Émission Libre à vous ! diffusée mardi 7 octobre 2025 sur radio Cause Commune Sujet principal : Au café libre

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Au café libre, un débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Gee, « Adieu Windows », et, en fin d’émission, la deuxième partie de la chronique de Vincent Calame sur La Vie algorithmique.

Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Nous sommes mardi 7 octobre 2025.
Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. Nous saluons également les personnes qui nous écoutent sur la webradio Cigaloun, sur les radios FM Radios Libres en Périgord et Radio Quetsch.

À la réalisation de l’émission du jour, Julie Chaumard. Bonjour Julie.

Julie Chaumard : Bonjour. Bonjour à tous et belle émission.

Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une belle écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee » – « Adieu Windows »

Frédéric Couchet : Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, vous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.
Le thème de la chronique du jour : « Adieu Windows ».

Gee : Salut Fred et salut camarades.
Si vous me suivez un tant soit peu, le titre de cette chronique vous interroge peut-être. En effet, j’ai, pour ma part, quitté le système d’exploitation de Microsoft, le fameux Windows, depuis longtemps. Pour vous donner une idée de l’époque où je suis passé sous GNU/Linux, que j’aime appeler affectueusement « Gnunux », c’était pendant la présidence d’un type qui a accédé à son poste en fomentant une association de malfaiteurs pour négocier avec un terroriste ayant assassiné 170 personnes pour financer sa campagne avec l’argent d’une dictature. Quelle période ! Oui, je sais, il a fait appel, donc il est présumé innocent, ça va ! Bref, ce n’est pas le sujet.

Le sujet c’est Windows et, pour ma part, j’ai donc dit adieu à Windows il y a bien longtemps. Si je vous parle de dire adieu à Windows aujourd’hui, c’est parce qu’on parle pas mal de quitter Windows, en ce moment, pour une raison simple : la fin du support de Windows 10.
En effet, Microsoft avait annoncé l’arrêt des mises à jour de cette version de son système d’exploitation le 14 octobre 2025, la semaine prochaine donc, ce qui posait tout un tas de problèmes, puisqu’un système sans mises à jour peut très vite devenir un système vulnérable aux attaques.
Sous la pression de pas mal de gens, notamment ceux de l’association Halte à l’Obsolescence Programmée, Microsoft a, dans son immense mansuétude, allongé le délai de support d’un an, et celui-ci ne prendra donc fin qu’en octobre 2026. Ce qui, évidemment, ne fait que reporter le problème mais ne le résout pas ! Et ne le reporte, d’ailleurs, que partiellement, et pas forcément gratuitement non plus !
Alors quel problème, me direz-vous ? En fait, il y en a plusieurs.

Déjà, si l’association Halte à l’Obsolescence Programmée a milité contre cette fin de support, c’est bien entendu pour des questions… ? D’obsolescence programmée, il n’y avait pas de piège dans la question. Oui, parce que, évidemment, fuite en avant technologique oblige, Windows 11, le successeur, n’est pas forcément compatible avec tous les ordinateurs tournant sous Windows 10. Ce qui veut dire que si vous avez un de ces ordinateurs et que vous voulez continuer d’avoir un système à jour et sûr, eh bien vous n’aurez le choix que de racheter un nouvel ordinateur même si votre actuel fonctionne toujours. Il n’est pas matériellement obsolète, on a programmé son obsolescence. Ce qui pose évidemment des problèmes « éco ».
Des problèmes économiques, bien sûr, puisqu’une licence Windows, ça coûte des sous.
Écologiques surtout, puisque, encourager un renouvellement de matériel pourtant toujours fonctionnel, ça a un impact écologique loin d’être négligeable. Pour les gens qui sont encore persuadés que trier ses mails c’est le nec plus ultra pour avoir des pratiques numériques plus responsables écologiquement, je leur rappellerai que la fabrication des terminaux représente quasiment 80 % des émissions de gaz à effet de serre du numérique. Donc arrêtez de perdre du temps à trier vos mails et essayez de garder vos ordis plus longtemps.

Oui mais alors, allez-vous me dire, comment fait-on pour garder ses ordinateurs plus longtemps si Microsoft arrête le support ? Eh bien, on peut passer sous GNU/Linux, que les gens connaissent souvent sous le simple nom de « Linux », que je préfère, encore une fois, appeler « Gnunux », parce que c’est mignon et que ça ne froisse personne ! Enfin, je crois pas.

Gnunux c’est libre, c’est gratuit, ça ne vous espionne pas, c’est léger et ça marche même sur du matériel pas tout neuf ! Alors oui, tous vos logiciels préférés n’y fonctionnent pas forcément encore que ! Si votre usage de l’informatique se compose principalement d’Internet, de mails, de bureautique et de regarder des vidéos, honnêtement ça marche aussi bien que Windows. Pardon, ça marche même mieux que Windows ! Même la plupart des jeux vidéo, grâce à Steam entre autres, tournent maintenant sans souci.

Je sens venir les remarques : oui, mais installer Gnunux, c’est super compliqué, entre le choix de la distribution, le partitionnement des disques, le choix des dépôts, free, non-free, tout ça. Réponse lapidaire qui va agacer beaucoup de libristes, mais peu importe : en distro, vous prenez Linux Mint et à l’installation, vous cliquez sur « Suivant » en boucle et c’est bon, vous avez votre Gnunux fonctionnel ! Oui, je sais les parties « création d’une clef USB bootable » et « démarrage sur la clef » restent complexes, OK. Mais pardon ! J’aimerais bien voir des gens installer un Windows et me dire que c’est plus simple, je sens qu’on va rire ! En fait, la majorité des gens n’installeront que dalle et garderont un Windows 10 non mis à jour, ce qui est dangereux, ou changeront de PC, ce qui est du gaspillage.

Oubliez ma réponse sur Linux Mint et compagnie. La bonne réponse, c’est de trouver des gens pour vous aider. Partout en France, et ailleurs dans le monde, on a des petites associations, des GULL, Groupement d’utilisateurs et utilisatrices de Logiciels Libres, et plein d’autres gens qui seront ravis de vous aider lors d’une install partie. C’est aussi en cela que Gnunux est infiniment supérieur à Windows : un réseau d’entraide pour que vous ne vous retrouviez pas seul⋅e ou en discussion en ligne avec une connerie de bot IA qui vous recrachera juste la documentation, mal en général.

Croyez-moi, une fois qu’on a sauté le pas, difficile de revenir en arrière. Personnellement, quand je dois retourner sur un Windows, j’ai la même sensation que quand j’ouvre une page web sans bloqueur de pub ou quand je tombe sur une chaîne de télé après des années à ne plus avoir regardé la télé. Je me dis, « mais bon sang, comment les gens peuvent-ils supporter ça à longueur de journée ? »
J’ajoute que j’ai installé mon Linux Mint actuel lors de l’achat de mon PC, il y a plus de cinq ans. Depuis, j’ai pu gérer toutes mes mises à jour sans jamais toucher un terminal, même les mises à niveau d’une version à l’autre, donc l’équivalent de passer de Windows 10 à 11. Une fois installé, ça roule tout seul, c’est facile et surtout, ça vous fout la paix.
J’ai déjà fait des chroniques sur ces sujets alors je vais m’arrêter là.

Si le sujet vous intéresse, à l’April, on a lancé une campagne de communication qui s’appelle justement Adieu Windows, qui recense et met en valeur les différents événements comme les install parties organisés par les GULL et autres associations. D’ailleurs merci à tous les gens qui participent à rendre notre communauté plus accueillante, sans qui notre numérique serait beaucoup plus triste et aussi austère qu’un Windows en fin de vie.

Je vous dis salut, adieu Windows et bonjour le Libre !

Frédéric Couchet : Merci Gee. Adieu Windows sera le premier sujet du Café libre, juste après la pause musicale.
Je rappelle que Gee est un auteur libriste, que vous pouvez l’aider sur son site grisebouille.net. Au mois prochain Gee.

Gee : Oui. Au mois prochain. Salut.

Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons, avec nos invités, de l’actualité du logiciel libre.
En attendant, nous allons écouter un choix de musical de Vincent Calame, nous allons écouter Fucidin, par Ehma. On se retrouve dans deux minutes vingt. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Fucidin, par Ehma.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Fucidin, par Ehma, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0 et également sous licence Art libre.

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Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Au café libre, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal. Nous vous donnons rendez-vous, aujourd’hui, pour le premier Au café libre de cette saison 9, pour discuter de sujets d’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques avec, autour de la table, une partie de l’équipe Au café libre. Vincent Calame, qui est juste en face de moi. Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Salut.

Frédéric Couchet : Isabelle Carrère, qui est à côté. Bonjour Isabelle.

Isabelle Carrère : Salut.

Frédéric Couchet : Et Pierre Beyssac, qui est juste à ma droite. Salut Pierre.

Pierre Beyssac : Bonjour tout le monde.

Frédéric Couchet : Et peut-être que nous aurons une intervention de Gee, qui est resté dans le studio. Il connaît parfaitement tous les sujets, mais un des sujets l’intéressera plus particulièrement.
N’hésitez à participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », ou directement aussi sur le site libreavous.org.
Avant de commencer, nous tenions à signaler le départ de Florence Chabanois de l’équipe Au café libre. En effet, Florence lève le pied sur certains de ses engagements récurrents. C’était vraiment très sympa d’avoir Florence dans l’équipe, nous la remercions chaleureusement de sa contribution. Florence ne nous quitte pas totalement, car elle va continuer ses chroniques « F/H/X » dans Libre à vous !, une fois par mois. Nous la retrouverons donc très bientôt pour sa chronique.
Aujourd’hui, il y a dix sujets, mais, évidemment, on n’abordera pas les dix sujets, surtout qu’il y a un sujet où, pour une fois, il va avoir des débats, ça sera intéressant. On va commencer par un sujet où il y aura un peu moins de débat, sauf, peut-être sur le choix de ce qu’on va appeler une distribution, d’ailleurs peut-être qu’on précisera ce qu’est une distribution.

Fin du support gratuit de Windows 10

Frédéric Couchet : Premier sujet, c’est la fin du support gratuit de Windows 10, annoncé initialement pour le 14 octobre 2025 et repoussé d’un an, mais avec des conditions très contraignantes. On en a déjà parlé dans la première émission de la saison, le 9 septembre, l’émission 253, déjà avec Isabelle Carrère, d’Antanak, et Julien Négros, d’Enercoop. On avait fait un sujet sur la migration vers un système libre sur le poste de travail. On va donc revenir sur le sujet.
Je vais peut-être demander à Isabelle de rappeler le contexte sur cette migration de Windows.

Isabelle Carrère : Sur le contexte, je ne sais pas ce que je peux dire de plus, parce que Gee en a déjà pas mal parlé, c’était bienvenu de faire le lien avec sa chronique juste avant.
Tu dis Linux Mint, OK, moi je dis « toutes les distributions ». Quand on dit « distribution », il faut effectivement rappeler ce qu’est une distribution. Contrairement à Microsoft, qui est une seule voix, qui ne veut voir qu’une seule tête, une seule parole, une seule façon d’avoir un écran, une interface, etc., pour pouvoir aller sur toutes les applications, les logiciels, chaque distribution a derrière une communauté de gens – développeurs, développeuses – qui décident de la façon dont ça va se présenter, où on va mettre les icônes, ce qu’on va mettre en avant comme applications, pour quels usages il va être plutôt facile de se servir de telle ou telle organisation. Ce sont donc des développements, mais qui, en fait, ont tous une base identique, GNU/Linux, effectivement.
L’autre jour, quand on a fait l’émission en septembre, je faisais remarquer, et je l’ai redit à plein de personnes récemment, qu’une fois qu’on a vu les icônes, qu’on a rencontré les icônes des logiciels et des applications qu’on utilise, personne n’est perdu sur rien, quelle que soit la distribution.
Personnellement, je suis sur MX Linux, j’ai exactement les mêmes choses que ce que tu décrivais : des mises à jour qui se font régulièrement, des passages, des mises à niveau identiques, etc. Debian est également très conviviale. Au bout d’un moment, et c’est très rigolo, les gens qui vont venir avec nous, grâce au fait qu’ils vont quitter Windows, vont comprendre ça : chacun peut choisir la distribution qui lui va bien, et c’est un vrai plaisir aussi, mine de rien. Il y a les fervents de Debian, il y a ceux qui préfèrent Xubuntu. À Antanak, on a quelqu’un qui dit « j’aime Xubuntu c’est vraiment le meilleur », un autre qui installe effectivement beaucoup Linux Mint, etc., et, en fait, chacun choisit.

Frédéric Couchet : Très bien. Je laisserai Pierre intervenir en dernier, parce qu’il n’y a pas que GNU/Linux dans les systèmes libres, je lui demanderai de parler d’un autre type de système, rapidement, et je lui demanderai notamment s’il a des retours concernant des migrations sur cet autre système.
J’aimerais passer la parole à Vincent. En plus, c’est assez marrant, on va parler du site adieuwindows.april.org qui a été lancé par l’April, qui a été mis en place techniquement par Vincent et Julie, qui est à la régie, les dessins sont de Gee et ce n’était pas prévu au départ, du tout. On n’avait pas du tout prévu d’aborder ce sujet quand on a calé le Café libre.
Pour rebondir sur l’introduction et sur ce que vient de dire Isabelle de Gee, un point essentiel c’est l’accompagnement, c’est-à-dire être accompagné par des êtres humains. Donc, côté April, on a lancé une opération qui s’appelle « Adieu Windows » – d’où le titre du sujet – donc « Adieu Windows, bonjour le Libre » et un site web, adieuwindows.april.org. Quel est l’objectif de site web, Vincent ?

Vincent Calame : Ce site web part d’abord des données de l’Agenda du Libre. À la base, il y a cette initiative de longue date, on en parle souvent dans l’émission. C’est effectivement un lieu où les associations du Libre déposent leurs événements, un site très actif qu’on conseille, les artistes qui font des musiques libres déposent aussi leurs concerts, donc, à la base, c’est ça. On avait déjà eu une première expérience dans le cadre de Libre en Fête, une autre initiative de l’April : valoriser des événements issus de l’Agenda du Libre spécifiquement sur un thème donné.
Là, en bref, nous avons reproduit le modèle du Libre en Fête, nous avons créé un site qui valorise toutes les informations déposées sur l’Agenda du Libre qui concernent spécifiquement cette opération. Ça permet d’avoir une carte géographique, ça permet d’avoir une entrée par région, sur le thème de Windows, et en profitant de toute l’infrastructure de l’Agenda du Libre où tout est prêt pour faire un formulaire, pour déposer ses événements, qu’on vous encourage à utiliser, que soit lié à Adieu Windows ou à autre chose, évidemment quand c’est lié au Libre.

Frédéric Couchet : D’accord. On va préciser que l’Agenda du Libre est un site qui est maintenu par l’April depuis maintenant 12 ou 13 ans, sur lequel on retrouve à la fois des événements mais aussi des organisations. Quand on crée un événement sur ce site, on peut rajouter un mot clé, par exemple #libreenfete, là c’est #adieuwindows. Donc le site adieuwindows.april.org référence les événements, les organisations, également quelques articles de presse. J’encourage les gens à aller lire l’excellent article de Mathilde Saliou, de Next, dans lequel elle interview à la fois Isabelle Carrère, qui est ici avec nous, et Magali Garnero, dite Bookynette, la présidente de l’April.
Je précise que Marie-Odile nous dit que le site a déjà été traduit en italien. Il n’est pas encore en ligne, mais le site a été traduit en italien. Vincent dit « magnifique », en se disant « mince, il va falloir que je prévoie le multilinguisme ».
Je précise aussi que toutes les références qu’on va citer, les articles de presse, sont sur libreavous.org/257, car c’est la 257e émission, vous aurez les liens directement. On ne va pas vous donner les liens de tous les articles de presse qu’on va citer.
Avant de parler d’un autre événement qui est lié à cette fin de support de Windows 10, j’aimerais bien interroger Pierre. C’est vrai que ces fêtes d’installation sont orientées autour d’un système d’exploitation libre qui s’appelle le GNU/Linux, mais ce n’est pas le seul système d’exploitation libre qui existe, il y en a d’autres. Pierre, tu as déjà parlé dans l’émission notamment de la famille BSD. Je voudrais que tu expliques vraiment simplement la différence qu’ont les systèmes BSD. Et, ma deuxième question : est-ce que, dans vos communautés BSD, vous avez le même type de démarche ou les mêmes types de demandes venant de gens qui viennent vous voir en disant « j’ai vu la fin de Windows, est-ce que ça ne serait pas le moment que je passe à BSD ? ». Première question : quelles sont les familles de BSD libres ?

Pierre Beyssac : BSD est un système qui a été lancé par la fac de Berkeley à l’époque où AT&T, qui avait fait le premier Unix, a eu des problèmes de loi antitrust : le gouvernement étasunien les a découpés en morceaux, fin des années 70, début des années 80. La fac de Berkeley avait une activité de recherche. Aux États-Unis, il y a le système « argent public, code public », depuis très longtemps, donc la fac de Berkeley avait notamment développé tout ce qui était les premières mises en œuvre des protocoles d’Internet ce qui a servi de base à pratiquement tous les autres systèmes ensuite, pour les premiers protocoles réseau libres en fait. La fac de Berkeley a repris ce qu’elle pouvait du code AT&T et a diffusé un des premiers Unix libres, on n’appelait pas encore ça libre à l’époque. C’était le milieu des années 80, fin des années 80, avant que, déjà, Richard Stallman, qui a lancé le projet GNU, théorise un petit peu plus tout ça politiquement. À l’époque, les systèmes informatiques s’échangeaient entre universitaires, comme les papiers de recherche, donc on s’échangeait une bande magnétique avec tout le code source, tout ce qu’il fallait pour le faire fonctionner, et c’était surtout du travail universitaire.
Les BSD sont donc partis de là.
Lorsque les ordinateurs personnels sont devenus assez puissants, lorsque les premiers PC, à partir du début des années 90 ont commencé à être assez puissants pour faire tourner un vrai système d’exploitation, Unix en l’occurrence, les BSD, qui existaient à l’époque sur des grosses machines, ont été portés par des passionnés sur les PC de l’époque. Et, petit à petit, ça a forké, comme on dit maintenant, en plusieurs versions, parce qu’il y avait différentes visions politiques de la chose. NetBSD est apparu en premier.

Isabelle Carrère : Que veut dire BSD ?

Pierre Beyssac : Ça veut dire Berkeley Software Distribution [Distribution logicielle Berkeley], il y a donc la référence à la fac de Berkeley. D’ailleurs, au départ, ce n’était pas un système, c’était juste un ensemble d’outils Unix classiques, et puis, petit à petit, ça a été transformé en système complet.
386BSD a été le premier portage sur les PC 386, aux alentours de 90/91, par Bill Jolitz et sa femme Lynne Jolitz. Tous les deux étaient passionnés, ils ont fait les premières versions. Ça a donné lieu à différentes branches.
NetBSD est apparu après, parce qu’il y avait des désaccords entre les Jolitz et les autres.
Ensuite, FreeBSD est apparu, qui voulait se spécialiser sur le PC, à nouveau, parce que NetBSD était parti un peu dans tous les sens.
Ensuite OpenBSD est apparu, avec un nouveau fork, spécialisé plus en sécurité.
Ça s’est un peu calmé depuis, ce sont surtout ces trois-là qui restent, et après, à partir de là, c’est un peu comme dans le cas Linux, il y a des distributions variées. FreeNAS fonctionnait sous BSD à une époque où FreeBSD pour faire des serveurs de stockage personnel.
Il y a des versions pour faire du réseau.
Une version qui s’appelait PC-BSD était plus orientée, un peu comme Linux, poste de travail ou ordinateur portable.
Aujourd’hui, j’utilise FreeBSD tous les jours sur une machine de bureau. Sur les ordinateurs portables, il faut reconnaître que Linux est quand même plus adapté, parce qu’il y a beaucoup plus de pilotes adaptés.

Frédéric Couchet : Le système GNU/Linux reconnaît plus de périphériques, de pilotes de périphériques, que BSD.

Pierre Beyssac : Les plus courants ont repris le travail qui est fait sous Linux, c’est souvent repris sous les BSD quand c’est possible, mais il y a toujours un petit lag sur les cartes graphiques ou autres. Tout cela commence un peu à converger.

Frédéric Couchet : Dans vos communautés, est-ce que vous avez reçu des demandes, par exemple, de migration ?

Pierre Beyssac : Moins parce qu’on est moins en visibilité, disons qu’on a moins de mindshare, comme on dit aux États-Unis. Il y a une communauté peut-être moins militante, plus professionnelle informatique, peut-être moins portée sur le militantisme. C’est vrai que ça reste donc plus confidentiel que les Linux.
Sinon, pour revenir sur ce que disait Gee, il faut savoir que si on est un peu stressé à l’idée d’installer un système autre que Windows sur sa machine, parce qu’on n’a pas l’habitude, il existe ce qu’on appelle des clés live, aussi bien avec des BSD qu’avec des Linux, pour démarrer le système sur son ordinateur, pour vérifier que ça marche, sans pour autant écraser Windows, si jamais on a envie de revenir en arrière. Ça permet de voir un peu si l’écran fonctionne correctement, la carte graphique, la souris, le clavier, etc. Il y a vraiment tout un tas de choses pour pouvoir vérifier, quand on a un doute, qu’on ne se tire pas une balle dans le pied.

Frédéric Couchet : Et on peut avoir un double amorçage, c’est-à-dire qu’on a un menu et on démarre la machine sur Windows ou sur un système libre, c’est une façon de faire.
On répète que le mot-clé, dans la campagne Adieu Windows, c’est vraiment l’accompagnement. Les gens qui se sentent suffisamment à l’aise pour installer ne sont pas la cible d’Adieu Windows. La cible ce sont les gens qui ont besoin d’accompagnement, avec des événements en local, des organisations en local.
En parlant d’événements, un événement arrive, organisé en plus par Halte à l’Obsolescence Programmée, qui est en lien, ce sont les Journées Nationales de la Réparation, du 16 au 19 octobre 2025. Je précise que Magali Garnero, Bookynette, la présidente de l’April, sera à Lille le 17 octobre pour ces journées, pour une conférence. Et Antanak, vous êtes présentes aussi sur ces journées.

Isabelle Carrère : Le 16 octobre, parce qu’on trouvait que c’était tout près du 14, que c’était une bonne idée, on s’est dit qu’on allait faire un mix entre la réparation, qui est donc le sujet de ces journées nationales, et l’Adieu Windows. Une vingtaine de personnes sont d’ores et déjà inscrites pour venir, le 16 octobre, avec leur ordinateur. On a donné une démarche basique : tu copies toutes tes données, tu enlèves tout ce que tu veux garder, parce que sache que tout va être écrasé. Ces personnes sont d’accord pour venir faire le passage, avec nous, accompagnées, tranquillement. Nous sommes vraiment très contents, on espère que d’autres vont venir, la journée est grande, c’est un 10 heures/19 heures, on a donc le temps pour faire et pour arriver à ça. On utilisera effectivement, comme tu viens de dire, une clé sur laquelle il y aura une distribution pour vérifier que les périphériques fonctionnent bien, que tout va bien, que la carte wifi est d’accord, qu’il y a le pilote. Que tout soit correct, pour qu’il n’y ait pas de surprise, de mauvaise surprise en tout cas, que ça ne soit que des bonnes surprises : il est plus rapide et tout ça !
On va donc proposer aux personnes de regarder des ordinateurs que nous avons d’ores et déjà installés avec des distributions différentes, diverses, pour choisir la distribution qui leur paraît la plus adaptée à leur logique, à ce qu’elles veulent voir. Nous sommes bien contents.

Frédéric Couchet : C’est chez Antanak, qui sont nos voisines au 18 rue Bernard Dimey, dans le 18e. On mettra le lien, je ne l’ai pas mis sur la page consacrée à l’émission du jour.
Avant de changer de sujet, parce que le temps avance, une autre démarche a démarré en réaction, justement, à cette fin de support. Je crois que c’est toi, Isabelle, qui voulait en parler, c’est la démarche NIRD, pour un numérique inclusif dans les établissements scolaires. Est-ce que tu peux expliquer repidement ce que c’est ?

Isabelle Carrère : Ce n’est pas moi qui voulais en parler, moi j’ai voulu dire quelque chose « contre », entre guillemets.

Frédéric Couchet : Je peux présenter ce que c’est et tu dis pourquoi tu es contre.

Isabelle Carrère : Contre, j’exagère, c’est pour caricaturer un peu et pour mettre l’ambiance dans le Café.

Frédéric Couchet : J’explique juste ce que c’est.
L’idée de la démarche NIRD, pour un numérique inclusif dans les établissements scolaires, c’est de passer d’initiatives isolées et sans soutien officiel, notamment du ministère de l’Éducation nationale – encore faudrait-il qu’il y ait un ou une ministre – à un modèle qui fasse école, c’est le cas de le dire !
C’est donc une démarche que promeut un groupe d’enseignants et d’enseignantes qui s’inspirent directement de la réussite du projet d’établissement NIRD, je répète, Numérique Inclusif Responsable et Durable, du lycée Carnot de Bruay-La-Buissière, et je renvoie à l’émission Libre à vous ! 206 du 23 avril 2024. Nous avions invité les deux enseignants en charge de ce projet Romain Debailleul et Pascal Beel. Selon l’article de ZDNet, une douzaine d’établissements pilotes vont essayer de faire émerger cette démarche dans d’autres établissements. Pour l’instant, dans un premier temps, la démarche s’adresse aux enseignantes et aux enseignants intéressés, qui peuvent les rejoindre sur un groupe de discussion. C’est une démarche qui vient d’être lancée, c’est ce qu’a fait le lycée Carnot à Bruay-La-Buissière. Tu voulais réagir là-dessus et vous autres, vous pouvez réagir aussi.

Isabelle Carrère : Je voulais réagir. Autant ça me paraît une excellente idée qu’à l’école on enseigne, on apprenne aux enfants, aux jeunes à regarder quel est l’usage qui est fait actuellement du numérique dans nos sociétés, qu’on puisse discuter avec elles et eux sur toutes les problématiques qu’il peut y avoir avec un téléphone, avec tout ce qu’on sait des difficultés avec les réseaux sociaux et autres, dont acte.
Qu’on puisse faire de l’éducatif pour de vrai avec ça, d’accord, je ne peux qu’être d’accord.
Qu’on montre du Libre et pas simplement le gros contrat qu’a fait l’Éducation nationale avec Microsoft, évidemment, je ne peux qu’être d’accord.
Là où, vraiment, je suis plus d’accord du tout, c’est quand on veut parler de numérique éducatif. Pour moi, c’est une chose hypercomplexe et, avec le collectif qu’on connaît ici à la radio, le collectif Attention, dont Lève les yeux est membre, on voit qu’il y a quand même beaucoup de risques et de dangers à prôner le fait que le numérique vienne prendre la place des livres, de la pédagogie, voire des enseignants. C’est un flirt que je trouve compliqué.
Numérique inclusif, OK, on met le terme « inclusif » partout. L’autre jour, je suis allée dans un square avec des enfants et il y avait un endroit, un morceau du square inclusif. J’ai dit « de quoi parle-t-on ? ». Les enfants étaient là, des garçons, des filles, des X, des Y, je n’en sais rien, comme ils voulaient, et je n’ai pas compris. Tout cela pour dire qu’on peut mettre le terme « inclusif » partout, ça ne veut pas dire, pour autant, que ça parle de démocratie, que ça parle de progrès social pour de vrai, et qu’on est sur un champ positif. Donc je me méfie. Je ne connais pas plus que ça et peut-être j’ai tort de me braquer là-dessus à priori.

Frédéric Couchet : Dans la description, ce que tu dis n’apparaît absolument pas. C’est une démarche et, de mémoire de l’émission, ce n’est pas du tout ce que tu décris, en tout cas dans leur démarche.

Isabelle Carrère : Il n’y a pas un côté numérique éducatif dans la démarche ?

Frédéric Couchet : Je ne suis pas tout à fait sûr, en tout cas pas comme tu le décris, avec le remplacement des livres et des profs, de mémoire.

Isabelle Carrère : OK. En tout cas, c’est également d’actualité. Toute une série de gens se sont prononcés, puisque la pause numérique avait été annoncée par Élisabeth Borne, pour les collégiens, quand elle était dans un gouvernement qui a duré un tout petit peu plus que le dernier, donc ça c’est assez bien avancé, dont acte, parfait. On a quand même des tas de personnes qui, heureusement à mon avis, se lèvent actuellement pour demander à ce que le numérique ressorte de l’école, ne vienne pas prendre toute la place et ne mette pas dans l’idée de tout le monde qu’il n’y a que sur Internet qu’il faut faire les choses, qu’on ne peut plus avoir des journaux papier. Je plaisante, parce qu’on a eu tout à l’heure, en off, une discussion là-dessus.
Pour moi, le fait qu’on pousse à ce point-là les relations sociales de toute nature, mais encore plus éducatives, sur le numérique, c’est terrible.

Frédéric Couchet : Vas-y Pierre.

Pierre Beyssac : Déjà un élément de langage. Je parlais de « réduire la fracture numérique » et on m’a fait remarquer que, politiquement, ça ne se disait plus, que ce n’était pas assez positif, c’est donc pour cela que maintenant on parle d’« inclusion numérique ». Je suis d’accord avec toi, c’est un élément de langage.
Vouloir sortir quelque chose de l’école, c’est égalitaire au niveau de l’école, mais, le problème, ça provoque des inégalités suivant que les familles peuvent gérer ou pas. À mon sens, ça veut dire que si l’école ne se charge pas d’un petit peu d’éducation au numérique pour les écoliers, il y a des familles qui vont s’en charger, qui vont estimer que c’est important, et d’autres familles qui ne vont pas pouvoir s’en charger parce qu’elles n’en ont pas la possibilité, pas la préoccupation, elles ont autre chose à faire, elles ont d’autres soucis. Je pense que ce n’est pas juste une question de numérique. Toutes les missions dont l’école décide de se décharger, parfois légitimement, peuvent provoquer des inégalités par effet de bord.

Isabelle Carrère : J’ai commencé par dire que j’étais d’accord pour qu’on discute, qu’on amène les gamins et gamines à discuter de ce qu’est que le numérique, à leur montrer, etc. Je n’ai pas dit qu’on sort tout. J’ai dit qu’on le sort du champ éducatif. Qu’on éduque au numérique dans le sens où on va parler avec elles et eux de ce qui se passe là, oui bien sûr, qu’on leur explique comment ça marche, oui bien sûr. Qu’on s’en serve pour qu’ils apprennent, ce n’est pas tout à fait pareil.

Pierre Beyssac : Je suis d’accord avec toi. Il faut trouver un juste milieu.

Isabelle Carrère : Quant à la question de savoir si le numérique est en responsabilité, est en capacité de mettre de l’égalité entre tout le monde, j’en doute largement. Je ne vois pas comment ça serait plus possible avec le numérique que sans le numérique, vraiment pas, malheureusement.

Frédéric Couchet : Vincent, est-ce que tu veux réagir ? Ou on change de sujet ?

Vincent Calame : Je veux juste dire « Vive le livre papier ! » Il n’y a rien de tel !

Frédéric Couchet : Il faut savoir que l’occupation principale de Vincent Calame, lors des assemblées générales, c’est de lire des livres ! Tu as bien raison. On va changer de sujet. Par contre, je ferai remonter le questionnement à Romain Debailleul et Pascal Beel pour qu’ils apportent une réponse. Je leur enverrai la transcription, évidemment. On passe un nouveau sujet qui sera beaucoup plus court.

[Clochette]

Les 15 ans de LibreOffice

Frédéric Couchet : C’est Pierre qui a proposé ce sujet, ce sont les 15 ans de LibreOffice dont tu voulais parler. Question traditionnelle, rappelle ce qu’est LibreOffice et pourquoi tu voulais parler de ses 15 ans.

Pierre Beyssac : LibreOffice est une suite bureautique libre qui ne fonctionne pas que sous Windows, elle fonctionne à peu près sur tous les systèmes, libres ou pas, qui fête ses 15 ans aujourd’hui. En fait, elle fête plutôt quasiment ses 40 ans, parce que l’origine de LibreOffice est un bidule allemand qui s’appelait StarOffice, qui a été racheté par la société Sun Microsystems, qui faisait des systèmes Unix il y a longtemps, et qui a été rachetée, en 2009 par Oracle, la boîte de Larry Ellison, un proche de Trump aujourd’hui. Tout cela pour montrer que des choix stratégiques ont été faits au fil du temps, qui ont aujourd’hui un impact, parce que c’est bien de pas être dépendant de Larry Ellison et d’Oracle aujourd’hui.
LibreOffice est donc une suite bureautique, il y a un tableur, il y a un traitement de texte, tout ce qu’on veut comme dans les équivalents non libres.
LibreOffice s’est libérée d’Oracle. LibreOffice est venue d’OpenOffice, qui est encore assez connue, beaucoup de gens parlent encore d’OpenOffice.

Frédéric Couchet : Notamment dans le système éducatif, où le nom OpenOffice est encore très connu.

Pierre Beyssac : Il faut oublier OpenOffice, son électroencéphalogramme est plat. C’est devenu LibreOffice, c’est le projet qui marche. Au moment où Larry Ellison a repris OpenOffice en rachetant Sun, les contributeurs de LibreOffice ont décidé de séparer le projet de la société pour éviter d’être trop dépendants d’Oracle.
Le 28 septembre, c’étaient les 15 ans de la fondation qui gère ce projet, mais le projet est beaucoup plus ancien et aujourd’hui, on a vraiment une suite bureautique à installer classiquement sur un ordinateur. Ce n’est pas une suite qu’on utilise en ligne comme d’autres projets, par exemple OnlyOffice. D’autres projets peuvent être utilisés en ligne sans avoir à les installer.
C’est une bonne suite bureautique. C’est ce que j’utilise, de toute façon, sur mon système, je n’ai pas le choix, par définition je n’ai pas les trucs Microsoft. Ça marche très bien, ça fait le job pour toutes les tâches bureautiques courantes.

Frédéric Couchet : Nous allons laisser Vincent et Isabelle réagir, si lui et elle veulent. Juste rappeler aussi que c’est un logiciel libre multiplate-forme, comme tu l’as dit. Pour les personnes qui seraient encore sur Windows, ou même sur d’autres systèmes, installer LibreOffice sur son système est une façon de découvrir le logiciel libre, de la même façon qu’on peut installer Firefox, VLC pour regarder des vidéos, etc. C’est vraiment très intéressant. Vincent ou Isabelle, st-ce que vous voulez réagir ? Il n’y a pas d’obligation.

Vincent Calame : Ça fait partie du triptyque Firefox, Thunderbird, LibreOffice, le triptyque qui aide vraiment à la migration. Souvent, on peut les installer préalablement sur Windows pour ensuite basculer. Quand on fait dans ce sens-là, la migration est vraiment très transparente parce que, en fait, 95 % de l’activité se fait avec ces trois logiciels.

Frédéric Couchet : Isabelle.

Isabelle Carrère : Je n’aurais pas dit mieux. Du coup, est-ce que je peux me permettre une question pour ceux qui connaissent Windows Microsoft ? Des gens m’ont demandé si, dans Windows 11, il y a une obligation de passer à cette suite uniquement en ligne, et qu’elle ne soit plus en local. Quelqu’un sait ou pas ?

Frédéric Couchet : Gee veut réagir.

Gee : C’est quoi Windows ?

Isabelle Carrère : Si quelqu’un sait. Est-ce que c’est un argument de plus ? On n’aura même plus les choses en local ! C’est ce que je voulais savoir. On pourra l’avoir en local même avec la licence Windows 11.

Pierre Beyssac : Je pense que oui. La contrainte, pour Windows11, c’est que tu dois avoir un compte chez Microsoft pour t’en servir. Microsoft doit pouvoir fliquer toutes les heures durant lesquelles tu te seers de Windows.

Isabelle Carrère : Ça doit être ça. OK, ça marche. Sinon, je n’avais rien de plus à dire, ce que vous avez dit, c’est bien.

Frédéric Couchet : Si une personne nous écoute en direct et a la réponse, elle peut nous la donner sur causecommune.fm, bouton « chat », #salonlibreavous. Si vous nous écoutez en podcast, envoyez un petit message sur la page de contact.
On va passer au sujet d’après.

[Clochette]

Apertus, l’IA suisse

Frédéric Couchet : On va parler un peu de la Suisse et on ne va pas parler de fromage.

Vincent Calame : Les clichés !

Frédéric Couchet : Il faut dire que Vincent est un spécialiste des fondues, on a eu plusieurs fois l’occasion de profiter de ses talents !br/>
On va parler d’IA, d’intelligence artificielle, qui serait libre, notamment avec Apertus, que j’ai découvert, je ne connaissais pas. Vincent, je vais te laisser nous présenter ce sujet. Donc, la Suisse lance Apertus, son ChatGPT national open source.

Vincent Calame : Je ne suis pas un spécialiste de l’IA, je ne pourrai pas décrire cette partie-là, mais je peux décrire le contexte. Ce qui est intéressant, d’abord, c’est que c’est lancé par deux universités, on n’est pas dans le contexte d’une startup. Ce sont l’École polytechnique fédérale de Zurich et celle de Lausanne, qui sont les deux gros moteurs, en Suisse, sur ces sujets-là, d’ailleurs, si vous allez à Lausanne, vous ne trouvez pratiquement que des Français à l’EPFN, l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Ce qui est intéressant, c’est que ça se base sur le monde universitaire.
Ils disent que c’est libre.
Ensuite, autre point intéressant, ils présentent leur modèle de langage en disant que 40 % des textes ne sont pas anglophones, ne sont pas en anglais, vraiment un énorme effort là-dessus. La Suisse a une grande tradition de multilinguisme. Ce qui est bien c’est que, sur la page d’accueil, ils disent même qu’ils ont fait ça en suisse allemand et en romanche. Le romanche est une langue parlée dans les Grisons par 60 000 personnes. Il y a donc une grande sensibilité à cette question du multilinguisme, ce que je trouve particulièrement intéressant.
Ils proposent deux modèles, je cite le site, un qu’on peut installer sur son ordinateur avec sept milliards de paramètres, et un autre qui a plus de 70 milliards de paramètres.
Je ne me suis pas encore plongé dans l’IA, mais, maintenant, je pense que je vais faire l’effort en regardant justement cette intelligence artificielle-là.

Frédéric Couchet : D’accord. Avant de laisser Pierre et Isabelle éventuellement réagir, sur l’article de Clubic, l’un des directeurs du laboratoire précise : « Nous ne pouvons pas accepter que les bases de l’intelligence artificielle, si puissante, soit entre les mains d’une fraction de multinationales. » Il précise également que son équipe a minutieusement filtré les données d’entraînement en écartant les contenus protégés et tous les éléments toxiques possibles, je ne sais pas comment ils ont fait, je sais pas ce qu’il entend par « contenus protégés », je suppose que ce sont les « contenus protégés », entre guillemets, par le droit d’auteur, et les éléments toxiques, ça rappellera les essais malencontreux de l’IA open source française de Linagora il y a quelques mois, les profs s’en souviennent.
Les données d’information viennent apparemment de 1000 langues, c’est précisé.
Il n’y a pas trop de précisions techniques sur ce qui est réellement en Libre. Ça parle d’une licence, la licence Apache mais peu importe, notamment est-ce que ça concerne le logiciel, est-ce que ça concerne les scripts, les données d’entraînement, les modèles de paramètres, je ne sais pas.
Pierre ou Isabelle, si vous voulez réagir, et on n’oubliera pas, Gee interviendra sur le l’Art libre en Suisse, parce que ça va nous donner l’occasion de parler un peu du Libre en Suisse. Est-ce que vous voulez réagir sur cet article ? Pierre.

Pierre Beyssac : Un petit mot. Je trouve très bien, c’est même indispensable, qu’on ait des LLM, des intelligences artificielles open source, y compris avec les corpus d’entraînement, parce que ça veut dire que chacun pourra utiliser le modèle open source, le modifier, l’améliorer comme il le souhaite.
Ça veut dire aussi qu’on n’a plus besoin d’un datacenter entier avec des ressources considérables pour le faire tourner. Il y a eu des gros progrès, ça tourne maintenant sur un ordinateur assez basique, c’est donc non seulement positif, mais ça me paraît une évolution indispensable à beaucoup de titres en fait.

Frédéric Couchet : D’accord. Isabelle.

Isabelle Carrère : Quitte à apparaître aujourd’hui définitivement pour la râleuse de service, je reste rétive à tout ce machin. Je ne vois, là-dedans, ni intelligence, certes beaucoup d’artificiel, mais c’est tout. Ça ne me va pas, ça ne m’intéresse pas, je ne veux pas de cette société-là. Que ce soit libre ou pas, open source ou pas, pour moi, c’est aussi dangereux que celles qui ne le sont pas.
J’entends, dans la petite phrase que tu as dite, Pierre, au début, « il ne faut pas laisser à la main simplement de ceux qui.. », mais qui nous prouve que les autres ne vont pas être capables de rattraper le truc ? Non, je n’y arrive pas !

Frédéric Couchet : OK. Pierre, tu voulais réagir ?

Pierre Beyssac : Je crois que la phrase était dans l’article, mais je peux la reprendre à mon compte. Je pense effectivement qu’il faut s’approprier ces choses-là pour ne pas se faire cramer, se faire bouffer.

Frédéric Couchet : Dans l’article, c’est ce que j’ai cité tout à l’heure. Antoine Bosselut, le directeur du Laboratoire de traitement du langage naturel, dit : « Nous ne pouvons pas accepter que les bases de l’IA, si puissante, soient entre les mains d’une fraction de multinationales. » Isabelle remet en cause le principe même de l’IA.
Le temps file. On va quand même faire une pause musicale, je l’ai choisie exprès pour Vincent, je ne voudrais pas ne pas la passer. Néanmoins, comme on parle un peu de Suisse, on va parler un petit peu, rapidement, de ce qui se passe en Suisse, de deux événements.
Vincent, tu voulais parler d’un événement auquel Gee a participé, les Assises francophones de l’Art libre qui ont eu lieu en juillet 2025. Gee, tu y étais, est-ce que tu peux nous expliquer ce qu’étaient ces Assises francophones ?

Gee : Les Assises francophones de l’Art libre ont été organisées par PVH éditions, une maison d’édition qui fait notamment des livres sous licence libre. Je le dis car je le sais d’autant plus qu’un de mes bouquins est publié chez eux. D’ailleurs on avait reçu, dans Libre à vous !, Lionel Jeannerat, il me semble, à un moment.

Frédéric Couchet : Tout à fait, et Aquilegia Nox.

Vincent Calame : Émission 188.

Gee : Du coup c’était assez « confidentiel », entre guillemets, c’est-à-dire que c’étaient surtout des rencontres entre personnes qui font de l’Art libre. Lionel me disait qu’il avait l’ambition de développer ça, peut-être de faire des choses un peu plus publiques, avec vraiment des stands, des gens qui peuvent passer.
La façon dont il m’a parlé de la situation du Libre en Suisse donne l’impression que ça a l’air d’être un peu moins désespérant, en tout cas, que la situation du Libre en France, je parle au niveau institutionnel. Ce qui fait que c’est le cas, me disait-il, c’est que la démocratie suisse marche quand même pas mal mieux que la démocratie française, même si on met de côté la situation actuelle en France qui est très particulière. En France, notamment, on avait eu une enquête sur les logiciels à utiliser dans l’éducation, tout le monde avait plébiscité le Libre et puis, deux mois après, il y avait eu une signature de contrat exclusif avec Microsoft. Il disait que cela, par exemple, ne pouvait pas trop arriver en Suisse ; des priorités au logiciel libre sont plus facilement données de ce point de vue là.

Frédéric Couchet : OK. Je précise que Aquilegia Nox est une autrice de fantaisie, biologiste et libriste. C’est effectivement l’émission 188 comme a dit Vincent.
Vincent, peut-être que tu peux parler, quelques instants, du deuxième événement.

Vincent Calame : Ce n’est pas moi qui ai mis le lien sur le pad.

Frédéric Couchet : Mais je crois que tu y participes. Ce sont les Rencontres Hivernales du Libre en 2026. Pour l’instant, ce n’est pas encore acté ?

Vincent Calame : C’est Isabella qui veut me pousser à ça.

Frédéric Couchet : OK, d’accord. Je précise, qu’en janvier 2026 il y a les Rencontres Hivernales du Libre, à St-Cergue, en Suisse, je crois que c’est sur un week-end, si je me souviens bien. Mais peut-être que j’ai révélé des secrets internes de l’April, des discussions pour savoir qui ira en Suisse. Sachant que tu es franco-suisse, on pensait que tu irais. En tout cas, c’est un autre événement qui aura lieu en janvier 2026, et on peut supposer que les Assises francophones de l’Art libre reviendront en 2026, peut-être au même endroit ou à un autre endroit, je ne sais pas.

Vincent Calame : Il y avait une piste pour faire quelque chose à Pontarlier, ils voulaient jouer sur le côté frontalier et puis, budgétairement, ce serait plus simple pour les Français !

Frédéric Couchet : Exactement.
On va faire une pause musicale. Je vais préciser que la première pause musicale était Ehma, un artiste belge, un choix de Vincent. On en a parlé tout à l’heure, je me demandais si tu savais ou si tu ignorais qu’Ehma fait partie d’un groupe de musique libre qui s’appelle Les Bernardo. Est-ce que tu le savais ?

Vincent Calame : Non, pas du tout.

Frédéric Couchet : Je l’ai appris en préparant l’émission. Je connaissais le groupe Les Bernardo vu qu’on a déjà diffusé des musiques des Bernardo. C’est un groupe de musique satirique, parfois subversif. J’ai choisi un titre pas trop subversif. Si vous voulez un truc très subversif, vous pouvez, par exemple, écouter Dieu est amour, mais si vous êtes une personne croyante, vous pourriez ne pas apprécier. On va donc choisir un titre un peu plus tranquille qui s’appelle Le malheur de Sophie.
Nous allons écouter Le malheur de Sophie, par Les Bernardo. On se retrouve dans trois minutes vingt. Belle journée l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Le malheur de Sophie, par Les Bernardo.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Le malheur de Sophie, par Les Bernardo, disponible sous licence Art libre.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre débat, Au café libre.
Vous êtes toujours sur Cause Commune, 93.1 FM et en DAB+ en Île-de-France et partout dans le monde, sur causecommune.fm.
Nous sommes toujours avec Isabelle Carrère, Pierre Beyssac, Vincent Calame. Nous allons changer de sujet.

[Clochette]

Chat Control

Frédéric Couchet : Nous allons parler, comme assez régulièrement je dirais, de projets de directives européennes, de projets de lois, de responsables politiques. Nous allons parler de quelque chose qui s’appelle Chat Control. On va expliquer un petit peu ce que c’est.
Dans la page consacrée l’émission du jour, libreavous.org/257 ou sur causecommune.fm, on a mis les liens vers un article de La Quadrature du Net et également vers une pétition de Mozilla.
Je vais déjà commencer par poser la question : qui veut faire une présentation rapide de ce qu’est Chat Control, peut-être Pierre, qui est un peu notre spécialiste de ces sujets-là.

Pierre Beyssac : Depuis le temps ! Chat Control c’est ni plus ni moins que la fin du secret des correspondances numériques privées. En clair, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que le l’Union européenne, la Commission, le Conseil, envisagent de passer une loi obligeant les fournisseurs de messageries privées à scanner tous les contenus, notamment les photos, potentiellement, à la base, ce sont plutôt les photos, pour détecter des images de pédopornographie, pour lutter contre la pédocriminalité. Évidemment, on peut difficilement être contre le principe de lutter contre ces pratiques criminelles pour protéger nos enfants. Le problème, c’est que ça crée un précédent. Le secret des correspondances est protégé par les lois, en fait c’est un droit fondamental, et on sait très bien que dans ce genre de cas, ce genre de loi est étendu au fil du temps pour s’occuper de délits de droit commun de plus en plus larges. C’est la première chose, sachant que l’argumentaire, du côté des gens qui poussent ça, c’est de dire que, de toute façon, vous ne serez pas obligés : si vous refusez, vous n’enverrez pas de photos à vos amis, donc vous avez le choix ; si vous voulez envoyer des photos, vous êtes obligé d’accepter un scan systématique.
Ça pose tout un tas de problèmes parce que, évidemment, en cas de scan positif, c’est remonté dans des fichiers de police, c’est notifié aux autorités. Il peut y avoir des faux positifs, la police risque d’être noyée sous les signalements abusifs. Ça pose tout un tas de soucis, des fuites potentielles de fichiers de police, des détournements de fichiers, donc à peu près, tout le monde est contre, toutes les associations qui s’occupent de droits fondamentaux, les experts en sécurité informatique, y compris étasuniens, qui hurlent évidemment. En Europe, c’est pareil. Les services secrets sont plutôt contre parce qu’ils savent qu’introduire une faille ça veut dire donner une possibilité à des services étrangers de venir exploiter cette faille pour également nous écouter, ça peut donc être de l’espionnage économique, de l’espionnage politique, tout un tas de choses. Les seuls qui sont pour, en gros, ce sont les ministères de l’Intérieur, les ministères de la Justice, potentiellement, et les ayants droit, parce que, évidemment, une fois que le principe est acté, ça pourrait être étendu, dans le futur, à la lutte contre le piratage des contenus, ce qui intéresse fortement, bien entendu, les ayants droit.

Frédéric Couchet : Juste une petite question sur ceux qui sont pour, tu ne les as pas citées, je suppose que les associations de protection de l’enfance sont quand même pour, ou est-ce qu’elles ont conscience des risques ?

Pierre Beyssac : On ne les entend plus tellement. Elles ont pas mal bougé sur la vérification d’âge, mais, là-dessus, elles sont relativement discrètes. Je pense qu’elles sont plutôt pour, à la base, mais elles n’ont pas beaucoup milité sur le sujet.

Frédéric Couchet : D’accord. OK.

Pierre Beyssac : Pourquoi en parle-t-on maintenant, parce qu’on en a déjà parlé ? Le 14 octobre, donc mardi prochain, les États de l’Union doivent décider si c’est transmis au Parlement européen, il y a déjà un premier projet.
J’oubliais. Au départ, il s’agissait juste de détecter des images déjà connues par les services de police comme étant des images pédocriminelles. L’idée serait d’ajouter là-dedans des IA pour essayer de détecter de nouveaux contenus, avec les risques liés à l’IA de manque de fiabilité, je vous passe les détails.
Le projet risque d’être acté le 14 octobre pour transmission au Parlement. Le ministère de la Justice danois a mis les pieds dans le plat en disant que, de toute façon, il faudrait qu’on s’habitue à la fin de la confidentialité de nos communications. Il est donc clair que ça ne touche pas juste le sujet de la protection de l’enfance. L’Allemagne, un des pays majeurs, avec la France pour faire poids là-dessus, qui était à un moment contre est, pour l’instant, indécise et pourrait bien passer côté pour, ça pourrait être la dernière goutte qui fait pencher la balance en faveur de l’adoption du projet [Le 9 octobre 2025, l’Allemagne a officiellement annoncé qu’elle ne soutiendrait pas le projet Chat Control, NdT]. C’est donc assez inquiétant pour tout le monde.

Frédéric Couchet : Avant de faire réagir Isabelle et peut-être Vincent, mais nulle une obligation, juste préciser que l’idée, sur les nouvelles photos, serait qu’un système d’IA reconnaîtrait, je dirais, la pédocriminalité et taguerait cette photo.
Isabelle.

Isabelle Carrère : Du coup, comme le dit le très bon article de La Quadrature du Net, ces filtres-là sont des filtres tout à fait douteux. On revient sur le sujet de l’intelligence artificielle : comment ces filtres vont-ils être mis en œuvre, mis en place, comment vont-ils traiter ? On n’en sait rien. C’est toujours pareil. On commence par proposer quelque chose par le bon côté, comme tu l’as dit : qui pourrait dire « ça m’est complètement égal, on peut continuer, ce n’est pas la peine de lutter contre la pédocriminalité, peu importe ! ». Non, personne ne va le dire ! Sauf que, petit à petit, c’est comme les caméras dans la rue, comme beaucoup de choses, comme ça, qui sont faites soi-disant avec une volonté démocratique de sécurité – c’est pour protéger les gens, qui les enfants, qui les vieux, qui je ne sais pas quoi –, mais en fait, à chaque fois c’est une restriction de liberté. Là, on voit bien que personne ne peut nous garantir que ce sont simplement ces photos-là qui vont être scannées. Personne ne peut garantir que les filtres dont il est question vont être tout à fait neutres et qu’il n’y aura pas de problématiques. Ça vise qui ? Ça vise notamment des applications telles que WhatsApp et Signal, pas que, mais quand même, ça les vise aussi. Et pourquoi ça les vise ? Parce que ce sont des applications très populaires qui sont utilisées, WhatsApp notamment, par beaucoup de personnes qui vivent ici, qui ont besoin de parler longtemps au téléphone avec des gens à l’étranger, etc., qui communiquent de cette manière-là. On n’est pas simplement sur une question de réseau social classique avec ça, on est sur des choses très singulières, très particulières. Ça met donc en danger, potentiellement, des lanceurs et des lanceuses d’alerte, des militants, des personnes qui ont besoin de soins en santé, etc. Bref, on n’en sait rien !

Pierre Beyssac : Ça scanne toutes les photos, évidemment, puisque, pour détecter le contenu, il faut que toutes les photos soient scannées, même si on nous explique que ça ne scannera que les photos incriminées. Évidemment, ce n’est pas possible !
La différence avec les réseaux sociaux de Signal, l’application de messagerie privée, c’est que les réseaux sociaux c’est du contenu semi-public ou de groupes, alors que là, il s’agit vraiment de s’occuper de communications de personne à personne.

Isabelle Carrère : Des communications privées. D’ailleurs Signal a dit « si jamais ça passe en Union européenne, je m’en vais, on se retire. »

Pierre Beyssac : Oui, parce que Signal est une application libre, dont le code source est disponible, qui insiste vraiment sur la sécurité des communications. Ils estiment qu’ils ne pourront pas se conformer à cette loi, donc, si elle passe, ils seront obligés de se retirer, de retirer leurs services de l’Union européenne pratiquement.

Frédéric Couchet : Je vais préciser. J’ai parlé tout à l’heure de Mozilla, la structure qui développe notamment Firefox. Mozilla a lancé une pétition, se mobilise sur le sujet. J’ai le texte sous les yeux, je lis un extrait. Donc, Mozilla dit : « Avec cette proposition, les entreprises technologiques devront recourir à l’analyse côté client – donc Signal, WhatsApp ou autres – pour lire vos messages, photos et fichiers privés avant même qu’ils ne soient envoyés, exposant vos données aux pirates, aux sociétés privées et, bien sûr, aux gouvernements », c’est intéressant, avant même qu’ils soient envoyés ! C’est donc pour cela que la communauté Mozilla appelle les responsables politiques de l’UE à protéger le chiffrement, parce que ces applications « garantissent », entre guillemets, un chiffrement de bout en bout, à prendre la défense de la sécurité en ligne et à associer des personnes expertes à toute nouvelle évolution technologique.
Juste un petit point, tu l’as dit tout à l’heure, peut-être de calendrier. Donc, le 14 octobre, les gouvernements se réunissent pour savoir ce qu’ils font de ce texte : est-ce qu’ils le transfèrent au Parlement européen et, ensuite, il y a la mise en place de ce qu’on va appeler le trilogue. Est-ce ce que tu peux expliquer ce que c’est, parce que ça ne finit pas le 14 octobre ?

Pierre Beyssac : Le trilogue est une négociation multipartite entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne. Il y a donc encore des négociations à ce niveau-là. Il faut savoir que les partis représentés au Parlement européen, côté droite, ont quasiment fait du chantage en disant « si vous voulez qu’on vote le projet au final, il faut le durcir, parce que, là, il est trop mou. »

Frédéric Couchet : Comme en France, en fait !

Pierre Beyssac : Oui, c’est un peu ça, mais, pour une fois, ce ne sont pas les Français qui demandent ça, je crois que c’est le groupement PPE, la droite européenne, qui a dit aux Danois, c’était la présidence danoise, « on ne votera pas votre projet tel quel, vous avez trop dilué la force du projet. » C’est difficile de savoir exactement, même en France on ne sait pas exactement. Je sais, par des bruits de couloir, que certains ministères sont pour, d’autres ministères sont contre. Avec la situation politique, c’est encore plus difficile de savoir qui va être décisionnaire. À la fin, c’est plus ou moins l’Élysée qui tranche entre les oui et les non et c’est transmis à la Commission par, je pense, le ministère des Affaires européennes, la semaine prochaine. En France, il semblerait qu’on soit plutôt en faveur du projet. Ce n’est pas acté, en fait, pour l’instant. Côté Allemagne, ce n’est pas acté non plus. C’est donc difficile, pour l’instant de savoir comment ça va tourner.

Isabele Carrère : Pour autant, ça parait une bonne idée, même si on ne sait pas encore, de signer les pétitions. Il y a celle de Mozilla, ce n’est pas la même que celle qui est Stop Scanning Me, qui est coordonnée par le réseau EDRI. Je ne sais pas pourquoi c’est bien qu’il y en ait deux, en tout cas vous pouvez signer les deux. Plus on est nombreux et nombreuses à signer ces textes-là, plus on fait passer des messages sur ce qu’on attend.

Pierre Beyssac : Il y a un site qui résume un peu toutes les actions, stopchatcontrol.eu, avec une petite page pédagogique sur ce dont il s’agit.

Frédéric Couchet : Je précise que PPE c’est le Parti populaire européen au niveau du Parlement européen.
Le 14 octobre ce n’est pas fini, mais il faut se mobiliser.
Je précise qu’EDRI [European Digital Rights] est une association européenne de défense des libertés fondamentales dans le numérique, je crois que La Quadrature du Net en fait partie. Dans le texte de La Quadrature du Net il y a une traduction française du texte d’EDRI.
N’hésitez pas à vous mobiliser. Sauf si vous voulez rajouter quelque chose, on va changer de sujet, parce que le sujet d’après va vous passionner, notamment Isabelle et Pierre. On va donc changer de sujet.

[Clochette]

Les datacenters en Île-de-France

Frédéric Couchet : Sujet suivant. En général, dans Au café libre, les personnes sont à peu près d’accord ou, en tout cas, sont sur la même longueur d’onde.

Isabelle Carrère : Mais là aussi !

Frédéric Couchet : On va aborder un sujet proposé par Isabelle, ça sera peut-être le dernier, je ne sais pas, mais j’aimerais bien quand même qu’on parle un petit peu de F-Droid à la fin, ce sont les datacenters en Île-de-France, à partir d’un article de Next dit : « Les datacenters pourraient empêcher l’Europe d’atteindre ses objectifs climatiques. » Déjà, qu’est-ce qu’un datacenter ? Quel est le problème, Isabelle ? Et, bien sûr, on laissera Pierre réagir qui a des contrepoints à apporter.

Isabelle Carrère : Tu cites l’article de Next, mais il y a également un article, avec une très belle cartographie, à l’intérieur du journal Le Chiffon, lequel est effectivement plutôt en papier, et c’est là-dessus qu’on s’alpaguait tout à l’heure avec Pierre, gentiment bien sûr, avant le début de l’émission, parce que lui me disait : « Ça ne va pas du tout. Il faut être sur Internet maintenant. » Non, ce n’est pas vrai.

Pierre Beyssac : Ce n’est pas exactement ce que je disais !

Isabelle Carrère : C’est bien que des journaux papier continuent d’exister et Le Chiffon, si vous ne le connaissez pas, est un journal indépendant, parisien, qui fait des dossiers assez complets sur des thèmes. Après, oui, on peut dire « les chiffres ne sont pas exactement… ». Je trouve qu’ils lancent des thématiques, ils les traitent comme ils peuvent, ce ne sont pas obligatoirement tous des journalistes professionnels, en tout cas ils travaillent sur des thématiques qui sont intéressantes. Ils avaient fait également, et j’avais beaucoup aimé, une cartographie comme ça, il y a quelque temps, au tout début d’ailleurs du Chiffon, sur les tiers-lieux. Ils racontaient un peu qui est possesseur et où travailler dans les tiers-lieux. J’avais trouvé ça très intéressant. Là, c’est un peu pareil.
Donc, what is a datacenter ?. Un datacenter est un bâtiment, ou plusieurs bâtiments d’ailleurs, dans lesquels il y a énormément de serveurs informatiques. Les serveurs informatiques ont comme première mission de stocker des données, mais ils ne font pas que pas que du stockage, c’est-à-dire qu’il y a aussi des opérations. En fait, c’est comme si c’était plusieurs ordinateurs à l’intérieur d’un bâtiment. Ça requiert d’abord une capacité énergétique gigantesque et ça requiert, en plus, d’être climatisé pour refroidir tout cela parce que, sinon ça chaufferait beaucoup trop, ça partirait en vrille. Très souvent, c’est donc une gabegie d’énergie, à la fois pour que les machines tournent, que les serveurs tournent, et, en plus, que la salle soit climatisée. Il y a un petit schéma très bien fait : il y a le même volume, à peu près, pour les ordinateurs eux-mêmes, les serveurs, et, à côté, l’espace pour climatiser, faire rentrer de l’air et refroidir tout ça. C’est donc gigantesque. Voilà pour datacenter, centre de données, en français dans le texte.

Frédéric Couchet : Très bien. Donc, quelle est la problématique soulevée par le Shift Project ? Peut-être, en une phrase, dire ce qu’est le Shift Project, vu que l’article de Next s’appuie sur des données du Shift Project, si j’ai bien compris.

Pierre Beyssac : Shift Project, ça ne veut dire que rien d’autre que ce que ça veut dire. C’est shift au sens de transition. Shift Project est une association loi 1901, je ne sais plus comment on dit en français, en anglais c’est think tank, qui vise à promouvoir des actions pour décarboner l’économie, pour respecter les accords de Paris, etc.

Isabelle Carrère : Soit disant !

Frédéric Couchet : Qui a été lancé par Jean-Marc Jancovici.

Pierre Beyssac : Jean-Marc Jancovici, une des personnes qui a redoré le blason du nucléaire en tant qu’énergie décarbonée. Il a voulu aller au-delà et participer à faire du lobbying pour des actions en faveur de la décarbonation de l’économie.
Le Shift diffuse des rapports sur différents sujets et un des sujets dont ils s’occupent régulièrement c’est l’impact du numérique. Ils ont parlé de la 5G il y a quelques années, ils ont parlé du streaming, donc de la vidéo en ligne, il y a quelques années également et, aujourd’hui, ils parlent plus généralement des datacenters et de l’IA plus particulièrement.

Isabelle Carrère : Du coup, le titre du Chiffon sur ce sujet-là, c’est « Transition partout, écologie, nulle part. »

Pierre Beyssac : Ouais, bon !

Isabelle Carrère : Je savais que ça n’allait pas te plaire, mais c’est comme ça ! En tout cas, à l’intérieur de ce Chiffon-là, il y a une cartographie de l’Île-de-France, puisque c’est là où nous autres sommes basés, sur où sont les centres de données, les datacenters, et comment ça se passe. En fait, c’est assez criant : en Île-de-France, il y a un tiers des centres de données de l’hexagone, ce qui n’est quand même pas rien ! C’est-à-dire que c’est un territoire sur lequel de plus en plus de sites qui étaient, avant, peut-être déjà des sites industriels, mais peut-être aussi des sites agricoles, peut-être aussi des jardins partagés comme à Aubervilliers, ou que sais-je. Bref ! C’est en tout cas une destruction majeure, à chaque fois, de territoires qui auraient pu être destinés, de manière intelligente, à autre chose.
Sur cette carte-là, on voit bien sûr les grandes choses qu’on connaît déjà, qui existent déjà, qui sont, par exemple, aux Ulis, à Marcoussis. On a des choses à Wissous, à côté de Rungis, on a des choses à Vélizy-Villacoublay. On a plusieurs centres de données, ce dont on parlait aussi tout à l’heure, qui sont dans le nord de Paris, donc à Clichy, à Saint-Ouen, à Saint-Denis, à Aubervilliers. C’est donc énorme et ils grossissent, parce que, plus ça va, plus il y a de demandes et de besoins. Du coup, on rajoute des bâtiments. Je ne sais pas jusqu’où peut aller cette affaire-là. Et là aussi, on ne demande jamais à quiconque, si les gens sont d’accord pour que des territoires soient utilisés à ce point à ces fins. C’est pour cela que je disais que plus tu mets du numérique partout, le tout numérique, plus tu as besoin, évidemment, de serveurs, de centres de données, d’endroits pour gérer tout ça. Donc, de mon point de vue, c’est une course sans fin.

Frédéric Couchet : En gros, pour lancer Pierre qui est chaud bouillant, je vais citer l’article de Next : « Et le Shift Project de dresser un constat clair : sans prise en compte précise dans les scénarios de planification énergétique, la consommation de la filière — donc les datacenters — risque d’hypothéquer la capacité de l’Europe à atteindre ses objectifs climatiques ». Je résume, c’est ce qui est marqué.

Pierre Beyssac : C’est effectivement le rapport du Shift centré sur l’IA, qui a été publié la semaine dernière, ils ont fait une conférence de presse mercredi dernier après-midi dans laquelle ils expliquent cela.
Pour revenir sur Le Chiffon, j’ai l’impression qu’ils ont quand même un site web, lechiffon.fr. Mon doute là-dessus : se priver du numérique, pourquoi pas ! Je comprends l’engagement militant et la cohérence derrière, mais, à mon sens, c’est aussi se priver d’une certaine visibilité. Je comprends l’idée, mais est-ce que ce n’est pas contre-productif quand on veut militer aujourd’hui ? C’est un peu ça que la question que je me posais.
Le Shift avait lancé une campagne anti 5G il y a quelques années en disant que les opérateurs de téléphonie mobile allaient tripler leur consommation énergétique en cinq ans. C’était en 2020 et, en 2025, ce n’est pas ce qu’on observe. Il y a une augmentation de consommation électrique due en particulier à l’amélioration de la couverture géographique, donc à l’amélioration de l’inclusion numérique, n’est-ce pas, mais ce n’est pas franchement dû au passage à la 5G, qui n’est pas une technologie de rupture.
Sur l’IA, c’est un petit peu différent. Le Shift s’est trompé. Ils ont fait du buzz sur le triplement de la consommation énergétique qui n’a pas eu lieu. Ils s’étaient également trompés sur l’impact énergétique de la vidéo en ligne. Ils avaient publié un rapport titré « L’insoutenable impact de la vidéo en ligne ». Finalement, avec les améliorations algorithmiques et réseaux, ça ce n’est pas du tout produit, il y a eu, au contraire, une réduction de l’impact. J’aime bien comparer avec la machine à raclette. Avec une machine à raclette, vous consommez l’équivalent de quelques millions ou de centaines de milliers de flux sur Netflix.

Vincent Calame : On n’attaque pas la question du fromage !

Pierre Beyssac : C’est toujours ça. Tout revient toujours au fromage !

Vincent Calame : La convivialité d’un repas autour d’une raclette vaut quelques millions de vidéos sur YouTube !

Pierre Beyssac : On pourrait peut-être cumuler les deux d’ailleurs !
Sur l’IA, de nouveaux rapports menacent à nouveau un triplement de l’impact énergétique. Ce qui est clair, c’est que les datacenters ont une croissance de consommation due à l’IA, due au boom de l’IA.

Isabelle Carrère : Là, ce ne sont pas simplement les datacenters concernant l’IA. Concernant l’IA, c’est, par exemple, l’immense campus européen qui est dédié à l’IA, qui va être implanté à Fouju, en Seine-et-Marne, une chose gigantesque, énorme, et en termes de consommation.

Pierre Beyssac : Je suppose que ça va être des bureaux. Il y aura peut-être un datacenter qui consommera. La consommation énergétique essentielle, ce sont les datacenters.

Isabelle Carrère : L’immense campus est porté par Bpifrance, Nvidia. Beaucoup d’entreprises vont venir se mettre là, je pense ça va être gigantesque comme consommation.

Pierre Beyssac : Gigantesque, non, je ne pense pas. Déjà, ce qui est clair, c’est qu’il y a une bulle de l’IA. Même les gens d’OpenAI, un des grands étasuniens de l’IA, admettent qu’il y a probablement une bulle, mais que, même si la bulle éclate, il y aura de beaux restes. Ils ont des prévisions énormes sur leur consommation énergétique. Sam Altman prévoit 250 gigawatts, ce qui serait le triple de la consommation française aux pics d’hiver, donc le maximum de consommation française. Ça parait difficilement crédible à pas mal de titres, à la fois en production énergétique, en installation des datacenters. Il ne faut pas croire toutes les énormités qui circulent.

Isabelle Carrère : En même temps, on ne sait pas non plus si c’est l’inverse, on n’en sait rien. Ce sont des chiffres qui circulent ici. Ont-ils quand même été calculés ces chiffres-là ?

Pierre Beyssac : Non, c’est du marketing, c’est de la com’. Tu veux faire plaisir à tes actionnaires donc tu expliques que tu vas être le plus grand, le plus fort.

Isabelle Carrère : Que que tu vas être le plus grand, le plus fort, que tu vas consommer le plus !

Pierre Beyssac : Oui, en fait, ils en sont là. Je t’accorde que c’est ridicule.

Isabelle Carrère : Ce n’est pas idiot ! Le plus grand fonds d’investissement est qatari.

Pierre Beyssac : C’est possible. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas parce que Sam Altman promet monts et merveilles qu’il va les accomplir. Il y a des problèmes physiques derrière, de croissance énergétique, de production, etc.

Isabelle Carrère : En tout cas, à la bourse ils sont contents et tout va bien, ça dépasse les 4000 milliards de dollars. Tout va bien !

Pierre Beyssac : Je pense que des valorisations vont se dégonfler assez rapidement et ça ne fera pas de mal.
Tout à l’heure, on parlait de l’IA suisse. Il n’y a même pas trois ans, il était impossible d’envisager ça sur un PC standard. Il y a eu des améliorations algorithmiques qui ne sont pas forcément prises en compte par la prévision. Le Shift, lors de sa conférence de presse la semaine dernière, a expliqué qu’ils s’étaient basés, peut-être pas sur le plus grand délire de Sam Altman, mais sur les prévisions des grands acteurs du secteur en disant « on fait de la prospective, ce n’est pas de la prévision ». Ils font une nuance entre les deux et ils expliquent qu’ils ont repris les chiffres de prévision de croissance mirifique des plus grands acteurs de l’IA pour établir leur diagnostic de triplement potentiel d’ici cinq ans. Ça paraît un petit peu pessimiste, ça dépend comment on se place, mais plutôt pessimiste d’un point de vue énergétique. Il paraît assez peu probable qu’en cinq ans, on triple. Ce n’est pas possible physiquement, à mon sens, de tripler la consommation énergétique des datacenters. Il y a des limites dans tous les sens, physiques et autres.

Frédéric Couchet : Vincent, tu veux réagir ?

Vincent calame : Rappeler que dans le cas du numérique, le problème de l’énergie n’est pas la consommation, il est dans la conception de l’appareil. L’émission sur le FairPhone le rappelait bien : la consommation d’un téléphone est très faible. Le problème, c’est toute l’énergie grise et tout ce qui est consommé dans la production de l’appareil, et c’est tout le problème de Adieu Windows : le scandale, le problème c’est qu’on va être obligé de racheter de nouveaux ordinateurs. Le problème de ces usages, c’est ce qui pousse à devoir acheter une machine plus puissante, c’est cela qui pose problème, plus que la consommation de l’appareil lui-même.

Isabelle Carrère : Concernant les ordinateurs, tu as raison. Là on est sur la question des datacenters, des centres de données, et là c’est vraiment sur l’utilisation des centres de données qu’il va y avoir une vraie consommation.
Il y a la question énergétique, c’est vrai, mais je rajoute qu’il y a quand même la question de l’argent qui est derrière tout ça. On est en train là de valider, valoriser de nouveaux milliardaires qui se goinfrent avec toutes ces opérations de construction dans tous les sens. Ça ne te choque pas ?

Pierre Beyssac : Si, ça me choque, mais, justement, raison de plus pour promouvoir des modèles libres et auto-hébergés.

Isabelle Carrère : Qui nécessitent des datacenters aussi !

Pierre Beyssac : Non, pas forcément. En fait, ça tourne sur ton PC. Open WebUI, un logiciel libre web, de frontal, pour des IA auto-hébergées. Ça utilise quelque chose qui s’appelle Ollama. Il y a donc toute une communauté du Libre de recherche autour de ces trucs-là grâce à l’économie qu’on arrive à faire avec les IA frugales maintenant et qui n’ont pas forcément besoin de datacenters derrière avec une grosse consommation de ressources. De toute façon, même OpenAI et compagnie ont tout intérêt eux-mêmes à réduire leur consommation énergétique, sinon ils ne pourront pas avoir un service à bas coût économique, parce que, à la fin, on ne peut pas la planquer la facture de l’électricité sous le tapis. On ne peut pas filer gratuitement des services ultra-consommateurs d’énergie, fût-ce avec de la pub pour les financer.
C’est une sorte d’alignement vertueux et je pense, justement, qu’il ne faut pas trop, à mon sens, se traumatiser, il ne faut pas voir uniquement les gros de l’IA, il faut voir qu’il y a des actions beaucoup plus discrètes mais non moins utiles, qui se passent, c’est toujours l’histoire du mindshare. De la même manière que je refuse de parler d’Excel quand on parle de tableur, je refuse de parler de ChatGPT quand on parle d’IA, pour montrer qu’il y a d’autres choix disponibles.
Pour revenir sur ce que disait Vincent sur le matériel, le poids du matériel est effectivement beaucoup plus important en France, parce qu’on a de l’électricité très décarbonée, donc la phase d’usage est comparativement peu impactante. Aux États-Unis, le mix électrique est plus carboné, l’usage a donc plus d’impact.

Isabelle Carrère : Je voulais juste dire une petite phrase. Je ne sais plus exactement comment c’était, quelqu’un disait une très jolie chose : « On ne combat pas le maître avec ses armes et ses outils. »

Pierre Beyssac : Ce ne sont pas ses armes, ce sont des armes qui viennent de la recherche.

Isabelle Carrère : Je ne suis pas d’accord.

Frédéric Couchet : Je pense qu’on consacrera un sujet principal à cette thématique-là, pour vous laisser le temps d’échanger, parce qu’on arrive à la fin de l’émission, il y a quand même la chronique de Vincent qui va nous parler, en plus, d’un livre. Comme il l’a dit tout à l’heure « vive les livres ! »
Merci Vincent Calame, Isabelle Carrère, Pierre Beyssac, pour ce Café libre.
On retrouvera le Café libre le mois prochain et je pense qu’on consacrera un sujet principal à ce thématique-là.
On va pas faire de pause musicale. Donc, Vincent, tiens-toi prêt. On va passer directement au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique de Vincent Calame – La Vie algorithmique (2e partie)

Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien libriste et bénévole à l’April, nous propose une chronique, « Lectures buissonnières », ou comment parler du Libre par des chemins détournés en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés.
La chronique d’aujourd’hui concerne la deuxième partie consacrée à La Vie algorithmique d’Éric Sadin.
Vincent c’est à toi.

Vincent Calame : Merci. Effectivement je continue. Je rappelle qu’Éric Sadin est écrivain et philosophe. Il a écrit et continue d’écrire de nombreux ouvrages sur la place du numérique dans notre société et sur le tournant anthropologique en cours dont nous n’avons pas forcément conscience sauf, évidemment, au Café libre. Sa connaissance du monde du numérique en fait une personnalité rare dans le monde des sciences humaines, c’est d’autant plus intéressant pour nous.

Son ouvrage est donc un ouvrage de philosophie. Évidemment, cela ne se résume pas facilement et je suis loin de maîtriser tous les concepts qu’il manipule. Cependant, comme je l’ai dit dans ma chronique précédente, il a le sens de la formule. Je vous propose de m’attarder sur quelques-unes qui m’ont marqué.

La première, qui est aussi le titre d’un de ses chapitres, c’est « la quantification intégrale de la vie ».
Nous sommes en effet rentrés dans « l’ère des capteurs », une autre formule d’Éric Sadin, et rien ne semble devoir leur échapper. Comme il le note, il est plus rapide, maintenant, de lister les activités qui n’utilisent pas le numérique que l’inverse.
Or, je trouve que le terme « quantification » dans son expression « la quantification intégrale de la vie » est bien plus fort que le seul terme de « numérisation ». Quantifier, d’après le Larousse, veut dire « déterminer et exprimer en chiffres ; évaluer ». C’est en fait un mouvement très ancien, c’est même la base de la science moderne, du fonctionnement de nos sociétés. D’ailleurs, nous en profitons au quotidien : pensons simplement à tout ce que la médecine peut dire maintenant à partir d’une simple prise de sang.
C’est pourquoi, sans aucun doute, nous acceptons si facilement cet accroissement fulgurant de la quantification de la vie, nous y contribuons même avec plaisir, sans trop y voir le mal, tant nous baignons dans cette culture.
Le problème posé par Éric Sadin est celui du caractère « intégral » de cette quantification : le fait qu’elle s’applique partout et tout le temps. Ailleurs, dans l’ouvrage, il utilise l’autre formule intéressante de « totalisation numérique » pour désigner le phénomène. Et il pose la question d’importance : que devient l’expérience sensible face à cette « totalisation numérique ». Le « sensible », c’est tout ce qui échappe à toute réduction binaire. C’est ce que nous ressentons par notre corps, parnotre cœur aussi d’ailleurs.
Or, le rêve d’une « quantification intégrale » est très ancien et l’éradication du sensible a une longue tradition. Là, je ne résiste pas à placer la citation de Platon que donne Éric Sadin, je ne vous la fais pas en grec ancien cette fois-ci : « Tant que nous serons en vie, le meilleur moyen, semble-t-il, d’approcher de la connaissance, c’est de n’avoir, autant que possible, aucun commerce ni communion avec le corps, sauf en cas d’absolue nécessité, de ne point nous laisser contaminer par sa nature, et de rester purs de ses souillures, jusqu’à ce que Dieu nous en délivre. » Bon, peu d’entre nous ont Platon comme livre de chevet, mais nous connaissons tous l’expression « amour platonique », n’est-ce pas ? Peut-être est-ce cela que l’avenir nous réserve ? Une vie débarrassée de la « souillure » du corps grâce à une numérisation totale.
En tout cas, on voit que ceux qui rêvent de téléverser un cerveau dans un ordinateur n’ont pas été seulement inspirés par la science-fiction, ils sont aussi les héritiers d’une très longue histoire de la pensée. Qui sait ! Si Platon revenait parmi nous, peut-être deviendrait-il rapidement un gourou de la Silicon Valley.

Une autre conséquence de cette « quantification intégrale de la vie », c’est ce qu’Éric Sadin appelle « la généralisation du régime prédictif », c’est-à-dire l’exploitation de la masse de données, en perpétuelle expansion, qui nous autorise à prévoir l’avenir à court terme dans des domaines très variés. C’est une nouvelle façon de décrire la réalité du temps présent.
Éric Sadin prend comme exemple fondateur la prédiction par Google, en 2009, d’une épidémie de grippe par la seule analyse des recherches sur son moteur, bien avant les remontées du personnel médical. Le big data, c’est la victoire de la mise en corrélation d’une infinité d’évènements mineurs qui, mis bout à bout, finissent par faire sens et donner une certaine image de la réalité.

Mais, souligne Éric Sadin, la « totalisation numérique » nous aveugle et ne nous ne voyons plus ce qui lui échappe in fine. De moins en moins de choses passent sous le radar, mais, ce qui passe sous le radar, peut se révéler catastrophique. On peut prendre comme exemple une smart city confrontée à un évènement climatique majeur. L’accumulation des données a-t-elle une utilité dans ce cas ?
Et, bien sûr, cet aveuglement pose la question de qui exploite cette masse de données. Il y a les données, certes, mais il y a surtout les algorithmes qui les traitent et ils ne sortent pas de nulle part. La conception des algorithmes est le fait d’acteurs d’apparition récente alliés à des structures étatiques plus classiques. C’est cet ensemble qu’Éric Sadin, dans la suite de l’ouvrage, appelle le « techno-pouvoir ».
Le « techno-pouvoir » est un des autres grands concepts développer dans cet ouvrage et je vous propose de nous pencher dessus à la prochaine chronique.

Frédéric Couchet : Merci Vincent. C’était donc la deuxième partie consacrée au livre d’Éric Sadin, La Vie algorithmique. La troisième partie, ce sera le mois prochain, donc en novembre 2025. Belle fin de journée, Vincent.

Il nous reste quand même quelques instants pour faire quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Les liens utiles concernant les annonces de fin sont sur la page consacrée à l’émission du jour, sur libreavous.org/257, ou dans les notes de l’épisode si vous nous écoutez en podcast, ou encore sur le site causecommune.fm.

Je vais faire simple. Ce sont des annonces très orientées.
Adieu Windows, bonjour le Libre !, avec notamment notre site, adieuwindows.april.org, qui référence des événements pour vous aider à découvrir et installer des logiciels libres. Je vais juste en citer quelques-uns.
À Mérignac, près de Bordeaux, « Découverte du logiciel libre », samedi 11 octobre 2025.
Chez nos voisines d’Antanak, « Passez votre ordinateur sur un système libre », à Paris, jeudi 16 octobre 2025, de 10 heures à 19 heures 30.
Du côté de nos amis de la Petite Roquette, « Passez votre ordinateur sur un système libre », samedi 18 octobre 2025, à Paris, dans le 11e.
Je rappelle également que la présidente de l’April, Bookynette, sera présente à la Fête de la Réparation, vendredi 17 octobre 2025 à Lille, et c’est également le cas d’Antanak.

La radio Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial, chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey. Une réunion d’équipe ouverte au public, avec apéro participatif à la clé, occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent des émissions, notamment Isabelle, évidemment. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu vendredi 7 novembre 2025, à partir de 19 heures 30 et j’aurai le plaisir d’y être également. Je pense que Julie aussi.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Gee, Isabelle Carrère, Vincent Calame, Pierre Beyssac.
Aux manettes de la région aujourd’hui, avec sa bonne humeur et son accent chantant, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, bénévoles à l’April.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/257, toutes les références utiles concernant l’émission de ce jour, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm, ou dans les notes de l’épisode si vous nous écoutez en podcast.

Vous pouvez aussi nous laisser un message sur le répondeur de la radio si vous envie de réagir à l’un des sujets. Le numéro du répondeur : 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître la radio Cause Commune la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 14 octobre 2025 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur les politiques logiciel libre des villes de Grenoble et de Lyon.

Nous espérons que votre fin de semaine sera aussi savoureuse qu’une chocolatine de Cédric Ergo, sacré récemment champion du monde de cette spécialité. Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 14 octobre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 7 octobre 2025 sur radio Cause Commune

Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Page de présentation de l’émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.