Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Parcours libriste avec Elena Rossini, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme la chronique « F/H/X », de Florence Chabanois, intitulée « La violence, ce n’est pas binaire » et aussi la rediffusion d’une chronique « Que libérer d’autre que du logiciel », d’Antanak.
Soyez les bienvenu·es pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.
Nous sommes mardi 30 septembre 2025.
Nous diffusons en direct sur radio Cause Commune, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast. Nous saluons également les personnes qui nous écoutent sur la webradio Cigaloun, sur Radios Libres en Périgord et sur Radio Quetsch.
À la réalisation de l’émission de ce jour, Julie Chaumard. Bonjour Julie.
Julie Chaumard : Bonjour. Bonjour à tous. Belle émission.
Isabella Vanni : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
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Chronique « F/H/X » de Florence Chabanois sur « La violence, ce n’est pas binaire »
Isabella Vanni : Nous allons débuter avec la chronique « F/H/X » de Florence Chabanois qui est présidente de La Place des Grenouilles.
Statistiques éclairantes, expériences individuelles et conseils concrets : votre rendez-vous mensuel pour comprendre et agir en faveur de l’égalité des genres.
Le thème d’aujourd’hui c’est « La violence, ce n’est pas binaire ».
Bonjour Florence.
Florence Chabanois : Bonjour Isabella. Bonjour Julie. Bonjour Elena. Bonjour les copaines !
Quand j’ai découvert l’outil des 5D pour gérer les agressions en tant que témoin, j’ai trouvé ça génial. J’avais jusqu’alors une vision binaire : intervenir frontalement ou ne rien faire. Le temps de réfléchir, cela se transformait souvent en ne rien faire. Avec les 5D, je peux :
Distraire : faire semblant de connaître la victime, « hé, ça va ! »,
Déléguer : alerter un ou une agente,
Documenter : filmer discrètement pour les preuves,
Diriger : demander à l’agresseur d’arrêter, proposer son aide à la victime en évitant toute confrontation,
Dialoguer : réconforter la personne après coup.
Les femmes sont élevées à « faire attention », à craindre les agressions et à s’auto-surveiller ; à se sentir impuissantes et illégitimes. Dans King Kong Théorie, Virginie Despentes raconte qu’elle avait un couteau lors de son viol mais qu’elle ne l’a pas utilisé, tellement c’était ancré qu’elle ne pourrait rien y faire.
La police compte 500 000 victimes de violences physiques en 2024, dont un quart sont des violences sexuelles. Plus de la moitié sont commises dans le cadre familial.
En dehors de la sphère familiale, les 2/3 des victimes sont des hommes, alors qu’au sein de la famille, les 3/4 sont des femmes. Au vu de ces statistiques, c’est plus aux hommes qu’on devrait dire de faire attention dehors et de s’envoyer des textos pour vérifier qu’ils sont bien rentrés chez eux.
Concernant les violences sexuelles, 9 victimes sur 10 sont des femmes, et 60 % sont mineures.
Les violences à caractère sexuel recouvrent les situations où une personne impose à autrui des comportements ou des propos sexuels. Elles sont définies et punies par la loi.
Le viol désigne « tout acte de pénétration sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise », même dans un couple, même si la personne dort.
Une agression sexuelle est un contact non consenti sur la bouche, les seins, les fesses, le sexe ou l’intérieur des cuisses. Les, guillemets, « baisers volés », présentés comme romantiques, en font partie et nourrissent la culture du viol.
L’outrage sexiste et sexuel désigne des propos ou comportements dégradants, par exemple un animateur qui crie « allez, on n’est pas des gonzesses » ou un collègue qui dit « les femmes ne savent pas coder ».
Le harcèlement sexuel, c’est imposer de façon répétée des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, même si chaque personne n’a agi qu’une seule fois. Poster une seule insulte sexiste en commentaire d’une vidéo peut être qualifié de harcèlement.
À côté des violences reconnues par la loi, il y a aussi les violences économiques comme les inégalités salariales ou ne pas avoir accès à ses propres revenus et les violences psychologiques comme dévaloriser, ne plus parler ou empêcher de dormir.
Quand on parle de violences faites aux femmes, les « solutions », entre guillemets, portent beaucoup sur le harcèlement de rue et sur les victimes. C’est occulter le problème de fond en plus d’être une instrumentalisation. Cela induit que l’extérieur inconnu est dangereux, et pas l’intérieur. Or, les 2/3 des victimes de violences sexuelles déclarent que ces agressions ont été perpétrées par une personne connue. Quand la victime est une femme, elle connaît l’agresseur dans 75 % des cas. Une fois sur trois, il s’agit du conjoint ou d’un ex-conjoint.
Les auteurs de violences sexistes et sexuelles ne sont pas the others/, « les autres », ce sont des gens très banals, nos potes, nos proches, et c’est peut-être aussi nous, car le sexisme intériorisé est vicieux et puissant. Chaque minimisation, chaque tolérance – « il est comme ça », ou un « calme toi » à une femme en colère – permet l’apparition d’une plus grande violence et alimente sa pyramide.
En 2023, 1 200 femmes de tout âge et milieu ont été victimes de féminicides au sein du couple, dont 100 féminicides, 300 tentatives de féminicide, et 800 tentatives de suicide suite au harcèlement par leur conjoint ou ex. Soit trois par jour.
Un féminicide n’est pas, entre guillemets, un « drame familial », ce n’est pas un accident, c’est un meurtre punitif, lié à un problème de société. C’est la revanche ultime du patriarcat sur une femme qui a osé partir. C’est l’expression la plus violente du sexisme où les hommes sont en haut de la pyramide et les autres en dessous. Cela se construit avec la dévalorisation de la conjointe, son isolement progressif, l’assurance de l’impunité de l’agresseur – publiquement c’est le gendre idéal –, l’inversion de culpabilité – c’est toi qui m’as poussé à bout ! Pour l’auteur, se faire quitter par une personne qu’on dévalorise tant est un déshonneur insupportable. Il va préférer passer à l’acte plutôt que voir « sa chose » lui échapper, même s’il risque la prison et parfois quitte à en mourir : 1/3 des auteurs de féminicide se suicident après.
Comment lutte-t-on contre un patriarcat et un sexisme qui s’infiltrent partout, même chez nous, et qui favorisent ces violences ?
J’ai cherché des logiciels libres pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Je n’en ai pas trouvé d’utilisables directement. Ils sont souvent propriétaires et mettent l’accent sur le harcèlement de rue.
Les applications TI3RS et Mémo de Vie traitent bien les violences familiales.
Quelques initiatives libres existent : Data for Good a monté un projet pour analyser les cyberviolences des jeunes. #NousToutes a ouvert ses données pour le décompte des féminicides.
Contre le sexisme, par contre, il y en a un peu plus : la mesure du temps de parole sur Jitsi Meet, un outil de test de Bechdel par Data for Good, encore, pour mesurer la représentation des femmes dans le cinéma. L’association HandsAway, récemment disparue suite au climat politique après sept ans d’existence, a rendu ses formations dans les collèges et lycées libres de droit.
D’ailleurs, plusieurs logiciels propriétaires ont aussi disparu, comme Woman Interrupted qui mesurait les interruptions en réunion. S’ils étaient passés en libre, ils seraient peut-être encore là !
Ce que j’aime bien dans ces outils, c’est qu’ils ne se placent pas forcément du côté des « victimes » mais du côté de toute la population pour une plus grande prise de conscience.
Il y a aussi beaucoup de contenus pour identifier les violences ou accompagner les victimes sur des sites comme Comment on s’aime ou #NousToutes, hébergés sur WordPress, lui-même libre.
En réalité, il n’y a pas besoin de logiciel pour commencer à renverser le sexisme. Comme il est partout, on peut agir partout un petit peu. La prise de conscience, déjà, est longue et difficile. Ouvrir grand ses yeux et ses oreilles autour et sur nous aussi : pourquoi cela nous gêne-t-il que notre garçon porte du rose et pas que notre fille porte du bleu ? ; voir les tâches invisibles de sa moitié ou de ses collègues, se renseigner, connaître la loi : oui, faire des blagues sexuelles dans l’open space, c’est du harcèlement, même si vous ne « visez » personne ; écouter les témoignages, reconnaître et nommer les actes sexistes avec sa bouche, poser la question quand on soupçonne des violences, parler à toustes, visibiliser, prendre sa part de tâches avec ses mains, se positionner. Chaque pas compte.
Si des développeuses et développeurs nous écoutent, il y a un manque à combler du côté des logiciels libres, pour mesurer et agir sur ce fléau de façon directe ou indirecte.
Un gigantesque merci aux militantes et militants pour leur travail de sensibilisation continu et crucial, encore plus avec les coupures budgétaires et le climat inquiétant. La pétition de la Fondation des Femmes pour préserver ces budgets prend 5 secondes à signer. D’ailleurs merci.
Isabella Vanni : Merci à toi, Florence, pour cette chronique très dure, j’avoue, mais nécessaire, et pour toutes les choses que tu nous as apprises encore aujourd’hui.<b/
Je te donne avec grand plaisir rendez-vous au mois prochain.
Florence Chabanois : Merci. À bientôt.
Isabella Vanni : Nous allons maintenant faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Après la pause musicale, nous aurons le plaisir de découvrir le parcours libriste de notre invitée, Elena Rossini.
Pour l’instant, nous allons écouter Not Kings, par Candy Says. On se retrouve dans environ trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Not Kings, par Candy Says.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Not Kings, par Candy Says, disponible sous licence libre Creative Commons, CC By SA 3.0.
Je précise que toutes les pauses musicales diffusées dans l’émission de ce jour ont été choisies par notre invitée Elena Rossini dont nous allons découvrir le parcours libriste.
[Jingle]
Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Parcours libriste de Elena Rossini
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui, aujourd’hui, est un Parcours libriste. Le Parcours libriste est l’interview d’une seule personne pour parler de son parcours personnel et professionnel. Un parcours individuel qui va, bien sûr, être l’occasion de partager messages, suggestions et autres.
Notre invitée pour le Parcours libriste d’aujourd’hui est Elena Rossini, cinéaste, photographe et militante italienne. Son travail porte principalement sur les questions liées à l’éducation aux médias, à la souveraineté numnérique et à l’Utilisation du pouvoir d’Internet pour le changement.
Elena est avec moi sur le plateau aujourd’hui. Bonjour Elena.
Elena Rossini : Bonjour Isabella.
Isabella Vanni : N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le site causecommune.fm sur le bouton « chat ». Toutes les références de l’émission seront rendues disponibles sur la page consacrée à l’émission, libreavous/256, ou dans les notes de l’épisode si vous écoutez un podcast.
Nous avons souhaité t’inviter, Elena, dans Libre à vous !, parce que tu as un parcours libriste tout à fait intéressant, tu n’es pas informaticienne de formation ni de métier. Ta porte vers le Libre a été les réseaux sociaux, si on peut le dire. Nous verrons le pourquoi et le comment au cours de cet échange.
Tout d’abord, tu te présentes en tant que cinéaste, photographe et militante. Ta spécialité est notamment le format documentaire parce que, j’imagine, ça allie bien le côté cinéaste et militant.
Elena Rossini : Exactement !
Isabella Vanni : Est-ce que tu veux nous parler un petit peu de ton métier. C’est un parcours libriste, mais c’est important aussi de voir comment la personne est arrivée et c’est important de parler de ta formation, de ton métier initial.
Elena Rossini : Bien sûr.
J’ai grandi en Italie, d’où mon accent. J’ai fait mes études aux États-Unis, université et master. J’ai étudié le cinéma parce que j’ai toujours été passionnée par la photo, l’écriture, mais aussi les ordinateurs. J’appréciais beaucoup le fait de faire du montage. Personnellement, je pense que la phase la plus importante de la réalisation d’un film, c’est vraiment la phase du montage, c’est là que les choses les plus importantes se passent. J’ai choisi ce métier parce que toutes mes passions étaient réunies. À la fin de mes études, j’ai décidé de rentrer en Europe. Ma société de production était en Italie et j’ai commencé à voyager. J’ai découvert la France et je suis tombée amoureuse de ce pays.
Même si, pendant mes études, j’étais plus orientée vers la fiction, une fois rentrée en Europe, j’ai été vraiment fascinée par le côté documentaire, les vraies histoires. Je trouve que c’est très puissant de pouvoir raconter des histoires, faire passer des messages et, idéalement, faire changer les avis, pouvoir éduquer les gens sur des problématiques. C’est un peu pour cela que je suis tombée dans le monde du documentaire.
Mon projet le plus important, pour lequel je suis connue, c’est un documentaire long métrage qui s’appelle, en français, Les Illusionnistes, The The Illusionists. C’est un film sur la promotion d’idéaux de beauté inatteignable dans le monde ou comment les médias et la publicité nous donnent des images inatteignables qui font en sorte que les femmes et les jeunes filles sont mal à l’aise dans leur corps et ont envie de changer leur apparence physique parce qu’elles ne s’y sentent pas bien à cause de ces images de beauté inatteignable. Dans le film, je parle aussi de la façon dont les hommes aussi sont ciblés de plus en plus. Pour ce film, je me suis basée sur mes voyages. Quand j’étais à l’université, j’avais beaucoup d’amies qui habitaient dans pas mal de pays différents, en fait j’ai été un peu exposée à la culture des pays asiatiques mais aussi nord-américains, africains, etc., j’ai donc décidé d’avoir une vision globale du problème parce qu’il n’y avait pas vraiment de documentaires qui parlaient de ces sujets-là d’un point de vue global. Je voulais donc faire un peu des comparaisons, du coup j’ai tourné le film dans huit pays sur quatre continents : aux États-Unis, en France, en Italie, aux Pays-Bas, au Liban, en Inde et au Japon.
Isabella Vanni : C’est aussi toi qui interviewais les personnes ? On voit apparaître des psychologues, des expertes sur ces sujets dans différents pays. En fait, tu avais plein de rôles dans ce film : tu l’as scénarisé, tu l’as écrit, tu as fait les interviews, tu l’as monté !
Elena Rossini : Exactement ! La seule chose que je n’ai pas faite c’est la prise de son ou la musique pour le film, parce que je suis assez nulle dans tout ce qui est musique. En fait, j’ai écrit le film, je l’ai produit, j’ai fait la réalisation, les images, le montage et même, je ne sais pas comment dire en français, les motion grafics, les effets spéciaux.
Isabella Vanni : On peut peut-être dire l’animation. Si quelqu’un, sur le salon de webchat a une idée de la traduction. En gros, dans le film, il y a des interviews, on voit des personnes, mais il y a aussi des graphismes, des images en mouvement, en fait des animations et c’est toi qui as fait ça avec des programmes informatiques. En fait, tu es quand même un peu geek !
Elena Rossini : Complètement !
Isabella Vanni : Tu n’es peut-être pas informaticienne de profession, mais tu es bien geek.
Ce film n’est pas sous licence libre, vous le trouverez disponible sur le lien qu’on a mis dans la page des références de l’émission, vous pouvez le louer ou l’acheter. Je l’ai visionné et je trouve que ça tombe à pic par rapport à la chronique de Florence Chabanois, que nous venons d’écouter. Je ne sais pas si ça t’as fait penser à quelque chose, si ça a fait remuer quelque chose. En tout cas, je trouve que ces deux sujets se relient.
Elena Rossini : Complètement.
Isabella Vanni : Tu montres aussi, dans ce documentaire, que c’est finalement cette sensation omniprésente d’insatisfaction qui nous pousse à acheter, alors que si nous avions tous et toutes une bonne estime de soi !
Elena Rossini : Effectivement. Le message du film c’est qu’une personne qui est heureuse ne va pas faire gagner de l’argent à beaucoup de sociétés. C’est donc dans l’intérêt des sociétés d’avoir des personnes qui sont insatisfaites, qui se disent « il faut que j’améliore ça, ça et ça », comme ça elles font de l’argent.
Isabella Vanni : Je t’avais demandé si tu avais essayé et si tu avais réussi à vendre ce documentaire aussi à des chaînes télévisées et je crois me souvenir que c’était compliqué justement pour cette raison.
Elena Rossini : C’était pratiquement impossible, pas seulement de le faire passer à la télé, mais aussi dans des festivals, parce que j’ai un petit peu « attaqué », entre guillemets, des sociétés dans le film.
Isabella Vanni : En même temps, tu es très factuelle !
Elena Rossini : Oui ! Beaucoup de sociétés de cosmétiques, mais aussi des sociétés comme Disney qui fait des images qui véhiculent des idéaux pour les enfants, sponsorisent beaucoup d’émissions et également des festivals. Il y avait, par exemple, un festival du film et tout le monde me disait « vas-y, envoie le film, c’est sûr que tu vas être acceptée », parce que c’était un festival porté par une actrice féministe, un festival sur les sujets féminins avec des films de réalisatrices féminines. On m’a dit « vas-y ! ».
Isabella Vanni : Toutes les cases étaient cochées !
Elena Rossini : Le problème c’est qu’il était sponsorisé par Coca-Cola et, dans le film, je parle aussi un petit peu de tout ce qui est malbouffe, etc., donc impossible qu’il soit accepté !
Isabella Vanni : Incroyable ! Malgré ça et fort heureusement ce documentaire continue de tourner, c’est-à-dire qu’il touche des gens parce qu’il est diffusé mais sur des cercles un peu plus restreints du coup.
Elena Rossini : Exactement. En fait, j’ai de la chance parce que mon distributeur, aux États-Unis, la Media Éducation Foundation, s’occupe de faire la pub de mon film auprès des écoles, donc les lycées mais aussi les universités. Du coup, le film a été vendu à des centaines d’universités aux États-Unis et aussi un tout petit peu en Europe et en Asie, du coup beaucoup d’étudiants le regardent. Par exemple, à Saint Paul University, le film est étudié dans le cursus de certaines classes, dans les classes sur le cinéma féminin mais également l’éducation aux médias.
Isabella Vanni : Donc dans le cursus. On me demande aussi, j’ai oublié de le préciser, si le film est en français. Non, le film est en anglais, mais, dans la version que vous trouvez en ligne, on vous a mis la référence, il y a la possibilité de mettre les sous-titres en français.
Elena Rossini : Oui. Exactement.
Isabella Vanni : Pourquoi en anglais ? Pourquoi as-tu décidé de le faire en anglais ?
Elena Rossini : Disons que la plupart de mon travail est en anglais, donc le film mais aussi mes blogs, parce que je pensais pouvoir toucher un public plus large en faisant le film en anglais. Du coup, c’est la langue principale. Il y a juste quelques interviews en français, la plupart des interviews sont en anglais.
Isabella Vanni : Ce n’est donc pas parce que c’est la langue dans laquelle tu te sens plus à l’aise, c’est parce que tu veux toucher le maximum de monde.
Elena Rossini : Aussi.
Isabella Vanni : Il y a de ça aussi ! OK !
Elena Rossini : C’était pour pouvoir toucher un public plus large. Les sous-titres sont en italien, en espagnol et en français.
Isabella Vanni : Très bien. Par contre, tu as fait une vidéo en français, cette fois il n’y a pas que les sous-titres, c’est vraiment la même vidéo en plusieurs versions de langues, c’est la vidéo que tu as réalisée pour promouvoir le fediverse, mais j’anticipe peut-être un poil trop !
Pour l’instant, tu n’as pas encore parlé des réseaux sociaux. J’imagine, je sais que tu les utilisais déjà pour faire connaître ton travail et tu m’as raconté que tu les as aussi utilisés, et ça tombe bien, encore une fois avec la chronique d’aujourd’hui, pour mettre en avant des femmes réalisatrices. Veux-tu nous parler un petit peu de ton rapport à ce moment-là avec les réseaux sociaux et de ce projet qui t’a beaucoup tenu à cœur ?
Elena Rossini : Avec plaisir. En fait, le réseau social que j’utilisais le plus était Twitter. Je l’appelle Twitter et pas X parce que, à l’époque, Elon Musk n’était pas le patron et c’était tout autre chose. J’ai utilisé Twitter pendant 14 ans et c’est grâce à ça que j’ai réussi à me construire un public pour le documentaire. Quand j’ai eu l’idée de tourner ce film, du début de l’idée jusqu’au moment où le film est sorti, huit ans sont passés, huit ans de travail parce que j’ai mis beaucoup de temps pour lever des fonds et aussi pour voyager.
Isabella Vanni : Avec quel système as-tu levé des fonds ? C’était un crowdfunding ?
Elena Rossini : Exactement. C’était au tout début du crowdfunding.
Isabella Vanni : Donc Internet est très important là aussi.
Elena Rossini : Très important. Grâce à ma visibilité sur Twitter, plusieurs associations ont montré de l’intérêt et ont dit qu’elles voulaient sponsoriser le film. Twitter m’a vraiment donné une plateforme de visibilité. Sur mon blog, j’ai publié des articles qui étaient liés au sujet du film et il y avait énormément d’intérêt sur tout ce qui était le sujet du film. J’ai été invité à parler dans des conférences même avant la fin du tournage. Il y avait énormément d’intérêt et d’attentes.
Isabella Vanni : Et des attentes, donc un peu un coup de pression pour toi, pour la réalisation.
Elena Rossini : Un tout petit peu. Grâce à ma visibilité, une fois que le film a été terminé et prêt à être visionné, à être envoyé des festivals et montré au public, j’ai été invitée au QG de Apple, Facebook, Google et Twitter, dans la Silicon Valley, pour faire l’avant-première chez eux.
Isabella Vanni : Avec quel esprit t’y es-tu rendue ? Sois sincère !
Elena Rossini : C’était en 2015 et, en 2015, j’étais toujours extrêmement enthousiaste du potentiel d’Internet, d’utiliser les réseaux sociaux pour donner de la visibilité à des causes et à des sujets auxquels je tenais beaucoup. C’était un timing assez intéressant. Pourquoi ? C’était en novembre 2015 et on sait très bien ce qui s’est passé avec l’élection présidentielle aux États-Unis. C’est à ce moment-là qu’il y a eu un changement profond dans ma vision des réseaux sociaux.
Isabella Vanni : En fait, c’est l’actualité qui a été le déclencheur de ce changement.
Elena Rossini : Exactement. Quand Trump a été élu président pour la première fois, il y a eu, peu de temps après, les révélations sur le rôle de Cambridge Analytica et sur la manipulation de l’information sur les réseaux sociaux.
Isabella Vanni : Du rôle qu’a eu Facebook aussi.
Elena Rossini : Exactement. Là, j’ai supprimé mon compte Facebook, j’ai désactivé mon compte Instagram, j’ai donc tout misé sur Twitter pour la communication et j’ai fait ça pendant cinq/six ans, jusqu’à…
Isabella Vanni : Qu’est-ce que s’est passé ? Je ne sais pas de quoi tu parles ! Je ne te vois pas venir.
Elena Rossini : Je connais la date très précise, on la voit dans ma biographie sur Mastodon. Le 28 octobre 2022, c’est la date à laquelle Elon Musk est devenu officiellement le propriétaire de Twitter et, là, j’ai décidé de quitter la plateforme. Ça a été un moment extrêmement triste pour moi parce que c’est grâce à Twitter que je pouvais rester en contact avec beaucoup d’activistes et beaucoup d’amis. J’étais devenue amie avec beaucoup de gens aux États-Unis, en Angleterre, en Irlande.
Isabella Vanni : Des gens que tu n’avais pas forcément vus en personne, mais avec lesquels tu avais tissés des liens.
Elena Rossini : Exactement, mais aussi beaucoup que j’avais rencontré en personne.
Isabella Vanni : C’est encore mieux quand ça arrive !
Elena Rossini : Oui. Pour vous donner une idée, ce n’est pas pour me vanter, mais, grâce à Twitter, j’avais une telle visibilité que j’ai pu devenir amie, entrer en contact avec des acteurs très connus aux États-Unis, des réalisateurs, des réalisatrices ; l’ancien premier ministre de l’Italie me suivait, j’étais invitée à des conférences. J’avais donc vraiment beaucoup de visibilité et d’opportunités professionnelles, mais aussi des liens personnels. Devoir couper tout ça parce qu’un milliardaire, avec des tendances narcissiques…
Isabella Vanni : Je n’ai rien dit, c’est toi qui le dis !
Elena Rossini : C’était un moment vraiment très dur à vivre.
Isabella Vanni : Combien de temps cela t’a pris pour décider cette coupure ?
Elena Rossini : J’ai créé un compte sur Mastodon le jour-même où il est devenu propriétaire. Au début, je ne l’utilisais pas beaucoup, je voulais juste avoir une alternative.
Isabella Vanni : Comment avais-tu trouvé Mastodon ? Pardon, je dois expliquer ce qu’est Mastodon pour les personnes qui ne connaîtraient pas. Je te laisse expliquer parce que tu le connais très bien, même mieux que moi !
Elena Rossini : Quelle pression ! Mastodon est un logiciel libre de microblogging, qui est un tout petit peu l’équivalent libre de ce qu’était Twitter et qui fait partie du fediverse. Ça veut dire que c’est un réseau qui permet l’interopérabilité, qui permet de faire des liens, de communiquer, avec des personnes qui sont sur d’autres logiciels.
Isabella Vanni : Parce qu’ils ont en commun un protocole.
Elena Rossini : Exactement. ActivityPub. Je n’ai pas l’habitude de le prononcer à la française.
Isabella Vanni : Tu as plus l’habitude de parler et d’écrire sur ces sujets en anglais, mais ne t’inquiète pas, c’est très bien il n’y a aucun souci,
Juste rappeler que Mastodon est un logiciel libre, n’importe qui peut l’installer et créer une instance, c’est donc pour cela que c’est décentralisé et c’est la grande force de ce réseau. Ce n’est pas une personne qui décide pour tout le monde.
Elena Rossini : Exact. Et on ne doit pas forcément s’auto-héberger, on peut s’inscrire sur une instance. La force du fediverse c’est que si quelque chose se passe mal sur l’instance sur laquelle on est, on peut prendre tous ses followers et migrer vers une autre instance.
Isabella Vanni : Chose que tu n’avais pas pu faire, à l’époque, quand tu as fermé ton compte sur Twitter. C’est bien de mettre en évidence ce que les logiciels libres permettent de faire. On met toujours en évidence plein de choses, les fameuses quatre libertés : je peux étudier le logiciel, le partager, le modifier l’adapter à mes besoins, le redistribuer, etc., mais il y a aussi ce qui concerne les services libres en ligne, c’est-à-dire que si les règles ne me conviennent pas, je peux partir avec tout ce que j’ai produit.
Elena Rossini : Exactement. Je suis geek depuis mon enfance, je ne compte même pas le nombre de fois que j’ai dû redémarrer mon profil sur un service internet, parce que j’ai toujours utilisé des services centralisés et, quand on les abandonne, c’est fini, on doit reconstruire son public ailleurs. Pour moi, la force du fediverse c’est que tout ça c’est fini, on est vraiment maître de ses propres données et je trouve ça extraordinaire.
Isabella Vanni : Comment as-tu connu Mastodon ?
Elena Rossini : J’étais en train de regarder dans l’historique, sur mon ordinateur, qui est la première personne que j’ai suivie sur Mastodon. C’est un ami, Andy Piper, qui travaillait pour Twitter à l’époque. Je pense que c’est lui qui parlait de Mastodon, qui disait que beaucoup d’anciens employés de Twitter avaient migré sur Mastodon. Je pense que c’est pour cela que je me suis inscrite, mais c’était vraiment par hasard. Je pense que si c’était aujourd’hui, peut-être que je choisirais un autre logiciel du fediverse, pas forcément Mastodon, mais, à l’époque, beaucoup de gens parlaient de lui.
Isabella Vanni : Oui parce que, comme tu disais, le fediverse est un réseau, tous les services qui utilisent le même protocole peuvent interagir entre eux. Ton identité sur le fediverse est née en ouvrant le compte sur Mastodon, si j’ai bien compris.
Elena Rossini : Exactement. La blague, c’est que maintenant j’ai à peu près 17 à 18 profils ActivityPub, je suis toujours en train de simplifier, mais je suis vraiment passionnée par le fediverse, donc j’aime bien expérimenter, essayer d’autres logiciels.
Isabella Vanni : Est-ce que, quand tu es partie de Twitter, tu as dit à ton public, ton auditorat, aux personnes avec lesquelles tu étais en contact « je vais sur Mastodon, si vous voulez continuer à me suivre, c’est par là. » Si tu l’as fait, est-ce qu’elles t’ont suivie ?
Elena Rossini : Très peu de gens ont migré vers Mastodon. Beaucoup ont abandonné au bout d’un ou deux mois.
Isabella Vanni : Comment te l’expliques-tu, parce que, pour toi, ça marchait très bien ?
Elena Rossini : Si je dois être honnête, la première année je ne l’utilisais pas tous les jours, j’ai mis un petit peu de temps à comprendre comment ça marche. Je pense qu’après 20 ans d’utilisation quotidienne des réseaux sociaux des GAFAM on a certaines atteintes et le fediverse est complément différent. Aujourd’hui, je ne pourrais jamais retourner sur les réseaux sociaux des GAFAM, les comportements sont vraiment différents. Ce que j’apprécie dans le fediverse, qui est un peu controversé parce que les gens disent « ce que tu dis n’est pas vrai », mais je vais le dire quand même, c’est qu’il n’y a pas d’algorithmes. Oui, bien sûr, si on veut on peut mettre des algorithmes dans Friendica.
Isabella Vanni : Friendica, c’est un peu l’équivalent de Facebook ?
Elena Rossini : Exactement. Mais globalement, il n’y a pas d’algorithmes, donc il n’y a pas de boîte noire qui décide ce que je veux voir dans mon feed. Je ne vois que les contenus des personnes qui je suis et je trouve ça vraiment extraordinaire. Il n’y a pas de mise en avant de contenus qui vont choquer ou qui vont rendre les gens un peu énervés, on voit juste les contenus qui nous intéressent, des personnes qui nous intéressent, c’est à taille humaine.
Isabella Vanni : Finalement, on revient un petit peu au sujet de ton documentaire Les Illusionnistes, c’est-à-dire que le fediverse, Mastodon et les autres services, te permet d’éviter la manipulation, le conditionnement.
Elena Rossini : Oui. Complètement.
Isabella Vanni : Je pense qu’un grand sens de liberté se dégage de cela et je crois comprendre qu’il a bien compensé la tristesse due à la perte de tous tes contacts, de tout le réseau que tu avais construit au cours des années.
Elena Rossini : En fait, mon expérience est maintenant complètement différente et de façon extrêmement positive, c’est-à-dire que j’ai créé des vrais liens et des vraies amitiés avec beaucoup de gens dans le fediverse parce que ce n’est pas un concours de popularité « je suis là, regardez-moi », ce sont des vraies amitiés qui se créent et des vrais liens, par exemple, sur mon téléphone portable, avec Signal, l’app que j’utilise pour envoyer des messages.
Isabella Vanni : Signal est un service de messagerie sécurisée, en grande partie libre, je ne suis pas une experte, la plupart des composants sont libres même si ça reste centralisé.
Elena Rossini : Quand je regarde mes chats récents, il y a beaucoup de personnes que j’ai connues sur le fediverse, nous sommes vraiment devenues amies et ça fait plaisir.
Isabella Vanni : Très bien. On a parlé de choses tristes et dures, mais il y a aussi du positif.
Je pense que c’est le bon moment pour faire une petite pause musicale. C’est toi, comme je le disais tout à l’heure, qui a choisi les trois titres que nous allons diffuser aujourd’hui, merci de t’être pliée à cet exercice. Je ne t’avais pas encore introduite quand on a passé la première pause. Veux-tu dire un mot sur le premier morceau qu’on a écouté ? Pourquoi l’as-tu choisi ?
Elena Rossini : J’ai été inspirée par les titres mais aussi par les messages qui passent dans les paroles des morceaux que j’ai choisis. Comment dit-on empowerment qui est un peu, pour moi, le fil conducteur ?
Isabella Vanni : Je demande l’aide des personnes qui nous suivent sur le salon de webchat, je sais pas trop comment on pourrait traduire empowerment en français, j’espère que c’est compréhensible pour l’auditoire. Si quelqu’un me donne la bonne traduction, l’équivalent, je la dirai.
Est-ce que tu étais à l’aise ? Est-ce que tu connaissais déjà des musiques sous licence libre ? Est-ce que c’est une notion que tu connaissais déjà ou c’est grâce à l’April ?
Elena Rossini : Tout ce qui est Creative Commons, bien sûr, parce que, par exemple, j’ai mis en licence libre le film que j’ai fait sur le fediverse, mais aussi les photos que j’ai créées pour le fediverse.
Isabella Vanni : C’est le moment de rappeler que les Creative Commons sont des licences à géométrie variable. Elles sont toutes de libre diffusion, vous pouvez prendre l’œuvre en soi et la rediffuser. Après, il y en a qui ont des clauses, par exemple on ne peut pas utiliser l’œuvre dans des contextes commerciaux ou bien sa modification est interdite. Il y a des licences Creative Commons qui donnent beaucoup plus de libertés, qui accordent toutes les libertés aux utilisateurs et utilisatrices, dans ces cas-là on peut parler de licences libres. Pour rappel, comme l’April promeut le logiciel libre et la culture libre, on met un point d’honneur à ne diffuser que des musiques sous licence libre.
On me répond qu’il n’y a pas vraiment d’équivalent simple, en français, d’empowerment, il y a deux suggestions, empouvoirement ou encapacitation, merci Étienne. J’espère qu’on a compris, en gros c’est donner du pouvoir.
C’est l’heure maintenant d’écouter le deuxième titre choisi par Elena Rossini. Il s’appelle Human vs Machine, par Ehma. On se retrouve dans environ deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Human vs Machine, par Ehma.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous voilà de retour. Nous venons d’écouter Human vs Machine, par Ehma, disponible sous licence Creative Commons, CC By SA 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Comme indiqué plus tôt dans l’émission, c’est Elena Rossini qui a choisi les titres pour les pauses musicales d’aujourd’hui. La dernière sera diffusée seulement après ton interview, mais tu m’as dit que tu vas peut-être rester jusqu’à la fin, tu auras donc le plaisir de l’écouter aussi dans l’émission.
Julie, depuis la régie, me demande très justement où tu as trouvé ces musiques. C’est l’occasion pour moi de vous dire qu’on a constitué une base de données avec toutes les musiques libres diffusées dans Libre à vous !, que vous pouvez retrouver sur notre site libreavous.org. Pour vous faciliter la vie, je vais remettre le lien pour que vous les trouviez plus rapidement. Il y a aussi une base de données dans laquelle on met les titres qu’on n’a pas forcément diffusés, dans laquelle piocher pour, éventuellement, trouver de nouveaux titres pour les pauses musicales, et à laquelle vous pouvez contribuer en nous écrivant tout simplement à bonjour chez libreavous.org. Vous pouvez nous suggérer des musiques sous licence libre que vous n’avez pas encore entendues et qu’il vous plairait d’écouter à la radio et, bien évidemment, la seule condition c’est que ce soit sous licence libre.
Très important, Elena, tu m’as demandé de diffuser les trois titres dans un ordre précis, souhaites-tu en dévoiler les raisons ?
Elena Rossini : Ça me semblait assez logique, comme un parcours. Pardon, j’ai oublié comment on dit empowerment en français.
Isabella Vanni : Il y a une belle suggestion de mon collègue Fred, c’est l’« accroissement du pouvoir d’agir ».
Elena Rossini : Exactement. Donc, ça faisait un peu un fil conducteur. Dans mon travail, je traite beaucoup de sujets de pouvoir, comment on prend le pouvoir, qui détient le pouvoir. Je trouve cela toujours très important. C’est à cause de cela que j’ai voulu mettre les titres dans cet ordre.
Isabella Vanni : Très bien. On a parlé du fediverse, du réseau du fediverse qui est permis par le protocole ActivityPub. Est-ce que ta vision d’Internet a évolué ? Tu étais enthousiaste, au départ, quand tu utilisais Twitter, quand Internet a permis de lever les fonds pour ton premier projet important, ce documentaire dont on a parlé, puis il y a eu un moment de désarroi avec l’achat de Twitter par Elon Musk. Est-ce que c’est un endroit qui s’est transformé, qui a évolué dans une dissidence ? Est-ce que tu restes positive malgré tout ? Comment ça a évolué pour toi ?
Elena Rossini : Je reste positive parce que j’ai découvert le Libre.
Isabella Vanni : C’est beau ! C’est tellement beau de dire ça dans Libre à vous !
Elena Rossini : Je reste positive sur le Libre et j’espère vraiment, c’est ma mission, pouvoir convaincre mes amis et mes contacts à abandonner les réseaux sociaux centralisés, mais aussi les outils que tout le monde utilise, qui sont centralisés. En fait, j’ai fait tout un parcours depuis la découverte du fediverse. J’ai abandonné beaucoup d’outils que j’utilisais dans mon travail mais aussi dans ma vie de tous les jours. Des exemples pour faire comprendre : j’ai abandonné ma vie sur Google, je suis passé à Proton.
Isabella Vanni : On parle de la messagerie Gmail.
Elena Rossini : Oui. Google Mail, Calendar, Google Drive aussi.
Isabella Vanni : Google Drive c’est pour stocker les fichiers sur le cloud. On rappelle que le nuage c’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre. C’est important de le rappeler.
Elena Rossini : Exactement. J’avais aussi, comme beaucoup de collègues, un compte sur Dropbox que j’utilisais pour partager tous mes fichiers, toutes mes vidéos avec mes clients. L’année dernière, j’ai décidé que Dropbox c’est fini. J’avais à peu près deux térabytes, comment dit-on en français, j’avais énormément de données et j’ai dit « je veux clôturer tout ça et passer vraiment à l’auto-hébergement ».
Isabella Vanni : Téraoctets.
Elena Rossini : J’apprends beaucoup de choses aujourd’hui, très bien !
Isabella Vanni : Tu es une adepte du fediverse, même fan du fediverse, mais aussi une adepte de l’auto-hébergement. Pourquoi faire ce choix si radical, j’ai envie de dire ? Il n’y avait pas d’instance en laquelle tu aies confiance ?
Elena Rossini : Ce n’est pas ça. Quand j’ai commencé à écrire des articles sur le fediverse, j’ai créé un blog. L’année dernière, en juin 2024, j’étais frustrée par le fait que le fediverse est utilisé par une minorité de personnes, est vu comme quelque chose de très technique, j’ai décidé de créer un blog pour pouvoir créer une espèce de bridge, de pont entre les gens qui sont très techniques et mes amis, mes contacts, qui n’ont pas forcément des connaissances techniques. Je voulais créer ce pont pour faire comprendre ce qu’est le fediverse avec un langage simple, qui puisse convaincre des personnes à l’essayer. Sur le blog, j’ai commencé à faire des articles sur les tests que je faisais, des explorations de logiciels.
Isabella Vanni : Tu as raconté un peu ton retour d’expérience, en partie au moins.
Elena Rossini : Oui et j’ai commencé à être suivie par beaucoup de développeurs qui m’ont dit « Elena, vas-y, tu peux t’auto-héberger ! ». Ça me semblait vraiment inatteignable, impossible.
Isabella Vanni : C’est donc la communauté de tes amis du fediverse qui te l’a suggéré, parce qu’ils ont vu que tu étais finalement à l’aise avec les outils et que tu t’amusais. Ils t’ont dit « fais aussi ça, tant qu’à faire ! »
Elena Rossini : Exactement. Il y a eu l’élection de Trump en novembre 2024. J’ai publié un article intitulé The rebellion will be federated, « La rébellion sera fédérée ». Je m’engageais, sur les quatre ans à venir, à me rebeller contre tous les milliardaires de la Silicon Valley, les GAFAM qui ont créé cette situation.
Isabella Vanni : Quatre années, un peu comme les quatre années du mandat présidentiel, c’est choisi pour ça. OK.
Elena Rossini : Exactement. J’avais besoin d’avoir une distraction. Je me suis demandé « qu’est-ce qui peut me distraire ? » Quelque chose de très difficile à faire, pourquoi pas, je vais me lancer, je vais essayer l’auto-hébergement. Un de mes followers m’a dit : « YunoHost est très facile même pour quelqu’un qui n’a pas de connaissances techniques, tu peux l’essayer. » Peu de temps avant l’investiture de Trump, en décembre 2024, j’ai acheté un VPS à cinq euros par mois, un serveur virtuel, parce que la connexion internet que j’ai à la maison n’est pas du tout fiable. J’aurais pu utiliser un Raspberry Pi ou un serveur à la maison.
Isabella Vanni : Un Raspberry Pi est micro-ordinateur qui permet de faire énormément de choses.
Elena Rossini : J’ai décidé d’utiliser un serveur virtuel parce que ça coûte l’équivalent d’un ou deux cafés par mois, comme cela j’avais la garantie que ce serait stable. J’ai regardé sur PeerTube des tutoriaux sur la façon d’installer YunoHost.
Isabella Vanni : PeerTube est l’équivalent libre de YouTube. À nouveau c’est un logiciel libre, n’importe qui ayant les compétences peut l’installer sur son serveur, faire une instance, ça sert à partager des vidéos.
Elena Rossini : Je suis tombée sur une vidéo, en français, de quelqu’un qui disait « c’est tellement facile que même un enfant pourrait le faire ! ». Je me suis donc dit « OK, vas-y, je vais essayer. »
Isabella Vanni : C’était donc dans un esprit de défi. Je réponds au défi. C’est vrai ? Même un enfant peut le faire ?
Elena Rossini : Isabella, j’ai chronométré.
Isabella Vanni : La précision !
Elena Rossini : Je voulais savoir combien de temps il faut pour installer YunoHost sur un serveur virtuel et, en fait, c’est même pas cinq minutes !
Isabella Vanni : Waouh ! C’est une belle pub pour YunoHost. D’ailleurs, je vous rappelle qu’on a déjà eu l’occasion de parler d’auto-hébergement, donc de YunoHost, à l’occasion de Libre à vous ! du 8 juin 2021, il y a quelques années déjà, et vous retrouvez le lien dans les références. Tu as donc mis cinq minutes !
Elena Rossini : Cinq minutes ! Après, j’ai mis à peu près trois ou quatre jours avec DNS, en français je ne sais pas comment dire. C’est la propagation des données.
Isabella Vanni : Domain Name System, les noms de domaine. Merci à Julie de me donner l’acronyme en anglais.
Elena Rossini : Merci Julie. Après c’était super facile. En fait, on m’a conseillé d’installer, comme un premier service auto-hébergé, GoToSocial, qui est un peu comme Mastodon mais beaucoup plus léger.
Isabella Vanni : Avec une mise en page vraiment hyper sobre, réduite à l’essentiel
Elena Rossini : Exactement, réduite à l’essentiel, mais avec énormément de possibilités de personnalisation : le nombre de caractères qu’on peut utiliser, combien de photos on peut publier, etc., on peut même uploader, téléverser des émojis.
Isabella Vanni : Des émoticônes.
Elena Rossini : Pardon !
Isabella Vanni : Désolée. Ce n’est pas pour t’ennuyer, je suis aussi passée par là !
Elena Rossini : J’ai fait ça et ça s’est super bien passé. C’est drôle parce que, au bout de trois semaines, j’ai commencé à m’ennuyer, je me disais « j’ai besoin d’un nouveau défi. » Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai installé mon serveur Pixelfed qui est l’alternative du fediverse à Instagram.
Isabella Vanni : Donc pour partager des photos.
Elena Rossini : Exactement, pour partager des photos. J’avais déjà un compte Pixelfed sur l’instance officielle, pixelfed.social, et j’ai voulu avoir ma propre instance, encore une fois pour avoir ce sentiment de pouvoir et de maîtrise de mes propres données.
Isabella Vanni : Je trouve ton histoire avec Mastodon et le fediverse en général intéressante. Tu as mis en évidence le fait que tu es finalement propriétaire de tes contenus, tu peux amener avec toi les personnes qui veulent changer d’instance et, en plus, la communauté t’a aidée, t’a encouragée, t’a sensibilisée, t’a donné des astuces. C’est autre chose et ça vaut le coup de le mettre en avant.
Elena Rossini : Complètement. C’est magique. Quand j’avais des petits soucis, que je n’arrivais pas à faire quelque chose, il me suffisait de publier un toot sur Mastodon ou sur GoToSocial et j’avais la réponse quasiment dans l’immédiat. Si j’ai un problème, je le poste et au bout d’une minute j’ai la solution. C’est incroyable !
Isabella Vanni : On en avait parlé à l’occasion d’un Parcours libriste en septembre de l’année dernière, il y a pile un an. Une personne, la Reine des elfes, qu’on adore à l’April, avait connu l’informatique finalement très tard, après ses 40 ans. Elle a découvert le Libre, aujourd’hui elle est accompagnatrice numérique, et elle a tout appris sur le tas grâce à son incroyable curiosité et à l’aide des personnes sur Mastodon. Comme toi, pareil, elle posait des questions et elle a appris grâce aux autres. Je trouve que c’est une belle métaphore de ce qu’est le Libre, la façon dont le logiciel libre favorise cette entraide, cette envie de partager les compétences, les connaissances. En gros, tout ce qu’on aime.
Elena Rossini : C’est marrant parce que, quand j’ai écrit l’article en novembre 2024, peu après les élections, je me suis mis comme objectif de pouvoir m’auto-héberger au bout des quatre ans du mandat de Trump et, en fait, c’est arrivé deux mois après. Tout le parcours a été ultra rapide, j’ai vraiment été aidée par beaucoup de personnes de la communauté du fediverse. Du coup, là maintenant, le dire me semble presque incroyable, ça fait seulement neuf mois que je fais de l’auto-hébergement. J’ai ma propre instance GoToSocial pour le microblogging, Pixelfed pour les photos, PeerTube pour les vidéos. J’ai un Nextcloud qui est un peu une alternative à Dropbox, Google Drive, pour stocker les données, les fichiers, etc. Et je vais peut-être aussi créer une instance Sharkey parce que j’adore Sharkey.
Isabella Vanni : On ne connaît pas Sharkey, moi je ne connais pas. C’est quoi ?
Elena Rossini : Personnellement, je trouve que Sharkey est le logiciel du fediverse, logiciel social, qui a la plus belle interface, le plus beau design de tout le fediverse.
Isabella Vanni : Ça sert à partager quoi ?
Elena Rossini : En fait, c’est l’équivalent de Mastodon pour le microblogging.
Isabella Vanni : D’accord. C’est autre un microblogging.
Elena Rossini : Exactement et c’est très joli.
Isabella Vanni : Ils ont donc fait un effort supplémentaire sur la partie design.
Elena Rossini : En fait, ça vient de Misskey, un logiciel japonais du fediverse, qui a créé toutes les caractéristiques visuelles. Sharkey est un fork, on peut dire fork, fourchette.
Isabella Vanni : Continue de dire fork, on connaît. Le code est libre, donc si des personnes veulent faire prendre une autre route au logiciel, elles peuvent prendre le code et développer une chose à côté. C’est un petit peu comme des branches qui poussent.
Elena Rossini : Exactement. Sharkey est une branche de Misskey. La valeur ajoutée est qu’il est compatible, avec l’API [Interface de programmation], avec le code de Mastodon. C’est-à-dire qu’avec des applications mobiles mais aussi avec des plateformes web qui sont compatibles avec Mastodon, on peut se connecter avec son nom d’utilisateur et son mot de passe de Sharkey et on peut les utiliser parce que c’est compatible avec Mastodon.
Isabella Vanni : D’ailleurs, tu as fait un article de blog sur Sharkey, bien évidemment, comme tu racontes toute ton expérience, c’est documenté. Vous pouvez donc aller lire cet article qui est en anglais, mais, si vous n’êtes pas à l’aise avec la langue, je crois que sur Mozilla Firefox il y a éventuellement la possibilité de traduire automatiquement. Sinon c’est l’occasion.
Elena Rossini : Vivaldi aussi.
Isabella Vanni : Tu as décidé de vivre en France. Comment fais-tu pour la langue ?
Elena Rossini : Je continue à écrire en anglais pour avoir un public plus large. Je n’ai jamais étudié formellement le français, ma grammaire française n’est donc pas terrible.
Isabella Vanni : Tu te sens donc plus à l’aise à l’oral mais pas forcément à l’écrit.
Une autre chose toujours très importante à rappeler quand on parle de parcours libriste : il y a mille et une façons de contribuer au Libre. Une de ces façons, bien évidemment si vous avez les compétences, c’est de développer du code. Il y a la traduction, donc, si des personnes sont intéressées à traduire tes articles, pourquoi pas, levez la main, nous sommes preneurs et preneuses. On peut aussi sensibiliser, c’est aussi une contribution fondamentale au Libre et c’est ce que tu es en train d’essayer de faire. J’aimerais savoir comment ça se passe depuis que tu as commencé. Est-ce que c’est facile, est-ce que tu as trouvé les arguments, est-ce que des amis, des proches te suivent, est-ce qu’il y a encore des réticences ? Où en es-tu ? Parce que c’est toute une réflexion, ce n’est pas évident de sensibiliser au logiciel libre, une fois qu’on est dedans on est tellement bien ! La façon de s’y prendre n’est pas forcément évidente, il y a des arguments qui marchent plus ou moins bien en fonction de la personne qu’on a en face.
Elena Rossini : C’est vrai. Sur le blog, j’ai publié des articles deux ou trois fois par mois pendant huit mois et je n’arrivais pas vraiment à convertir les personnes dans ma vie personnelle.
Isabella Vanni : Où est-ce que ça bloquait ? L’habitude ?
Elena Rossini : Je pense que c’est l’habitude. C’est intéressant. Quand il y a eu la menace que TikTok soit interdit aux États-Unis, beaucoup de TikTok Refugees, comme on les appelait, sont venus dans le fediverse. Une femme qui s’appelle, si je me souviens bien, Anne-Marie, a fait une vidéo sur le fediverse pour expliquer ce que c’est, une vidéo de même pas une minute. Quand je l’ai regardée, j’ai eu un moment d’extase. Waouh ! Elle a réussi à expliquer ça en moins d’une minute, elle l’a fait super bien, beaucoup mieux que tous mes articles qui demandent dix minutes de lecture. Là, j’ai pensé que moi aussi je pourrais essayer de faire des vidéos, peut-être un petit peu plus longues, plus structurées, pour expliquer ce qu’est le fediverse. C’est pour cela que j’ai créé cette vidéo que j’ai mise en ligne en juin de cette année.
Isabella Vanni : Que nous vous invitons à partager, d’autant plus que c’est sous licence libre, c’est donc fait pour !
Elena Rossini : C’est fait pour ! Mon désir c’était de pouvoir l’utiliser comme instrument pour convaincre des personnes de ma vie privée à rejoindre le fediverse. Isabella, je n’ai pas beaucoup de succès. C’est-à-dire que quand j’arrive à convaincre quelqu’un, il reste peut-être une semaine au maximum.
Isabella Vanni : C’est déjà ça, ça veut dire qu’il teste. Je trouve que c’est déjà pas mal !
Elena Rossini : J’ai une seule copine qui y est restée depuis deux ans.
Isabella Vanni : Bravo !
Elena Rossini : Une Italienne, Simona.
Isabella Vanni : On en profite pour la saluer.
Je vois que le temps file, il nous reste un peu plus de deux minutes. Comment souhaites-tu utiliser ces deux minutes finales, est-ce que tu veux parler d’un projet ? Est-ce que tu veux en profiter pour rappeler ce qui est important pour toi, ce qu’il faut retenir de cet entretien ? Ce sont tes deux minutes, tu en fais ce que tu veux.
Elena Rossini : Je veux juste reprendre quelque chose que tu as dit tout à l’heure, Isabella : « Dans le Libre, tout le monde pour contribuer. » C’est quelque chose que j’ai vu, que j’ai vécu, parce que je suis photographe et réalisatrice. J’étais tombée sur un article qui parlait du fediverse, publié par le magazine Forbes, aux États-Unis. La photo qui accompagnait l’article était une main qui tenait un téléphone portable sur lequel il y avait tous les icônes de X, Facebook, Instagram, TikTok, etc., un article sur le fediverse ! J’ai dit non, c’est pas possible ! J’ai décidé de prendre mon appareil photo, de créer les icônes, les mettre dans un dossier et les prendre en photo. Ça m’a pris 30 minutes. J’ai publié la photo sur Mastodon pour demander des avis. Quelqu’un m’a aidé à améliorer un petit peu le graphisme. Je l’avais mise sur Unsplash, on m’a conseillé de la mettre en licence libre sur Wikimedia. Elle a été utilisée et téléchargée des milliers de fois et, sur Wikipédia, elle accompagne la page officielle du fediverse.
Isabella Vanni : Waouh ! C’est génial. Je n’avais pas remarqué.
Elena Rossini : Ça m’a pris 30 minutes. Même pas ! Donc chacun peut faire quelque chose, on a tous des talents. Les deux minutes qui me restent c’est pour encourager les personnes à contribuer au Libre avec leurs propres talents.
Isabella Vanni : Ça me parait la parfaite conclusion. J’ai été ravie de t’avoir sur notre plateau, Elena Rossini. Merci beaucoup à toi et bon courage pour tes prochains projets de sensibilisation, tes découvertes du Libre et à bientôt sur ton blog, sur ton site et sur ton profil Mastodon.
Elena Rossini : Merci.
Isabella Vanni : Nous allons maintenant faire une pause musicale et je rappelle que la troisième pause musicale a été aussi choisie par Elena.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Nous allons écouter Burn the Whole Thing Down, par Momma Swift. On se retrouve dans un peu moins de trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Burn the Whole Thing Down, par Momma Swift.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Burn the Whole Thing Down, par Momma Swift, disponible sous licence libre Creative Commons, CC By 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni de l’April. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » d’Antanak. Rediffusion de la chronique diffusée dans l’émission Libre à vous ! du 10 juin 2025
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec la chronique d’Antanak « Que libérer d’autre que du logiciel ». Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées et mises en acte et en pratique au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.
Je rappelle que le site d’Antanak est antanak.com, avec un « k », et qu’il s’agit d’une association voisine : le studio de Cause Commune est au 22 rue Bernard Dimey à Paris 18e et Antanak est au 18 de la même rue.
La chronique d’aujourd’hui est une rediffusion de la chronique diffusée dans l’émission Libre à vous ! du 10 juin 2025. Je vous propose donc d’écouter ce sujet et on se retrouve juste après.
[Virgule sonore]
Étienne Gonnu : « Que libérer d’autre que du logiciel ». Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées mises en acte et en pratique au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.
Salut Isabelle.
Isabelle Carrère : Salut. Bonjour à tout le monde. Salut tous et toutes.
Oui, en effet Étienne, en ce moment, trouver quoi libérer d’autre que du logiciel, puisque telle est notre quête ici dans cette chronique, est hélas assez facile, non ? Je m’explique. Il y a tant d’éléments autour du numérique qui se referment, qui se montrent de plus en plus sous leur vrai jour, c’est-à-dire comme étant à la main des pouvoirs et non pas des capacités, des autoritarismes et non pas des partages, du fric et non pas de l’entraide, que, du coup, on ne peut que chercher à s’en libérer. Ce ne sont pas les sujets qui manquent !
Enfin, ce que plusieurs disent depuis longtemps est enfin partagé par beaucoup, en tout cas par plus de monde.
Enfin, ce que nous combattons à Antanak est mieux compris, peut-être mieux évalué, même si du chemin reste encore à faire. Mais il faut être prudent, prudente, parce que, quand les gens ont peur, en général ils et elles font des choses imbéciles.
En tout cas, voilà les grands sujets débattus en ce moment à Antanak que je voulais évoquer avec vous et certains sont redondants avec ce dont on va parler ensuite dans le Café libre, je ne m’étendrai donc pas dessus.
D’abord liberté du matériel, à propos, donc, des ordinateurs dont les gens ou les institutions, les collectifs, se débarrassent à cause de l’évolution des systèmes d’exploitation. Vous savez ici, et les auditeurices habitués le savent eux aussi, qu’à Antanak c’est un de nos premiers sujets de combat. Tous les jours, on est content, contente, quand on arrive à faire fonctionner un ordinateur, fixe ou portable, avec l’une des merveilleuses distributions sous GNU/Linux. On continue tous les jours d’installer du Debian, bien sûr, MX Linux en XFCE ou KDE, Linux Mint, Kubuntu qui est très belle sous Plasma désormais dans sa nouvelle version, Xubuntu qui a pas mal de pilotes utiles pour les périphériques de certains vieux postes, j’en passe.
Et voilà qu’on apprend que les flics vont jeter, se débarrasser de 18 746 ordinateurs, c’est précis, qui leur appartiennent, à eux, la direction générale de la police, plus 4846 postes de la préfecture de Paris. Tout ça pourquoi ? Pourquoi 23 600 postes largués ? Parce que les flics continuent d’utiliser Microsoft comme OS et que ces postes ne supportent pas le passage à la version 11 de Windows. Les gendarmes, eux, se sont débarrassés de cette accoutumance à Microsoft depuis maintenant 2009. Mais que fait la police ! Dans Le Canard enchaîné, j’ai lu que les budgets de la police nationale sont de 7,1 millions d’euros rien que pour les licences Microsoft et on raconte qu’on cherche à faire des économies !
Voilà que 15 millions d’euros vont être dépensés pour remplacer ces 23 592 postes et qu’il a été également renouvelé, dans un silence médiatique assez profond, la dépendance à Microsoft à l’Éducation nationale, pour quatre ans à nouveau ! Je n’ai pas entendu beaucoup de gens protester là-dessus !
On pourrait rigoler si c’était une farce, mais, ça ne semble pas en être une ! On continue donc, comme si de rien n’était, non seulement à promouvoir ici, sur le continent d’Europe, les façons de faire et les prises abusives de pouvoir de sociétés capitalistes, on continue à promouvoir le numérique, potentiellement fasciste, qui nous vient tout droit des choix d’Amérique du Nord ! On accepte donc que les entreprises de la tech et les libertariens continuent de donner les règles du jeu, les règles de vie pour l’humanité entière !
Ça me donne le second sujet de libération possible : libérer les pratiques à propos de la sécurité des données personnelles et du choix des contenus.
Beaucoup de personnes qui viennent à Antanak, y compris pour qu’on les aide à faire leurs démarches administratives, ont des téléphones, des ordiphones, et ces appareils-là ne sont pas libérés du tout. Il y fleurit des habitudes d’utilisation de Google, de Facebook, d’Instagram qui sont préinstallés ou simples à installer, de WhatsApp pour appeler à l’étranger parce que c’est moins cher, et on peut le comprendre. Et quand on discute avec elles et eux de ce qu’on trouve dans ces outils, dans ces applications, et des règles qui y sont désormais de mise, c’est assez compliqué : comment continuer d’utiliser des applications qui ont décidé désormais de laisser passer les insultes, les agressions et tous les propos racistes, sexistes, homophobes, transphobes, etc. ? C’est une affaire de conscience politique et pas simplement « ne t’inquiète pas, moi je ne regarde pas ces contenus ! ». Quand on les utilise, on n’est évidemment pas à l’abri d’être la proie de ces entreprises mangeuses de données, d’informations de toute nature, non plus que de ne pas recevoir des informations qui n’en sont pas, mais qui sont de la propagande, on le voit tous les jours.
Sauf que ce n’est pas du tout évident de faire lâcher ces habitudes-là et de voir comment elles et eux pourraient utiliser, mais aussi faire utiliser à leurs familles, loin d’elles, Signal, par exemple, ou d’autres outils. La tâche est rude ! Elle est d’autant plus rude que quand on met dans la main d’enfants, de jeunes, des outils tellement alléchants, qui manient la récompense et la facilité en permanence, que combattre ces modèles, c’est grave dur !
Et mon troisième thème de libération du jour sera libérer les associations. Les carcans se resserrent également autour des associations. J’en ai parlé dernièrement, dans la chronique du 8 avril dernier. Je retraçais les discussions et les échanges qui avaient eu lieu lors d’une rencontre avec le Conseil national des associations. Vous pouvez, chères auditeurices, retrouver ces chroniques dans la très belle page que met en œuvre et maintient l’April, dans le site libreavous.org, en podcast audio et même en transcription et c’est assez génial et fort utile quand on veut se resservir d’un contenu qui se trouve là, tout rédigé. Merci encore, j’en profite puisque j’ai le micro, merci aux équipes de l’April là-dessus, merci Marie-Odile et les autres.
Donc libérer les associations, oui il faut s’en préoccuper parce que ça devient de plus en plus compliqué de ne pas se faire embarquer dans des plateformes, des présences numériques quasi obligées sur les outils institutionnels, mais avec des démarches ou des informations qu’on n’a pas spécialement envie de donner sans plus de maîtrise sur l’utilisation qui en sera faite. J’aurais plein d’histoires à raconter sur ce thème et Antanak est obligée, depuis peu, de ne pas répondre à telle ou telle demande de subvention, parce que de plus en plus nombreuses sont les institutions qui demandent en parallèle à se conformer à des remplissages de données en ligne ou de répondre exactement à des attentes de contrôle, des actions, voire des personnes qu’elles appellent « vos publics » ! J’ai horreur de cette formule, qui est pourtant reprise partout, y compris, parfois, par des associations elles-mêmes. « Donnez-nous des informations précises sur vos publics : qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Quel âge ? Quel statut ? Quel genre ? » et non pas, comme jusqu’à présent, sous forme anonyme et pour des statistiques, on l’a toujours fait, c’est légitime de dire à quoi on utilise les fonds publics. Non ! Là, on nous demande des données qui sont beaucoup plus personnelles.
Ou bien on nous prend pour des petites mains. On nous demande de venir faire, à la place de tel ou tel service institutionnel, des accompagnements aux personnes pour qu’elles utilisent leurs outils. Récemment, un bailleur social est venu vers nous, parce qu’il venait de mettre une application pour des charges locatives, pour nous demander de former les gens à s’en servir, comme si cela faisait partie d’une démarche administrative nouvelle, que nous, en tant qu’écrivain numérique public, nous devions bien évidemment prendre en charge.
Bref ! Les associations sont souvent aux prises de modalités et de fonctionnements que certaines grosses associations sont d’accord pour avoir, du coup nous autres, les plus petites, serions comme obligées de faire pareil ? En fait, celles-là sont comme des entreprises, ce ne sont pas vraiment des associations. D’association elles ont le nom, peut-être la souplesse théorique, mais pas beaucoup plus.
Par contre, nous sommes très contents que plusieurs nouvelles associations, avec tout ce qui se passe là actuellement autour du numérique, viennent vers nous pour échanger sur ces sujets et/ou prendre des ordinateurs libérés.
Je vais m’en tenir là pour aujourd’hui et ne pas déborder sur le Café !
Étienne Gonnu : Merci Isabelle pour cette nouvelle chronique et puis aussi de continuer à libérer d’autres choses que du logiciel.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’écouter la rediffusion d’une chronique diffusée dans Libre à vous ! du 10 juin 2025.
Nous approchons de la fin de l’émission et nous allons terminer par quelques annonces
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Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre
Isabella Vanni : L’April vient de lancer l’opération Adieu Windows, bonjour le Libre !, pour vous aider à libérer vos pratiques informatiques. Le 14 octobre approche, c’est la date initialement choisie par Microsoft pour la fin des mises à jour gratuites de Windows. Sous la pression de la pétition lancée par l’association HOP, Halte à l’Obsolescence Programmée, l’entreprise américaine aurait prolongé les mises à jour gratuites d’un an mais en imposant de nouvelles contraintes. Alors pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour se débarrasser de Windows et passer à un système libre.
La radio Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey dans le 18e. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu le 3 octobre
Une rencontre April aura lieu le samedi 4 octobre 2025 dans nos locaux, à Paris, à partir de 19 heures. Occasion d’échanger entre membres et soutiens de l’April et aussi d’accueillir de nouvelles personnes intéressées par nos actions.
Comme de coutume, vous pouvez consulter l’Agenda du Libre pour trouver d’autres événements en lien avec logiciel libre et la culture libre près de chez vous.
Notre émission se termine.
Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Florence Chabanois, Elena Rossini, Isabelle Carrère de l’association Antanak.
Aux manettes de la région aujourd’hui, Julie Chaumard.
Merci également aux personnes, bénévoles à l’April, qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci aussi aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux, Théocrite et Tunui, bénévoles à l’April, et mon collègue Frédéric Couchet.
Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/256, toutes les références utiles de l’émission de ce jour ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm, ou dans les notes de l’épisode si vous nous écoutez un podcast.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration.
Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse bonjour chez libreavous.org.
Peut-être que vous préférez parler. Dans ce cas, vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, le numéro du répondeur est le 09 72 51 55 46.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître la radio cause commune la voix des possibles.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 7 octobre 2025, à 15 heures 30, avec un nouvel épisode de Au café libre, débat autour de l’actualité du logiciel libre et des libertés informatiques, avec notre équipe d’experts et expertes de choc.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 7 octobre et d’ici là, portez-vous bien.
Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.