Jardinage numérique Pas Sage en Steïr

Le Web actuel est un flux de notifications et de discussions. À sa création, il était synonyme d’espace infini où chacun pourrait y partager toutes les connaissances de l’Humanité. En nous appuyant sur l’allégorie de la rivière et du jardin, nous tâcherons de voir si cette vision originelle existe encore. Comprendre les stratégies médiatiques du front réactionnaire et y résister dans les mondes numériques et physiques.

Présentation

Mindiell, membre de l’AFPy [1] et de l’April.
Artisan développeur.

Première conférence à Pas Sage En Seine en 2016

Le lapin.

Rikiki.

Merci à la Reine des Elfes, à Aeris, à Norore, au Centre des Abeilles.
Merci à Ward Cunningham pour l’invention du wiki [2].

Le jardinage numérique ?

Point de synthèse de l’état actuel de nos « vies numériques ».
Réflexion sur les idées originelles du Web.
Pistes pour cultiver et se cultiver.

Internet – Pour qui ? Pour quoi ?

Créé dans les années 1970.
Communication entre universités/chercheurs et chercheuses.
Considéré comm aussi révolutionnaire que l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie.
Apparition du World Wide Web dans les années 1990.

La théorie, le rêve

[Retour du son]

… Autoroutes de l’information, quelque chose d’infini, un eldorado. On va pouvoir partager toutes les connaissances humaines, ça va être fantastique, ça va tout révolutionner, on va pouvoir communiquer avec tous les humains parce que les scientifiques c’est bien, mais une fois qu’ils l’ont découvert et quelqu’un réussit, entre guillemets, « à le vendre », donc que ça se diffuse, tout le monde se rend compte que c’est assez génial comme principe, techniquement et socialement.

La réalité aujourd’hui : les « 5 M »

Le problème, c’est qu’il y a la réalité. Internet est très beau, ça démarre, plein de gens peuvent commencer à essayer de comprendre ce que c’est, à essayer de le prendre en main.La reine des elfes, Brigitte, nous en a parlé hier [3]. Quand elle a commencé, elle ne comprenait rien. Aujourd’hui, elle sait mieux comment ça marche, elle sait créer des sites, etc., ça s’est simplifié. Mais, pour autant, tout cela a un coût et, bien entendu, il faut que ça se vende.
J’ai déterminé les « 5 M » :

  • la mondialisation ; le problème c’est qu’on finit par tous écrire la même chose, tous discuter de la même chose ;
  • la monopolisation, c’est assez simple. Aujourd’hui, si vous voulez écrire quelque chose – je dis aujourd’hui, mais je suis peut-être un petit peu déjà vieux –, il y a Facebook, il y a Instagram, il y a TikTok, il y a Twitter, je dirai Twitter, je ne dirai pas autre chose, etc. ;
  • la minitelisation est un problème. Je remercie Benjamin Bayart au passage. C’est-à-dire que vos ordinateurs, qu’on vous vendait comme des trucs géniaux, aujourd’hui vous les utilisez juste pour faire quelque chose chez quelqu’un et vous ne contrôlez pas du tout ce que fait ce quelqu’un de ce que vous avez créé, écrit, etc. C’est ce qu’on disait hier dans la conférence de Natouille [4] : on ne sait pas ce que deviennent les données. Parfois, on sait ce qu’elles deviennent : quand vous déposez des photos sur Instagram, ces photos leur appartiennent, ce ne sont plus vos photos, ça parait un petit peu aberrant. Alors que les photos que vous avez dans vos vieux albums, ce sont vos photos et ça restera vos photos ;
  • la monétisation dont aujourd’hui on se rend énormément compte. Si on parle Google, si on pense Google, la plupart des gens vont penser que c’est un moteur de recherche. À une époque, le PDG de TF1 avait dit « mon métier ce n’est pas de présenter des séries, des documentaires ou des films aux gens, c’est de vendre du temps de cerveau pour les publicitaires. » Google est avant tout une régie publicitaire, c’est son premier métier. Donc aujourd’hui, quand vous faites une recherche sur ce moteur qui a l’air efficace, et le but c’est qu’il soit le plus efficace possible, c’est que vous passiez du temps et vous cliquiez sur des liens publicitaires qui vont rapporter de l’argent à Google. C’est comme ça qu’il gagne sa vie. Ce qui vous paraît gratuit, c’est en fait du vendu et les résultats que vous trouvez sont certes des résultats qui vont potentiellement vous intéresser mais derrière, c’est parce que c’est vendu ;
  • la merdification. C’est le dernier point, c’est ce qu’on ce à quoi on assiste aujourd’hui avec l’IA, même si elle n’existe pas [5]. Aujourd’hui, le Web est devenu une grosse poubelle. Quand vous demandez des choses à un moteur de recherche, derrière la plupart des moteurs il y a de l’IA qui va vous répondre des choses et on se rend compte, finalement, que 80 % du temps elle raconte des bêtises. Quand vous ne connaissez pas le sujet, vous avez l’impression que ça a l’air bien, mais quand vous connaissez le sujet vous vous rendez compte que, finalement, la réponse est mauvaise. Je reprends une citation d’une personne sur Mastodon qui avait dit « quand j’ai découvert Elon Musk avec les Tesla – puisqu’il faut bien en parler –, je me suis dit waouh, ce type est un génie. Quand j’ai découvert Elon Musk avec SpaceX, je me suis waouh, ce type est un génie. Et puis quand j’ai découvert ce qu’Elon Musk a fait avec Twitter, je me suis dit ce mec ne comprend rien. C’est simplement parce que je m’y connaissais en informatique mais pas en voitures ni en fusées. Et quand je discute avec des gens qui s’y connaissent en voitures et en fusées, ils me disent la même chose que ce que je pense avec Twitter. » Finalement, ça dépend du point de vue que vous avez.

La rivière et le jardin

Toute la conférence tourne autour de cet article de Mike Caulfield, qui a été posté en 2015, je l’ai découvert dix ans après, qui s’appelle, je n’ai pas le titre exact Garden and the Stream : A Technopastoral [6], grosso modo, la rivière et le jardin, ça parle de techno-pastoralisme. L’idée c’est de différencier deux modes d’utilisation qui sont :

  • la rivière, ce qu’on utilise en général aujourd’hui. Vous vous imaginez au milieu d’une rivière – je vais revenir dessus –, les informations c’est l’eau et tout coule. Ce qui fait que quand vous vous intéressez à une information, il y a un premier point qui est que vous n’avez pas forcément le contexte de cette information parce qu’il est déjà plus loin.
  • Le deuxième point, c’est que le temps que vous vous intéressiez à ce contexte, il y a déjà tout un tas d’autres informations qui sont arrivées derrière et puis c’est vite remplacé par d’autres informations. On parle des réseaux sociaux. On voit que tout a une durée de plus en plus courte : je crois que sur TikTok les vidéos durent une vingtaine de secondes, en tout cas c’était ça au départ, quand on voit que Twitter ce sont 250 caractères et 500 sur Mastodon, c’est quand même très court, on n’a pas vraiment le temps de se poser, il faut que ça aille vite.

  • le jardin, c’est ce dont je vais vous parler dans un instant.

L’énoncé selon Bakhtine

Tout cela est basé sur un principe de linguiste, un énoncé défini par Bakhtine [7], un Russe, en 1940.
« Tout énoncé est limité par des silences. » Typiquement, je ne parlais pas avant ma conférence, une fois que j’aurai terminé, je vais me taire, il y aura un énoncé. Et puis vous allez poser des questions, ou pas, faire des remarques, il y aura un autre énoncé, c’est ce que j’ai compris.
« Tout énoncé doit suivre ou répondre à un énoncé précédent », c’est ce que je viens de dire, il y a ma conférence qui suit potentiellement ce que venait de dire Brigitte, et puis, derrière, il va y avoir des questions et puis derrière des discussions, et vous avez tout le contexte.
« Tout énoncé doit avoir une fin nette et l’auteur doit avoir tout dit. » Logiquement j’aurai à peu près tout dit quand j’aurai fini ma conférence, mais j’aurai certainement oublié des choses.
« La forme de l’énoncé est basée sur les circonstances et la sphère dans laquelle il interagit. » Je vais essayer de traduire à peu près ce qui était dit, je ne suis pas sûr du tout, je ne suis pas linguiste, donc c’est ce que j’en comprends. En tout cas, le gars est très fort, tout le monde a repris ses idées, etc.
L’idée c’est que, à un moment donné, si vous voulez un tant soit peu réfléchir à un sujet, discuter d’un sujet, il faut se poser, il faut arrêter de courir pour essayer de dire des choses.

J’ai beaucoup pioché dans le dans l’article de Mike Caulfield, parce que c’est génial. Le problème qu’on a aujourd’hui c’est que, sur le Web, on a un appauvrissement énorme des connaissances. En fait, on a souvent des assertions qui ne sont pas argumentées parce qu’on n’a pas le temps. Sur Twitter ou sur Mastodon, les gens vont dire « ce n’est pas ça, c’est ça » et point. Et, potentiellement, la personne disparaît, une autre arrive en disant « oui, mais ce n’est pas tout à fait ça, c’est ça. » C’est un petit peu la blague du biologiste, du physicien et du mathématicien qui sont dans un train, qui passent la frontière suisse. Ils voient une vache dans un pré. Le biologiste dit « il y a des vaches blanches en Suisse. » Le physicien se moque de lui et dit « ce n’est pas précis, il y a au moins une vache blanche en Suisse. » Ce sont des assertions. Et puis le mathématicien éclate de rire et dit « c’est n’importe quoi, ce n’est même pas une science la physique si vous en êtes à ça. Non, il y a au moins une vache qui a un côté blanc. » Ça en devient absurde et ça en devient une grande blague. Sur Twitter et Mastodon vous avez ça, sur TikTok, c’est la même chose. Des gens postent des trucs, il n’y a plus aucune notion de contexte, ce fameux énoncé, selon Bakhtine, qui veut qu’il y ait un contexte pour pouvoir comprendre quelque chose et pouvoir en discuter, y réfléchir.

La rivière

Notre fameuse rivière, je vous l’ai déjà dit rapidement, c’est un flux continu de données.
Il y a très peu de contexte. Si on veut du contexte, comme je l’ai dit, il faut aller le rechercher, il faut remonter la discussion : pourquoi la personne a-t-elle dit ça, elle répondait à telle autre, mais ça vient d’un article, de quoi cet article parle-t-il ; elle a juste pris un petit bout de l’article pour parler de…, etc. Ça devient donc un petit peu compliqué et, quand vous revenez pour répondre, il y a déjà eu 145 réponses, 12 likes, etc., et peut-être que quelqu’un a déjà répondu à votre place, alors pas tout à fait, vous aimeriez bien développer. Bon, finalement, je vais faire un article de blog et il va falloir que cet article soit bien précis. ici, on a au moins un auteur de billets de blog [Stéphane Bortzmeyer] qui sont passionnants, mais il y passe du temps. C’est un expert, il travaille son sujet. Par contre, une fois qu’il a écrit son article, grosso modo c’est terminé, il y a peu de chances qu’il revienne sur son blog, sauf peut-être pour des corrections ou une remarque qu’on lui a faite « tu as oublié une virgule », super, pour un expert qui a dit quelque chose !
Il n’y a pas vraiment de début ni de fin, les sujets sont très vite abordés et très vite oubliés, un petit peu comme sur les chaînes d’information en continu.
Et en plus, c’est souvent centralisé, c’est ce que je disais, la monopolisation.
C’est souvent modéré, on ne peut pas parler de tout et n’importe. On m’a fait la réflexion hier que potentiellement c’est peut-être une bonne chose. Mais, vu comme c’est modéré aujourd’hui, potentiellement il n’y a pas de modération, donc finalement, ce n’est pas forcément gênant qu’on puisse s’exprimer comme on le souhaite. Et puis il y a des lois dans les pays qui, normalement, sont à peu près respectées, faites respecter.
Et puis on est ce que j’appelle « embullé », c’est-à-dire qu’on est souvent coincé dans sa bulle. Ce n’est pas le cas sur Mastodon où il n’y a pas d’algorithmes, mais il y a des algorithmes sur Facebook, sur Twitter, sur TikTok, qui vous montrent ce que vous aimez. En fait, ils ne vous montrent pas ce que vous aimez, ils vous montrent ce qu’ils peuvent vous vendre, donc ce qu’ils considèrent que vous allez aimer parce que, bien entendu, ça reste un algorithme et un algorithme c’est faillible. Et, si vous avez envie de voir autre chose, vous allez peut-être avoir du mal à le trouver, exactement comme quand vous faites une recherche sur Google. Essayez simplement de faire une recherche sur Google avec un ou une camarade à côté de vous, en utilisant deux ordinateurs différents, vos ordinateurs personnels, vous faites exactement la même recherche, vous n’allez pas avoir les mêmes résultats parce que chacun a sa bulle.
Et puis la lectrice – je n’utiliserai que des termes féminins parce qu’il y en a ras-le-bol des termes masculins – subit les informations. Vous ne pouvez pas arrêter la rivière, vous ne pouvez pas faire un barrage et dire « je vais prendre ça goutte à goutte ». Non, ça continue, et si vous tentez de faire un barrage ça déborde, ça passe et ça continue quand même. Il y a des choses très intéressantes. Sur Mastodon, je vois des tas de gens hyper intéressants, c’est passionnant, mais il n’y a pas que ça.

Le jardin

Notre fameux jardin.
Je vous propose de sortir de la rivière, de se poser, de se laisser un peu sécher et de commencer à réfléchir soi-même à ce qu’on a comme envie, comme idée, comme sujet, que ça intéresse ou pas.
Il y a un tout petit jardin à côté, c’est génial, vous pourrez aller le visiter tout à l’heure et je vous conseille de le visiter en prenant différents chemins. Plus le jardin va être grand, plus vous allez pouvoir prendre de chemins différents et finalement, dès que le jardin est un peu grand, on va arriver à un nombre de cheminements quasi infini. Alors l’infini n’existe pas, vous n’allez pas pouvoir crapahuter dans ce jardin de manière infinie, ce que je veux dire par là c’est que chaque cheminement va être différent et pourtant vous allez voir les mêmes endroits, donc le temps vécu n’est pas le même. Dans le milieu de la rivière, ça passe, quoi que vous fassiez, ça continue de passer. La rivière continue de couler, mais, dans ce jardin, si vous vous arrêtez à un carrefour, si vous vous arrêtez au milieu d’un chemin, si vous voulez regarder, vous avez le droit de vous poser, de vous arrêter cinq minutes, trois jours, il n’y a pas de souci. Un jardin c’est génial, on peut dormir dedans.
C’est un même lieu, mais tout le monde n’a pas la même vision, ça dépend du cheminement, ça dépend de ce qui nous intéresse et on retrouve un petit peu le principe de sauter de page en page sur Internet. À une époque, il y avait pas vraiment des blogs, des sites web, j’en ai fait un nombre incalculable, que j’ai effacés au fur et à mesure, c’était trop vieux et j’en faisais des tout nouveaux. Vous alliez visiter des sites qui parlent d’espace, qui parlent de vêtements, de couture, etc.
L’idée, c’est aussi de rassembler des connaissances et de revenir justement à cette idée, peut-être un peu primaire, qu’on avait du Web : rassembler des connaissances, des idées, du texte, potentiellement plus que du texte, des médias, ce que vous voulez, et vous le faites chez vous, vous êtes tranquille chez vous et vous n’avez pas forcément à subir. Contrairement aux blogs, comme je disais tout à l’heure, on ne vous demande pas d’écrire un article ou une idée parfaite dès le départ, vous le faites pour vous, c’est tout l’intérêt.
Là, par contre, c’est la visiteuse, donc chaque personne qui va venir visiter votre jardin, si tant est qu’il y ait des gens qui viennent visiter votre jardin à part des robots et des IA, qui va créer son propre contexte : ça, ça ne m’intéresse pas, je pars ; ça, ça m’intéresse, ah tiens, il y a peut-être une ou deux idées à reprendre, à récupérer. OK. Je vais aller dans mon propre jardin et je vais dupliquer cette petite graine, parce qu’on est en numérique, c’est donc assez facile, on ne perd pas la graine précédente, on la duplique, on la copie et on l’exploite de son côté et on reviendra peut-être ici, ou pas, parce que c’était une idée.
Je cite un poète, je crois, je suis désolé pour lui, Antonio Machado, « On crée le chemin en le parcourant », c’est-à-dire que le chemin n’existe pas tant qu’il n’a pas été visité. C’est ce que je trouve intéressant et assez passionnant.

Ça existe déjà, ça s’appelle Wikipédia

Vous allez me dire que ça existe déjà, c’est Wikipédia. On saute de page en page, on visite, c’est génial. Mais j’ai envie de dire que Wikipédia c’est quand même vachement pauvre, je suis désolé.
Il y a 255–millions de locutrices françaises quotidiennes dans le monde d’après l’Observatoire de la francophonie en 2022, il doit donc y en avoir un peu plus. Pour info, il y en a plus de 300–millions tout court, mais là on parle de gens qui parlent quotidiennement le français, qui l’utilisent.
Il y a 40–000 contributrices actives sur Wikipédia, au moment où j’ai préparé ma conférence, c’est-à-dire le 18 août, ça fait donc 0,1 pour 1000. Il n’y a personne qui participe ! Et en plus, ces 40–000 ont des règles, des contraintes, parce qu’il faut bien que Wikipédia fonctionne. C’est ce que disait également Isabella hier dans sa conférence [8] concernant Les sans pagEs ; il y a des gens qui disent « ton article parle d’une personne super intéressante, mais il n’y a pas de sources secondaires. En fait, on a effacé les sources concernant cette personne-là, ce n’était qu’une femme, donc, finalement, on va aussi effacer ton article, on va le faire sauter. » Bref ! Donc elles ont des contraintes, ce qui est assez logique pour fonctionner, mais qui sont, parfois, quand même très contraignantes, une contrainte c’est contraignant !
Il y a environ 2,7 millions d’articles, j’ai coupé les chiffres pour faire plus simple. Ça veut dire qu’on a potentiellement une page Wikipédia pour 100 personnes. Donc 100 personnes se partageraient une page et une page qui, potentiellement, ne vous intéresse même pas, donc c’est ce n’est pas bon.

Le memex

Un docteur qui s’appelle Vannevar Bush [9], un savant, un scientifique, a écrit un article en 1945 [10], je ne sais pas si quelqu’un connaît cet article, à la suite de la Seconde guerre mondiale, une fois que la guerre est terminée. C’est un article qui est quand même très long, il paraît dans un magazine, on dirait aujourd’hui que c’est un bel article de blog. Son idée principale c’est de dire que ce n’était pas une guerre scientifique, pour autant tout le monde a participé et les scientifiques ont participé, ils ont arrêté leur job, ils se sont tous mis à travailler en commun et ils ont fait des choses phénoménales. On a parlé également de Hedy Lamarr, pendant cette période-là, qui n’était pas forcément une scientifique, comme on l’entend, elle était aussi actrice, pour autant c’était une scientifique en termes de personne. Elle a inventé les sauts de fréquences qui permettent effectivement aux torpilles d’éviter d’être repérées, on peut donc continuer de communiquer avec elles, on ne peut plus brouiller le signal parce que, justement, on change régulièrement de fréquence pour communiquer avec elles ce qui donne aujourd’hui, indirectement, une technologie comme le Wifi. Vannevar Bush, a écrit un article qui dit « continuons de travailler ensemble, ça fait avancer l’humanité. On a partagé nos connaissances sans se poser de questions parce qu’il y avait un but qui était effectivement un but commun, eh bien continuons, ne nous arrêtons pas. »
Dans son article, ils ont inventé plein de belles choses qui sont totalement has been aujourd’hui, mais dont vous avez peut-être entendu parler, ça s’appelle des microfilms. Je ne connais pas exactement la technologie, je vais prendre un raccourci. Grosso modo, c’est stocker sur une pellicule photo des choses écrites en tout petit et vous pouvez en stocker énormément. Après ça, vous regardez avec une espèce de grosse loupe qui vous montre, sur un écran, tous les textes écrits sur chaque page, etc.
Il invente une machine qui s’appelle le memex [11], contraction de memory extender, donc une extension de la mémoire. On est en 1945, l’ordinateur est balbutiant et ça tient dans des bâtiments. Il invente cette machine qui permettrait de récupérer et de lire des documents, de les annoter et de les partager. On prend sa boîte de microfilms, on va les dupliquer et les donner à quelqu’un d’autre. C’est exactement le numérique et, finalement, c’est quasiment exactement Internet. Son but, c’est que toute la connaissance humaine soit partageable. Les inventeurs d’Internet, du Web, du wiki se sont basés sur cet article, ce sont donc vraiment les prémices d’Internet et il y a effectivement à nouveau un concept d’URL dans le sens où chacun des documents que vous allez lire, annoter, etc., a un code pour pouvoir le retrouver facilement. Ça correspond exactement à quand vous tapez liberation.fr/l’article du jour.

Il n’a pas fait de dessin du memex [9], il en a parlé, donc les gens ont essayé d’interagir.
À droite, vous avez une sorte de clavier qui vous permet de retrouver le document qui vous intéresse.
Il y a deux écrans, il utilisait déjà deux écrans, pour pouvoir comparer des documents.
À gauche, vous avez une troisième sorte d’écran qui permet de scanner, de mettre sur un microfilm un document.
Sur les deux écrans sur lesquels vous faites la lecture, vous pouvez tout à fait annoter. Il parle de certaines technologies, il n’a pas forcément la technologie qui va bien, mais il y pense déjà : le fait d’annoter un document existant. On retrouve donc effectivement un petit peu l’idée de Wikipédia : vous voulez compléter un article, vous pouvez.

Le jardin numérique – Digital garden

De là découle cette idée de jardin numérique dont je vous ai déjà parlé, digital garden, en anglais, j’ai évité le jardin digital, Dieu merci.
L’idée c’est de pouvoir exprimer ses idées. Ça peut être fait en public ou pas. L’intérêt de le faire en public c’est justement ce partage et comme n’importe qui peut le lire, n’importe qui peut copier et récupérer cette idée, c’est ce qui est génial. Ça ne vous gêne pas qu’on duplique une plante, sauf si vous vendez des plantes. S’agissant de connaissances, l’intérêt c’est que ça soit dupliqué, partagé, etc. On avait quelqu’un qui parlait d’ordinateur avec des mémoires de tores magnétiques. C’est une technologie, je ne suis pas sûr que beaucoup de gens, aujourd’hui, sachent recréer ce genre de chose, parce qu’on est déjà tellement passé à autre chose. C’est exactement comme ces gens qui créent un château complet à Guédelon, je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler, ils construisent un château comme au Moyen Âge. Au départ, c’étaient juste des illuminés, des passionnés, et aujourd’hui énormément de scientifiques viennent les voir et les aider parce qu’on se rend compte qu’ils retrouvent des techniques anciennes. On ne savait pas comment les gens faisaient certaines choses et aujourd’hui on sait que, probablement, ils faisaient comme ça.

On va planter ces idées, on va les faire pousser, on va les entretenir, on va les partager et puis potentiellement on va les oublier, parce que, finalement, on ne revient pas dessus. Eh bien ce n’est pas grave parce qu’on est pas là à faire un article de blog ou de journal qui doit être lu. On est juste à se dire « c’est peut-être une bonne idée », donc je la note dans un coin et puis je l’oublie. Peut-être qu’elle mûrit, que je reviens dessus, ou peut-être qu’elle ne mûrit pas parce que j’étais juste dans un rêve. Par contre, quelqu’un d’autre va voir ça, va le réutiliser, va se dire « ce n’est pas idiot. Par contre, ce n’est peut-être pas comme ça qu’il faut le faire mais comme ça. »

Là aussi, prolifération des documents plutôt que centralisation, c’est également un des problèmes de Wikipédia, tout est centralisé. Il y a des gens qui décident, c’est ce que j’ai dit, c’est une organisation, c’est une encyclopédie, il y a donc un besoin de savoir encyclopédique, on s’appuie sur les fameuses sources secondaires, c’est la façon ça doit fonctionner. Si on n’a qu’une source, est-ce c’est vraiment vrai, est-ce que c’est fiable ? Il faut avoir plusieurs informations, plusieurs sources, un travail que devrait faire, par exemple, des tas de journalistes, ne pas juste avoir une info qui arrive et dire « oh la ! là vous avez vu ». Il faut se baser sur plusieurs sources.

Et puis ça permet d’enrichir les idées, de faire des propositions, d’améliorer tout ça.

Réalisations/essais

Quelques réalisations et essais ont été faits, soit plutôt autour du memex, soit plutôt autour du jardin numérique. Je les cite :

  • Open Textbook Initiative [12], qui a été créé par l’institut américain des mathématiques dont le but c’est de faire des manuels de mathématiques, de les partager, les diffuser, pour que les mathématiques, science ô combien admirable, soient le plus largement diffusées. L’Open Textbook Initiative est arrivée en disant « les maths c’est bien, on est d’accord, mais d’autres matières peuvent intéresser les gens ». Le but c’est d’améliorer l’accès et la qualité des ressources pédagogiques. Potentiellement, ce sont des ressources mises à disposition. Je ne sais pas du tout si elles sont libres, en tout cas elles sont mises à disposition.
  • Smallest Federated Wiki [13], qui a été mis en place après que Ward Cunningham ait inventé le wiki. Il a énoncé certains principes concernant un wiki dont celui que tout le monde pouvait le modifier. L’idée c’est d’avoir des wikis fédérés. C’est exactement comme quand vous sortez de Twitter, où tout le monde poste au même endroit, que vous allez sur Mastodon où chacun peut avoir son propre serveur et les serveurs se voient entre eux, c’est plus ou moins comme si vous étiez sur Twitter, mais chacun est chez soi. Il n’y a pas une instance qui va vous dire « toi je te modère, toi je t’interdis de parler, toi je te censure, etc. ». Là, ce sont des outils qui sont fédérés, on reprend un petit peu l’idée d’un Wikipédia fédéré : chacun écrit ce qu’il veut, vous pouvez faire des liens entre vous et ça fait tout un réseau de connaissances. Vous n’êtes pas obligé d’aller lire tel ou tel wiki qui ne vous intéresse pas ou dont les idées vous semblent farfelues ou inintéressantes.
  • Dynabook [14]. C’était un ordinateur portable pas cher, avec une manivelle pour qu’il ait de l’électricité interne, sur lequel certaines choses étaient déjà positionnées. Bien entendu, on l’a envoyé dans des pays pauvres, on dit en voie de développement, pour partager la connaissance. Dans ces pays-là, ils n’ont pas les infrastructures nécessaires pour avoir Internet comme nous les avons aujourd’hui : on se connecte, on a Internet, on a la 4G, la 5G, la 6G qui est en train d’arriver, c’est fantastique. Parfois il y a des coupures électriques, parfois le réseau n’existe pas, l’infrastructure n’existe pas, parfois c’est le service internet qui est carrément coupé que ce soit par l’État ou par manque de moyens, etc.
  • Wikimedia Éducation Project [15] qui est aussi un projet de ressources pédagogiques, mis en place par la fondation Wikimedia qui gère Wikipédia et beaucoup d’autres projets.

Et je suis sûr qu’il y en a des tas d’autres. On retrouve un petit peu les notions de jardin numérique, de ressources qu’on peut partager.
Dans les deux premiers, ce sont surtout des ressources pédagogiques, des professeurs, des sachants qui diffusent l’information, c’est le ruissellement de l’information vers des gens moins savants. Ce qui m’intéresse, c’est que je pense que tout le monde est très savant sur des sujets qu’il connaît forcément, pas sur les sujets qu’il ne connaît pas ; il y a plein de sujets que je ne connais pas.

Quel(s) outil(s) ?

J’ai dit que ce n’est pas technique et ce n’est pas technique.
Des gens m’ont posé la question « tu fais comment ? Qu’est-ce que tu utilises, etc. ». J’ai noté des choses, je ne vais même pas en parler. Ma préférence va effectivement vers la notion de wiki, parce qu’il y a des principes qui sont assez simples et qui recroisent bien, à la fois, l’idée du jardin numérique et du memex, pas tout à fait mais presque. En fait, n’importe quel outil pour publier sur Internet peut vous servir, ça dépend de la façon dont vous l’utilisez, ce que vous en faites. Peu importe l’outil, c’est vraiment une question de philosophie.

Et moi, comment je fais ?

Comme je suis développeur, comme je suis artisan et parce que ça m’amuse, j’ai créé mon propre moteur de wiki. Ce qui est rigolo, c’est que je suis parti de mon moteur, Rikiki, qui était tout moche, pour faire mon truc. Il est un peu plus propre. L’important, et je vais vous en parler là, ce sont les principes de base du wiki, donc énoncés, réfléchis à l’époque par Ward Cunningham [2] :

  • génération automatique de liens, comme ça vous pouvez tout de suite dire « je fais un lien vers une page qui n’existe pas encore, mais au moins je pourrai y aller parce que c’est peut-être quelque chose qui va m’intéresser par la suite. » ;
  • contenu éditable par tout le monde, en fait, pas forcément par tout le monde, en tout cas par plein de gens. Vous pouvez limiter. Typiquement, il n’y a actuellement que moi qui peux éditer mon jardin numérique parce que c’est mon jardin. Mais si on avait une association, on pourrait y mettre par exemple de la documentation, des documents liés à l’association, des idées qu’on pourrait avoir, des projets de gestion d’un PSES, etc. ; on pourrait tout stocker là-dessus ;
  • saisie de texte simple. On n’est pas là pour écrire du code HTML, nous ne sommes pas des informaticiens, on veut juste écrire. Et puis quand votre idée sort, l’écrire sur un cahier c’est d’une simplicité enfantine maintenant que vous savez écrire depuis plusieurs années. Là c’est la même idée. On saisit du texte, ça doit être simple ;
  • les rétroliens sont hyper importants. C’est-à-dire que si vous pointez sur une page, quand vous allez visiter l’autre page, elle vous dit « j’ai telle page qui parle de moi, donc tu peux venir par ce chemin-là ». On retrouve l’idée du jardin, ce sont des liens dans les deux sens. C’est automatique. Vous n’avez pas besoin sur la page cible de dire « au fait, tu peux aussi visiter une page source parce qu’il peut y en avoir des dizaines », il faut que ce soit automatique.

Grosso modo, l’idée c’est de pouvoir poser ses idées et ne pas s’embêter sur la façon dont ça fonctionne derrière.
Et la suite c’est juste créer des pages. Une page, une idée, et quand l’idée devient un peu trop conséquente, je n’aime pas quand ma page est trop longue, je la coupe en morceaux.
Est-ce que ça intéresse certains de voir une démo rapide ? Oui. Je vais vous montrer si ça marche. Une vraie démo avec un plantage, je vais essayer.

Ça c’est mon jardin numérique. Quand vous arrivez sur la page de départ c’est ce que vous voyez « Ce site est mon jardin numérique ».
L’idée de Ward Cunningham c’est que les liens automatiques se font par des mots qui commencent par une majuscule, comme ici « JardinNumérique », « EnglishLanguage », « ProjectKiki », etc.
Vous voyez que c’est moche, l’idée c’est d’écrire et de lire sans se poser de questions.
Un exemple. J’ai fabriqué une mini serre à partir d’une planche en bois. On voit le dessin magnifique de la planche en bois, parce qu’à ce moment-là, quand j’ai écrit cette page, je n’avais pas la possibilité de rajouter des dessins, on va dire des médias là-dedans. J’explique tout ce que je fais. Après ça j’ai pu, donc on peut mettre une photo. C’est une idée que j’ai récupérée, ce n’est pas ma mini serre, je l’ai trouvée sur Internet, mais ça correspond à l’idée de ce que je fabrique.
En bas on voit « BricolageGeneral », « BricolageComposteur », parce que j’aime bien bricoler. « Général », ça va me ramener à une liste des bricolages que je fais ; « Composteur », ça correspond un peu à la mini serre, c’est-à-dire du jardinage. Là aussi j’ai un plan magnifique de mon composteur et c’est tout, je n’ai pas beaucoup plus.
En haut, j’ai rajouté un petit moyen de voir mon chemin et de pouvoir revenir en arrière facilement, un fil d’Ariane exactement.
Et puis j’ai également un moyen de lister toutes les pages, donc vous oubliez les la notion de répertoire. J’ai 170 pages et l’idée c’est de pouvoir retrouver mes infos rapidement quand je ne me souviens plus exactement du nom de la page. Là il y a 139 octets, c’est-à-dire 139 caractères dans la page, donc il n’y a vraiment rien, c’est une idée que j’ai notée, deux liens que j’ai posés.
Je vais en profiter pour vous montrer AideCioccolisa. Cioccolisa est ici dans la salle, c’est une personne de l’April que j’ai aidée une fois parce qu’elle avait posé une question, je ne sais plus laquelle. Pour faire ma recherche, je lui ai créé une page en lui disant « tu peux voir – d’ailleurs c’est très mal écrit –, quelque chose comme ça en haut à droite de ton Firefox – c’était une histoire de plugin pour couper le JavaScript parce que c’est assez sympa de pouvoir couper le JavaScript sur Internet, comme ça vous avez des sites à peu près lisibles, vous n’avez pas de pubs. Je l’ai gardée parce que ça peut servir à d’autres, ça ne me resservira plus jamais. C’est un petit bout dans mon jardin, j’ai posé une pierre, ça a permis de publier quelque chose pour que cette personne puisse venir voir ma pierre, c’était spécifiquement pour elle, mais ça veut pas dire que ça va s’arrêter à ça.
Vous voyez donc que c’est très simple, c’est assez moche, mais je suis très content que ce soit moche, j’aime bien les choses moches, brutes, ce sont les choses qui m’intéressent.

Bibliographie

Là vous avez toute la bibliographie dont j’ai plus ou moins parlé. Je l’ai mise dans l’ordre chronologique, plus ou moins. Vous avez
Mikhaïl Mikhaïlovitch Bakhtine [7], le linguiste dont on a parlé,
l’article de Vannevar Bush [10], As we may think
Ward Cunningham [2] avec son Concept du wiki.
Ensuite, il y a plein de gens qui parlent de jardins numériques, de wikis.
Je n’ai pas parlé de David Cormier, parce que j’ai pas le temps, mais on en parlera peut-être plus tard.
Tom Critchlow a repris l’article de la rivière et du jardin et a dit « il y a aussi des feux de camp ». Les feux de camp, grosso modo, c’est un jardin partagé, c’est-à-dire une association. Vous allez retrouver peut-être un forum ou un salon de discussion pour ceux qui connaîtraient Discord, IRC, Matrix ou je ne sais quoi.
Une personne juste en dessous, Joël Hook, oui je sais, ce ne sont que des anglophones, a dit « mon blog c’est un jardin numérique, ce n’est pas un blog ».
Et puis, derrière, des gens qui se sont intéressés en 2018, 2019, 2020, à tout ce qui est jardin numérique et puis il y en a qui ont fait les conditions d’utilisation du jardin numérique, c’est-à-dire qu’ils essayent d’énoncer des principes. Moi j’ai envie de dire que vous faites ce que vous voulez des principes.
J’ai apporté un petit livre qui est génial, que je vous conseille d’acheter, qui s’appelle Petit traité du jardin punk – ça parle de jardinage, pas de numérique –, qui vous explique ce que c’est, comment faire un jardin punk, c’est-à-dire qui n’a pas vraiment de contraintes, qui est là pour la liberté. S’il y a des choses qui poussent, c’est qu’elles se sentent bien là. Est-ce qu’elles sont absolument mauvaises et faut-il absolument les arracher ? Pas forcément, vous pouvez les contenir, mais les laisser pousser parce qu’après tout, si elles ont poussé là c’est qu’elles se sentent bien. Pourquoi absolument les enlever ?
Le dernier article est de Anne-Laure Le Cunff qui explique, qui donne son avis sur la façon de créer son jardin numérique, les fameux outils, sans code. Des outils existent en ligne pour créer des sites, etc. Tout à l’heure, j’ai croisé quelqu’un qui a créé un outil pour créer des sites web, qui s’appelle Scribouilli [16], qui est vraiment très simple d’utilisation et assez efficace. Ça peut être aussi bête que ça.

Merci à vous toutes

Merci beaucoup à tout le monde. Merci de votre patience, de votre écoute et si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas.

[Applaudissements]

Questions du public et réponses

Public, Norore : J’ai juste une toute petite question : ton outil de wiki est-il disponible quelque part ? Est-ce qu’on peut l’installer, l’utiliser, le bidouiller ?

Mindiell : Bien entendu, c’est du code libre, je rajouterai le lien pour qui veut.

Public : Merci.

Public, Stéphane Bortzmeyer : Si personne n’a quelque chose d’intelligent à dire, je peux dire des choses idiotes.
J’y pensais en regardant le code source de Rikiki qui tenait sur un slide. Au début de l’année prochaine, il y a une exposition à l’Unesco, à Paris, sur le code source, coorganisée avec Software Heritage [17]. L’appel à soumission est ouvert, donc les gens qui ont un code source intéressant, qui dit quelque chose, sont invités à soumettre le code source avec les commentaires, les explications. Ça sera sur des grands panneaux dans le hall de l’Unesco avec peut-être une version en ligne. Sur le site de l’appel à propositions, il y a des exemples de soumission, parce qu’il y a des codes sources sérieux, d’autres qui ne le sont pas. Ils sont tous intéressants. Je pense que le code source de Rikiki entrerait bien dans cette exposition.

Mindiell : Merci beaucoup, je vais regarder, mais pas mon lapin. J’en ai une version.

Public, Stéphane Bortzmeyer : L’un des exemples de soumission c’est le concours de « C obfusqué » [délibérément illisible, Note de l’intervenant] ou des trucs comme ça, mais il y en a d’autres. Il y en a aussi des sérieux. Le but, c’est de montrer la diversité des codes sources du point de vue technique, politique, poétique, etc.

Mindiell : OK. Pour info, mon Rikiki est très sérieux, mon lapin également. Pour information le Rikiki, et c’est également pour cela qu’il porte ce nom-là, c’est actuellement le plus petit code source en Python pour faire un wiki. Il est fonctionnel, il n’est absolument pas utilisé en production.
Merci beaucoup, je vais regarder.

Organisatrice : Des moins timides dans la salle ? Est-ce qu’il y en a en ligne non.

Mindiell : Les gens dorment !

Public : C’est au sujet de la rivière, c’est-à-dire des nouvelles qui chassent les nouvelles, je regarde ça avec effarement tous les jours.

Mindiell : C’est ce que je disais. Ce n’est pas forcément quelque chose à oublier, à ne pas faire, mais il faut penser à essayer d’équilibrer. Pour moi, la rivière a un intérêt parce qu’on voit passer des choses parfois très intéressantes, des codes sources intéressants, ça dépend des sujets qui vous intéressent. Le jardin est effectivement à garder en tête, à mon avis, et à cultiver, ne serait-ce que pour retrouver un peu de sérénité. Il y a aussi le vrai jardin à cultiver, c’est génial, j’adore ça. Pour moi, ce n’est pas à jeter, c’est à conserver, mais avec modération et en évitant nos fameux « 5 M », en évitant la merdification, la monétisation et les autres, qui mettent en avant les sujets les plus cliquables possible.

Public : Justement, il y a une grosse merdification de cette rivière, c’est-à-dire que les gens réagissent sur un mot ou une impression sans argumenter, sans préciser ce qu’ils essayent de dire et je ne parle pas de l’orthographe ni de la grammaire.

Mindiell : C’est un sujet sur lequel nous n’allons pas être d’accord. Pour moi, n’importe qui doit pouvoir écrire, même s’il est mauvais en orthographe ou en grammaire. Malheureusement souvent, c’est ce que j’ai dit par exemple pour un des articles du blog de Stéphane, on a souvent des experts qui viennent nous titiller parce qu’on a oublié une virgule ou on a mis un point avant l’espace, etc. Pour moi, l’orthographe est à oublier. J’ai une vidéo magnifique, si vous voulez, tout à l’heure je vous la montrerai. Surtout en français, l’orthographe est d’une telle complexité, on peut faire tellement de choses ! À mon avis, il faut que les gens puissent d’abord s’exprimer, même mal, et ensuite, s’ils apprennent tant mieux et s’ils ont des difficultés, après tout, vous ne dites pas à des gens qui ont du mal à marcher, qui sont trop âgés, qu’ils n’ont plus le droit de marcher dans la rue parce qu’ils ralentissent les gens qui sont derrière en marchant ou en conduisant ; vous ne reprochez pas à une auto-école de conduire doucement parce que la personne est en train d’apprendre à conduire. Pour moi, c’est la même chose, il ne faut surtout pas regarder la personne comme quelqu’un qui ne sait pas : même si on ne sait pas écrire, on a certainement des tas de connaissances. Je connais des tas de vieux jardiniers qui ne savent pas forcément bien écrire et qui, pourtant, vous apprendrez des choses de dingue sur tout ce qui est jardin, potager, etc., parce qu’ils y ont passé 50 ans et pourtant ils n’ont pas forcément fait beaucoup d’études. À mon sens, ce n’est pas pour ça qu’il faut reprocher cette partie. Certes, ça fait saigner les yeux. Je suis plutôt du genre à adorer l’orthographe. Normalement, là, j’ai bien fait attention. Vous voyez sur mon jardin numérique, « voir » avec un « e », c’est l’horreur, ça me fait mal, je vais aller corriger après. Mais ce n’est surtout pas quelque chose qu’il faut utiliser comme méthode de limitation. On attaque les gens non pas sur ce qu’ils ont dit mais sur comment ils l’ont dit, comme quelqu’un qui aurait un accent, ou qui a du mal à s’exprimer, ou qui bégaye. Il faut plutôt essayer d’écouter ce qu’ils ont dit et répondre sur ce qu’ils ont dit. C’est un point important.

Public : Internet, c’est quand même d’abord et avant tout écrit. Si, à un moment, ce qui a été écrit est quasiment incompréhensible, il y a quelque chose qui ne va pas.

Mindiell : À ce moment-là charge à nous, amis du quotidien, peut-être d’aider la personne à corriger, lui proposer : « Tiens, au fait, j’ai vu qu’il y avait des erreurs, des fautes d’orthographe. Ici ce n’est pas très compréhensible, est-ce que tu pourrais me le réexpliquer d’une autre manière et peut-être que je peux t’aider à le corriger, à le reprendre, etc. » Mais ne pas dire « oh là, là, tu écris mal, donc ce que tu dis est forcément mauvais ou faux, etc. »

Public : Non. Je regarde si c’est compréhensible.

Mindiell : Je connais des tas de gens qui ont du mal avec le français et qui écrivent en français, pour autant s’ils ont des difficultés, ce n’est pas grave. On peut essayer de le reformuler, de le formuler autrement. Je ne suis pas un grand littéraire, quand je lis certaines choses, par exemple, quand j’ai lu Bakhtine – en partie, je n’ai pas lu Bakhtine –, il y a des tas de choses pour lesquelles je vous ai bien dit que c’est ma compréhension, ma vision de ce qu’il a écrit ou de ce qu’il y a écrit sur Wikipédia par rapport à ce qu’il a dit. Je n’oserais clairement pas dire que c’est quelque chose que j’ai compris ou assimilé. Pour moi, c’est quasiment incompréhensible et, pour autant, il y a des tas de gens qui le comprennent et qui considèrent que c’est compréhensible. Pour tout ce qui est philosophie, littérature un peu poussée, je n’ai pas le niveau, je ne comprends pas. Tout ce qui est code source, ça me va très bien.
Un bon exemple, je vais peut-être dire des bêtises, si je dis pas de bêtises n’hésitez pas, François Villon, qui est un poète du Moyen Âge, écrivait des choses qui n’étaient même pas françaises, pourtant les termes se comprennent et je considère que c’est très beau et très poétique. Je comprends que des gens qui puissent ne pas aimer. Ce n’est absolument pas du bon français, mais, à priori, ce n’était pas quelqu’un d’éduqué sur la langue, pour autant, à mon sens, il a un sens poétique énorme.
Si c’est incompréhensible, dites-vous que c’est peut-être vous qui n’avez pas compris, ce n’est peut-être pas forcément la personne qui a mal écrit et n’hésitez pas à poser la question et à lui dire « ici je n’ai pas compris, est-ce que tu pourrais me redire, m’expliquer ou me reformuler différemment ? C’est peut-être cela que tu veux dire. On peut aussi reformuler comme ça. Est-ce que c’est bien ça que tu voulais dire ? Oui, non, pas tout à fait ? ». Ça provoque un échange, ça peut être hyper intéressant.
Et puis, il y a des gens qui écrivent mal français parce que dyslexie, dyspraxie, tous les dys. Il y a des étrangers qui ne gèrent pas encore bien le français. Je connais des gens qui ne parlent pas bien le français et qui, pour autant, parlent plusieurs langues, j’en suis incapable. Peut-être qu’ils ne parlent pas très bien plusieurs langues, mais ils parlent quand même plusieurs langues, donc ils sont capables de partager et de communiquer avec des tas de gens, même pas très bien. C’est exactement ce que je disais tout à l’heure : quelqu’un qui bégaie, qui a du mal à parler, qui a un accent… Vous avez certainement déjà parlé avec des Espagnols, des Italiens, des Allemands, des Anglais qui vont échanger certains mots parce qu’ils ont le mot de leur langue en tête et c’est cela qu’ils vont sortir par défaut, vous les faites répéter et puis finalement vous comprenez ce qu’ils voulaient dire. Ça vous enrichit : « Tiens, dans cette langue-là on dit ce mot-là de telle sorte ! »

Public : J’ai une petite question de curiosité. Dans cette grosse envie de partage, de publication, je vais me permettre de te tutoyer, est-ce que tu as un souci de popularité ? Quand on fait un bouquin, si personne ne l’achète, on sait qu’il n’est pas lu, la publication dans le vide, sans lecteur, à terme, même en poussant à l’extrême. Je pense qu’il y a ceux qui s’expriment, qui en ont les capacités, même des super capacités, puisque tu as développé un wiki, et ceux qui ne s’expriment jamais. Au final, n’y a-t-il pas une certaine discrimination qui va se faire ? En gros, il y a le silence, les lecteurs, et ceux qui injectent, qui partagent, bien sûr, avec quelque chose de très positif à l’esprit. À un moment, tu as parlé des sachants, des experts. Finalement, c’est l’idée de rejoindre les sachants puisqu’on s’exprime.

Mindiell : Oui, tout à fait. Je pense que j’ai actuellement environ zéro lecteur, à un près, sur mon wiki, sur mon jardin numérique, mis à part ce que je disais tout à l’heure, les bots, tous les outils automatiques qui passent sur Internet et qui aspirent tout, il faudrait que je vérifie.
L’idée c’est avant tout de le faire pour moi. Ici, j’ai mis des choses pour moi.
La deuxième idée, c’est : est-ce que ça peut servir à quelqu’un ?
Et la troisième idée c’est par exemple, comme je l’ai dit tout à l’heure, pour aider une personne sur Internet, j’ai pu publier quelque chose rapidement et lui expliquer, ça m’a pris trois secondes. Je lui ai envoyé le lien en lui disant « regarde ici, je t’ai fait une explication, est-ce que ça te va ? ». Je voulais en fait envoyer une capture d’écran, ce qui est compliqué sur l’outil IRC qu’on utilise, où ce n’est que du texte – là aussi vous me direz si je me trompe, mais, à priori, ce n’est que du texte.
L’idée c’est donc de permettre à tout le monde de s’exprimer. Après je sais pertinemment qu’il y a des gens, par timidité, parce qu’ils n’écrivent pas bien, qui vont s’auto-limiter, s’auto-contraindre ce qui, pour moi, est une perte parce que ces gens-là ont forcément des choses intéressantes à dire sur des sujets qui, peut-être, ne vont pas m’intéresser. Je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est anciennes technologies, quand je parle d’anciennes c’est au Moyen Âge, toutes ces mécaniques, les moulins à vent, les moulins à eau, comment on faisait toutes ces choses-là avant, c’est pour cela que j’aime beaucoup bricoler le bois, et pour autant je fais aussi de l’informatique, c’est mon métier, donc c’est très moderne. J’ai longtemps hésité entre paléontologues comme métier, donc la science des dinosaures, avant les humains, et l’informatique. J’ai découvert l’informatique il y a un petit moment. J’ai commencé à développer il y a 40 ans, c’était vraiment pourri, je suis content que les codes n’existent plus. Mais je pense qu’il faut que chacun puisse s’exprimer et chacun doit s’exprimer même mal, même de manière incompréhensible, je suis sûr qu’il y a des tas de gens qui ont des choses à dire.
Pour moi, ce n’est pas un problème d’avoir zéro lecteur. Peut-être qu’un jour ça servira, peut-être que ça ne servira pas, mais ça me sert déjà pour poser mes idées au clair. J’ai des tas de cahiers où j’écris des tas de choses tout le temps, j’écris, j’écris, j’écris. J’ai plein de cahiers dans lesquels je note des idées. J’aime beaucoup les jeux vidéo, donc je note des tas d’idées de jeux vidéo que je ne développe jamais. J’ai eu l’idée, il y a à peu près 15 ans, de créer un atelier vélos dans la ville où j’habite. Il se trouve que, pour des raisons personnelles, ma vie a changé donc je n’ai pas continué. J’avais laissé une adresse sur Internet, mon numéro de téléphone, et trois ans plus tard quelqu’un m’a envoyé un SMS en me disant « apparemment, tu as fait quelque chose, est-ce qu’on peut participer ? On voudrait monter quelque chose ? Où en es-tu ? Est-ce qu’on peut t’aider, etc ? ». Je leur ai filé toutes les infos que j’avais et je leur ai dit « vous êtes jeunes, vous avez envie, vous êtes nombreux, allez-y, montez ce truc-là. » Aujourd’hui ça fonctionne. Il y a trois ateliers vélos dans la communauté de communes dans laquelle je suis. Je suis peut-être, au départ, l’instigateur d’une idée. Ils ont le nom que j’avais imaginé, et je ne suis même pas sûr que c’est moi qui l’avais trouvé à l’époque, et c’est tout. Je suis très heureux que ça fonctionne et le fait qu’ils aient « exploité l’idée », entre guillemets, plutôt que moi ou que je n’en suis pas officiellement le père fondateur, je m’en fiche ! L’important c’est que ça fonctionne, que ça serve aux gens. Il y a des gens qui font du vélo grâce à ça.
Zéro lecteur, ce n’est pas important. L’important c’est de s’exprimer. Plus vous allez vous exprimer, plus vous allez vous exprimer facilement et plus vous allez créer des échanges avec d’autres gens. C’est exactement comme les gens qui ne parlent pas sur les réseaux sociaux, qui ne font que lire, je trouve ça un peu dommage, on a toujours quelque chose à dire. Parfois, ce n’est pas très intelligent, parfois c’est une bonne blague et puis, parfois, c’est peut-être intéressant. Hier soir, en rentrant, chez moi, j’ai parlé de la conférence de Natouille [4] sur le testament numérique, tout le monde s’est mis à me poser des questions auxquelles je n’ai pas pu répondre parce que j’étais un petit peu dans le même état que vous. Il y a plein de questions, tout n’est pas résolu et on ne sait pas tout, mais j’ai déjà pu apporter quelque chose et ça ouvre des échanges et je ne suis pas expert sur le sujet.
Je vais m’arrêter de parler.

Organisatrice : On me fait signe en régie que c’est fini. Merci.

[Applaudissements]