Le Logiciel Libre - Luc Fievet - Ubuntu Paris 2014

Luc Fievet

Titre :
Le logiciel libre
Intervenant :
Luc Fievet
Lieu :
Ubuntu Party - Paris
Date :
Novembre 2014
Durée :
59 min
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Licence de la transcription :
Verbatim

Transcription

… sur l’informatique libre, donc si vous connaissez bien le sujet, vous n’allez pas apprendre grand-chose. L’idée c’est de faire une présentation générale pour les gens qui découvrent
Premier élément : présentation. Je m’appelle Luc Fievet. Je suis administrateur de l’April [1]. L’April est une association qui fait la promotion et la défense du logiciel libre. On a un travail essentiellement institutionnel auprès notamment des politiques. Une association d’environ 4 000 membres, ce qui nous permet d’avoir trois permanents et donc de développer des compétences juridiques, de faire de la veille, de proposer des amendements, des choses comme ça. On fait également du travail de sensibilisation, comme c’est le cas ici, et à d’autres occasions on tient des stands, on fait des conférences et des choses comme ça. Cette partie-là est plutôt prise en charge par les bénévoles dont je suis. Je suis, comme je vous le disais, administrateur de l’April. Je ne suis pas informaticien, je fais partie des quotas non informaticiens de l’association. J’ai fait de la radio, alors aujourd’hui un petit moins, j’en fais dans le cadre de l’association, mais j’ai fait ça pendant quelques années, bénévolement, et ça m’a permis de rencontrer pas mal de monde puisque j’avais fait des émissions sur différents sujets.
On va attaquer le vif du sujet, l’informatique libre et donc comme toute bonne légende, il faut, comment dire, un mythe fondateur et il nous faut un gourou. Dans le monde du logiciel libre, notre gourou c’est Richard Stallman et vous pouvez voir sur la photo, c’est un petit peu déformé là, je suis désolé, que Richard Stallman a tous les attributs du gourou : il a la barbe et il a les cheveux longs. Il est assez excentrique aussi et donc, c’est un authentique gourou. Et la légende fondatrice du logiciel libre c’est une confrontation entre Richard Stallman et une imprimante.
Ce qu’il faut savoir c’est que Stallman était un universitaire, je ne sais pas s’il a toujours le statut aujourd’hui, qui travaillait au MIT (NdT, Massachusetts Institute of Technology) et, dans les années 80, l’informatique se pratiquait évidemment dans des cercles de techniciens, dans les universités notamment. L’informatique grand public allait arriver. Les universitaires se partageaient très naturellement le code source de leurs logiciels de la même façon que, dans le monde scientifique, on publie le résultat de ses recherches et qu’on va travailler, accumuler le savoir et faire des recherches sur les résultats des recherches des collègues, etc. Et donc, à cette époque-là, les universitaires qui faisaient de l’informatique partageaient le code source de leurs logiciels, alors avec des technologies de pointe : ça s’appelait la bande magnétique, l’enveloppe et le timbre poste ! C’était comme ça que ça marchait.
Et donc Stallman se retrouve avec une nouvelle imprimante, essaye de la faire fonctionner et n’y arrive pas. Il contacte un confrère d’une autre université en lui demandant de lui envoyer les pilotes parce qu’il sait qu’il les a. Et le gars lui dit : « Je ne peux pas. J’ai signé un accord d’exclusivité avec le fournisseur sur le code source. Je n’ai pas le droit de le diffuser. » Et là, Stallman, sur ce truc qui peut paraître un détail, Stallman se dit « si ça commence comme ça, on perd une chose absolument essentielle en informatique. On a besoin de partager le code source ! » Et donc c’est cette bête expérience qui va être le détonateur ou, en tout cas, le point de départ de son idée du logiciel libre, puisqu’en fait, cette première expérience, pour lui, illustre ce que va devenir l’informatique, dite propriétaire, une informatique verrouillée.
Donc, le fond du projet de l’informatique libre, du logiciel libre selon Stallman, c’est une informatique qui garantit la liberté de l’utilisateur, qui passe par le partage du savoir — c’est un universitaire — et avec cette idée de maîtriser son informatique. Avec cette petite formule choc qui dit « c’est maîtriser son informatique ou être maîtrisé par elle ».
Pour les gens qui ne seraient pas informaticiens, comme moi, il y a un petit parallèle qui permet de comprendre, en gros, qu’est-ce que c’est le code source et pourquoi c’est important. Donc, quand on essaye de faire comprendre ça à des gens qui ne connaissent pas du tout du tout, on va parler cuisine et on fait un parallèle entre cuisiner et faire de l’informatique. Quand vous voulez cuisiner, vous prenez une recette qui est une série d’instructions qu’on vous donne, vous passez en cuisine et vous allez exécuter ces instructions, prendre les ingrédients et à la fin obtenir un plat qu’on peut consommer.
Dans l’informatique, on peut faire un parallèle assez proche. On a un code source, donc c’est le code qui va être écrit par un informaticien, donc compréhensible par quelqu’un qui a les compétences adéquates. Il va passer par une étape de compilation, c’est-à-dire qu’il va être retravaillé, modifié, par un logiciel spécial, de telle sorte qu’il soit consommable, exécutable par un ordinateur. Et, comme pour la cuisine, si vous mangez un plat tout fait sans avoir vu la recette, vous allez peut-être reconnaître des ingrédients, etc., mais ça va être très compliqué de refaire la recette à l’identique, parce qu’il y a plein d’éléments qui vont vous manquer, d’informations, de process. De la même façon, votre logiciel exécutable, celui qu’on télécharge sur Internet et qu’on installe, on va pouvoir le voir fonctionner, mais on ne sait pas comment il est fait, on ne sait pas ce qu’il fait exactement. On va pouvoir deviner, éventuellement, en fonction de son comportement, des éléments, mais le secret de son fonctionnement va rester inaccessible. Et du coup, ça pose des problématiques qui sont les mêmes que dans la cuisine.
Je vais vous parler de ma vie parce qu’elle est super intéressante. Moi, je suis intolérant au gluten, et donc, quand je vais dans un restaurant, notamment en région parisienne où les restaurateurs parisiens adorent acheter des plats tout faits qui sortent du plastique, j’ai un vrai problème parce que je ne sais pas ce que je mange, je ne sais pas s’il ne va pas y avoir du gluten dans ce qu’on me file à manger. Du coup, j’ai des stratégies assez complexes, qui ne marchent pas toujours, pour aller au restaurant avec mes amis sans tomber malade. Et donc, quand vous allez au restaurant on vous fournit un logiciel compilé, un plat tout fait, et vous pouvez vous poser des questions : « c’est quoi les ingrédients ? Si, comme moi, vous avez des intolérances alimentaires, c’est une question très importante. Est-ce que les ingrédients sont frais ou sains ? Quand vous allez au restaurant, vous n’en savez rien, vous faites confiance à votre restaurateur pour ne pas vous empoisonner. Est-ce que la cuisine dans laquelle il a travaillé est propre ? Mystère. Peut-être qu’il a des cafards comme aides de cuisine… »
Après ça, côté cuisine, si vous aimez la cuisine, comment ça se prépare, le plat vous plaît, vous avez envie de le refaire, vous n’avez pas la recette : ce n’est pas parce que vous le mangez que vous savez comment ça se fait. Il y a peut-être un truc que vous auriez aimé manger en plus dans le plat, vous ne pouvez pas le rajouter parce que vous êtes au restaurant. Et si vous avez envie de partager la recette avec vos amis, ce n’est pas possible.
Et si on fait le parallèle avec l’informatique, c’est pareil, c’est « comment il marche ce logiciel ? » Si moi je fais de l’informatique et que j’ai envie d’apprendre, j’ai envie de savoir comment on fait cette fonction, comment on fait ce truc-là, eh bien j’ai besoin d’avoir le code source pour ça. Si j’ai envie d’adapter à mes besoins parce que j’ai des besoins spécifiques qui sont les miens, j’ai besoin d’avoir le code source. Et une fois que j’ai fait ces modifications potentiellement ou si je trouve que le logiciel me plaît, j’ai envie de le partager avec les gens autour de moi, et c’est très naturel. Et donc on a cette question-là : « c’est un plat cuisiné ou qu’on a acheté tout fait, ou un plat fait à la maison ? » C’est toute la différence ! Et un plat fait à la maison, même s’il est fait par vos amis, vos amis vous donnent la recette. Si vous avez des amis qui ne vous donnent pas la recette en disant c’est un secret de famille, ce ne sont pas des vrais amis, je précise.
Pour garantir ça dans le domaine de l’informatique, on a les quatre libertés de l’informatique, du logiciel libre, et qui sont numérotées, chez les informaticiens, de zéro à trois parce que sinon, c’est trop facile.
La première liberté c’est de pouvoir étudier le code source, on l’a évoqué tout à l’heure, à la fois pour savoir ce qu’il fait — si vous faites tourner le logiciel sur votre ordinateur, vous voulez être sûr qu’il ne va pas avoir des fonctionnalités cachées qui vont vous nuire — et également pour apprendre, parce que vous êtes probablement informaticien si vous lisez le code source et vous avez peut-être envie de progresser, d’apprendre une nouvelle chose.
Vous avez la liberté de l’exécuter, c’est-à-dire de le faire fonctionner et, implicitement, de le faire fonctionner pour ce que vous voulez. C’est-à-dire que, dans la licence, il n’est pas dit que vous avez le droit d’utiliser le logiciel pour telle chose ou pour telle autre. Typiquement, dans les freewares, les logiciels gratuits mais qui restent des logiciels propriétaires, souvent il y a des clauses qui disent : « Vous avez le droit de l’utiliser gratuitement mais à condition que vous soyez un particulier. Si vous êtes une entreprise, il faut payer, vous n’avez pas le droit de l’utiliser, etc. » Dans le logiciel libre vous avez le droit de l’utiliser pour ce que vous voulez et quelles que soient les circonstances. Si vous êtes un particulier ou une entreprise, c’est libre !
Le droit de modifier le logiciel. Vous avez envie de rajouter une fonctionnalité qui correspond à vos besoins, ou qu’elle que soit la raison, vous pouvez le modifier parce que, comme ça, le code source sera plus joli, si ça vous plaît,. Et bien sûr, le droit de le redistribuer, y compris en le vendant. Et ça, c’est le point qui souvent fait bondir, c’est que vous pouvez prendre un logiciel libre et vous pouvez le revendre sans rien donner à l’auteur original. En général, ça fait hurler, mais derrière il y a une véritable logique, qu’on va voir maintenant avec un principe qui est celui du copyleft.
Vos quatre libertés, telles quelles, n’interdisent pas de prendre un logiciel libre et de le refermer, c’est-à-dire de le mettre sous une licence propriétaire. Ce sont des choses qui se font sous certaines licences. Donc la licence c’est le texte juridique qui va encadrer tout ça. On a certaines licences qui vont mettre en œuvre une clause supplémentaire qui est la clause copyleft. La clause copyleft, vous avez vu avec le logo, c’est l’inversion du copyright. Il y avait une petite blague qui circulait à l’époque, quand ça avait été mis en œuvre, qui était Copyleft – all rights reversed, en anglais, qui est donc, tous les droits inversés. Et le copyleft c’est : vous récupérez un logiciel sous licence libre, vous avez vos quatre libertés, mais vous avez une obligation. C’est que si vous redistribuez ce logiciel, ou quoi que ce soit d’autre sous cette licence, vous avez l’obligation de garder la même licence. C’est-à-dire que quelque chose d’ouvert vous n’avez pas le droit de le refermer, y compris vos modifications. Vous prenez un logiciel libre, vous mettez votre travail dedans, vous modifiez le logiciel, eh bien la liberté que vous avez obtenue, l’avantage que vous avez obtenu sur ce logiciel libre que vous avez pu revendre par exemple, d’autres personnes ont la même liberté derrière. Ça, c’est quelque chose ! Donc on a des licences copyleft, d’autres qui sont non copyleft.
Autre notion très importante, c’est la notion du fork, la fourche en anglais. Le principe du code informatique c’est que c’est un bien qu’on appelle non rival. Si on fait un parallèle, il y a une différence notable entre je prends votre montre et vous me donnez l’heure. Si je prends votre montre, vous n’avez plus de montre, c’est moi qui l’ai à la place. Donc c’est un bien rival, il n’y a qu’une montre, si vous n’avez qu’une montre, c’est votre montre.
L’heure, c’est une information. Si vous me donnez l’heure vous n’avez rien perdu. Dans le code informatique, et toutes les informations numériques en général, c’est la même chose. C’est-à-dire que si vous dupliquez une information numérique, vous n’avez pas enlevé cette information à la personne qui l’avait initialement. Dans le logiciel libre, puisqu’on peut faire circuler le code source à loisir et, qu’en plus de ça, grâce à Internet aujourd’hui et aux technologies numériques, on peut reproduire l’information pour un coût négligeable et sans perte de qualité, ce code va circuler. Du coup, quand des gens se mettent ensemble pour faire un projet libre, ces gens-là sont comme n’importe qui d’autre. Même si ce sont des libristes et que les libristes sont des gens fabuleux, il arrive qu’ils se fâchent, qu’ils ne soient pas d’accord et qu’ils décident de prendre des voies différentes. Donc si vous êtes dans un projet classique, fermé, avec des droits de propriété, etc., les gens vont s’étriper jusqu’à la mort parce que celui qui va perdre la partie va repartir bredouille et les mains vides.
Dans le logiciel libre, n’importe qui, y compris les gens qui ne sont pas dans le projet, peut récupérer le code source et faire ce qu’il veut avec. Quand on a projet avec des gens qui se fâchent, chacun part de son côté avec le code source et le meilleur réussira à faire vivre son projet. Donc on n’a rien perdu. Ça simplifie considérablement la gestion des projets. Il faut bien comprendre qu’il y a une différence entre ce qui est de l’ordre du code, donc vraiment l’information en elle-même, le code source, et un projet. Souvent vous avez un projet, comme Firefox par exemple, qui a un code source, vous pouvez, vous, récupérer le code source de Firefox et faire ce que vous voulez avec. Mais ce que vous avez fait avec, vous ne pourrez pas l’appeler Firefox, parce que la Fondation Mozilla a déposé la marque Firefox et a une sorte de protection par la marque.
Il y eu un exemple là, qui date d’il y a quelques mois, l’entreprise informatique Dell a dit : « Sur nos ordinateurs Dell qu’on vous vend, on vous propose un super service, pour genre 15 $, on vous installe Firefox par défaut, automatiquement. Donc vous récupérez l’ordinateur avec Firefox déjà installé. » Les gens de la fondation Mozilla ont hurlé en disant Firefox est gratuit. Donc il est hors de question que vous vendiez quelque chose avec la marque Firefox si vous faites payer 15 $. Et là, ce n’est pas sur la licence du logiciel qu’ils jouent, mais sur la marque. Si Dell avait dit pour 15 $ on vous met un navigateur qui s’appelle « Dell navigator », par exemple, ils avaient le droit, avec le même code source. Mais il y a une sorte de protection par rapport à la marque.
Et sur cette notion de fork, on a un exemple qui est relativement récent, qui est assez spectaculaire, c’est le passage d’OpenOffice à LibreOffice. Lors de la crise de 2008 il y avait une entreprise qui s’appelait Sun, qui était une grosse boîte dans l’informatique, qui avait beaucoup de projets libres. Ils ne faisaient pas que du Libre, mais ils en faisaient quand même pas mal. Ils avaient quand même la réputation d’être plutôt réglos par rapport au Libre et, parmi ces projets, ils avaient OpenOffice, dont vous avez sans doute entendu parler, qui est une suite bureautique, libre, et eux ils la vendaient, ils l’intégraient dans des solutions de services aux entreprises, etc… Et il y avait une communauté de développeurs autour de ce truc-là. 2008 arrive, la crise tombe et Sun a des problèmes de trésorerie. Manque de bol, la boîte coule et se fait racheter par Oracle, qui est une grosse société d’informatique, qui fait du propriétaire et qui dit : « On rachète Sun. » Et tout le monde a hurlé en disant : « Ça va être terrible, ils vont verrouiller tous les projets libres de Sun, ça va être l’hécatombe. » Et Oracle a dit : « Ne vous inquiétez pas, on rachète Sun, on sait ce qu’on fait, on sait ce que c’est que le Libre, et on va s’adapter. »
Et en fait, pas du tout, ils ont commencé à tout fermer, tout verrouiller, etc. Il y avait déjà de l’eau dans le gaz entre la communauté OpenOffice et Sun, à l’époque, et quand ils ont commencé à faire ça sur OpenOffice, les développeurs ont dit : « Nous, on ne veut pas rentrer dedans, ça ne nous plaît pas du tout ». Et du coup, il y a un projet concurrent qui a repris le code d’OpenOffice, qui s’appelle LibreOffice [2], qui s’est monté notamment avec des budgets venus de Google mais également d’entreprises brésiliennes et les développeurs d’OpenOffice ont dit : « Ouais, ça a l’air mieux de passer du côté du projet LibreOffice que de rester dans OpenOffice ». Donc les développeurs sont tous partis, les uns après les autres, d’OpenOffice à LibreOffice. Et, effet très positif, dès lors que LibreOffice était désolidarisé de Sun, il y avait toute une série d’éléments techniques qui étaient là pour connecter OpenOffice dans les solutions de Sun, qui ralentissaient le machin, etc. Ils ont commencé par dégager tout ça, le logiciel s’est mis à mieux tourner tout de suite. Et ils ont commencé à faire évoluer le logiciel et LibreOffice s’est mis à vraiment progresser par rapport à OpenOffice.
Oracle n’a jamais réussi à rien faire d’OpenOffice et ils l’ont refilé à la fondation Apache et le machin végète gentiment. Donc là, on a une belle illustration de la force qui est rendue possible par cette ouverture et la force du modèle. Et la façon dont, finalement, cette liberté permet de ne pas se faire enfermer dans des grosses pyramides hiérarchiques de propriété.
Tout ça permet de simplifier et d’accélérer les projets. C’est-à-dire que vous n’avez pas besoin de gérer des trucs contractuels, avec des gardes-fous et des choses en vous disant « oui, mais si je signe ça et qu’il se passe ceci etc. », et de méfiance, il y a beaucoup plus de souplesse pour faire face aux difficultés.
Autre notion très importante, alors celle-là, si vous êtes débutant, si vous voulez frimer avec le logiciel libre c’est super efficace. C’est la différence entre GNU et GNU/Linux. Dire GNU/Linux c’est vraiment la marque du puriste. Richard Stallman, donc le barbu chevelu du début, en 84, il pose les principes du logiciel libre, il est dans une démarche philosophique. Ensuite, il invente une licence, donc il se donne des outils juridiques. Et ensuite, il lance un appel et il dit : « Si on s’amusait à faire un système d’exploitation entièrement libre ? ». Donc il se met à faire du code. Il est vraiment sur une démarche complète. Et donc il lance ça fin 83, et en 84 les gens commencent à travailler là-dessus, et c’est le projet GNU qui vise à faire un système d’exploitation entièrement libre, avec cet acronyme récursif qui est une blague d’informaticien. Et donc il fait ça avec la licence et tout ça, et des tas de gens bossent sur ce projet GNU pour faire un système d’exploitation entièrement libre.
Dans un système d’exploitation, il y a le noyau qui est un peu la clef de voûte du système, qui va être une partie qui va faire dialoguer les logiciels, les différents logiciels du système d’exploitation avec le hardware et donc, évidemment, c’est un point très important. Et c’est quelque chose sur lequel ils travaillaient et qui n’était pas fini. Et en 91, Linus Torvalds qui, à l’époque, est toujours étudiant ou venait tout juste de finir ses études, crée son propre noyau, qui n’est pas super étoffé, mais en gros, il arrive et fait : « Voilà ! J’ai fait ce noyau, est-ce qu’il vous plaît ? » Il y avait une frustration assez importante parce que tout le monde avait mis en place des tas de briques, mais le système ne tournait pas puisqu’il manquait le noyau, et la communauté s’est emparée du noyau Linux pour faire enfin tourner leur système d’exploitation.
On distingue quand même entre Linux — Linux c’est le pingouin — et le projet GNU — c’est le gnou, évidemment. Et on distingue ça parce Linux est juste une brique d’un système d’exploitation qui soit entièrement libre. Et ce noyau Linux, on va le retrouver dans des tas d’équipements. Vous avez ça dans tous les téléphones Android et vous avez ça dans des calculateurs, des super calculateurs, dans des télévisions connectées, un peu partout et soit dans des systèmes entièrement libres comme un système d’exploitation GNU/Linux, soit dans un système qui va contenir du propriétaire, mais avec cette brique-là qui va être en place.
Il faut savoir, si vous allez sur le site de la Fondation Linux [3], que c’est quelque chose d’absolument énorme aujourd’hui, ce qui nous amène à la question de l’open source. Vous avez probablement entendu cette question open source, logiciel libre ou logiciel open source. Les différences juridiques sont assez maigres. La plupart des logiciels sont reconnus par la FSF, la Free Software Foundation [4], qui est donc l’organisation montée par Stallman, sont également reconnus par l’Open Source Initiative [5]. Il y a quelques différences, mais, dans la pratique, au niveau des licences, c’est généralement compatible des deux côtés.
La différence est philosophique. Je vous rappelle, au début, le fond du projet du logiciel libre c’est la liberté de l’utilisateur, le partage du savoir. L’Open Source Initiative, ce sont des gens qui ont dit : « Partager le code source c’est super efficace pour coder plus vite, plus efficacement ». Donc ce sont des gens qui ont une démarche technique.
Aujourd’hui le mouvement open source est prospère, c’est-à-dire que si vous allez, comme je vous le disais tout à l’heure, sur le site de la fondation Linux, vous allez voir les membres Platine, c’est IBM, c’est HP, il y a une grosse boîte chinoise, etc., même Microsoft s’y est mis et, la semaine dernière, ils ont annoncé que Microsoft aimait Linux. C’est vous dire à quel point ce truc est devenu très important. Il y a quelques années Microsoft disait que le logiciel libre c’était le cancer de l’informatique !
Or, on le verra tout à l’heure, ce n’est pas parce que vous partagez le code source que vous garantissez nécessairement la liberté de vos utilisateurs. Vous pouvez le faire, prendre des briques, comme ça, les mixer avec du propriétaire ou faire des systèmes où l’utilisateur est complètement contraint par le système même si vous utilisez des briques libres.
Autre point très important : libre n’est pas gratuit. Ça c’est une notion très importante. Je vous l’ai dit, on peut vendre du logiciel libre et le truc est très ambigu parce que, dès le début, en anglais, free, évidemment ça veut dire à la fois libre et gratuit. Donc ça a toujours généré de l’ambiguïté. Je vous ai mis là une citation de Stallman : « To undestand the concept, you should think free’’ as in ’’free speech’’, not as in ’’free beer », que je vous laisse lire, parce que mon accent anglais va vous écorcher les oreilles, et qu’il avait sortie pour expliquer que libre n’est pas gratuit. Évidemment il y a des petits malins qui se sont empressés de faire une bière libre avec une recette sous licence libre. Mais on peut comprendre cette phrase de « libre n’est pas gratuit » de plusieurs façons. D’une part, on a le droit de le vendre. À l’April, par exemple, on a plus de 300 membres qui sont des entreprises, en général des PME, pour la plupart, et qui gagnent leur vie avec du logiciel libre, on va voir comment tout à l’heure, là je le cite, notamment en vendant du service. Vous pouvez vendre un logiciel libre. Après ça, si effectivement ce logiciel est téléchargeable gratuitement sur Internet, la personne qui vous l’achète va être un petit peu bête de vous l’acheter !
Autre façon de comprendre ça, c’est que, même quand vous êtes sur du développement bénévole, la personne qui va développer bénévolement un logiciel, le fait potentiellement pour plusieurs raisons, mais parce qu’elle y a un intérêt, même si ce n’est pas un intérêt pécuniaire. Ça peut-être, par exemple, un étudiant qui a envie de se faire la main sur un projet qui sera son projet. Il est en train d’apprendre l’informatique et il a envie d’avoir un projet qu’il mène à terme, ça lui permet d’asseoir ses compétences, d’apprendre des choses, de faire valoir ses compétences quand il va aller chercher du travail en disant : « Regardez ce que j’ai codé, etc. » Ça peut être quelqu’un qui a besoin d’un outil et qui va se le construire. Donc il est en train de se faire cet outil parce qu’il en a besoin et qui du coup va le partager. Et là vous avez des gens qui font ça parce qu’ils y ont intérêt.
Vous avez plein de projets comme ça, bénévoles, qui vont vivre un certain temps puis mourir parce que personne ne va les reprendre. D’autres projets qui vont être repris par des communautés parce qu’il y a un certain nombre de gens qui y ont intérêt et tous ces gens qui travaillent bénévolement ne se sentent absolument pas redevables de services. Ils vont faire un logiciel en fonction de leurs besoins, en fonction de leurs envies. S’ils le laissent au milieu du gué, très bien. Si le logiciel n’est pas beau, s’il n’est pas facile à utiliser et que ça ne les intéresse pas de travailler là-dessus, eh bien il n’y aucune garantie. Ce n’est pas gratuit. Ils le font parce qu’ils ont une envie, qui est la leur, et ça ne va pas plus loin. Donc le logiciel n’est pas gratuit, il n’est pas gratuit à plusieurs titres.
Après ça, effectivement, vous allez trouver plein de logiciels que vous ne payez pas, qui sont gratuits de ce côté-là, mais les gens qui les ont faits, les ont faits pour une raison et ils ne sont pas complètement masochistes, ils ne l’ont pas fait pour juste vous faire plaisir, ils l’ont faits parce qu’ils avaient des intérêts personnels à le faire.
Autre point, et on l’évoquait tout à l’heure avec l’open source, aujourd’hui vous avez ce qu’on appelle les GAFAM, Google, Amazon, Facebook, Apple et le dernier je ne sais plus qui c’est [NdT, Microsoft], mais ils s’y mettent tous, qui utilisent massivement du logiciel libre. Il ne faut pas se faire d’illusions, aucun de ces services n’existerait s’ils avaient recours uniquement à des services propriétaires. Imaginez la complexité de ce que fait Google ou de ce que fait Facebook, s’ils ne pouvaient pas avoir la main sur le code source de leur système de base de données et de leur système d’exploitation de serveurs, ils ne pourraient pas mettre en place des infrastructures aussi complexes et, en plus de ça, ça coûterait une fortune, donc ils n’auraient jamais atteint la moindre rentabilité. Toutefois, le fait que ces services-là tournent sur du logiciel libre, ça vous fait une belle jambe quand vous êtes un utilisateur. Quand vos données sont chez Facebook, c’est Facebook qui les maîtrise, c’est Facebook qui les exploite et c’est Facebook qui fait un maximum d’argent sur votre dos, etc., et qui vous surveille, qui fait des statistiques sur votre usage de l’informatique. Donc le logiciel libre seul n’est pas nécessairement une garantie. La question c’est : votre liberté passe par la maîtrise de votre informatique.
Et on a d’autres éléments. Vous passez par un service extérieur, le format est-ce que c’est un format que vous allez pouvoir récupérer, utiliser ailleurs ? Est-ce que le service va être viable dans la durée ? Si le fournisseur décide que, finalement, il en marre et qu’il coupe tout, et que vous êtes dépendant, eh bien vous êtes coincé. Vous avez la politique éditoriale du fournisseur. On a des tas d’exemples où des gens se font censurer à droite à gauche. Un exemple relativement récent, sur un service de partage de photos, d’une Américaine qui mettait ses photos et notamment les photos de sa fille, elle faisait pas mal de photos, et elle a pris, sa fille a deux ans, elle a pris une photo de sa fille qui soulève sa jupe et qui regarde son ventre. C’est une gamine de deux ans. La photo a été censurée, donc dégagée du service. Elle a pensé à une erreur technique ou quelque chose, elle a remis la photo et là, c’est son compte qui a été effacé, parce qu’il était considéré que cette photo-là était inappropriée selon des critères assez absurdes et en tout cas elle a perdu, je crois, quatre ans de photos qu’elle avait mis là-dessus.
Vous avez également la question de la sécurité de vos données. Vous filez vos données à des services externes, vous ne savez pas comment c’est géré derrière, vous avez potentiellement des gens totalement incompétents. Ça a été le cas en 2011, par exemple, pour les gens qui avaient ouvert un compte sur le Play Station Network. Sony avait, en gros, récupéré toutes les données, y compris les données de cartes bancaires et les avait conservées en clair sur ses serveurs. Imaginez que votre banque vous envoie votre carte bancaire, avec le code, dans une même enveloppe. C’est à peu près aussi sérieux que de garder les trucs en clair sur le serveur. Ils se sont fait pirater le serveur et des millions de numéros de cartes bancaires valides sont partis dans la nature, en clair. A priori, c’était des gens qui voulaient vraiment nuire à Sony et pas des pirates qui voulaient faire de l’argent. Coup de chance ! Mais ça démontre que vous ne savez pas ce qui se passe, vous ne savez pas ce que font les gens quand vous leur fournissez des éléments. Et évidemment, la question de la surveillance de votre vie privée, l’actualité en est pleine, et donc je ne vais pas revenir là-dessus.
Le Libre s’est également étendu au-delà de l’informatique. Alors, à l’April, on parle essentiellement de logiciels libres, mais on aime bien voir les choses dans l’ensemble.
En 2000, on a la licence Art Libre qui est apparue en France, à l’initiative de quelqu’un qui est dans l’art contemporain et qui a rencontré des informaticiens et qui s’est dit « mais on pourrait faire la même chose dans le domaine artistique ».
2001, c’est le démarrage de Wikipédia que vous connaissez tous.
2003, les licences Creative Commons, que vous connaissez sans doute aussi, qui sont dans la même veine que la licence Art Libre, mais avec des critères qui vont faire que les licences vont être plus ou moins libres ou pas tout.
2004 OpenStreetMap, donc le Wikipédia de la cartographie.
On a de la musique, des partitions, des émissions de radio, des romans, essais, poésies, photos, cinéma, etc. Et on a des mouvements qui, aujourd’hui, marchent très bien d’open data, le gouvernement investit énormément là-dedans, et des mouvements qui mériteraient de se développer autour de l’open hardware.
Là, je vous ai mis une petite illustration, si vous ne connaissez pas ce film-là. C’est un des films de la fondation Blender. Blender est un logiciel de 3D, libre, qui est un très beau projet, et ça c’est leur film Sintel, qui date d’il y a quelques années déjà maintenant. Si vous ne connaissez pas je vous invite à découvrir.
Autre question très fréquente sur l’informatique libre, le logiciel libre, c’est « d’accord, n’importe qui peut le vendre, mais alors comment je fais pour gagner de l’argent avec ? » Donc, du point de vue du fournisseur, en général on est dans le domaine de l’informatique, du service informatique aux entreprises, c’est là que le gros du marché se fait ; premier élément, centrer l’activité sur le service. Si vous êtes une entreprise et que vous voulez acheter un service informatique, vous voulez qu’il tourne, potentiellement c’est un service et un système informatique qui est compliqué et que vous n’allez pas pouvoir paramétrer vous-même ; vous voulez que ça tourne tout le temps que, si ça tombe en panne, ce soit réparé vite et que quelqu’un fasse toutes les mises à jour, etc. Tout ça c’est du boulot et ce boulot-là se paye. Donc vous avez des entreprises, des entreprises du Libre, qui proposent, par exemple, un CRM (NdT, customer relationship management), un système de gestion de relation clients. Elles vont l’adapter aux besoins, le paramétrer, assurer la maintenance et se faire payer pour ça. Et vous avez potentiellement plusieurs PME qui vont travailler avec le même logiciel libre. Donc, elles sont à la fois en concurrence, parce que, potentiellement, elles vont aller voir le même client, mais, en même temps, elles vont toutes contribuer au même logiciel. Donc à chaque fois qu’il y en a une qui va développer une petite partie pour améliorer telle ou telle fonctionnalité, etc., elle le redistribue, et c’est tout le monde qui en profite.
Vous avez également du développement à façon. C’est-à-dire que votre client, une fonction n’existe pas, dit : « Moi, je veux ça ! » Vous pouvez vous faire payer pour faire ce développement-là et, potentiellement, en expliquant à votre client que vous allez le mettre en Libre et que ça profitera à d’autres, mais que, en même temps il a lui-même un logiciel qui fait plein de choses grâce à ce mécanisme-là.
D’ailleurs, quand vous êtes dans le propriétaire, vous achetez la licence d’un logiciel, c’est une mutualisation de développement, mais limitée à un seul fournisseur. Puisque, quand vous payez votre licence, le fournisseur se sert de cet argent pour payer des nouveaux développements et pour faire évoluer son logiciel. Au final, la différence n’est pas si importante, sauf que, dans le modèle du Libre, on est en général sur du paiement de service, donc on sait ce qu’on achète, alors que quand on achète une licence, eh bien, c’est très obscur ce qui se passe derrière. Microsoft, pendant des années, on savait que la marge, quand on achetait un Windows, la marge de Microsoft était d’environ 80 %. Et pareil sur Microsoft Office. Je pense qu’aujourd’hui, ça a changé. Du point de vue du client, quand on est dans le commerce, l’avantage c’est la mutualisation.
On peut également changer de fournisseur. Quand vous avez un éditeur propriétaire qui vous vend une solution, eh bien le jour où ce propriétaire, cet éditeur a décidé de changer, vous êtes tributaire de son choix. Donc, du jour au lendemain, vous pouvez vous retrouver le bec dans l’eau parce qu’il n’y a qu’un seul fournisseur. Si vous avez une solution libre, si votre fournisseur ne travaille pas bien, que ça ne va pas, vous pouvez lui dire : « Bon, eh bien au revoir, j’en prends un autre ».
Et c’est également une question de simplification de gestion de vos coûts des licences. Quand on est dans le propriétaire, on peut avoir des tas de restrictions. Il faut vérifier que les licences sont bien payées, qu’on a le droit de les utiliser dans telle et telle condition. On est, en général, sur des configurations beaucoup plus simples avec le Libre.
Dernier élément. J’ai utilisé depuis le début de la conférence, j’ai parlé d’informatique libre et de logiciel libre. Ce sont deux notions qui, pour moi, sont assez importantes. L’April parle essentiellement de logiciel libre, c’est vraiment le point de départ du Libre. Vous avez vu que ça a essaimé un petit peu partout. Et, pour moi, on a intérêt à parler d’informatique libre comme une chaîne et à la voir dans l’ensemble. Pour moi, cette chaîne va du matériel jusqu’aux données. Et le logiciel est un maillon de cette chaîne. Si un des maillons de cette chaîne est défaillant, on ne peut pas avoir d’informatique libre, c’est-à-dire qu’on ne peut pas garantir la liberté des utilisateurs, si le matériel, par exemple, est pourri de backdoors ou de choses comme ça. On en parlait dans la conférence tout à l’heure. De la même façon si vous ne maîtrisez pas votre logiciel, vous êtes foutu. Si votre réseau n’est pas neutre et que vous vous faites censurer, contrôler, etc., eh bien vous allez avoir du mal à exercer vos libertés informatiques. Et si vous ne maîtrisez pas vos données parce qu’elles sont enfermées dans un service lui-même privateur qui va vous espionner, ou vous orienter, ou vous interdire des choses, pareil, vous n’êtes plus dans la liberté, dans l’exercice de vos libertés informatiques.
Nous, à l’April, on travaille là-dessus, c’est un peu notre spécialité. On existe depuis 18 ans, c’était un peu le point de départ. Mais on travaille régulièrement avec La Quadrature du Net, parce que la question du réseau est fondamentale. On a 80 % des serveurs d’Internet qui fonctionnent sur du logiciel libre et le logiciel libre s’est développé en parallèle avec Internet. C’est-à-dire qu’au tout début, effectivement, les gens s’échangeaient du code par la poste. Évidemment quand on peut s’échanger du code par Internet, c’est un accélérateur fabuleux. Et aujourd’hui, le grand manquement c’est là, c’est du côté du matériel, on ne maîtrise absolument pas ce qui se passe sur nos machines. Et si vous avez essayé d’installer un GNU/Linux récemment avec un nouveau système qui a l’UEFI, des choses comme ça, vous voyez que c’est bien galère et qu’on peut totalement se faire… Bon il y a des questions de surveillance, mais rien que sur notre usage de l’informatique, on peut complètement se faire avoir sur la maîtrise du matériel.
Pour finir, pourquoi moi qui ne suis pas informaticien je me suis lancé à l’April et je m’investis dans le logiciel libre ? Premier point, que je trouve extrêmement fort, c’est que cet idéal, il y a un idéal philosophique derrière, est validé par la pratique. Le logiciel libre est pertinent parce que ça marche, et la grande force de Stallman c’est d’avoir posé des principes, et d’avoir fait du code derrière, et des outils juridiques.
L’autre point que je trouve très intéressant, c’est ce que j’appelle l’économie du savoir scientifique. Ce sont ces principes de partage du savoir, de publication des recherches, etc., qu’on a dans le monde scientifique, qui est une invention du monde occidental, et qui je pense, à mon sens, culturellement, est un des aspects positifs, une des belles inventions du monde occidental, un de nos points forts, et le logiciel libre reprend ça. Et donc, je trouve que c’est une très bonne chose de voir que ce truc qui fonctionne, que le logiciel libre s’appuie là-dessus.
Autre point que je trouve très intéressant, il n’oppose pas la société civile et le monde de l’argent et du commerce. Sans doute dû au fait que Stallman est américain et que, en France, on a traditionnellement des complexes par rapport à l’argent. Ce sont des complexes que lui n’a pas. Au final, c’est à la fois un accélérateur, parce que l’intérêt des gens, pourquoi ne pas s’appuyer dessus, et que, je pense qu’on a tous des boulots pour se mettre un toit au-dessus de la tête et remplir notre frigo, et qu’en soi, ça n’a rien de mal, et que c’est une très bonne chose qu’on puisse mettre du logiciel libre dans cette partie-là de nos vies.
Autre élément, il met au centre des choses la liberté et le respect de l’individu. Et ça, ça rejoint d’autres questions sur le business. Le business, ce n’est pas mal en soi, c’est quand il commence à prendre des disproportions énormes et que les individus, que leurs libertés ou que leur bien-être, commencent à être mis en danger à cause de ça. Dès lors que l’informatique libre dit « l’important c’est la liberté de l’utilisateur, le partage du savoir », on revient vraiment sur ce qui est essentiel.
Autre point que je trouve fabuleux, c’est son côté universaliste. Ce qui est très rigolo dans le logiciel libre, c’est que ça attire un certain nombre de gens qui ont des idéaux. Vous allez, par exemple, avoir des communistes qui vous disent : « Le logiciel libre c’est le communisme mis en pratique ». Et puis, juste après, vous allez avoir un anarchiste qui va vous dire : « Mais le logiciel libre, c’est vraiment l’anarchie mise ne pratique ! » Quand vous savez que les communistes et les anarchistes se détestent, c’est super rigolo. Et après, vous avez des libéraux, pur jus, qui vont vous dire : « Mais le logiciel libre, c’est vraiment ça. C’est le libéralisme mis en pratique ! » Après vous allez avoir de écolos qui vous disent : « Grâce au logiciel libre, on peut être beaucoup plus écolo, etc. » Et donc, en fait, c’est pour moi un terrain qui permet à des gens qui n’ont rien à se dire de travailler en commun.
Quand on pense que la gendarmerie nationale fonctionne à 100 % sur du logiciel libre et que vous avez, à côté de ça, je pense à des associations qui existent du côté de Nantes, qui font du reconditionnement d’ordinateurs pour les refiler à des gens qui n’ont pas les moyens de s’en payer, et qui sont tenues par des types avec qui j’ai discuté, qui sont des anars purs et durs. Vous avez d’un côté des punks à crête et des gendarmes à képi qui travaillent sur le même terrain et qui, alors probablement ils ne discutent pas, mais il se retrouvent, finalement, autour d’un même idéal et ça, je trouve que c’est quelque chose de vraiment unique.
Donc au final, c’est cette idée de replacer l’éthique au centre de toute chose et de notre activité qui est vraiment très importante et donc voilà ! Donc si vous avez des questions, je vous écoute.
Applaudissements
Merci.

Public :
Il y a moyen de trouver le PDF quelque part, parce que je voudrais le passer à mon père, en fait.
Luc :
D’accord. Il est sur le site de l’April, il y a une page qui s’appelle, il faut aller dans l’onglet « Ressources », et il y a une page qui s’appelle « Conférences données par l’association ». Il est là.
Public :
OK. Merci beaucoup.
Luc :
Les questions, ça fait fuir les gens !
Public :
C’est plus une remarque qu’une question, ou les deux en même temps, mais vous venez de parler des rapports entre le logiciel libre et son financement au niveau politique. Il me semble qu’à la base, de toutes façons, les codeurs, qu’ils le fassent de façon professionnelle, ils peuvent être payés pour, ou que ce soit des gens qui le fassent sur leur temps libre parce qu’ils ont un emploi par ailleurs, même qu’ils soient au RSA, de toutes façons, leur argent vient, à un moment ou à un autre, que ce soit directement ou de façon plus indirecte, par les impôts, par les allocations familiales, même si la personne est au RSA. Ça vient, quand on va à la base, on fait une moyenne de tout le circuit de l’argent au niveau mondial. C’est un moyenne et, en ce moment, le niveau n’est pas terrible, quoi ! Donc, à la fin, on peut dire que le financement et ce qui fait que le logiciel libre se développe, c’est une moyenne de l’état du monde au niveau de la circulation des richesses, c’est-à-dire beaucoup d’esclavage, d’exploitation, aussi des métiers corrects, mais aussi des choses très incorrectes.
Luc :
Le logiciel libre n’est pas un truc qui va révolutionner radicalement le monde.
Public :
Oui, voilà. Juste pour dire. Et il me semble pourtant que ça se présente comme, et il y a un bémol à ce niveau-là.
Luc :
Pour moi, c’est un levier qui permet de changer pas mal de choses. Il y a des questions, ne serait-ce que sur, par exemple, les conditions de construction du matériel qu’on utilise. C’est-à-dire, si on se penche un peu sur la question, on sait que tout notre matériel informatique est produit, en général, en Chine ou pas loin, dans des usines avec des gens qui bossent 12 heures par jour, six jours par semaine et qui dorment dans des dortoirs avec des barreaux aux fenêtres, qui n’ont pas le droit de fréquenter les gens du sexe opposé, des choses comme ça. Donc c’est une des questions qui, aujourd’hui, n’est pas posée et qui, à mon sens, mériterait d’être posée : c’est que la liberté informatique, quand elle s’exerce sur du matériel qui a été construit par des gens qui ne sont pas particulièrement libres. Après ça, il y a les circuits économiques tels qu’ils existent avec, effectivement, de l’exploitation et des choses comme ça. C’est une réalité et effectivement, mieux vaut développer du logiciel libre quand on est ingénieur payé dans une grosse boîte informatique que développer du logiciel libre quand on est au RSA.

Après ça, je dirais que le logiciel libre permet de changer pas mal de choses, de donner du pouvoir aux gens. Ce n’est pas ça qui va radicalement changer l’ensemble de la société ou des modes de production, mais on peut commencer à imaginer des circuits. Moi, par exemple, un sujet qui m’intéresse énormément c’est celui du financement participatif, parce que, quand on y réfléchit bien, il y a énormément de choses où c’est nous qui finançons. Par exemple si on prend le circuit publicitaire, vous avez plein de sites, si vous utilisez Adblock [6] sur votre navigateur favori, il y a plein de sites qui vous disent : « Vous utilisez Adblock, nous on va mourir, etc. » Mais c’est quoi le financement par la publicité ? On vous dit : « C’est gratuit, c’est payé par la publicité. » La publicité. ce n’est pas gratuit. La publicité, quand une marque fait une pub, elle intègre ses frais de publicité dans le prix de son produit. Donc, au final, c’est nous qui payons la publicité. Donc ça passe par un circuit où on paye x %, alors j’avais vu le chiffre sur les canettes de cette boisson énergisante qui met les formulaires sur la piste et qui envoie les gens dans l’espace, tout ça, j’ai un trou de mémoire, Red Bull, voilà. Une canette de Red Bull contient plus de 50 % de pub. Donc la boisson ne coûte quasiment rien, c’est essentiellement de la pub qu’on achète. Et donc, si on veut commencer à avoir des réflexions politiques sur ces questions de la circulation de l’argent ou des choses comme ça, on peut commencer à imaginer, à organiser des circuits différents, à essayer de reprendre la main là-dessus. Et pour moi il y aurait, par exemple sur le financement participatif, un truc extrêmement complémentaire.
Vous avez peut-être suivi l’affaire qui a fait un petit peu de bruit sur l’Oculus Rift, le casque de réalité virtuelle. Je crois que c’est un jeune britannique, si ma mémoire est bonne, qui avait lancé ça. Il a pas mal étudié la question, il a lancé un truc de financement participatif en disant « si vous me donnez de l’argent, je développe des prototypes, vous aurez des kits de développement et ce sera super ». Il a réussi à récupérer beaucoup d’argent, beaucoup plus que ce qu’il avait demandé et notamment le développeur du jeu Minecraft avait mis pas mal d’argent dedans parce que ça l’intéressait beaucoup. Le type a fait son casque de réalité virtuelle, il a livré ses kits de développement et puis là, Facebook est venu le voir, et lui dit : « Tiens, tu veux deux milliards contre ton truc ? » Il a dit : « Oui d’accord ! » Voilà. Donc du coup les gens qui avaient acheté des kits de développement se sont sentis floués parce que le projet va s’arrêter là. C’est-à-dire qu’après il va continuer, mais sous la houlette de Facebook, et eux, qui espéraient un truc ouvert qu’ils puissent s’approprier, etc., ils se disent « eh bien finalement, on va être complètement dépendants de Facebook et donc tout l’argent qu’on a mis dedans, eh bien on s’est fait avoir ! » Non, ils ne sont pas faits avoir ! Ils ont acheté un kit de développement, ils ont eu leur kit de développement. Et ils ont été extrêmement naïfs de penser que le gars allait potentiellement refuser une offre très alléchante. En revanche s’ils avaient dit : « Moi, je veux bien financer le projet, mais j’exige qu’il soit sous licence libre parce que, comme ça, je sais que ça ne pourra être fermé et que la personne qui porte le projet ne va pas se barrer avec la caisse ». C’est une forme de rétribution de son investissement. Et, à mon sens, on a pas mal de choses comme ça qu’on pourrait mettre en place.
Dans l’économie sociale et solidaire, il y a des gens qui travaillent, qui font du libre dans le domaine de l’économie sociale et solidaire. Il y a des gens, là on est un petit peu dans l’idéal, qui réfléchissent à la notion de revenu minimum d’existence, en disant « au final, pourquoi les gens devraient justifier leur droit à vivre ? Tout le monde devrait avoir les moyens de vivre, et si son envie c’est de faire du logiciel libre, ce serait bien. » Après ça, là on est dans l’utopie, mais les utopies il y en a qui se construisent. Il y a plein de pistes qui sont ouvertes là-dedans, et elles sont, à mon sens, un peu plus possibles, dès lors qu’on a la liberté de pouvoir reprendre du code et en faire ce qu’on veut. Si on n’a pas cette liberté-là on ne pourra pas construire quoi que ce soit d’alternatif là-dessus.

Public :
Pas que le code, parce que le matériel, c’est pareil ! Aujourd’hui, citez-moi un seul processeur qui soit libre ! À ma connaissance, il n’y en a pas.
Luc :
Alors jusqu’à maintenant, on a eu du matériel qui était normalisé, alors on s’en est sorti comme ça parce que ça respectait certaines normes, donc c’était prévisible. Et on a aujourd’hui sur le matériel libre, je ne sais plus si Arduino est libre, mais on a des cartes de ce type-là, où effectivement on a les plans, etc. Mais effectivement, ça reste un chantier, un terrain sur lequel ce serait intéressant que ça bouge. Mais je dirais qu’aujourd’hui, tant qu’on a du matériel qui est standard et qu’on arrive à faire tourner des logiciels dessus, on pourra construire quelque chose, modulo effectivement les questions de surveillance, d’espionnage, etc., qui peuvent passer par le matériel.
Public :
Alors moi, je travaille dans une administration et je voudrais désinstaller Windows et mettre Ubuntu. Quelles sont les risques que les gens prennent dans le cadre de leur travail à passer dans le logiciel libre, de façon générale ? Après ça va dépendre de chaque boite et de sa politique.
Luc :
Aujourd’hui, du logiciel libre, il y en a dans 90 % des entreprises, et sans doute plus au niveau des administrations. Après ça, ce sont souvent des briques techniques. La difficulté, notamment par rapport à la bureautique, j’ai discuté cet été, aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, avec des gens qui font de la formation, qui sont dans le projet LibreOffice, c’est que migrer c’est compliqué. La gendarmerie nationale a migré à 100 % dans le logiciel libre. Entre le moment où ils ont commencé et le moment ils ont fini, ça a pris dix ans. Donc c’est tout sauf un truc facile qu’on fait en un claquement de doigts.

Public : Inaudible.
Luc : De ce que j’ai lu dernièrement, le seul truc qu’ils gardent en propriétaire, c’est un logiciel de comptabilité, quelque part dans un bureau, parce que c’est un logiciel qui ne tourne que sous Windows et qu’ils doivent rester compatibles, etc. Mais on a la ville de Munich qui a fait une migration, ça a pris dix ans également. Eux, ils ont carrément fait leur propre système d’exploitation, propre version de GNU/Linux. Et de ce que m’en disaient ces personnes, qui travaillaient beaucoup, justement, sur des migrations, et notamment par rapport à la bureautique, c’est que changer d’outil, c’est stressant, c’est compliqué. Les gens sont plus ou moins adaptables et changer les outils c’est difficile. Et donc, il y a eu pas mal de tentatives de migration qui se sont mal passées parce que ça a été fait à l’arrache en disant « tiens je te retire ça, pouf ! Je te mets ça à la place » et ça se passe très mal.
Je ne sais pas si vous avez déjà bossé, enfin moi c’était mon cas, j’ai une expérience professionnelle où je travaillais en production avec des gens dont je m’occupais, etc. Une fois, on a changé un outil, donc ils étaient plutôt adaptables, on a changé un outil un peu à l’arrache. On change de truc, ça nous a pété à la gueule. Ce sont des choses qu’il ne faut jamais faire. Il y a un boulot d’accompagnement, un boulot de préparation, qui est important. Après ça, il y a aussi toute la partie des techniques. C’est-à-dire que typiquement, dans la bureautique, on a des gens qui ont bricolé des macros dans tous les sens et tout ça, et ça, ce sont des trucs qui vont être assez compliqués à faire migrer parce qu’il y a des habitudes qui sont en place.
Je sais que la gendarmerie avait fait quelque chose d’assez intéressant, c’est qu’ils avaient profité du fait de changer d’outil bureautique pour faire le tour d’horizon de toutes les petites feuilles de calcul, de machin, qui avaient été bricolées par les gendarmes sur le terrain, pour voir tout ce qui avait été fait, comment ça marchait. Et du coup, ils ont compilé toutes les bonnes idées, ils ont payé des gens pour développer des outils qui soient bien faits et qui reprennent toutes les meilleures idées. Et ils ont, en même temps qu’ils ont livré la nouvelle suite bureautique, ils ont livré un outil qui, si ma mémoire est bonne, a permis de faire un gain de productivité de 30 % sur la production des procès-verbaux, etc. Donc non seulement ils ont changé d’outil, mais ils en ont profité également pour que leurs équipes passent moins de temps à faire de la paperasse et travaillent plus efficacement. Je ne sais pas si ça répond à la question ?

Public :
Si, si. En fait, on ne peut pas prendre la décision individuellement. Après c’est hiérarchiquement, d’abandonner Windows et de passer sur Ubuntu. Ce n’est pas possible.
Luc :
Après, ça dépend de ce type d’éléments. Après ça voilà ! On peut proposer un petit outil, on peut l’installer et dire : « Regarde, j’ai fait ça, tu as vu ce n’est pas mal », ou des choses et c’est plus par petites touches. Et c’est fonction, après ça, de qui est en face, etc. Dans l’administration, aujourd’hui, le contexte est plutôt favorable par rapport au Libre. Quasiment tous les quinze jours il y a un article dans la presse, d’un responsable, en gros le DSI de l’État, si je puis dire, qui dit : « On est en train de passer au Libre, on y va doucement, etc. » Mais c’est en train vraiment de changer.
Public :
Merci.
Public :
Le plus simple ce serait de commencer par Thunderbird, Firefox, des logiciels comme ça, des applications.
Luc :
Je sais que j’avais convaincu mon ancien chef de l’intérêt de LibreOffice, parce qu’on récupérait régulièrement des fichiers Word qui étaient corrompus et qu’on n’arrivait pas à ouvrir. Et du coup je mettais dans LibreOffice et ça s’ouvrait dans LibreOffice alors que ça ne s’ouvrait pas dans Word. Quand ça arrive une fois tous les mois pendant six mois, il se dit « ouais, finalement ce n’est pas mal quand même ». Et voilà ! Essayez par petites touches, introduire un nouvel outil ou un truc comme ça. Enfin c’est le conseil que je vous donnerais.
Public :
Moi, j’aurais une question par rapport aux licences dont vous avez parlé. En fait, je sais qu’il y a beaucoup de licences d’utilisation. Je connais CeCILL, GNU GPL, etc. En fait, qu’est-ce qui est réellement une licence libre ou pas ? Enfin, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de licences et que c’est un peu compliqué de s’y retrouver.
Luc :
Oui. Il y a plusieurs éléments. Si vous voulez savoir ce que c’est une licence vraiment libre, vous allez sur le site de la FSF, et ils entretiennent une liste des licences qu’ils reconnaissent comme licences libres. Si vous voulez, sur le site de l’OSI, l’Open Source Initiative, ils ont leur propre liste, elles sont en général assez proches. Donc déjà, ça, ça vous permet de dire, aux yeux de la FSF, ce qui est libre et ce qui ne l’est pas. Après ça, ça peut poser des problèmes dans un projet. C’est-à-dire que si vous prenez des briques dans tous les sens avec plein de licences différentes, ça va devenir un casse-tête juridique pour mettre tout ensemble. Effectivement, il y a des gens qui râlent contre la multiplication des licences, et des fois on voit des gens qui disent : « Oui, alors moi, j’ai fait ce logiciel, mais je ne veux pas qu’il soit utilisé, par exemple, pour faire des armes ». Et donc il font leur propre licence avec la petite clause, etc. Du coup, ce n’est plus libre parce que la liberté d’utiliser, c’est la liberté d’utiliser y compris pour faire des missiles pour tuer des gens. Effectivement, plus on multiplie les licences, plus ça peut devenir compliqué.

Après ça, on a des licences qui sont dites compatibles, par exemple dans le domaine artistique, la Creative Commons By SA — ça veut dire qu’on cite l’auteur et on a une clause copyleft, donc obligation de garder la même licence — est compatible avec la licence Art libre. Donc si vous avez quelque chose qui arrive sous CC By SA, la version 3, vous avez le droit de prendre ce truc-là et de mettre sous licence Art libre et inversement.
Après ça, on a des ruses, on va mettre sous plusieurs licences. Par exemple à l’April, on met trois/quatre licences, de telle sorte que les gens qui veulent récupérer notre truc ne soient pas coincés par des petits soucis juridiques. Après ça, un projet libre qui va bien marcher, en général, on va se poser la question des licences en amont. Et des fois, on a des gens qui développent des trucs sans se poser de questions et se retrouvent avec une jungle de licences et des trucs pas compatibles. Et le jour où ils essaient de mettre tout ça d’aplomb, ils pleurent. Effectivement, c’est un truc et ça peut devenir très compliqué, parce qu’il y a des petits détails dans les licences.

Public :
Est-ce que, par exemple, la commercialisation ou non de ce qui, au départ, était totalement libre, enfin vraiment gratuit, etc., on puisse le commercialiser après ?
Luc :
Ça, c’est un critère impératif sur une licence libre. Dans les Creative Commons c’est la licence NC, donc non commercial, qui interdit la commercialisation. Si une licence interdit la commercialisation, elle n’est pas libre.
Public :
D’accord.
Luc :
Et derrière, il y a des tas d’idées et notamment, parce que la question c’est quoi un usage commercial ? Si j’ai un commerce et que je fais cadeau, je donne gratuitement à mes meilleurs clients un logiciel, enfin une clef USB avec des logiciels libres dessus, des logiciels avec une clause NC ; je ne les vends pas, c’est une offre promotionnelle. Est-ce que je suis dans du commercial ou pas ?
Public :
C’est limite, là.
Luc :
Oui, c’est limite mais justement, et du coup, comme c’est limite, qu’est-ce que je vais faire ? Je vais aller voir les auteurs des logiciels et je vais leur dire : « Est-ce que j’ai le droit ? » Du coup, une distribution GNU/Linux, ce sont des milliers de développeurs. Si je suis obligé de demander l’autorisation à chaque fois, eh bien je ne fais pas. Et ça, c’est un des effets simplificateurs qu’il y a dans le logiciel libre et, dans le domaine artistique, les gens ont pas mal de mal à s’y faire. C’est cette possibilité de faire sans avoir besoin de demander l’autorisation. Et ça, c’est un truc qui est extrêmement simplificateur et qui est très puissant. C’est-à-dire que, voilà, on peut faire un logiciel, on n’a pas besoin de retrouver mille développeurs dont certains ont écrit le truc il y a vingt ans, dont certains sont morts ou dont certains ne sont plus joignables. Donc on a une simplification assez considérable.

Et avec cette idée que si la personne arrive à faire de l’argent avec, peut-être qu’elle a mérité son fric, parce que ça nécessite aussi de l’argent de savoir commercialiser les choses. C’est aussi un moteur pour elle, si on a fait un très bon logiciel, je rappelle qu’elle a l’obligation, en général, de citer l’auteur original, donc son envie de faire de l’argent est également quelque chose qui va contribuer à notre notoriété d’auteur de logiciels. Et si elle arrive à installer un logiciel sur le marché, c’est-à-dire vous écrivez un logiciel, quelqu’un qui a un talent de commerçant arrive à en faire un produit que les gens achètent, mais vous avez le droit de profiter de l’aubaine vous aussi pour vendre le logiciel ! Donc tout le boulot qu’il a fait, vous pouvez également le récupérer.
Après là où ça devient compliqué, c’est effectivement quand vous avez des réseaux de communication qui sont complètement verrouillés. On a ça dans le domaine artistique, c’est une des angoisses. Les gens voient la culture au travers de quelques chaînes de télévision ou quelques chaînes de radio et ils se disent : « Si je me fais récupérer là-dedans, je vais me faire avoir, parce que je vais disparaître dans le processus ». Mais avec Internet, ça change, d’une part, et d’autre part, notamment avec les clauses copyleft, il faut bien penser qu’on a l’obligation de garder la même licence. Typiquement, dans le domaine artistique, c’est oui, mais si on me prend ma musique pour faire de la pub ou des choses comme ça. Oui, mais si la licence est copyleft, la condition de conservation de la licence reste. Ça veut dire que si vous imaginez une musique, une marque prend une musique sous licence libre pour en faire sa signature, ça veut dire que c’est une signature que n’importe qui peut reprendre, modifier et s’approprier. Donc ça ne marche pas parce que, en général, quand on est dans ces systèmes-là, on veut s’approprier, on veut l’exclusivité. Donc ça, ce sont de mécanismes qui vont finalement permettre une protection, assez efficace et qui ne passe pas par du verrou et de l’interdiction.

Public :
J’ai une autre question. Vous avez dit tout à l’heure que vous n’êtes pas informaticien. Est-ce que vous avez des exemples ? Comment on peut contribuer, en fait, à l’informatique libre, sans être informaticien, comme vous ?
Luc :
Je ne suis pas informaticien, je travaille dans une entreprise informatique. Donc vous pouvez faire la même chose que je fais quand je suis au boulot : rédiger de la documentation, tester les logiciels, faire des formations, des supports de formation, des choses comme ça. Il y a tout ce qu’on appelle la localisation qui consiste à changer tous les termes dans les boutons, les menus, les trucs comme ça. Ça fait partie des quelques trucs qu’on peut faire, il y a en a potentiellement plein d’autres, effectivement. C’est peut-être moins rigolo que de coder, mais ce sont des boulots qui sont très utiles.
Ubuntu :
J’en profite pour faire un peu de pub pour la doc Ubuntu qui recherche des volontaires pour justement la remettre au goût du jour et la réorganiser.
Public :
Pardon, c’est pour répondre à votre réponse, un petit peu, de tout à l’heure. Quand vous parliez du don, de ce qu’on appelle un peu l’économie solidaire, des choses comme ça, enfin don, donner de l’argent ou financer comme ça. Là où je voulais en venir, c’est que ce n’est pas, justement, un projet qui va être financé par des dons, on peut avoir l’impression que vraiment ça va dans le bon sens. Or, il me semble, je me questionne, j’ai vaguement l’impression, enfin en tout cas ce que je suis en train de dire, que non, ce n’est que de la remise en circulation d’argent dont on condamnerait l’origine.
Luc :
Je ne comprends pas bien la question.
Public :
Par exemple, si un projet informatique, enfin le logiciel libre ou des choses, ou même financer un disque ou un film, il a besoin de financements, mais au lieu d’aller demander de l’argent à Coca-Cola ou à Monsanto, eh bien, demande des dons, on a l’impression que ça va dans le bon sens. Mais moi je me dis que non, parce que quelqu’un qui va donner de l’argent pour ce projet, d’où vient cet argent ? Quand on cherche à la base.
Luc :
En deux minutes, une minute, parce que la question de l’origine de l’argent, on n’est plus du tout dans le logiciel libre. Je vous conseille de regarder ce que fait Stéphane Laborde, qui était en conférence plus tôt dans l’après midi, qui parle de la question de la création monétaire, et qui propose, il s’est inspiré du Libre, il propose une monnaie libre et il propose un système que je trouve super intéressant sur ce sujet-là. Après, pour finir là-dessus, la monnaie circule aujourd’hui dans l’économie de façon qu’on peut considérer plutôt inégale. Après ça, à mon sens, si on arrive à prendre un peu plus de pouvoir sur la circulation de cet argent, on aura un peu plus de pouvoir sur nos vies. Mais après, je ne sais pas trop quoi répondre à votre remarque. On va céder la place parce qu’il est l’heure.

Applaudissements
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Références

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Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.