Le Logiciel Libre - Au service de la souveraineté numérique depuis plus de 35 ans - Stéfane Fermigier

Le logiciel libre a émergé au milieu des années 80 comme une démarche d’émancipation des utilisateurs de l’informatique, avec, comme ambition, de créer une communauté mondiale de développeurs, contributeurs et utilisateurs. Connu également sous le nom d’open source, depuis la fin des années 90, il s’est imposé en une vingtaine d’année à la fois comme un modèle de développement et d’innovation qui percole dans tous les secteurs du numérique, mais également comme l’un des secteurs les plus actifs de l’informatique, représentant actuellement en Europe environ 10% de ce marché.
Les valeurs et les ambitions fondatrices du logiciel libre résonnent aujourd’hui avec acuité dans un débat sur la « souveraineté numérique » (aussi appelée « autonomie stratégique » ), rendu nécessaire à la fois par les crises actuelles (sanitaires, géopolitiques, énergétiques...) et par les bouleversements économiques provoqués par la révolution numérique (hyperpuissance des GAFAM).
Pourquoi et comment contribuer au développement du logiciel libre ? Quels modèles économiques pour pérenniser sa croissance ? Quelles politiques industrielles en France et en Europe pour soutenir son développement et reconquérir notre autonomie technologique ? Telles sont les questions qui seront abordées, après une rapide présentation historique, lors de la conférence.

Fabrice Kordon : Bonjour à toutes et tous. Une nouvelle présentation ce soir dans le cadre des 75 ans de l’informatique en France et on va parler logiciel libre.
Pour nous, dans le monde académique, le logiciel libre est quelque chose d’extrêmement important, en particulier ça fait partie de l’ADN d’un laboratoire comme le LIP6 [Laboratoire d’informatique de Paris 6], d’abord à un niveau micro, on aime bien les théorèmes, mais on aime encore mieux les théorèmes qui marchent ! Ça va veut dire que pour faire marcher les théorèmes, pour mesurer leur contribution face à des problématiques réelles, c’est très vite important d’avoir du logiciel. On peut faire son logiciel dans son coin, traiter des nouvelles études de cas et puis on est très content, malgré tout, quand ça ne passe pas, quand ça casse, parce que l’objectif c’est de comprendre pourquoi ça casse, pour, justement, revenir sur les aspects plus fondamentaux et produire une nouvelle version du logiciel qui, bien évidemment, va mieux, fait mieux les choses.

Lorsque ce logiciel devient libre, et c’est quelque chose que les universitaires ont compris très tôt, c’est-à-dire qu’il n’est plus partagé au sein d’une équipe de recherche, mais qu’il est partagé au sein d’une communauté, là on passe au braquet supérieur et ça permet des choses, des choses qui vont commencer par exemple avec les solveurs de systèmes de contraintes, les SAT solveurs, il y a à peu près 25 ans. Les gens de cette communauté-là ont commencé à faire un concours de logiciels et puis, régulièrement, et de plus en plus fréquemment, de nouvelles communautés ont créé leur concours. Là ça décuple parce que l’expérience est partagée, on se mesure les uns avec les autres sur les domaines d’applicabilité des travaux et le fait que le code source soit ouvert, soit open, soit libre, permet des transferts de composants logiciels entre des outils et, du coup, cette fertilisation croisée a eu un impact impressionnant de structuration au sein des communautés qui ont mis en œuvre ce type de concours.
Donc, effectivement, le logiciel libre est maintenant presque quelque chose qui est acquis, on va voir ce que va en dire Stéfane. Il y a des acteurs industriels qui, il y a 20 ans encore, nous regardaient avec des yeux ronds quand on parlait de logiciel libre et il y avait des acteurs qui étaient un peu plus en avance sur leur temps. On en est même au stade où on commence à parler de hardware libre, de matériel libre, donc vous voyez qu’on a fait l’étape d’après, le LIP6 est d’ailleurs en pointe sur ces choses-là aussi. Et c’est quelque chose qui a précédé cette vague d’open data, de données partagées. Les premiers qui ont vraiment fait ça sont les astronomes avec les résultats d’expérimentation, les mesures. Les physiciens aussi font beaucoup d’informations qui sont partagées, qui sont ensuite ré-exploitées. Quand vous envoyez une sonde spatiale à l’autre bout du système solaire, ça coûte tellement cher qu’on a vraiment intérêt à maximiser l’usage des données.
Le logiciel libre, dont on va parler, concoure donc à cette fertilisation croisée de la science. On va voir que c’est aussi au service de la société, en particulier sur un certain nombre de choses ; je vois que tu parles de la souveraineté numérique, c’est effectivement un des aspects très importants.

Qui recevons-nous ce soir ? Nous recevons Stéfane Fermigier. Stéfane Fermigier est un routier du monde du logiciel libre. Étonnement, ce n’est pas vraiment un académique – il est évidemment passé par le monde universitaire –, mais il a fait le gros de sa carrière plutôt du côté obscur, comme on dirait chez nous, mais toujours avec son bâton de pèlerin autour du logiciel libre. Il a animé, entre autres, le groupe de travail logiciel libre du pôle Systematic pendant longtemps ; il est l’un des coanimateurs du comité du Centre national pour le logiciel libre en France [1] et d’autres organisations qui travaillent autour du logiciel libre, avec toujours ce but de rapprocher les différentes pratiques à la fois au niveau académique et aussi au niveau industriel.

Et puis un tout petit mot pour dire que cette journée, cette conférence, se passe en marge d’un autre évènement que sont les SWAP Days, qui ont été coorganisés par le LIP6 Sorbonne Université, l’Unesco et Software Heritage [2], il y a aussi l’Inria [Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique] dans le coup ; on est dans là une autre dimension qui est aussi liée au logiciel libre, qui a été essentiellement portée par des gens qui font du logiciel libre, qui font, en fait, le stockage de logiciels vus comme un patrimoine de l’humanité et c’était très intéressant dans ces jours précédents. Là on est en amont, on se pose aussi des problèmes qui ressemblent à des problèmes que des archéologues peuvent se poser sauf que ce ne sont pas des tablettes sumériennes qu’on essaie de protéger. On essaie de retrouver les codes sources, par exemple du programme Apollo en récupérant des vieux listings de l’époque, parfois en allant jusqu’à les acheter dans des brocantes, donc un travail absolument démentiel, puis numériser tout ça. On était très logiciel libre et préservation du patrimoine logiciel.
Aujourd’hui je laisse donc la parole à Stéfane. Merci beaucoup.

Stéfane Fermigier : On est dans une conférence qui a une connotation historique assez forte. On va regarder cet objet principalement sous un angle historique, mais il y a aussi des sujets d’actualité et l’un de ces sujets d’actualité, dont on parle depuis deux/trois ans maintenant de manière assez aiguë en France, c’est la souveraineté numérique. On fera le lien, dans un deuxième temps, avec ce sujet.

J’ai déjà été présenté. Je suis entrepreneur, j’ai été un tout petit peu universitaire dans ces locaux. En ce moment je donne un cours sur le logiciel libre à l’EPITA [École des ingénieurs en intelligence informatique]. Ce que je présente aujourd’hui est une version condensée, en 40/45 minutes, d’un cours qui dure plus de 30 heures. Vous allez voir que ça va pulser.
J’ai fondé quelques entreprises et également quelques organisations qui sont consacrées à la promotion du logiciel libre depuis maintenant 25 ans.

Citations « inspirantes »

Pour commencer, quelques citations des grands personnages du monde du logiciel libre, en tout cas quelques-uns.

Richard Stallman [3], qu’on considère comme le fondateur du mouvement du logiciel libre, a l’habitude de commencer ses conférences, quand il est en France, par la devise de la République française : liberté, égalité, fraternité.

  • Liberté, on parle du logiciel libre donc le lien est forcément évident.
  • Égalité, ça veut dire qu’on est tous égaux dans l’accès au code source, dans l’accès au logiciel, c’est l’idée de partage.
  • Fraternité c’est l’idée de créer des communautés. On va d’ailleurs le voir dans la slide suivante, Richard Stallman a eu dès le départ l’idée de créer une communauté fraternelle autour de son travail.

Contrepoint. Quelques années plus tard Liberté, égalité, business. C’est le titre d‘un livre qui a été écrit par l’un de mes amis, Jean-Paul Smets, qui montrait, une quinzaine d’années après le tout début du mouvement du logiciel libre, qu’il y avait déjà, en Europe, un tissu économique qui était capable de travailler, de faire des choses intéressantes avec des logiciels libres non développés en Europe.

Un autre grand personnage, en tout cas, d’il y a plus de 20 ans maintenant, puisqu’il a pris sa retraite en 2001, je n’ai plus la date exacte, Bob Young qui a été le principal animateur, au tout début, de la société Red Hat [4], qui est devenue le plus grand éditeur de logiciels libres au monde et qui s’est fait rachetée, il y a trois/quatre ans, par IBM pour 35 milliards de dollars. La citation que j’ai mise de Bob Young : « La liberté n’est pas un concept abstrait en matière de business. Pourquoi ? Parce que le succès de toute industrie est relié directement au degré de liberté entre les fournisseurs et les clients. » Il y a cette idée que dans l’industrie informatique où il y a des tendances assez fortes à la concentration, à la création de monopoles – on a pu le voir par exemple avec Microsoft, on a pu le voir avec Oracle, avec SAP, avec des sociétés comme ça qui sont vraiment des géants –, le logiciel libre, au contraire, a tendance à créer un level playind field, un terrain de jeu où les règles sont plus équitables pour tous les acteurs.

Linux Torvalds [5], le créateur de Linux, est évidemment aussi un personnage très important. Linux a été créé il y a 31 ans maintenant et Linus en est toujours le leader. Une phrase, un petit peu sortie de son contexte mais qui donne aussi un autre courant de pensée du logiciel libre, Talk is cheap. Show me the code, l’idée que le code est quand même la valeur essentielle du logiciel libre et tout ce qu’on peut dire autour est finalement secondaire, vient en soutien d’un processus de développement.

Enfin, le titre d’un livre qui est paru en 2005 Innovation Happens Elsewhere [Ron Goldman et Richard P. Gabriel], l’innovation a lieu ailleurs. C’est l’idée que chaque entreprise doit aller chercher de l’innovation ailleurs, ce qu’on appelle l’« innovation ouverte » et le logiciel libre en est sans doute la forme la plus pure, puisque c’est un mécanisme de collaboration entre entreprises, entre entreprises et universitaires, entre individus entre eux, entre entreprises et individus, etc., où chacun peut participer de manière assez égalitaire – il peut y avoir des biais dans certain cas. C’est cette idée que l’innovation va se diffuser beaucoup plus vite si on décide d’ouvrir sa démarche.

Un peu d’histoire. Un quiz, une question piège : photo de gauche, un mainframe IBM photographié en 1957, à droite un smartphone Murena, c’est un indice, photographié en 2022. Tout les oppose : la machine de gauche a quelques milliers de tubes, la machine de droite plusieurs milliards, dizaines de milliards de transistors ; la mémoire de la machine de gauche peut-être quelques kilooctets ; la mémoire de la machine de droite quelques gigaoctets ; des vitesses de calcul qui sont incomparables. Est-ce qu’il y a un rapport entre les deux ? Est-ce que quelqu’un a une idée ? Par rapport au thème de la conférence, la réponse est évidemment : le logiciel libre ! À gauche, on a une machine qui tourne à 100 % avec du logiciel libre. À droite, on a une machine qui tourne à 100 % avec du logiciel libre.
Je vais vous expliquer parce que ce n’est pas tout à fait évident. Il y a à la fois un aspect historique à gauche et, à droite, c’est parce que ça n’est pas un Android standard, c’est un Android 100 % open source qui justifie mon affirmation.

Les grandes périodes de l’histoire du logiciel libre

La grande histoire du logiciel libre, en une demi-douzaine de périodes.

Au tout début de l’histoire, dans les années 1950/60, tous les logiciels étaient libres, de facto. Pourquoi ? Parce qu’il n’y avait de droit du logiciel. Il n’y avait pas de propriété, on n’avait pas encore fait les lois qui donnent une protection juridique, un droit d’auteur, comme on va le voir, sur les logiciels. Les logiciels étaient libres. De toute façon, comme on peut le voir là, il y a une autre différence, combien y avait-il de mainframes en 1957, je n’ai pas compté, peut-être quelques centaines, peut-être quelques milliers ? Combien y a-t-il de téléphones mobiles en 2022 ? Ça se compte en milliards. Il y a donc cette démocratisation de l’accès au matériel qui va être aussi un facteur de l’évolution du développement du logiciel libre.

À l’époque, ce qui comptait c’était le matériel, le logiciel était considéré comme n’ayant pas de valeur. Progressivement, dans les années 1970, un certain nombre d’entreprises se sont dit qu’il y avait quand même du business à faire autour du logiciel, l’une des plus connues c’est Microsoft, ça date de cette époque. Il y a eu du lobbying au Congrès américain et, ensuite, ça s’est étendu sur toute la planète.

En contrecoup ou en parallèle, il y a eu des efforts technologiques pour développer des systèmes d’exploitation, pour développer des systèmes de réseaux, des systèmes d’interfaces graphiques, qui étaient libres, qui n’étaient pas tout à fait libres, mais qui étaient quand même dans un esprit d’échange, un esprit, là encore, d’innovation ouverte entre acteurs universitaires ou entre acteurs universitaires et industriels.

Dans les années 80, le matériel grand public : les CPU ont commencé à devenir suffisamment puissants pour envisager de développer des « vrais systèmes d’exploitation », entre guillemets, qui, avant, été réservés aux entreprises, aux universités, sur des machines qui n’étaient pas accessibles, financièrement, au grand public.

Du coup, dans les années 80 Richard Stallman, qui n’était pas d’accord avec cette propriétarisation du logiciel libre, lance le mouvement du logiciel libre, lance le projet GNU, on va y revenir et lance la Free Software Foundation [6].

Dans les années 90, il y a le noyau Linux au tout début et puis ça se développe. Les logiciels libres existants finissent par s’agglomérer pour faire des offres cohérentes. De nouveaux logiciels libres sont créés et, progressivement, on prend conscience qu’il y a quelque chose d’intéressant, que c’est quelque chose qui est nouveau, qu’il se passe quelque chose, mais l’impact économique est encore relativement mineur.

Dans les années 2000, l’impact économique commence à augmenter, les entreprises se sont formées dans les années 90 et elles continuent à se développer. De nouvelles générations d’entreprises se forment sur la base de valeurs et d’une proposition de valeurs qui est principalement basée sur le prix, le prix des logiciels qui a évidemment tendance à baisser quand il y a du logiciel libre.

Dans les années 2010, on va dire que le logiciel libre commence à être adopté par un certain nombre de grandes sociétés, y compris les géants d’Internet – Google, Amazon, Facebook, etc., les GAFAM, Microsoft est arrivé un peu plus tard, mais une partie des GAFAM en tout cas –, qui voient le logiciel libre comme un accélérateur d’innovation et comme un levier stratégique d’influence sur leurs écosystèmes.

Il reste 2020, c’est pour les étudiants qui sont dans les salles, c’est à vous d’écrire l’histoire. Que va devenir le logiciel libre dans les années 2020/2030 ?, tout reste encore à écrire.

GNU Manifesto (Stallman, 1983)

Comme je disais, Richard Stallman, à partir de 1983, je donne une date assez précise, commence à faire circuler un message à ses collègues, confrères, contacts. J’ai mis quelques extraits. Il parle du projet GNU. GNU veut dire « GNU n’est pas Unix », Gnu’s Not Unix. C’est un système d’exploitation qui se veut être compatible avec Unix, qui pourra faire tourner des programmes Unix, qui pourra donc faire tourner toute une gamme de programmes préexistants. Stallman n’est pas fan d’Unix, mais il considère quand même que ce n’est pas si mal, que ça devrait faire l’affaire et qu’il vaut mieux ça plutôt que quelque chose de plus ésotérique.
Il parle de volontaires, il dit : « Je ne suis pas seul, il y a des volontaires, il y a des bénévoles qui vont m’aider. Si vous avez du temps, de l’argent, du matériel, on est preneur. »

Ensuite on arrive dans la partie idéologique, philosophique. Il considère qu’il est important de pouvoir partager les logiciels. C’est vraiment sa motivation qu’il donne dans cette phrase, la phrase du milieu [I consider that the Golden Rule requires that if I like a program I must share it with other people who like it].

Pour finir une dernière phrase : « GNU, mon projet, ne sera pas dans le domaine public. Ça n’est pas du domaine public ». On pourra évidemment le modifier, le redistribuer, mais, il insiste, il ne veut pas qu’un distributeur puisse faire des modifications et les garder pour lui, en restreignant le droit de redistribution d’une version modifiée.

Là on a vraiment, dès 1983, un certain nombre de graines qui sont plantées et on va voir comment ça continue à évoluer ensuite.

Linus Benedict Torvalds (1991)

En 1991, Linus Torvalds écrit un message, qui est maintenant fameux, où il annonce à la communauté Minix, Minix était un autre système d’exploitation qui n’était pas libre mais qui ressemblait à Unix. Il dit : « Je suis en train de travailler sur un système d’exploitation libre, pour moi c’est juste un hobby, ça ne sera pas un truc gros et professionnel comme le projet GNU. » C’est là que c’est rigolo, parce que, aujourd’hui, le projet Linux est devenu le truc gros et professionnel par essence et, par ailleurs, c’est toujours Linus Torvalds qui en est le leader avec, bien sûr, d’autres individus.

Il donne ensuite des détails principalement techniques. Là on voit un petit peu une différence d’approche entre Stallman et Torvals. Stallman était plutôt dans la vision, avec un message presque philosophique, idéologique diront certains. Torvalds dit : « Je me suis fait plaisir, j’ai bidouillé un truc, c’est sympa. Si vous avez des idées, envoyez-les-moi », il ne dit même pas venez m’aider, c’est venu un peu après, il ne faut pas s’inquiéter, il a compris des trucs ensuite. Donc deux approches différentes.

Du coup, on peut faire ce diagramme qui est très incomplet et, en même temps déjà assez riche sur la généalogie des systèmes Unix depuis leur naissance dans les années 1970 et les différentes variantes, notamment les variantes libres ou open source.

Ce qui dérive du projet GNU et, en particulier du noyau Linux qui est évidemment, aujourd’hui, le système d’exploitation libre le plus connu et le plus répandu.

Tout ce qui dépend de Berkeley, donc Berkeley Software Distribution, BSD, ce sont aussi des lignées qui remontent à presque 30 ans maintenant, même encore plus, aux années 80 si on remonte au tout début. Pas grand monde, on va dire, en tout cas par rapport à Linux, utilise BSD aujourd’hui, avec une petite exception, Apple avec une transition, en passant par Next qui a été la société de Steve Jobs pendant quelques années et qui a fini par se faire racheter par Apple : MacOS et même iOS sont basés sur le noyau BSD, donc il y a du BSD dans tous les Mac, il y a du BSD dans tous les iPhones, toutes les tablettes, tous les iPads. Et maintenant il y a du Linux dans tous les smartphones Android, dans toutes les tablettes Android, dans tous les Chromebooks, puisque ChromeOS, l’OS de Google, est basé sur Linux. Et puis on a un certain nombre, ça n’est pas dominant, peut-être 2 % du marché, de machines qui sont des machines Linux entre guillemets, « pures », sans couche non open source ou additionnelle.

Par contre, les systèmes du bas existent encore pour certains, pas tous, c’est ce qu’on appelle du legacy, Linux a vraiment gagné sur ce marché-là.

Fondamentaux juridiques

Passons maintenant aux fondamentaux juridiques.

Il faut comprendre que les conditions d’utilisation d’un logiciel sont régies par une licence. Une licence est une sorte de contrat non pas d’achat du logiciel, non pas de transfert de la propriété du logiciel, mais un contrat qui régit les droits d’utilisation, de mise à disposition du logiciel. Aux États-Unis, ça repose sur ce qu’on appelle le copyright, qu’on appelle en France le droit d’auteur, qui est un petit peu différent, mais, en première approximation, on va dire que c’est sensiblement équivalent.

Traditionnellement le droit d’auteur est restrictif : il interdit tout tant qu’on n’a pas donné les droits. Du coup, c’est là que les licences de logiciel libre font une sorte de hack du système puisqu’elles vont donner explicitement des droits, des droits assez larges qui permettent de diffuser largement ces logiciels, de les réutiliser, de les modifier, etc.

Les quatre libertés (définition FSF, 1986)

Je vais donner une définition : par définition, un logiciel est libre si sa licence est libre, si et seulement si, par définition. Le logiciel est libre si sa licence répond à un certain nombre de critères qui vont arriver ici. Ce sont quatre critères qui s’appliquent aux licences, qui s’appliquent donc aux logiciels dont l’utilisation est régie par ces licences, qui ont été définis par Richard Stallman en 1986. Ça a un petit peu évolué au début, maintenant c’est complètement stabilisé :

  • la liberté dite 0 qui permet de faire tourner un logiciel, de l’utiliser où on veut, comme on veut sans restriction. Elle s’appelle liberté 0, savez-vous pourquoi ? Au début il n’y avait pas pensé, au début il n’y en avait que trois, les libertés 1, 2, 3 et un jour des gens lui ont dit : « Il y a un bug dans ta définition, il manque un truc » et ce truc est tellement évident ! La liberté 0 c’est ce qu’on appelle aussi les freewares, ce n’est pas le free software, c’est ce qu’on a appelé les freewares à l’époque, des logiciels qu’on peut utiliser gratuitement, etc., on n’a pas le code source donc on n’a pas les libertés suivantes ;
  • liberté numéro 1, liberté d’étudier le fonctionnement du logiciel. Pour étudier le fonctionnement d’un logiciel, à quelques très rares exceptions près, il faut absolument avoir le code source, sinon ça devient très compliqué de l’étudier. L’accès au code source, c’est écrit explicitement, est une condition nécessaire. Nous sommes dans une université, bien sûr que l’accès au code source avec le mouvement du logiciel libre, la mise à disposition à des étudiants de milliers, de millions de logiciels c’est évidemment une source pédagogique inestimable, qui n’existait pas il y a 30 ans, qui n’existait pas avant que ce mode de développement et de diffusion ne se démocratise. On a déjà ce gain en termes de ressources pour l’éducation des futurs développeurs ;
  • la liberté 2, la liberté de faire des copies du logiciel, quelles qu’elles soient ;
  • la liberté numéro 3 qui est fondamentale pour vraiment créer une dynamique de développement collaboratif, c’est la liberté de redistribuer des copies qu’on a modifiées.

Avec ces quatre libertés, on va avoir la création de communautés de développeurs qui vont pouvoir se partager les logiciels et également les mettre à disposition d’utilisateurs qui, eux-mêmes, ne sont pas forcément développeurs. Je réponds à une objection : à quoi me sert le logiciel libre, je ne suis pas développeur, je ne comprendrai pas ? Ça ne nous sert pas directement, mais ça va nous servir parce que des développeurs ou des gens qui ont des compétences dans le cycle de vie des logiciels dans sa généralité, se sont emparés du logiciel, l’ont amélioré, l’ont débogué, etc., et vous en bénéficiez.

Toujours dans la définition, on voit qu’on n’est pas en maths, on ne donne pas juste une définition avec des règles très précises, on donne aussi les attendus, on donne aussi les raisons pour lesquelles on a cette définition. Il y a, en particulier, cette idée de communauté qui est écrite noir sur blanc dans la définition.

Historique des licences libres

Je vais donner un historique très rapide des principales licences libres. Au moins une centaine de licences sont apparues depuis 30 ans, depuis qu’on parle de logiciel libre. Sur cette centaine de licences, c’est beaucoup, il y a eu des débats. Au final, celles qui ont vraiment un impact aujourd’hui ne sont pas si nombreuses, il y en a une petite dizaine, même un peu moins. Vous avez les principales et vous avez les dates de leur création.

Vous voyez que ça va de 1987 pour la licence MIT, comme son nom l’indique elle vient du MIT [Massachusetts Institute of Technology] donc elle vient clairement d’un projet universitaire.

La GPL [GNU General Public License ] [7], l’invention, en tout cas la création de Richard Stallman et de son équipe juridique.

Et après d’autres organisations ont créé des licences qui sont importantes, qui ont également évolué, du coup certaines licences ont eu une version 1, une version 2, une version 3, pour répondre soit à des objections ou des déficiences qui se sont révélées à un moment donné, soit pour évoluer en fonction de la jurisprudence ou des besoins en termes de licence.

Quand on regarde de près toutes ces licences on voit que c’est compliqué. Effectivement, ce n’est pas en deux minutes que je vous donnerai tous les détails juridiques. Une façon de se dépatouiller quand même un peu c’est d’aller sur Wikipédia. On a, par exemple, ce tableau qui va donner pour une cinquantaine de licences, peut-être plus, leurs caractéristiques principales. Dans le tableau on a du vert, du rose, du jaune, etc., on aura les principales caractéristiques de la licence.
On voit que si toutes des licences existent c’est aussi parce qu’elles ont des buts, qu’elles ont des caractéristiques différentes qui vont correspondre à des besoins différents qui mettent leur logiciel sous tel ou telle licence.

… à l’open source

J’ai parlé du logiciel libre, on va passer à ce qu’on a appelé une deuxième ère de l’histoire qui est l’ère de l’open source et on se posera peut-être la question : est-ce qu’il y a une différence entre les deux ? Je garde le suspense pour l’instant.

1998 – L’année où tout bascule

Il y a une année charnière qu’on va dater à 1998. En 1998 on est en plein dans la première bulle internet.

En 1998, Netscape annonce le passage de son navigateur web en libre, c’est ce qui deviendra ensuite Mozilla Firefox et, la même année, d’ailleurs à cette occasion, un certain nombre de personnes créent le terme open source, on va voir pourquoi.

Netscape ouvre le code comme promis.

Fondation d’une association en France, l’AFUL Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres [8].

Sortie d’une Debian avec déjà 300 contributeurs.

Sortie d’un projet de bureau, d’environnement bureautique, qui s’appelle KDE, en 1998.

Création de Linux Mandrake qui a été la principale distribution française.

Linus Torvalds fait la couverture d’un des magazines business les plus importants aux États-Unis, le magazine Forbes.

IBM s’intéresse au sujet.

Intel et Netscape investissent, donc s’intéressent aussi au sujet.

À la fin, on découvre que Microsoft a un plan secret qui finit par être dévoilé, il y a eu un hic comme on dit aujourd’hui, d’attaquer Linux.

Contexte et motivations (1998)

Pourquoi a-t-on inventé ce terme open source ? Comment et quand ?

Suite à l’annonce de Netscape, en 1998, dans une réunion des gens se sont dit « peut-être que free software ça pose des problèmes parce que, en anglais, free peut être interprété comme « libre », mais ça peut aussi être interprété comme « gratuit », et je pense que la première réaction des gens qui entendent free software, c’est d’entendre « logiciel gratuit ». D’ailleurs, à l’époque, le terme freeware était vraiment très courant, on parlait de shareware et de freeware ; aujourd’hui on n’en parle plus, ce sont des mots qui ne sont vraiment plus du tout utilisés, mais, à l’époque, c’était vraiment dans l‘esprit des gens qui utilisaient des PC, des ordinateurs personnels.
Il y a donc eu cette idée qu’il fallait trouver une autre expression et madame Christine Peterson, au cours de la réunion, a proposé open source qui a fait le consensus des gens qui étaient présents. Un certain nombre de personnes étaient influentes dans ce petit monde du logiciel libre à l’époque. Il n’y avait pas Richard Stallman. Linus Torvalds n’était pas là mais, dès le lendemain, il a trouvé ça super cool. Phil Hughes, qui était l’éditeur de Linux Journal, à l’époque un journal très influent, était très content aussi. On a pensé, dans un premier temps, que Richard Stallman était d’accord, mais ensuite, au contraire il a changé d’avis, il pense que ce n’est pas une bonne idée du tout d’appeler ça open source. En tout cas il dit que open source et logiciel libre ça n’a rien à voir. On a le droit d’avoir son opinion évidemment, mais il y a un débat sur ce sujet-là.

1999 – L’Open Source Definition (OSD)

Par ailleurs, mais ça n’est pas en 1998, c’est en 1999 est arrivée la définition de l’Open Source, ce qui a aussi ajouté un petit peu de confusion.
On avait la définition de la Free Software Foundation [6], la free software definition et maintenant on a la open source definition [9]. Il y en a une en quatre points, que vous avez vus tout à l’heure, il y en a une qui est en dix points. La question est : est-ce que l’une est meilleure que l’autre ? Est-ce qu’il y a des différences vraiment significatives ? Je vous ai mis les dix points, on ne va pas pouvoir les commenter un par un. On se rend compte, en fait, que c’est très proche et que les dix points qui sont là sont une façon de préciser, de mettre des cases un peu plus rigoureuses par rapport à la définition de Stallman qui est un petit peu plus diffuse.
On a le droit de préférer l’une, on a le droit de préférer l’autre. L’avantage d’avoir une définition précise c’est que les gens vont pouvoir prendre des décisions derrière en disant « ça c’est compatible, ça ce n’est pas compatible » avec un cadre très précis. Quand la définition est plus souple, il y a une marge d’interprétation qui est laissée, au final, aux gens qui prennent la décision. C’est la différence principale.

En pratique, on se rend compte que ces deux définitions coïncident le plus souvent, c’est-à-dire que si on examine la centaine ou les 150 licences de logiciels qui sont dans la nature, de logiciels qui sont libres, qui se disent libres ou proches du libre, eh bien encore un tableau de Wikipédia. Vous avez une colonne avec « Approuvé par la FSF », ensuite c’est un autre sujet, et la quatrième colonne « Approuvé par l’OSI [Open Source Initiative] [10]. On voit que le plus souvent quand c’est vert, c’est vert, quand c’est rose, c’est rose, mais il y a parfois un débat, parfois on voit qu’ils ne sont pas d’accord. Comme je le disais tout à l’heure ce n’est pas très grave, parce que s’ils ne sont pas d’accord, ce sont des licences qui sont, de toute façon, soit utilisées par trois personnes dans le monde, soit, souvent, ce sont des licences qui ont tellement fait débat qu’on a décidé d’en faire une autre derrière. Par exemple, Apple avait fait une licence qui avait fait débat ; Apple avait une première licence qui était approuvée par l’OSI mais qui ne l’était pas par la FSF, il en a fait une deuxième qui était approuvée par les deux. Donc, globalement, il n’y a pas vraiment débat.

Positionnements ! = (ou pas ?)

Le positionnement des deux est-il si différent que ça ? Oui et non, en tout cas on va regarder un peu comment le présente l’Open Source Initiative. Elle dit que l’open source est une méthode de développement, une méthode de développement qui va exploiter la puissance de la revue distribuée entre les pairs. Revue par les pairs, quand on est avec des chercheurs on dit tout de suite « eh bien oui, c’est comme ça que fonctionne la science, ça ne marche à pas tous les coups, mais ça ne peut aboutir qu’à des produits de meilleure qualité que si chacun pouvait publier des papiers comme il veut et sans que personne ne les relise ».

Il y a des promesses sur le site de l’OSI, je cite « promesse d’une meilleure qualité, d’une meilleure fiabilité, de plus de flexibilité, de moindre coup et la fin du verrouillage par les éditeurs logiciels ».
Si on regarde bien ces cinq caractéristiques, en fait il y en a une qui, c’est clairement, par essence, par l’essence même des licences de logiciel libre ou des licences open source, le côté absence de verrouillage, « ces licences garantissent l’absence de verrouillage », c’est direct. Le reste est indirect. C’est le fait d’avoir créé des communautés de développement, de faire en sorte que les gens se parlent, que les gens travaillent ensemble, etc., qu’on arrive à cette qualité, cette stabilité, etc.

Globalement, je pense qu’on est d’accord, le logiciel open source a de meilleures caractéristiques, en tout cas c’est un processus de développement qui fonctionne. Peut-être que la différence de positionnement avec la Free Software Foundation [6] c’est, justement, que la Free Software Foundation ne voit pas, ne veut pas voir ce côté qualitatif et préfère se concentrer sur la liberté en tant que telle.

Je voudrais quand même citer Simon Phipps qui était le président de l’OSI il y a encore quelques années, qui l’a été pendant quelques années et qui, en 1998, à l’occasion des 30 ans de la définition de l’Open Source déclarait, en conférence : « L’open source c’est le logiciel libre – il n’y a pas de différence intrinsèque – l’open source a démarré comme un programme de marketing autour du logiciel libre ». Les gens se sont dit on a un problème de marketing, on a un problème de positionnement, on a un problème de mindshare dans la tête des gens, les gens pensent « c’est libre, c’est gratuit », ça ne va pas. Ils ont inventé un nouveau terme mais, globalement, on parle quand même des mêmes logiciels et on parle de communautés qui sont très proches en général.

Explosion du business depuis 1999

Le business, depuis 1999, a explosé. Je ne vais pas vous faire toutes les lignes. De très nombreuses sociétés, bien sûr, se sont créées, certaines ont super bien marché, d’autres, malheureusement, se sont plantées. C’est le cas de MandrakeSoft qui s’était créée autour de la distribution Mandrake.

On peut parler de l’introduction en bourse de Red Hat en 1999. On avait une société qui faisait 11 millions de chiffre d’affaires et qui a été valorisée, le lendemain de son introduction en bourse, pour cinq milliards, donc elle a été valorisée 500 fois son chiffre d’affaires. Incroyable ! C’est retombé après parce la bulle internet, comme vous le savez, s’est dégonflée, mais, au final, 15 ans après elle se faisait racheter 34 milliards. Finalement le chiffre n’était pas complètement délirant.

Et plus on avance dans le temps plus on a des chiffres importants, avec GitHub racheté sept milliards, GitLab qui a valu jusqu’à 15 milliards, qui vaut nettement moins aujourd’hui, mais on est dans les milliards et les milliards.

En France le marché de l’open source est autour de cinq/six milliards d’euros annuels et il a fait fois 40 en 20 ans. Des études de marché ont été faites par différents cabinets et convergent pour donner ces chiffres : fois 40 en 20 ans.

La France est encore le champion d’Europe de l’open source à peu près à égalité avec l’Allemagne et le Royaume-Uni. On parle de cinq/six milliards et un total de 25/30 milliards suivant qu’on compte le Royaume-Uni ou pas.

Un impact économique majeur

Donc on a un impact énorme sur l’économie, direct et indirect.
L’impact direct c’est ce qu’on a vu, le chiffre d’affaires.
L’impact indirect c’est une étude [11] de la Commission européenne qui a donné des chiffres l’an dernier, qui parle d’un impact indirect sur le PIB total de l’Europe entre 65 et 95 milliards d’euros, qui dit que si on arrivait à augmenter encore les contributions au logiciel libre, on augmenterait le PIB de 0,4 à 0,6 % et qui parle d’un retour sur investissement : si les pouvoirs publics investissaient sur la filière du logiciel libre, ils peuvent espérer, en retombée économique, un retour de 1 à 4, de 1 à 10.

Quels modèles économiques pour pérenniser la croissance du logiciel libre ?

Voilà pour cette partie. Maintenant je vais donner quelques informations sur la production et l’économie du logiciel libre. Quels sont les modèles économiques pour pérenniser sa croissance ?
On a des entreprises et on a des organisations à but non lucratif.
Dans les entreprises on va distinguer les éditeurs, les sociétés de service et il y en a qui font un peu les deux.

Un éditeur est une entreprise qui est responsable du cycle de vie d’un logiciel, de sa conception jusqu’à sa maintenance, qui est aussi responsable de sa commercialisation, du marketing jusqu’au support, avec, au final, des modèles de revenus qui vont être assez différents. Le modèle qui se développe le plus c’est le modèle d’abonnement, ce qu’on appelle aujourd’hui le SaaS, Software as a Service, que ce soit dans du cloud ou en dehors du cloud.
Il y a une grande diversité, je ne vais pas rentrer dans les détails, de modèles économiques et de modèles de revenus qui vont beaucoup dépendre de ce qu’on a fait comme logiciel : est-ce que c’est un logiciel de couche basse, est-ce que c’est un logiciel applicatif ; du type de marché : est-ce que c’est du B to C, business to consumer, business to business, etc.

Les société de service

Les sociétés de service sont des sociétés qui vendent des services comme du conseil, de l’intégration, du développement spécifique — typiquement du développement d’un logiciel juste pour une entreprise —, de la formation, du support, de la maintenance, de l’hébergement. Qui, en général ou à priori, n’ont pas un logiciel à elles, qui vont s’appuyer sur des logiciels libres existants et qui vont faire du service autour de logiciels libres qui sont développés par d’autres.

Il y a des gens qui ne font que du logiciel libre, mais, de plus en plus, les grandes sociétés de service – par exemple Atos, une des plus grandes sociétés de service en France – ont des activités spécifiques et des personnes dédiées au support et au service autour du logiciel libre.

Et puis il y a le modèle hybride, comme je le disais. Il y a beaucoup de sociétés plutôt petites qui font un peu les deux. Qui sont des sociétés de service et c’est le service qui fait rentrer la majorité du chiffre d’affaires, mais, souvent, elles ont des logiciels de niche, elles s’adressent soit au niveau local, soit à des marchés assez pointus, en customisant des logiciels libres pour ces niches. C’est quelque chose d’assez courant.

Les « fondations »

Ce qu’on a appelé les fondations, ça n’est pas le terme correct en français, fondation c’est un statut juridique très particulier, aux États-Unis c’est plus facile d’être une fondation. Ce sont, en général, des organisations – associations à but non lucratif en France, donc fondations aux États-Unis – qui fournissent à des projets de logiciel libre un cadre juridique, des processus et des outils de collaboration et de gouvernance, avec, souvent, une propriété partagée du code, mais pas toujours, par la fondation, une propriété du code par la fondation et puis des systèmes plus ou moins démocratiques pour nommer les personnes qui vont prendre les décisions importantes. Et puis, quand c’est possible, des moyens financiers, des moyens techniques, des moyens humains.

Ce sont des organisations qui peuvent être financées par les cotisations des membres, par des dons et, suivant la juridiction, suivant le statut, ça peut, parfois, être défiscalisé, il peut y avoir des avantages fiscaux à donner de l’argent, d’une façon ou d’une autre, à l’une de ces organisations, mais, en France, c’est plutôt rare. Ça peut être des subventions, certaines fondations touchent des subventions, etc.

Les grandes fondations, là je ne les ai pas toutes mises, évidemment :

  • la Free Software Foundation [6], on en a parlé ;
  • KDE Association, l’association KDE qui est une association européenne de développeurs autour du projet KDE ;
  • la fondation Apache aux États-Unis ;
  • la Linux Foundation [12], qui date de 2000, qui est devenue vraiment le mastodonte de l’écosystème du logiciel libre. C’est une fondation qui a des budgets de plusieurs centaines de millions d’euros, qui organise le développement du noyau Linux, mais plus uniquement du noyau Linux, et qui organise aussi des conférences, etc. ;
  • la Free Software Foundation Europe [13] ;
  • des fondations liées à tel ou tel langage, par exemple Python et d’autres langages ;
  • la fondation Eclipse [14] qui est née d’abord aux États-Unis ou au Canada, je ne sais plus, qui a déménagé en Europe il y a deux/trois ans, ça a été quelque chose d’assez intéressant : le fait qu’une fondation, qui était née aux États-Unis, pense que c’était plus intéressant d’être en Europe parce qu’il y avait plus de membres en Europe, le centre de gravité était plutôt en Europe pour eux et c’était aussi pour se différencier de la Linux Foundation ;
  • une organisation d’origine française OW2 [15] ;
  • The Document Foundation [16] qui s’occupe de LibreOffice/

Open science

Je voulais parler de l’open science. Des gens, dans la salle, connaissent certainement très bien le sujet. Une petite anecdote qu’ils ne connaissent peut-être pas : au tout début, quand on faisait de l’évangélisation, quand on faisait la promo du logiciel libre, les gens ne nous croyaient pas : « ça ne marche pas ! Comment ça peut marcher votre truc ? ». Beaucoup de gens disaient : « Regardez, dans la science, ça marche. Les gens se partagent les idées ». Newton a dit : « Si j’ai pu voir plus loin c’est parce que j’étais assis ou debout sur les épaules des géants, des gens qui m’ont précédé ». Donc cette idée de collaboration, de partage de la connaissance marchait bien pour la science et on a dit « ça va marcher aussi pour le logiciel libre ».
En fait, aujourd’hui on a un petit peu un retour, l’influence se fait un peu dans l’autre sens : au sein de la communauté scientifique, comme le disait Fabrice tout à l’heure, il y a cette idée de partager plus, de viser, par exemple, la reproductibilité des résultats. Un Plan national pour la science ouverte [17] a notamment été annoncé et mis en œuvre par les ministres de la Recherche depuis déjà plusieurs années en France.

Métiers du logiciel libre

Je voulais parler du métier, je m’adresse plutôt aux étudiants qui sont dans la salle.
Il y a de nombreux métiers dans le logiciel libre.
Métiers du développement, évidemment, pour être des informaticiens, des développeurs, que ce soit en société de service ou en société d’édition de logiciels.
Après, il y a tous les métiers du service plutôt en amont : le support, le conseil.
Tous les métiers de l’opérationnel, on va appeler ça sys-admin, aujourd’hui on dit plutôt devops, c’est le mot à la mode, mais ça ne désigne pas forcément une réalité fondamentalement différente.
Tout ce qui est conseil : choisir les bons logiciels, choisir les bonnes licences, bien organiser son développement en interne, etc.
Le marketing, avec un métier qui est à la mode depuis déjà quelques années, qu’on appelle le devRel, relation développeur, ce sont des gens qui sont chargés, au sein d’une entreprise, typiquement d’aller participer dans les communautés, d’aller dans les conférences, etc., et de faire connaître les technos de l’entreprise.
Et puis tout ce qui concerne la gouvernance, avec le mot OPSO sur lequel on va revenir.

Souveraineté numérique et logiciel libre

J’avais promis de parler de souveraineté numérique. On y arrive.
Je voulais déjà donner une définition, définition de la souveraineté numérique.

Ministère des Armées, 2018

Le ministère des Armées, en 2018, dans un document qui s’appelle « La revue stratégique de cyberdéfense » [18], définit la souveraineté numérique comme « la capacité autonome d’appréciation de décision et d’action dans le cyberespace, dans l’espace numérique ». C’est ce qu’on a appelé une autonomie stratégique, donc la capacité de décider, de choisir des bonnes technologies et d’être autonome, ne pas être pieds et poings liés par rapport aux contraintes qui pourraient être imposées par une puissance externe.

Loi Lemaire, 2016

Est-ce que cette définition est quelque chose de fondamentalement nouveau ? Je dis que non, dès 2016 par exemple, dans la loi française est inscrite une notion qui n’est pas très éloignée de cette notion de souveraineté, c’est la notion de « maîtrise, de pérennité et d’indépendance des systèmes d’information des administrations publiques ». C’est écrit dans la loi. Il y a juste un petit problème, il n’y est écrit nulle part quelles sont, par exemple, les sanctions si on ne le fait pas, il n’est écrit nulle part comment on va y arriver. Il aura fallu cinq ans, il n’y aura toujours pas de sanction, mais il aura fallu cinq ans pour qu’il y ait un début de plan un peu cadré pour essayer d’arriver à cet objectif. On va y revenir.

Rapports parlementaires

En parallèle du gouvernement, il y a des parlementaires qui, parfois, ne sont pas du même parti que le gouvernement, sont dans l’opposition, qui vont essayer de pousser un peu.
Trois rapports remarquables : une sénatrice, madame Morin-Desailly, Gérard Longuet, un sénateur, et puis le député Latombe.
Je ne vais parler que du député Latombe qui a fait son rapport [19] l’an dernier, c’est le dernier en date, qui dit que « la politique de la souveraineté numérique ne peut pas se réduire, par exemple, au juridique ». Il ne suffit pas, comme on a pu le voir depuis quelques années maintenant, de dire qu’on va faire, par exemple, une loi comme le RGPD, le Règlement général sur la protection des données [20], et ça suffira à assurer la souveraineté numérique de nos concitoyens. Non, il faut une approche juridique, il faut une approche économique, donc il faut encourager les filières européennes ou françaises de la technologie et, en particulier, du logiciel libre. Et puis il y a une approche citoyenne : il faut que chacun entre nous se pose aussi des questions et se responsabilise par rapport à ces enjeux de souveraineté numérique.

Cloud souverain ou « cloud de confiance »

Par exemple, depuis l’an dernier, on parle de « cloud de confiance ». Le gouvernement a présenté, il y a un an et demi, un plan [21]. Je pense que ce plan n’est pas bon, il lui manque des cases. Pourquoi ? Parce que, quand on parle de souveraineté du cloud, on parle de deux concepts différents, complémentaires, la souveraineté des données, le fait que mes données sont mes données, il n’y a pas des puissances étrangères ou des sociétés étrangères qui vont aller regarder ce qu’il y a dedans, qui vont me les piquer en gros, mais il y a aussi cette notion d’autonomie, que je viens d’évoquer, en particulier d’autonomie technologique. Il faut savoir, par exemple dans notre relation avec les États-Unis, qu’il y a des lois dites extraterritoriales. Ce sont des lois américaines, mais qui vont s’appliquer à des sociétés européennes ou autres dès lors qu’elles ont un intérêt économique aux États-Unis. Donc dès lors qu’une société fait du business, du commerce, avec les États-Unis, elle sera touchée par ces lois, même pour des activités qui ont lieu complètement en dehors des États-Unis. Typiquement, une société française qui aurait une activité dans un pays que les États-Unis n’aiment pas, pour lequel les autorités américaines auraient pris des sanctions, eh bien les dirigeants de cette société se voient exposés à des risques juridiques énormes, c’est-à-dire que dès qu’ils mettent le pied sur le sol américain ils sont susceptibles d’être arrêtés et emprisonnés. C’est un exemple.

L’autre exemple c’est la surveillance, c’est-à-dire que les services secrets américains peuvent, ont le droit de mettre des boîtiers espions, de mettre, pas forcément des virus, en tout cas des logiciels espions dans les systèmes de cloud des différents prestataires dès lors qu’ils ont le pied aux États-Unis ou dès lors que ce sont des sociétés américaines. Et là, les solutions purement juridiques ne suffisent pas. On l’a vu, il y a eu des allers-retours avec des accords qui ont été cassés, nouvel accord, à nouveau cassé. Le dernier retour en date c’est l’accord « gaz contre données » où il semblerait que la Commission européenne ait négocié des conditions avec les États-Unis contre l’envoi de gaz dans le contexte actuel.

Propositions du rapport Latombe

Le rapport Latombe [19] fait des propositions, il y en a une particulièrement sur le logiciel libre ; c’est une proposition, il n’est pas sûr qu’elle soit acceptée dans un délai bref par le gouvernement ou qu’elle soit votée par l’Assemblée, en tout cas c’est une proposition du rapport : « imposer au sein de l’administration le recours systématique au logiciel libre avec uniquement des exceptions dans certaines circonstances pour utiliser du logiciel propriétaire ». Une autre proposition est de « privilégier les solutions technologiques françaises ou européennes ».

Comme je disais, il ne suffit d’avoir des propositions juridiques. Cela n’est pas que du juridique, c’est aussi imposer l’achat, donc ça serait forcément bon pour la filière et ça encouragerait la création de sociétés performantes, d’écosystèmes performants en Europe.

Jean-Marc Ayrault, 2012

On va voir un petit peu rapidement ce qui a déjà été fait et ce qui est en cours sur ces sujets.

Dès 2012, le Premier ministre de l’époque [Jean-Marc Ayrault] avait fait une circulaire [22] qui disait que ce serait bien d’utiliser le logiciel libre. Il n’y avait pas, non plus, de recommandations très fortes, il disait pourquoi pas, ça serait bon de regarder. Ça a quand même eu un impact sur le marché, quand le Premier ministre dit ça, des gens disent « tant qu’il n’y a pas de sanctions je continue comme avant », mais il y en a qui disent « ah oui, d’accord, si le Premier ministre l’a dit, allons-y ! ». 

Loi Lemaire, 2016

La loi Lemaire [23], je vous en avais mis un bout tout à l’heure, je continue. La phrase suivante c’est : « Les administrations encouragent l’utilisation des logiciels libres et des formats ouverts ». Il y a cette idée d’encouragement, on n’est pas dans l’obligation, c‘est ça qui manque, on est dans l’encouragement ; ça reste un peu comme avec Jean-Marc Ayrault, ça reste de l’incitatif, même pas de l’incitatif, c’est de l’encouragement !, mais qu’est-ce qu’on peut en faire derrière ?

Ministère des armées, 2018

Je citais tout à l’heure la « Revue stratégique de cyberdéfense », encore une phrase extraite qui est plus claire, elle dit : « Il faut une stratégie industrielle basée sur l’open source, qui doit s’inscrire dans une démarche commerciale réfléchie et qui peut permettre de reprendre des parts de marché et de reconquérir la souveraineté ».

OSPO

Un des outils qui peut servir dans ce contexte, sachant que, pour l’instant, il n’y a pas de législation et on a peu de chances qu’il y ait des législations à court terme, c’est ce qu’on va appeler les OSPO, les Open Source Programs Office, l’idée que les grandes organisations, les grandes administrations, les grands groupes, les universités, ont maintenant compris les bénéfices de l’open source. Ils ont compris qu’il y a aussi des responsabilités : à partir du moment où on produit du code en interne il faut vérifier que certaines règles sont respectées, il faut essayer au maximum de travailler avec les communautés et les écosystèmes externes, etc. Tout cela ne peut pas se faire dans le vide, il faut des responsables, c’était aussi un peu le problème de la loi Lemaire, on avait donné un principe, mais on n’avait pas créé d’organisations dédiées.
Donc création — en tout cas ont émergé progressivement et maintenant il y en a de plus de plus —, de ce qu’on appelle les OSPO.

Commission européenne (2020)

La Commission européenne en a créé un de manière formelle, avec une décision des commissaires, ce n’est pas un truc qui a été pris dans un bureau, non, c’est la Commission qui a signé le document [24]. Cet OSPO de la Commission doit respecter ces différentes règles et, en particulier, « les solutions open source seront privilégiées », maintenant on est quand même un peu plus dans l’incitatif, « elles seront privilégiées lorsqu’elles sont au moins équivalentes en termes de fonctionnalités, de coût total et de sécurité ».
Il y a l’idée de travailler avec des écosystèmes, d’encourager les écosystèmes, il y a ça, pas trop ! Un tout petit peu, de contribuer aux projets et puis il y a l’idée d’utiliser des normes et des spécifications ouvertes.

France : Plan d’action logiciels libres et communs numériques (2021)

En France on a un plan [25] qui a fini par être développé en 2021, après un rapport parlementaire, après différentes actions de certaines personnes.
Il y a donc un Pôle d’expertise logiciels libres [26] au sein d’une organisation qui s’appelle Etalab, une sorte de DSI de l’État qui est dirigée par Bastien Guerry, un libriste convaincu qui est en charge de mettre en œuvre ce plan qui a trois volets :

  • mieux connaître, au sein de l’administration, les logiciels libres et les utiliser ;
  • libérer les codes sources de l’État, ça concerne les administrations et, d’ailleurs, les universités. Depuis la loi Lemaire, quand elles produisent du code source elles ont l’obligation de publier, de rendre libres ces codes sources suivant certaines conditions, pas dans tous les cas malheureusement, il y a quelques restrictions, en tout cas il faut le faire et il faut le faire bien ;

    et le dernier c’est l’aspect État-employeur : l’État a du mal à embaucher des informaticiens. Dans le cadre de ce plan on pense que le fait de dire aux employés potentiels qu’ils vont utiliser de l’open source va renforcer l’attractivité de ce type de job.

Europe : Déclaration de Strasbourg (2022)

Pour finir, la Déclaration de Strasbourg [27], c’est tout récent, c’était en début d’année : sous la présidence européenne, l’ensemble des ministres, de tous les ministres de la fonction publique de l’Europe plus la Commission « reconnaissent le rôle majeur joué par les solutions open source pour transformer les administrations publiques, veulent tirer parti des solutions open source pour renforcer la collaboration et veulent promouvoir une redistribution équitable de la valeur créée par les solutions libres, y compris notamment pour ceux qui produisent et partagent des codes sources ouverts ». Il y a quand même cette idée maintenant qu’on va essayer de faire diffuser, de financer enfin le développement de logiciels libres lorsqu’ils sont utilisés par les administrations publiques.

Éducation/formation

Nous sommes dans une université, parlons de formation. Il y a besoin de 5000 nouveaux spécialistes du logiciel libre par an d’ici 2027 rien qu’en France et rien que dans la filière du logiciel libre. Si on compte les startups, si on compte les grands groupes, les OSPO, l’administration, etc., c’est probablement beaucoup plus. Or, très peu de formations sont réellement dédiées au logiciel libre et, dans les formations plus généralistes, oui, on doit certainement parler de logiciel libre à l’occasion, ce n’est pas sûr qu’il y ait suffisamment de cours qui donnent vraiment toutes les explications pour que les jeunes qui sortent de ces formations soient formés, soient réellement opérationnels par rapport à toutes ces problématiques.

Le libre a-t-il gagné ?

La vraie question ou la question que je vous pose, « Le libre a-t-il gagné ? », 35 ans après est-ce qu’on peut dire que le libre a gagné ? Bonne question.
Qu’est-ce que ça veut dire gagner ? C’est ça, en fait, ce à quoi il faut répondre. Je vais donner juste rapidement mes petits éléments de réponse.

Déjà le Libre, on l’a dit, c’est une philosophie, ce sont des communautés, etc. On voit que ça a progressé. On voit aussi que ce n’est pas si simple parce qu’on a vu qu’il y a des problèmes de souveraineté, des problèmes de cloud, etc. Regardons juste en tant que produit : quelle est leur part de marché de l’ensemble des logiciels libres en tant que produit ?
Par exemple Linux et BSD, je vous l’ai dit, largement dominants dans les smartphones, sur les super calculateurs, etc.
Un peu dans les systèmes d’exploitation desktop et laptop, mais Windows reste quand même le système dominant. Windows a introduit une sorte d’émulation Linux il y a quelques années qui, parait-il, ne marche pas trop mal, je ne l’ai jamais testée, il paraît que ça marche bien. On voit qu’à ce niveau-là il y a un pont entre les deux, mais il y a aussi une ambiguïté, c’est-à-dire que le noyau BSD dans un Mac ça n’est pas du tout du logiciel libre. Le noyau BSD dans iOS ou même le noyau Linux dans Android, on reste quand même sur des environnements qui referment très largement et, de ce point de vue-là, on ne peut pas dire que le Libre ait gagné.
Le desktop reste important, même si la majorité des utilisateurs navigue aujourd’hui sur le Web avec des téléphones, etc.
Les développeurs utilisent du desktop et c’est une citation de Linus Torvalds sur laquelle je ne reviens pas.

Navigateurs web. Il y a eu la grande guerre des navigateurs, la guerre des browsers entre 1996, quand Microsoft a senti qu’il se passait un truc et qu’il fallait absolument tuer Netscape. Ils ont réussi. Dans un premier temps, Microsoft est devenu ultra-dominant avec Internet Explorer, peut-être 98 % de part de marché ou quelque chose comme ça, avec des mécanismes extrêmement douteux qui ont été condamnés par la justice. Et puis est arrivé Mozilla Firefox qui a eu un bon succès, un succès correct, qui finit, en ce moment malheureusement, par couler. Chrome, de Google, est arrivé et Chrome a fait le ménage. Là encore c’est ambigu parce que Chrome est une base de code libre. Au départ le moteur de rendu de Chrome c’est celui de Safari et, en fait, la base de Safari part de KDE, le fameux projet libre des années 90 qui est né en Europe. Il y avait un composant HTML qui a servi, ensuite, de moteur de rendu. Mais Chrome n’est pas un navigateur libre, Chrome contient plein de trucs qui restreignent la liberté des utilisateurs, donc ce n’est pas forcément le meilleur. Si on a la possibilité d’en utiliser un autre, il vaut mieux le faire.

Dans le domaine du cloud on pourrait aussi avoir une réponse oui et non. Oui, le cloud est très majoritairement composé de logiciels libres, ce sont des machines virtuelles Linux qu’on va trouver dans la plupart des serveurs du cloud. Par contre, le cloud c’est aussi une façon de refermer, de ne pas donner à l’utilisateur l’intégralité du contrôle sur son informatique.

Quand on parle d’impact économique, je vous donnais tout à l’heure des chiffres : à peu près 10 % du marché de l’informatique globale en France, en Allemagne, dans les pays comme ça et puis un impact indirect énorme. De ce point de vue-là on peut dire que le Libre n’a pas peut-être gagné, en tout cas a une influence, est devenu incontournable sur ce marché.

Que puis-je faire ?

Maintenant une question plus personnelle, je donne tout de suite la réponse : que faire ? Moi, vous, en tant que personnes que pouvons-nous faire pour essayer de faire bouger un tout petit peu les lignes dans la bonne direction ?
Continuer à vous éduquer en particulier les étudiants, sur ces questions. J’ai essayé de donner quelques pistes, mais là encore ce ne sont vraiment que des pistes. Et notamment pour les étudiants en informatique, c’est de contribuer au logiciel libre, de trouver un moyen dans le cadre de leurs études, éventuellement dans le cadre de leur travail, une façon ou une autre de contribuer un petit peu, moyennement, beaucoup au logiciel libre, d’aller travailler dans les entreprises du Libre. Si on ne travaille pas dans une entreprise du Libre, eh bien participer quand même à des dynamiques collaboratives, comme c’est tout à fait possible ; parfois ça n’est pas possible, mais souvent ça va être possible.

Et puis des questions d’éthique personnelle : quand je choisis mon prochain téléphone, est-ce que je vais prendre un iOS, Android ou un système d’exploitation libre ? Il y a parfois des contraintes, il faut en tenir compte et il faut aussi tenir compte, quand on choisit des logiciels, que maintenant les logiciels étant interconnectés, il y a des effets de réseau énormes. C’est-à-dire que si, par exemple, je choisis une messagerie instantanée, il y en a quelques-unes – Telegram, Signal, WhatsApp, je crois que MSN n’existe plus, mais l’équivalent – laquelle je choisis, sachant que si j’en choisis une et que derrière mes amis, ma famille, etc., choisissent la même, mon choix n’est pas juste mon choix personnel. Il faut donc tenir compte de l’interopérabilité.

Il y a aussi la question des données, mes données, mes documents, etc. : comment être sûr que dans cinq ans, dans dix ans, je pourrai les récupérer, donc éviter des formats qui sont fermés, qui ont peu d’avenir, en tout cas qui risquent, ou éviter de mettre ses données sur un cloud qui risque un jour de fermer et on risque de tout perdre.

Questions et sujets ouverts

Pour finir des questions vraiment ouvertes, dont on va peut-être discuter dans la séance des questions/réponses, des questions ouvertes.

Les GAFAM, est-ce que c’est bon ou mauvais pour le libre ?

Le cloud, est-ce que c’est bon ? J’ai donné quelques pistes.

L’intelligence artificielle, les modèles de machine learnig, est-ce qu’il faut les considérer comme du logiciel, donc leur appliquer des licences comme celles qu’on a vues, les licences du logiciel lire ? Est-ce qu’il faut des licences particulières pour ces objets qui sont des objets informatiques ? Il y a des controverses en ce moment, notamment sur GitHub et son système de génération quasi-automatique de code.

Le logiciel libre est-il un bien commun numérique ? Il y a tout un mouvement de qu’on appelle les communs, avec des exemples très connus du grand public : Wikipédia, OpenStreetMap [28], Open Food Facts [29]. Est-ce que le Libre est nécessairement un bien commun ou est-ce qu’il y a des conditions supplémentaires ?

Des questions un peu difficiles sur la participation des femmes dans nos communautés. Il y a très peu des femmes malheureusement, comme dans le reste de l’informatique, en tout cas il n’y en pas plus, à priori, ni moins, que dans le reste du monde de l’informatique alors qu’on a dit que le Libre, par essence, par les valeurs qui sont inhérentes à la définition, notamment à la définition de Stallman, c’est quelque chose d’inclusif. Comment se fait-il que malgré ces grands principes, cette inclusivité n’ait pas d’effet au moins sur cette question-là ?

Et puis il y a tout un débat, on le sait, sur les problèmes environnementaux d’une part, et d’autre part les problèmes liés aux droits humains, que ce soit la protection de données personnelles ou même des questions plus sensibles. Est-ce que le Libre peut aider et dans quelle mesure ?

Merci !

C’est fini. Je vous remercie.

Je voulais signaler deux choses encore. Dans les événements à venir, en novembre on a un salon qui s’appelle l’Open Source Experience, qui a lieu à Paris, on a un track, une suite d’interventions sur la souveraineté, que j’anime. Et puis la Société informatique de France va organiser, le 22 novembre, une journée dédiée à la souveraineté numérique.
J’ai un livre qui aurait dû être disponible aujourd’hui, qui est encore en cours d’écriture, qui est consacré à la souveraineté numérique et au logiciel libre.

Merci.

[Applaudissements]

Questions du public

Fabrice Kordon : Est-ce qu’il y a des questions dans la salle ? Quelques remarques ?
Je vais me lancer avec une première question. Dans la deuxième partie, tu te focalises sur la partie souveraineté et sur l’action de l’État. Il y a manifestement une prise de conscience au niveau politique, c’est un phénomène nouveau. Nous baignons nos universitaires dans une espèce de sphère et nous sommes assez convaincus. Est-ce que tu penses que ça va progresser ? Ça va traîner ? C’est une mode ?

Stéfane Fermigier : On va dire qu’en France on a déjà des prémisses du débat sur la souveraineté numérique depuis plus 15 ans. Le rapport Morin-Desailly date d’il y a maintenant huit ans, ce n’est pas nouveau, mais on voit que c’est venu assez progressivement et, entre-temps, ça s’était développé de manière beaucoup plus forte en Allemagne et c’est revenu en France il y a peut-être trois/quatre ans.

Notamment avec la crise du Covid, on a vu que nous étions sujets à des dépendances industrielles, par exemple la crise des masques. Et puis, avec la guerre en Ukraine, on a là encore des dépendances énergétiques, au gaz, mais aussi technologiques, de plus en plus. Donc ça n’est pas que la souveraineté numérique, c’est la souveraineté économique. D’ailleurs, peut-être un signal intéressant : on a rajouté un titre en plus à Bruno Le Maire quand il a été renommé ministre de l’Économie, c’est ministre de l’Économie et de la Souveraineté industrielle [Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique], si je ne me trompe pas. On a aussi un ministre de plein exercice comme on dit, donc un vrai ministre du Numérique [Jean-Noël Barrot - Ministre délégué auprès du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé de la Transition numérique et des Télécommunications] qui remplace toute une série de Secrétaires d’État du Numérique qui avaient, à priori, un impact moins important. On peut dire qu’il y a une progression.

On peut dire aussi que l’État et les grandes entreprises — malheureusement les grandes entreprises sont également à critiquer sur cette question-là — sont prêtes à signer sans réfléchir, ou en se convainquant qu’elles n’ont pas le choix ou, troisième option, en étant, entre guillemets, « victimes » de lobbyistes qui sont là pour faire en sorte que ça aille dans une certaine direction ; elles vont donc signer des contrats de cloud avec les trois grands acteurs, Google, Amazon et Microsoft, plutôt que d’encourager l’utilisation de logiciels libres ou de clouds franco-européens.

Il y a des exceptions, y compris dans le ministère de l’Éducation nationale, avec un cloud d’applications qui a fini par se monter. Pendant la crise du Covid tout le monde devait faire de la visio, des cours en visio. On sait qu’au début ça a dû être assez pénible, je n’ai pas vécu ça, mais je pense, aussi bien pour les étudiants, les enseignants et les personnels des universités et des écoles, etc., que ça a dû être très compliqué. Le ministère n’a pas réussi à réagir très vite, mais, finalement, il y a quand même des dispositifs qui se sont mis en place. On peut espérer que, progressivement, on ait une mécanique qui se mette en route, lentement mais sûrement, et qui fasse que certaines dépendances, au moins, finissent par être mises de côté.

Public : Merci pour votre exposé, qui est extrêmement intéressant. Cela dit, il y a quand même un biais qui me surprend un peu mais qui est peut-être dû au fait, comme vous l’avez dit, que vous résumez en une heure un cours de 30 heures. Pour caricaturer un petit peu, cet exposé s’occupe essentiellement du pouvoir économique et du pouvoir politique face au logiciel libre. En ce qui me concerne, je vois le logiciel libre beaucoup plus comme étant quelque chose qui permet aux citoyens de prendre un petit peu le pouvoir justement sur le pouvoir économique et sur le pouvoir politique. Je suis un peu frappé de l’absence qu’il y a, par exemple, de la notion de blog. C’est une expérience personnelle que j’ai vécue en tant que, justement, auteur de logiciels libres qui le permettaient. À l’époque le mot blog n’existait pas encore. Quand le Web grand public est arrivé, au début c’était ceux qui avaient du pouvoir économique et politique qui publiaient ce qu’ils voulaient. Grâce aux logiciels libres d’auto-publication, justement, tout à coup les gens ont pu s’exprimer et fonder des communautés, se retrouver comme étant des gens qui avaient des intérêts communs sur des choses qui n’intéressaient pas le pouvoir politique ou le pouvoir économique. Aujourd’hui on a aussi ces tentatives d’avoir des solutions alternatives aux GAFAM, par exemple quelque chose comme Mastodon [30] ou le Fédivers [31], qui veulent effectivement proposer l’équivalent de ce que les GAFAM proposent, mais sans être fliqués, etc.
Je suis un peu frappé que tous ces aspects-là n’apparaissent pas dans votre exposé qui, par ailleurs encore une fois, est très intéressant, mais qui me parait un peu biaisé. C’était un problème, c’est-à-dire convaincre le pouvoir politique et convaincre le pouvoir économique que le logiciel libre devait être soutenu, c’était effectivement une bataille à mener, mais je crois qu’il ne faut vraiment pas réduire le logiciel libre simplement à ces aspects-là.

Stéfane Fermigier : Loin de moi l’intention de réduire le logiciel libre à tel ou tel aspect. Il y a une multiplicité d’acteurs et une multiplicité d’approches.

Premier point, une partie du discours sur le logiciel libre se place dans un contexte plus général de la gouvernance d’Internet : qui contrôle ? Comme vous l’avez évoqué, les blogs, les sites personnels, etc., ont été effectivement, à un moment donné, une possibilité offerte à beaucoup de gens de s’exprimer, etc. Et puis sont arrivés les réseaux sociaux où un certain nombre de personnes ou de petites sociétés, depuis déjà plus de dix ans, n’ont même plus l’idée de faire leur propre site, préfèrent aller publier sur une page Facebook ou sur une page d’un autre réseau social, Twitter ou d’autres. Un deuxième élément serait effectivement d’ouvrir un débat sur cette question-là qui, évidemment, ne tient pas dans le temps imparti.

Troisième point. J’ai parlé du pouvoir économique. Il y a effectivement les grandes entreprises, les ministères de l’Économie, etc. Ce que je représente et les gens qui constituent quand même notre écosystème, ce sont des PME, majoritairement des TPE – la taille moyenne des entreprises du Libre en France est de dix personnes – dont certaines, d’ailleurs, peuvent être organisées de manières très différentes : certaines sont organisées comme des startups, d’autres sont organisées comme des coopératives. Si je parle de ça, c’est aussi un peu pour prendre le contrecoup de certains discours sur le logiciel libre qui, justement, ne voient pas cet aspect économique. Après, chacun peut effectivement prendre le problème sous un certain angle.

Le dernier point que je voulais évoquer c’est ce qu’on appelle l’auto-hébergement. Avant, il y a dix ans, 20 ans, on faisait son site, aujourd’hui on dit « je fais de l’auto-hébergement ». C’est un mot qui est apparu, qui est proche de la notion de logiciel libre. Très souvent, les gens qui font de l’auto-hébergement vont utiliser des technologies libres ou open source. Ce mot est apparu, du coup il y a effectivement une communauté et un mouvement, je ne vais pas dire que c’est en décalage, qui est connexe, qui est très fortement connexe, très fortement imbriqué, qui a ses propres ambitions qui sont tout à fait légitimes et que j’approuve complètement.

Fabrice Kordon : Il y a une aussi une dimension sous-jacente dans ce que tu dis quand tu parles de communautés, c’est sur des grands logiciels comme Unix, Linux, ce qu’on appelle l’accroissement de la fiabilité. On a des communautés qui ont des masses critiques qui font que, quand on regarde le parcours de l’identification d’un bug dans le noyau d’un système Linux et le temps de correction, après il faut évidemment faire les mises à jour, mais au moins le travail au niveau de la communauté des développeurs, le fait qu’une nouvelle version ou un patch est disponible et que, du coup, on peut procéder à ses mises à jour et éventuellement effacer des vulnérabilités, on est à des ordres de grandeur plus rapides que sur les systèmes propriétaires, même partiellement appuyés sur du Libre. C’est aussi une dimension qui est assez intéressante, qui ressemble un peu à ce que tu disais sur les aspects coopératifs, une coopération, mais une coopération à une échelle très grande.

Stéfane Fermigier : On a une coopération, c’est l’essence même du travail dans certains écosystèmes de développement, qui suit maintenant des processus qui sont bien cadrés, des gens qui ont des habitudes, qui sont câblés pour fonctionner de cette façon-là.

Sur la sécurité on a beaucoup dit que le logiciel libre apporte des garanties de sécurité. Le mot « garantie » n’est pas le meilleur, ce n’est pas une garantie absolue, mais, grosso modo, les études qui ont pu être faites montrent quand même un avantage du côté du logiciel libre parce qu’il y a cette notion de transparence qui peut être un inconvénient, le fait d’exposer son code source peut rendre éventuellement certaines failles plus faciles à découvrir par des acteurs malveillants. En pratique, on se rend compte que la transparence aide quand même, comme tu le disais, à ce que le système s’auto-corrige beaucoup plus rapidement.

Un sujet que je n’ai pas mis, que j’aurais pu mettre dans les questions ouvertes, c’est peut-être, je pense, un des sujets vraiment importants aujourd’hui et depuis un ou deux ans, c’est ce qu’on appelle software supply chain, la chaîne d’approvisionnement du logiciel. Comme presque tous les logiciels d’aujourd’hui contiennent parfois des bouts, parfois des grosses parties de logiciel libre, il faut être de plus en plus vigilant et rigoureux sur les logiciels libres qu’on incorpore dans les produits finaux qui sont utilisés par les entreprises ou par le grand public.

Fabrice Kordon : Il y avait eu cette histoire de bug dans une mise à jour de bibliothèque qui, du coup, avait mis par terre la moitié des sites parce que c’était utilisé ! Il y a un an, sur une fonction JavaScript. C’est intéressant, ça illustre bien le problème de la supplied chain.

Stéfane Fermigier : Tout à fait, complètement. D’un autre côté, quelque chose d’extrêmement positif s’est fait ces 20 dernières années, dont je n’ai pas parlé, le fait que presque tous les écosystèmes de développeurs autour d’un langage – Java, PHP, Python, Ruby, etc. – se sont organisés pour faire des sortes de dépôts où tous les logiciels intéressants, plus d’autres qui le sont moins, mais au moins tous les logiciels intéressants sont accessibles et on peut aller les récupérer facilement, les mettre à jour facilement avec des outils très simples d’usage, mais avec cet inconvénient que, parfois, on peut avoir des mises à jour qui ratent. Parfois c’est parce qu’il y a de la malveillance, c’était probablement le cas dans l’exemple que tu as donné, parfois ce sont juste des bugs, il faut donc être encore plus vigilant dans les procédures de qualification, de vérification quand c’est possible, avec la possibilité de revenir en arrière quand on a une mise à jour qui ne marche pas, etc.

Public : Il a été dit que, par exemple sur le Mac, le noyau c’est un logiciel libre. Quelle différence ça fait en pratique, pour l’utilisateur en fin de chaîne, que ce soit un noyau bien identifié comme le logiciel libre, donc connu, etc., et un système comme Windows où il n’y a absolument rien de libre dedans ? Est-ce que ça veut dire que la couche de fermeture qui est au-dessus est complètement étanche et, qu’en pratique, l’utilisateur final n’y voit rien ?

Stéfane Fermigier : Oui et non. Il y a à la fois, comme dans les autres questions que j’ai posées, du oui et du non. Le Mac c’est quand même un noyau open source qui s’appelle Darwin, qui est essentiellement un BSD, et puis des surcouches, notamment des couches graphiques, des couches d’administration, etc., qui sont 100 % propriétaires Apple. Par ailleurs, Apple a créé un nouveau langage qui s’appelle Swift, il y a déjà quelques années, Swift est un logiciel libre. Ce sont surtout les développeurs de l’écosystème Apple qui s’en servent, en tout cas c’est un logiciel libre qu’on pourrait probablement très bien utiliser ailleurs, qu’on pourrait porter sur d’autres architectures si ce n’est pas déjà fait.
Apple a cette attitude et, de fait, Apple n’est pas une société qui est réputée, même depuis ses débuts, pour être un champion du logiciel libre. Quand ils choisissent d’avoir du Libre quelque part dans leur plateforme c’est pour des raisons qui les avantagent et l’avantage d’avoir ce noyau BSD c’est clairement de partir de technologies robustes, existantes, qui sont suffisantes et qui répondent à un besoin. Plus, peut-être quand même un avantage, le fait d’avoir un noyau Unix c’est qu’on est « compatible », entre guillemets, Unix. Être compatible Unix c’est très vague parce qu’il y a tellement de variantes d’Unix, mais il y a aussi tout un écosystème, des milliers, des dizaines de milliers de logiciels libres qui tournaient au départ sous Linux, parce que Linux est plutôt l’environnement de référence quand on fait du Libre, mais qui ont été portés sous Mac très facilement. Il y a une proximité. Ce n’est pas strictement identique, mais tant qu’on ne va pas toucher dans les couches graphiques, on va pouvoir porter très facilement les logiciels d’un Unix ou d’un Linux vers le Mac.

On a le même problème avec Android, mais un peu différent. Android étant basé sur le noyau Linux qui est quand même un noyau extrêmement populaire, les gens qui développent Android, c’est-à-dire principalement Google ou essentiellement Google, sont obligés de collaborer avec un écosystème en ayant aussi cette approche. La grosse différence entre Apple et les autres principaux acteurs de l’industrie, que ce soit Microsoft ou Google, c’est qu’Apple c’est « mon logiciel Apple sur mon matériel Apple ». Il n’y a pas besoin de porter une appli ou un système d’exploitation sur 36 000 CPU différents, sur 36 000 cartes graphiques différentes. À chaque fois qu’Apple change d’architecture de CPU, c’est-à-dire tous les 15 ans, ça demande effectivement un petit peu de travail et c’est peut-être là l’intérêt du logiciel libre et d’avoir un noyau Unix, ça a certainement facilité le portage quand ils sont passés de PowerPC à Intel et quand ils sont passés ensuite d’Intel à ARM, mais ils ont beaucoup moins de matériel à supporter. Google a des dizaines et des dizaines de marques différentes de téléphones à supporter. Quand on parle de GNU/Linux, ce qu’on appelle souvent le GNU/Linux, donc le Linux pur que certains utilisateurs utilisent sur leur machine desktop ou laptop et sur ses serveurs puisque c’est aussi principalement sur les serveurs que ce système d’exploitation est utilisé, il faut que ça tourne sur presque toutes les machines de la création.

Fabrice Kordon : OK. Merci beaucoup à tous et à bientôt pour une nouvelle conférence 75 ans d’informatique en France. Merci.

Stéfane Fermigier : Merci pour votre attention.

[Applaudissements]