Framasoft, Dégooglisons, CHATONS, questions éthiques - Frédéric Urbain

Titre :
Framasoft, Dégooglisons, CHATONS, questions éthiques pour les ingénieurs
Intervenant :
Frédéric Urbain - Framasoft
Lieu :
UTC - Compiègne
Date :
Mars 2017
Durée :
43 min 50
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Licence de la transcription :
Verbatim

Transcription

Je vais vous parler de Framasoft. Framasoft [1] c’est quoi ? C’est une petite association, au début ce sont des profs. « Frama », ça vient de français et maths, tout simplement, ce sont des profs de collège et de lycée qui cherchaient des logiciels à utiliser dans les classes avec les gamins. Et bien sûr, ils n’avaient pas de budget, ça c’était un refrain connu, et donc, pour trouver des logiciels, ils ont cherché des logiciels gratuits et ils sont tombés sur des gens qui leur ont dit : « Gratuit c’est bien, libre c’est mieux ! » Donc ils sont allés voir du côté du logiciel libre, ils se sont fait expliquer les choses par les gens qui savaient et ça les a intéressés, ça les a même passionnés, on va dire, et du coup, ils ont lancé un annuaire de logiciels libres qu’ils ont mis sur Internet. Aujourd’hui il y a 1600 logiciels dans cet annuaire et ça a commencé comme ça. Voilà. Quelque part dans le vaste Internet, il y avait un petit annuaire qui proposait du Libre aux gens qui voulaient installer sur leur PC des logiciels. C’est une schématisation, ça.
Et puis ça a continué, ça a grossi, l’association s’est dotée d’une maison d’édition qui édite des bouquins sous licence libre, s’est dotée d’un blog qui n’est pas mal lu, on a un million et demi de visiteurs par mois sur les sites, donc on a une petite audience on va dire. Et du coup, tout ça a grossi et puis, à un moment donné, on s’est aperçus que l’annuaire ce n’était plus le point d’intérêt principal des gens. Ils ne venaient plus forcément chercher des logiciels pour les installer sur leur PC. Donc l’association s’est demandé pourquoi. Et elle s’est rendu compte, finalement, que les gens n’installaient plus de logiciels sur leur PC, il y a quelques années de ça, ou en tout cas beaucoup moins, parce qu’il y avait des gens qui leur proposaient des services en ligne sur Internet, qui rendaient les mêmes services. Ça a commencé avec Google Mail, par exemple, on pouvait gérer ses mails à distance, ils étaient sur le serveur, quelque part, là-dedans, chez Google. Google Agenda qui permet de gérer, voilà ! À l’époque il y avait Picasa qui est devenu Google Photos. On pouvait gérer ses photos, partager ses photos. Génial ! Ça ne coûtait rien, c’était gratos. Il y avait du serveur illimité pour gérer ses photos et partager avec les copains.
Tout ça fait qu’on a constaté qu’il y avait des services en ligne, comme ça, qui permettaient aux gens, à partir d’un simple navigateur internet et d’une connexion, évidemment, de travailler, sans forcément installer les logiciels sur leur PC. Et donc on s’est demandés qui sont les gens qui fournissent ces services. Maintenant vous avez la réponse, bien sûr, parce que ça fait quelques années de ça. Vous les avez. C’est-à-dire qu’on s’est aperçus qu’en fait les services étaient dominés, les services en ligne étaient dominés par quelques grosses entreprises. Il y a eu Google, dont j’ai parlé, évidemment. Il y a eu Apple qui a eu une période de creux et qui a sévèrement remonté avec l’iPhone, évidemment. Il y a eu Facebook. Il y a eu Amazon qui, au début, a commencé par vendre des bouquins et qui tout d’un coup a grossi, s’est mis à vendre n’importe quoi, tout et rien, s’est mis aussi à fournir des serveurs aux gens. Je ne sais pas si vous savez, mais une grosse partie d’Internet est hébergée par des serveurs Amazon. Et là, il en manque un dans l’image, c’est le « M » de Microsoft, parce que les gens d’habitude disent GAFA. Nous, on a ajouté le « M » de Microsoft, GAFAM, parce que, au début, Microsoft fournissait des logiciels qui s’installaient sur les PC et, de plus en plus, ils sont arrivés à faire du cloud. Aujourd’hui il y a Office 365, 360, je ne sais plus, qui permet de travailler à distance sans avoir rien installé là.
Et donc l’association s’est posé la question : mais qu’est-ce que ça implique d’avoir tous ces services fournis en ligne par ces ténors de l’Internet ? Avec quand même des particularités intéressantes. Si vous regardez par exemple Facebook, c’est particulièrement intéressant de voir Facebook, c’est que ces gens-là ne vendent pas de matériel. On peut dire Apple, OK, ils vendent du matériel. Google, ils ont essayé des glass, ils vous vendent enfin pas des glaces, des lunettes. Ils vous vendent des bagnoles. Enfin Google, il vend du matériel. OK. Amazon vend des trucs. Mais Facebook ne vend rien ! Facebook n’a pas de matériel et Facebook ne fait pas payer ses services ! Comment ils font ? Comment ils gagnent autant d’argent ? Comment ils sont aussi puissants ? C’est là qu’il faut se poser la question. Si l’utilisateur de Facebook ne paye pas pour les services qu’il utilise, c’est peut-être bien que l’utilisateur de Facebook n’est peut-être pas le client de Facebook. C’est peut-être plutôt la chair à saucisses de Facebook, si vous me permettez l’expression. C’est-à-dire que le client de Facebook, il est ailleurs. C’est le publicitaire qui va venir toucher la personne qui utilise Facebook, grâce aux données précises qui ont été données à Facebook par l’utilisateur lui-même.
Et c’est là qu’on commence à se poser des questions. Toutes ces données qui circulent sur Internet, qu’est-ce qu’il en est fait ? Où est-ce qu’elles sont ces données ? Qui les exploite ? Eh bien qui les exploite, on a déjà une partie de la réponse. Parce que si vous regardez un peu plus loin, ces grosses compagnies qui étaient relativement anecdotiques à leurs débuts, elles sont devenues, en 2016, les cinq capitalisations boursières les plus grosses du monde. C’est-à-dire que ces cinq boîtes-là, dont certaines ne vendent rien, sont aujourd’hui les plus riches du monde. C’est aussi simple que ça ! Elles sont devant les pétroliers, vous avez Total qui était encore en 2006 en troisième position. Vous avez Exxon qui était premier encore en 2006. Vous avez General Electric. Vous avez des grosses boîtes comme ça, traditionnelles, qui étaient là, et maintenant ces grosses boîtes, elles sont derrière. Elles sont derrière ! Ces grosses, grosses entreprises, qui avaient un fric fou auparavant, elles sont largement derrière les GAFAM donc Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Les cinq plus grosses boîtes du monde. Ce sont quand même des questions qu’il faut se poser. Comment est-ce qu’ils sont devenus aussi puissants aussi vite, notamment pour ceux qui ne vendent rien ? Eh bien parce qu’ils vendent quelque chose quand même, mais ce qu’ils vendent c’est vous.
Je pense qu’il y a des gens qui ont des comptes Facebook ici. Quelques-uns. Ouais ! Ils n’osent pas le dire. Qui a un compte Facebook ? Moi je n’en ai pas. Je peux vous dire que j’ai un compte Gmail, mais je n’ai pas de compte Facebook. Ah quand même ! Vous voyez le pourcentage. Voilà ! Et donc vous partagez plein d’informations là-dessus. Vous partagez des photos, allons-y, tout ce que vous voulez, et ces informations que vous partagez sont sur les serveurs de Facebook qui croise les données, qui récupère toutes ces informations et qui est capable de faire du ciblage précis. Facebook, on lui dit : « On cherche un étudiant de l’UTC [Université de technologie de Compiègne] qui est passionné d’aquariophilie », eh bien il le trouve, sans problème. Et je pense que ça ne prend pas longtemps. Donc si vous avez des poissons rouges, ça vous concerne !
Et donc l’association s’est dit « eh bien il faut réagir là-dessus. » Parce que quand on dit on parle du cloud, l’informatique dans le nuage ! Je suppose qu’il y a beaucoup d’informaticiens du coup ici, l’informatique dans le nuage ça n’existe pas. Soyons clairs, l’informatique dans le nuage c’est l’informatique dans l’ordinateur de quelqu’un d’autre, qui n’est pas vous, et qui se trouve quelque part dans le monde et vous ne savez pas où. Et ce qui se passe, comme ce sont cinq compagnies américaines dont on parle, qui sont très souvent sur le territoire américain, avec ce que ça implique en termes de lois américaines sur le PATRIOT Act par exemple. Si la CIA veut aller chercher dans les données de Facebook, elle peut. Aujourd’hui elle est légalement autorisée à le faire, et elle ne se gêne pas d’ailleurs ! Voilà ! Le côté « ne vous inquiétez pas pour vos données, elles sont dans le cloud », eh bien si, inquiétez-vous, demandez-vous où elles sont vos données, demandez-vous qui y a accès, parce que c’est ça qui est important aujourd’hui, parce qu’avec toutes ces données on fait du fric, tout simplement, et on devient extrêmement puissant.
Ces énormes compagnies qui sont les cinq premières du monde, aujourd’hui elles ont le moyen de racheter n’importe quel concurrent. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de ces histoires-là : 400 entreprises qui ont été rachetées par ces énormes machins. Vous avez Nokia, par exemple, qui était à son époque le leader du téléphone portable. Nokia a été racheté par Microsoft ; ça a coûté 5,4 milliards - milliards - d’euros. Microsoft a fait un chèque de 5,4 milliards d’euros pour racheter la première boîte de téléphonie au monde à l’époque ! Nokia ! D’accord ?
Vous avez WhatsApp. WhatsApp c’était un concurrent, je suppose que vous avez déjà entendu parler de WhatsApp. C’est un système de messagerie ; dans les pays où il n’y a pas de SMS illimités comme chez nous. C’était bien pratique. Ce sont des gars qui ont lancé ça, des anciens de Yahoo si je ne me trompe. Et ça a commencé à faire de l’ombre à Facebook. Et Facebook est arrivé, a fait un chèque, je ne sais plus, le montant est écrit en tout petit quelque part par là, ce sont encore des milliards de dollars, 19 je crois, et bam ! WhatsApp exit ! C’est devenu la propriété de Facebook. Du coup Motorola, moi j’ai un téléphone Motorola, eh bien maintenant il appartient à Apple, Motorola.
Donc toutes ces entreprises-là ont été rachetées. Et ça veut dire que ces énormes boîtes, quand elles ont un concurrent, elles ont les moyens de lui couper l’herbe sous le pied, tout de suite. C’est-à-dire que le petit informaticien qui a inventé sa petite start-up et qui est content de lui et qui commence à faire un peu de succès, et machin, etc., il a de fortes chances qu’on vienne frapper à sa porte en lui disant : « Écoute, je te file un peu de pognon, mais ton truc, tu le ranges, parce que tu me gênes ! » C’est ça l’idée.
Ce qui nous a inquiété nous, chez Framasoft, c’est ça. C’est d’abord la centralisation : vous avez quelques acteurs extrêmement riches qui font leur loi sur Internet. Qui sont incontournables ! Moi je suis venu ici avec un GPS Google, soyons clairs, je n’ai pas trouvé de truc libre qui marche mieux, donc pour l’instant j’en suis là, voilà, peut-être qu’un jour je vais y arriver !
On parlait de la collusion entre les États et GAFAM. Il y avait, dans un film qui s’appelle Les Nouveaux Loups du Web, dont on fait la promotion, il y avait le directeur de la CIA, suite aux révélations Snowden, qui était venu témoigner devant la commission d’enquête et qui disait : « Eh bien écoutez, nous à la CIA, on est vachement contents que Google, Apple et Facebook existent, parce que quand on a besoin de fouiller dans la vie privée de quelqu’un, on n’a plus besoin d’embaucher des dizaines de gars pour aller enquêter. On va directement se servir à la source. » Et le plus drôle là-dedans, c’est que ce sont les gens eux-mêmes qui fournissent l’information. Ce sont les gens eux-mêmes qui alimentent Facebook, qui alimentent Apple, etc. Vous avez sans doute en tête le scandale des starlettes qui se sont fait photographier en tenue un peu légère. Eh puis il y a des pirates qui sont allés sur leur compte Apple et hop là, qui ont diffusé ça partout. Enfin voilà, il y a plein d’histoires comme ça, et c’est là qu’on se pose la question de la vie privée. Parce que je ne sais pas vous, on parlait tout à l’heure de « je n’ai rien à cacher », une phrase qu’on entend beaucoup, je ne sais pas vous, mais moi quand je vais aux toilettes, je ferme la porte. C’est un peu la moindre des choses. Et j’en ai deux/trois autres comme ça des trucs à cacher ; franchement, j’ai des trucs, je n’ai pas envie que tout le monde le sache, clairement ! Voilà !
Et l’autre idée, c’est ce que je vous disais tout à l’heure, c’est que le produit, il faut vous demander qui est le produit, enfin quel est le produit dans l’affaire de ces entreprises-là. Pour elles, vous n’êtes pas le client, vous êtes le produit. Ce sont vos données qu’on dissèque et qu’on vend aux publicitaires pour venir vous vendre de la soupe. Et ça rapporte des milliards, comme on l’a vu.
Après vous avez toute la problématique de l’espionnage industriel. Moi je travaille dans une très grande entreprise, un très grand groupe français, et je vois passer des dizaines de consultants, j’allais dire des centaines, mais je crois que c’est vrai, des centaines de consultants, tous les ans. Et ces types-là, ils arrivent avec leurs laptops. Et on s’aperçoit que leur messagerie est fournie par Google. On s’aperçoit que leurs échanges de données, ils les font avec Dropbox. Du coup, ils échangent les données qui concernent leurs clients avec des outils propriétaires qui appartiennent aux GAFAM. Et ils travaillent dans un grand groupe français et tout va bien, ça ne gêne personne ! Ce n’est pas chiffré. Allons-y ! C’est la fête au village ! Tout ça passe par des serveurs américains. Entre parenthèse, ça fait 8000 bornes à chaque fois d’ailleurs, soit dit en passant, et du coup ça peut être à tout moment regardé par les autorités américaines. Si ça ne s’appelle pas de l’espionnage industriel, je ne sais pas comment ça s’appelle !
Après, vous avez le risque de dépendance. Par exemple Google a racheté un fournisseur de thermostats connectés qui s’appelle Nest, je ne sais pas si vous avez entendu parler de ça. Thermostats connectés : donc vous mettez le truc chez vous et Google, non seulement il lit vos mails, non seulement il voit vos photos, non seulement il a accès à vos données, mais en plus il sait combien de degrés il fait chez vous. Il fait 19 degrés chez toi. C’est cool ! Et donc il y avait une autre boîte qui s’appelait Revolv, qui fournissait aussi des thermostats connectés, eh bien Google a acheté Revolv et a envoyé un courrier à tous les clients en disant : « Attention, dans trois mois vos trucs ne marcheront plus. » « Oui, mais j’ai payé ça relativement cher, quand même, je les ai installés chez moi et tout. » « Ah mais ça ne marchera plus parce qu’on n’a plus envie. On a envie de promouvoir l’autre société qu’on a rachetée parce que, de toutes façons, les deux nous appartiennent. » C’est aussi simple que ça. Ils ont ce pouvoir-là. Quand on dit que ce sont les cinq plus grosses boîtes du monde ça correspond, leur chiffre d’affaires correspond à un petit État, au PNB d’un petit État européen. Je ne parle pas du Bangladesh. J’avais calculé que le chiffre d’affaires de Google c’était à peu près le PNB de la Hongrie. Voilà. Ils pourraient racheter un pays ces gens-là. Tout va bien !
Et puis, après, eh bien justement, pour l’instant ils sont sur Internet, mais on parle aussi de l’extension hors Internet : on parle des thermostats connectés, ça commence à envahir vos intérieurs. On parle des bagnoles connectées qui se conduisent toutes seules, etc. Pourquoi pas ! Moi je n’aime pas conduire, mais il faut quand même se poser des questions là-dessus. Et puis ça commence à grignoter de plus en plus. Google, par exemple, s’est dit - bon, je tape beaucoup sur Google, mais il n’y a pas qu’eux - Google s’est dit puisqu’on est capables de faire des algorithmes qui sont capables d’aller chercher un mot-clef sur Internet en quelques secondes dans notre moteur de recherche, on est peut-être capables aussi d’utiliser les mêmes algorithmes pour aller chercher de l’ADN dans, comment ça s’appelle déjà ?
Public : Un génome.
Frédéric urbain : Merci, un génome. Je n’avais plus le mot. Voilà. On est capables d’aller chercher de l’information dans un génome de la même façon qu’on va chercher de l’information sur Internet. Et ça va loin. Ça va très vite et ça marche. Après, on peut se demander jusqu’où ils vont aller ? C’est ça la question qu’on se pose.
Donc nous, on a réagi à ça. Nous, petite association française de trente membres, on a réagi en lançant ça. On a dit : « Dégooglisons Internet » [2]. C’est une campagne qu’on a lancée il y a trois ans et on a dit quoi avec ça ? C’est assez simple. Tiens, d’ailleurs je vais me servir quand même du machin. On a dit : « Tous ces services qui sont fournis par les GAFAM, on va essayer de fournir des services équivalents, mais avec une certaine éthique. Déjà à base de logiciels libres, on va commencer par là. Ensuite on va les héberger en Europe. Ensuite on va chiffrer les données à l’intérieur de ces services, tout ce qui circule va être chiffré. Et puis on se lance. On verra bien. On a trois ans, on se propose de remplacer trente services. » Alors il y a avait des services relativement faciles.
Doodle, par exemple, on a fait Framadate [3] qui permet de prendre rendez-vous. Vous connaissez, je suppose. Tout le monde donne ses disponibilités et, à la fin, le logiciel calcule le moment où tout le monde est disponible en même temps. Ce n’est pas super compliqué à mettre en place, on a mis un logiciel pour faire ça. Voilà.
Google Docs, on a un truc qui s’appelle Etherpad, qu’on a rappelé Framapad [4], parce que nous, s’il n’y a pas du « frama » on n’est pas bien, on digère mal. On a remplacé Google Docs avec ça, Etherpad. Ça marche très bien. On peut travailler à plein de gens sur le même document, chacun a sa couleur. On travaille ensemble. À la fin, une fois que tout le monde s’est mis d’accord, on fait un copier-coller et on a fini. C’est extrêmement simple, ça marche.
Pastebin [5] pour échanger des informations genre mots de passe, etc., chiffrés, évidemment. Etc., etc. Et à chaque fois qu’on remplaçait un service des GAFAM par un service libre en ligne, eh bien voilà, on barrait la petite coche et on disait : « Celui-là, c’est fait. » Et ça fait trois ans qu’on a lancé ça et figurez-vous que ça a très, très bien marché. Pourquoi ? Parce qu’auprès du grand public le « Dégooglisons Internet » a sonné très clairement dans leur tête, ils ont compris le principe de ce truc-là en disant :« Il faut arrêter de passer par les trucs des Américains. Il y en a marre ! » Parce qu’on a un côté chauvin en France, c’est pour ça qu’on a pris le village gaulois. On a un côté chauvin en France ; le côté « arrêtez de donner vos données aux Américains », ça marche très bien. Moi j’ai tenu un stand à la fête de l’Huma et je disais aux gens : « Venez m’aider à botter le cul de Google ! » Alors là c’est le gros succès, il faut le dire ; ça marchait du feu de dieu.
Et donc, petit à petit, on a remplacé Facebook, on l’a remplacé, bien sûr, on a une instance que vous avez aussi, je crois.
Public : Une instance Diaspora ?
Frédéric Urbain : Ouais.
Public : Non, on n’a pas pu la monter.
Frédéric Urbain : Donc on a une instance Diaspora [6] qui est un réseau social. Alors on n’a pas quelques milliards d’utilisateurs comme Facebook. Nous, on est un peu plus modestes que ça. On a du monde, mais il y a quand même un peu d’écho dans les salles. Ce n’est pas encore rempli.
Et petit à petit, eh bien Google Agenda, par exemple on a sorti Framagenda<ref<Framagenda</ref<

cette année, qui est un agenda partagé. On n’a pas encore remplacé Twitter. OK, d’accord, on n’a pas encore remplacé Twitter. On n’a pas encore remplacé Gmail, parce que ça, il va falloir quelques serveurs, il va falloir un peu de sous. Mais n’empêche que petit à petit on y arrive et, petit à petit ça progresse comme ça. Et on a trente services en ligne comme ça, aujourd’hui, que vous pouvez utiliser, Frama quelque chose. framaquelquechose.org. De toutes façons, si vous allez sur Framasoft, vous allez les trouver. Mais voilà, c’est ça l’idée. On a démontré, c’est ce que les Anglo-saxons appellent un POC, un proof of concept, c’est-à-dire qu’on a démontré que c’était possible.
Le but du jeu, parce que ça, on nous l’a reproché aussi. Il y a des gens qui nous ont dit : « Ouais, c’est sympa votre truc, mais si vous dites "Dégooglisons Internet", mais que tous les gens viennent chez vous au lieu d’aller chez Google, eh bien le principe de décentralisation ça ne marche pas bien. Ça va "framasoftiser" Internet, mais c’est tout ». Et ce n’est pas le but du jeu. On a dit : « Eh bien non ! On fournit une alternative, on montre que ça marche. » C’est ça le but du jeu. On explique aux gens : « Regardez, on y arrive. On est une bande de trente rigolos, il y a dix informaticiens sur le lot, avec un budget de 200 000 euros par an on arrive à faire tout ça. Regardez, ça marche. Et puis vous pouvez le faire aussi. » C’est ça qu’on vient expliquer. C’est ça qui est le but ultime de la manœuvre.
C’est que pour sauver Internet on n’a rien trouvé de mieux que des CHATONS [
7], avec un peu de houblon quand même. Pourquoi des CHATONS ? Qu’est-ce qu’il me raconte avec ses CHATONS ? Vous avez remarqué que des chatons, sur Internet, il y en a partout. Nous, ça nous plaisait bien d’utiliser des chatons. Donc on a dit : « Eh bien voilà, on va sauver Internet avec des CHATONS ». Comment ? Eh bien voilà on a dit : « Il nous faut d’autres gens qui font la même chose que nous : des hébergeurs qui s’engagent à faire des trucs bien, à base de logiciels libres. » Ça, c’est le principe premier, parce que le logiciel libre c’est auditable, ça peut être réparé par n’importe quel informaticien qui a accès au code, puisque le code est public. C’est interopérable. C’est-à-dire que si vous prenez des données d’un logiciel libre et que vous les utilisez dans un autre logiciel libre qui fait la même chose, eh bien ça va marcher, c’est aussi simple que ça, et donc c’est intéressant. Alors tous les principes du logiciel libre, je ne vais pas revenir dessus. Mais en tout cas voilà. Mais on s’est dit ça ne suffit pas. Ce n’est pas parce qu’on utilise du logiciel libre qu’on est clean. Loin de là. On peut très bien aller piocher dans les données privées des gens en utilisant du logiciel libre. Ce n’est pas un problème.
Il y un blogueur, un spécialiste de sécurité en informatique, qui a fait un article de blog récemment en disant : « C’est bien, on a gagné avec le logiciel libre. » Comment ça on a gagné ? Eh bien oui, la majorité des serveurs internet qui tournent sous Linux aujourd’hui. Dans votre téléphone, si vous avez un Android, eh bien c’est 80 %, grosso modo, de logiciel libre. Dans vos GPS, dans vos bagnoles, dans tous les objets que vous utilisez au quotidien, souvent c’est du Linux. Alors ils ne le disent pas forcément, mais ça en est. Et donc le logiciel libre, a gagné la bataille. Il est présent partout. Même Google fait du logiciel libre, verse des trucs dans open source. Même Microsoft. Le mec de Microsoft qui s’occupe du logiciel libre, il vient sur les salons, on le charrie à chaque fois. Il en prend plein ! Mais bon ! En tout cas, il a le mérite d’être là, il est payé pour ça le pauvre gars, pour se faire chambrer toute la journée ! Il fait un tabac ! Donc voilà, ça ne suffit pas de travailler avec du logiciel libre, ce n’est pas assez, ce qu’il faut, en plus, c’est que les hébergeurs qui font ça le fassent de façon éthique, c’est-à-dire s’engagent à faire les choses bien. À chiffrer les données par exemple. À ne pas utiliser de régies publicitaires.
Nous, on a fait ce boulot-là. Parce que, au début, pour avoir des sous dans Framasoft, on avait, tout simplement, mis de la pub. Et la régie publicitaire, je vous le donne en mille qui gérait tout ça, c’était qui ? C’était Google. Donc on a dit : « Eh bien les gars, il faut qu’on s’applique à nous-mêmes ce qu’on explique aux gens toute la journée. Et donc, il faut qu’on arrête de bosser avec Google ». Ça n’a pas été simple, parce qu’une association, on a des serveurs qui tournent, ça a besoin d’argent, une association ! Du coup, on s’est dit on va se couper une source de financement importante en faisant le nettoyage de nos serveurs et en virant tout ce qui est Google de là-dedans. Ça a pris un peu de temps. On y est arrivé. Aujourd’hui, on ne vit que des dons du public. Ça prouve que les gens sont contents de ce qu’on fait. D’ailleurs, ce qui est intéressant c’est que quand vous vivez des dons du public, quand vous faites une connerie, ça se voit tout de suite. Ça c’est intéressant aussi, vous avez le feed-back immédiat. Donc voilà ! Ça c’est important.
Donc on demande aux hébergeurs qui vont venir travailler avec nous, qui viennent déjà, on en a déjà, de respecter la vie privée des gens ; de faire attention aux données personnelles des gens ; d’organiser des backup ; de chiffrer ; etc. On demande aussi à ce que ce soit décentralisé, parce que l’une des grosses problématiques ce sont les silos de données. C’est-à-dire que la CIA et la NSA, quand ils vont se servir sur des millions de comptes Facebook, ce qui les intéresse c’est justement que tout soit au même endroit, parce que c’est super simple de croiser les données. S’ils étaient obligés d’aller chercher chez, je ne sais pas, mille hébergeurs différents les informations de leurs clients pour croiser les informations, ce serait beaucoup plus pénible pour eux. C’est comme ça qu’Internet a été conçu au tout départ, c’est pour être dé-cen-tra-li-sé. Et donc il faut retrouver cette décentralisation. Arrêter de mettre tout dans les cinq plus grosses boîtes du monde.
Après, on a dit aussi qu’il fallait que ces hébergeurs qui vont venir travailler avec nous, ceux qui sont déjà venus, soient solidaires. Déjà solidaires avec leurs clients, en pratiquant un prix raisonnable. Si ce sont des associations, ça peut être une adhésion, etc. Soient solidaires entre eux, en s’entraidant. Quand il y a un hébergeur qui a besoin d’aide, qui ne sait pas, je sais pas, qui ne sait pas organiser ses backups, ou des choses comme ça, il peut toujours trouver de l’aide chez les autres. Et qui fassent ce que nous sommes en train de faire là, c’est-à-dire de l’éducation populaire, expliquer aux gens pourquoi on fait tout ça, pourquoi on passe notre temps à traverser la France dans tous les sens pour donner des conférences, pour expliquer, pour tenir des stands. C’est ça qui est important : expliquer aux gens. Parce que vous, on est à l’UTC ici, donc vous, je suppose que vous avez déjà entendu parler de tout ça et que vous êtes conscients de ces choses-là. Alors nous, on ne dit plus Mme Michu parce que c’était un peu trop, on parle des Dupuis-Morizot, c’est-à-dire le monsieur Tout-le-monde, que nous sommes d’ailleurs, je vous ai dit dans l’association il y a à peu près dix informaticiens sur trente membres. Les autres c’est qui ? Ce sont des comptables, ce sont des fonctionnaires, ce sont des profs, ce sont des gens comme tout le monde ; qui utilisent les services de Framasoft comme tout le monde ; et donc c’est à ces gens-là qu’il faut qu’on explique qu’il ne s’agit pas de mettre des informations n’importe comment sur Facebook. Récemment moi j’ai vu une maman mettre une photo de sa fille sur le pot, sur Facebook, en disant : « Regardez ma fille comme elle est jolie sur son pot. » Simplement, ce que je ne vous dis pas, c’est que la gamine elle a 19 ans aujourd’hui ! Et la mère a exhumé une vieille photo de sa gamine sur le pot, elle l’a collée là, avec le partage, world wide, avec tous les copains et les copines de la fac. Super !
Donc c’est ça l’idée. Et du coup, avec tout ça, on a dit : « On va fixer des objectifs ». Alors on va fixer, soyons clairs, nous on initie le mouvement. On profite parce que, grâce à ça quand même, on a un peu de visibilité. Je vous ai parlé tout à l’heure d’un million et demi de visiteurs sur les sites, c’est le cas aujourd’hui, et on a 200 et quelque mille euros de dons chaque année qui sont faits par les particuliers, et donc, en ce moment, on a le rond de lumière qui est sur nous. Framasoft, hou ! Le but du jeu c’est que ce rond de lumière on l’élargisse un peu et qu’on montre qu’il y a d’autres gens qui font du bon boulot autour de nous, parce qu’il y en a, il y en a qui existent depuis même avant nous, qui font du super boulot. Et donc l’idée, les objectifs, c’est facile : c’est se mettre d’accord, tous ensemble, avec une charte et un manifeste. C’est-à-dire on signe tous, en bas, en disant : « Voilà, c’est comme ça que ça va marcher ». OK. Ça c’est facile.
Rendre l’offre visible, c’est-à-dire un guichet unique pour éviter de « chacun fait dans son coin », et c’est trop chiant parce que les gens ne savent pas à qui s’adresser, etc. On va faire un site unique où on répertorie tous les copains. Je vais vous montrer.
Marquer la différence en disant : « On veut que les gens s’engagent et que ce soit éthiquement clair ». Que les gens soient rassurés de venir utiliser les services et qu’ils n’aient pas peur de donner leurs informations. Parce que nous, on s’en fout de leurs informations, on ne regarde pas dedans.
Abaisser la barrière à l’entrée aussi, pour partager l’info. Faire en sorte que ce soit plus simple de créer soit une petite entreprise qui va gérer des données, soit une association.
Et puis agir localement. On dit souvent qu’on est les AMAP de l’informatique. Vous connaissez les AMAP, les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne. Vous payez vos, je ne sais pas combien, 25 euros par semaine et vous avez un panier de légumes qui arrive et vous ne savez pas ce qu’il y a dedans. Parce que le gars, c’est en fonction de ce qu’il a récolté. Les légumes sont moins beaux que ceux du supermarché, mais ils sont plutôt meilleurs et surtout, le mec qui les a produits, vous le voyez devant vous ; il est là, vous pouvez lui serrer la main ; il peut vous expliquer comment il cultive ses légumes, pourquoi il ne met pas de pesticides, etc. C’est ça l’intérêt.
Avec toutes ces idées-là en tête, on a créé un collectif qu’on a appelé CHATONS. Voilà, on y revient aux CHATONS. Étonnement le nom chatons.org n’était pas réservé. Ça c’est un gros coup de pot quand même, donc on s’est vite dépêchés de le prendre. Et CHATONS, en plus, on lui fait dire quelque chose, c’est : Collectif d’hébergeurs alternatifs, transparents, ouverts, neutres et solidaires, c’est-à-dire tout ce que je vous ai raconté juste avant. OK ! Des hébergeurs qui choisissent d’être solidaires entre eux ; d’être transparents avec leurs clients, leurs utilisateurs ; qui choisissent d’être ouverts, d’utiliser des standards libres, etc. Eh bien on a en a déjà une trentaine, dont Picasoft [8].
Au début la carte était un peu vide, comme ça. On en a quand même un au Portugal, ça commence à s’internationaliser. Et puis on s’est aperçus, en donnant des conférences comme celle-ci, en allant voir les gens, en leur disant : « Eh bien voilà, nous on a envie de faire ce truc-là » et on voyait des mains se lever, des gens qui venaient nous parler à la fin en disant : « Je veux être un CHATON. »
[Rires]
Sympa. Eh ouais, sans blague ! On s’est rendu compte qu’il y avait plein de petits hébergeurs associatifs un peu partout, ou alors des petites entreprises, voire des particuliers qui venaient nous voir en disant : « Moi j’ai monté un serveur à la maison et j’héberge les mails de toute la famille ; parce que j’en avais ras-le-bol de voir les gens m’envoyer des trucs avec gmail.com ». Et voilà, ça c’est un CHATON. Le mec il a la technicité, il utilise des logiciels libres, il est transparent avec les gens, il leur explique que « eh bien, il y a des jours ça ne marchera pas, c’est comme ça, parce que ce n’est pas Google ». Le mec, OK, voilà. Il répond à la charte et au manifeste, il s’est inscrit sur le site et voilà. Et petit à petit la carte, alors ça ce n’est pas vrai, on n’en est pas là, on aimerait bien, mais on n’en est pas là. Mais, petit à petit la carte se remplit, et on se rend compte que si vous voulez héberger vos données de façon éthique, transparente, avec du logiciel libre, eh bien il y a de fortes chances pour que vous trouviez quelqu’un au coin de votre rue qui le fait. Cette personne – je dis toujours le gars, mais ça peut être une fille, ne soyons pas sexistes – cette personne, vous allez pouvoir la rencontrer, vous allez pouvoir boire un coup avec elle et lui demander : « Mais comment tu fais alors ? Mes données elles sont où ? Ils sont où tes serveurs ? » Etc. Et c’est ça l’intérêt, c’est de redonner du sens à tout ça avec des hébergeurs locaux, qui font du bon boulot et vous ne le savez pas. Donc le rond de lumière, voilà, on essaye de le mettre un peu sur tous ces gens-là qui font du super bon boulot. C’est ça l’objectif.
Alors le modèle. On a un contrat chez Framasoft, si on ne met pas des chatons dans les présentations, on se fait disputer, on risque d’être viré de l’asso. Donc ça, c’est obligatoire.
L’idée c’est que ce modèle de chatons.org, il n’est pas figé. L’idée c’est que Framasoft n’est pas le patron des CHATONS ; Framasoft est un CHATON comme les autres, un peu gros, mais qui a l’ambition de ne plus grossir. Ça c’est un des engagements qu’on a pris dans une assemblée générale. On a dit : « OK, on a plein de gens sur les serveurs, on a plein de services qui tournent, on en est à six salariés pour gérer tout ce bazar-là », on a dit : « Stop ! On ne veut pas grossir, on veut rester une bande de potes qui déconne dans son coin et en étant une bande de potes on a réussi à faire ça et on est contents de ça. » On ne veut pas devenir plus gros. On veut, au contraire, qu’il y ait plus de CHATONS. C’est ça l’idée. Vous allez me dire : « Ouais, d’accord, vous vous êtes attaqués à Google, vous êtes une bande de Français moyens, ouais et alors ? » Et alors ! On n’a même pas peur de Google, nous. On s’est attaqués au cinq plus grosses boîtes de la planète. Ouais, ça va, on le vit bien. On est même plutôt fiers, en fait, parce qu’on est partis là-dessus, c’était une espèce de plaisanterie, à l’origine, et puis on se rend compte que les gens sont sensibles au discours ; on se rend compte que ça marche ; on se rend compte que ça sensibilise les foules qui viennent nous voir et qui nous disent : « Ouais, c’est vrai, franchement ras-le-bol de mettre tout sur Google, Facebook, etc. » Et les gens, voilà, commencent à être sensibilisés à ce discours-là. On avance.
Et c’est d’autant plus intéressant de venir le faire ici et de vous parler, à vous, c’est que nous on a fait, les gens de ma génération ont fait tout ce qu’ils ont pu pour essayer d’améliorer un peu les choses. Bon ! Quand on voit les élections, on s’est un peu plantés ! Je dis « ça ne s’est pas bien passé ! » On va avoir un conseil de sécurité de l’ONU qui va être d’enfer, bientôt. Mais bon, on a fait de notre mieux mais nous, maintenant, on va vous laisser les clefs, ça va être à vous, qui êtes les utilisateurs de la société de demain, de réfléchir à ce que vous voulez en faire. Parce que c’est facile vous allez être ingénieurs. Vous allez sortir de là avec un bon diplôme, on va venir frapper à votre porte, ce sera peut-être Google qui va peut-être vous proposer un pont d’or pour aller bosser en Californie, avec des vélos multicolores et des baby-foots. Peut-être ! Après, ce sera à vous de voir ce que vous voulez faire, si vous avez envie de vivre dans ce monde-là, ou pas. C’est toujours la question. Vous reconnaissez, c’est le choix, c’est le choix de ce qu’on fait. Après, moi je ne veux surtout pas mettre la pression à qui que ce soit, parce que chacun a ses choix à faire dans la vie. Mais dites-vous bien dans quel monde voulez-vous vivre ?
Moi je sais une chose c’est que – ça peut passer pour un discours de vieux gauchiste, OK, d’accord – mais s’attaquer aux plus grosses boîtes de la planète, moi ça m’a fait bicher. Franchement ! Je suis content. Et quand je viens ici, moi qui suis bac plus zéro, quand je viens ici vous parler de tout ça, eh bien je suis content. Et quand je vais rentrer chez moi ce soir et que je vais me brosser les dents devant mon miroir, je vais me dire « tu as passé une belle journée, tu as fait un truc important aujourd’hui ». Et c’est ça qui est important ; c’est ça qui est bien ; c’est ça qui donne du goût à la vie. C’est de se dire « merde je suis fier ; j’ai fait un truc qui avance, qui fait avancer le monde », même si on reste trente rigolos qui faisons des blagues vaseuses autour d’une bière. Mais n’empêche qu’on a eu notre petit succès, on l’a encore, on en profite pour montrer que les copains sont là, qu’ils font du bon boulot et que ce serait bien que ça continue. Voilà ! Avant de passer la parole à nos amis de Yunohost, je peux répondre aux questions.
Applaudissements
Oui !
Public : Moi j’ai une question : d’où proviennent vos fonds ?
Frédéric Urbain : Des dons du public. Uniquement. C’est-à-dire que nous on fait des appels aux dons. On a une grosse campagne en octobre où on fait un appel aux dons.
Public : Excuse-moi. Est-ce que tu peux répéter la question à chaque fois ?
Frédéric Urbain : Oui, d’accord. OK. Alors d’où viennent nos fonds ? C’est important, c’est important de le savoir parce que justement, je vous disais tout à l’heure, nos fonds viennent à 95 % des dons du public. Parce que nous sommes une association d’utilité générale et que, du coup, c’est déductible des impôts à 66 %, je vous fais un peu l’article, j’en profite. Et comme je vous disais tout à l’heure, ce qui est important quand vous vivez des dons des gens, c’est que la sanction est immédiate quand vous faites des conneries. C’est que si jamais ce truc-là n’avait pas plu aux gens, on mettait la clef sous la porte. On n’avait plus de sous, de toutes façons ; on n’avait plus de sous pour payer les serveurs, on n’avait plus de sous pour payer les salariés, parce qu’on était partis sur un annuaire de logiciels libres et que ça ne marche plus, tout simplement. Alors là on va le rebooter d’une autre façon, enfin on a des idées par rapport à ça. Mais en tout cas, voilà. Si vous vivez des dons du public, déjà, vous ne dépendez pas des subventions. On ne va pas quémander quelque chose auprès de l’État, on a notre statut d’association d’utilité générale et ça nous suffit. Donc on ne va pas demander d’argent à qui que ce soit, et ça, c’est vachement important.
Récemment, en septembre dernier par exemple, le ministère de l’Éducation nationale a signé un accord avec Microsoft pour lancer, pour utiliser MinecraftEdu. Parce qu’ils ont racheté Minecraft, c’était encore un coup de quelques milliards de dollars, hop là, et donc ils ont lancé avec Mme Vallaud-Belkacem, ils ont lancé MinecraftEdu, pour que les gamins fassent du serious game et apprennent en jouant. Vous connaissez Minecraft je suppose. Il y a un équivalent libre de Minecraft qui s’appelle Minetest.
On a des profs qui sont venus nous voir, mais quinze jours avant la rentrée, en disant : « Ce serait bien qu’on fasse Framaminetest [9], les gars, parce qu’on en a marre que Microsoft grignote. » Et donc, en quinze jours, on a sorti le service et on a publié un article dans le Framablog en disant : « Ce serait bien, les gens de l’Éducation nationale, que vous foutiez la paix à nos gamins et que vous ne les donniez pas en pâture à Microsoft » [10]. Ça, si on avait des subventions de l’Éducation nationale, on n’aurait pas pu se le permettre.
Récemment encore, on a eu reçu un joli carton d’invitation : « Mme Vallaud-Belkacem vous invite à une table ronde au ministère de l’Éducation nationale. » On a dit : « Eh bien non. Nous, ça ne nous intéresse pas, parce que ça fait des années qu’on vous raconte des choses sur le logiciel libre et que vous ne nous écoutez pas. Donc maintenant démerdez-vous ! » On n’y pas allés [11]. Je peux vous dire que même l’Élysée est venu nous chercher sur ce coup-là. Et on a dit : « Non, pareil ! » Waouh ! On a des politiques pour la campagne présentielle, on a des politiques qui sont venus nous chercher en disant : « Donnez-nous nous des idées pour notre campagne ». On a dit : « Non ! », parce qu’on n’a pas besoin de ces gens-là pour financer nos travaux. Et ça, c’est super important d’être indépendants et on est contents de l’être d’ailleurs. Voila ! Une question là-bas.
Public : Du point de vue développement logiciel, comment ça se passe ? Parce que si j’ai bien compris le processus CHATONS, c’est simplement de l’hébergement, mais il va bien, à un moment, falloir passer le relais à des développeurs pour qu’ils continuent à développer des services en parallèle des GAFAM.
Frédéric Urbain : Oui. Tout à fait. Alors on utilise du logiciel libre.
Public : Tu peux répéter la question ?
Frédéric Urbain : Ah oui ! Pardon ! J’oublie à chaque fois. Du point de vue du développement des logiciels qui servent à ces services-là, comment est-ce que ça va se passer, puisqu’il faudra bien, à un moment donné, continuer à développer les services et à les améliorer ? C’est ça la question. Eh bien déjà, on utilise du logiciel libre en grande majorité qui existe déjà. On va chercher des logiciels qui existent et comme ils sont libres, on a le droit de s’en servir. Alors on a eu des petites critiques là-dessus, des gens qui disaient : « Finalement vous piquez un peu le boulot des autres pour vous mettre en lumière. » Ce n’est pas ça du tout ! C’est le contraire, en fait ! C’est qu’on met en lumière le boulot des autres. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on sort un service, on écrit en dessous qui l’a fait, d’où ça vient, quelle est la licence et on met tout un tutoriel pour l’installer sur un serveur. On dit comment on a fait. On documente tout. On est des obsédés de la doc, on documente tout. Du coup, quelqu’un qui veut utiliser ces services-là demain, sur son serveur, s’il a une petite culture informatique évidemment, il peut le faire, il suffit de lire le truc et de suivre. Donc c’est ça l’idée.
De temps en temps, c’est le cas pour Framagenda, on n’avait pas de logiciel libre qui fasse un agenda partagé potable. Ça n’existait pas. Et du coup, là, oui, on a mis un développeur sur le coup ; c’est nous qui l’avons payé avec les dons des gens et il a sorti, je crois qu’il a mis moins d’un mois, un truc comme ça, un agenda qui est tout à fait potable et qui fonctionne. Et cet agenda d’ailleurs, il s’est servi des briques de Nextcloud pour développer son agenda, puisque Nextcloud n’avait pas d’agenda partagé, enfin il en avait un mais qui ne marchait pas très bien. Et donc il a amélioré cet agenda partagé et du coup, les mecs de Nextcloud l’ont invité à Berlin quand ils ont fait leur grand raout annuel, et il a pu montrer ce qu’il avait fait devant tout le monde. Et c’est Thomas, et je crois que Thomas il a vingt ans. Voilà. On a de la reconnaissance envers nos développeurs.
Public : Est-ce qu’il y a des équivalents à Framasoft dans d’autres pays ?
Frédéric Urbain : Je répète la question : est-ce qu’il y a des équivalents à Framasoft dans d’autres pays ? Oui. Il y en a. On a des contacts aux Pays-bas, on a des contacts en Allemagne, on a des contacts même aux États-Unis, dans l’Ohio. On est tombés là-dessus complètement par hasard sur Internet, des mecs dans l’Ohio qui ont fait une campagne ungooglised. On s’est dit « merde alors, ce sont des frangins ». Cette année on est allés à une manifestation d’associations qui se passe en Allemagne et on a parlé, c’était notre première conférence en anglais – c’est Pouhiou qui s’y est collé, tant pis pour lui – et du coup on s’est rendu compte, dans la salle il y a plein de gens qui sont venus nous voir en disant : « Nous aussi on fait ça chez nous. » Donc oui, il y a des équivalents, bien sûr. Et puis il y a même des CHATONS qui sont, vous avez vu la carte, il y a des CHATONS au Portugal. Il y a un CHATON en Belgique, sauf erreur. Ça c’est en France quand même, mais il y a un CHATON à La Réunion, aussi. Et ça ce n’est pas mal. À La Réunion ils se sont dit « à chaque fois qu’on utilise un mail avec un serveur hébergé en France ou aux États-Unis, ça fait des milliers de kilomètres dans un sens. Si on écrit au voisin, ça va faire des milliers de kilomètres dans l’autre sens ! Autant avoir un hébergeur local. » J’avais une question là-bas.
Public : Comment vous gérez la décentralisation pour que chaque utilisateur sache où sont ses données, pour qu’il puisse y accéder ? Il y a énormément de serveurs. Comment ça se passe pour vous ?
Frédéric Urbain : Comment est-ce qu’on gère la décentralisation du fait qu’il y ait beaucoup de serveurs et pour que chaque utilisateur sache où sont ses données ? En fait, chez Framasoft, il n’y a pas tant de serveurs que ça. On a des serveurs qui ne sont pas en France, parce que je ne sais pas si vous le savez, mais il y la loi de programmation militaire et la loi renseignement qui sont venues dire à peu près la même chose que le PATRIOT Act aux États-Unis. C’est-à-dire que pour des serveurs hébergés sur le sol du pays, les autorités ont le droit de venir voir ce qu’il y a dedans. Donc nous, on a tout déménagé en Allemagne. Comme ça, ça c’est fait. Et donc les serveurs sont là-bas et les gens savent que, s’ils le demandent en tout cas on leur explique, que les choses sont là -bas. Sauf erreur, on a encore quelques trucs chez OVH, mais des trucs mineurs. Mais la plupart sont chez un hébergeur allemand.
Public : Est-ce que les CHATONS peuvent héberger une partie de vos services, aussi ?
Frédéric Urbain : Alors, est-ce que les CHATONS peuvent héberger nos services ? Les CHATONS peuvent héberger des services équivalents. C’est plutôt ça, en fait. Parce que l’idée ce n’est pas qu’ils hébergent du Framasoft ; l’idée, c’est qu’ils hébergent leurs services à eux, avec leur nom à eux, et qu’ils en fassent profiter leurs adhérents.
Public : Justement Picasoft, donc le CHATON UTC1, héberge déjà quelques services, et on prévoit d’en héberger de plus en plus au cours du semestre, du prochain semestre.
Frédéric Urbain : Voilà. Picasoft est un CHATON.
Public : Picasoft est un CHATON.
Frédéric Urbain : Et Picasoft héberge des services. Ouais ?
Public : Vous avez trouvé CHATONS ?
Frédéric Urbain : L’acronyme CHATONS ?
Public : Avant ou après ?
Frédéric Urbain : Est-ce qu’on a trouvé l’acronyme avant ? Tu as entendu là ? [Rire] On a des pros des acronymes ; Pierre-Yves [Gosset], qui était là tout à l’heure, c’est un pro des acronymes. Pour ne rien vous cacher, quand on dit qu’on a fait CHATONS avec du houblon, ce n’est pas tout à fait faux. Voilà ! On se réunit et on discute. Heureusement, on ne travaille pas uniquement en ligne, parce qu’on est un peu éparpillés partout en France, en Europe même. Heureusement, de temps en temps, on se voit pour de vrai, physiquement, in real comme on dit. Et donc CHATONS est sorti d’une de ces discussions-là, justement au moment où on se disait on ne veut plus grossir. Le but du jeu c’est que les services Framasoft restent ce qu’ils sont aujourd’hui et ne deviennent pas plus gros que ça. Et là on s’est dit comment faire ? Trouver des copains qui font la même chose pour décentraliser. Et là on est partis sur CHATONS. Voilà !
Organisateur : Ce sera une dernière question.
Frédéric Urbain : Ce sera une dernière question. Alors la dernière question de mademoiselle.
Public : Est-ce que vous pensez que du coup l’entièreté d’Internet est viable sans économie publique, et surtout sans publicité et juste avec des dons ?
Frédéric Urbain : Ah ! Est-ce que je pense que ! Question piège ! Est-ce que je pense qu’Internet est viable sans publicité avec juste du don ? Tel qu’il est aujourd’hui je dirais non, ça c’est sûr. Tel qu’il sera demain, j’espère. Mais pas forcément que du don. Ce n’est pas parce que nous on a ce modèle économique de vivre uniquement du don que c’est la même chose pour tout le monde. Il y a un CHATON qui est en Franche-Comté, qui est fait par trois ingénieurs qui sont des joyeux lurons eux aussi, qui s’appelle la Mère Zaclys, c’est leur nom, et ces gens-là ils font adhérer les gens, en fait. Le CHATON est une association et les gens qui veulent utiliser les services adhérent. Il y a une partie gratuite et puis il y a une partie payante, quand c’est plus lourd, quand c’est du mail par exemple. La mère Zaclys c’est 10 euros par an, pour héberger tous vos mails et toutes vos photos. Donc voilà, ce n’est pas très cher, on se rend compte finalement. Parce que ça aussi c’est un truc, c’est que Framasoft, je l’ai dis tout à l’heure, le budget de Framasoft, c’est environ 200 000 euros par an. On arrive à faire tout ça avec 200 000 balles ! À côté de tous ce que déploient comme efforts nos amis les GAFAM, c’est que dalle, et ça marche quand même. Donc ça prouve que c’est possible, qu’il n’y a pas tant besoin d’argent que ça au final. C’était la dernière, parce qu’il faut que vous causiez un peu les gars, c’est votre tour !
Public : Merci Frédéric.
Applaudissements