salle, s’il est possible, peut-être, d’avoir quelques questions de la salle et sinon, entre nous, je pense qu’on aura matière à discuter, sachant qu’on doit rendre l’antenne dans, je vais dire, environ quarante minutes. C’est extrêmement court. On va commencer par parler collectivités territoriales et administrations avec François Élie pour l’Adullact.
François Élie
 : Bonjour à tous. Je vais présenter l’Adullact en deux mots : c’est l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales. Il a été question tout à l’heure de la circulaire Ayrault de septembre 2012, nous, la circulaire nous mentionne comme mutualisant pour les collectivités depuis, eh bien simplement dix ans. Ça fait dix ans qu’on dit qu’il ne faut pas simplement utiliser le Logiciel Libre, mais le développer, et le développer sur fonds publics, sur les segments métiers pour épargner l’argent public qui ne doit payer qu’une fois. Et ça tombe bien le Logiciel Libre, une fois qu’il a été payé, il est gratuit, enfin, du moins on n’a plus qu’à payer le service. Alors cette idée de développer, on l’a mise en œuvre pour les collectivités de manière relativement discrète. Les choses avancent bien. Je trouve qu’on a de beaux jours devant nous puisque quand on est pauvre on devient intelligent et, apparemment, on devient de plus en plus intelligent. Deuxième chose à dire, simplement pour se projeter, quel écosystème me semble le plus vertueux ? Je rêve d’un monde où les clients, avant de réfléchir à leurs besoins, réfléchissent en se demandant « qui a les mêmes besoins que moi pour mutualiser et se coaliser ? », pour faire le club utilisateurs avant que la solution n’existe. Et je rêve d’un monde où les faiseurs, où les producteurs, où les intégrateurs, soient moins frileux devant la concurrence et soient un peu moins propriétaires de leur Libre. Et, pour terminer parce qu’il faut faire très court, j’ai deux inquiétudes : dans ce monde il y a beaucoup trop de travail non payé. Il y a des gens qui sont des contributeurs et la rétribution ne va pas toujours aux contributeurs, suivez mon regard. Il y a une lutte entre Open Source et Logiciel Libre, ça recouvre un petit peu ce genre de choses. Et puis la deuxième inquiétude, elle est sur le modèle économique. Le code produit beaucoup de service, le service produit très très peu de code. Merci.

Applaudissements
Thierry Noisette : Merci François, c’est magnifique, cinq minutes sont devenues deux. Je crois qu’on va tenir cette table ronde. Quand on dit associatif et on dit militantisme, on pense forcément à l’association qui peut-être est la plus politique, me semble t-il, d’entre vous toutes, militante de longue date, à savoir l’April et, illustration de la diversité dans le Libre, l’unique femme et on a failli ne pas en avoir du tout. Donc merci Jeanne Tadeusz de prendre la parole pour l’April et de nous exposer quelle est la vision de l’April et ses récents grands chantiers.
Jeanne Tadeusz : Merci. Je vais rester aussi dans le très court autant que possible. On dit quatre minutes donc c’est parfait. Alors qu’est-ce qu’on a appris ces derniers temps ? On a eu notamment les révélations Snowden, on a eu un certain nombre de scandales qui nous ont mis en évidence l’importance de reprendre en main et de reprendre le contrôle, ce qui est d’ailleurs le thème de cet Open World Forum, reprendre le contrôle sur son informatique. Reprendre le contrôle c’est, tout d’abord, savoir quels sont les logiciels qu’on utilise, savoir ce que font les logiciels qu’on utilise. Donc c’est utiliser du Logiciel Libre, utiliser en priorité du Logiciel Libre. C’est quelque chose qui est valide tant pour les administrations, pour le politique, que pour les citoyens. Pour les politiques, pour les administrations, donner la priorité au Logiciel Libre, c’est ce qu’ils ont fini par faire après de nombreuses batailles législatives, au moins pour l’enseignement supérieur et la recherche en 2013, quand ils ont choisi, dans la loi, de donner la priorité au Logiciel Libre pour le service public de l’enseignement supérieur. Donc là on voit des progrès, effectivement, qui sont réjouissants, qui ont été finalement une victoire après des combats qu’on mène, nous, depuis dix-huit ans maintenant ; donc un premier début, maintenant on n’est encore que sur l’enseignement supérieur et la recherche. Le travail ça va être, aujourd’hui, de donner la priorité au Logiciel libre dans toutes les administrations partout en politique. On voit que c’est possible. On voit que pour la gendarmerie ça fonctionne, pourquoi pas pour les autres ? Mais aussi donner la priorité au Logiciel Libre c’est quelque chose qui nous implique tous en tant que citoyens, en tant qu’individus, et donner la priorité au Logiciel Libre dans nos choix techniques personnels, pour maintenir la propriété de ses données, maintenir la propriété de sa propre informatique. Ça passe par des actions notamment de sensibilisation, ce qu’on cherche à faire par exemple en éditant des guides comme le catalogue du Libre ou le Guide Libre Association. En tout cas, le combat continue, il progresse. C’est sûr qu’on a vu des évolutions là-dessus, mais aujourd’hui il reste crucial de prendre déjà tous conscience de l’importance de donner la priorité au Logiciel Libre dans tous nos choix techniques, et aussi de le faire donc à la fois au niveau individuel et collectif.
Applaudissements
Thierry Noisette : Merci. Je pense aussi. En fait, on s’est tous parlé un peu avant cette table ronde et je pense que j’ai tellement insisté sur les cinq minutes chacun que je vous ai tous traumatisés. Je vois que vous êtes tous à du deux, trois minutes, c’est formidable. On parlait de rapport avec les politiques et de pression. Parfois cette pression peut passer sur les politiques en tant que tels, et on a beaucoup parlé, depuis notamment l’affaire Cahuzac, de transparence des hommes politiques, enfin des personnages politiques, puisqu’il y a aussi quelques femmes. C’est parfois un peu à contrecœur qu’ils acceptent d’ouvrir leurs données. Quand on parle d’open data c’est parfois sous forme de documents relativement inexploitables et c’est là qu’intervient une association comme Regards Citoyens. Tangui Morlier qui, par ailleurs, est un ancien de l’April, donc on reste dans ce petit monde du Libre mais avec différentes facettes, un même combat : Regards Citoyens, quelles actions et quels objectifs pour les prochains mois ?
Tangui Morlier : Alors, oui effectivement, j’ai été très investi à l’April et il me semble que quand on s’investit dans le Logiciel Libre on a une valeur en commun. C’est d’ailleurs ce que dit Stallman, il reprend les valeurs de la République et on a la démocratie comme une valeur importante. Donc, assez naturellement, on s’est penché sur le fonctionnement démocratique et particulièrement le Parlement, donc on a créé nosdéputés.fr. Et on s’est aperçu que la démocratie, si elle fonctionnait très bien avec du papier, on a le Journal Officiel tous les jours, on peut accéder au code de lois, etc., à l’heure du numérique, il y avait quelques petits freins. Il y avait des freins qu’en tant que libristes, on utilise des outils comme Git qui nous permettent très facilement de savoir qui est à l’origine d’un bug. Lorsqu’on a un bug dans un projet de loi, eh bien on a beaucoup de difficultés à savoir qui en est à l’origine.
Donc on a créé un certain nombre d’outils, je parlais de nosdéputés.fr. On a la même chose pour les sénateurs. On a récemment créé un site qui s’appelle « la Fabrique de la Loi » qui essaye de mieux vulgariser le processus parlementaire. Et on s’est amusé à faire un petit rêve personnel qui est de mettre les projets de loi dans Git pour essayer de savoir quel parlementaire est à l’origine de telle disposition, et donc de mieux comprendre comment la loi est construite, et donc c’est le projet ’’Git Law’’ qu’on a rendu public au printemps dernier. Il se trouve qu’avec cette expertise et du numérique et de notre capacité à traiter de l’information et créer des outils qui soient utiles pour tous les citoyens et pas seulement pour le geeks comme nous, eh bien on nous a demandé notre avis. Et on nous a demandé effectivement notre avis sur le projet de loi Cahuzac. On a commencé à faire du lobbying et on assume totalement le fait de faire du lobbying parce qu’on ne peut pas interdire le lobbying. Donc, pour contrer le lobbying des GAFAM que, par exemple Framasoft essaye d’amoindrir, eh bien il faut que plus de citoyens fassent du lobbying et plus de citoyens utilisent des outils pour parler à leurs représentants.
Donc voilà, on a suivi le projet de loi Cahuzac et on a réussi, de haute lutte, à obtenir l’open data sur les déclarations d’intérêt, ce qui nous semblait extrêmement important pour pouvoir juger de la pertinence des prises de position de nos élus. Il se trouve que ça été compliqué de convaincre les parlementaires, on y a réussi. Il y a eu une petite bagarre interne, parce que la CNIL n’était pas très fan de l’open data, donc elle avait essayé de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement qui a, heureusement, gardé le cap. Et il se trouve que pour des raisons techniques, effectivement, comme ce sont des documents juridiques, il fallait qu’il y ait la signature du parlementaire, et donc ils ont libéré ces données, sous la forme, malheureusement, pas de données mais de documents, des PDF, écrits de manière manuscrite, et donc en gros, eh bien c’était totalement inexploitable et on ne pouvait pas vraiment faire d’analyse sur combien gagnent, en plus de leur rémunération de parlementaire, les parlementaires, etc. Donc on a fait une application de crowdsourcing, qui est un logiciel Libre, où on a appelé les citoyens à numériser ces informations pour nous aider à mettre en application ce que voulait le législateur, c’est-à-dire avoir de l’open data sur ces déclarations d’intérêt. Et grâce à huit mille personnes on a réussi à atteindre cet objectif-là. Donc voilà une des petites expériences. Il se trouve que, grâce à Mozilla, la semaine prochaine, on fête chez eux nos cinq ans pour remercier toutes ces personnes qui nous ont aidé durant nos cinq ans.

Thierry Noisette
 : Si j’ai bonne mémoire, en plus, cette opération de crowdsourcing a été menée à une vitesse extraordinaire !
Tangui Morlier
 : En moins d’une semaine, effectivement, on a réussi à récupérer 90 %, et puis après, eh bien, il a fallu faire appel à des pharmaciens, des graphologues, pour essayer de bien décrypter les quelques déclarations d’intérêt qui étaient vraiment très compliquées.
Thierry Noisette
 : C’était une grande opération de graphologie. Il faut reconnaître que certains députés ou sénateurs…
Tangui Morlier
 : Non. Alors étonnamment, il se trouve qu’on été contacté. Sans doute la première réutilisation, en plus des réutilisations médiatiques que vous avez pu voir sur Médiapart ou sur Le Monde, ça va être par un projet de recherche qui essaye de faire de l’OCR sur des documents calligraphiés, et il se trouve que comme là il y avait mille écritures différentes de parlementaires, ils vont réutiliser les données qui ont été numérisées pour essayer de voir si leur logiciel d’OCR fonctionne correctement. Donc, c’est quelque chose qu’on n’imaginait pas du tout, une externalité positive de cette initiative.
Thierry Noisette
 : Merci. Et je vais maintenant passer la parole à Laurent Seguin, pour l’AFUL, qui va nous parler, si je ne m’abuse, liberté et responsabilité.
Laurent Seguin
 : Bonsoir à tous. Deux petits mots rapides sur l’AFUL. L’AFUL est l’Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, mais pas que de logiciels, puisqu’on s’occupe aussi des ressources de contenus pédagogiques, etc. Comme on est à l’Open World Forum, je vais faire un petit focus sur le U de AFUL : c’est Utilisateurs. En 2011, l’AFUL a décidé de se tourner vers les clients de l’open source et du Logiciel Libre et donc d’aller voir des entreprises qui ne sont pas éditeurs, qui ne sont pas sociétés de service, qui ne sont pas du tout numériques, pour leur dire vous devez utiliser du Logiciel Libre et on va vous expliquer quoi, pourquoi et comment. Donc, tout ça ça a été un dossier de trois ans, avec, je ne vous cache pas, de grosses déceptions parfois, des joies, un gros travail de tête-à-tête parce que ce sont des choses, chaque dossier est unique et chaque personne a ses réactions.

Il y a une petite histoire que je voudrais partager avec vous, c’est un DSI d’un grand groupe français du CAC 40. Pendant très longtemps, je lui ai expliqué qu’il fallait qu’il achète du Logiciel Libre, que ce serait bien que s’il prenait du Logiciel Libre, et puis, tiens tu as pensé à prendre du Logiciel Libre ? Voilà, chaque fois que je le voyais je n’arrêtais pas de l’embêter. Un jour, il me dit : « Bon, eh bien c’est bon, j’en ai acheté et je n’ai pas vu la différence ». Et là je me suis posé la question, je me suis dit « comment ça se fait que tu n’aies pas vu la différence ? Normalement, avec tout ce que j’ai expliqué sur le pourquoi le Libre c’est le mieux, tu dois comprendre pourquoi il y a une différence. » Et il me dit : « Eh bien non, ça coûte aussi cher, ce sont quasiment les mêmes prestataires et tout ça ». Donc je suis allé voir chez lui ce qu’il se passait. En fait, il s’était fait vendre du logiciel par des gens qui se disent du mouvement open source et qui lui ont donné du logiciel qu’on appelle ’’open core’’. Donc, en fait, il y a bien une version libre, communautaire, que tout le monde peut utiliser. Mais seulement, la version qui est donnée au client, c’est une version qui n’est pas libre. Donc du coup, nos clients commencent à être perdus vis-à-vis des valeurs qu’on promeut.
C’est pour ça que j’aime bien dire on peut produire en open source mais on doit utiliser du Logiciel Libre parce que, à partir du moment où on a un client et qu’on fait le choix du Logiciel Libre, on va rajouter des critères supplémentaires à ses critères de choix. Et surtout, ce que je voudrais casser, c’est cette vision qu’ont les grands clients, qui est de voir les solutions en open source et libres comme étant une solution ’’low cost’’ parce que juste ils n’ont pas les moyens de s’acheter la solution dont ils ont envie. On n’en est pas encore arrivé au stade où j’adorerais qui est on paye plus cher parce c’est libre. C’est un des gros chantiers sur lesquels l’AFUL travaille parce que les valeurs qui ont été initiées il y a trente ans sur le Libre et sur pourquoi il faut utiliser du Logiciel Libre, que ce soit à titre personnel, mais également dans sa structure, dans son entreprise, commencent à se perdre parce qu’il y a des acteurs qui font croire qu’ils sont open source alors qu’ils livrent du logiciel totalement fermé.
Applaudissements

Thierry Noisette
 : Est-ce qu’on peut dire que c’est un équivalent entre le Logiciel Libre et la réalité de ce qu’on voit dans l’écologie, des marques qui se disent toutes vertes et qui en fait sont d’abominables pollueurs ?
Laurent Seguin
 : Non, c’est un peu différent parce qu’ils font vraiment du Libre, et c’est pour ça que je ne veux pas attaquer ces acteurs-là parce que, mine de rien, ils contribuent quand même à la base de code global et donc c’est anti-productif d’aller dire « Ah toi ce n’est pas bien, toi c’est mal ! » Non. Moi, ce que je préfère c’est dire « Eux, c’est vachement bien ce qu’ils font, achetez-en ». Et si vous voulez un exemple de fournisseurs de Libre, il y a un stand A7, là juste au-dessus, vous allez les voir, il y a six entreprises, ces entreprises-là ont un business modèle qui est de « je ne donne que du Logiciel Libre à mes clients ».
Thierry Noisette
 : Juste un petit mot peut-être sur LinuxFr, parce que Nicolas Vérité est avec nous à ce titre. LinuxFr, je crois, a seize ans, c’est ça ? Ça a été lancé en 98 ; c’est avec l’April, je crois, parmi les grands ancêtres ici et, d’un point de vue journalistique, c’est un peu wiki-news du Logiciel Libre puisque, pratiquement tous les jours, c’est plein d’infos, d’actualités technos et d’actualités associatives. Quand on parle Libre, on parle associations, on parle groupes d’utilisateurs locaux, est-ce qu’on n’a pas un peu une vue d’ensemble, puisque finalement la plupart des communautés parlent à un moment ou à un autre via linuxfr ? Et aujourd’hui, qu’est-ce que représente l’activité, c’est-à-dire seize ans après ? Est-ce que ça continue ? Les contributeurs arrivent à se, comment dirais-je, à se maintenir parce qu’on parle de contributeurs bénévoles, c’est ce qui est impressionnant pour la quantité de nouvelles extraordinaire et la modération ? On en a parlé au téléphone, je ne sais pas si parmi vous beaucoup lisent tous les commentaires, ils sont souvent nombreux. Il se trouve que les commentaires se tiennent relativement, il y a un peu de trolls, dans le Libre en général ça se fait, mais par rapport à ce que je vois en presse classique, en tout cas, ça reste d’assez bonne tenue, me semble t-il.
Nicolas Vérité
 : Oui, tout à fait. Avant de commencer à répondre, je voudrais savoir qui dans la salle ne connaît pas LinuxFr ? Je vois. Qui ne connaît pas ? Il y en a trois. C’est bien. Quatre, une dizaine, je n’en ai pas vu une dizaine. Bon, ça commence à troller. Oui, LinuxFr dans ce qu’on fait depuis toutes ces années, on le fait plutôt pas mal, en tout cas les communautés du Libre s’en sont rendu compte et sont toujours présentes. Ça se voit dans les contributions, dans les news et aussi bien dans les commentaires. Effectivement, on a petit système de karma, de points, qui nous permettent de lire, de filtrer les commentaires, qui fait que, en fait, on peut faire fi de tout ce qui est troll. Donc, on a des news de qualité qui sont revues par une équipe de modération et un système de commentaires, de qualité, qui est alimenté par une communauté qui est, effectivement, d’un très bon niveau. Ce qu’on a, et ce qui est nouveau, relativement, depuis quelques mois peut-être même quelques années, on a un système de rédaction collaborative et c’est là-dessus qu’on essaye de mettre l’accent ces temps-ci. Ce système permet à n’importe qui qui crée un compte sur LinuxFr, de poster une news. Tout simplement comment ça s’organise : on a un petit chat, on a une liste d’articles, on a un petit bouton créer un article ; si vous cliquez sur ce petit bouton l’article tombe dans la liste et tous les gens qui passent par là peuvent y contribuer. Donc lire, poster un commentaire sur la news en rédaction, dire « il y a une faute d’orthographe ici ». On peut lui répondre « eh bien vas-y, va la corriger ! », ou bien il manque telle information ou alors elle n’est pas bien présentée, en tout cas ce n’est pas très libriste ’’compliant’’. Donc, avec toute cette communauté qui passe, on arrive à faire des articles de qualité comme sur Wikipédia. Donc, c’est de l’article de news qui peut mettre un jour, une heure ou trois semaines.

Donc, notre défi aujourd’hui, effectivement, c’est de faire connaître cet espace de rédaction collaborative. On a, comme vous l’avez souligné, toutes les associations du Libre qui nous connaissent déjà, qui nous passent déjà beaucoup d’informations. Merci, merci à vous, vous êtes déjà dans la salle. En revanche, ce qu’on a moins, ce sont les entreprises, les administrations, les collectivités. Ça les gens sont un petit peu plus frileux. On a eu des expériences 100 % positives là-dessus. On a eu des entreprises qui sont venues, qui nous ont posté des news et ça ressemblait à des communiqués de presse, des « PR » Public Relation, NdT. Donc, le format, je ne sais pas si vous le connaissez, le but c’est de vanter le produit et de vanter l’entreprise. On n’aime pas du tout ça dans le Libre, en tout cas dans la communauté. En fait, ce qu’on essaye de faire, c’est de transformer la news en disant : « Le produit, c’est quoi ? Il fait quoi ? Ça rentre dans quelle catégorie ? Il est écrit en quel langage ? Quelle est sa licence ? Où est le code source ? Comment est-ce qu’on peut l’installer ? » Etc. Et là, ça génère du débat, ça génère des clics, puisque les gens visitent le site. L’info est disséminée via des lecteurs RSS et puis, aussi, désolé, sur Twitter. Donc moi, je vous encourage, les chercheurs, les administrations, les entreprises, à venir sur LinuxFr, à poster vos news dans l’espace de rédaction collaborative et on va vous aider. On va vous aider avec des gens que vous ne connaissez pas forcément, qu’on ne connaît pas forcément, et qui passent par là et qui ont envie d’aider, comme sur Wikipédia. Et avec ça, on va augmenter notre volume de news, vous allez augmenter votre visibilité, et je pense qu’on peut avoir beaucoup de fun tous ensemble là-dessus.

Thierry Noisette
 : Merci Nicolas. J’espère que cet appel.
Nicolas Vérité
 : On m’a posé une question c’est quoi l’URL ? LinuxFr.org
Public
 : Slash rédaction.
Nicolas Vérité
 : Slash rédaction.
Thierry Noisette
 : Juste une question pour Tristan. J’entendais Tangui tout à l’heure qui mentionnait que dans quelques jours il y a une petite fiesta pour les cinq ans de Regards Citoyens. Il me semble que dans les hauts lieux du numérique à Paris, tout le monde connaît le Numa qui a pris le relais de La Cantine, il y a quelques endroits, je vois souvent passer des choses qui se passent boulevard Montmartre dans un très beau bâtiment. On connaît beaucoup Mozilla comme éditeur, comme le navigateur, l’OS mobile, etc., mais Mozilla est très actif, me semble t-il, entre autres, grâce à ce somptueux siège, dans la vie des associations ou avec les associations. Tristan, tu peux nous dire un petit mot sur comment ça s’insère dans cet écosystème associatif du Libre français ?
Tristan Nitot
 : C’est très juste puisqu’on a des grands locaux boulevard Montmartre, à côté de l’ancienne Cantine justement, donc en plein centre de Paris, c’est bien desservi, l’Opéra, etc. Et on les a choisis parce qu’on veut avoir des contributeurs, des bénévoles qui viennent nous voir, qui viennent nous aider, donner un coup de main, déboguer, etc., et ils le font plus facilement, évidemment, si c’est un endroit qui est bien desservi, et si après ils peuvent se faire un cinéma, un resto, un théâtre. Donc, c’est pour ça qu’on a choisi le quartier. Et puis c’est aussi une façon pour nous de rendre à la communauté du Libre ce qu’elle nous a donné puisque évidemment, Firefox n’aurait pas eu le succès qu’il a connu, les centaines de millions d’utilisateurs, s’il n’y avait pas eu tous les bénévoles, si la toute la communauté du Libre ne s’y était pas mise en 2004, il y a dix ans déjà, pour propulser Firefox sur le devant de la scène. Donc, c’est une façon de contribuer et c’est une façon de mutualiser aussi, mais là on ne mutualise pas des électrons, on mutualise un espace qui est celui de Mozilla, puisque, eh bien, déjà on paye un loyer pour l’utilisation propre de nos locaux, cette salle des fêtes qui, effectivement, est magnifique et autant la mutualiser et la mettre à disposition d’autres projets du Logiciel Libre, parce que plus le Logiciel Libre fonctionne, plus il attire des gens, finalement plus ça nous est bénéfique à nous Mozilla, donc on n’hésite pas à le faire. On a reçu récemment Framasoft à plusieurs reprises. Donc, ça va être Regards Citoyens bientôt et à peu près tout le monde, l’April, l’AFUL. Si vous êtes une association, que vous avez besoin, passez-moi un petit coup de fil ou envoyez-moi un mél, ça sera avec beaucoup de plaisir qu’on regardera comment on peut vous aider de ce point de vue là.
Thierry Noisette
 : Merci. On pourrait avoir l’impression et surtout démentons-la, que le Libre est un petit monde au sens un peu endogamique de la chose, mais on touche aussi plus largement, enfin je pense, au-delà des seuls convaincus, des seuls associatifs de longue date, il me semble que depuis un an et demi, au niveau vraiment du grand public, même les plus paranos, on ne pouvait peut-être pas imaginer l’ampleur des révélations qu’on a eues avec la cascade de documents sortis à la suite du travail d’Edward Snowden et des journalistes comme Glenn Greenwald, qui ont relayé ces documents, montrant qu’il n’y avait pas grand-chose de ce qui se passait en ligne qui échappait aux griffes des principaux acteurs et à travers eux des services secrets. Est-ce que les uns les autres, alors la question vaut peut-être particulièrement pour Framasoft avec la campagne en cours « dégoogleliser l’Internet ». Je crois que chacun, dans vos différentes associations, vous avez peut-être pu y être confrontés, qu’est-ce que ça a changé et dans quelle mesure le discours libriste, peut-être que les gens sont plus réceptifs, et sous quel angle ? Est-ce que c’est le côté sécurité ? Est-ce que c’est le côté économique ? Qu’est-ce qui a changé ou éventuellement pas changé, malheureusement, suite aux révélations Snowden ?
Pierre-Yves Gosset
 : Je vais prendre la parole, je vais essayer de faire court comme ça les autres pourront répondre aussi. Pour Framasoft, en fait, il faut juste que je fasse un rapide historique. Framasoft c’est « français et mathématiques » au départ. Donc, on est une association issue du milieu de l’éducation et de l’éducation populaire. Ce qui, pour nous, a changé, nous on n’est pas du tout des développeurs. Ce qui nous semblait intéressant, c’était les valeurs, non seulement techniques du Logiciel Libre, mais surtout les valeurs éthiques et sociales, et donc au départ on a commencé à parler du Logiciel Libre, avec Framasoft qui est un annuaire de logiciels, un peu les pages jaunes du Logiciel Libre. Mais derrière, on est passé ensuite à la culture Libre, qui nous portait aussi ses valeurs éthiques et sociales qui nous paraissaient intéressantes. L’exemple type de la culture Libre dont nous on se sert pour s’adresser au grand public, typiquement c’est Wikipédia. Et, pour en revenir à la question de l’évolution, on voit bien qu’aujourd’hui l’usage de l’informatique change. L’accès, les terminaux avec lesquels on accède aux informations, changent aussi et on s’est aperçu que de plus en plus de gens utilisaient des services en ligne, et que ces services en ligne étaient un petit peu le pétrole de demain pour certaines entreprises. Et c’est vrai que la situation est un peu particulière parce que j’ai un peu l’impression d’être un imposteur, dans le sens où, finalement, tout le discours sur la sensibilisation qu’il y a autour de l’importance prise par ces acteurs, nous, elle nous a été complètement insufflée par toutes les autres associations qui sont autour de moi aujourd’hui et c’est juste que voilà.

Nous on a lancé une campagne qui s’appelle « Dégooglelisons internet », sur le site degooglisons-internet.org, qui vise à sensibiliser le grand public aux dangers qu’il y a à laisser ces grands acteurs, typiquement ce qu’on appelle GAFAM, donc Google, Apple, Amazon, Facebook, Microsoft, à prendre le contrôle d’Internet. Et donc, comment est-ce qu’on reprend le contrôle ? Eh bien justement, en utilisant une infrastructure Libre et des logiciels libres et des données interopérables. Ce qui est un peu paradoxal, c’est que, finalement, nous, on se retrouve à lancer une campagne, c’est la société civile qui, quelque part, nous on est sous forme associative, et c’est la société civile qui met en garde les citoyens là-dessus. Moi, ça m’aurait paru plus logique que ça soit à un niveau légèrement plus élevé que le nôtre, parce que, comme je le disais, nous, tout à l’heure, on a petit peu l’impression d’attaquer l’Himalaya par la face nord en tongs, peut-être fourrées grâce au Logiciel Libre, mais ce sont des tongs quand même. On ne souhaite pas s’attaquer à Google, mais on souhaite quand même informer le public, donc sensibiliser, et puis mettre en place des outils, derrière, qui montrent que le Logiciel Libre est une réponse aux attaques, enfin à cette colonisation, cette vassalisation aujourd’hui des géants de l’Internet. Voilà. Donc, on a lancé cette campagne il y a maintenant trois semaines, donc c’est encore tout frais. Maintenant, je rebondis peut-être sur une question, sur les modèles économiques dont parlait François Élie au départ. Pour faire ça, évidemment, comme toutes les associations autour de moi, on a besoin d’argent et c’est vrai que se pose la question du financement de telles actions et des contributions que vous pouvez y apporter, pas forcément en aidant Framasoft. Tout à l’heure dans ma keynote, je disais « Contribuez au Logiciel Libre, parce que si vous contribuez à Etherpad, on fera du meilleur Framapad, etc. » Voilà.

Thierry Noisette
 : Merci. Si d’autres veulent prendre la parole, je vais juste leur demander de faire super court parce qu’on nous a dit dans l’oreillette qu’il allait falloir rendre le micro pour une courte pause ensuite. Donc vous allez être très court. Merci.
François Élie
 : Quelques courtes remarques. Ça rejoint la question du Libre sur la question de la sécurité. Il y a des forts arguments qui préfèrent la sécurité ouverte à la sécurité fermée, mais c’est toujours de la sécurité. Après la question, c’est ce qu’on fait avec. Il y a une chose qui devrait nous inquiéter, il faut peut-être éviter les discours angélistes. J’entendais, à propos de Snowden, qu’il faudrait interdire le renseignement, il y en aura toujours, il sera secret, simplement, un peu plus secret. Donc, arrêtons le discours qui voudrait qu’on interdise le renseignement, il y en aura toujours. La question qui devrait nous inquiéter c’est ce que sont maintenant des entreprises qui sont plus puissantes que des États et c’est ça, à mon avis, le plus inquiétant. Ce n’est pas tant que les politiques nous espionnent, ça ils le font depuis toujours, c’est qu’il n’y a pas que les politiques qui nous espionnent. Ça, ça devrait nous inquiéter beaucoup plus.
Laurent Seguin
 : Pour répondre à ta question qu’est-ce que ça a changé les révélations de Snowden, comme tu sais, je ne vois pas mal les grandes entreprises françaises, puisque je fais du porte-à-porte, ce n’est pas parce qu’elles m’invitent, enfin certaines si quand même, ça n’a rien changé, absolument rien changé. Il y a juste un truc qui a changé, c’est quand je dis le Logiciel Libre ne vous fera pas de mal, parce qu’il ne va pas contenir une bombe logique, parce qu’il ne va pas contenir un ver, parce que etc., et que je dis qu’avec un logiciel qui n’est pas libre vous devez avoir le doute, c’est votre devoir d’avoir un doute s’il y a une bombe logique ou autre, maintenant on ne me prend plus pour un hurluberlu, maintenant on a des preuves. Voilà. C’est la seule chose que ça a changé. Après, sur l’initiative de Framasoft « Dégooglelisons internet », c’est extrêmement important, c’est extrêmement majeur, je tiens à le dire. Et surtout, enfin, il y a quelques semaines Framasoft a ouvert Framasphère qui est une instance de Diaspora, c’est génial. Donc, nous citoyens, on peut y aller. Par contre, vous, organisations, n’allez pas sur Framasphère, n’allez pas sur Diaspora.fr. Installez-vous le logiciel dans votre organisation, et c’est ça qu’il faut faire en fait. Framasoft ouvre la voie. En fait, chaque organisation doit installer la même chose que Framasoft. Si Framasoft y arrive, n’importe quelle organisation y arrive. Et Framasoft vous expliquera et vous donnera tous les fichiers de conf pour le faire. Quand on est un grand groupe du CAC 40, on sait s’installer Diaspora, ce n’est pas compliqué. Voilà. Donc il y a cet aspect d’utiliser, il y a aussi l’aspect de contribuer, donc il y a, oui, donner de l’argent à Framasoft pour que eux financent pour leurs propres besoins. Mais si vous êtes une grande entreprise, une grande administration, une collectivité et que vous utilisiez ce logiciel-là, vous aussi vous pouvez contribuer, vous aussi vous pouvez payer, peut-être l’éditeur ou une société de services pour mettre les fonctionnalités qui vous manquent et ça bénéficiera à tout le monde. Merci.
Thierry Noisette
 : Merci Laurent Seguin.
Tristan Nitot
 : Je veux juste rajouter, 15 secondes. S’il y a des entrepreneurs dans la salle, montez un business, ce genre de choses, par exemple du Framadate, ou l’équivalent de Framadate ou du Framapad ou autre. Il y a du pognon à faire et ça sera toujours plus décentralisé, et en plus, vous pourrez gagner votre vie à l’occasion. Voilà.
Thierry Noisette
 : C’est un bel enchaînement de synthèse.
Jeanne Tadeusz
 : Oui et juste pour conclure pareil.
Thierry Noisette
 : Non.
Jeanne Tadeusz
 : En trente secondes, très rapidement, la conclusion était magnifique, je te l’accorde. Non, non, très rapidement, et juste pour appuyer ce que vient de dire Laurent, effectivement il y a encore deux ans, trois ans, on nous traitait de parano quand on parlait. Je pense qu’on a tous été choqués par l’ampleur finalement des révélations. Même nous, pourtant on est impliqués là-dedans, on ne pensait pas que ça pouvait aller jusque là. Aujourd’hui, on le sait. Je pense que ça n’a pas forcément changé grand-chose encore dans le concret, parce que dans les grandes organisations, le changement c’est long. Par contre, il y a de plus en plus de prise de conscience chez certains acteurs, mais pas chez tous encore, malheureusement. Je pense notamment au Ministère de la Défense qui a un dossier qu’on suit quand même depuis longtemps, où Microsoft est vraiment très investi dans la place et où, finalement, on a une perte complète de contrôle de la part d’un ministère pourtant aussi régalien, aussi important que la défense sur sa propre informatique et la nécessité d’arrêter de se mettre la tête dans le sable en se disant que, finalement, ce n’est pas si grave que ça et que les solutions qu’on nous propose, qu’on ne maîtrise plus, clefs en main, eh bien c’est commode, et on va continuer à faire pareil. Il y a vraiment un travail à faire de prise de conscience du fait que, parfois, on va devoir passer par des solutions plus complexes, mais c’est le prix de notre liberté. Et ça vaut pour les organisations, les administrations et aussi individuellement ; le nombre de personnes qui, encore aujourd’hui, utilisent des téléphones propriétaires par exemple, alors même, on le sait bien, que les données confidentielles qui sont dessus, eh bien elles ne le sont pas. Elles sont stockées dans les serveurs des services qu’on utilise.
Thierry Noisette
 : Très bien. Merci Jeanne pour ce mot de la fin. Je suis désolé, mais cette table ronde avait un temps extrêmement court !

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.