Pourquoi le logiciel libre est-il plus important que jamais - Richard Stallman - 2014

Richard Stallman : Pour commencer, je vais vous demander deux choses.
La première, si vous faites des photos de moi de ne pas les mettre dans Facebook, ni Instagram qui appartient à Facebook, parce que c’est un moteur monstrueux de surveillance, d’espionnage des gens. Je ne veux pas que Facebook possède des photos de moi et je vous propose de ne pas mettre les photos de vos amis dans Facebook, pour ne pas appuyer l’espionnage de vos amis.
Si vous faites un enregistrement de cette conférence et que vous voulez en diffuser des copies, prière de le faire uniquement dans les formats favorables au logiciel libre et dans les manières favorables, c’est-à-dire de préférence dans les formats Ogg ou webM, surtout pas avec Flash, c’est-à-dire pas dans YouTube et pas avec QuickTime ou Windows Media Player. Et assurez-vous que l’utilisation normale du site permet de décharger des copies sans exécuter du code JavaScript privateur, c’est-à-dire pas dans YouTube. Et mettez dans l’enregistrement la licence Creative Commons No Derivative, parce que c’est une présentation de mon point de vue.
C’est quoi le logiciel libre ? C’est le logiciel qui respecte les droits de l’homme.
Je peux expliquer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Liberté parce que ces programmes respectent, permettent que l’utilisateur fasse comme il veut. Égalité, parce que, à travers un programme libre, personne n’a de pouvoir sur personne. Et fraternité parce que nous encourageons la coopération entre les utilisateurs.
Spécifiquement qu’est-ce que ça veut dire ? Dans le logiciel il y a deux possibilités : ou les utilisateurs ont le contrôle du programme, ou le programme a le contrôle des utilisateurs. Il y a toujours l’un ou l’autre. Pour chaque programme, il y a l’un ou l’autre. Pour que les utilisateurs aient le contrôle du programme, ils ont besoin des quatre libertés essentielles.
La liberté 0 est celle d’exécuter le programme comme on veut pour n’importe quelle fin, n’importe quel but.
La liberté numéro 1 est celle d’étudier le code source du programme et de le changer pour que le programme fasse son informatique comme on veut.
Avec ces deux libertés chaque utilisateur a le contrôle du programme, mais de manière individuelle, c’est-à-dire pour chaque utilisateur séparément. Mais le contrôle par un utilisateur à la fois ne suffit pas, surtout parce que la grande majorité des utilisateurs ne sait pas programmer ; ils ne savent pas exercer la liberté numéro 1. Qu’est-ce qu’ils peuvent faire ? Même pour un programmeur comme moi la liberté numéro 1 ne suffit pas. Chaque programmeur est occupé à son travail. Personne n’est capable d’étudier et de bien comprendre le code source des milliers de programmes qu’il utilise. Les seuls utilisateurs capables de comprendre le code source de tous les logiciels qu’ils utilisent sont les États. Un État a beaucoup de ressources et peut engager assez de programmeurs pour que les équipes comprennent les programmes, mais une personne, non.
[Ah ! C’est pour faire du thé. Oui mais dans quoi ? Merci. Et de l’eau en plus aussi, s’il vous plaît.]
Donc il faut aussi le contrôle collectif par des groupes d’utilisateurs. Avec le contrôle collectif n’importe quel groupe d’utilisateurs peut collaborer à l’exercice du contrôle du programme. Mais ils ont besoin des deux autres libertés essentielles.
La liberté 2 est celle de faire et distribuer des copies exactes du programme aux autres quand vous voulez.
La liberté 3 est celle de distribuer des copies de vos versions modifiées.
Si chaque membre du groupe possède ces deux libertés, les membres du groupe peuvent coopérer dans le développement de leur version du programme et peuvent offrir des copies au public, aux autres, de leur version, quand ils veulent. Comme ça les utilisateurs ont complètement le contrôle de ce programme et le programme, normalement, fait ce que les utilisateurs désirent.
Mais si les utilisateurs n’ont pas complètement le contrôle du programme, c’est le programme qui a le contrôle des utilisateurs et le propriétaire qui a le contrôle du programme. Donc ce programme, pas libre, est un instrument de pouvoir injuste du propriétaire sur les utilisateurs. C’est pour ça que le logiciel privateur est une injustice et ne devrait pas exister. Il faut lutter pour l’élimination du logiciel privateur parce que comme ça les utilisateurs auront le contrôle de leur informatique, contrôle qu’ils méritent tous.
C’est la question qui a motivé le lancement du mouvement pour le logiciel libre il y a trente ans. Je voulais rendre possible l’utilisation d’un ordinateur en liberté, ce qui était impossible parce que tous les systèmes d’exploitation pour les ordinateurs modernes, dans l’année 83, étaient privateurs. Nous appelons les programmes pas libres « privateurs » parce qu’ils privent les utilisateurs de leur liberté. C’est l’injustice d’un programme pas libre : il prive de la liberté. Mais à l’époque, bien que l’état privateur d’un programme était injuste, on pouvait supposer que les développeurs étaient honnêtes, qu’ils ne mettaient pas des fonctionnalités malveillantes dans les programmes. C’était choquant quand on découvrait une fonctionnalité d’espionnage ou une porte dérobée dans un programme, parce qu’il ne fallait pas faire comme ça, même dans un logiciel privateur. Mais les standards ont baissé, maintenant ce n’est plus choquant ; c’est le cas usuel dans le logiciel privateur : il est malware. Normalement les développeurs n’ont plus honte parce qu’ils voient que les autres développeurs mettent toujours des fonctionnalités malveillantes dans le programme et chacun dit : « Pourquoi pas moi ? Si les autres le font et ne sont pas punis, pourquoi pas moi ? » Chacun ressent la tentation d’introduire des fonctionnalités malveillantes.
Il y a trois formes de fonctionnalités malveillantes. Il y a les fonctionnalités pour espionner l’utilisateur ; il y a les fonctionnalités pour restreindre l’utilisateur, ce sont les menottes numériques ; l y a aussi les portes dérobées qui reçoivent des commandes depuis quelqu’un d’autre pour abuser l’utilisateur de quelque manière, sans lui demander l’autorisation de le faire.
Maintenant presque tous les logiciels privateurs utilisent du malware connu privateur. Des exemples :
Windows contient les trois formes de la malveillance. Il a les fonctionnalités pour espionner, il a des menottes numériques et une porte dérobée universelle ; ça veut dire que Microsoft a le pouvoir d’imposer des changements de logiciel par force, à distance. Ça veut dire que n’importe quelle fonctionnalité malveillante qui n’est pas présente dans Windows aujourd’hui pourrait être imposée à distance demain. Windows est donc malvare universel.
Les systèmes d’Apple sont malware aussi. Mac OS contient des menottes numériques, mais le système des iThings est bien pire, pas seulement pour les fonctionnalités d’espionnage que les gens ont trouvées, mais surtout parce que Apple a pris le contrôle même sur l’installation des applications. Les iThings sont des plates-formes de censure. Apple a imposé la censure des applications, la censure arbitraire, commerciale, qui devrait être illégale. La vente d’un ordinateur qui accepte le chargement de programmes, applications sujets à la censure d’une entreprise, doit être illégale, mais elle n’est pas illégale, donc c’est complètement injuste ; c’est la perversion de l’informatique en système de contrôle des gens. Ce que les critiques de l’informatique prévoyaient, la menace qu’ils prévoyaient depuis des décennies est arrivée dans les iThings. Et bien sûr, ayant vu les iThings, Microsoft a suivi le même chemin avec Windows 8.
Les systèmes d’exploitation d’Apple sont donc malware.
Flash Player est malware et contient une fonctionnalité d’espionnage plutôt pour suivre les utilisateurs, cette fonctionnalité permet que les sites suivent facilement les utilisateurs, et aussi des menottes numériques. Flash Player est gratuit mais pas libre. Cet exemple nous démontre que la gratuité ne compte pour rien. C’est la liberté qui est importante.
Angry Birds aussi est malware, parce que ce programme espionne les utilisateurs.
Les téléphones portables aussi. Chaque téléphone portable numérique est un ordinateur, programmable, peut-être pas par l’utilisateur, même si ce n’est pas un smartphone, l’utilisateur ne peut pas changer le logiciel, mais quelqu’un d’autre peut. Il y a une entreprise qui a le pouvoir d’installer des changements de logiciels à distance dans le téléphone portable, que ce soit un smartphone ou pas. C’est une porte dérobée universelle.
Et le pire c’est qu’ils ont employé cette porte dérobée pour convertir, parfois, des téléphones portables en dispositifs d’écoute, qui écoutent tout le temps et transmettent tout le temps tout ce qu’ils écoutent. Si vous pensez avoir un peu de vie privée en éteignant le téléphone, surprise ! Le téléphone fait semblant de s’éteindre pendant qu’il continue d’écouter et de transmettre. La seule manière de bloquer cet espionnage est d’enlever toutes les piles, si vous pouvez trouver toutes les piles ! [Rires] Certains modèles ont une pile visible et grande et une autre pile cachée, petite, mais suffisante pour peut-être une demi-heure d’écoute, et il y a des modèles qui ne permettent pas l’enlèvement de la pile. Pourquoi ? Je me le demande !
Si vous portez un téléphone portable, le système sait toujours où vous allez, donc c’est un dispositif pour suivre et écouter les gens. Pour moi c’est le rêve de Staline. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas de téléphone portable.
L’informatique a été transformée en système d’espionnage et de contrôle des gens par des entreprises et par les États, parce que les entreprises collaborent avec les États ; elles n’ont pas le choix, mais souvent elles le font volontiers.
Grâce à Edward Snowden, nous savons jusqu’à quel point le gouvernement des États-Unis espionne tout le monde, y compris les citoyens américains et aussi les Français. Nous ne savons pas jusqu’à quel point l’État français espionne les Français parce que la France a éliminé les limites légales de la surveillance de l’État il y a quelques mois. La réaction au scandale révélé par Snowden a été d’enlever les freins à la surveillance. Avec autant de surveillance il n’y a pas de démocratie possible !
Ce qui était injuste au commencement pour le contrôle du propriétaire sur les utilisateurs est maintenant devenu encore pire. N’importe quel programme privateur doit être soupçonné d’être abusif. Quelques-uns le sont, quelques-uns ne le sont pas, mais nous ne pouvons pas savoir.
Des trois types de fonctionnalités malveillantes, seules les menottes numériques se voient. Les fonctionnalités d’espionnage de l’utilisateur et les portes dérobées ne se voient pas et sans étudier le code source, nous ne pouvons pas les identifier, sauf par hasard. Si nous avons de la chance nous les détectons, mais normalement nous ne savons rien. Donc chaque programme privateur exige une foi aveugle des utilisateurs. Comment dit-on en français sucker ? Est-ce qu’il y a un mot ? Quoi ? Plus fort, je n’entends rien ! Quoi ? A sucker veut dire quelqu’un de facile à tromper. Une victime prête.

Public : Un pigeon.

Richard Stallman : Un pigeon ? N’importe quel programme privateur est un logiciel pour les pigeons. Merci !
Donc il faut rejeter le logiciel privateur. Mais pourquoi ? Est-ce qu’il y a des fonctionnalités malveillantes dans le logiciel libre ? De temps en temps il y en a, mais c’est rare parce que les contributeurs au logiciel libre ne ressentent pas la même tentation que les propriétaires du logiciel privateur. Nous ne sommes pas des propriétaires. Nous n’avons pas de pouvoir sur les utilisateurs de nos programmes : les utilisateurs ont enfin le contrôle. Si quelqu’un met quelque chose d’injuste dans un programme libre, les utilisateurs ont le pouvoir de le changer, c’est notre défense, la seule défense connue contre le malvare, c’est-à-dire respecter les droits de l’homme des utilisateurs ; maintenant c’est plus important que jamais. Il peut y avoir des exceptions, mais vous devez douter que si vous utilisez un programme privateur, ce programme vous abuse.
Il y a aussi l’Internet. Pour ceux qui utilisent l’Internet, les droits de l’homme doivent s’étendre aussi à l’Internet. Maintenant nous savons que l’Internet est un système de surveillance, que presque tout est surveillé et pas seulement l’Internet : les autres systèmes numériques de la vie espionnent les utilisateurs. Je suis venu ici dans un Autolib’, mais si j’habitais Paris je n’utiliserais jamais les Autolib’, parce que je ne veux pas révéler où je vais. Je prendrais le métro. Quoi ?

Public : Dans le métro aussi.

Richard Stallman : Dans le métro quoi ?

Public : Avec Navigo on est hyper-surveillé.

Richard Stallman : Mais je n’utilise pas le Navigo ! J’achète des billets. J’achète un carnet.

Public : Vous payez en espèces ?

Richard Stallman : Bien sûr, je paye en liquide. Il faut payer en liquide pour ne pas être surveillé.
Il serait possible de développer le logiciel des Autolib’ ou des Vélib’ pour ne pas surveiller les utilisateurs. Techniquement ce serait possible, mais on répond : « Parfois il y a des criminels, il faut les chercher ». Bien sûr ! Quand le tribunal émet l’ordre de surveiller quelqu’un, l’État doit pouvoir le faire. L’État ne doit jamais surveiller tout le monde, seulement les individus sujets aux ordres du tribunal.
Il faut fabriquer les systèmes numériques pour ne pas surveiller tout le monde, pour surveiller uniquement, pour suivre uniquement, ceux qui sont sujets à des ordres légaux. Ça c’est respecter les droits de l’homme.
Pourquoi est-ce que la démocratie est en danger ?
L’État est l’entité la plus puissante dans notre vie. Si l’État commet des crimes, l’État peut tuer des millions et facilement des milliers [de personnes, NdT]. L’État peut mettre n’importe qui en prison. Il y a des terroristes, pas associés avec l’État, mais ils sont moins puissants, le mal qu’ils sont capables de faire est beaucoup plus petit. Il est entendu que nous avons besoin de l’État. Pour avoir l’état de bien-être, il faut d’abord l’État, donc l’État est nécessaire. Mais pour assurer que l’État ne nous attaque pas, il faut la démocratie, il faut que les citoyens aient le contrôle de l’État. Pour exercer ce contrôle, les citoyens doivent savoir ce que fait l’État. Cependant l’État agit secrètement. Comment exercer le contrôle sur les activités secrètes de l’État ? Il faut savoir ce que fait l’État. Comment le savoir ? Il y a une ancienne question célèbre que je ne sais pas traduire : Who watches the watchmen ? Comment dire ? « Qui surveille les surveillants ? » Maintenant nous savons. Les révélateurs de secrets surveillent les surveillants, the whistleblowers, les héros comme Snowden. Une autre chose que je ne sais pas traduire : Free cheers for Edward Snowden : Hip, hip hooray ! Hip, hip hooray ! Comment est-ce que ça se dit en français ? Est-ce qu’il y a un équivalent ? Il faut me parler fort. Je n’entends pas bien.

Public : Hip, hip, hip, hourra !

Richard Stallman : Quoi ? Free cheers. For so and so. Hip, hip, hooray !. C’est quoi la coutume française ? Est-ce qu’il y a une coutume équivalente ?

Public : Nous aussi on a une coutume courante.

Richard Stallman : Quoi ?

Public : Hip, hip, hip, hourra ! Nous aussi on l’a. Nous aussi on le fait.

Richard Stallman : Je n’entends pas les mots qu’il dit.

Public : Hip, hip, hip, hourra !

Richard Stallman : Pip pip pip hourra !

[Rires]

Richard Stallman : Merci beaucoup. Pip pip pip hourra !

Public : Hip, hip, hip, hourra !

Richard Stallman : De toute manière, il faut le dire, il faut reconnaître l’héroïsme de Snowden, parce qu’il y en a qui veulent salir son nom, entacher son nom comme un espion russe, etc, un traitre, mais il est le héros de mon pays et potentiellement de votre pays aussi, mais vous devrez agir, vous devrez vous organiser pour en profiter.
Celui qui veut révéler les secrets de l’État au public doit communiquer avec un journaliste. Si l’État espionne toutes les communications, si l’État possède la liste de tous les appels, l’État peut facilement déterminer qui a révélé les secrets pour le mettre en prison. Et qui oserait révéler des secrets ? C’est pour ça que Snowden a dû être tellement héroïque pour le faire parce qu’il savait qu’il serait détecté.
Évidemment ce n’est pas bon que la révélation des sales secrets de l’État soit si dangereux. Il ne faut pas que l’État suive tous les appels, toutes les communications des gens. Il ne faut pas que l’État soit capable de savoir qui a communiqué avec un journaliste. Il faut des moyens de communication pas suivis, anonymes, pour maintenir la démocratie, c’est-à-dire pour maintenir le contrôle démocratique du peuple sur l’État.
J’ai établi la limite maximum de la surveillance des gens dans une démocratie. Quand la surveillance générale dépasse le niveau où l’État sait qui a parlé avec qui, plus de démocratie ! Il faut fabriquer les systèmes numériques pour ne pas atteindre ce niveau de surveillance générale. J’ai proposé comment le faire avec plusieurs moyens. Il faut commencer avec du logiciel libre dans n’importe quel ordinateur, bien sûr, mais toute la surveillance n’est pas faite à travers de votre ordinateur. Quand la surveillance est faite dans l’Internet, dans les fournisseurs de connexion, dans les câbles océaniques, en suivant les voitures dans les rues, par les cartes Navigo ou par les Vélib’, il faut d’autres moyens et c’est possible. Ce qu’il faut c’est un mouvement organisé contre la surveillance totale des gens, contre l’accumulation de dossiers massifs sur chacun.
Voici où commence le problème. Quand les systèmes accumulent des dossiers sur chacun, plus tard, peut-être des années plus tard, l’État pourra consulter les dossiers pour savoir qui a communiqué avec qui il y a cinq ans, où est allé chacun il y a cinq ans et comme ça, pas de communication, pas d’action anonyme, donc pas de révélation des secrets, pas de démocratie !
Dans mon article gnu.org/philosophy/surveillance-vs-democracy.html [1], j’ai proposé des solutions à beaucoup de cas, employant plusieurs moyens.
Un autre moyen pour les systèmes qui doivent accumuler des données, c’est de garder les données sur place sans les rendre accessibles à l’Internet. Par exemple la différence entre un camarade surveillance et un camarade sécurité : le camarade sécurité garde l’enregistrement chez lui et pour le regarder il faut y aller et enlever le disque, la bande ou quoi que ce soit. Quand il y a une raison suffisante on le fait ; quand il n’y a pas de raison suffisante on ne le fait pas parce que c’est trop de travail. Donc la maintenance de ces enregistrements dans le dispositif est un obstacle à la surveillance générale.
Par contre, le camarade surveillance fournit ses enregistrements à l’Internet de manière à ce qu’ils puissent être facilement centralisés, ramassés dans un seul lieu et donc suivre tout le monde tout le temps.
Il y a aussi d’autres solutions, d’autres moyens que je n’ai pas besoin de mentionner aujourd’hui. Je veux dire deux ou trois points de plus.
Il y a des gens qui ne disent pas « logiciel libre », qui disent à la place open source. Pourquoi ? Parce qu’ils ne veulent pas poser la question des droits de l’homme. Ils voudraient plutôt l’oublier. Ils parlent des bienfaits pratiques du modèle de développement souvent utilisé dans le logiciel libre pour ne pas regarder les questions plus profondes. Les programmes qu’ils développent sont souvent libres et, dans ce cas, ce qu’ils font est éthique, mais c’est très dangereux de ne pas faire attention aux questions profondes.
Notre futur dépend surtout de nos valeurs. Donc il faut parler des droits de l’homme ; il faut communiquer les valeurs des droits de l’homme. Il ne suffit pas de les valoriser dans son cerveau ; oui il faut le faire, mais il faut aussi parler aux autres de ce sujet pour maintenir la force sociale de la valeur des droits de l’homme. C’est l’erreur de open source.
Moi je ne participe pas aux activités qui lèvent le drapeau ou le slogan d’open sourceparce que je veux que mes travaux soutiennent aussi l’attention aux droits de l’homme. Donc je choisis les activités qui lèvent le drapeau du logiciel libre, il y en a assez et vous aussi vous pouvez le faire.
Les écoles surtout et toutes les activités éducatives doivent enseigner uniquement du logiciel libre, parce qu’enseigner l’utilisation d’un programme privateur c’est l’implantation de la dépendance vers une entité et c’est un problème social qui ne doit pas exister, qui doit être éliminé. L’école ne doit pas promouvoir un problème social, la dépendance envers quelqu’un. L’école doit enseigner l’utilisation du logiciel libre pour former des utilisateurs habitués au logiciel libre et prêts à participer à une société libre, une société numérique libre dans ce cas.
Il y a aussi le but de la formation de bons programmeurs. Quelques-uns possèdent un talent spécial dans la programmation, ce sont des programmeurs nés, mais, pour devenir de bons programmeurs ils doivent apprendre à bien écrire le code. D’habitude, de l’âge de dix ans à l’âge de treize ans, ils sont fascinés par l’informatique, fascinés par la programmation ; s’ils utilisent un programme, ils veulent savoir comment il fait ça. Mais quand ils veulent savoir, si le programme est privateur, ils ne peuvent rien savoir, tout est secret. Le professeur doit leur dire : « Nous ne pouvons rien apprendre sur ce programme ».
Tout programme incorpore des connaissances. Dans le cas du privateur, ce sont des connaissances niées aux étudiants, donc c’est l’ennemi de l’esprit de l’éducation. L’école ne doit jamais tolérer la présence de programmes privateurs, sauf comme objets pour l’ingénierie inverse. Si le programme est libre et que l’élève veut comprendre comment il fonctionne, le professeur peut le lui expliquer, puis lui offrir la copie du code source de ce programme en lui disant : « Lis-le et tu pourras tout comprendre ». Cette jeune personne le lira parce qu’elle est fascinée et soutenue par le fort désir de tout comprendre. Puis le professeur peut lui dire : « Si tu trouves un point que tu ne comprends pas seul, montre-le-moi et nous pourrons le comprendre ensemble ». C’est l’opportunité d’apprendre que ce code n’est pas clair. Même si les programmeurs nés ne peuvent pas le comprendre, évidemment c’est du code très mauvais. Il ne faut pas l’écrire comme ça. Pour devenir de bons programmeurs, ils doivent apprendre que ce code n’est pas clair. Pour apprendre à bien écrire du code, il faut lire beaucoup de code et écrire beaucoup de code. Seul le logiciel libre offre l’opportunité de lire beaucoup de code des grands programmes qui sont utilisés. Puis il faut écrire du code pour des grands programmes, mais dans ce travail il faut commencer petit, c’est-à-dire écrire des petits changements dans des grands programmes. Seul le logiciel libre offre cette opportunité.
N’importe quelle école peut offrir l’opportunité de maîtriser le talent de la programmation, mais seulement en étant une école du logiciel libre.
Il y a une raison plus profonde. Pour l’éducation à la citoyenneté, l’éducation morale, l’école doit enseigner l’esprit de bonne volonté, c’est-à-dire l’habitude d’aider les autres. Chaque classe doit avoir la règle suivante : si un élève apporte un programme dans la classe, il ne peut pas le garder pour lui, il doit le partager avec les autres, y compris son code source dans le cas où quelqu’un veille apprendre, parce que la classe est un lieu pour partager les connaissances. Donc il n’est pas autorisé d’apporter un programme privateur dans cette classe sauf pour la pratique de l’ingénierie inverse. L’école doit donner le bon exemple en suivant sa propre règle, c’est-à-dire que l’école doit apporter uniquement du logiciel libre à la classe pour partager des copies avec tous dans la classe, y compris le code source, sauf dans la pratique de l’ingénierie inverse qui est très importante. Toutes les universités doivent enseigner les techniques de l’ingénierie inverse. C’est très important pour notre progrès.
Pour davantage d’informations, il y a les sites gnu.org [2], fsf.org [3], fsfe.org [4], c’est La FSF Europe et april.org [5], et les trois derniers sites sollicitent votre adhésion. Si vous voulez adhérer à la FSF et payer, comment dit-on, une cotisation annuelle en liquide, vous pouvez le faire avec moi. Je suppose que pour l’April, si Frédéric [Couchet] est toujours présent, il peut accepter ici des cotisations pour l’April. Vous pouvez aussi le faire par les sites web, si vous acceptez de faire des paiements numériques suivis. Moi je ne le fais pas !

Maintenant je vous présente mon autre identité.
Je suis le saint IGNUcius, de l’église d’Emacs. Je bénis ton ordinateur mon fils.
Au commencement Emacs était un programme éditeur extensible de texte, que j’avais écrit, qui est devenu, au cours des années, une manière de vie pour beaucoup d’utilisateurs parce qu’il a été amélioré jusqu’au point où ils pouvaient faire toute leur informatique sans jamais sortir d’Emacs. Puis il est devenu une église avec le lancement du groupe de notices alt.religion.emacs, dont la visite peut vous divertir.
Dans l’église d’Emacs nous n’avons pas de services, seulement des logiciels. Nous avons un grand schisme entre plusieurs versions rivales d’Emacs et nous avons aussi des saints mais pas de dieu. Au lieu de dieu nous adorons l’unique vrai éditeur Emacs.
Pour devenir membre de l’église d’Emacs, il faut prononcer la profession de foi. Il faut dire : « Il n’y a pas d’autre système que GNU et Linux est un de ses noyaux ». Puis, si vous devenez très expert, vous pouvez le célébrer avec notre cérémonie la « foobar mitzvah », dans laquelle on chante une partie de notre texte sacré, c’est-à-dire le code source du système d’exploitation.
Nous avons aussi le culte de la vierge d’Emacs, qui se réfère à n’importe qui n’ayant jamais utilisé Emacs et, selon l’église d’Emacs, lui offrir l’opportunité de perdre la virginité d’Emacs est un acte béni.
Nous avons aussi le pèlerinage d’Emacs, ce qui veut dire invoquer toutes les commandes d’Emacs en ordre alphabétique. Il y a une secte tibétaine qui croit qu’il suffit de les invoquer automatiquement sous le contrôle d’un script, mais l’église principale croit que pour gagner un mérite spirituel il faut les taper à la main.
L’église d’Emacs, comparée à d’autres églises, a des avantages, que je ne vais pas citer. Par exemple l’église d’Emacs n’exige pas le célibat pour être saint mais elle exige de vivre une vie pure et éthique : il faut exorciser, c’est correct ?, les systèmes privateurs et diaboliques qui ont possédé les ordinateurs sous votre contrôle ou les ranger pour votre utilisation régulière et installer un système pur et libre, sain et libre, en anglais je dirais a holy free system, puis n’utiliser et n’insérer que du logiciel libre, sûr dans le système. Si vous faites ce vœu et si vous le suivez, vous serez saint et vous aurez aussi le droit de porter l’auréole, si vous en trouvez une parce qu’ils n’en fabriquent plus. On m’a demandé si mon auréole est vraiment un vieux disque dur d’ordinateur. Ce n’est pas un disque dur, c’est mon auréole, mais c’était un disque dur dans une vie antérieure. Merci beaucoup.

[Applaudissements]
[Richard salue le public à diverses reprises.]

Richard Stallman : Où se trouvent les autocollants ? Est-ce que les autocollants sont disponibles à prendre ? Il faut les mettre à la disposition des gens qui sortent.

Organisateur : On va les mettre.

Richard Stallman : Oui, oui, oui. Il y a aussi des petites marchandises de la FSF à vendre, des badges, des grands badges pour trois euros, des autocollants métalliques qui disent GNU et Linux, dedans, en anglais, pour deux euros. Ah ! Mais je dois vendre aux enchères ce petit gnou adorable. J’étais en train de l’oublier. Où sont les petits badges ? Il y en a. Quelque part il y en a. Oui, il y a aussi les petits badges pour deux euros qui portent la tête de gnou.
Voici le petit gnou adorable qui a besoin d’une famille. Je vais le vendre aux enchères au bénéfice de la FSF. Si vous achetez le Gnou, je peux signer la carte. Si vous avez un manchot chez vous, vous avez besoin du gnou pour le manchot parce que, comme nous savons, le manchot ne peut rien faire sans gnou.
Quand vous renchérissez prière d’agiter la main et de crier le prix que vous offrez pour que je l’entende parce que j’ai des problèmes auditifs. Nous pouvons accepter le paiement en liquide ou par carte de crédit si elle peut faire des achats internationaux par téléphone. Je resterai ici pour répondre aux questions peut-être pendant une demi-heure, vous aurez le temps d’aller retirer de l’argent. Je commence avec le prix normal de vingt euros. Est-ce que j’ai vingt euros ? Combien ?

Public : Vingt-cinq.

Richard Stallman : Vingt-cinq. J’ai vingt-cinq.

Public : Vingt-sept.

Richard Stallman : Oh non ! Je ne veux pas augmenter avec si peu, donc trente et plus.

Public : Trente.

Richard Stallman : J’ai trente euros.

Public : Quarante.

Richard Stallman : J’ai quarante.

Public : Quarante-cinq.

Richard Stallman : Quarante-cinq. J’ai quarante-cinq.

Public : Cinquante.

Richard Stallman : J’ai cinquante. Est-ce que j’ai cinquante-cinq ?

Public : Cinquante-cinq.

Richard Stallman : J’ai cinquante-cinq. Est-ce que j’ai soixante ?

Public : Soixante.

Richard Stallman : J’ai soixante. Est-ce que j’ai soixante-cinq ? Soixante-cinq euros pour ce gnou adorable ! Combien ?

Public : Soixante-dix.

Richard Stallman : J’ai Soixante-dix. Est-ce que j’ai soixante-quinze ? J’ai soixante-quinze. Est-ce que j’ai quatre-vingts ? Quatre-vingts euros pour ce gnou adorable ! Quatre-vingts euros pour la FSF. Combien ? J’ai quatre-vingts, est-ce que j’ai quatre-vingt-cinq ? Quatre-vingt-cinq quelqu’un ? Quatre-vingt-cinq quelqu’un pour ce petit gnou adorable ! Quatre-vingt-cinq ou plus à la FSF pour protéger la liberté ? Quatre-vingt-cinq ou plus ? C’est la dernière opportunité. Un, deux, trois. Vendu pour quatre vingts.

[Applaudissements]

Richard Stallman : Venez. Venez payer. Comment voulez-vous payer ?

Heureuse propriétaire : En espèces.

Richard Stallman : D’accord. C’est bon.

Public : Vous ne serez pas surveillé !

Richard Stallman : Oui, bien sûr, et je le signerai après les questions. Venez.

Heureuse propriétaire : Je vais aller chercher…

Richard Stallman : D’accord, j’attends. Donc les questions. Il faut me parler fort et lentement parce que je suis dur d’oreille, même avec le micro il faut parler fort et lentement. Est-ce que je peux avoir un siège ? Merci.

Public : Yves. Firefox, open source or free ?

Richard Stallman : Cette question n’a pas beaucoup de sens.

Public : OK.

Richard Stallman : Presque tous les programmes open source sont libres, mais il y a une différence, une différence pratique, ou plutôt deux différences pratiques.
La première c’est que, il y a quinze ans, quelques personnes ont proposé et utilisé des licences que nous avons rejetées comme pas libres car trop restrictives, alors que celles d’open source les ont acceptées. Donc il y a des licences, peut-être des dizaines de licences, qui sont open source mais pas libres. Est-ce qu’il y a encore des programmes distribués sous ces licences ? Je ne sais pas. Peut-être pas. Peut-être qu’ils ont disparu ou changé de licences, parce qu’il y a beaucoup d’années que je n’ai pas vu de programmes sous une de ces licences ; peut-être qu’elles ont disparu, ce serait bon !
L’autre différence pratique entre l’open source et le logiciel libre est devenue très importante. Il y a des ordinateurs tyranniques qui ne permettent pas que l’utilisateur exécute un autre système que celui qui a été livré avec le produit et souvent le noyau de ce système est Linux, donc il vient avec son code source. L’utilisateur peut changer ce code source et compiler sa version, mais il ne peut pas mettre sa version dans l’ordinateur et l’utiliser, parce que l’ordinateur a été fabriqué pour le rejeter. Nous disons que le code source de cette version de Linux, le noyau, est libre parce qu’il est publié sous une licence libre, c’est la version 2 de la licence publique général de GNU ; le code source du noyau est libre mais l’exécutable dans la machine n’est pas libre parce que l’utilisateur ne peut pas le changer.
Ceux de l’open source regardent la même situation et disent : « Oui ce programme est open source ! », parce qu’ils ne considèrent que le statut du code source et, bien sûr, ils regardent ce code source avec sa licence et disent : « C’est open source » ; nous disons que ce code source est libre, mais nous faisons aussi attention à la liberté de l’utilisation dans la machine, eux non ! C’est la différence la plus importante entre open source et logiciel libre. Comparé à la totalité du logiciel libre, c’est une petite fraction, il y a une différence pratique entre l’open source et le logiciel libre, mais c’est une petite fraction importante.
La grande différence se trouve au niveau philosophique, au niveau des valeurs. pour nous, les valeurs sont les droits de l’homme. Pour eux les valeurs sont pratiques et rien de plus profond.
Est-ce que Firefox est open source ? Est-ce que Firefox est libre ? Presque, mais non ! Parce que le nom et le logotype de Firefox portent des restrictions contre la rediffusion. Le code même est libre, mais l’ensemble ne l’est pas. Pour que ce soit libre, il faut ôter le nom Firefox et le logotype. C’est pour cette raison que Debian contient Iceweasel. Ils ont changé le nom et le logotype pour échapper aux restrictions sur le nom et sur le logotype. Ils ne changent pas le code, mais ils lui ôtent le nom.
Nous, dans notre navigateur IceCat, nous changeons plus, parce que nous voulons protéger la vie privée de l’utilisateur.
Il y a des fonctionnalités abusives dans Firefox et il y a des fonctionnalités de tout navigateur que les sites ont appris à abuser pour suivre les utilisateurs, les visiteurs. Donc nous développons le code pour bloquer le « suivement », comment dit-on ?, le traçage des utilisateurs. Ces fonctionnalités n’étaient pas conçues pour le traçage des utilisateurs, mais elles ont été perverties pour le faire. Donc il faut les désactiver.
Est-ce que Firefox est open source ? Je m’en fiche ! Je ne m’intéresse pas à l’open source. Je soutiens le logiciel libre, en anglais free software, mais nous disons parfois aussi « libre », même en anglais, pour emphatiser qu’il s’agit de la liberté et pas de la gratuité.

Public : Vous avez parlé de l’école et de l’université, est-ce que vous pouvez nous parler de l’entreprise, l’utilisation du logiciel libre, actuellement surtout il y a un phénomène qui s’appelle le cloud. Qu’est-ce que vous pensez du cloud ?

Richard Stallman : Ce n’est pas un phénomène, c’est une confusion de beaucoup de pratiques différentes.

Public : Tout le monde parle de ça pour les entreprises.

Richard Stallman : Beaucoup ont confondu.

Public : C’est ça.

Richard Stallman : Pour comprendre ces pratiques, il faut d’abord rejeter la confusion. Il faut distinguer les pratiques. Donc je rejette l’expression cloud. C’est nébuleux, donc je ne dis pas cloud. De quoi s’agit-il ?

Public : Par exemple l’IaaS, l’Infrastructure as a Service, comme le projet Open Stack. Il y a le cloud privé, le cloud hybride, le cloud public.

Richard Stallman : La location de serveurs virtuels.

Public : Est-ce qu’on peut mettre ses données chez quelqu’un ? Le cloud public.

Richard Stallman : Pas de problème. Ah ! C’est autre chose. Il y a deux questions. Vous confondez plusieurs questions.

La première question : si vous voulez louer un serveur virtuel, est-ce que c’est bon ou mauvais pour vous ? Je trouve que c’est bon pour vous si vous avez le contrôle du logiciel qui tourne dans le serveur virtuel. Pour la sécurité, ce n’est pas la même chose que d’avoir la machine chez soi. Mais, dans le cas où vous n’avez pas besoin d’une telle sécurité, c’est acceptable. On peut louer une machine physique, à distance, et on peut louer une machine virtuelle à distance ; les deux choses sont égales quant au contrôle de l’informatique. Donc je trouve que l’utilisation d’un serveur à distance loué est acceptable. Il faut utiliser du logiciel libre dedans, mais c’est normal de le faire dans ce cas.
Mais si ce que vous faites avec ce serveur c’est offrir un service au public, il y a une autre question. Est-ce que ce service est éthique envers les utilisateurs du service ? C’est une autre question et la réponse dépend des détails. Si le service offre d’héberger les données de l’utilisateur, c’est un service aux pigeons ! Il ne faut jamais confier ses données au serveur de quelqu’un d’autre ; c’est les confier à la NSA, à l’État français, à beaucoup d’autres États et peut-être même à d’autres qui ne sont pas des États, peut-être des des groupes criminels. C’est de l’informatique pour pigeons !
Maintenant vous voyez pourquoi il faut distinguer les pratiques. Parler de cloud finit dans la confusion, c’est inévitable.

Public : Qu’est-ce que vous pensez des cryptocurrences comme le Bitcoin, comme une alternative à ce que vous…

Richard Stallman : D’abord, je ne connais pas assez la cryptographie ni l’économie pour juger profondément, comment dit-on ? Je ne sais pas le dire en français, pour juger une cryptomonnaie ou quoi que ce soit. L’idée, en général, me paraît bonne, parce que ça permet d’éviter les restrictions, par exemple, pour appuyer Wikileaks. Le gouvernement des États-Unis a essayé de chasser Wikileaks de l’Internet et de bloquer l’envoi d’argent vers Wikileaks, mais, grâce à Bitcoin, on peut le faire. Mais Bitcoin a un problème : le payeur n’est pas anonyme. Dans Bitcoin, aucune transaction n’est anonyme. Chaque transaction est enregistrée dans la chaîne de blocs avec la bourse de paiement et la bourse qui reçoit le paiement et, si ces bourses sont associées à quelqu’un tout le monde sait qui a payé, qui a reçu. Théoriquement les bourses peuvent exister sans être associées, mais comment mettre une valeur dans sa bourse ? Il faut échanger de l’argent pour des bitcoins ; si on fait ça avec une carte de crédit, la transaction est associée avec soi.
Pour libérer le Web, il faut une manière de payer de façon anonyme à un site web. Il y a des projets pour construire des paiements anonymes sur la plate-forme de Bitcoin ; c’est un chemin pour y arriver. Nous savons aussi faire des espèces numériques de manière à ce que A puisse acheter des espèces numériques à sa banque et la banque saura qui achète les espèces. Ensuite A peut payer en espèces à B et B peut les convertir en espèces à sa banque et la banque saura que B aura reçu de l’argent en espèces numériques, mais personne ne peut savoir que c’est A qui a payé à B. C’est un système cryptographique très astucieux, très malin, qui a été inventé par David Chaum [6] il y a plus de vingt ans.

Public : Vous parliez d’installer des logiciels libres dans le domaine de l’éducation. J’aimerais vous demander comment on peut faire pour faire en sorte que notre lieu d’éducation, comme un lycée ou une école, soit favorable au logiciel libre ?

Richard Stallman : C’est une question de politique. Il faut organiser les gens. Il faut créer un mouvement politique. Ce n’est pas facile et je ne sais pas le faire en France ; je ne suis pas français, je suis étranger.

Public : Moi, en tant qu’élève, comment je peux faire au niveau local, juste au niveau de mon établissement ?

Richard Stallman : D’abord présenter la question aux autres, pour les rendre conscients de la question et de l’injustice du logiciel privateur. Puis il faut aussi refuser personnellement d’utiliser les programmes privateurs, au moins jusqu’à un certain point, visible par les autres, pour donner l’exemple de refuser, peut-être au prix de quelques sacrifices personnels, parce qu’être prêt à faire un sacrifice démontre que tu valorises la liberté. Beaucoup disent : « Ah oui je voudrais bien migrer vers le logiciel libre quand il y aura quelque chose de disponible aussi commode, tout aussi commode que ce programme privateur que j’utilise. Quand ce sera complètement facile, je le ferai ! » Ce qu’ils disent, c’est qu’ils ne valorisent pas la liberté. Pour eux, la valeur de la liberté est plus ou moins zéro. Parfois, la liberté exige un sacrifice. En faisant ce sacrifice, tu peux démontrer aux autres que pour toi c’est une question sérieuse.
Il faut aussi demander des changements. Les changements peuvent procéder par étapes. La première étape peut être d’avoir l’autorisation d’utiliser au moins un ordinateur avec un système libre dans l’école et le connecter au réseau de l’école de quelque manière. Moi, si une classe exigeait que j’utilise un programme privateur, je dirais non. Je dirais que même si je ne passe pas cette année, je ne vais pas dans cette classe. Je ne peux pas le faire comme ça. Prière de m’offrir l’opportunité, prière de m’autoriser à faire des études dans cette classe avec du logiciel libre et le travail supplémentaire sera pour moi. J’accepte de faire plus de travail pour le faire de façon éthique, selon ma conscience.
D’autres questions ? Je n’entends rien.

Public : Par exemple dans les téléphones. Est-ce que la Free Software Fondation a favorisé le logiciel libre dans les téléphones ?

Richard Stallman : Oui nous le faisons.

Public : Est-ce que c’est très compliqué ?

Richard Stallman : D’abord laissez-moi répondre.
Il y a une version libre d’Android. Android est partiellement libre, partiellement privateur. Mais il y a une version complètement logiciel libre qui s’appelle Replicant [7], développée par des Français et vous pouvez facilement y participer. Pourquoi pas ? Ils ont besoin de main d’œuvre. Mais Replicant ne sait pas fonctionner dans tous les modèles, parce qu’il faut l’adapter à chaque modèle. Il faut du travail parce qu’il y a des interfaces secrètes qu’il faut découvrir pour adapter Replicant à chaque modèle ; il faut de l’ingénierie inverse.
Dans les téléphones il y a un problème inévitable, incorrigible, sauf en fabricant d’autres téléphones. J’ai dit qu’il y a une porte dérobée universelle dans les téléphones portables. Dans les téléphones portables, d’habitude il y a deux processeurs : le processeur principal qui tourne le système d’exploitation et les applications et l’autre processeur qui s’appelle le modem, qui communique avec le réseau téléphonique. La porte dérobée est dans le modem. Selon les circuits du téléphone, le modem peut prendre le contrôle de l’autre processeur et remplacer tout son logiciel. Donc sous le contrôle, à distance, par cette dérobée, ils peuvent remplacer n’importe quel système d’exploitation que vous avez installé. La seule manière de bloquer ce processus c’est par la fabrication du téléphone de manière à ce que le modem ne puisse pas prendre le contrôle de l’autre processeur. Il y a des modèles fabriqués comme ça, en petites quantités. Je n’entends rien.

Public : Ubuntu est en train de créer une gamme de portables comme ça.

Richard Stallman : Vraiment ?

Public : Avec Linux-Ubuntu.

Richard Stallman : Ce n’est pas Linux, c’est le système GNU. Ubuntu est le système GNU, mais ils ne le reconnaissent pas, ils l’appellent Linux, ça veut dire qu’ils ne reconnaissent pas notre travail, ce qui n’est pas bon. Prière de ne pas les suivre dans leur erreur.

Public : Ubuntu fait ça en ce moment, travaille.

Richard Stallman : Vous êtes certain qu’ils construisent des téléphones de manière à bloquer cette porte dérobée ?

Public : Ils sont allés en Corée, justement pour voir.

Richard Stallman : Est-ce que vous pouvez m’envoyer le texte qui le dit ?

Public : Un lien ?

Richard Stallman : Ou un lien. Ce serait très intéressant.

Public : D’accord. Pas de souci.

Richard Stallman : Ubuntu est une des distributions GNU et Linux qui contient des programmes privateurs, donc nous ne pouvons pas le recommander. Nous avons une liste de distributions complètement libres, c’est-à-dire dont tous les composants sont libres dans gnu.org/distros [8], donc nous ne pouvons pas recommander Ubuntu. Mais si le support physique est meilleur nous pouvons enfin produire quelque chose de complètement libre, parce que peut-être qu’il faut de l’ingénierie inverse, mais enfin nous pourrons distribuer quelque chose de tout à fait libre pour utiliser ces modèles de téléphone. Ce serait intéressant.

Organisateur : J’avais deux questions, tout d’abord une pour l’assemblée, savoir, juste à titre indicatif, qui est programmeur ou professionnel de l’informatique dans la salle ?

[Richard lève le bras.]

Organisateur : OK. Donc c’est bien ce que je pensais.

Richard Stallman : Et qui ne l’est pas ?

Organisateur : Là, on voit que c’est à peu près moitié-moitié avec une légère majorité pour les gens de l’informatique. La question que j’avais pour vous c’est : comment faire pour séduire, on va dire les néophytes, les gens qui ne sont pas directement touchés par ces questions-là que vous avez soulevées ?

Richard Stallman : Tous les utilisateurs sont touchés directement par les abus sur leurs droits de l’homme. Les arguments pratiques offerts par les gens d’open source n’intéressent d’habitude que les informaticiens, mais les arguments éthiques que nous présentons dans le mouvement pour le logiciel libre peuvent être compris par n’importe qui. Il y a même des activistes du logiciel libre qui ne sont pas des informaticiens, par exemple le président de l’Équateur est activiste du logiciel libre, il ne faisait pas d’informatique, mais il a bien compris les questions éthiques. Est-ce que j’ai dit qu’il fallait être informaticien pour comprendre ? J’espère que non. Ce qu’il faut c’est prendre au sérieux les droits de l’homme. Dans le passé, quand j’énumérais les droits de l’homme, je disais « toutes les choses que Sarkozy déteste » ; il les déteste toujours, mais c’est moins pertinent !

Organisateur : Il y a une question sur IRC.

Richard Stallman : C’est la dernière question parce que je me fatigue.

Public : Merci de nous avoir parlé en français. Je voulais savoir si vous pensez ou si vous savez si l’administration américaine est aussi accro des logiciels Microsoft que l’administration française ?

Richard Stallman : Je ne sais pas. Je ne communique pas avec l’administration américaine, mais il n’y a pas de règle générale. C’est ce que je sais. Chaque agence fait comme elle veut ; il y a beaucoup de niveaux de gouvernement mais il n’y a pas beaucoup d’utilisation de logiciels libres dans l’administration américaine.

Public : Merci.

Richard Stallman : Il y en a plus en France.

Public : Je le pense oui.

Public : Sauf au ministère de la Défense !

Richard Stallman : Il faut migrer au logiciel libre dans les forces armées parce que l’utilisation de programmes privateurs rend la sécurité nationale vulnérable. Quoi ?

Public : C’est l’inverse. Il y a le projet par exemple qui s’appelle Open Bar. C’est une offre de logiciels de Microsoft pour le ministère de la Défense, alors que la gendarmerie française, c’est le contraire, elle le fait dans les logiciels libres.

Richard Stallman : Ah ! Donc c’est idiot ce que fait le ministère de la Défense ! Il rend vulnérable le pays aux États-Unis bien sûr et peut-être aux autres gouvernements. Il y a une porte dérobée dans Windows pour l’utilisation de la police dans plusieurs pays. Plus de quarante pays ont reçu le programme de contrôle de cette porte dérobée. Ce programme s’appelle COFEE [Computer Online Forensic Evidence Extractor] et écrit des USB qui peuvent s’insérer dans une machine sous Windows pour prendre le contrôle de la machine, pour regarder n’importe quoi, pour décrypter les fichiers cryptés par Windows. Si la police d’un pays possède ce programme, l’agence d’espionnage de ce pays, bien sûr, le possède aussi, mais des mafias le possèdent aussi. Ce programme a filtré au public. N’importe qui peut écrire ces USB pour prendre le contrôle d’un système sous Windows. L’utilisation de Windows dans le domaine militaire est idiote !
C’était la dernière question parce que je me fatigue. C’est trop. Merci beaucoup.

[Applaudissements]