Accessibilité numérique - C dans l’air brasse du vent - Radio Campus - RMLL2013

Titre :
Accessibilité numérique puis C dans l’air brasse du vent
Intervenants :
Jean-Philippe Mengual - François Revol - François Pellegrini, professeur des universités - Patrice Bertrand, Smile, CNLL - Anne Nicolas, Mageia - Jeanne Tadeusz, April - François Revol, Haïku - Luc Fievet - Gilles Gouget, Divergence Numérique
Lieu :
Bruxelles - Radio Campus
Date :
Juillet 2013
Durée :
55 min 50
Écouter l’enregistrement
Licence de la transcription :
Verbatim

Description

Retour sur les propos tenus dans l’émission C dans l’air du 2 juillet sur la surveillance par les services secrets des États-Unis. Eric Filiol, expert en sécurité, y dit qu’il n’y pas d’alternative facile à trouver aux éditeurs propriétaires américains. Alex Türk (ex pdt de la CNIL et sénateur) déclare qu’il n’existe pas d’alternative aux logiciels propriétaires.
En préambule de l’émission, la diffusion d’une interview de Jean-Philippe Mengual qui fait un rapide tour d’horizon de l’accessibilité des gestionnaires de bureaux sous GNU/Linux et l’évolution générale du contexte législatif.

Transcription

Gilles Gouget : Radio RMLL, c’est sur les ondes du nonante-deux point un de Radio Campus ici, à l’Université libre de Bruxelles, pour cette dernière journée des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre. On va retrouver dans un petit instant François Pellegrini, Patrice Bertrand, Anne Nicolas qui va nous rejoindre d’une façon ou d’une autre, Jeanne Tadeusz, René Revol et puis Luc qui est toujours là et qui m’accompagne.
Luc Fievet : François Revol.
François Revol : Ce n’est pas grave !
Gilles Gouget : Oui. C’est une faute de Languedocien ça, évidemment, puisque nous avons un René Revol dans le Languedoc figurez-vous, enfin ça c’est une autre histoire qu’on ne va pas aborder tout de suite. On parlait accessibilité, justement, eh bien Jean-Philippe avait un petit coup de gueule à dire ; on va écouter ça et après on attaquera notre plateau, on va dire bilan sociétal 2012, disons ça comme ça et puis actualité et contradictions et turpitudes autour du logiciel libre.

Entretien avec Jean-Philippe Mengual

Gilles Gouget : On est avec Jean-Philippe, bonjour.
Jean-Philippe Mengual : Bonjour.
Gilles Gouget : On n’a pas pu faire notre plateau accessibilité aujourd’hui en studio alors, comme on passe par là et qu’on y pense quand même, tu avais quelques trucs à dire par rapport à cette question de l’accessibilité qui est un des thèmes récurrents ; je ne sais pas si c’était là dès le départ aux RMLL. En ces temps où on parle beaucoup d’ergonomie et puis des distributions Linux qui commencent à être adoptées par beaucoup de gens, tu avais un coup de gueule, en quelque sorte, à pousser ?
Jean-Philippe Mengual : Oui. J’avais déjà plus ou moins commencé l’année dernière. J’avais expliqué qu’il y avait de forts risques que les mises à jour des interfaces graphiques et des différentes distributions majeures comme Debian ou Ubuntu soient inaccessibles, à partir du moment où elles interviendraient courant 2013 et fin 2012. Et c’est, grosso modo, ce qui s’est passé modulo quelques bonnes nouvelles. Typiquement, Ubuntu a quand même trouvé des interfaces à peu près accessibles, encore que si je me base sur les tests que j’ai récemment faits, Unity n’est pas capable, je n’ai pas trouvé comment éteindre le système avec l’interface graphique qu’il nous propose, donc je ne sais pas trop comment ça fonctionne.
On est dans la situation un petit peu que je craignais, encore un modulo parce qu’aujourd’hui, quand même, des choses se font. Gnome, qui est l’interface graphique qui était de base la seule mais la vraie accessible, évolue, ça se met à jour. Certes il y a encore beaucoup de travail et des bugs majeurs qui font que, auprès du grand public, c’est extrêmement difficile de faire passer le message. Pour autant, c’est vrai que ça progresse quelque peu et puis, ce qui personnellement me motive particulièrement ces derniers temps, c’est, d’une part, l’émergence d’environnements alternatifs, comme par exemple LXDE qui, aujourd’hui, fait un vrai effort pour devenir accessible et puis, d’autre part, quelques projets qui étaient un peu en berne, qui s’améliorent. Je pense en particulier à OpenOffice.org ou à LibreOffice, lesquels sont en train de devenir accessibles sous Windows, ce qui était une vraie limite jusqu’ici.
Gilles Gouget : Au niveau juridique, légal, etc., l’accessibilité, un point de vue, un bilan à faire depuis l’année dernière ?
Jean-Philippe Mengual : Le bilan c’est que la loi initialement disait que l’accessibilité numérique devait être un objectif atteint en 2012 et, finalement, ça ne l’a pas été. Résultat des courses, la prochaine échéance c’est 2015, d’abord parce que c’est l’échéance de la loi d’accessibilité en général qui a été votée en 2005 et ensuite, parce qu’au niveau de l’Union européenne des règles sont en train d’entrer en vigueur de sorte qu’aujourd’hui l’accessibilité numérique est l’objectif à atteindre par tous les sites internet et par tous les environnements numériques d’ici 2015.
Donc on peut dire encore une fois que 2012 a été un semi-échec, mais que la prochaine date c’est 2015 et que ça nous permet encore de parler légitimement d’accessibilité, en faisant réagir la corde sensible qui s’appelle la règle juridique et qui s’appelle la norme.
Gilles Gouget : J’aborde cette question-là parce qu’il y a un trait d’union entre l’accessibilité aussi et le logiciel libre, ce sont les cartoparties OpenStreetMap [1], etc. À Montpellier, où auront lieu les RMLL en 2014, depuis quelques années déjà, une paire d’années, le LUG [Linux User Group] local organise, avec la ville, des cartoparties, des saisie-parties, sur le thème de l’accessibilité, pour voir si tel commerce ou telle institution est accessible, s’il ne manque pas un bateau à tel endroit ou, etc. Alors que, si je me souviens bien, c’était en 2005 que, en France, on avait dit que tous les bâtiments publics, que tous les lieux devaient être accessibles aux gens en fauteuil, etc. Comme quoi, depuis 2005 ça n’a pas bougé sur ce terrain-là non plus puisque, quand ils font leurs cartoparties, ils se rendent bien compte qu’il y a des endroits qui ont été oubliés par l’urbanisme.
Jean-Philippe Mengual : C’est probablement le secteur où c’est le plus difficile. Parce que le logiciel bon, c’est une chose, mais l’infrastructure, c’est-à-dire les bâtiments, les enceintes, c’est probablement le plus complexe au niveau des communes parce que c’est ce qui génère le plus de coûts et c’est ce qui génère le plus de besoins de rénovation. Si on prend un bâtiment, autant quand on construit un bâtiment neuf on peut intégrer d’emblée les normes d’accessibilité, en revanche, quand il s’agit de mettre aux normes un bâtiment déjà existant, c’est parfois extrêmement compliqué.
Typiquement le métro, par exemple, n’est pas forcément facile à mettre en accessibilité quand on a réseau qui date de plusieurs décennies et qui n’avait pas du tout été conçu pour ça. Donc c’est forcément ce qu’il y a aujourd’hui de plus difficile. Maintenant, des sites comme OpenStreetMap sont extrêmement importants puisqu’ils permettent, justement, de recenser les points à la fois de facilité, d’accessibilité et les autres qui sont des points de difficulté d’accessibilité. Si bien que, du coup, pour une personne, notamment les personnes à mobilité réduite, elles peuvent préparer leurs trajets via des GPS ou via la base de données OpenStreetMap en sachant, d’emblée et par avance, à quoi elles doivent s’en tenir. Donc c’est plutôt déjà un progrès. Le libre a, en ce sens, apporté énormément, je trouve, en termes d’outils à la disposition des handicapés pour qu’ils puissent avancer.
Gilles Gouget : Écoute, merci beaucoup pour ce bilan 2012, on va dire ça comme ça, et puis au plaisir de parler plus longuement d’accessibilité dans le cadre des Rencontres Mondiales 2014 à Montpellier.
Jean-Philippe Mengual : Merci à vous pour votre intérêt sur la question.
[Fin de l’entretien avec Jean-Philippe Mengual]
[Musique]

C dans l’air brasse du vent

Gilles Gouget : Sur Radio RMLL on accueille à présent Luc qui est avec nous. Bonjour Luc !
Luc Fievet : Bonjour !
Gilles Gouget : On n’est plus là pour parler accessibilité, mais on va parler télévision. Mon Dieu ! On va parler télévision à la radio, c’est vraiment n’importe quoi ! Mais des fois, il se passe des trucs à la télévision qui sont tout à fait intéressants. Alors autour de la table il y a François Revol et donc pas René. Bonjour François !
François Revol : Bonjour !
Gilles Gouget : Il y a un autre François, c’est François Pellegrini que tout le monde connaît comme universitaire, mais surtout défenseur des logiciels libres et ennemi farouche du brevet logiciel en Europe. On a le président du Conseil National du Logiciel Libre, Patrice Bertrand, patron de Smile [2] qui est une des plus grosses sociétés de logiciels libres en France. Bonjour.
Patrice Bertrand : Bonjour !
Gilles Gouget : C’est la première fois que je vous ai au micro. Et puis Jeanne Tadeusz qu’on a au téléphone très régulièrement et grâce aux RMLL on peut la voir en chair et en os. Bonjour Jeanne !
Jeanne Tadeusz : Bonjour !
Gilles Gouget : Alors qu’est-ce qui nous a amenés là ? Je crois que c’était dans une émission de télé assez connue et plutôt assez bien foutue d’habitude.
Luc Fievet : C’est l’émission C dans l’air qui est une émission sur France 5, donc une émission française. Et il y avait une émission, un thème d’émission, sur la surveillance, PRISM [3] et ce genre de choses, avec des experts, plutôt centrés sur la question de sécurité. l’objet n’était pas vraiment le logiciel libre, mais, évidemment, ça touchait aux questions de surveillance au travers de l’informatique. Et il y a eu quelques phrases qui sont parties sur des sujets qui sont proches de ceux du logiciel libre et qui ont provoqué quelques réactions épidermiques auprès de certains libristes. On va écouter la première. Elle est dite par Éric Filiol. Il était au sein d’une interview, il n’était pas présent dans l’émission donc peut-être que ça a été monté, probablement. Éric Filiol, on le connaît, il était aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre en 2011, c’est un spécialiste en sécurité informatique et on va écouter ce qu’il a à dire.
[Début de l’extrait de l’émission C dans l’air]
Éric Filiol : Essayez de trouver un système d’exploitation qui ne soit pas américain ? Vous avez le choix entre Apple et Microsoft. Bref ! Essayez de trouver un service de réseaux sociaux ou un service internet, maintenant, qui n’est pas concentré entre les mains de quelques acteurs américains ? On s’aperçoit que, finalement, quelle que soit la partie du monde numérique avec laquelle nous souhaitons travailler, de toutes façons on est obligés de travailler avec le diktat technologique et commercial des États-Unis.
[Fin de l’extrait]
Luc Fievet : Donc voila, c’était Éric Filiol. Effectivement, il dit qu’on ne peut pas trouver facilement d’ordinateurs qui ne soient pas soit Mac soit Windows et ce n’est pas complètement faux, mais cette absence d’alternative n’est pas tout à fait convaincante. Je ne sais pas quelles sont les réactions. Je vais peut-être me tourner vers Patrice Bertrand.
Patrice Bertrand : Sur la domination américaine dans l’industrie du logiciel, il n’y a aucun doute, c’est factuel, on ne va pas dire le contraire. Par contre, sur le fait qu’on n’ait pas le choix, là je pense que, je ne sais pas si ce qu’il voulait dire c’était exactement soit qu’il n’existe pas de choix ou qu’il était difficile, pour un particulier, typiquement, de trouver des alternatives. Voila, c’est à peu près la réalité, hélas, avec la domination des quelques géants dont il a parlé — elle est manifeste — néanmoins des alternatives, il y a en a ; malheureusement, il n’est pas facile pour un particulier, d’y accéder, en particulier lorsqu’il est en train d’acheter un ordinateur dans une grande surface.
Luc Fievet : La fameuse vente liée !
Patrice Bertrand : C’est la fameuse vente liée. Après, une fois qu’il aura acheté son ordinateur, qu’il l’aura amené chez lui, il aura encore beaucoup de choix qui se présentent à lui. Il va y installer des quantités de logiciels et là il y a, à peu près sur tous les sujets, des alternatives en logiciels libres. On pourra évoquer, tout à l’heure, la supériorité qu’ils peuvent promettre en termes de sécurité et de vie privée.
François Revol : Et d’indépendance !
Gilles Gouget : Oui. François.
François Pellegrini : Oui. Alors, il y a plusieurs points à considérer, effectivement. Quand on parle en termes de sécurité, il existe énormément de systèmes d’exploitation libres. Le fait est qu’être libre n’est pas un gage de sécurité. Il y a eu des exemples qui ont été documentés de personnes qui ont été payées par des services gouvernementaux pour introduire des bugs dans des systèmes d’exploitation libres, et ces bugs ont prospéré pendant plusieurs années sans jamais avoir été découverts. Donc l’ouverture du code source n’est clairement pas un avantage décisif sur la sécurité intrinsèque du logiciel. En revanche, le fait est que, quand une faille de sécurité existe et est détectée, on peut la corriger rapidement. Donc ce qui est important c’est la capacité d’audit du code qui permet de le réaliser.
Force est de constater que personne n’imaginait qu’un Bull ou un Siemens puisse se dresser contre Microsoft pour faire un système d’exploitation qui puisse être un concurrent sérieux. Or, aujourd’hui, et les chiffres sur le marché mobile le montrent, les descendants du noyau Linux sont là et bien là et dominent le marché. Alors maintenant, ça a été rebrandé à travers Google et les autres, ça s’appelle Android, mais quand on regarde, effectivement les systèmes d’exploitation libres dominent en nombre le marché sur les tablettes et les applications. Et des processeurs non Intel dominent également sur ce marché, ce sont les processeurs de la famille ARM qui montrent que la domination qu’on pensait éternelle du duo Intel/Windows, c’est-à-dire Wintel, il n’a pas fallu quelques années pour qu’elle soit, effectivement, mise en danger.
Luc Fievet : On le constate, on a régulièrement des retournements. IBM en a fait les frais avant l’avènement de Microsoft. Dans le domaine informatique, on a régulièrement des retournements spectaculaires.
François Pellegrini : Tout à fait, parce que la volubilité du marché est très grande. Maintenant, vouloir faire de la sécurité, ce n’est plus un problème de système d’exploitation, ça ne sert à rien d’avoir le système d’exploitation le plus audité possible, si les processeurs sont eux-mêmes buggés et, de ce point de vue, l’Europe a un déficit en fonderie et en capacité d’être son propre maître sur les processeurs qui a toujours été et reste extrêmement préoccupant. Donc, pour revenir sur l’aspect des logiciels qui nous concerne, je vais être rapide, clairement, l’investissement économique considérable qui était nécessaire pour réaliser un système d’exploitation concurrent des systèmes d’exploitation étasuniens a été fait. C’est un investissement international autour, donc, des logiciels libres, qui montre qu’ils constituent une alternative économique très crédible parce qu’ils agrègent énormément de valeur, très rapidement.
Maintenant, les utiliser dans un contexte gouvernemental, ça suscite de mettre en place des politiques volontaristes d’audit du code ; c’est-à-dire que quand on veut utiliser un logiciel libre dans un contexte sensible, on fait un audit du code pour essayer de détecter ses bugs qui auraient pu être introduits par l’ensemble des États qui auraient subverti un ou deux programmeurs pour rentrer ces bugs. Donc ça demande une démarche d’analyse qui peut être considérée comme un peu onéreuse mais qui est, en tout cas, bien moins coûteuse que de redéfinir à partir de zéro un système d’exploitation purement national et certifié par tel ou tel gouvernement.
Luc Fievet : En termes d’alternatives, on a vu, elles existent : GNU/Linux en termes de systèmes d’exploitation ; il y a une foule de logiciels pour les particuliers et les professionnels qui existent en logiciels libres. Ça n’est pas une garantie, mais ça permet au moins de voir ce qu’il y a dedans. Aujourd’hui qu’est-ce qui existe ? Parce que quand on parle logiciels libres et, notamment sur le site de l’émission C dans l’air, on a des réactions au niveau des commentaires ; évidemment, certaines personnes citent les logiciels libres et la réaction est de dire : « Mais les logiciels libres ce sont des trucs pour spécialistes, c’est trop compliqué et ça n’est pas adapté au monde professionnel. » Alors qu’est-ce qui existe, rien qu’en termes de systèmes d’exploitation, aujourd’hui, dans le monde professionnel ?
Patrice Bertrand : Linux évidemment. Après, des suites bureautiques, LibreOffice qui est un équivalent parfait, tout ce qu’il y a de plus complet, à la suite Microsoft. Et puis en matière de messagerie et de groupware il y a quantité d’alternatives, de produits, je ne vais pas citer tous les noms ici, mais il y a tout ce qu’il faut pour trouver son bonheur.
Je pense qu’en premier lieu il faut distinguer, en tout cas, le sujet de tout ce qui est cloud, c’est-à-dire tout ce qui est accéder par l’Internet depuis chez soi. Et là, on pourrait dire, le danger, effectivement, est très grand, il est manifeste, quand bien même on aurait plus ou moins l’assurance que c’est du logiciel libre qui tourne quelque part sur le serveur, ça n’apporterait pas tellement de garanties supplémentaires. Donc il y a le cloud d’un côté où là, les menaces sur la vie privée et la sécurité sont réellement très importantes et puis il y a les logiciels qu’on installe sur ses ordinateurs, chez soi, et là c’est un tout autre sujet. Comme François le disait, la garantie n’est peut-être pas absolue, totale, mais elle est quand même bien plus grande si on utilise des logiciels libres.
Peut-être un tout dernier mot. Ce qu’on a dit parfois, et parfois ça sort comme un argument contre la croyance dans le risque de backdoor dans ces logiciels, par exemple des logiciels Microsoft. On entend parfois : « Ce n’est certainement pas le cas parce que, vous comprenez, ce serait tellement dommageable pour leur réputation si on s’en apercevait un jour, que certainement ça n’est pas le cas ! » Mais cet argument ne vaut vraiment rien puisqu’on aurait pu appliquer exactement le même aux messageries et à tous ces grands acteurs qui se sont fait prendre, justement à propos du programme PRISM. C’est-à-dire qu’on aurait pu dire la même chose il y a trois mois : « C’est impensable parce que, vous comprenez, ce serait tellement dommageable pour leur réputation qu’ils n’auraient jamais accepté ça ! » Mais le fait est qu’ils l’ont accepté !
Luc Fievet : Et l’État français, d’ailleurs, n’en est pas convaincu puisque dans l’affaire de l’accord « Open Bar » entre le ministère de la Défense et Microsoft, il y a une analyse interne faite par le gouvernement français qui pointait ces risques de backdoor et de surveillance. François tu avais quelque chose à rajouter ?
François Revol : On a vu avec cette histoire de PRISM, grâce à Snowden, qu’effectivement on n’avait quand même pas forcément raison de les croire. On peut citer le site prism-break.org [4] donc p, r, i, s, m, tiret, b, r, e, a, k, point org, je crois, qui justement fait une liste des types de logiciels et des services, avec d’un côté les habituels Google, Amazon, etc., Windows, et puis de l’autre les équivalents un peu plus éthiques dont les logiciels libres, donc ça peut être une référence pour la suite.
Luc Fievet : Alors peut-être que Anne, qui nous a rejoints, pourrait réagir à ça. Donc le contexte c’est « il n’existe pas d’alternative ». Toi tu t’occupes de Mageia [5] qui est une distribution Linux. Qu’est-ce que ça t’inspire ce genre de commentaires ?
Anne Nicolas : Je suis un peu étonnée parce que je dirais que la communication sur les logiciels libres, aujourd’hui, c’est quelque chose qui est devenu pas banal mais, en tout cas, relativement courant. Pour avoir travaillé chez un éditeur de distributions auparavant, qui n’était certes pas le premier sur le marché, mais on se rendait compte que les gens étaient sensibilisés à l’existence de ce système d’exploitation qu’est Linux. Donc c’est très étonnant d’entendre ce genre de choses, d’autant plus qu’aujourd’hui, même dans les secteurs je dirais extrêmement sensibles de l’État français, on a du Linux en système d’exploitation sur les serveurs. Nous on a appris tout à fait par hasard, au dernier salon Solutions Linux par exemple, qu’il y avait effectivement une partie de la Défense qui utilisait Mandriva sur ses théâtres d’opérations, sur un serveur et qui est passée tout naturellement pour pouvoir avoir une suite en termes de maintenance sur le serveur, qui est passée sur du Mageia, pour des portails captifs.
Donc ça me semble un exemple relativement concret de ce qu’on peut faire avec du Linux et effectivement, pourquoi ils ont opté pour ce type de système d’exploitation ? Parce que c’est ouvert, parce qu’on peut en contrôler le contenu et parce qu’on a la main, effectivement, sur ce qui va être développé au-dessus de cette pile, au-dessus de cette base de système. Donc ça me semble relativement concret.
Luc Fievet : Jeanne.
Jeanne Tadeusz : Juste pour compléter rapidement ce qui disait Anne. Effectivement, l’utilisation du logiciel libre est de plus en plus vaste, notamment parmi les acteurs publics. Un autre exemple qu’on pourrait donner c’est le ministère des Affaires Étrangères qui a récemment expliqué que les ordinateurs portables utilisés dans le cadre des missions en déplacement ou autres, utilisaient un système d’exploitation libre, basé sur Ubuntu, justement pour des raisons de sécurité. Donc de dire que ça ne répond pas à des exigences professionnelles ou de dire qu’en termes de sécurité ce n’est pas cohérent d’utiliser du logiciel libre, c’est, dans le meilleur des cas, mal connaître le secteur de la sécurité ou du moins ce que font aujourd’hui les acteurs dans la sécurité, parce qu’on pense que le ministère des Affaires Étrangères, la diplomatie, a priori tout ce qui est notamment déplacements, en ordinateurs portables, ils font quand même relativement attention à ce genre de choses. Alors qu’en plus on a des acteurs qui ne sont pas des techniciens ou des spécialistes, donc avec quelque chose qui doit être relativement utilisable assez facilement et compréhensible pour des acteurs qui ne sont pas des techniciens informatiques. Et donc là, on a un vrai usage concret du logiciel libre par des non-spécialistes pour répondre, au contraire, à des exigences de sécurité. Donc là on est dans le contre-exemple parfait.
Luc Fievet : On a la gendarmerie aussi ! Alors si GNU/Linux est vraiment un système d’exploitation pour spécialistes et pour geeks, c’est une bonne nouvelle : ça veut dire que l’ensemble des gendarmes français sont extrêmement pointus en la matière et ça fait plaisir de voir ça. François.
François Pellegrini : Juste une chose. Effectivement, on sait que de toutes manières il y a eu une étude Gartner qui montrait que la majorité des entreprises utilisait au moins une brique libre, si pas plusieurs ; qu’effectivement beaucoup de ministères ; on télé-déclare nos déclarations d’impôts sur aussi des serveurs qui sont en logiciel libre. Donc considérer que ce n’est pas professionnel, je pense que c’est une déclaration qui n’est pas professionnelle, c’est-à-dire que c’est quelqu’un qui, clairement, ne connaît pas le marché !
Luc Fievet : Alors là, il faut quand même lui rendre grâce, il dit que c’est difficile à trouver, ce qui n’est pas faux.
François Pellegrini : En tout cas les gendarmes et le service des impôts les ont trouvés !
Luc Fievet : Il y a une chose qui est certaine c’est que, au moins dans le montage, C dans l’air a choisi, c’est le minimum en tout cas dont on peut être sûr, c’est que dans le montage ils ont décidé d’effacer ce truc-là.
François Pellegrini : Tout à fait ! Mais dernier point sur la question des silos de données, c’est-à-dire des réseaux sociaux, il y a eu des entreprises, là aussi collaboratives, de création de réseaux sociaux qui ne soient pas centralisés, on peut penser à Identi.ca, on peut penser à d’autres, avec l’objectif que ce ne soit pas l’acteur privé qui concentre l’information et que les personnes restent maîtres de leurs données. Donc il y a des outils qui peuvent être développés de façon alternative. Malheureusement, l’effet de réseau joue totalement en faveur des acteurs en place qui sont capables de faire de la publicité sur leurs services.
Luc Fievet : Très bien. On va écouter le deuxième extrait. Là c’est Alex Türk, l’ancien président de la CNIL. Donc pour vous resituer le truc, la CNIL c’est la commission qui s’occupe des libertés informatiques en France et, aujourd’hui, je crois qu’il est sénateur, si je ne me trompe pas. On va voir ce qu’il a à dire et en fait, ça se déchaîne, c’est la fin de l’émission et ça déchaîne des réactions qui sont assez intéressantes.
[Début de l’extrait]
Journaliste C dans l’air : Question intéressante. Les entreprises françaises doivent-elles cesser d’utiliser des logiciels américains susceptibles de les espionner ?
Alex Türk : Comment faire ? Comment elles pourraient ?
Journaliste : On est bien d’accord. Il n’y a pas le produit de substitution.
Alex Türk : Techniquement parlant, il n’y a pas de produits de substitution pour le moment à ce que je sache.
Journaliste : J’ai le pendant de votre réponse. Les Européens doivent-ils développer leur propre système d’exploitation, moteur de recherche, etc., pour se protéger ?
Alex Türk : C’est de tout ça dont on rêve, mais enfin. Les Européens oui, mais si vous voulez, c’est qui les Européens ? S’il faut que ce soit les Allemands, les Français ; il y a différents groupes.
Journaliste : On a fait Airbus non ! Mais excusez-moi, on a fait Airbus !
Alex Türk : C’est vrai, c’est vrai !
Journaliste : Ah bon, très bien !
[Fin de l’extrait]
François Revol : Lol.
Luc Fievet : On aurait effectivement pu rajouter des rires enregistrés derrière ; ça fait sourire des gens dans le studio. Alors une réaction ? François Pellegrini.
François Pellegrini : Je crois qu’en fait ça traduit une vision industrielle du millénaire précédent. C’est-à-dire qu’effectivement il y a beaucoup d’argent qui est investi pour faire des machins européens qui copient les machins étasuniens. On peut penser à tout ce qui a été investi dans les moteurs de recherche autour de Quæro [6] et autres, d’essayer de contrer Google avec un résultat qui est une atteinte massive au domaine public. Donc chaque fois qu’on a imaginé, j’allais dire, avoir une politique colbertiste sur ce type de ce sujets, on se plante et on gaspille l’argent public parce qu’on confie à des acteurs du millénaire précédent, qui ont des stratégies industrielles qui sont celles du monde matériel, l’argent qui devrait permettre, au contraire, qui devrait être utilisé pour des stratégies agiles. Comme on l’a montré en première partie d’interview, ce n’est pas Bull, ce n’est pas Siemens qui ont fait le système d’exploitation qui a pu contrer les systèmes d’exploitation des entreprises étasuniennes, c’est la collectivité ! Donc clairement, il faut travailler en réseau, il faut travailler en bottom-up. Et avoir une politique industrielle de type top-down en disant on injecte l’argent sur les gros acteurs en pensant que ce sont eux qui vont trouver la solution, c’est clairement une erreur stratégique manifeste.
Luc Fievet : Patrice Bertrand, quand j’entends ce truc-là, j’ai l’impression que vous n’existez pas !
Patrice Bertrand : C’est vrai que c’est n’importe quoi et c’est bien triste venant de quelqu’un qui, au titre de ses fonctions dans la CNIL, devrait connaître un petit peu le paysage informatique. Le système d’exploitation, je pense qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur le système d’exploitation ; c’est un composant fondamental.
Luc Fievet : Sur cet extrait, on est sur les outils, donc on dépasse. Autant dans le premier on parle d’OS, effectivement, sur celui-là, on parle vraiment de logiciels au sens large.
Patrice Bertrand : Je comprenais que dans son initiative européenne souhaitée il mettait le focus sur le système d’exploitation. En tout cas, il y a un système d’exploitation qui s’appelle Linux, qui est porté par une fondation qui est basée aux États-Unis, mais qui ne lui donne pas une spécificité américaine le moins du monde. Il y a des contributeurs du noyau Linux qui sont dans tous les pays du monde. Il y en a en France, des gens comme ST Micro.
Luc Fievet : Cette question d’opposition nationale n’a pas grand sens !
Patrice Bertrand : Il y en a en Allemagne, Samsung est contributeur de Linux, pas mal d’acteurs japonais sont contributeurs de Linux. Donc c’est un effort, une sorte de gigantesque R & D mutualisée à l’échelle planétaire qui a véritablement des avantages extraordinaires en termes de maîtrise et donc de liberté. Donc ça c’est un fait.
Au-dessus de ça les outils, on l’a dit tout à l’heure, ne manquent pas. Et c’est vrai que le grand drame, parce que le cœur du sujet, pour beaucoup de gens, c’est la suite bureautique. On peut parler de plein d’outils, mais en réalité, les gens, chez eux, ce qu’ils veulent sur l’ordinateur, c’est une suite bureautique. Et la suite bureautique, effectivement, à 95 %, ça doit être celle de Microsoft et c’est vraiment dramatique comme monopole parce que c’est un monopole qui a pour principale raison les habitudes. Et les habitudes, bien sûr, tout est fait pour qu’elles soient prises par les nouvelles générations dès le plus jeune âge, de telle sorte qu’elles trouvent un peu pénible, que ce soit à 18 ans ou à 30, de se faire de nouvelles habitudes. Mais sinon, en termes de fonctionnalités, tout le monde en convient, c’est rigoureusement identique. On a la même chose en version à la fois libre et gratuite, et, par ailleurs, mieux sécurisée. La même chose est là, mais il faut changer d’habitudes et tout le monde joue là-dessus, à commencer, bien sûr, par ceux dont c’est l’intérêt économique.
Luc Fievet : Alors il y a quand même des choses qui sont mises en place et je pense au milieu professionnel. Je discutais cette semaine avec quelqu’un, une collectivité du côté de Nantes, en France, qui veut passer à LibreOffice. Il disait que là où ils péchaient, où ils avaient du mal, c’était pour migrer et notamment ils avaient des macros, et ils avaient du mal à trouver un prestataire qui puisse assurer la migration de leurs macros. Et ça, autant quand on est un particulier on change assez facilement, dans une entreprise il y a souvent des tas de choses qui sont mises en place. Ce n’est pas facile ! C’est un vrai projet quoi !
Patrice Bertrand : Oui ! C’est vrai, des prestataires il y en a. Je ne saurais pas les aiguiller, directement, sur le bon prestataire, mais je suis sûr qu’en cherchant un peu on en trouve ; il y a quand même un certain nombre d’entreprises, justement. Ça me donne l’occasion de dire un mot sur le CNLL qui est une sorte de fédération, au niveau national, en France, des grandes associations d’entreprises. Donc dans pratiquement toutes les régions en France, les entreprises du logiciel libre se sont réunies pour former des associations, pour agir ensemble au niveau local, agir en réseau, parfois faire du business ensemble aussi. Et ces associations, depuis 2010, se sont réunies au niveau national pour former le Conseil National du Logiciel Libre.
Luc Fievet : Jeanne.
Jeanne Tadeusz : Juste pour compléter sur un point, sur effectivement les habitudes donc à la fois des entreprises mais aussi des utilisateurs. Donc c’est évident que c’est une difficulté, mais c’est aussi la logique de quand on est à l’école on apprend souvent sur du tout Microsoft, qui fait que simplement, arrivé dans une vie professionnelle, c’est parfois difficile de passer au logiciel libre. C’est clair. C’est regrettable, d’ailleurs, parce que, finalement, des élèves on ne fait que des consommateurs de numérique, on ne fait pas du tout des acteurs, on ne leur apprend pas à utiliser un tableur ou un traitement de texte ; on leur apprend à utiliser des outils donnés, sans même leur montrer une diversité d’outils qui leur permettrait d’évoluer.
Mais bon, parce qu’il faut quand même donner de bonnes nouvelles de temps en temps, on peut aussi saluer la décision de l’Assemblée nationale et du Sénat français qui, cette semaine, ont décidé de donner la priorité aux logiciels libres dans le service public de l’enseignement supérieur. D’accord, c’est un petit service public, mais on est quand même sur un bon signe et un bon début et on peut espérer que, justement sur ces questions-là, on voit une évolution bientôt, au moins ne plus avoir les blocages utilisateurs qu’on peut connaître aujourd’hui.
François Revol : Même si j’ai bien compris, cette même priorité au logiciel libre a été mise de côté sur un autre projet de loi sur l’éducation, mais dans les niveaux inférieurs. Donc il y a quand même un petit souci de cohérence à ce niveau-là. Quand on dit, effectivement, qu’on est devenus consommateurs, en tout cas pour les enfants, c’est vrai que dans les années 80, il y avait des ordinateurs au fond des classes, mais c’était des choses qu’on pouvait programmer ! Moi j’ai appris avec le Basic, il y en a qui utilisaient le Logo, mais on pouvait faire des programmes. Ça commence à revenir à la mode, enfin à la mode, ça revient sur l’avant de la scène, on fait même des Coding Goûters, donc c’est quelque chose qui revient, mais c’est un peu dommage qu’on ait justement perdu ça. Il y a eu un obscurantisme ces vingt dernières années, en fait.
Gilles Gouget : Je rebondis par rapport à cette loi sur la modernisation de l’école. Tu viens de dire : « C’est un petit ministère l’Enseignement supérieur et la Recherche ». Est-ce que c’est là la clef de l’explication de la marche arrière du gouvernement sur le marché de l’Éducation nationale qui, peut-être, est plus gros et alimente aujourd’hui beaucoup plus d’acteurs ?
Jeanne Tadeusz : Je ne connais pas les explications. Je ne suis pas dans le secret du gouvernement. Par contre, ce qu’on peut voir, c’est qu’effectivement, quand on parle du projet de loi qu’il y a sur l’Enseignement et la Recherche où, cette fois-ci, la priorité au logiciel libre est passée, on a sans doute plusieurs facteurs. Le fait que l’Enseignement supérieur effectivement utilise déjà, sans doute, plus de logiciels libres que d’autres acteurs, que d’autres services publics. Donc on a sans doute un avantage à ce niveau-là. On a aussi le fait que, au contraire, au niveau de l’Éducation nationale, on a un lobbying très fort de la part de Microsoft. Il suffit de voir le fait que des licences Microsoft, pour les écoles comme pour les professeurs, sont gratuites ou quasi gratuites ; qu’il y a énormément d’actions, à grand renfort de publicité, qui sont faites par Microsoft dans les écoles, dans les rectorats, dans les académies ; sur le fait qu’on a même, parfois, les différents acteurs des différentes académies qui sont convoqués par le ministère chez Microsoft. Donc on voit un ensemble de choses qui font qu’ils sont extrêmement présents et sans doute très puissants au sein de ce ministère ; ce qui est peut-être, en tout cas on peut l’espérer, moins le cas dans l’Enseignement supérieur et qui peut l’expliquer.
Maintenant, aujourd’hui, le ministre Vincent Peillon, donc le ministre de l’Éducation nationale, a dit qu’il ne mettait pas la priorité au logiciel libre pour des raisons de problématique juridique. On a des doutes sur la validité d’un tel raisonnement. On attend encore de voir quels sont les problèmes précisément, mais en attendant on l’appelle à, s’il ne souhaite pas le voir dans la loi — ce qu’on peut dans une certaine mesure au moins entendre — à faire au niveau réglementaire de vraies actions, techniques, concrètes, en direction des académies, en faveur du logiciel libre dans l’usage quotidien. Et là-dessus, l’argument d’une problématique juridique n’existe simplement pas puisque c’est à lui de mettre en place ce type de choix, y compris les choix techniques qui ont lieu dans les différentes académies. Et donc là, aujourd’hui, vraiment on l’appelle à faire ça pour permettre aussi du logiciel libre dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées.
Luc Fievet : Il y a un sujet qui est plus lié au système d’exploitation qui est justement ce lien entre le hardware, le matériel, et le logiciel. François Pellegrini, tout à l’heure, disait que le seul logiciel ne compte pas. Si, effectivement, le matériel a des failles, volontaires ou non, on est un peu foutus. Et pour les deux personnes ici qui travaillent sur des systèmes d’exploitation, cette question des spécifications matérielles est-ce que c’est quelque chose qui vous impacte directement ? Une amélioration dans ce domaine est-ce que ça vous faciliterait la vie pour pouvoir faire des systèmes d’exploitation, ou même des logiciels, qui tirent parti du matériel plus efficacement ? Aujourd’hui c’est compliqué de, par exemple, faire certains drivers ou des choses comme ça.
Anne Nicolas : On a encore, effectivement, quelques difficultés sur le sujet. Ça s’est quand même énormément amélioré. Moi je travaille sur les distributions depuis huit ans maintenant ; l’évolution est quand même majeure, c’est-à-dire on va vers un plus grand support de l’ensemble du matériel. On voit que certains constructeurs, en tout cas, s’impliquent vraiment et fournissent des drivers, ouverts ou non, mais en tout cas qui supportent le matériel. C’est vrai que c’est moins satisfaisant quand le driver est fermé, mais en tout cas on a le support du matériel. Après, on a les évolutions technologiques qui font qu’on traverse de grosses difficultés, par exemple comme le boot EFI récemment. Ça, ça a été un gros problème. Moi je trouve, en tout cas, que l’ensemble des distributions, les développeurs, ont fait un travail monumental sur le sujet et fournissent aujourd’hui des solutions qui ne sont certes pas parfaites, mais qui permettent de travailler sur ce fameux hardware. Je pense qu’il n’y a pas de solution miracle. La clef, aussi, se situe probablement au niveau de l’OEM, c’est-à-dire la vente de machines pré-installées.
Aujourd’hui il y a très peu de machines pré-installées sous Linux ou même sans système d’exploitation et aujourd’hui, la clef de diffusion d’un système d’exploitation c’est probablement l’OEM, c’est-à-dire la vente de machines pré-installées avec un système d’exploitation puisque, aujourd’hui, l’utilisateur ne devrait même plus avoir à mettre la main sur l’installation d’un système d’exploitation. C’est là toute la facilité quand on récupère une machine sous Windows. Nous, ce qu’on montre aujourd’hui, c’est qu’installer une distribution Linux sur une machine c’est quelque chose d’extrêmement simple et rapide. Moi j’ai fait les frais, récemment, d’une installation de Windows sur une machine parce qu’effectivement dans mon entourage tout le monde n’est pas sous Linux. Ça m’a pris trois heures contre une demi-heure d’une distribution Linux sur la même machine. Il y a un défaut de communication à ce niveau-là. C’est clair.
François Revol : Alors je ne suis pas totalement d’accord sur tous les points. Mais sur l’installation de Windows, effectivement déjà, il faut rentrer les quinze chiffres du code produit !
Luc Fievet : C’est une épreuve !
François Revol : Oui ! Oui ! Et puis je me rappelle aussi d’une anecdote au moment où Vista est sorti. Quelqu’un que je connais, qui bosse dans une petite boutique informatique, qui a voulu, comme il a l’habitude, après l’installation de Vista ; déjà il a fallu modifier dans le BIOS, c’était au tout début, le contrôleur SATA, bon ! Après il a voulu installer les pilotes de la carte mère. Alors le premier c’était « ce pilote nécessite Windows XP ou supérieur » et puis le deuxième c’est « ce pilote a détecté que le système d’exploitation n’était pas Windows », ce qui est quand même assez drôle !
Après, sur les spécifications, j’ai une position un petit peu différente étant donné le fait que je suis aussi développeur de système d’exploitation, mais qui est un petit peu plus obscur et qui déjà n’est pas une distribution de GNU/Linux, mais qui est un autre système d’exploitation, encore moins bien connu, et donc vu qu’on n’utilise pas Linux comme noyau, nous on est obligés d’écrire nos propres pilotes. Alors linuxiens, chers linuxiens, considérez-vous heureux d’avoir des pilotes binaires Nvidia ! Je ne sais pas si c’est une bénédiction ou une malédiction, mais les pilotes binaires Nvidia ils ne marcheront pas sur le système auquel je contribue qui s’appelle Haiku [7].
Donc moi, en tant que développeur et en tant aussi qu’utilisateur qui voudrait faire un choix avec une concurrence libre et non faussée, pour reprendre les termes de certains, pour l’instant je n’ai pas ce choix-là. Et en fait, tout vient justement de la vente liée parce que tout le monde, quasiment, achète un PC sous Windows. Donc les fabricants, effectivement, même si ça s’améliore — il y en a qui, effectivement, publient les spécifications, publient des pilotes libres, même si ce n’est que pour Linux, mais au moins on peut étudier le code source ; il y en d’autres qui, effectivement, disent qu’ils sont pour Linux, qu’ils sont membres de la Linux Foundation et puis qui se contentent de donner le code source d’une glu qui sert à coller le gros bloc binaire au noyau Linux. Et donc, à cause de ça, on n’a pas les spécifications des composants de la machine et on ne peut pas écrire de pilotes libres pour ces machines, ou alors on fait du reverse engineering, on perd du temps, on n’est pas sûr que ce soit correct. Moi, en tant que développeur, je ne peux pas certifier qu’un pilote que j’écris en faisant du reverse engineering du pilote Windows, je ne peux pas certifier qu’il ne va pas faire exploser la machine. Je ne peux pas !
Donc forcément après, quand madame Michu, la pauvre madame Michu, quand on arrive à la convaincre déjà d’essayer un système libre, elle l’installe sur sa machine et puis elle voit que ça ne marche pas, elle va finir par retourner à Windows et là c’est un cercle vicieux, en fait. Donc tant qu’on n’arrivera pas à casser ça, alors soit effectivement par une masse critique, peut-être avec des pré-installations, mais cette histoire de pré-installations ça date d’il y a très longtemps. Il y a quinze ans il y avait BeOS qui lui, par exemple, était un système d’exploitation propriétaire, mais alternatif, ils avaient décroché un, un seul contrat OEM que Microsoft est arrivé à faire tomber parce que le BeOS en question était installé sur le disque dur, mais il n’était pas visible dans le gestionnaire de boot, en fait. Donc on ne pouvait pas le booter directement, ce qui revenait à ne pas le pré-installer du tout quoi !
Anne Nicolas : C’est vrai qu’effectivement le problème demeure, ça je ne le nie pas, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Simplement l’image qu’on se fait aujourd’hui d’une installation Linux est celle d’il y a dix ou douze ans et c’est fort dommageable justement, sans parler d’OEM, c’est fort dommageable, effectivement, la facilité d’accès au système d’exploitation.
François Pellegrini : C’est vrai. En plus, le fait est que quand on installe une distribution, on n’a pas seulement l’OS qui arrive, on a tous les logiciels applicatifs qui sont installés d’un seul coup et en termes de temps gagné, on a une machine clef en mains en une vingtaine de minutes alors que, dans le même temps, on n’a qu’un morceau de l’installation de l’OS chez les concurrents du logiciel privatif.
Clairement, la question du matériel ramène, je pense, à l’essentiel. L’essentiel ce sont ces effets de réseau, ces effets de rente, qui dépendent de la vente liée. La vente liée c’est quand, par exemple, on achète un « iTruc » et qu’on est obligé d’aller se fournir chez le « iStore », etc. En fait les gens se trompent, parlent de neutralité du Net en disant ce n’est pas normal qu’Apple puisse virer des applications de son magasin ; mais n’importe quel tenant de magasin a le droit de choisir le style de son magasin. Je ne vais pas aller dans une librairie religieuse intégriste et demander le dernier magazine de fesses à la mode ! Je m’attends à ce que, dans ce magasin-là, il n’y ait pas ce type de produit. Le seul embêtement, c’est qu’il n’y a qu’un seul magasin. Clairement, ce n’est pas un problème de neutralité, c’est vraiment un problème de vente liée, donc de manque d’interopérabilité qui apparaît au niveau des bibliothèques, des composants logiciels et des matériels.
Lors du débat qui a eu lieu au Parlement européen où on était invités mardi après-midi, j’ai pris la parole en expliquant qu’il y a avait deux choses, effectivement, qui me hérissaient parce qu’elles portent atteinte aux mêmes libertés fondamentales, parce que, finalement, l’interopérabilité c’est l’équivalent de la liberté d’association dans le monde numérique : quand on a travaillé sur les droits humains pendant les grandes révolutions, on a posé comme principe la liberté d’association. Tous ces verrous, que ce soit les DRM, les brevets logiciels à un niveau le plus haut ou ce secret qui porte atteinte à la libre utilisation des matériels, ce sont des atteintes à la liberté d’association des humains et des matériels dans le monde numérique.
Donc clairement on est face à un principe de rang constitutionnel et il faut pousser pour qu’au sein de l’Union européenne on ait une grande directive générale sur l’interopérabilité en tant que principe juridique de rang constitutionnel, fondateur, qui impose que quand on achète un matériel, on ait les specs de ce matériel ; quand on a accès à un service logiciel on ait les specs d’accès à ce service logiciel pour, effectivement, pouvoir créer, éventuellement, des produits qui puissent inter-opérer de la façon la plus large possible.
Gilles Gouget : Ça pose quand même une question, parce que la vente liée, le problème il est soulevé depuis la vie des rats. Si ça se trouve ça existait avant même l’invention de l’informatique.
François Revol : Quinze ans, au moins quinze ans.
Gilles Gouget : On en parle beaucoup. Manifestement la loi elle existe. Elle n’est tout simplement pas appliquée. Celle-là, en tout cas, on ne la fait pas respecter. Les pratiques commerciales agressives de Microsoft sont parfois borderline au niveau légal aussi. Je ne vois pas ce que peut faire un système d’exploitation Microsoft dans une école, à moins que l’école n’ait un contrat avec Microsoft. Non on ne devrait pas ! S’il y a une alternative libre, il devrait être exclu d’avoir des éditeurs commerciaux dans les écoles ! Bon, les bouquins sont déjà le fruit d’éditeurs commerciaux.
François Pellegrini : Libre et commercial ça va ensemble !
Gilles Gouget : D’accord !
François Pellegrini : Privatif !
François Revol : Ce n’est pas mutuellement exclusif.
Gilles Gouget : Mais bon ! Le fait est qu’on se rend bien compte que, finalement, c’est celui qui est le plus agressif qui emporte souvent le morceau. Est-ce qu’en France le gouvernement, là-dessus, préfère ne pas se battre et laisser faire ? Est-ce que l’échelle ou l’échelon européen permettrait, justement, d’aller plus vite ?
François Pellegrini : Alors oui et non ! On attaque une théorie générale des organisations et un principe de lobbying qui a été posé, je n’ai plus la source en tête, mais dès les années 1880 où quelqu’un disait : « Quand vous allez faire une loi qui retire un franc — parce qu’à l’époque c’était des francs, mais c’était des francs-or, c’était vachement plus cool — quand vous faites une loi qui retire un franc à 1000 personnes et qui donne ces 1000 francs à une personne, vous pouvez être assez sûr que la loi passera parce que le type qui va avoir les 1000 francs il va se battre comme un lion pour que la loi passe et les types qui perdent un franc, vont se dire pour un franc je ne vais pas y aller ! »
Il faut des emmerdeurs comme nous pour pouvoir aller au combat et même parmi nous il y a pas mal de gens qui disent : « Bon ! J’ai déjà mon combat celui-là je ne vais pas le prendre. » Donc on est face à un principe général qui est que quand il y a une captation de richesse et une loi qui favorise un intérêt particulier, si, j’allais dire, la ponction individuelle est suffisamment faible, ce qu’au Mexique on appelle la la mordida, la petite corruption qui fait qu’on ne va pas dénoncer le flic parce que c’est juste tant de pesos, eh bien on aura du mal à trouver un combat structuré pour reposer les règles. En revanche, plus on remonte au niveau, j’allais dire structurel haut, et plus ces petites sommes deviennent des grosses sommes.
Quand on voit que le ministère de la Défense signe un contrat « Open Bar » avec Microsoft Irlande, je me permets aussi de rajouter que ça a été signé avec Microsoft Irlande, c’est-à-dire que notre cher ministère de la Défense nationale français rentre dans un jeu d’évasion fiscale, de façon parfaitement avérée. C’est-à-dire qu’au lieu de signer avec Microsoft France qui leur dit : « Ah ben oui, mais c’est plus cher parce qu’il y a des impôts à payer ! Eh bien allez avec Microsoft Irlande qui a des accords de partenariat et de non-imposition fiscale avec les États-Unis, l’argent ira directement aux US et ça ne fera de mal à personne ! » Eh bien si, ça fait du mal au contribuable français parce qu’effectivement, il y a des emplois qui ne sont pas créés en France et le contribuable paye deux fois, même il paye trois fois. Il a payé une fois pour former des gens, une deuxième fois pour repayer pour les produits qui sont faits par ces gens une fois qu’ils sont allés s’expatrier aux États-Unis et une troisième fois parce qu’il n’y a pas les taxes sur la vente et l’achat de ces produits.
Clairement, on a intérêt à frapper le plus haut possible parce que là les montants ne sont plus négligeables et qu’on voit à quel point, j’allais dire c’est une honte ; ça fait un peu émotion rapide, mais en tout cas, c’est un désastre fiscal et financier pour la collectivité !
François Revol : « Enfin, mais écoutez ! C’est de la merde ; c’est une honte ! » [en imitant la voix de Jean-Pierre Coffe]. Oui, la vente liée ce n’est pas nouveau du tout. Effectivement, c’est ce que je disais, ça a quinze ans. Il y a un article très amusant qui s’appelle He Who Controls the Bootloader [8], par Scot Hacker qui date de 98, qui explique exactement ça, ce que j’ai dit tout à l’heure, eh bien on retrouve la même chose avec Secure Boot. C’est exactement ça, on prend les mêmes et on recommence !
Patrice Bertrand : J’allais ajouter. D’ailleurs ce débat récent autour de la priorité au logiciel libre dans tel ou tel service de l’État a donné lieu à un exercice de lobbying qui était véritablement un cas d’école. On a vu, justement, les acteurs dont le gâteau était en jeu, mettre en avant, comme il est d’usage dans ces cas-là, des organisations professionnelles, l’AFDEL [Association française des éditeurs de logiciels et solutions internet], bien entendu, mais aussi, et on s’est un peu demandé pourquoi, Syntec Numérique [Syndicat des professionnels du numérique] qui normalement, à notre sens, ne devrait pas prendre parti contre une priorité au logiciel libre, mais qui dans ce cas-là s’est fait le porte-voix de ces acteurs. Et on a vu même jusqu’à l’INRIA, un institut de recherche informatique, qui véritablement ne devrait pas se mêler de ces choses-là, par la voix de son président, cosigner une lettre. Et ils y sont allés, tous ces gens, de mails généralisés à tous les députés et sénateurs, de courriers aux ministres, de coups de téléphone aux conseillers. Enfin vraiment, un exercice de style de lobbying.
Il se trouve que dans, le premier cas de figure, il a abouti, puisque le gouvernement a demandé lui-même un amendement annulant la priorité qui avait été votée par les sénateurs et, dans le deuxième cas, le lobbying n’a pas eu gain de cause, mais je pense que ce n’est qu’un petit combat, le début d’une longue bataille.
François Revol : Syntec qui, il y a juste quelques mois il me semble, a financé un colloque sur l’open source justement. Alors on ne va pas dire qu’ils essaient de nous endormir, mais ce n’est pas quand même pas très cohérent.
Patrice Bertrand : C’est à se demander si ce n’était pas pour avoir davantage d’armes, le moment venu, pour le grand combat qui était celui-là.
Gilles Gouget : Le Syntec Numérique qui, si je ne m’abuse, prétend représenter à la fois les SS2I [Société de Services en Ingénierie Informatique.] et les SS2L [Société de Services en Logiciels Libres] et dont le chargé de mission pour les SS2L n’est autre que le patron de Linagora qui n’a même pas été consulté sur la décision du Syntec Numérique. Donc ça pose peut-être un problème de représentativité de cet organisme.
François Pellegrini : Là aussi, si on revient sur la théorie des organisations, et l’exemple que je vous avais donné, de celui qui gagne le plus aura toujours tendance à gueuler le plus fort. Clairement, dans toutes ces organisations, on peut penser au Syntec mais aussi également au Medef. Le Medef est censé représenter toutes les entreprises de France. Or, en fait, on voit que les positions du Medef qui sont contrôlées par les gens qui ont les moyens d’être présents en permanence au Medef, c’est-à-dire les représentants des grandes entreprises, font, au nom du Medef, des actions de lobbying en faveur des entreprises du CAC 40.
Si on a une pensée raisonnable du point de vue des entreprises françaises, à la lumière de tout ce qui est montré en termes d’indicateurs économiques, on a envie d’avoir un niveau de taxation qui augmente avec la taille des entreprises. Bizarrement, le Medef a toujours prôné l’inverse. Ça montre qu’effectivement, c’est ce qu’on appelle l’astroturfing : on voit des loups qui sont déguisés en agneaux et qui prétendent bêler avec les agneaux alors qu’en fait, ils sont juste là pour faire des lois qui sont favorables aux loups.
Le Syntec Numérique n’échappe pas, effectivement, à cette règle. Il est contrôlé par, finalement, les mêmes que ceux qui sont derrière l’AFDEL et ce ne sont pas deux associations : quand on compte les forces en présence, c’est une seule avec quelques grands d’un côté, effectivement ceux qui ont tout à perdre du fait que l’Éducation nationale donne la priorité au logiciel libre et, en face, évidemment, on a les acteurs du Libre.
Mais j’allais dire que, justement c’est ça qui est intéressant, le Libre c’est la vraie compétition. C’est-à-dire que quand vous avez sur un marché public un appel d’offres, ce ne sont pas les SSLL qui le gagnent. Au contraire, on voit les sociétés de service classiques et traditionnelles, membres du Syntec Numérique, remporter éventuellement des appels d’offres pour la maintenance de logiciels libres, face à des SSLL. Ce qui montre qu’effectivement il ne s’agit pas du tout, du point de vue des sociétés de services en logiciel libre, d’une action partisane pour privilégier leur business, comme c’est le cas par ailleurs, mais au contraire de garantir l’ouverture et le bon usage des deniers publics.
François Revol : La fameuse concurrence libre et non faussée !
François Pellegrini : Celle-là même.
Jeanne Tadeusz : Absolument. Juste pour compléter aussi, effectivement c’est un tout petit service public, c’est le service public de l’Enseignement supérieur, donc on reste quelque chose d’assez limité. En même temps, quand on voit le déchaînement de lobbying qui a eu lieu, toutes les entreprises du logiciel privateur ne s’y sont pas trompées et je pense que nous non plus on ne doit pas s’y tromper. Le fait même de marquer « priorité au logiciel libre » dans une loi, aujourd’hui, c’est une révolution !
Luc Fievet : Je crois que le contre-argument était de dire que c’est problème légal. Dès lors que ça a été voté, si le problème légal ne se pose pas, c’est la démonstration que cet argument faux.
Jeanne Tadeusz : Voila ! Ils annoncent un problème légal en oubliant de dire que c’est du droit européen ; que la Cour constitutionnelle italienne a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le sujet en 2010. La décision n’est pas tout à fait récente, donc on a quand même eu le temps de la consulter, qui a dit qu’il n’y avait aucun problème vu que le logiciel libre ce n’est pas une question technique mais c’est une question de droit fourni aux utilisateurs et, en l’occurrence, à l’administration, donc on n’a pas de problème particulier à ce niveau-là. Déjà la question juridique a été clairement tranchée ; je ne prétends pas être nécessairement une des plus grandes expertes sur le sujet. Après, on peut considérer quand même qu’une Cour constitutionnelle dans un grand pays comme l’Italie, a priori cette loi parle en termes de droit de la concurrence et donc, à partir de ce moment-là, on a quand même quelque chose de clair.
Et juste pour terminer aussi, un rappel, c’est que le Syntec, l’AFDEL, se plaint dans ses différents courriers, dans ses différents efforts de lobbying, que le gouvernement favoriserait par ce type de disposition un business modèle par rapport à un autre, pourtant ce n’est pas quelque chose qu’il n’a pas le droit de faire. Si le gouvernement décide qu’il préfère louer des bâtiments plutôt que de les acheter, ce n’est parce qu’il va à l’encontre des vendeurs de bâtiments, que c’est contraire au droit de la concurrence. Le gouvernement a parfaitement le droit de choisir le logiciel libre même si ce n’est pas uniquement, comme on disait effectivement, des entreprises de logiciel libre, il a particulièrement le droit d’opter pour le fait d’avoir le droit de faire un certain nombre de choses.
François Pellegrini : Et je rappelle en France qu’il y a une jurisprudence qui est celle du Conseil d’État qui est aussi, dans l’ordre juridique français, situé à un niveau très haut.
Gilles Gouget : On arrive au terme de cette émission, il nous reste à peu près deux minutes et quelques secondes. On va devoir se quitter là, à moins que quelqu’un ait un scoop à nous lâcher comme ça sur radio RMLL.
François Pellegrini : Pas un scoop, rapidement…
Gilles Gouget : Un livre qui va sortir.
François Pellegrini : Par rapport au droit du logiciel, avec mon complice Sébastien Canevet qui est enseignant universitaire juriste et moi-même qui suis enseignant universitaire, mais en informatique, on s’est mis à quatre mains et un seul cerveau, parce que c’est étonnant comme on fonctionne, pour pondre un bouquin Droit des logiciels, justement pour éviter qu’il y ait beaucoup d’âneries qui soient racontées par la suite. Et ça, ça devrait sortir avant la fin de cette année, chez un très bon éditeur, Les Presses universitaires de France pour ne pas les citer. Donc on est très contents !
Patrice Bertrand : Et moi, si je peux ajouter, j’aimerais pré-annoncer un autre grand événement du logiciel libre et de l’open source qui se tiendra à Paris, c’est l’Open World Forum qui se tient à Paris début octobre, comme chaque année depuis six ans maintenant.
François Revol : Et adoptez un député !
Gilles Gouget : Ils sont gentils et ils sont doux à caresser.
François Revol : Ils nécessitent pas mal d’apprentissage, mais après ils se débrouillent !
Jeanne Tadeusz : Mais ils apprennent ! Mais ils apprennent ! Et ne pas hésiter aussi sur les différents projets de loi qu’on a vus, que ce soit refondation de l’école, l’enseignement supérieur et d’autres, que les députés sont réceptifs : régulièrement, même quand on leur envoie des courriels, quand on les appelle, parce que ce sont souvent des problématiques simplement qu’ils ne connaissent pas. Donc pour revenir quand même au point départ, quand on entend des gens dire qu’il n’existe pas autre chose que Windows ou Mac, c’est parfois simplement parce qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de tester autre chose, donc allez parler à vos responsables, aux députés, pour leur montrer l’existence du logiciel libre et son importance de plus en plus réelle aujourd’hui.
François Revol : Offrez-leur un CD de distributions, une Framakey [9], enfin tout ce que vous avez sous la main !
Gilles Gouget : Oui ! Vingt secondes !
François Pellegrini : c’est que l’Assemblée nationale, ils utilisent le logiciel libre !
Jeanne Tadeusz : Ils utilisent en partie. Ils utilisaient complètement il y a quelque temps encore. Il y a eu un lobbying là aussi très fort de la part d’un certain nombre d’éditeurs propriétaires ; aussi un certain nombre de problématiques techniques, ce qui fait qu’ils sont partiellement revenus, mais ils utilisent encore beaucoup de logiciels libres aujourd’hui, notamment en termes de traitement de texte ou de lecteur multimédia.
Gilles Gouget : Nous remercions Jeanne Tadeusz, Anne Nicolas, Patrice Bertrand, Vincent Pellegrini [François Pellegrini ; ni Vincent ni Gilles, NdT] [10], François Revol de nous avoir accompagnés jusqu’à présent. On remercie Nat à la technique. On se retrouve tout à l’heure à 17 heures jusqu’à 18 heures 15 pour la toute dernière. Ce sera avec l’orga, tout ça, pour faire un petit débriefing avant le vrai débriefing de ces rencontres Mondiales du Logiciel Libre. Bonsoir à tous ! Bonsoir à toutes ! Et restez libres !