Les idées reçues des OSC sur l’open : parlons open source et open data ! Webinaire

[OSC signifie Organisations de la société civile, NdT]

Maeve : Bonjour à tous. Bienvenue à ce premier webinaire de la série de décryptage des enjeux de la gestion de données programmes qu’on organise au niveau de CartONG avec notre partenaires pour ce webinaire Ritimo.
Je me présente. Je suis Maeve, je suis responsable du projet qui vise à renforcer les pratiques des ONG francophones en gestion de données programmes. C’est dans ce cadre-là qu’on organise cette série de webinaires.
On est sur la troisième année du projet. Dans le cadre du projet on a sorti et publié énormément de ressources à la fois un peu structurantes pour le secteur et aussi très pratico-pratiques avec une boîte à outils pour les ONG, etc. Avec cette série de webinaires, on voulait vraiment aider les ONG à prendre un peu de hauteur sur certains enjeux importants à long terme, aujourd’hui il y a la question l’open, mais on en a également d’autres en réserve pour les quatre mardis qui viennent.
Pour poser un petit peu le sujet, la semaine dernière on avait une session inter ONG sur la gestion de leurs données programmes et, pendant cette journée qui a été pleine de péripéties, on a évoqué un peu le sujet de l’open source en demandant aux ONG d’indiquer, selon elles, qu’elle était leur maturité sur ce sujet-là, sur d’autres également. Sur le sujet de l’open source, les ONG opérationnelles se sont placées à peu près toutes entre 0 et 1 sur une échelle de 0 à 5, pour vous donner un petit peu le cadre pour ce webinaire d’aujourd’hui.
Il y a une multitude de raisons à tout cela qu’on va vraiment explorer avec plus de détails aujourd’hui. C’est vraiment pour vous dire que cette séance d’aujourd’hui a vraiment pour objectif à outiller un petit peu les ONG, les aider à cerner le sujet, les possibilités qui s’offrent à elles, quand est-ce que ça peut être pertinent pour elles d’utiliser de l’l’open source.
Pour vous présenter très rapidement le déroulé, on démarrera avec Mathieu qui présentera un petit peu les intervenants qu’on a et que l’on remercie d’être là. Qui va également vous présenter un petit peu les concepts de l’open et du Libre, on parle beaucoup d’open source mais on traite aussi le sujet de l’open data aujourd’hui.
On enchaînera un peu avec un état des lieux de la situation des ONG aujourd’hui en termes d’open qui sera fait par un de nos intervenants, Martin.
On basculera ensuite sur une série de questions pour nos intervenants auxquelles vous pouvez également ajouter, par le biais de la discussion publique, toutes les questions qui vous semblent intéressantes.
En termes d’open on a tenté aujourd’hui de montrer un petit peu l’exemple au niveau de CartONG en passant sur un nouvel outil, BBB [BigBlueButton], parce que nos webinaires, par le passé, étaient sur Zoom. Nous sommes tous plein de contradictions, en particulier dans le monde de l’humanitaire, il faut garder ça en tête. Je pense que beaucoup d’intervenants n’ont pas forcément l’habitude d’utiliser BBB. Pour les aspects pratiques vous avez le chat sur lequel vous pouvez réagir, on prendra les questions en fonction du déroulé, en gardant en tête que le public cible reste aujourd’hui les ONG, je le précise parce que, en termes de niveau technique, de vocabulaire utilisé et du type de questions ça peut avoir quand même un impact. On ne pourra pas répondre à toutes les questions très techniques, en une heure et quart, si on veut aborder tous les sujets, donc à garder en tête. On vous demande juste de ne pas utiliser la main levée qui est disponible, mais vraiment utiliser le chat si vous avez des interventions à faire.
Dernier point. Ce webinaire est enregistré. Il sera également disponible en licence libre suite au webinaire, bien entendu. Si on parle en vocabulaire Framasoft [1] on peut parler un peu de ressources compostables. Vous le trouverez, on le mettra à la fois à disposition sur, désolée, le YouTube de CartONG et je pense également sur un PeerTube [2] libre par ailleurs. Vous pourrez le voir. N’hésitez pas aussi à consulter le portail, on partagera le lien, le portail sur lequel on a des posts de blogs où on fera également une série de posts de blogs associés à tous ces webinaires, on en aura moins deux sur l’open, c’est aussi une occasion pour vous d’aller voir un petit peu des sujets liés à ce webinaire avec un peu plus en détail suite à l’intervention.
Je m’arrête là. Je laisse la parole à Mathieu Wostyn.

Mathieu Wostyn : Bonjour à tous et à toutes. Merci beaucoup d’être présents et présentes. Merci beaucoup à Maeve pour l’initiative. Maeve s’est présentée rapidement, elle est aussi responsable de projets en collecte de données et gestion de l’information pour CartONG [3]. Je suis moi-même en charge du numérique pour le réseau Ritimo [4] qui compte à peu près une soixantaine d’associations membres en France sur des questions de solidarité internationale, en particulier sur les questions liées à l’information et ses conditions de production, de publication et de diffusion, d’où le lien avec le numérique, en particulier le numérique libre, puisque aujourd’hui Ritimo fonctionne uniquement avec des logiciels libres. Je pense que Johan aura aussi l’occasion de témoigner de ça de son côté.
Je voulais présenter rapidement nos intervenants du jour. Merci à eux d’avoir répondu présent pour cette session.
Johan est cofondateur de la coopérative MULTI, qui s’appelait Jailbreak, qui était connue sous ce nom-là avant, qui a une grosse implication dans de nombreuses initiatives qui tournent autour des questions de l’open data et de la Carto, peut-être qu’il développera quand il prendra la parole.
Martin exerce aussi au sein de CartONG et est responsable de projets en cartographie participative et en open data, du coup SIG Map, OpenStreetMap, pareil il développera un petit peu.
Enfin Jean-Christophe, actuellement vice-président de l’April, l’association de promotion du logiciel libre, qui est aussi membre du groupe de travail Libre Asso dans ce cadre-là et qui est le fondateur d’Apitux.
Mer remerciements également pour Léonie et Anaïs qui ont apporté de précieuses contributions pour la préparation de ce temps et puis à John pour la gestion technique de l’événement. À propos de cette instance de BigBlueButton [5] sachez qu’elle est hébergée chez Globenet qui est un hébergeur militant pour les organisations de la société civile et les organisations de la solidarité internationale depuis le milieu des années 90, qui a la particularité d’être totalement autonome sur son infrastructure tant du point de vue des machines que du réseau, ce qui est suffisamment rare pour le souligner.
Je vais passer tout de suite aux concepts clés qu’on va aborder. Pas d’inquiétude à ce sujet, vous verrez qu’on aura amplement le temps de développer ces concepts et leurs conséquences pratiques. Là on voulait juste redéfinir un petit peu ce qu’on entend par logiciel libre, en l’occurrence qu’il est principalement défini par sa licence. Ce qui fait qu’un logiciel est dit libre c’est en raison de la licence sous laquelle il est délivré. Le logiciel libre ou open source, ce commun de la connaissance, en particulier et en contradiction avec le logiciel dit propriétaire, si ça vous va on va l’appeler privateur de liberté ou privateur tout court, accorde des droits aux utilisateurs et utilisatrices et il donne des obligations aux éditeurs ou aux développeurs et développeuses. C’est absolument l’inverse de ce qu’on connait avec le logiciel privateur qui nous accorde bien peu de droits en tant qu’utilisateur et utilisatrice et qui s’arroge tous les droits en tant qu’éditeur de logiciels.
Il y a la question des quatre libertés qui sont à l’écran, ces fameuses libertés qui sont accordées aux utilisateurs et utilisatrices, celle d’exécuter le logiciel, celle de l’étudier et de le modifier, celle de le diffuser ou de le redistribuer et également de redistribuer des versions que vous auriez modifiées, à compter du moment vous apportez des modifications vous êtes tenu de communiquer les modifications que vous avez apportées à l’ensemble de la communauté.
Un logiciel open source, souvent les deux sont employés comme des synonymes, on ira peut-être un peu plus dans ce détail-là, parce que, en réalité, ça ne recouvre pas tout à fait le même sens : si, d’un point de vue technique ou juridique ce sont quasiment les mêmes objets, d’un point de vue politique, on parlera de projet de société, Jean-Christophe y reviendra longuement, c’est un peu différent. D’un point de vue purement technique un logiciel open source est un logiciel développé par des communautés de manière décentralisée, massivement. Le logiciel open source est délivré sous des licences qui sont compatibles avec le logiciel libre, mais l’intention qui est derrière est un petit peu différente. On y reviendra.
Enfin, on voulait vous citer quelques exemples que vous connaissez probablement, que vous êtes nombreux et nombreuses à connaître et à utiliser, en l’occurrence des logiciels plutôt métiers comme Toolbox ou Open Data Kit. Il y a des logiciels que vous utilisez peut-être au quotidien comme LibreOffice, comme Mozilla Firefox et peut-être des services en ligne, c’est-à-dire des logiciels hébergés par des hébergeurs comme Nextcloud qui est un logiciel libre également et des associations qui font la promotion ou qui mettent à disposition des logiciels libres comme Framasoft et comme l’April [6]. On en a parlé en introduction puisque Jean-Christophe en est issu.
Je voulais aussi revenir sur la question de l’open data et d’où ça vient. C’est vraiment l’idée qu’on parle de données numériques dont l’accès et l’usage sont laissés libres aux usagers, donc il y a une filiation avec le Libre et l’open source dans l’objectif d’être dans une plus grande transparence et de permettre l’exploitation de ces données, ça implique forcément qu’il y a un droit à la réutilisation des données. L’idée c’est qu’on s’inscrit un petit peu dans les communs et qu’on favorise la contribution avec le point d’attention qui va être souligné, à mon avis, par les intervenants, en l’occurrence la question de l’interopérabilité, c’est-à-dire les données structurées et comment on peut les réemployer.
Quelque chose que j’ai oublié de dire et je présente mes excuses, je mets intervenant au masculin. On a eu cette discussion et ça serait important pour nous d’avoir cette attention qu’il y ait une parité dans les intervenants et les intervenantes, malheureusement on n’a pas réussi. En tout cas c’était un point d’attention de notre part.
On peut passer à quelques exemples au sujet de l’open data que vous connaissez probablement, certainement même, qui sont OpenStreetMap [7] ou HDX [Humanitarian Data Exchange], des logiciels qui sont gérés par leur communauté.
Je vais passer la parole à Martin qui va nous faire un petit état des lieux sur là où en sont les ONG sur ces questions de l’open, de l’open source ou de l’open data.
Martin c’est à toi.

Mathieu Noblecourt : Merci Mathieu.
En introduction peut-être préciser, je vais vous donner quelques points qui sont forcément subjectifs vus de l’angle de CartONG qui est amenée à travailler avec diverses organisations humanitaires de toutes tailles, des petites aux plus grosses. Après, chacun dans sa réalité, dans son terrain, dans son organisation, voit les choses un peu différemment. C’est aussi le sujet de la discussion.
En termes de propos introductifs peut-être préciser que ce sont quand même deux sujets, l’open source et l’open data, qui sont de plus en plus fréquemment évoqués dans les ONG mais avec souvent des incompréhensions, des manques de connaissances. On a déjà eu quelques points informatiques de Mathieu mais c’est aussi l’objet de ce webinaire de creuser.
Du point de vue de CartONG on constate que le prisme qu’on a dans les ONG sur ces questions-là c’est souvent celui qu’on retrouve sur beaucoup de sujets, à savoir aller vers le plus opérationnel, le plus efficace, le moins cher, en l’occurrence ici, dans le cas de l’open, sans forcément se poser la question de la licence. C’est notamment lié, évidemment, au fait que vous connaissez bien, au contexte du modèle économique et organisationnel des organisations ONG ou associations qui sont souvent sur peu de moyens, avec peu de ressources humaines, qui se focalisent donc sur l’opérationnel sans forcément se poser de questions sur les enjeux qu’on pourrait appeler de support ou d’outils, derrière, ce qui fait qu‘il y a parfois un décalage.
L’usage tel qu’il est actuellement, tel qu’on l’observe, est en fait très varié selon les champs techniques au niveau des outils open source et libres. On va avoir certains champs qui sont, on va dire, liés à d’autres secteurs où le Libre est très utilisé, ça va être le cas notamment dans toutes les technos web, par exemple tout ce qui va être développement de dashboard en JavaScript, tout ce qui va être les technologies d’Internet où le Libre est très présent, donc forcément le secteur humanitaire se cale dessus. On va avoir un usage mixte avec une présence d’outils propriétaires existants mais aussi des outils libres assez performants, c’est notamment le cas dans les systèmes d’information géographique où on a vraiment un duopole entre les outils ESRI, ArcGIS et QGIS [8], le logiciel libre, qui sont à peu près à l’équilibre avec chacun, on va dire, ses points de performance, ses points de faiblesse, donc un usage assez équilibré et souvent complémentaire d’ailleurs. On a tout le champ où, à l’inverse, on va dire dans le secteur hors humanitaire, dans la vie en général, le propriétaire est très présent. C’est notamment le cas de tout ce qui va être les outils un peu simples de type bureautique, donc la suite Office, notamment Excel qui a un usage écrasant dans le secteur, la suite Google aussi est très utilisée, des outils comme Power BI où là, effectivement, la très forte présence de ces outils en général fait que secteur se cale aussi dessus. Enfin, dans le champ des outils plus métiers on pourrait dire, là c’est plus proche de ce qu’on peut avoir sur le SIG [Système d’information géographique], c’est assez variable, notamment tout ce que sont les outils de collecte des données où on va avoir quelques outils très en pointe en Libre et en open source et, à l’inverse aussi, des solutions propriétaires développées par des structures spécialisées qui ont parfois une forme de monopole sur un champ assez réduit.
Sur la question de l’open data. Au niveau du secteur on constate une pratique de partage des données qui est très généralisée entre les opérationnels sur le terrain mais rarement formalisée. C’est-à-dire que la question de la licence est souvent une zone grise pour différentes raisons. Il y a souvent des problématiques de qualité de la donnée qui est insuffisante ou incertaine donc les organisations ont du mal à la rendre complètement publique, c’est-à-dire qu’elles la partageront informellement mais sans forcément la mettre sur une plateforme. On a un manque de connaissance de ces sujets-là, parfois aussi un manque de temps, tout simplement, pour faire ce partage.
On a quand même de plus en plus des plateformes et des organismes qualifiés qui sont présents pour les gérer, Mathieu a cité HDX qui est une émanation de OCHA [Office for the Coordination of Humanitarian Affairs], l’organisation de coordination humanitaire des Nations-Unies. Ce sont des outils qui se déploient de plus en plus, des plateformes nationales font aussi ça de plus en plus, des équivalents de data.gouv.fr existent dans de plus en plus de pays maintenant.
Une des questions qu’on a encore, qui est assez prégnante, c’est la question du modèle économique derrière tout ça, c’est-à-dire la question du partage par défaut en open data notamment des données publiques ou d’intérêt général, ce qu’on a depuis toujours par exemple aux États-Unis, qui se fait de plus en plus France, n’est pas encore acté à l’échelle mondiale. On a encore des pays où on a, également pour des raisons économiques, des instituts statistiques ou géographiques nationaux qui sont sur des modèles économiques très précaires parce qu’ils n’ont pas les mêmes bases de financement public que ce qu’on peut avoir en Europe, pour lesquels cette banque de données reste donc une composante importante avec parfois des situations dans certains pays où le modèle économique n’est pas très clair et où on peut se retrouver à acheter des données sur une clef USB sans qu’il y ait une licence très formalisée. Ce sont des choses qui existent encore.
Au niveau des efforts pour aller vers plus d’open source et d’open data. On a des exemples d’outils, j’ai cité HDX au niveau de l’open data, on l’a aussi en open source. On a cité KoBoToolbox [9] qui est basé ODK, un des outils les plus utilisés de collecte de données, qui sont des efforts mutualisés on va dire à l’échelle du secteur pour développer ce type de plateforme. Les deux exemples, en l’occurrence, sont soutenus par les Nations-Unies, ce sont effectivement les très gros acteurs qui sont en capacité de porter ça, sachant que même dans ces cas de figure c’est souvent de l’open source et c’est vraiment du Libre pour reprendre la définition qu’a prise Mathieu parce que les acteurs qui portent ces plateformes ont souvent un manque de temps, de ressources et de capacités pour faire un vrai portage communautaire. Ils vont développer en Libre, ils vont le publier, mais personne n’est capable de contribuer parce que le travail de documentation et d’entraînement n’est pas fait, généralement pas par mauvaise volonté, mais en fait par manque de ressources parce que c’était déjà un gros effort pour eux de faire cet outil-là en open data. Je ne vais pas gloser sur les questions de financement du secteur humanitaire et du développement, mais tout le système de financement par projet fait que c’est souvent assez facile de dire on va faire un one-shot de développement en open source par contre après, maintenir dans le temps une communauté de contributeurs, évidemment il n’y a plus aucun bailleur pour payer ça, il y en a un petit peu mais c’est assez rare.
On a quelques contre-exemples. Le meilleur contre-exemple c’est OpenStreetMap dont, je pense, on reparlera au cours de ce webinaire, qui est né, on va dire, d’une initiative beaucoup plus venue du terrain et qui a réussi à se structurer avec le temps. C’est aussi un exemple intéressant de comment ces questions de modèle économique sont rarement noires ou blanches.
Pour conclure. J’ai fait un panorama général. Il y a une grande diversité d’usages dans ce qu’on voit entre les sièges d’organisation et le terrain, les grosses et les petites organisations. Il faut parfois se méfier un petit peu de ce qu’on pourrait imaginer, c’est-à-dire que ce ne sont pas forcément les plus petites organisations ou les acteurs de terrain qui vont aller vers de l’open source ou de l’open data, ce qui serait pourtant plus pertinent pour eux, mais parce que, encore une fois justement, ces questions de formation, de connaissances, etc.
Tout ça pose la question de l’alignement entre les enjeux éthiques, les positionnements politiques, finalement les missions de ces organisations, leurs problématiques financières que j’ai évoquées plusieurs fois et la réalité opérationnelle. Je pense que ça va faire l’objet de ce dont on va discuter dans la suite de webinaire.
Merci.

Mathieu Wostyn : Merci beaucoup à toi. C’est effectivement une super transition. Je voulais adresser ma première question à Jean-Christophe et à Johan, parce que ce qui nous a interrogé c’est quels seraient les arguments, quelles sont les raisons qui pourraient pousser les ONG à adopter l’open source et l’open data. Je pense qu’on va tirer les fils que tu as présentés, Martin, sur l’alignement des valeurs mais aussi tous les aspects communautaires et, à côté de ça, les risques que fait peser le fait de choisir des outils privateurs pour des ONG. Je laisse la parole tout de suite à Jean-Christophe ou Johan. C’est à vous.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous, bonjour à toutes.
J’accompagne depuis une vingtaine d’années des structures, associations, collectivités territoriales, entreprises pour passer au logiciel libre et à l’open data. Au titre de mon implication associative, comme l’a dit Mathieu, je suis vice-président de l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Ce dont je vais vous parler c’est de logiciel libre et pas d’open source, parce que ce qui m’intéresse dans le logiciel libre c’est l’aspect politique et éthique qui est porté et qui est à l’initiative du logiciel libre. Vraiment insister sur ce qu’a dit Mathieu en introduction sur le fait qu’un logiciel libre n’est pas un logiciel qui n’a pas de licence. On emploie parfois à tort l’expression « libre de droits ». En fait un logiciel libre est libre PAR le droit. C’est parce que les auteurs qui ont conçu ce logiciel ont décidé de le partager sous licence libre que ce logiciel est un logiciel libre.
À l’April on va jusqu’à dire que le logiciel libre est un projet de société. Pourquoi cette liberté logicielle, cette liberté informatique, cette liberté sur les données lorsqu’on parle d’open data, est-elle si importante ? Elle est importante parce que aujourd’hui, dans tous les aspects de nos vies, l’informatique est présente. Aujourd’hui on utilise l’informatique pour communiquer, on utilise l’informatique pour exercer sa vie citoyenne, on utilise l’informatique pour apprendre et, bien sûr, dans le travail, dans l’activité professionnelle, qu’on exerce à titre salarié ou associatif dans une organisation, l’informatique est omniprésente. Ça a été en plus amplifié par ces deux années de crise sanitaire avec un grand nombre d’interactions qui sont passées en ligne, avec des outils de travail collaboratif, de visioconférence, de réunion à distance, etc. On voit bien que l’informatique est vraiment présente dans tous les aspects de nos actions et c’est pour ça que c’est si important de questionner la liberté qui est octroyée ou pas par les outils qu’on utilise.
On parle beaucoup du logiciel libre, c’est un sujet qui est assez à la mode dans les médias, mais ce phénomène est assez récent. En fait le logiciel libre n’est pas récent du tout. Il est inventé en 1984 et c’est quelque chose de solide, d’éprouvé. L’endroit où on trouve le plus de logiciels libres c’est dans l’infrastructure d’Internet. S’il n’y avait pas de logiciel libre, eh bien Internet ne pourrait tout simplement pas fonctionner : la majorité des serveurs et des routeurs de l’Internet fonctionne avec des logiciels libres. On peut vraiment dire qu’il y a une coconstruction qui s’est faite entre le réseau internet et le logiciel libre. Sans le logiciel libre le réseau internet ne pourrait pas fonctionner mais c’est aussi grâce au réseau internet, qui a permis le travail collaboratif et à distance, que les développeurs de logiciels libres ont pu monter en puissance et travailler sur des projets logiciels à l’échelle planétaire.
Donc comprendre que le logiciel libre est un sujet essentiel aujourd’hui dans tous les aspects de nos vies, que c’est une solution techniquement robuste, éprouvée à la plupart des besoins informatiques.
Peut-être pour finir et avant de laisser la parole à Johan, revenir un peu sur cet aspect historique. Lorsque Richard Stallman formalise la notion de logiciel libre en 1984, son objectif n’est pas de faire des logiciels plus performants, plus conviviaux ou plus efficaces, son objectif c’est de changer le monde. Le logiciel libre est véritablement un projet dont l’ambition est de rendre aux utilisateurs de l’outil informatique la maîtrise sur leurs outils et leurs données, on reviendra sur ces aspects pour les approfondir un petit peu plus tard. Vraiment avoir à l’esprit qu’on n’est pas du tout sur un questionnement technique mais qu’on est sur un questionnement politique et éthique dont les organisations de la société civile ne peuvent pas s’affranchir malgré les contraintes, ça a été dit, financières et de ressources humaines auxquelles elles sont confrontées. Ce sont malheureusement des sujets trop essentiels pour les éluder d’où l’importance de moments comme ce webinaire aujourd’hui.
Johan, je te laisse la parole.

Johan Richer : Merci Jean-Christophe. Bonjour à tous et toutes.
Je vais effectivement compéter ton intervention. Puisqu’on parle d’idées reçues, il y a trois idées reçues sur lesquelles j’aimerais revenir. Un, la complexité de l’open source et de l’open data, déjà le mot paraît très technique. Deuxièmement le coût qui est souvent perçu comme supérieur aux solutions propriétaires et puis, enfin, la qualité, le niveau de fonctionnalité encore une fois comparativement à d’autres solutions.
Je vais d’abord commencer par la complexité. Autant aujourd’hui je travaille au quotidien, je fais tourner une entreprise avec des logiciels libres, une entreprise qui développe des logiciels, donc avec des gens qui ont plutôt des compétences techniques, mais j’ai également été présent dans différentes petites structures, organisations, associatives ou pas, qui n’ont pas forcément ces compétences et je peux témoigner que pragmatiquement c’est possible de remplacer tout ou partie de ces logiciels par des logiciels libres. On peut très bien commencer très simplement par un ou deux logiciels, je pense notamment à LibreOffice [10] qui est aujourd’hui un des logiciels les plus en pointe. Si vous l’avez essayé il y a quelques années, je vous l’encourage à l’essayer à nouveau parce qu’il a beaucoup évolué et sa qualité s’est vraiment grandement améliorée. À ne pas confondre avec Open Office qui est un autre logiciel assez différent, LibreOffice est bien meilleur. Si vous utilisez notamment Excel au quotidien, sachez qu’en termes de traitement de données Excel est de moins bonne qualité, fait faire des erreurs. Quand vous essayez d’ouvrir un fichier csv avec Excel il ne va pas aussi bien le traiter que si vous l’ouvrez avec LibreOffice, ça engendre des erreurs. Plein d’articles sont sortis, notamment pendant le covid, des choses qui ont été assez graves en termes de données, d’informations et de conséquences que ça a quasiment niveau industriel à cause de l’utilisation d’Excel pour faire du traitement de données ou de l’amélioration de données. Je peux vous dire que si vous avez Microsoft Office non seulement c’est coûteux mais, en plus, vous n’avez pas forcément un outil aussi professionnel que quelque chose de non seulement libre mais gratuit comme LibreOffice et c’est un exemple parmi d’autres. Vous pouvez tout à fait utiliser LibreOffice Calc, l’alternative à Excel, tout en continuant à utiliser Microsoft Word ou inversement. Je sais que dans le milieu associatif, on en a parlé, il y a des licences gratuites pour utiliser ces outils gratuitement, Microsoft les offre, ou quasiment, pour certaines entreprises ou certaines associations. Il ne faut pas prendre cela comme seul argument. Il faut voir sur le long terme, il faut prendre en compte les aspects éthiques dans l’équation.
Voilà ce que je pouvais dire en introduction.

Jean-Christophe Becquet : Peut-être pour rebondir sur ce que vient d’expliquer Johan j’ai envie de poser pourquoi Microsoft offre-t-elle des licences gratuites aux associations ? C’est étonnant parce que Microsoft est une entreprise dont l’objectif est, à priori, de gagner de l’argent, pourquoi donnerait-elle des licences gratuites ? Est-ce par philanthropie, par générosité à l’endroit des organisations de la société civile ? Ou est-ce pour les mettre dans une relation de dépendance un peu à la manière du dealer qui donnerait gratuitement la première dose et, une fois qu’on a appris à utiliser son produit et qu’on ne peut plus s’en passer parce qu’on a mis dedans la compétence de ses équipes, on a mis dedans ses données, on a développé avec ses logiciels des tableaux de bord et des outils de travail sur lesquels on s’appuie au quotidien, du coup on va être amené à devoir renouveler ces outils et peut-être que la deuxième année ou la licence plus étendue, elle, ne sera pas gratuite ? Ou alors que se passera-t-il si les conditions d’utilisation changent et si, pour des raisons qui lui appartiennent au niveau de sa politique commerciale et de sa stratégie de développement, l’éditeur décide de cesser de donner des licences gratuites ? Vous allez me dire que ça n‘arrive pas. C’est arrivé par exemple avec Google Maps qui était un service gratuit. Pourquoi était-il gratuit ? Pour capter les utilisateurs. Lorsque les utilisateurs sont devenus dépendants Google a multiplié les tarifs par 80 en disant « si vous voulez afficher aujourd’hui une carte Google Maps sur votre site web vous devez impérativement créer un compte, saisir votre numéro de carte bancaire et payer une licence ».
Je pense que c’est important de démystifier et de comprendre que l’utilisation d’un logiciel privateur n’est pas du tout quelque chose de neutre, que ça pose des questions en termes d’indépendance, en termes de pérennité des outils et des travaux que vous mettez en place.
Il y a d’autres sujets, peut-être qu’on y reviendra plus tard.

Maeve : Merci à tous les deux. Il faut aussi rappeler les côtés un peu éthiques liés à ces discussions. Ce n’est pas que ça n’intéresse pas les ONG parce qu’elles sont, bien sûr, dans le secteur de la solidarité internationale et ça leur parle, c’est plus que derrière il y a énormément d’autres enjeux qui priment généralement. Je me fais un peu l’avocat du diable, on a vu plein de raisons pour lesquelles les ONG n’utiliseraient pas des logiciels propriétaires, mais elles le font toutes. Aujourd’hui 80 % de l’utilisation en termes de gestion de données programmes des ONG se fait aujourd’hui sur Excel. Il y a énormément d’autres briques propriétaires qui sont utilisés. Est-ce que tu peux, Martin, nous en dire plus, selon toi, sur le pourquoi ? Qu’est-ce qui les encourage ? Tu en as parlé un peu en introduction, mais je pense que c’est important aussi de remettre les points sur les i.

Martin Noblecourt : Je vais me faire l’avocat du diable. Pour préciser, un point qui est intéressant à mentionner en préambule, je pense que beaucoup d’organisations sont conscientes de la contradiction qu’il y a dans leur usage des outils, mais ce n’est pas la seule contradiction qui traverse le secteur humanitaire, qui participe, on va dire, à un modèle de société auquel il s’oppose par moment, mais il y participe aussi. Ce sont aussi les débats éthiques que vous allez avoir par exemple sur les questions de mécénat d’entreprise, etc.
C’est un point dont, je pense, beaucoup d’organisations ont entendu parler et ça s’ajoute à la pile des trucs pour lesquels elles disent il faudrait qu’on change ça, mais on a tellement de choses à faire à côté que… Voilà !
Au niveau des barrières un petit peu concrètes que je vois, le point d’entrée que Johan a essayé de démystifier c’est quand même souvent cette question de l’ergonomie, de la facilité d’usage et de l’efficacité.
Il y a une réalité, en fait, qu’avec les outils libres c’est plus variable, c’est-à-dire qu’on a un champ très large d’outils et certains vont avoir un niveau de performance qui est égal ou même supérieur, comme disait Johan, à celui des outils propriétaires, il y en d’autres pour lesquels on ne sait pas trop. L’outil propriétaire, par défaut, étant vendu, commercialisé généralement un petit plus clefs en main.
J’ajouterais à ça un truc un peu plus psychologique. Je pense que l’usager, de mon expérience, a aussi moins de patience avec l’outil libre, c’est-à-dire que comme on le fait changer d’outil, quand il va rencontrer quelque chose qui ne fonctionne comme à son habitude il va dire naturellement « c’est nul ton truc, ça ne marche pas » ; je pense que c’est quelque chose que vous avez tous expérimenté. Du coup, s’il n’y a pas de volonté consciente d’aller dessus, la personne qui est juste là pour aller au plus efficace, au plus pratique et qui a ses habitudes aura souvent un petit peu de mal à faire ces changements-là. C’est notamment plus le cas, comme le disait Maeve, quand on est sur des champs où les outils propriétaires sont quasi monopolistiques, ce qui est le cas, on l’a mentionné, avec Excel, où les gens ont leurs habitudes, Jean-Christophe l’a mentionné, tout leur système est conçu là-dessus. Un changement va demander un investissement en formation pour l’adoption de l’outil qui est quand même assez conséquent ; tous ces outils ont une courbe d’apprentissage, on parle d’outils techniques informatiques même s‘ils ont assez simples. L’usager qui est habitué à son outil propriétaire ne se rend pas forcément compte de l’apprentissage qu’il l’a fait puisqu’il l’a abordé sur quelque chose qui était assez ergonomique, clefs en main, et il a atteint un certain niveau de technicité où il a sans doute appris à passer autour de ces petits inconvénients de son logiciel propriétaire qu’on a sur n’importe quel système. Quand il découvre un nouveau système ça va forcément lui paraître plus bugué, moins ergonomique, etc., j’allais dire que ce soit une réalité tangible objective ou non, en fait c’est parce qu’il change d’environnement.
Là-dessus je pense qu’on est aussi forcément, mais comme pour tout secteur, dépendants des formations telles qu’elles sont données dans les universités, dans les instituts de formation. Les gens qu’on récupère dans le secteur humanitaire ont les formations qu’ils ont reçues, il n’y a pas de formation initiale en gestion de données humanitaires. Il y a quelques petites choses, par exemple CartONG donne des modules à l’Institut Bioforce spécialisé, mais en fait c’est plutôt de la formation professionnelle, ce n’est pas tellement de la formation initiale, et on va amener un petit module sur de la MDC [Mobile Data Collection Solutions], des trucs comme ça. En fait, les gens qui arrivent ont eu leur formation initiale. C’est là où on voit l’impact global du secteur. Dans l’exemple que je donnais du SIG, aujourd’hui la plupart des formations en SIG forment leurs étudiants à la fois en propriétaire et en Libre parce qu’elles savent qu’on a deux familles d’outils très utilisés. Elles savent que leurs étudiants, après, auront besoin de maîtriser ces deux packages-là quel que soit l’endroit où ils seront. Il y a d’autres domaines où les outils étant moins répandus de façon sociétale, la formation initiale ne suit pas. Quand on a des gens déjà formés à des outils déjà en place ça crée ce qu’on appelle une dépendance au sentier, en fait on est dépendant des choix faits précédemment et le changement demande un investissement conséquent.
Ça pose aussi pour moi la question de ce que j’appellerais le point de bascule où finalement on voit que sur certains secteurs on a un peu réussi à s’épanouir, ça veut dire qu’on va avoir les outils qui sont justement ergonomiques, simples d’emploi, bien maintenus, documentés, avec des gens qui sont formés, qui peuvent aider, etc. Il y en a d’autres pour lesquels ce n’est pas encore le cas et je pense que, par principe, il n’y a aucun secteur où ça serait impossible, mais ça n’est pas toujours encore le cas parce qu’il y a moins d’historique ou parce qu’il y a un acteur propriétaire omniprésent. La difficulté c’est que ce n’est pas facile pour des acteurs humanitaires d’être ce que j’appellerais des erlier doctors, je ne sais pas comment dire en français, des gens qui se lancent en premier sur le sujet et qui vont essuyer les plâtres. Ce qui fait qu’on est quand même assez dépendants des évolutions globales au-delà du secteur humanitaire.

Maeve : Exception faite peut-être avec les domaines de la collecte de données sur mobile qui est arrivée au moment de la sortie des Android fin des années 2000, en fait c’est le secteur humanitaire qui s’est vraiment lancé en premier dans le développement d’énormément d’outils du monde open data kit, qui a vraiment fleuri très rapidement et qui a un petit peu écrasé, justement, le monde propriétaire et qui est une vraie success story avec énormément de logiciels aussi propriétaires qui se sont développés autour de ces outils open source. Je pense que c’est quand même important de noter cette expérience-là qui, pour le coup, est réussie au niveau des ONG.

Martin Noblecourt : Si je peux juste ajouter un petit truc. Je vois que Mathieu a mentionné la question des Softwares as a Service, ces outils qui sont directement sur Internet, qu’on n’a pas plus qu’à installer comme logiciels. Je pense que ça a un double effet, c’est à-dire que les gens utilisent des outils propriétaires en Software as a Service sans se rendre compte que, finalement, ils créent un compte. D’un autre côté ça peut aussi faciliter l’adoption du Libre. De la même façon ils se créent un compte et on voit un peu moins la différence pour l’usager final. Si on prend un plateforme comme Nextcloud [11], il y a de plus en plus de gens qui vont se retrouver à l’utiliser comme Dropbox, Google Drive, One Drive, tout ce qu’on veut, en fait les gens vont vers là où l’organisation ou leurs partenaires vont leur dire d’aller. Je pense que c’est à double tranchant, ça peut avoir aussi du positif.

Maeve : En tout cas merci pour toutes vos interventions passionnantes.
J’aimerais qu’on parle un peu open data. On a beaucoup parlé open source et l’idée c’est aussi de réfléchir à la question de l’open data qui est déjà quelque chose d’un peu plus facile pour les ONG parce que tout ce qui va être partage de données, etc., semble plus naturel dans leur contexte d’intervention.
J’aimerais bien poser la question à Johan à la fois des apports que peut amener l’open data et aussi les challenges, que tu détailles un petit peu ça de ton point de vue pour donner un peu des éclairages aux ONG qui sont parfois encore un petit peu frileuses, même s’il y a des bonnes initiatives et comment, sur ce sujet-là, on part dans la bonne direction.

Johan Richer : Merci Maeve.
Jean-Christophe en parlait tout à l’heure en introduction, il faut effectivement voir l’open data comme quelque chose qui s’est construit par-dessus le mouvement de l’open source et des logiciels libres et qui vise à appliquer les mêmes méthodes, les bonnes pratiques qu’il y a dans le développement des logiciels, à l’ouverture des données. C’est-à-dire qu’il y a des licences, des droits qui sont attribués à des fichiers – quand on parle de données on parle tout simplement de fichiers, fichiers Excel, fichiers CSV –, donc ce qu’on appelle des licences, le fait d’attribuer des droits, des permissions aux gens qui ne sont pas leur propre organisation pour qu’ils puissent réutiliser ces fichiers dans leur système.
Dans le contexte français il y a une obligation légale pour les administrations et pour les organisations qui sont délégataires de service public, mais dans votre contexte international, je parle aux organisations ici présentes, par open data vous allez tout simplement considérer que vous avez des fichiers, des données qui vont intéresser d’autres organisations, donc vous allez les mettre à disposition de ces organisations sur des portails, le fameux portail HDX . L’open data c’est quelque chose que vous allez pouvoir utiliser au quotidien de façon à pouvoir améliorer vos données, les enrichir et surtout de façon à pouvoir mieux collaborer. Je pense que l’enjeu c’est surtout la participation, la collaboration avec d’autres organisations sur un périmètre de données qui est commun. Si on parle de lieux médicaux, d’établissements de santé, etc., pouvoir faire sa propre carte avec des données qui sont publiées par d’autres, qu’on peut croiser avec ses propres données, ça va être très utile.
Pour qu’il y ait cette collaboration il faut effectivement que vous adoptiez une structure de fichier commune, là on parle d’interopérabilité, on parle aussi de schémas de données. Je peux témoigner que dans le contexte français, encore une fois, j’ai travaillé sur les schémas de données. Il y a donc aujourd’hui un site internet qui s’appelle schema.data.gouv.fr [12], qui existe depuis maintenant trois ans, et qui vise à permettre à des organisations, quand elles souhaitent publier un type de jeux de données, par exemple les jeux de données sur les stationnements de véhicules sur leur commune, eh bien plutôt de se poser la question comment est-ce que je vais structurer mon fichier ? Est-ce que je vais mettre le nom, la description ? Est-ce que je vais ajouter des champs particuliers dans le fichier ?, elles ont un schéma qui est déjà tout prêt.

Maeve : Un peu comme HDX avec les tags, etc.

Johan Richer : C’est effectivement un peu la même idée que HDX. HDX définit effectivement une structure avec une ligne sur laquelle on ajoute des tags pour dire « ça c’est un champ qui désigne par exemple un chiffre de population », là c’est un peu la même idée. Dans tous les cas il y a des outils qui permettent ensuite de vérifier que votre fichier est bien conforme au schéma, c’est-à-dire que vous avez un fichier de qualité et cela vous permet effectivement de mieux travailler avec d’autres. C’est un exemple notamment sur la question de l’interopérabilité, de la qualité. Vous pouvez utiliser Excel en faisant des fichiers de qualité, mais ça va être plus compliqué de vérifier que cette qualité est bien respectée. Le format ouvert en termes non seulement de licence, donc de droits d’utilisation et de libertés que ça procure, c’est effectivement le format csv pour les données. Vous pouvez créer des fichiers csv avec Excel, mais vous risquez d’avoir des surprises donc c’est peu recommandé. Vous avez des logiciels spécialisés. Je recommande LibreOffice Calc, alternative à Excel, qui permet de produire des fichiers csv de meilleure qualité. Vous pouvez également exporter au format Excel, je vous rassure, vous pouvez effectivement créer un fichier xlsx avec LibreOffice Calc.
Ça a été abordé par un des participants sur le chat, aujourd’hui c’est la question des services, du Web, du cloud, donc on est effectivement sur autre chose qu’installer un logiciel sur son propre ordinateur. C’est un autre sujet. On pourra en parler, mais dans le contexte de l’open data, donc du partage de fichiers, de l’ouverture des données, donc de la collaboration, ça a encore plus de sens ; si on n’est pas connecté à Internet ça devient effectivement compliqué.

Maeve : Merci Johan sur ce zoom open data. Vas-y Martin.

Martin Noblecourt : Je ne sais pas si je peux apporter un petit complément sur cette question de l’open data. Je parle plutôt de données géographiques, mais pas que, de données type cadastre routier, toutes ces bases qui ont été construites de façon très incrémentale par les IGN ou équivalents au fil des siècles dans beaucoup de pays, finalement n’existent pas, ou beaucoup moins, dans beaucoup de pays pour des raisons historiques. Du coup aujourd’hui, grâce à l’open data, on a des phénomènes de ce qu’on appelle — je vais encore faire un anglicisme, désolé — le deep frog, un terme qui veut dire qu’on saute un niveau technologique. Pour vous donner une idée, on passe directement de pas du tout de téléphone au téléphone portable sans construire de lignes fixes, et là c’est un peu la même chose. En fait on ne va pas s’embêter à créer tout un référentiel national, on va avoir directement des outils comme OpenStreetMap qui vont permettre d’avoir, en crowdsourcing, plein de gens qui vont faire de la carte de base, c’est un des gros champs d’activité de CartONG avec son projet Missing Maps [13], plein d’organisations font ça. On le retrouve sur d’autres sujets, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on va avoir, grâce à l’intelligence artificielle et à l’imagerie satellite, des pays entiers qui ont une couverture en open data de couche bâtiment, couche routière, etc., chose qui, dans nos pays, a pris des décennies, construire manuellement des relevés de terrain.
Après ça pose la question de l’alignement entre toutes ces nouvelles bases open data, dont la licence varie un petit peu parfois, qui sont souvent d’ailleurs poussées par des grosses entreprises, parce qu’il y a tout un jeu de concurrence aujourd’hui entre Google Maps et les autres qui n’ont pas Google Maps donc qui poussent OpenStreetMap, qui poussent du logiciel libre. En fait, assez paradoxalement, les plus gros financeurs d’OpenStreetMap sont aujourd’hui Facebook et Microsoft puisque c‘est leur alternative à Google Maps. À la limite c’est un projet libre, on s’en accommode, c’est globalement la vision de la communauté, même si c’est une action politique. Du coup ça va poser la question de l’alignement entre toutes ces variétés de données open qui sont très intéressantes pour plein d’acteurs mais qui, par contre, ne rentrent pas dans les référentiels nationaux avec des équivalents IGN dans beaucoup de pays qui sont un petit peu dépassés, c’est même aussi le cas en France. L’IGN a fait sa mue assez récemment là-dessus, sur le rapport à l‘open data, etc., ils sont en train de se repositionner comme facilitateur de ce qu’ils appellent des géo-communs, aller justement vers des communs numériques, etc., mais ça fait, je crois, un an ou deux ans peut-être qu‘ils se sont repositionnés comme ça, avant ils étaient sur le modèle classique de vente de données, etc.
Dans tous les pays du monde ça frotte là-dessus. C’est très intéressant mais ça va poser la question, on va dire un petit peu de la légalisation de ces données, surtout quand on va sur des choses qui sont un peu plus sensibles. Nous ne sommes spécialistes là-dessus, mais si on va sur des questions type cadastre ou ce genre de choses, ça pose quand même question, du coup la validation légale est une nécessité au bout d’un moment. Par contre justement vis-à-vis des acteurs traditionnels, c’est parfois compliqué de se positionner là-dessus.
C’est vraiment un champ où les choses bougent extrêmement vite aujourd’hui.

Johan Richer : Oui, je confirme. Même en France l’IGN est effectivement dépassé. Quand j’avais fait une mission bénévole pour CartONG à Madagascar, il y a quelques années, je me souviens qu’on avait discuté avec l’EFTM, l’équivalent, l’homologue de l’IGN local et déjà à l’époque on disait « regardez OpenStreetMap, même en France l’IGN travaille avec OpenStreetMap, avec la communauté, parce qu’il y a des choses qu‘ils ne font pas ou qu’ils n’ont plus vocation à faire. La loi les oblige, en plus, à passer à l’open data, donc l’IGN ne peut plus commercialiser des choses qu’il commercialisait, donc leur cœur de métier devient de créer des cartes, des belles cartes, des cartes bien faites. Leur métier c’est la cartographie, ce n’est pas la création de données, en tout cas ça l’est moins qu’avant. » Je pense que dans le contexte international, pour des pays, comme tu disais Martin, où il n’y a pas de cadastre autant passer directement à OpenStreetMap, beaucoup de choses peuvent être créées.
En parlant de logiciel on a justement QGIS qui est un logiciel libre, qui est aujourd’hui considéré comme un des meilleurs exemples de logiciel libre de qualité, je ne suis pas géomaticien, mais largement comparable à certaines parties de la suite ESRI d’un certain point de vue.
Aujourd’hui les étudiants qui sortent des écoles ont été effectivement plutôt formés à ESRI, ont plutôt été formés avec Microsoft Office, mais, avec Internet, ça devient de plus en plus facile de se former à ces logiciels libres. Ces logiciels libres sont de plus en plus partagés, le développement est ouvert, collaboratif, à l’état de l’art. Les grosses entreprises américaines ou françaises contribuent à ces logiciels, donc, quelque part, les entreprises qui font des logiciels propriétaires deviennent dépassées dans ce contexte. C’est très intéressant à observer et je pense que dans le contexte international ça a encore plus de sens.

Mathieu Wostyn : Merci à vous deux pour tous ces éclairages. Là on a beaucoup parlé, et c’est très intéressant, à la fois de la dimension éthique, technique, voire géopolitique des questions qui nous occupent. Je constate aussi dans les organisations qu’on est tous et toutes fort occupés au quotidien et transitionner ça peut être une volonté politique, mais il y a souvent des freins : est-ce qu’on a l’énergie, est-ce qu’on a le temps et est-ce qu’on a les sous ? J’aurais bien aimé qu’on parle aussi un petit peu de cette dimension, la dimension économique, de ce que faire le pas d’après implique, c’est-à-dire commencer à aller regarder ce qui existe du côté du Libre et de l’open source et qu’on parle argent y compris pour déconstruire des idées reçues sur le Libre et l’open source. Jean-Christophe en a parlé un petit peu tout à l’heure, Libre n’est pas gratuit, etc., celles et ceux qui développent les logiciels libres, de quoi ils et elles vivent-ils ? Et puis la version travail versus capital ou plutôt travail versus rente.
Je laisse tout de suite la parole à Jean-Christophe pour éclairer un peu la dimension économique de la transition au Libre pour les organisations.

Maeve : Rapidement juste préciser que les ONG, en général, n’ont pas du tout de ligne budgétaire pour les aspects logiciels. Juste rappeler ça avant de te laisser la parole, donc il y a tout un travail à déconstruire autour de cela qui va bien au-delà de l’aspect économique. La prise de conscience que le logiciel, au sens large, c’est quelque chose qui a besoin de ligne budgétaire.Vas-y Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Je voulais dire qu’il y a véritablement des modèles économiques du logiciel libre.
On l’a effectivement vraiment expliqué de manière précise en introduction, un logiciel libre n’est pas un logiciel gratuit, c’est beaucoup plus que cela. Je pense que ça transparaissait un petit peu dans ce qui vient d’être expliqué sur l’open data. Bien sûr que le fait de passer au Libre a un coût parce que le changement a un coût. Il va déjà falloir prendre le temps de se poser la question et le temps coûte. Ensuite il va falloir déployer, former les gens, accompagner le changement. Ce serait mentir de dire que ça n’a pas de coût.
Je trouve intéressant de s’interroger quelques minutes : où met-on l’argent lorsqu’on choisit le logiciel libre ? Il me vient plusieurs comparaisons, une avec le commerce équitable. Je pense que le monde du logiciel libre partage beaucoup de points communs avec le commerce équitable, l’idée que les développeurs doivent être rétribués pour leur travail. Lorsqu’on choisit du logiciel libre ce que l’on paye c’est véritablement un investissement dans l’humain et dans l’effort qui va être consenti pour développer et faire marcher des logiciels et ce n’est pas la contribution à un capitalisme de rente. Le principe du logiciel privateur, en fait, c’est « j’ai un gros paquet d’argent, je paye des développeurs pour fabriquer un logiciel, ça a un certain coût, et ensuite j’essaye de revendre le plus grand nombre de fois possible des licences d’utilisation de mon logiciel, le but étant bien sûr de dépasser la mise de départ et, si possible, de la décupler ou de la multiplier par quelques milliers ou par des millions ».
Le principe du logiciel libre c’est que, pour atteindre un objectif, il y a besoin de tel effort de travail, il y a besoin de tant de personnes pendant tant de temps. On va proposer à ces personnes un salaire, on va faire évoluer le logiciel. Ça se vérifie vraiment dans QGIS, autour de QGIS il y a aujourd’hui des marchés publics avec des ministères, des régions qui se groupent parce qu’ils veulent une nouvelle fonctionnalité, ils se partagent le coût du développement de cette nouvelle fonctionnalité. Cette nouvelle fonctionnalité est développée par des entrepreneurs du logiciel libre et, une fois qu’elle est développée, elle est libre, elle se rajoute au logiciel et tout le monde peut en bénéficier.
Lorsqu’on choisit le logiciel libre ce qui est intéressant c’est que oui on doit payer, mais on profite de tout ce qui est payé par les autres. Donc il y a un intérêt en termes de mutualisation, en termes de partage des coûts qui me partait vraiment intéressant.
Pour revenir avec ce regard économique sur la question de l’open data, en tout cas ce qui m’intéresse quand je conseille des collectivités ou des associations pour les encourager à passer à l’open data, passer à l’open data pas parce que c’est une obligation légale, dans certains cas c’est une obligation légale, d’accord, passer à l’open data surtout parce que ça a plein d’avantages. On a dit qu’un des freins à l’open data ce sont les doutes qu‘on peut avoir sur la qualité de son jeu de données en se disant qu’on n’a pas complètement vérifié cette base de données, on ne l‘a pas complètement finalisée, donc on ne peut pas l’ouvrir parce que ça pourrait poser des problèmes en termes d’image, etc. En fait, si vous ouvrez un jeu de données en open data, même s’il est incomplet, imparfait, le pire qui puisse arriver c’est que des contributeurs vous aident à l’améliorer. Si ce jeu de données est sous licence libre, vous autorisez les contributeurs à l’améliorer et vous serez autorisé, en retour, à bénéficier des améliorations.
Lorsqu’on parle d’open data, lorsqu’on parle de logiciel libre, en fait les modèles économiques sont complètement différents. On est sur un partage, une mutualisation, pour contribuer ensemble soit par un effort financier soit par un effort de mise à disposition de ressources humaines, d’amélioration d’un outil, d’amélioration d’un jeu de données qui ensuite bénéficiera à tous.
Il y a plusieurs beaux exemples dans le monde du logiciel libre. J’en cite un dernier, un logiciel qui s’appelle Geotrek [14] pour faire des portails de randonnée. C’est un logiciel qui a été financé au départ par deux parcs naturels qui avaient besoin de faire un site web pour promouvoir leurs randonnées et ils ont choisi de le faire en logiciel libre. En fait c’était très intelligent parce que, aujourd’hui, une centaine de structures, partout en France et dans le monde, utilisent ce logiciel parce qu’il est libre. Un département a dit : « On aime bien ce logiciel de portail de randonnées, mais on voudrait aussi pouvoir gérer les voies d’escalade », eh bien il a financé le développement pour pouvoir gérer les voies d’escalade. Les premiers qui avaient développé un logiciel de portail de randonnée ont aujourd’hui la fonction gestion des voies d’escalade sans rien avoir eu à payer.
C’est ça le principe vertueux de la mutualisation du logiciel libre. Je pense qu’il ne faut pas du tout le voir comme un coût supplémentaire, il faut le voir comme une manière différente et plus pertinente selon moi, plus vertueuse mais aussi plus efficace de dépenser l’argent.

Maeve : Juste pour réagir, pour préciser encore une fois sur les ONG, je pense qu’à peu près 80 % des données qu’elles ont sont des données sur les personnes. Il y a bien entendu des enjeux qui vont être différents en termes de protection des données, ce qu’on peut partager ou pas. Même sur des jeux de données qui sont partageables car anonymisées, etc., il peut y avoir, derrière, des conséquences. Quand on a un jeu de données imparfait il peut y avoir aussi des conséquences sur des vies humaines. Je pense qu’il y a toujours cette peur, derrière, quand on partage des données en open data, qu’il y a des conséquences inattendues.
J’aimerais en profiter pour faire un peu la transition vers la question à la fois de cet aspect-là, si quelqu’un veut rebondir sur l’open data, et le côté plus sécurité des outils open source. Est-ce que vous considérez que c’est plus sécurisé que les logiciels propriétaires et pourquoi ?

Jean-Christophe Becquet : Juste sur le premier point, c’est très clair, l’open data ne s’applique pas aux bases de données contenant des données personnelles. Ce sont deux choses différentes. L’open data s’applique à tout un tas de thématiques et tout un tas de jeux de données, mais des jeux de données contenant des données personnelles ne rentrent pas dans le champ de l’open data. Ce sont effectivement d’autres méthodes, d’autres licences qu’il va falloir utiliser.
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On a expliqué que les logiciels libres sont des outils développés selon un modèle ouvert et collaboratif. Une des choses qu’il est intéressant de dire concernant l’aspect sécuritaire du logiciel libre, une des raisons pour lesquelles les logiciels libres sont mieux sécurisés, c’est qu’autour d’un logiciel libre vous avez en permanence des dizaines de paires d’yeux qui sont en train de relire, qui sont en train de vérifier et qui sont en train de proposer des améliorations.
Un gros logiciel libre, par exemple le noyau Linux qui fait fonctionner un grand nombre de serveurs de l’Internet, a atteint aujourd’hui un nombre de développeurs, un nombre de contributeurs qu’aucune entreprise, quelle que soit sa taille, pourrait se permettre. La distribution Debian, qui est une des distributions GNU/Linux majeure dans le monde du logiciel libre – une distribution c’est un packaging de logiciels libres pour pouvoir faire fonctionner une machine – a des contributeurs dans tous les pays du monde, sur toute la planète, dans toutes les langues et ça donne une puissance, une efficacité redoutable. C’est pour ça que ces logiciels, notamment ceux de la distribution Debian, peuvent être mieux sécurisés. On est tellement nombreux à les regarder et à les entretenir que lorsqu’il y a un problème, lorsqu’il y a une faille de sécurité elle a beaucoup plus de chance d’être identifiée. Après, bien sûr, les logiciels libres peuvent avoir des problèmes, peuvent avoir des failles, mais l’attitude des développeurs de logiciels libres par rapport aux failles est différente de celle du monde propriétaire. Quand vous êtes dans le monde du logiciel privateur, s’il y a une faille, la meilleure chose à faire c’est surtout de la cacher, qu’on n’en parle pas parce que ça ferait du tort à l’image du logiciel.
Dans le monde du logiciel libre, lorsqu’il y a une faille on le dit, on discute ensemble de quelle est la meilleure solution à adopter, on corrige la faille, donc les logiciels s’améliorent et deviennent de plus en plus robustes et de plus en plus sécurisés. C’est un processus qui est sans fin grâce auquel les méthodes de développement du logiciel libre sont reconnues pour être beaucoup plus efficaces.

Johan Richer : Et reconnues aujourd’hui par les grands bailleurs, notamment l’AFD [Agence française de développement] qui a mis du temps à s’y mettre, mais qui, aujourd’hui, parle de communs numériques, qui met des clauses open source, open data dans ses conventions. Il faut effectivement aller vers ça, je pense que c’est le sens. De toute façon les bailleurs vont demander, exiger puisque eux-mêmes sont soumis à ce type d’obligation, ce type de bonne pratique, donc il faut accompagner ça. Je pense que c’est le rôle d’organisations comme Ritimo et CartONG. les cartoparties, apprendre à utiliser OpenStreetMap, QJIS, des logiciels comme ça et il faudrait peut-être faire des installe-parties, apprendre à utiliser Ubuntu, Debian, découvrir aussi qu’on passe très bien à ces outils-là. Une majorité de votre temps est passée dans des navigateurs web comme Firefox, qui est très connu, vous allez de toute façon, utiliser principalement les mêmes logiciels sur GNU/Linux que sur Windows et ça coûtera moins cher, vous pourrez mettre de l’argent sur la formation plutôt que sur le prix du support. Il y a plus de bugs, il y a plus de virus sur Windows, c’est bien connu, donc tout ça fait aussi une économie d’argent.

Jean-Christophe Becquet : Sur cet aspect sécurité, je voudrais ajouter que si les données sont si importantes pour votre travail, vous ne pouvez pas vous permettre de fonctionner selon le modèle du cloud. Le modèle du cloud c’est quoi ? Si on voulait traduire cloud en français, j’aurais envie de parler d’informatique nébuleuse. Le principe du cloud c‘est que vous ne savez pas où sont vos données. Vous déposez vos données quelque part et vous ne savez pas où elles sont, donc lorsque vous ne savez pas où sont vos données, quelle pérennité, quelle sécurité offrez-vous à vos données ? De ce point de vue je pense que si on voulait poursuivre l’image le logiciel libre est un ciel bleu dégagé sur lequel vous pouvez voir loin à l’horizon et retrouver la maîtrise de vos données.

Maeve : Quelle belle image, merci Jean-Christophe !
Il y aurait plein de sujets qu’on aimerait continuer à creuser, mais c’est aussi l’idée des autres webinaires de reprendre certains de ces sujets par différents bouts, on va se dire que tout a besoin d’être dit aujourd’hui.
J’aurais une question pour chacun d’entre vous pour clore un petit peu le débat, en tout cas synthétiser, on va dire, ce que les ONG peuvent faire concrètement. Est-ce que vous pourriez, chacun, parler d’une ou deux choses maximum qui seraient des choses réalistes et faisables, que les ONG pourraient mettre en place à court terme pour, justement, être un peu plus en accord avec leurs valeurs, en lien avec le Libre ? Qui veut démarrer ?

Jean-Christophe Becquet : Un premier conseil pratique et qui marche assez bien c’est lorsqu’on a un besoin logiciel non satisfait, pour lequel on n’a pas encore de solution en place, se poser la question de voir si on ne mettrait pas un logiciel libre. En effet, c’est beaucoup plus facile de mettre un logiciel libre à partir de zéro pour répondre à un besoin non satisfait que de faire changer les habitudes de travail et devoir former et adapter les compétences de toute une équipe sur des logiciels qui sont déjà en place et maîtrisés.
La deuxième chose que je voudrais proposer, maintenant qu’on vous a expliqué ces histoires de licence libre, en fait c’est de les avoir à l’esprit à chaque fois que vous vous posez une question de logiciel ou de données, à chaque fois que vous faites un nouveau fichier et que vous le partagez avec d’autres, vous dire est-ce que ça ne voudrait pas le coup de prendre deux secondes pour s’arrêter et dire ce fichier a-t-il une licence et, s’il n’en a pas, quelle serait la licence pertinente ?, sachant qu’il faut vraiment se souvenir qu’un fichier qui n’a pas de licence est un fichier sur lequel tout est interdit. Du coup ça va générer des blocages dans les échanges, dans le travail, dans les choses qu’on peut développer à partir de ces ressources. Les licences libres c’est quelque chose qui s’applique très largement. Aujourd’hui ça s’applique aux logiciels, ça s’applique aux données, ça s’applique à des rapports, à des synthèses, à des documentations que vous pourriez publier. Publier à son tour des ressources libres est une très bonne manière de mettre le pied à l’étrier et de rentrer dans la dynamique vertueuse du Libre.

Maeve : Merci Jean-Christophe. Martin ou Johan.

Johan Richer : Je pense qu’il faut effectivement être pragmatique. Il faut commencer par des petits pas, planter des graines et leur laisser le temps de pousser.
Je vais un peu répéter ce que j’ai dit. La suite LibreOffice me paraît aujourd’hui non seulement très utile et de très bonne qualité, ne pas hésitez à la télécharger et à la tester tout en ayant à côté Microsoft Office, òa peut être une très bonne chose.
Si vous ne connaissez pas certains des communs numériques les plus populaires aujourd’hui comme OpenStreetMap, vous avez notamment CartONG qui est là pour vous aider là-dessus. Mettre dans ses données dans OpenStreetMap, ne serait-ce qu’ajouter un point c’est vraiment quelque chose de très rapide, moi j’ai commencé par là dans le numérique, j’ai commencé par OpenStreetMap et je me suis formé sur d’autres outils par la suite, je pense que c‘est un très bon point de départ.
Aller vers des communautés, mutualiser les moyens, je pense que ça peut être une étape un peu plus tard, mais il faut commencer à poser des choses, il faut commencer quelque part pour la collaboration entre organisations sur ces sujets-là. On a des projets pour monter, créer des logiciels, je sais que ça se fait. J’avais conseillé un projet justement sur le foncier, un logiciel libre qui permet de créer des données foncières au Sénégal. Ils ont créé un dépôt sous licence libre ce qui leur permettra, peut-être ensuite, de collaborer avec d’autres organisations internationales pour améliorer ce logiciel, y contribuer plus facilement et faire en sorte que ça vive. L’avantage c’est que vous serez vous-même propriétaire, vous aurez la main sur l’amélioration du logiciel.
Comme on dit dans le monde du Libre La route est longue mais la voie est libre, c’est la devise finale.

Martin Novblecourt : En me plaçant peut-être plus dans une posture on va dire un peu de décideur dans une organisation, je dirais que ce qui me paraît important, on l’a mentionné plusieurs fois sur ces questions un peu de moyens, de temps, etc., qui sont souvent le nœud, comme l’a dit Maeve, ce sont des sujets qui, de toute façon, ne sont pas financés qu’ils soient en propriétaire ou en Libre ou que ce soit. On part généralement du principe qu’une ONG vit d’amour et d’eau fraîche et que ces trucs n’existent pas. Je pense qu’on a un plaidoyer collectif à mener et à intégrer quand on fait nos budgets de projets, quand on fait des descriptions, etc. Donc de base intégrer cette composante numérique qui a des enjeux stratégiques, et on l’a bien dit aujourd’hui, il y a des enjeux derrière, les outils qu’on emploie ne sont pas neutres, ça peut être l’occasion justement de réfléchir.
Je ne vais pas prêcher pour ma paroisse, mais CartONG est une des organisations qui peut faire de l’accompagnement dessus, on n’est pas les seuls, Ritimo et d’autres aussi. Vous avez plein d’entreprises aujourd’hui qui font de l’accompagnement sur le Libre, ce n’est pas quelque chose, encore une fois, qui est réservé à des hippies, etc., c’est tout à fait intégré dans le monde économique aujourd’hui. Il y a plein d’acteurs qui vivent de ça. Donc quand vous préparez vos projets, quand vous faites de la sensibilisation auprès de vos bailleurs, inclure cet aspect-là, cette composante que le numérique n’est pas neutre et qu’il faut des moyens pour.
J’aurais envie de dire, comme l’a mentionné Johan vis-vis de certains bailleurs type l’AFD ou d’autres, en fait ces questions d’open data, de communs numériques, etc., commencent. Il peut y avoir des effets de mode, il peut y avoir des commandes au niveau global qui dépassent le secteur de la solidarité internationale, des référentiels nationaux, etc., mais ça commence à percoler un petit peu. Ça peut même vous donner des chances de vous singulariser, de faire de l’original, etc.
Je ne m’étendrais pas là-dessus mais sur la question de l’open data on fait un lien très fort entre l’open data et tout ce qu’on pourrait appeler du crowdsourcing, de la science participative, etc., donc inclure du participatif là-dedans. C’est aussi un point fort dans vos propositions, vu qu’on sait que c’est quelque chose qui très attendu aujourd’hui, donc lier les deux peut-être très intéressant, le participatif et l’open.

Maeve : Merci tous les trois pour ces conclusions qui couvrent, je pense, une partie des sujets qui nous intéressent. Je pense qu’on est quand même sur un sujet difficile et de long terme, mais il y a plein de petits pas qui peuvent être faits.
Je vous propose de clôturer avec quelques ressources clés qu’on vous recommande pour la suite. Je vais également partager le lien vers la présentation elle-même si certains veulent la rejoindre avant que le webinaire lui-même soit diffusé, comme ça vous pouvez aller récupérer les liens en question.
Dans les ressources utiles en français, l’étude qui était censée un peu couvrir les besoins et les pratiques des ONG. Vous avez également deux ou trois articles ici sur les aspects plus politiques et éthiques associés aux dynamiques et aux communs.
Dans les ressources en anglais vous avez beaucoup de ressources dans un centre qui s’appelle le MERL Center, MERL [Monitoring, evaluation, research and learning] veut dire en anglais suivi, évaluation, recherche, et apprentissage qui fait énormément de publications, vraiment tournées par les organisations de la solidarité internationale sur les sujets d’open data, d’open source, quand est-ce qu’il faut choisir l’un, quand est-ce qu’il faut choisir l’autre, et à dissiper certains des mythes associés. N’hésitez vraiment pas à les lire si le sujet vous intéresse, ça vous aidera avec des clés de lecture supplémentaire pour justement venir, comme disait Matin, réfléchir à l’échelle des projets, comment mieux intégrer ces notions. Quand vous ne comprenez les implications qu’il y a derrière, c’est très dur de vendre une démarche tournée vers le Libre parce qu’elle touche à tellement de dimensions différentes de vos projets.
Rapidement pour dire aussi que chaque mardi, sur les quatre semaines à venir, on aura d’autres sujets qui sont liés, qui seront abordés, je ne vous fais pas le récap, vous en aurez sur la transformation numérique, la dimension humaine autour du numérique, la protection des données, l’info-sobriété également.
Un autre événement couvrira énormément de ces sujets également, le GeOnG [15], la conférence qu’on organise chez CartONG tous les deux ans ici à Chambéry, donc trois jours de conférences qui sera, cette fois-ci, sur le thème de l’urgence environnementale et la gestion de données, donc beaucoup d’acteurs de la solidarité internationale se retrouvent en présentiel avec aussi un mode hybride, bien entendu vous êtes tous les bienvenus.
Que dire de plus en termes de mot de la fin. J’espère que vous avez apprécié cet échange, que ça vous a aidé à décrypter un petit peu le sujet que les ONG, que ça fera des petits en interne et pourquoi pas que ça remonte aussi à certains dirigeants d’ONG pour les aider à mieux intégrer ces sujets dans leur stratégie organisationnelle. Je ne sais pas si Mathieu veut dire également un petit mot de la fin.

Mathieu Wostyn : Je suis ravi des échanges qu’on a eus. J’ai hâte des prochains webinaires justement parce qu’on va aller adresser des questions plus précisément parmi celles qui ont été abordées et celles qu’on va identifier comme centrales dans nos associations, nos organisations, etc. Vivement les prochains et soyez tous et toutes bienvenus. N’hésitez pas à poser vos questions de manière à ce qu’on puisse tenter de faire des réponses collectives et d’y réfléchir ensemble.
Un grand merci à CartONG d’avoir pris l’initiative. Je suis vraiment ravi de ça. Merci bien sûr aux intervenants de s’être rendus disponibles pour discuter avec nous de ces sujets.

Maeve : Merci à tous et bon appétit.

Martin Noblecourt : Merci à vous.

Jean-Christophe Becquet : Merci pour l’invitation. Bon appétit à tous.

Maeve : Au revoir.