Conférence de Richard Stallman à l’ENST de Paris

Conférence de Richard Stallman à l'ENST de Paris

Conférence de Richard Stallman le 03 avril 2007 à l’ENST de Paris

Conférence sur les logiciels libres de Richard Stallman (RMS) enregistrée le 03 avril 2007 à Paris dans les locaux de l’ENST. Richard Stallman est le créateur du système GNU et de la licence GPL entre autres choses. Bien qu’américain, il a tenu à s’exprimer en français.

Le fichier complet de la conférence : RMS03042007.theora.ogg (216 Mo) au format Ogg/Theora

La version audio seule est disponible ici : RMS03042007.ogg (69 Mo) au format Ogg/Vorbis

Transcription

Ceux qui ne m’entendent pas, levez la main. Ceux qui ne comprennent pas le français, levez la main.
Que veut dire le "Logiciel Libre" ?
Je peux expliquer le Logiciel Libre en 3 mots : liberté, égalité, fraternité. Trois principes que le gouvernement actuel de la France ne respecte plus !
Donc "Liberté" parce que tous les utilisateurs disposent des mêmes libertés, ils sont libres de faire toutes les choses utiles et éthiques avec le logiciel qu’ils utilisent. "Égalité" parce que tous les utilisateurs disposent des même libertés et "Fraternité" parce que nous encourageons la coopération entre les utilisateurs tandis que le logiciel privateur, le logiciel non libre, interdit la coopération.
Le logiciel privateur s’appelle comme ça parce que ses programmes privent les utilisateurs de leur liberté, ils maintiennent les utilisateurs dans un état de division et d’impuissance. "Division" parce qu’on leur interdit de le partager avec les autres et "Impuissance" parce que les utilisateurs ne disposent pas du code source , ne peuvent pas le changer, ne peuvent pas même vérifier indépendamment ce que fait le programme. Mais le Logiciel Libre respecte la liberté des utilisateurs. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il faut le définir plus spécifiquement : un programme est libre si l’utilisateur a les 4 libertés essentielles :
* la liberté 0, c’est la liberté de faire tourner le programme comme tu veux.
* la liberté numéro 1, c’est la liberté d’étudier le code source du programme et de le changer pour qu’il fasse ce que tu veux.
* la liberté numéro 2, c’est la liberté d’aider le voisin, c’est la liberté de diffuser des copies exactes du programme comme tu veux.
* et la liberté numéro 3, c’est la liberté de contribuer à la communauté, la liberté de diffuser des copies de tes versions modifiées quand tu veux.

Chaque liberté est une liberté, pas une obligation : tu n’es jamais obligé d’appliquer n’importe laquelle de ces 4 libertés mais tu peux le faire quand tu veux.
Si un programme respecte ces 4 libertés utilisateur c’est un programme libre c’est à dire que le système social de la distribution et de l’utilisation du programme est éthique.
Mais si une de ces libertés manque, le programme est privateur, c’est-à-dire que le système social de son utilisation et distribution n’est pas éthique et ce programme ne doit pas être distribué, pas comme ça.
Parce que ce n’est pas une question de code du programme, c’est pas une question technique, c’est une question de système social dans lequel le programme s’utilise.
Mais pourquoi ces 4 libertés sont essentielles ? Pourquoi définir le Logiciel Libre ainsi ?
La liberté numéro 2 est essentielle pour des raisons fondamentales éthiques pour pouvoir vivre une vie éthique comme un membre d’une communauté. Si tu utilises un programme sans la liberté numéro 2, tu es en danger de tomber dans un dilemme moral à n’importe quel moment quand ton ami te demande une copie du programme. Donc à ce moment, tu seras obligé de choisir entre deux maux :

  • Le premier est de lui donner une copie et rompre la licence du programme.
  • L’autre est de publier une copie et obéir à la licence du programme.
    Donc étant dans le dilemme, tu devrais choisir le moindre mal, ou le moins mauvais choix, qui est de lui donner une copie et rompre la licence du programme.
    Pourquoi ce choix est-il le "moins mauvais" parce que nous pouvons supposer que ton ami est un bon ami et il mérite normalement ta coopération.
    Parce que dans l’autre cas c’est facile, on lui dit « Pourquoi voudrais-je t’aider ? » donc il reste l’autre cas, le cas d’un bon ami. Mais le développeur du programme privateur aura attaqué délibérément la solidarité sociale de ta communauté donc si tu ne peux pas éviter de faire mal à quelqu’un, il vaut mieux que ce soit au coupable mais choisir le moindre mal n’est pas bon. Il n’est jamais bon d’être d’accord et rompre l’accord. Il y a des accords malveillants et les rompre est meilleur que de leur obéir. Mais, même dans un tel cas, faire un accord et le rompre n’est pas bon.
    Et si tu lui donnes une copie qu’est-ce qu’il aura ? Il aura une copie non autorisée d’un programme privateur. Ce qui est assez mauvais : c’est presqu’aussi mauvais qu’une copie autorisée. Ayant bien compris ce dilemme, qu’est-ce que tu devrais faire ? Éviter de tomber dans le dilemme. Et comment ? Il y a deux manières possibles :
    * La première est de ne pas avoir d’amis. C’est la manière proposée par les développeurs de programmes privateurs.
    * L’autre manière possible, c’est de rejeter les programmes privateurs, ne pas les avoir. Si tu n’a pas de copie de programme privateur, la possibilité de donner ou faire une copie n’existe pas. Donc pas de problème. Et c’est ma solution. Si quelqu’un m’offre un programme sous la condition de promettre de ne pas le partager avec vous, je ne l’accepte pas. Ma conscience m’oblige à le rejeter. C’est la liberté numéro 2 : la liberté d’aider le voisin, la liberté de diffuser des copies exactes du programme quand tu veux.
    La liberté 0 est essentielle pour une autre raison, pour avoir le contrôle de ta "computation" (NdT : ton utilisation/traitement informatique). Il y a des programmes privateurs qui restreignent même l’utilisation des copies autorisées. Par exemple, ils filtrent ceux qui peuvent les utiliser, dans quel ordinateur, à quelles fins et évidemment ce n’est pas avoir le contrôle de ta "computation".
    La liberté 0 est donc essentielle mais ne suffit pas parce que c’est seulement la liberté de faire ou ne pas faire ce que le développeur a déjà décidé d’écrire dans le programme. Donc le développeur a toujours le contrôle de ta "computation" mais il exerce ce contrôle par la décision de ne plus fournir le code.
    Donc il faut aussi la liberté numéro 1 : la liberté d’étudier le code source et de le changer pour que le programme fasse ce que tu veux. Comme ça tu décides et pas lui. Si tu utilises un programme sans la liberté numéro 1, tu n’as même pas la possibilité de vérifier ce que fait le programme. Beaucoup de programmes privateurs contiennent des fonctionnalités malveillantes. Pas conçues pour servir l’utilisateur mais pour le surveiller, le restreindre, parfois même pour l’attaquer. Par exemple les fonctionnalités de surveillance assez communes : un programme privateur qui fait de la surveillance d’utilisateur, que tu connais peut-être de nom, s’appelle Microsoft Windows. Quand l’utilisateur de Windows utilise les fonctionnalités dans le menu pour chercher un mot dans les fichiers, Windows envoit un message à Microsoft disant quel mot a été cherché. Donc c’est une fonctionnalité de surveillance mais il y en a une autre : quand Windows XP demande une actualisation, il envoit la liste de tous les programmes installés dans la machine. Autre fonctionnalité de surveillance. Peut-être qu’il y en a d’autres parce que Microsoft ne nous a pas dit qu’il y avait ces fonctionnalités néfastes, il fallait de l’investigation pour les découvrir et peut-être que d’autres restent à découvrir.
    Mais la surveillance n’est pas limitée à Windows, parce que Windows Media Player l’a fait aussi. Il rapporte tous les sites que l’utilisateur regarde. Mais il ne faut pas penser que Microsoft soit le seul à le faire parce que Real Player fait la même chose. Et je suppose que Real Player l’a fait le premier parce que généralement Microsoft imite !
    Et beaucoup de programmes privateurs font de la surveillance d’utilisateurs mais les fonctionnalités malveillantes ne se limitent pas à la surveillance, il y a aussi la fonctionnalité de ne pas fonctionner. Quand le programme te dit « Je ne veux pas te montrer ce fichier, je ne veux pas te permettre de copier une portion de ce fichier, je ne veux pas imprimer ce fichier pour toi parce que je ne t’aime pas ».
    Je ne parle pas des erreurs, c’est une fonctionnalité implémentée délibérément, la fonctionnalité de ne pas fonctionner pour toi, qui s’appelle aussi la gestion numérique de restriction ou selon l’abréviation anglaise DRM. Et en français ça s’appelle aussi les menottes numériques. Par exemple Windows Vista était fait pour imposer plus de menottes numériques. C’est son but, presque son unique but. Une grande avancée dans les menottes numérique, on peut trouver des informations, davantage dans le site [Badvista.org] si vous lisez l’anglais.
    Et plus généralement la fondation du Logiciel Libre a monté une campagne de manifestations contre les menottes numériques qui se trouvent sur le site [Defectivebydesign.org]. Tu peux t’inscrire sur le site et participer aux manifestations. Il y a eu beaucoup de réactions de la presse. Cette campagne a été efficace mais nous n’avons pas encore gagné. Nous avons besoin de votre participation.
    Mais les fonctionnalités malveillantes ne se limitent pas aux menottes numériques, il y a aussi les portes dérobées, les fonctionnalités malveillantes pour attaquer l’utilisateur. Un programme privateur qui contient une porte dérobée, que peut-être tu connais de nom, il s’appelle Microsoft Windows. Parce que quand l’utilisateur de Windows et je dit pas « tu » parce que tu n’utiliserais pas un tel programme ! Quand l’utilisateur de Windows voit que Windows demande une actualisation, Microsoft connait plus ou moins l’identité de l’utilisateur et donc peut lui livrer une actualisation spécifique pour lui. C’est-à-dire que Microsoft a la possibilité de prendre le contrôle complet de son ordinateur et l’utilisateur n’a presque pas de recours dans ce cas. C’est la porte dérobée connue selon des faits reconnus.
    Est-ce qu’il y en a d’autres ? Il y a quelques années en Inde, on m’a dit qu’ils ont arrêté des développeurs qui travaillaient dans le développement de Microsoft Windows en les accusant de travailler également pour al quaïda, essayant d’introduire une autre porte dérobée que Microsoft ne devrait pas connaitre. Il parait que cet essai n’a pas réussi. Mais est-ce qu’il y en avait une autre ? Nous ne pouvons pas le vérifier mais on sait que en 1999, quelqu’un a découvert que Microsoft avait introduit une autre porte dérobée pour l’utilisation d’une autre organisation terroriste et violente : le gouvernement des États-Unis.
    Et je viens d’entendre que l’on a découvert des portes dérobées dans Vista spécifiquement pour le gouvernement des États-Unis mais je n’ai pas vu les détails. On voit donc que dans n’importe quel programme privateur sans la liberté numéro 1, il peut y avoir des fonctionnalités malveillantes cachées donc chaque programme privateur sans la liberté numéro 1 exige une foi aveugle de l’utilisateur et n’a pas la possibilité de la justifier. Chaque programme privateur, sans la liberté numéro 1, est un programme « faites moi une confiance complète sans rien savoir ».
    Je suppose qu’il y a des programmes privateurs sans fonctionnalités malveillantes mais on ne peut pas savoir lesquels. Il y a des programmes privateurs dans lesquels on connaît des fonctionnalités malveillantes et des programmes privateurs dans lesquels on ne les connait pas. Mais on ne peut jamais être certain qu’un programme ne contienne pas de fonctionnalités malveillantes sans pouvoir le vérifier. Ceci exige la liberté numéro 1. Mais même sans pouvoir identifier les programmes privateurs qui n’ont pas de fonctionnalités malveillantes, nous pouvons supposer qu’il y en a beaucoup. Mais les développeurs sont humains donc ils font des erreurs. Donc le code de ces programmes contient des erreurs et l’utilisateur d’un programme sans la liberté numéro 1 est aussi impuissant face à une erreur accidentelle que face à une fonctionnalité malveillante délibérée. Si tu utilises un programme sans la liberté numéro 1, tu es prisonnier de ton logiciel.
    Nous les développeurs de programmes libres sommes également humains. Nous faisons également des erreurs, notre code aussi contient des erreurs. La différence c’est que quand tu trouves une erreur dans notre code, tu as la possibilité de la corriger. Nous ne pouvons pas nous rendre parfait mais nous pouvons respecter ta liberté. Et voici la différence.
    Mais la liberté numéro 1 ne suffit pas parce qu’il y a des millions d’utilisateurs d’ordinateurs qui ne savent pas programmer, qui ne sont pas capables d’utiliser directement la liberté numéro 1 parce que c’est la liberté d’étudier personnellement et changer personnellement le code source du programme.
    Mais même pour les programmeurs comme moi, la liberté numéro 1 ne suffit pas parce qu’il y a trop de logiciels dans le monde, il y a trop de logiciels libres pour qu’une personne puisse étudier le code source de tout et écrire personnellement tous les changements qu’il voudrait. Donc pour avoir vraiment le contrôle de notre propre "computation", il faut aussi la liberté numéro 3, la liberté d’aider, de contribuer à la communauté c’est-à-dire la liberté de diffuser des copies de tes versions modifiées quand tu veux.
    Avec cette liberté nous pouvons travailler ensemble en coopération pour faire les changements que nous désirons. Par exemple, s’il y a un million d’utilisateurs qui désirent un changement dans un programme libre, on peut supposer que, parmi eux, il y aura quelques milliers qui savent programmer et un jour quelques-uns d’entre eux feront ce changement et ils publieront leur version modifiée et tout le million pourra l’utiliser sans l’avoir écrite, sans savoir l’écrire. Il suffit de l’adopter. Et si tout le monde préfère ce changement, l’adopter se fera sans effort parce qu’après quelques temps, toutes les versions actuelles contiendront ce changement.
    Comme ça nous voyons que tous les utilisateurs reçoivent les bienfaits des 4 libertés. Les libertés 0 et 2, la liberté d’utiliser le programme comme tu veux et la liberté de diffuser des copies exactes du programme comme tu veux, n’importe quel utilisateur peut les appliquer parce que ces actions n’exigent pas la programmation.
    Les libertés 1 et 3 exigent de la programmation, la liberté d’étudier et changer le code source et publier la version ainsi modifiée, exige la programmation donc chaque utilisateur peut appliquer ces libertés jusqu’au point qu’il sache programmer mais quand les programmeurs le font, les résultats sont disponibles pour tous et comme ça tous les utilisateurs ont les bienfaits et ces 4 libertés ensemble nous fournissent la démocratie. Un programme libre se développe démocratiquement sous le contrôle des utilisateurs et personne n’a de pouvoir sur les autres tandis que le programme privateur se développe toujours sous le contrôle de son développeur et impose le pouvoir de son développeur aux utilisateurs. Mais supposons qu’il y ait mille utilisateurs qui désirent quelques changements dans un programme libre et que personnes parmi eux ne sait programmer. Néanmoins, ils peuvent appliquer les 4 libertés pour avoir le changement qu’ils désirent. Ils peuvent se mettre en contact et créer une organisation ou chacun doit payer pour être membre et comme ça l’organisation aura de l’argent pour payer des programmeurs pour écrire les changements désirés.
    Donc c’est un moyen d’appliquer les 4 libertés pour ceux qui ne savent pas programmer. Mais pour le faire l’organisation devra choisir des programmeurs. L’organisation devra demander à un groupe de programmeurs « est-ce que vous pourrez le faire, quand ? Combien coûte-t-il ? Prière de nous montrer votre porte-feuille pour juger de votre capacité et après l’organisation peut poser les mêmes questions aux autres et enfin choisir.
    Et cet exemple nous montre que le logiciel libre apporte avec lui un marché libre pour toutes les formes de services et supports.
    Pour le logiciel privateur, le support est normalement un monopole parce que seul le développeur possède le code source, seul lui peut effectuer n’importe quel changement. Si l’utilisateur souhaite un changement, il doit prier le développeur omnipotent de faire ce changement. Parfois le développeur dit à l’utilisateur : « payez-nous pour écouter votre problème » et si l’utilisateur le fait, le développeur lui dit « dans 6 mois il y aura une actualisation, achetez-là et vous verrez si nous aurons corrigé votre problème et quel problème nouveau nous vous fournirons ». Mais avec le Logiciel Libre n’importe qui, qui possède une copie, peut étudier le code source, se faire mettre du code et offrir du support. Et comme ça, toutes les entreprises et toutes les organisations qui valorisent beaucoup les bons supports doivent exiger l’utilisation du Logiciel Libre. Pour pouvoir acheter leur support dans un marché libre avec de la concurrence.
    Cela nous mène à un paradoxe parce que normalement quand il y a un choix de produits pour faire quelque chose, nous disons qu’il n’y a pas de monopole. Mais s’il y a un choix entre 2 produits privateurs, oui, il y a un monopole. Parce que l’utilisateur qui choisit ce produit privateur tombe après dans ce monopole de support mais s’il choisit ce produit privateur il tombe dans cet autre monopole de support donc c’est un choix entre monopoles. Mais la seule manière de s’échapper du monopole et de s’échapper du logiciel privateur, c’est de s’échapper vers le monde libre, vers le monde du Logiciel Libre.
    Et c’est ça le but du mouvement du Logiciel Libre, que tout le monde s’échappe du logiciel privateur, que tout le monde utilise ses ordinateurs en liberté. Nous avons construit un nouveau continent dans le cyberespace. C’est le monde libre parce qu’il n’est pas possible d’être libre dans le vieux monde du cyberespace où chaque programme a son seigneur qui domine tous les utilisateurs. Pour être libre, il faut s’échapper, il faut migrer vers le monde libre et pour être un continent virtuel, il y a de l’espace pour tout le monde. Et parce qu’il n’y a pas de peuple indigène dans le cyberespace nous ne devrions pas les déplacer, nous pouvons inviter tout le monde à vivre en liberté avec nous. Et notre travail de développement de Logiciel Libre est un travail pour faciliter ta migration vers le monde libre.
    Il y a 24 ans, s’échapper du logiciel privateur t’obligeait à développer un système d’exploitation. Maintenant, nous l’avons déjà fait, c’est beaucoup plus facile. Maintenant ce n’est pas dur, c’est un peu incommode donc pas besoin d’être un héros pour le faire. Mais, par contre, ne pas le faire est le signe d’être très servile, d’être lâche.
    Ce paradoxe du choix entre monopoles est un exemple d’un principe très important. La liberté est quelque chose de beaucoup plus grand que d’avoir le choix entre quelques options fixes. La liberté c’est avoir le contrôle de ta propre vie. Donc quand quelqu’un essaye d’analyser scientifiquement la liberté, s’il veut démontrer que la liberté n’est pas très importante, il peut commencer par dire que la liberté veut dire la liberté d’élection, c’est-à-dire le choix entre quelque options fixes. Donc il a jeté la plupart des libertés et gardé une petite portion et comme ça il est très facile de démontrer que cette petite portion n’est pas très importante. Mais maintenant tu sais reconnaître l’erreur. Avoir le choix entre programmes privateurs c’est pouvoir choisir ton maître. La liberté c’est de ne pas avoir de maître et dans le domaine informatique, la liberté c’est de ne pas utiliser des programmes privateurs.
    Je suis arrivé plus ou moins à cette conclusion en 1983 et je voulais pouvoir utiliser les ordinateurs en liberté. Mais comment ? C’était impossible à l’époque parce que tous les systèmes d’exploitation étaient privateurs. Que faire ? Je ne supposais pas que j’avais la possibilité de convaincre les gouvernements de changer leurs lois ni convaincre les entreprises de changer leurs pratiques. Mais je savais faire très bien une chose : programmer du logiciel surtout le logiciel du système d’exploitation. Donc je connaissais la possibilité de résoudre ce problème social avec un travail technique de développement de système d’exploitation. Si je ne pouvais pas libérer les systèmes existants, je pouvais en développer un autre et le libérer étant l’auteur. Donc j’avais reconnu que j’étais conscient de graves problèmes sociaux que les autres ne reconnaissaient pas comme problème social. J’avais la capacité d’essayer de le corriger et probablement personne d’autre ne le ferait si ce n’était pas moi. Donc j’avais été élu par les circonstances pour faire ce travail. C’est comme si tu vois quelqu’un en train de se noyer, tu sais nager et il n’y a personne d’autres et les babouches. Tu as le devoir moral de le sauver.
    Non j’exagère, il y en d’autres dans le gouvernement des États-Unis qui ne le méritent pas et peut être aussi dans le gouvernement de la France. Je crois que son nom commence par S. On me dit qu’il s’appelle le caniche de bush donc il est un "politichien", un "petit politichien". Mais de toutes manières, je ne sais pas nager. Mais dans ce cas, le travail à faire n’était pas de nager mais c’était de développer beaucoup de programmes et ça je savais bien le faire donc j’ai décidé de développer un système d’exploitation libre où mourir en essayant. De vieillesse, je suppose. Parce qu’à l’époque, le mouvement de Logiciel Libre que j’étais en train de lancer n’avait pas d’ennemis actifs parce qu’il y en avait beaucoup qui n’étaient pas d’accord et ils disaient « c’est idiot » et ils ne faisaient plus attention. Donc l’obstacle n’était pas l’opposition active mais plutôt un tas de programmes à développer pour avoir un système d’exploitation et personne ne savait à l’époque si un jour nous pourrions terminer ce travail mais quand il s’agit de lutter pour la liberté, on ne peut pas attendre jusqu’à ce que la victoire soit proche. Parce qu’attendre trop, c’est perdre la plupart des opportunités. Donc il faut commencer quand on ne sait pas si on va gagner ou pas.
    Mais pour ça, parfois, la liberté gagne. Cette décision fondamentale m’a amené à d’autres décisions techniques. Quel genre de système doit-il être ? J’ai décidé de développer un système compatible avec Unix parce que Unix était un système portable. Je voulais développer un système portable capable de fonctionner sur beaucoup d’architectures d’ordinateurs et aussi la compatibilité pourrait faciliter la migration des utilisateurs Unix. J’ai donc donné le nom GNU qui veut dire « GNU N’est pas Unix » G.N.U Ou en anglais « Gnu’s Not Unix », un acronyme récursif. Parce que c’est une manière de reconnaître techniquement la contribution d’Unix mais, en même temps, une manière de dire que ce système n’est pas Unix. Ce qui est très important parce qu’Unix était un système privateur et est toujours un système privateur. Grâce au fait qu’il ne soit pas Unix le système GNU peut être libre.
    Donc j’ai commencé le développement du système GNU en 1984 et pendant le reste des années 80, le travail du projet GNU était le développement de beaucoup de composants du système parce que dans un système semblable à Unix, à l’époque, il y avait une centaine de composants.
    Dans les années 90 nous avions presque tous les composants nécessaires pour un système minimal sauf un composant, le noyau. Le noyau, c’est le composant qui fournit les ressources de la machine aux autres programmes. Nous avions commencé le développement du noyau en 1990 mais ce noyau ne fonctionnait pas. J’ai choisi une architecture pour pouvoir le terminer plus vite. J’ai choisi l’utilisation d’un micro noyau qui existait déjà qui s’appelait mach comme base. Et comme ça, nous devrions utiliser la moitié supérieur du noyau donc moins de travail. Aussi nous aurions la possibilité de développer ce programme en espace utilisateur donc il serait possible de les debugger avec un débuggeur symbolique normal et donc j’ai supposé que tout irait très vite. Mais ce noyau fonctionnait mais pas assez bien pour le recommander.
    Mais, nous ne devions pas attendre longtemps car en 1991, un étudiant finlandais, Linus Torvalds a développé son propre noyau en utilisant la conception usuelle monolithique et ce noyau a fonctionné au niveau minimal en moins d’une année. Au commencement, ce noyau Linux n’était pas libre mais en 92 le développeur a changé la licence du programme utilisant la Licence Publique Générale de GNU ou GNU GPL qui est une des licences du Logiciel Libre.
    Avec cette licence, Linux était libre et la combinaison du système presque complet GNU et le noyau Linux était un système complet et libre, le système GNU et Linux. Le développement du noyau Linux était une contribution importante à la communauté du Logiciel Libre parce que c’était l’ultime part qui a permis de franchir la ligne finale. Avant nous avions beaucoup de composants qui pouvaient s’utiliser sur d’autres systèmes mais des systèmes privateurs. Après, nous avons eu un système entier capable d’être installé dans un PC libre. Et pour la première fois il était possible d’utiliser un PC en liberté. Le but du projet GNU a été achevé. Donc ce programme était une contribution très importante mais en même temps l’utilisation de ce noyau Linux a déclenché une confusion.
    Beaucoup pensent que Linux est le système entier et ils oublient le système GNU. Donc cette erreur s’étend et beaucoup la croient et comme ça ils ne reconnaissent pas le grand travaille du projet GNU qui a commencé presqu’une décennie avant. Mais à part ne pas nous reconnaitre, il y a quelque chose de pire parce que ne pas nous reconnaitre est ne pas reconnaitre le rôle des motifs des droits de l’homme dans le développement de ce système. Parce que Mr Torvalds, le développeur du noyau Linux n’était jamais d’accord avec notre philosophie de liberté, égalité, fraternité. Il valorise les buts pratiques de l’ingénieur. Il désire utiliser des programmes flexibles, fiables, efficients et il dit que la liberté n’est pas le but. Il a droit à ses opinions mais ce n’est pas juste que notre travail couvre ses opinions et pas les nôtres. Et c’est pire qu’injuste parce que c’est dangereux, parce que ceux qui ne valorisent pas leur liberté sont toujours en danger de la perdre.
    La liberté est souvent menacée et le peuple qui ne défend pas sa liberté peut la perdre facilement. On peut regarder par exemple aux États-Unis où nos élus nous ont privés de la liberté au nom de nous protéger des autres ennemis secondaires. Et même en France, on a perdu beaucoup de libertés dans les dernières années. Donc il faut défendre la liberté, mais pour défendre la liberté il faut valoriser la liberté. Et pour valoriser la liberté il faut la reconnaitre dans les autres choses de la vie. On parle des droits de l’homme depuis des siècles et le débat sur les questions des droits de l’homme a duré des siècles. Il y a eu des siècles pour éduquer les gens à reconnaître les idées des droits de l’homme. Ça ne suffit pas pour toujours rendre facile les droits de l’homme mais c’est au moins une base pour commencer.
    Mais l’informatique c’est un domaine nouveau dans la vie. Ça ne fait que 15 ans que, même dans les pays les plus riches, la majorité des humains utilisent l’informatique. Très peu de temps pour poser la question des droits de l’homme, des utilisateurs de logiciels. Et ce débat a toujours été dominé par les entreprises de logiciels privateurs qui ont beaucoup d’influence dans les médias, qui ont presque totalement dominé ce débat. De manière que même entre les utilisateurs du système GNU/Linux la grande majorité n’ont jamais écouté ces idées. Quelqu’un leur a proposé d’utiliser ce système parce que c’est efficient, c’est commode, c’est "confiable" (dans lequel on a confiance) et on peut l’avoir à bon marché. Mais personne ne leur a dit qu’avec ce système on peut avoir la liberté, l’égalité et la fraternité. Ils ne font pas la connexion entre les 2. Et à cause de cette confusion d’appeler le système entier comme Linux, quand ces utilisateurs du système GNU voient des articles sur la philosophie du Logiciel Libre associée au projet GNU, ils se disent pourquoi y faire attention ? Cet article parle de GNU et moi je suis utilisateur de Linux. Quel ironie ! Ils sont des utilisateurs du système GNU avec Linux comme noyau et s’ils le savaient, ils feraient plus attention. Donc je vous prie d’appeler le système GNU/Linux et pas Linux tout court. Il faut une seconde pour dire « GNU et » ou GNU/, une seconde pour le taper. Dans une seconde, il n’y a pas la possibilité d’expliquer la philosophie du Logiciel Libre, il faut peut-être 10 minutes au moins. Mais en une seconde, tu peux préparer les autres à recevoir la philosophie du Logiciel Libre en les informant qu’ils sont les utilisateurs du système GNU et plus tard quand ils trouvent des articles du projet GNU sur la liberté, ils se diront « Ah c’est un article sur la philosophie du projet GNU et moi je suis utilisateur de GNU et Linux, je dois y faire attention ». Donc nous aurons plus de probabilités de les convaincre.
    Maintenant, il n’y a plus de doute parce que nous l’avons fait en grande mesure mais maintenant le doute n’est plus de savoir si nous sommes capable de le faire mais plutôt s’ils nous permettront de le faire, si les états nous permettront de servir le public.
    ’’un portable sonne’’
    Si vous avez un instrument portable de surveillance prière de l’éteindre, ils savent déjà que tu es ici et s’il veut écouter mon discours, je suppose qu’il y a des enregistrements d’autres discours dans le réseau disponibles publiquement.
    Donc, il y a le problème des dispositifs physiques à spécifications secrètes. Il y a des fabricants de dispositifs qui vendent leurs produits, ils voudraient te vendre leur produit mais ne te disent pas comment ils s’utilisent. Le mode d’emploi est secret. Ca me parait déjà injuste, ça ne doit pas être toléré mais ça se fait dans quelques domaines. Il est très difficile d’écrire un programme libre pour utiliser ce dispositif sans avoir les spécifications. Et qu’est-ce que nous pourrions faire ? Quelques uns pourront faire de l’ingénierie inverse pour découvrir comment utiliser ce dispositif.
    Et tous les utilisateurs, nous pouvons utiliser notre puissance du marché, nous pourrions lui dire à cette entreprise que « nous n’allons pas acheter vos produits avant qu’ils ne respectent notre liberté. Vous devez publier les spécifications de manière à ce que nous puissions écrire des programmes, des pilotes libres » mais nous ne le faisons pas parce que la grande majorité des utilisateurs ne reconnaissent pas le besoin de le faire, nous ne sommes pas organisés pour le faire et c’est pas faute de connaissance de la liberté et des questions de la liberté.
    Et cette faiblesse se reconnait aussi dans l’utilisation d’une autre expression, au lieu de dire Logiciel Libre, beaucoup disent « open source » ou « code ouvert ». Pourquoi ? Pour ne pas mentionner les droits de l’homme parce que dans les années 90, il y avait une portion de la communauté qui ne valorisait pas la liberté, qui ne voulait pas promouvoir ces valeurs donc ils ont cherché un autre nom à utiliser, ils ont choisi open source et ils ont commencé à parler d’open source avec un autre discours qui ne mentionnaient pas les droits de l’homme. Au lieu de liberté, égalité, fraternité, ils disaient rentabilité, efficacité, fiabilité.
    Eux ils disent qu’ils proposent un modèle de développement c’est-à-dire un modèle technique de pratique de développement du logiciel. Et ce modèle permet aux utilisateurs de regarder le code source, le changer et le diffuser mais seulement pour but d’avoir un programme techniquement meilleur. Et je crois que c’est bon d’avoir un programme techniquement meilleur mais c’est une question secondaire, pas aussi importante que les droits de l’homme. Mais eux, ils ne veulent pas mentionner les droits de l’homme parce que parmi eux, il y a des entreprises qui développent aussi du logiciel privateur, elles ne veulent pas dire aux clients potentiels qu’il y a quelque chose d’immoral dans le logiciel privateur. Donc ils ne présentent pas la question du point de vue éthique, seulement au plan pratique et parfois ils convainquent les gens d’utiliser les programmes libres, même à développer des programmes libres. Il y a des programmes libres importants développés par des gens de l’opinion open source et ces programmes sont très utiles, je respecte leur contribution technique à la communauté. Mais sans valoriser la liberté, nous allons perdre la liberté. Et maintenant cette faiblesse se voit partout dans notre communauté. Ceux qui connaissent la question de la liberté sont très peu et donc les débutants du Logiciel Libre n’ont même pas la possibilité d’écouter cette idée. Ils tombent dans le camp d’« open source » sans savoir qu’il y en a un autre et comme ça notre communauté reste faible. Nous ne savons pas utiliser notre force, même notre force de marché. Et il y a aussi des lois qui interdisent le Logiciel Libre. Aux États-Unis il y en a 2. Il y a le DMCA qui était l’inspiration du ’’’ ???’’’ qui interdit la distribution des programmes libres pour l’accès aux œuvres publiées dans un format crypté, comme par exemple les DVD.
    Il y a des programmes libres pour les lire mais la distribution de tels programmes aux États-Unis est interdite. Mais maintenant en France, la seule possession d’une copie est interdite. Et c’est pour ça que je n’ai pas de copie de ce programme et que je n’achète pas de DVDs. Si tu n’as pas les moyens de rompre les menottes numériques il ne faut pas acheter le produit donc si tu veux utiliser ce programme libre pour regarder les DVD, tu peux acheter les DVD. Si tu n’as pas ce programme, tu ne dois pas acheter les DVD. Et je suppose que ne pas les acheter est meilleur dans presque tous les cas parce que ces œuvres sont mauvaises. Presque toujours.
    Quand les États-Unis ont un problème, ils ne cherchent pas à le corriger mais plutôt à l’étendre au reste du monde et c’est comme ça qu’il y a ’’’ ???’’’. Mais ce n’est pas la seule loi capable aux États-Unis d’interdire un programme libre parce que ces lois s’appliquent à un secteur étroit du logiciel, seulement les programmes d’accès aux œuvres cryptées. Mais d’autres lois sont capables d’interdire n’importe quel programme libre et aussi n’importe quel programme privateur, c’est la loi des brevets.
    Aux États-Unis n’importe quelle méthode technique, fonctionnalité ou même une idée partielle d’une fonctionnalité peut être interdite par un brevet pour 20 ans. Mais développer un grand programme est un travail de combinaison de milliers d’idées. Si tu regardes ton programme de traitement de texte, tu peux voir des centaines de fonctionnalités mais dans une fonctionnalité il peut y avoir beaucoup d’idées différentes qui peuvent se voir dans la fonctionnalité et chaque idée peut être brevetée séparément. Donc il peut y avoir des milliers d’idées implémentées dans un programme et le grand travail d’implémentation d’un grand programme est d’implémenter la combinaison de beaucoup d’idées ensemble. Mais quand chaque idée peut être brevetée par quelqu’un, celui qui développe un grand programme s’expose à beaucoup de demandes, c’est dégueulasse. Donc il faut rejeter les brevets informatiques. Et c’est une grande lutte que nous avons fait pendant 10 ans. L’organisation principale qui le fait est la FFII. La FFII a gagnée 3 fois mais ces grandes entreprises poursuivent sans cesse leur but, et donc on sait qu’elles essayeront de nouveau. On a jamais achevé la défense de la liberté, il faut toujours la faire.
    Bon, je veux traiter quelques thèmes secondaires.
    Le premier:le Logiciel Libre et l’emploi.
    Quelques uns prévoient une catastrophe de l’emploi dans le secteur informatique avec le Logiciel Libre mais c’est idiot parce que la programmation n’est qu’une petite fraction du secteur informatique et dans la programmation, le développement des programmes privateurs n’est qu’une petite fraction. La grande majorité du développement payé du logiciel est le développement des programmes sur mesure. Et ce négoce ne va pas changer parce que l’entreprise qui veut que quelqu’un développe un programme à sa mesure cette année devra payer. Même dans un monde où tout le logiciel est libre, personne ne le fera sans être payé. Donc cet emploi ne changera pas. Juste cette petite fraction de petite fraction d’emploi du monde des programmes privateurs peut se perdre mais ça ne veut pas dire que nous perdrons de l’emploi avec cette migration à la liberté parce que le Logiciel Libre génère aussi du travail. Il y a un an, je suis venu à Paris pour un congrès, ils m’ont dit que les entreprises de Logiciel Libre en France avaient 10 000 employés. Je suppose que maintenant il y en a plus mais je n’ai pas de données plus récentes. De toutes manières, l’emploi du Logiciel Libre se trouve dans l’adaptation et l’extension des programmes libres parce que c’est possible dans le Logiciel Libre ! Mais dans le logiciel privateur c’est impossible, on a pas la possibilité d’adapter une idée ni d’étendre un programme privateur, le code source est secret. Dans le Logiciel Libre il y a cette possibilité et les clients veulent le faire. Donc il y a une petite fraction à perdre et beaucoup d’emplois gagnés. Je ne suis pas économiste, je ne sais pas estimer les quantités. Nous pouvons perdre un peu d’emploi, nous pouvons gagner un peu d’emploi mais ce qui se voit c’est qu’il n’y a rien à craindre.
    L’autre thème secondaire c’est le Logiciel Libre et l’éducation. Les écoles de tous les niveaux doivent enseigner uniquement le Logiciel Libre. Il y a 4 raisons.
    La raison la plus superficielle, c’est de faire des économies. Les écoles n’ont pas assez d’argent donc elles sont limitées par leur budget, elles ne doivent pas perdre de l’argent en payant l’utilisation des programmes privateurs. C’est une raison évidente mais pas profonde. Et quelques entreprises de logiciels privateurs ont pour pratique d’éliminer cette raison en donnant des copies gratuites des programmes pas libres aux écoles. Et pourquoi ? Parce qu’ils sont idéalistes et veulent promouvoir l’éducation ? Je ne le crois pas. C’est parce qu’elles veulent que les écoles enseignent l’utilisation de leurs produits de manière à ce que les élèves, après avoir été diplômés aient une dépendance permanente à ces produits. Donc c’est comme utiliser l’école comme un outil pour imposer de la dépendance, pour imposer une addiction.
    Ils donnent la première dose de la drogue dans l’école de manière à ce que l’élève addict en ait besoin après. Et je trouve que ce n’est pas juste. L’école a une mission sociale. L’école doit former les citoyens à participer à une société libre. Donc les écoles doivent enseigner uniquement l’utilisation des programmes libres et pas l’utilisation des programmes privateurs.
    Mais il y a une autre raison plus profonde dans l’éducation pour la programmation. A l’âge de 13 ans, plus ou moins, quelques personnes qui sont des programmeurs nés veulent comprendre tous les détails du fonctionnement de l’ordinateur et du logiciel. S’ils utilisent un programme, ils veulent savoir comment il fonctionne mais quand l’élève demande au professeur comment fonctionne ce programme, ce programme est privateur, le professeur ne peut répondre que « je ne sais pas et tu ne peux pas le savoir parce que c’est un secret ». Il n’y a pas d’espace pour l’éducation. Mais avec un programme libre, le professeur peut lui expliquer jusqu’au point qu’il connaît, puis il peut lui dire « voici le code source, lis-le et tu comprendras tout » et il lira tout parce qu’il veut comprendre tout.
    Et chaque fois qu’il voit du code qu’il ne comprend pas, il peut apprendre quelque chose de très important, ce n’est pas la bonne manière de l’écrire. Parce qu’eux, ils n’ont pas besoin d’apprendre à programmer parce que pour eux c’est évident mais programmer bien, c’est autre chose. Pour apprendre à bien écrire le code, il faut lire beaucoup de code et écrire beaucoup de code. Mais seul le Logiciel Libre offre la possibilité de le faire.
    J’ai appris à bien écrire le code de cette même manière dans le laboratoire d’intelligence artificiel au MIT. Et je pouvais le faire parce que, dans ce laboratoire, il y avait un système d’exploitation libre et je pouvais participer au développement de ce système, c’est-à-dire lire beaucoup de programmes, de grands programmes réels, utilisés par les utilisateurs. Et écrire des changements, des fonctionnalités à ajouter à ces programmes et après l’avoir fait beaucoup de fois, j’ai appris à bien le faire.
    Maintenant, n’importe quelle école peut offrir la même opportunité mais seulement avec le Logiciel Libre. Mais il y a une raison plus profonde encore pour l’éducation morale parce que les écoles ont la mission sociale de ne pas enseigner seulement les faits, pas seulement les méthodes mais aussi la bonne volonté. L’habitude d’aider le voisin à être un bon citoyen dans une société. Chaque classe doit avoir une règle : « Élève, si tu apportes un programme à la classe tu ne dois pas le garder pour toi, tu dois le partager avec le reste de la classe ». L’école doit montrer le bon exemple. L’école doit suivre sa propre règle, l’école doit apporter uniquement le Logiciel Libre à la classe.
    Cette école-ci doit enseigner uniquement l’utilisation du Logiciel Libre et doit enseigner pourquoi le devoir d’un développeur de logiciels est de respecter les droits de l’homme des utilisateurs. C’est une école de l’état et respecter les droits de l’homme c’est la mission de l’état. Cette école-ci doit y participer.
    J’ai terminé, j’ai des autocollants à distribuer et j’ai aussi des pin’s et des porte-clefs à vendre mais d’abord je veux répondre aux questions.
    Personne du public
     : Où en est la version 3 de GPL ?
    RMS
     : Elle sortira dans 85 jours, c’est le plan parce qu’il y a plus ou moins 5 jours nous venons de publier notre brouillon et 60 jours plus tard, il y aura le brouillon final et 30 jours après, il y aura la licence finale, s’il n’y a pas de changement de plan.
    Personne du public
     : Quels sont les problèmes ?
    RMS
     : Je ne sais pas s’il y a des problèmes mais il y a quelques points où nous voulons écouter. Bien sûr nous pouvons faire des remarques sur n’importe quel article mais l’article où nous attendons peut-être des critiques, c’est dans le paragraphe qui essaie d’interdire d’autre combinaison, d’autre négoce comme ceux de Novel et Microsoft où une entreprise distribue sa version d’un programme sous la GPL en accord avec une autre entreprise détentrice de brevets logiciels qui donnent une licence de brevet au client de la première entreprise. La première entreprise paye l’autre pour ce privilège. C’est pour ça que c’est si dangereux, parce qu’un détenteur de brevet, comme par exemple Microsoft, peut utiliser ce négoce comme manière de rendre plus ou moins privateur pratiquement un programme sous la GPL. Et le but d’un programme sous GPL est d’assurer que chaque utilisateur reçoive les 4 libertés. La manière de l’assurer est d’interdire que l’intermédiaire ôte les libertés et distribue le code sans liberté. Donc pour écrire ce paragraphe nous devions distinguer ce négoce néfaste et d’autres sortes d’accords comme par exemple les licences croisées, normales et se rendre à un parasite de brevets. Donc nous ne voulons pas que les victimes de parasites de brevets tombent en violation de la GPL à cause d’avoir été attaquées. Donc il a fallut écrire des conditions pour les distinguer et nous pensons que nous l’avons bien fait mais il est difficile d’être certain donc nous attendons les réponses des entreprises.
    Personne du public
     : Je voudrais pas monopoliser la parole mais on a appris tout à l’heure que vous étiez à l’UNESCO avant de venir ici ?
    RMS
     : Oui mais c’était seulement une réunion, j’ai pas fait de discours.
    Personne du public
     : Mais la semaine dernière, Microsoft avait invité plus de 500 enseignants à l’UNESCO pour Innovative Teachers Forum.
    RMS
     : Ah, je suppose que c’est un essai d’utiliser l’UNESCO comme outil pour implanter la dépendance, l’addiction au logiciel privateur. Les institutions sociales et gouvernementales ne doivent pas participer à une telle action parce qu’elle vise à imposer le pouvoir privé sur la société.
    Personne du public
     : Quels sont les bénéfices de l’abandon de la propriété intellectuelle à part la bonne conscience ?
    RMS
     : L’expression « propriété intellectuelle » est une confusion parce que cette expression essaye de regrouper un tas de lois complètement différentes qui n’ont presque rien en commun. Donc il n’y a rien à dire intelligemment sur ce prétendu sujet. Parce que réellement, les droits d’auteur sont un sujet, les brevets sont un autre sujet, les marques sont un autre sujet et les sujets n’ont rien en commun. Donc je propose de ne rien faire avec la propriété intellectuelle, j’ai des opinions au sujet du droit d’auteur. J’ai d’autres opinions au sujet des brevets.
    Personne du public
     : Alors, au sujet des brevets.
    RMS
     : Il ne s’agit pas de les abandonner parce que je parle uniquement du domaine informatique, je ne dis rien au sujet des brevets dans les autres domaines, dans la plupart des domaines. Parce qu’il y a deux domaines où j’ai des opinions au sujets des brevets mais les problèmes sont complètements différents, les brevets posent des problèmes dans l’informatique, dans l’agriculture. C’est injuste envers les agriculteurs et dans la pharmaceutique. Mais ces trois problèmes ont des structures complètement différentes. Dans l’informatique, le problème c’est que breveter des idées empêchent la combinaison des idées ailleurs. Dans la pharmaceutique, le problème c’est que dans les pays pauvres, c’est le meurtre massif, on peut tuer des millions seulement pour le prix. Mais le problème des brevets informatiques n’est pas une question de prix donc deux problèmes complètement différents. Et dans l’agriculture c’est un problème d’interdiction de copie de plantes et d’animaux. Trois problèmes de structures différentes. Et dans beaucoup d’autres domaines, peut-être qu’il n’y a pas de problème, par exemple dans la fabrication des voitures, dans ce domaine, la question n’est qu’économique et je n’ai pas d’avis. Donc je ne propose pas d’abandonner les brevets, je propose de ne pas étendre les brevets à l’informatique.
    Personne du public
     : Alors, je vais formuler ma question autrement. Est-ce que le développeur est forcément un sacrifié ou est-ce qu’il peut gagner sa vie en étant un développeur libre ?
    RMS
     : Je suppose qu’il a déjà sa vie. Il s’agit, je suppose, de gagner de l’argent avec. Et je n’aime pas cette expression « gagner sa vie » parce que cette expression suppose qu’il va mourir s’il ne peut pas gagner de l’argent comme ça. Mais évidement il y a plus d’un million de volontaires qui développent du Logiciel Libre et ils ne meurent pas. Donc évidemment cette question n’a pas de sens mais il y en a assez qui gagnent de l’argent pour développer du Logiciel Libre. Et comme j’ai déjà dit, presque tout l’emploi payé dans le secteur informatique est indépendant de la question de logiciel privateur ou libre donc si vous ne trouvez pas de boulot dans le développement de logiciels libres, vous pouvez trouver un boulot de développement de logiciels sur mesure et vous pouvez développer du logiciel libre dans votre temps libre et comme ça vous ne faites rien de mal et vous pouvez développer du logiciel libre. Et peut-être qu’un jour vous trouverez un boulot de développement de logiciels libres mais ce n’est pas assuré. Mais ce n’est pas un problème. Si nous désirons avoir plus d’emplois payés de développement de logiciels libres, nous pouvons augmenter les subventions de l’état au développement de logiciels libres. Les états subventionnent une grande partie du développement du logiciel pourquoi pas le Logiciel Libre ?
    Personne du public
     : J’aimerais rajouter qu’en France, il y a une association de développeurs de Logiciel Libre par exemple le salon Solution Linux.
    RMS
     : Non c’est Solution GNU/Linux !
    Personne du public
     : C’est le nom !
    RMS
     : Oui mais c’est un nom éroné, il ne doit pas être répété.

    Donc pour répondre à cette question-là, il y a actuellement un secteur de services en informatique qui est parfaitement compatible avec la philosophie de Logiciel Libre et qui crée plus d’emplois et au contraire, par exemple il y a des gens qui soutiennent le Logiciel Libre pour cette raison-là, il y a eu un pôle de compétitivité de logiciels libres dont je fais partie d’ailleurs et effectivement ces sociétés de services contribuent plus à des emplois en France que les gens qui effectivement achètent des développements de logiciels privateurs qui sont d’ailleurs développés une partie au États-Unis ou bien de l’autre sourcing dans d’autres pays donc si on veut développer une informatique libre en France, effectivement le Logiciel Libre est la manière de développer des compétences.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.