Sous-représentation des femmes en sciences et en informatique - Marion Monnet

Présentateur : On finit la journée avec Marion Monnet qui va nous parler de la sous-représentation des femmes dans le domaine des sciences et de l’informatique.
Marion est chercheuse post-doctorante à l’Ined, l’Institut national d’études démographiques, ce qui nous promet une conférence de première qualité. Je n’en dis pas plus, merci d’acclamer Marion.

[Applaudissements]

Marion Monnet : Bonjour à toutes et à tous. Merci pour l’accueil. Ce n’est pas le cas quand on est en conférence d’économie, ce n’est pas aussi chaleureux. Merci à tous.
Avant de commencer la discussion, j’aurais voulu faire un petit sondage parmi vous, est-ce que les femmes peuvent lever la main, s’il vous plaît ? Waouh ! OK ! À vue de nez j’aurais dit 10 % de l’audience, donc ça tombe bien, on va essayer de comprendre pourquoi il y a aussi peu de femmes parmi les développeuses, informaticiennes et autres métiers de la tech.
La présentation est un peu plus large, elle englobe aussi les sciences qui est mon sujet principal de recherche.

Où sont les filles ?

Pour comprendre pourquoi il y a 10 % de femmes dans l’informatique, il faut qu’on remonte un petit peu en arrière et qu’on voit ce qui se passe lors des choix scolaires, notamment les choix scolaires qui se font au lycée. Et si les femmes ne sont pas dans la filière informatique ou en sciences, où sont-elles ?

Le premier constat que je peux faire, ce premier point nous donne la proportion de femmes en seconde générale et technologique, il y a 54 % de femmes et déjà quand on regarde en première où elles se situent, en première scientifique, il y a 47 % de femmes. Donc elles sont légèrement sous-représentées, mais ce n’est encore pas dramatique. En terminale S la proportion est identique. En revanche, on voit que dans les filières technologiques il n’y a plus que 17 % de femmes parmi les premières technologiques, inutile de vous faire la démonstration, il y a vraiment très peu de femmes.
Le deuxième temps fort, après la seconde on fait des choix d’orientation, on en fait également de très forts après la terminale, parmi les étudiantes de terminale S, on regarde leurs choix d’orientation post-bac, on voit qu’il y a 35 % de femmes qui sont en sciences à l’université et quand on regarde parmi les filières sélectives, ce que j’appelle CPGE [Classe préparatoire aux grandes écoles], les classes préparatoires, il n’y a plus que 30 % de femmes et, dans les BTS, elles sont 18 %. Ça nous donne déjà un petit aperçu de la disparition des femmes des filières technologiques et scientifiques.
Maintenant ça m’amène au deuxième constat c’est que quand bien même les femmes font des sciences ou de l’informatique, elles ne sont pas dans les mêmes filières. On voit qu’elles sont largement surreprésentées à l’université et en classe prépa en biologie et sous-représentées dans les matières dites plus de sciences dures que sont les maths, la physique et l’informatique où elles ne représentent que 26 % des effectifs et en BTS, comme on le voyait sur le graphe précédent, 18 %. Donc elles vont moins en sciences, quand elles y vont, elles vont dans des filières bien spécifiques que sont la biologie. Ensuite, quand elles choisissent de faire des filières sélectives comme principalement les grandes écoles, on voit que les femmes, dans le post-bac, qui représentent 49 % de leur génération, représentent seulement 37 % des effectifs des écoles les plus sélectives. Quand on regarde par exemple dans les écoles d’ingénieurs, elles ne représentent que 26 % des effectifs.
Donc on voit bien que les choix d’orientation qui se font au lycée se répercutent évidemment dans l’enseignement supérieur. On va voir ensuite qu’ils se répercutent sur le marché du travail.
J’ai un dernier constat à faire avant, qui vous concerne principalement et qui reflète ce qu’on a vu dans la salle avec les 10/15 % de femmes qui ont levé la main. Quand on regarde la proportion de femmes dans les filières informatiques, alors que dans les années 1970/80 il y avait la parité hommes/femmes, c’est le pic qu’on voit ici, que les femmes ingénieures en informatique représentaient 50 % des ingénieurs en informatique dans les années 1970/80, aujourd’hui elles ne représentent plus que 15 % des effectifs d’ingénieurs en informatique, alors que quand on compare la proportion de femmes ingénieures dans les autres domaines, cette proportion a connu une augmentation constante. Donc il y a vraiment une chute des effectifs dans le milieu informatique après le pic des années 1980.

Quelles sont les causes de cette sous-représentation ?

J’ai mis en sous-titre que « Le poids des normes sociales et des stéréotypes », mais il y a quand même d’autres causes qui nous viennent en tête. La première étant est-ce que les hommes et les femmes n’auraient pas des capacités cognitives différentes ?
En réalité, quand on regarde les écarts de réussite aux examens de maths, de sciences, les écarts femmes/hommes sont vraiment très faibles et on va le voir un tout petit peu par la suite, si écarts il y a, ils sont principalement façonnés par le poids des normes sociales et des stéréotypes. Malgré le fait qu’il y ait des petits écarts qui subsistent, les hommes réussissant un petit mieux en mathématiques et en sciences que les femmes, ces écarts n’expliquent qu’une faible partie, ne sont qu’un tout petit déterminant des choix d’orientation post-bac. Ce sont les résultats des études que je cite entre parenthèses. Donc on peut mettre de côté l’hypothèse des différences de capacités cognitives.
La deuxième cause de cette sous-représentation qui nous vient à l’esprit pourrait être est-ce que les femmes sont discriminées dans l’évaluation, c’est-à-dire quand les profs notent leurs copies, ou à l’entrée dans certaines filières ? Par exemple est-ce que les classes préparatoires recrutent moins les femmes en sciences, recrutent moins les candidats quand ils voient que le dossier est celui d’une femme, ou lors des examens comme l’entrée à Normale supérieure en maths, physique ou le Capes et l’agrégation, est-ce qu’il y a un biais de notation ?
En réalité ce n’est pas consensuel dans la recherche, mais ce qu’on voit surtout sur le cas de la France, c’est que le biais se fait plutôt en faveur des femmes, il y aurait plutôt tendance à avoir une discrimination positive : les femmes sont surnotées par rapport aux hommes en maths. C’est notamment une étude qui avait étudié ça dans le cadre de l’entrée à Normale supérieure, les femmes en maths étaient un peu surnotées par rapport aux hommes ce qui augmentait leurs chances d’être prises à l’École normale supérieure. Et les hommes, qui eux sont sous-représentés en lettres, sont un peu surnotés en lettres par rapport aux femmes et avaient un peu plus de chances d’être pris. Donc la discrimination dans l’évaluation ou à l’entrée de certaines filières semble jouer plutôt un rôle de second plan.
La cause principale aujourd’hui, et c’est largement établi dans la littérature en économie et en psychologie, c’est le poids des normes sociales et des stéréotypes de genre. On voit que ces stéréotypes de genre prennent racine très jeunes. Il y a des études qui montrent que dès l’âge de six ans les filles vont plutôt identifier les maths aux hommes et les livres aux filles et vont plutôt, elles, se diriger spontanément vers les livres. Elles disent aussi qu’elles sont moins intelligentes que les garçons et moins douées pour les mathématiques dès six ans.
Ces stéréotypes se retrouvent jusqu’en terminale. J’ai contribué, avec des collègues, à faire une vaste enquête sur les lycéens de terminale S d’Île-de-France. Ce sont des étudiants un peu plus âgés, qui ont choisi de faire des sciences. Il y a quand même 20 % de filles de terminale S et 30 % de garçons de terminale S qui sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle les hommes sont meilleurs en maths.
C’est ce dernier point qui joue un rôle déterminant aujourd’hui dans les choix d’orientation des filles et des garçons et qui contribue à la sous-représentation des femmes plus tard sur le marché du travail en sciences et en informatique.

Quelles sont les conséquences de ce poids des normes sociales et des stéréotypes de genre ?

Je les liste en dessous : le manque de confiance en soi, la moindre réussite scolaire, donc des choix différenciés par la suite.

Le premier point, la première conséquence c’est l’effet néfaste des stéréotypes sur la confiance en soi. Je ne sais pas si vous arrivez à lire en détail le graphique, c’est un graphique issu des données d’enquête de l’OCDE, qui enquête des lycéens de 15 ans dans près d’une quarantaine de pays. Le point noir nous donne le pourcentage de filles qui vont être d’accord avec l’affirmation listée ici et la barre bleue ce sont les garçons. Par exemple, si on regarde la première ligne, à la question « je ne suis tout simplement pas bon en mathématiques », il y a 50 % de femmes qui vont déclarer ne pas être bonnes en mathématiques contre 35 % de garçons.
Si on prend la dernière question, « en cours de mathématiques, je comprends même les exercices les plus difficiles », il y a seulement 30 % de filles qui vont dire oui contre 45 % de garçons. On retrouve ce fait dans les 40 pays de l’OCDE. Donc quel que soit le système scolaire, quelle que soit la question posée, les filles ont une perception de leur niveau en mathématiques bien inférieure à celle des hommes. On pourrait même faire l’étude à niveau égal, on trouverait la même chose.
Là c’est le même graphique par rapport à l’anxiété que les élèves ressentent en pensant aux mathématiques ou face à un examen de mathématiques. Je vais passer assez vite. On voit que tous les points noirs sont au-dessus des barres bleues et les filles déclarent sensiblement plus que les garçons être anxieuses face aux mathématiques, par exemple la dernière barre c’est 70 % de femmes qui déclarent s’inquiéter à l’idée d’avoir de mauvaises notes en mathématiques contre 55 % de garçons.

La deuxième conséquence négative, ce que je vous disais, il n’y a pas de différences initiales en mathématiques. Si différences il y a, elles se construisent au fil des années et elles sont largement influencées par le poids des stéréotypes, c’est ce que j’appelle un peu la prophétie autoréalisatrice.
Une fois de plus, si on regarde les études de l’OCDE, dans tous les pays de l’OCDE, les hommes réussissent mieux en maths, les femmes réussissent mieux en lettres, dans tous les pays sauf trois.
On observe une corrélation négative entre la prévalence des stéréotypes de genre dans un pays et les écarts de performances femmes/hommes. Plus les stéréotypes sont prévalents dans le pays, plus les écarts femmes/hommes en mathématiques vont être élevés. Et enfin, il y a des études qui montrent même la causalité qui est établie entre les stéréotypes de genre et les écarts de performance.
Je vais passer un peu rapidement sur l’expérimentation de Spencer. En gros, cette expérimentation fait passer un exercice de mathématiques à des filles et des garçons de niveau égal dans trois conditions différentes, donc il y a trois groupes. Il y a un groupe auquel on va dire « ce test-là n’a pas produit de différences femmes/hommes ». Au deuxième groupe on va dire « le test a produit des différences de performance par le passé ». Troisième groupe, rien n’est mentionné. Le résultat c‘est que les filles réussissent significativement moins bien quand les stéréotypes sont activés, quand on leur dit que par le passé les hommes ont mieux réussi que les femmes cet examen ou quand les stéréotypes ne sont pas explicitement désactivés, qui est donc la condition 1.
Comme je vous l’ai montré en début de présentation, les stéréotypes affectent durablement l’intérêt pour les matières. Les femmes ne se projettent pas dans les matières scientifiques ou informatiques ce qui affecte la poursuite d’études dans ces domaines, qui conduit à une ségrégation entre filières et même au sein des filières comme on la vu, puisque quand elles font des sciences elles font de la bio et pas des maths, donc ça détermine la répartition par métiers par la suite.
Pourquoi une économiste s’intéresse à ça ? Parce que le simple fait que les choix d’orientation femmes/hommes diffèrent explique entre 20 et 30 % des écarts de salaire sur le marché du travail.

Quels sont les leviers d’action efficaces ?

J’aime bien pointer des problèmes mais aussi apporter des solutions et il y en a beaucoup. La liste que je vais présenter ici n’est pas du tout exhaustive, il y a des tonnes d’initiatives qui sont mises en place. Par contre, celles que je vais vous montrer sont toutes évaluées scientifiquement et leur efficacité a été démontrée.

La première, qui parait évidente, c’est simplement de mettre les élèves au contact des sciences, notamment de l’informatique. Une des raisons pour lesquelles les femmes sont plus sous-représentées en informatique qu’en mathématiques ou en physique c’est qu’on n’a pas le contact avec l’informatique au collège, ou très peu, on ne l’a pas au lycée alors qu’on fait des maths depuis la primaire. Donc le fait de ne pas être en contact avec ces matières fait que la seule représentation qu’on en a c’est via les stéréotypes qui circulent sur cette matière, donc mettre les élèves au contact de l’informatique très tôt ça permet de susciter l’intérêt des élèves dès le plus jeune âge. C’est le cas de l’initiative Code.org [1] aux États-Unis qui, eux, vont vraiment dans les classes dans les classes de primaire et du secondaire avec plein d’activités liées à l’informatique. C’est aussi le cas du Harvey Mudd College qui a changé sa politique et qui a rendu les cours d’informatique obligatoires en première année de fac alors qu’avant c’était optionnel. Résultat des courses, en cinq ans ils sont passés de 10 % de femmes en informatique en deuxième année à 50 % de femmes.
Le deuxième point c’est promouvoir une image plus inclusive de l’informatique par exemple via les médias. Il y a une expérimentation qui a fait lire à un groupe un article de journal qui décrit les développeurs comme des geeks avec tous les stéréotypes associés, et un autre lisait un article plus neutre. Sans surprise. les filles qui ont lu l’article plus neutre ont été plus nombreuses à se dire intéressées par la filière informatique.
Ça peut aussi passer par l’environnement d’apprentissage, ça c’est peut-être plus adressé à un environnement scolaire. C’est une autre expérimentation qui a montré qu’avoir une salle informatique dans l’école avec plein de posters Star Trek par rapport à une salle informatique neutre suscitait des envies différentes chez les filles qui se dirigeaient plus vers l’informatique quand la salle était neutre.
Le troisième levier d’action, c’est exposer les élèves à ce qu’on appelle des rôles modèles, c’est-à-dire des femmes qui incarnent la possibilité de faire de l’informatique. Ça peut être un récit virtuel d’une femme qui a réussi dans le milieu de l’informatique ou une femme en chair et en os qui vient témoigner de son expérience auprès de lycéens, par exemple au moment où ils font leurs choix d’orientation sur Parcoursup. Elle témoigne de son expérience. Dans une expérimentation que j’ai faite avec des collègues, on voit que le simple fait de faire intervenir des femmes scientifiques en classe de terminale S augmente de 30 % la probabilité que les filles s’inscrivent en classe prépa mathématiques.
Il y a aussi des programmes de sensibilisation, ça paraît assez évident.
Pour laisser un peu de temps aux questions, je vais passer vite sur les deux derniers points.
Les deux derniers leviers d’action que je voyais, par rapport à ce qui est fait dans la littérature, ce sont des initiatives de mentorat. Avoir, en tant qu’étudiante de première année à la fac, un mentor femme qui est en informatique en deuxième année, ça augmente très fortement la probabilité que l’étudiante de première année reste et s’inscrive en deuxième année.
Et enfin, le dernier point que je vois c’est l’organisation du travail en groupes non mixtes et je pose un point d’interrogation parce que je ne sais pas si c’est vraiment souhaitable d’un point de vue pratique. Il y a quand même de nombreux papiers qui montrent que la diversité est très valorisée pour la dynamique d’une entreprise. N’empêche que ce que nous voyons dans la littérature scientifique, c’est que, quand on fait des groupes de travail, qu’on fait attention à ne pas grouper les mecs ensemble, qu’on fait bien attention à la composition des groupes de travail, on voit que les filles qui travaillent uniquement ensemble ou dans des groupes vraiment très mixtes, 50 % de filles, 50 % de garçons, ça augmente leurs chances de s’inscrire dans des filières scientifiques.
Le dernier point que je souligne, c’est le seul point qui n’a pas été évalué scientifiquement, mais j’ai pas mal de collègues développeuses qui sont inscrites dans des groupes d’échange uniquement de femmes pour discuter de leurs pratiques de code, PyLadies [2], R-Ladies [3], je pense que vous les connaissez mieux que moi, c’est aussi une initiative pour essayer d’attirer plus de femmes vers le monde de l’informatique.

Je dois avoir trois minutes pour les questions. Je serai ravie d’en prendre.

[Applaudissements]

Marion Monnet : J’ai même 13 minutes pour les questions.

Public : Bonjour. Avec les nouvelles formations par bootcamp [4], les formations de reconversion, pas des formations tout de suite après le lycée, est-ce que vous pouvez mesurer un changement dans la présence des femmes en informatique, dans le développement web par exemple ? Est-ce que vous pouvez mesurer ça ?

Marion Monnet : Si j’ai bien compris, ce sont les formations professionnelles, type reconversion professionnelle ?
Là, pour le coup, je n’ai pas du tout d’études en tête sur le sujet. Je n’aurai pas de réponse à vous apporter. Une chose est sûre c’est que si on a vraiment envie d’augmenter la proportion de femmes développeuses et informaticiennes, avoir des centres de formation qui vont activement chercher les femmes en recherche de reconversion pour leur dire « regarde, c’est quelque chose auquel tu peux postuler », c’est certain que ça augmentera le nombre de femmes qui s’inscrivent dans ces formations. J’ai l’exemple en tête d’une école de code informatique parisienne qui s’appelle Ada Tech School [5], une fois de plus c’est après le baccalauréat, mais ils sont très actifs pour aller sur les forums étudiants pour faire une campagne auprès des filles au moment de leur orientation et leur dire « vous pouvez postuler à notre formation, vous êtes les bienvenues ». J’imagine qu’il y aurait l’effet équivalent pour les formations professionnelles.

Public : Bonjour. Est-ce qu’on connaît l’impact des parents sur le développement de leurs enfants dans les trois premières années ? Et est-ce que tout est ce qui est très culturel français n’a pas, du coup, un impact sur le développement des garçons et des filles sur des filières compétitrices, logiques ?

Marion Monnet : Les parents jouent bien évidemment un rôle essentiel dans la transmission de ces normes et de ces stéréotypes de genre. Je ne sais pas si c’est spécifique au cas français, en tout cas les études que j’ai pu lire montrent très clairement une socialisation différenciée selon le sexe de nos enfants. J’ai par exemple en tête une étude qui montre que si un père va dans un musée à contenu scientifique avec son fils il va passer beaucoup plus de temps à lui expliquer le contenu des éléments scientifiques qu’il va voir alors qu’avec une fille il va passer beaucoup moins de temps à transmettre ses connaissances ou à échanger avec elle sur ce sujet. Pour le coup c’est clair. Il y a plein d’études qui montrent que la socialisation est différente selon le sexe de l’enfant. Dans les familles où il n’y a que des filles pour le coup on n’observe pas ces différences et les pères passent autant de temps à partager les contenus scientifiques avec leurs filles, c’est uniquement quand il y a des enfants des deux genres.

Public : Bonjour. Merci pour cette conférence. En fait vous associez beaucoup l’informatique et les mathématiques. Je me demandais s’il n’y avait pas déjà là un stéréotype, un biais sur lequel agir du fait de se dire pour être développeur, être informaticien, il faut forcément être mathématicien, aller dans les filières scientifiques à la base.

Marion Monnet : C’est une très bonne question parce que c’est principalement ce qui explique la chute, après les années 80, de la proportion de femmes informaticiennes. Initialement l’informatique était presque vue comme la continuité des machines à écrire, c’était un métier de femmes, de secrétaires on va dire. Comme petit à petit il y a eu un besoin croissant du nombre d’informaticiens et de développeurs, l’informatique a cherché à se donner une légitimité, puisque ce n’était pas défini comme science à l’époque, et a voulu mettre l’accent sur le contenu scientifique et mathématique de la discipline, ce qui a, de fait, activé les stéréotypes associés aux mathématiques, donc détourné petit à petit les femmes de ces filières. C‘est vraiment ça qui explique le plongeon après les années 1980. Donc premier élément qui explique le plongeon après les années 80, qui a été repris, relayé également par les médias qui ont fait des films comme Revenge of the Nerds qui ont vraiment mis en avant l’image du geek informaticien et largement détourné les femmes de ces filières ; ça y a contribué.
Aujourd’hui la filière informatique essaye de rebrousser chemin et de déconnecter, même si bien sûr il y a un fort contenu mathématique dans certains métiers informatiques, mais elle essaye de faire le chemin inverse et de casser ces stéréotypes associés à l’informaticien et à l’aspect scientifique un peu fou.

Public : Bonjour. Juste une petite question. Je voulais savoir si vous pensez que l’ouverture aujourd’hui du Capes informatique, donc des nouveaux cours informatiques aux terminales, premières, secondes, va aider à ne pas amalgamer les mathématiques et l’informatique et aussi à ce que les femmes rentrent plus vite dans l’informatique en étant obligatoire à l’école.

Marion Monnet : J’en suis convaincue, c’est vraiment le point numéro. Là ils changent et ils les mettent en contact avec l’informatique au niveau lycée, on devrait même le faire bien plus tôt, comme les mathématiques qu’on fait dès six ans. En tout cas c’est un changement positif qui va clairement contribuer à casser cette image qu’auront les femmes des filières informatiques puisqu’elles seront au contact de cette matière, elles verront bien la différence. J’en suis convaincue. En tout cas, si on croit dans les résultats de ces travaux, c’est certain.

Public : Merci beaucoup. Je suis papa de deux petites filles de six et huit ans et leur maman travaille sur les essais de moteurs de fusée, donc à la maison on baigne dans la tech. Et pourtant, quand on se déguise pour Halloween, on est tous en coccinelle. Par rapport à une question précédente, est-ce qu’on a des infos sur l’impact de l’exposition aux sciences en fonction de l’âge ? Est-ce que, pour moi, c’est déjà foutu et je range mon costume de cosmonaute ? Ou est-ce que c’est plutôt autour du lycée qu’on va avoir un impact plus fort sur l’exposition aux sciences ?

Marion Monnet : Pour le coup c’est vraiment ce sur quoi j’ai travaillé dans ma thèse de doctorat. Bien sûr le plus tôt c’est le mieux. Si on peut exposer les enfants très jeunes aux contenus scientifiques, de manière non genrée, c’est l’idéal, parce que c’est vraiment à ce moment-là qu’on formate les cerveaux, mais il n’est jamais trop tard et c’est ce que j’ai pu montrer dans ma thèse. On pourrait croire qu’en terminale S les élèves ont déjà sélectionnés des filières et qu’il pourrait être presque trop tard, mais ce sont quand même des moments clés de choix d’orientation. L’intervention à laquelle j’ai participé, cette intervention dont je parlais ici, les interventions de femmes scientifiques. On a envoyé des femmes scientifiques auprès de 20 000 lycéens au moment où ils doivent faire des choix d’orientation clés, donc avant leurs vœux sur Parcoursup. Ces femmes scientifiques témoignaient de leur expérience. Elles avaient un discours avec lequel elles brisaient vraiment les stéréotypes sur les femmes et les sciences, c’étaient des femmes normales, elles n’étaient pas en sandales à scratch et en tee-shirt Star Trek, donc ça cassait les stéréotypes. Ensuite elles témoignaient de leur expérience en tant que femmes scientifiques donc les filles s’identifiaient à ces femmes. On a vu que juste cette intervention d’une heure a augmenté la proportion de filles qui s’inscrivaient en prépa maths de 30 %. Je dirais qu’il n’est jamais trop tard. Le plus tôt c’est le mieux, c’est certain, mais il y a des mécanismes qui peuvent quand même se déconstruire au lycée, notamment quand ce sont des moments clés de choix d’orientation. Là les élèves se posent des tonnes de questions et c’est le grand chamboulement dans leur tête.

Public : Bonjour. Dans votre présentation vous nous avez fait comprendre qu’on faisait le même constat de la différenciation, littéraire pour les femmes, sciences pour les hommes, dans tous les pays de l’OCDE. Vous avez dit qu’il y a trois exceptions. Ma première question c’est quels sont ces pays et est-ce qu’on a été capable, après ce constat, de voir ce qui a été mis en place dans ces pays pour, justement, ne pas arriver au même constat, tout simplement ?

Marion Monnet : Je dois avoir les pays. Il y a la Russie, la Suède et la Finlande. Peut-être qu’un retour à l’économie soviétique nous aiderait [Rires du public, NdT]. En réalité ce sont des pays qui sont beaucoup plus égalitaires. La Suède, la Finlande et la Russie sont des pays beaucoup plus égalitaires. Il y avait même, il y a quelques années, la Corée qui n’apparaît pas là, mais ce sont des pays où il y a énormément de femmes qui font des mathématiques et de l’informatique. Ce sont des pays plus égalitaires de ce point de vue-là. Vous dire pourquoi ? J’avoue que je n’ai pas les résultats en tête. C’est en effet une bonne piste de réflexion.

Public : Bonjour. J’aurais aimé savoir s’il y a des études sur l’impact psychologique sur les filles qui font de l’informatique, pas celles qui ont été repoussées, celles qui ont traversé tout le process au fil des années, donc qui ont réussi dans ce métier.

Marion Monnet : Des études sur l’impact psychologique ? Non, pas à ma connaissance, mais il y en a sûrement. Vous voulez dire est-ce qu’elles ont été éprouvées psychologiquement du fait d’avoir été dans un milieu très masculin ? Je ne pourrai pas répondre à votre question, je n’ai pas du tout les études en tête.

Animateur : Il nous reste du temps pour une ou deux questions.

Public : Bonjour. Vous présentiez une série de leviers d’action sur la fin de la présentation qui étaient quand même principalement tournés sur la représentativité des femmes dans le milieu. Du coup je me posais la question : en tant qu’homme professionnel du milieu, y a-t-il des choses que je peux faire pour tirer la discipline vers plus de parité ?

Marion Monnet : C’est une question qu’on me pose très souvent et j’avoue que je sèche toujours un peu sur cette question. Non pas que je pense que les hommes ne puissent rien faire, bien au contraire. Puisque les femmes manquent de modèles auxquels s’identifier, il y a très peu de femmes informaticiennes, du coup elles ont du mal à s’identifier à ces femmes ; c’est vraiment le fait qu’il y ait une femme en face d’elles. Il y a des études qui ont essayé de transmettre l’information justement par le biais d’un homme, par le biais d’une femme ; c’est uniquement quand c’est une femme que ça fonctionne pour le côté identification. Là où je pense que les hommes peuvent vraiment jouer un rôle déterminant c’est en tant que recruteur, je ne sais pas si c’est votre cas. Je lisais une étude dans laquelle nous nous connaissions exactement la capacité à coder des hommes et des femmes et, à capacité à coder égale, on regardait sur leur CV, les femmes mettaient 10 % de capacité en moins que les hommes. Pour les compétences les garçons mettaient A, B, C et les femmes mettaient juste A, B, alors que nous savions qu’elles savaient faire les trois, comme les hommes. Peut-être être attentif à ce côté-là, au fait que les femmes se censurent beaucoup plus sur leurs compétences. Il en est de même pour les prétentions salariales. Une femme va systématiquement demander moins qu’un homme. À diplôme, expérience, âge, toutes choses égales par ailleurs, les prétentions salariales des femmes vont toujours être inférieures à celles des hommes. Donc, en tant que recruteur, être attentif à ça. Vous savez qu’elle va demander moins, mais regarder en moyenne dans le milieu, pour des postes équivalents, combien sont payés les hommes et faire en sorte d’ajuster l’offre salariale en fonction de ça. Ce sont les rôles que je vois surtout en tant que recruteur pour le coup.

Animateur : Merci beaucoup Marion. On l’applaudit bien fort.

[Applaudissements]