Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 juin 2022 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Les élections législatives ont eu lieu il y a quelques jours et le parti du président de la République ne dispose pas de la majorité absolue. Cette situation génère de nombreux commentaires qui, pour beaucoup, montrent une méconnaissance du mécanisme du travail parlementaire. Avec notre invité du jour nous allons essayer de vous éclairer sur le travail parlementaire à l’Assemblée et au Sénat, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Marie-Odile Morandi intitulée « Logiciel libre et communs numériques » et, en fin d’émission, la chronique de Luc « 7 ans, l’âge de raison ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire tout retour ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 28 juin 2022, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

Il a une grande responsabilité, celle de vous rendre les propos, les sons, propres et agréables à écouter. À la réalisation de l’émission c’est mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Salut Fred, je ferai de mon mieux.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcriptions et administratrice de l’April, intitulée logiciel libre et communs numériques

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi. Marie-Odile est animatrice du groupe Transcriptions de l’April et administratrice de l’association. Elle a rédigé la chronique qui est mise en voix par Laure-Élise Déniel, bénévole à l’April. Le thème du jour : Logiciel libre et communs numériques.

[Virgule sonore]

Marie-Odile Morandi, voix de Laure-Élise Déniel : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Le thème du sujet principal de l’émission Libre à vous ! du mardi 17 mai était « Les communs numériques ».
Claire Brossaud, sociologue, facilitatrice des communs, et Sébastien Broca, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, auteur de l’ouvrage Utopie du logiciel libre paru en novembre 2013, étaient les invités de Laurent Costy et d’Étienne Gonnu.
Pour cette dernière chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de la saison 5 de votre émission préférée, auditeurs et auditrices, nous avons choisi de rappeler certains éléments de cette transcription pour vous encourager à la lire ou, si vous l’avez déjà fait, à la relire, l’intitulant « Logiciel libre et communs numériques ».

Laurent Costy, vice-président de l’April et animateur ponctuel de l’émission, rappelle que la notion de communs, qui a ressurgi depuis les années 2000, n’est pas toujours simple à appréhender au-delà de la seule question du numérique.
Des précisions sont apportées par Claire Brossaud.
Les biens, en économie, sont des ensembles non exclusifs de ressources qui peuvent être partagés, mais ces ressources peuvent s’épuiser.
Les biens publics sont les ressources comme l’air, l’eau, la terre, qui, elles aussi, ne sont pas appropriables.
Bien entendu, référence est faite plusieurs fois à Elinor Ostrom, chercheuse américaine, prix Nobel d’économie en 2009. Pour elle, les communs peuvent être utilisés par tous, mais les ressources en jeu s’épuisent.
Concernant les communs de la connaissance et du numérique, la situation est différente : le savoir, la connaissance sont des ressources qui s’amplifient et se développent quand on les utilise.

Pour qu’il y ait commun, il faut traditionnellement trois piliers : une ressource, une communauté et des règles d’accès et de partage de cette ressource.
La ressource peut être matérielle – une terre, un habitat, une rivière – ou immatérielle, intangible – les communs de la connaissance, les communs informationnels, les communs culturels.
Des humains formant une communauté gèrent ensemble, en commun, cette ressource, qui risque de s’épuiser, afin de la faire perdurer. Des règles d’usage, une gouvernance collective est mise en place par cette communauté qui est en relation avec son écosystème.
Le statut de commun d’une ressource dépend toujours d’une décision humaine, de la décision d’une personne ou d’un collectif de considérer ce bien comme un commun, d’en faire une ressource partagée. C’est valable pour les biens matériels ou physiques et pour les biens informationnels.

Au début des années 80 l’information et la connaissance ont été de plus en plus privatisées, soumises à des droits exclusifs de copyright aux États-Unis, empêchant, par exemple, les pratiques communautaires de partage des développeurs qui coproduisaient les logiciels. Le mouvement du logiciel libre est créé en 1983 et 1984 par Richard Stallman. C’est un des premiers mouvements à réagir à cette enclosure et à mettre en place une véritable alternative contre les restrictions posées par la propriété intellectuelle pour permettre l’accès ouvert et le partage des ressources informationnelles. Richard Stallman défend le droit fondamental des utilisateurs à accéder au code source, il crée les licences libres dont la première, la GNU GPL, va octroyer des libertés.
Les quatre libertés – exécution, copie, modification et redistribution aussi bien de la version originale que de celle qui est modifiée – sont au cœur du logiciel libre qui joue un rôle précurseur. D’autres mouvements suivront dont le dénominateur commun est le fait de résister aux excès de la propriété intellectuelle afin de s’opposer au mouvement de privatisation de l’information : création des licences Creative Commons, promotion du libre accès aux publications scientifiques mais aussi défense des semences paysannes contre les variétés hybrides.

Peut-on qualifier les logiciels libres de communs numériques selon la définition des communs ?, demande Laurent Costy.
Si ce projet de logiciel libre est mené par une seule personne, s’il n’y a pas de communauté, pas de gouvernance démocratique, la réponse est non, affirme Sébastien Broca. Cependant, de nombreux projets de logiciel libre ont un fonctionnement communautaire, auto-organisé, qui répond à la définition des communs. Donc les logiciels libres sont souvent des communs, mais il peut y avoir des logiciels libres qui ne respectent pas vraiment les critères de définition des communs.

L’ouverture des codes sources a permis de créer des œuvres de manière itérative et collaborative. Wikipédia, encyclopédie mondiale de la connaissance, naît au début des années 2000 ; OpenStreetMap, base libre de données géographiques, le système d’exploitation libre GNU/Linux, les logiciels libres comme Firefox, les œuvres sous Creative Commons, sont des communs numériques qu’on trouve sur Internet, créés grâce à la contribution de milliers de personnes, qui permettent à ces ressources de croître et non de se réduire.
La connaissance, une idée, des biens informationnels ne courent pas le risque de s’épuiser lorsqu’on les consomme, on peut les partager à l’infini, mais on peut quand même les privatiser, on peut faire du logiciel propriétaire ! La présence d’une licence libre ne fait pas forcément d’un logiciel un commun ; un logiciel libre peut être entièrement géré par une entreprise privée, sans communauté.

Pour Sébastien Broca, la différence entre Libre et open source est philosophique, c’est une différence d’approche, de positionnement. Le logiciel libre est un mouvement social qui met au premier plan une exigence éthique. L’open source va se promouvoir avec des arguments un peu plus pragmatiques, expliquant que les logiciels sont meilleurs, qu’ils permettent des méthodes de développement ouvertes efficaces, des économies d’argent pour les entreprises. Il remarque qu’un nouveau clivage s’est mis en place depuis quelques années avec, d’un côté, le logiciel libre canal historique et ses quatre libertés et, de l’autre, une position moins rigoriste sur ces droits fondamentaux. Apparaissent ainsi des licences qui vont avoir un objectif plutôt économique de réciprocité : demande de participation au développement du code source du logiciel et, à défaut, demande de versement d’une somme d’argent.

Plus récemment une nouvelle génération arrive qui porte des combats, des valeurs ou des exigences qui n’étaient peut-être pas assez été prises en compte par la génération précédente, notamment celle des pères fondateurs du logiciel libre. Les thématiques concernant en particulier les inégalités de genre ont acquis de l’importance, ont questionné et fait réfléchir un certain nombre de communautés qui se sont aperçues de l’homogénéité sociale qui régnait, de la domination écrasante des hommes assez technophiles, blancs, favorisés socialement, accusant parfois des comportements machistes ou misogynes. Des questions de gouvernance démocratique se posent : comment s’auto-organiser, comment faire pour mener un projet communautaire respectueux ? Le mouvement des communs a ainsi pu ouvrir le monde du Libre à des thèmes qui provenaient de mondes sociaux assez différents, permettant une gouvernance plus collective au sein de certains projets de logiciel libre.

Le logiciel libre est essentiel dans le fonctionnement d’Internet : 90 % des serveurs tournent avec GNU/Linux. On a constaté une forme de récupération ou d’intégration du Libre par les GAFAM dont le monopole ne s’est, semble-t-il, pas affaibli, ainsi qu’une forme d’appropriation par l’industrie qu’on pourrait dire culturelle. Les éléments de langage, le vocabulaire de la communauté – collaboration, ouverture, partage – ont été repris, peut-être de manière hypocrite, par les grands acteurs du numérique.
Parce qu’il y a des enjeux de souveraineté des données par rapport à ces GAFAM, mais aussi des enjeux d’innovation collaborative, on constate une appropriation assez récente des communs numériques par certaines institutions avec volonté de les favoriser. On peut citer l’Agence nationale de la cohésion des territoires ainsi que l’IGN, l’Institut géographique national, qui ont choisi d’utiliser désormais OpenStreetMap.

Au cours du temps, diverses transcriptions concernant ces sujets ont été publiées. Le site Libre à lire ! met à disposition un moteur de recherche qui permet aux personnes intéressées, par exemple en insérant le terme « communs », de les retrouver. Une attention particulière peut être réservée à la transcription d’une conférence donnée en 2019 par Lionel Maurel, bibliothécaire, juriste, expert du droit d’auteur et des licences, intitulée « Faire atterrir les Communs numériques », c’est-à-dire sur un sol terrestre. Les communs de la connaissance ont une dimension matérielle et les communs matériels sont aussi des communs de la connaissance.
Lionel Maurel cite l’exemple d’une bibliothèque : les idées sont dans les livres qui sont des objets, eux-mêmes sont dans une bibliothèque qui est l’infrastructure. Sébastien Broca prend l’exemple du fab lab, le laboratoire de fabrication, qui a une dimension matérielle, qui existe dans le tissu urbain, dont l’activité est fondée sur beaucoup de communs numériques particulièrement au niveau logiciel. Il est donc difficile de séparer ces éléments qui forment un agencement.

Le Libre ne concerne pas seulement les informaticiens ou les hackers, il s’inscrit dans un projet politique plus vaste, plus global, véritable alternative, nous explique Claire Brossaud, à la mondialisation néolibérale telle qu’elle a été conduite depuis quelques décennies. Le logiciel libre n’a pas vraiment eu besoin des communs pour exister, pour progresser. Il a réussi à maintenir l’ouverture de certaines ressources informationnelles et nous pouvons dire que c’est un réel succès.
Certes, on s’est aussi aperçu que l’informatique, même quand elle est libre, peut être critiquée, remise en cause par sa participation à une numérisation du monde qui a un effet positif mais aussi des effets néfastes, notamment du point de vue écologique.

Les communs se généralisent, ce sont des modèles d’organisation sociale qui sont de plus en plus efficients dans la société. Les acteurs des communs se disent à l’interface public/privé de manière à créer une troisième voie afin d’avoir la main sur la gestion et l’allocation des ressources à l’échelle de petites communautés mais aussi à l’échelle de grandes communautés quand il s’agit des communs de la connaissance.

Depuis les années 2020 on voit s’institutionnaliser la notion de communs dans divers domaines, à fortiori dans le numérique. Les changements à accomplir en matière écologique, en matière sociale, sont considérables et les communs portent une vraie alternative. Pour Claire Brossaud, il est nécessaire d’articuler le développement des communs avec le soutien des acteurs publics et de l’État, cependant sans que les communs y perdent leur spécificité. C’est une question majeure, voire le défi des prochaines années sans oublier, comme nous le rappelle Lionel Maurel, l’imbrication des communs numériques à la technostructure physique, c’est-à-dire leur aspect matériel.

Puissent les transcriptions que nous vous suggérons de relire – vous trouverez bien entendu les liens sur la page des références de l’émission – permettre d’aider à la compréhension des communs en évitant les simplifications qui entraînent quelquefois des déformations. Certes, « tout cela est bien compliqué », mais fort intéressant, voire passionnant par son actualité.

Permettez-nous, chères auditrices et auditeurs, de nous congédier en vous souhaitant d’excellentes et reposantes vacances d’été.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter la chronique de Marie-Odile Morandi mise en voix par Laure-Élise Déniel. Le thème du jour c’était « Logiciel libre et communs numériques ». Vous pourrez retrouver les transcriptions en référence sur le site libreavous.org. Le site dédié aux transcriptions est librealire.org où vous avez près de 900 transcriptions. Si vous voulez passer un été studieux en lisant, vous pouvez vous connecter sur librealire.org et retrouver toutes les transcriptions.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause nous parlerons du travail parlementaire avec notre invité Samuel Le Goff. En attendant nous allons écouter Outrain par Lumpini. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Outrain par Lumpini.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Outrain par Lumpini, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0. Si vous souhaitez en savoir plus sur Lumpini, je vous renvoie à l’interview de Thibaut Dallery faite par mon collègue Étienne Gonnu la semaine dernière. Vous pouvez l’écouter sur libreavous.org/148. Si vous nous écoutez en direct le podcast n’est pas encore disponible, mais si vous nous écoutez en podcast, au moment où vous m’entendrez le podcast de cette émission sera disponible. Donc Lumpini dans l’émission 148, donc libreavous.org/148.

[Jingle]

Frédéric Couchet : On va passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Le travail parlementaire, avec Samuel Le Goff, ancien collaborateur parlementaire, puis journaliste en charge du suivi du Parlement, désormais consultant en stratégie et communication chez CommStrat

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur le travail parlementaire et plus particulièrement à l’Assemblée nationale mais également au Sénat, on va voir qu’il va peut-être jouer un rôle plus important qu’avant. On va essayer de vous montrer un petit peu l’envers du décor, le travail en commission, en hémicycle, les groupes politiques, les relations avec la société civile et aussi, vu le thème de notre émission sur les libertés informatiques, parler un petit peu d’acculturation des parlementaires aux enjeux des libertés informatiques.
Notre invité connaît très bien les rouages de l’Assemblée nationale, c’est d’ailleurs là que nous nous sommes rencontrés en décembre 2005. Il s’agit de Samuel Le Goff, ancien collaborateur parlementaire puis journaliste en charge du suivi du Parlement, désormais consultant en stratégie et communication chez CommStrat.
N’hésitez pas à participer à notre conversation soit sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat », soit en nous appelant au téléphone, on va faire une expérience aujourd’hui vu que notre invité est tout seul au studio avec moi, au 09 72 51 55 46.
Première question Samuel, une présentation personnelle de ton parcours.

Samuel Le Goff : Bonjour. Merci pour cette invitation.
Ça fait effectivement déjà pas mal de temps que nous nous sommes croisés à l’Assemblée nationale où j’ai quand même passé 11 ans, avec des députés, sur des sujets variés, mais beaucoup de numérique quand même. Ensuite je suis passé journaliste en charge du suivi du Parlement et des questions numériques, puis je suis devenu consultant en stratégie, communication, affaires publiques. J’ai toujours un œil sur le Parlement, toujours un œil sur le numérique. Je connais un peu les communs également, j’ai un peu trempé dans Wikipédia, je continue encore. C’est vrai que ce sont des sujets qui me passionnent mais qui sont mal connus. Aujourd’hui c’est quand même un grand moment au Parlement puisqu’on a l’élection, probablement, de la première femme présidente de l’Assemblée nationale.

Frédéric Couchet : En ce moment, sur mon écran de contrôle, je vois les parlementaires mettre leurs bulletins de vote.

Samuel Le Goff : On connaît la fin de l’histoire puisque la majorité a désigné sa candidate, c’est logiquement elle qui devrait l’emporter. Derrière ce sont cinq ans de travail qui vont commencer, cinq ans de travail assez laborieux et souvent obscur. Le travail parlementaire ne se limite pas à la séance publique à l’hémicycle, il y a tout un cycle avant, il y a aussi beaucoup de choses qui se passent après. Pour comprendre le travail parlementaire l’important c’est de savoir que ce n’est qu’une étape, un maillon d’une chaîne, on a des choses avant, c’est-à-dire que les administrations préparent les lois, il y a des discussions, et il y a des choses après.

Frédéric Couchet : Avant que tu enchaînes parce que ça va être justement ma première question. Concernant ta présentation personnelle, on t’a invité parce que tu es effectivement une des personnes qui connaît le mieux ces rouages-là pour en avoir été l’un des membres pendant longtemps, tu as suivi ce travail en tant que journaliste et aujourd’hui tu le suis au cabinet CommStrat ; sur la partie numérique tu as effectivement, en plus, suivi pas mal ces dossiers avec différents députés, notamment avec le député Lionel Tardy. L’objectif de l’émission du jour n’est pas de couvrir tous les sujets concernant le travail parlementaire parce qu’il nous faudrait une dizaine d’émissions, c’est d’essayer d’expliquer un peu les coulisses du décor et surtout sortir de cette image que les médias dits traditionnels véhiculent, c’est-à-dire la séance en hémicycle où les gens votent et, de temps en temps, les séances de nuit où vous avez une dizaine de députés qui votent et les gens se scandalisent parce qu’il n’y a que dix députés présents.
Première question, tu avais commencé à y répondre mais je vais quand même reposer la question : est-ce que tu peux nous expliquer un peu petit peu, en résumé après on va rentrer dans les détails, le parcours d’un projet de loi ou d’une proposition de loi vu que ce n’est pas tout à fait la même chose ?

Samuel Le Goff : Le projet de loi c’est quelque chose qui vient du gouvernement, donc c’est préparé avec les administrations qui écrivent souvent les textes, ça passe par un certain nombre d’organismes consultatifs notamment le Conseil d’État pour s’assurer que c’est juridiquement à peu près bien écrit. Ensuite ça arrive à l’Assemblée nationale où il y a d’abord un examen en commission. Suivant la thématique du projet de loi plusieurs commissions peuvent être saisies, chacune a ses domaines, il y a la commission des lois, la commission des affaires économiques, des affaires culturelles, des affaires étrangères – eux ont moins de textes, mais ils ont plus d’auditions. Il y a également tout un travail fait par un député particulièrement important qu’on appelle le rapporteur d’une loi, c’est lui qui auditionne vraiment.

Frédéric Couchet : C’est le rapporteur de la commission, on reviendra tout à l’heure sur les commissions et sur le rapporteur de la commission.

Samuel Le Goff : Une fois que ce travail est fait en commission on passe à la séance publique où là c’est plus théâtral, on va dire que c’est plus politique. Autant le travail en commission c’est le travail de fond, on travaille sur le texte, il y a moins d’emphase, il y a moins d’enjeux politiques. La séance publique, par contre, c’est la mise en scène des accords ou des désaccords politiques, où on fait vraiment une forme de théâtre qui fait également partie du jeu puisque c’est là aussi que se construit la légitimité d’un texte. Un texte adopté dans le bruit et la fureur en hémicycle, ça se passe rarement bien après. On sent justement qu’il n’est pas consensuel, on sent qu’il y a un problème et c’est arrivé parfois, notamment sur les libertés numériques, que le Conseil constitutionnel finisse par achever le travail en censurant.

Frédéric Couchet : Ça passe donc en hémicycle, on va revenir un petit peu en détail sur chacune des étapes, il y a ensuite ce qu’on appelle la navette parlementaire avec le Sénat.

Samuel Le Goff : Un examen à l’Assemblée, ensuite ça passe au Sénat, même chose : désignation d’un rapporteur, auditions, passage en commission, passage en séance. Il faut que les textes soient adoptés dans les mêmes termes par l’Assemblée et le Sénat, donc il y a tout un système d’échanges qui se termine par ce qu’on appelle une commission mixte paritaire, on met sept sénateurs et sept députés dans la même pièce et on leur dit « trouvez un accord ».

Frédéric Couchet : La commission mixte paritaire c’est dans le cas où les deux chambres ne se sont pas mises d’accord.

Samuel Le Goff : C’est souvent le cas, parce qu’il reste toujours des choses sur lesquelles ils ne sont pas d’accord. Ce sur quoi ils sont d’accord, c’est bon, c’est acté. Par contre restent les points durs, les points difficiles pour lesquels il faut négocier. Parfois c’est facile parce que, finalement, ils ne sont pas très loin et, en discutant, on arrive à trouver un accord. Parfois ce sont des oppositions frontales où il faut qu’il y en ait qui lâche. Parfois ça se passe mal personne ne refuse de lâcher et, dans ce cas-là, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot.

Frédéric Couchet : On va préciser aussi qu’un projet de loi ne commence pas forcément à l’Assemblée nationale, il peut commencer au Sénat, mais c’est peut-être plus rare.

Samuel Le Goff : Il y a juste les lois de finances, dès que ça concerne l’argent ce sont les députés en premier et, quand ça concerne les collectivités locales, ce sont les Sénateurs en premier puisqu’ils sont élus par les grands électeurs que sont les maires et les conseillers municipaux ; il y a une forme de logique. Pour le reste c’est le gouvernement qui choisit. En général il le fait en fonction du calendrier, il y a parfois des bouchons dans le programme législatif d’une assemblée donc on va dans l’autre ou, parce que, en général, l’Assemblée nationale est plus proche du gouvernement donc le gouvernement préfère commencer par l’Assemblée. C’est en fonction du climat, on verra dans les mois qui viennent comment ça va se passer.

Frédéric Couchet : On va juste rappeler, les gens le savent peut-être, on n’est pas tout à fait sûrs, que l’Assemblée nationale c’est une élection directe par les citoyens et, comme tu viens de le dire, le Sénat c’est une élection indirecte par les grands électeurs, c’est-à-dire les élus locaux, c’est pour ça que ça représente plus les collectivités, donc ce sont deux visions. Juste pour finir là-dessus, s’il y a un désaccord entre les deux chambre, si je me souviens bien, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. C’est ça ?

Samuel Le Goff : Oui, c’est normal parce qu’elle est élue par les citoyens alors que le Sénat est élu par les grands électeurs, donc c’est un suffrage indirect et, en général, on n’en arrive pas là. Souvent, quand même, on arrive à un accord entre les deux chambres. Le processus est bien réglé, bien rodé et, en général, on arrive à avoir des lois qui sortent dans les temps.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu as parlé des commissions. Peut-être l’occasion de préciser les différentes commissions. Quel est leur rôle ? C’est vraiment exclusivement de participer à l’écriture de la loi à partir d’un texte qui arrive ? Est-ce qu’elles ont d’autres rôles ?

Samuel Le Goff : Le rôle principal c’est quand même d’examiner les textes, mais il y a aussi tout un travail de contrôle. Les missions d’information peuvent se faire au niveau d’une commission, c’est-à-dire qu’une commission décide qu’un sujet est important, donc décide de créer une mission, en général un député de la majorité un député de l’opposition, pour enquêter sur un sujet, faire un rapport qui peut donner lieu derrière à une proposition de loi – un projet de loi mais initié par des députés – ou alors un rapport qui explique qu’il faudrait plein de choses, que ce serait important que le gouvernement fasse des choses. Après il en reste ce qu’il en reste, malheureusement beaucoup de rapports parlementaires très bien écrits finissent par prendre la poussière sur des armoires, c’est malheureusement le lot de beaucoup de rapports !

Frédéric Couchet : Comme tu l’as dit tout à l’heure il y a différentes commissions spécialisées, commission des lois, affaires étrangères, éducation. Donc les textes sont soumis à une commission qu’on appelle la commission saisie au fond, principale, en fonction du thème, et il peut y avoir d’autres commissions saisies pour avis. C’est ça ?

Samuel Le Goff : Tout simplement parce que parfois certains textes de loi sont très larges et débordent le cadre d’une commission. On considère que celle qui a le plus d’éléments dans le texte est la commission au fond, ensuite elle peut demander à une autre commission de dire « sur tels articles qui relèvent de vos domaines, sur lesquels nous n’y connaissons rien, on vous laisse travailler » et c’est la commission pour avis qui donne un avis sur la partie qu’elle connaît. Sachant que c’est quand même la commission au fond qui tient le texte et c’est son texte, voté en commission au fond, qui sera la base pour la discussion en hémicycle. C’est un point important puisque, quand un amendement est adopté en commission, il n’est pas rediscuté en séance. Si le gouvernement ou un autre groupe parlementaire souhaite que ça disparaisse du texte, il faut déposer un amendement donc expliquer pourquoi on veut que cette partie-là soit supprimée, d’où l’importance de la commission.

Frédéric Couchet : C’est un point essentiel pour que les gens comprennent le processus. Par contre je crois qu’on a oublié de préciser un point par rapport à ma première question, quelle est la différence avec une proposition de loi ?

Samuel Le Goff : La proposition de loi vient d’un député, le projet de loi vient d’un gouvernement.

Frédéric Couchet : C’est résumé. C’est effectivement ça. Souvent les gens font une confusion, ce n’est pas tout à fait le même processus, en tout cas le même impact.
Ce qui est important pour que les gens qui nous écoutent comprennent l’écriture de la loi c’est que la commission est quasiment le premier groupe qui va avoir un impact considérable sur l’évolution du texte à travers ce qu’on appelle des amendements. Le travail parlementaire est souvent présenté par les médias avec ce qui se passe en hémicycle et en fait, ce que tu nous dis c’est que le principal parlementaire, le premier et celui qui est peut-être le plus important, se passe en commission. Comment ça se passe au niveau des amendements ? Quels députés participent ?

Samuel Le Goff : Les règles diffèrent suivant l’Assemblé et le Sénat. Je dirais qu’à l’Assemblée que ce sont les députés présents en commission qui peuvent déposer des amendements, qui peuvent les discuter, et ensuite seuls les membres de la commission votent. Ils adoptent ou ils n’adoptent pas. En fait le processus est le même qu’en séance publique sauf qu’il n’y a pas le décor, il n’y a pas la solennité et c’est beaucoup plus un travail technique sur le texte, même si on sent que la politique est là. Pendant l’examen en commission on sent tout à fait, sur certains sujets, qu’en séance ça va peut-être s’exciter davantage, il va peut-être y avoir plus de bruit. La commission est là aussi pour permettre de tâter le terrain politiquement. On lance des ballons d’essai, on voit ce que ça donne et on prépare, on fourbit les armes pour la séance. Parfois un début de discussion a lieu en commission et on sent qu’on pourrait tomber d’accord, mais ce n’est pas prêt, ce n’est pas mûr, il faut rediscuter, donc on renvoie ça à la séance. D’ici la séance on discute, on négocie pour arriver à un point d’atterrissage en séance. Ça permet aussi de lever des problèmes qui sont solubles, qu’on peut résoudre. Ensuite, bien sûr, la séance est là pour exprimer de façon vigoureuse les oppositions politiques.

Frédéric Couchet : Tu expliques là, si je comprends bien, qu’en commission il n’y a pas forcément que des amendements qui ont vocation à être vraiment adoptés, mais qu’il y a des amendements qu’on appelle des amendements d’appel, c’est-à-dire pour lever une discussion politique et faire effectivement aboutir un texte ou un amendement retravaillé en hémicycle qui là sera adopté.

Samuel Le Goff : Il y a effectivement ça. Sur certains sujets on n’est pas sûr de ce qu’on veut ou on ne sait pas comment l’écrire ou alors on n’a pas tout vu et quelqu’un soulève une objection disant « votre amendement pose ce problème-là ». Oui, on ne l’avait pas vu, donc on discute et on trouve un compromis, maintenant il faut écrire le compromis. C’est entre la commission et la séance qu’on écrit le compromis, souvent avec le gouvernement parce que c’est quand même lui qui a les moyens d’écriture des textes parce que la loi c’est une écriture très technique.

Frédéric Couchet : Quand tu parles de moyens d’écriture, ça veut dire que tu parles de collaborateurs et de collaboratrices spécialisés dans l’écriture de la loi.

Samuel Le Goff : Oui. C’est un travail extrêmement technique où il faut vraiment une compétence de juriste parce qu’un mot ne remplace pas un autre. Souvent les juristes hurlent quand on leur dit que la loi stipule. La loi dispose ! Sur beaucoup de sujets les mots ont une portée juridique qui leur a été donnée par les textes ou par la jurisprudence, délit ou crime ce n’est pas pareil !, c’est pour cela qu’il faut vraiment des spécialistes. Les amendements d’appel servent aussi, parfois, à faire parler le gouvernement. Il y a des sujets qui ne relèvent pas forcément de la loi, ce ne sont pas forcément les députés qui ont la clef, mais un engagement pris par le ministre en commission ou en séquence c’est quand même quelque chose qui engage le gouvernement et qui l’oblige à faire quelque chose, à bouger. Pour les députés c’est aussi un moyen de faire pression sur le gouvernement et une fois qu’ils ont obtenu un engagement du ministre c’est bon, ils sont contents, ils retirent l’amendement, l’objectif est atteint.

Frédéric Couchet : Je vais relayer une question que je vois sur salon web – n’hésitez pas si vous voulez participer c’est causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous – la question des études d’impact sur des projets de loi, ou peut-être des propositions de loi, il y a des études d’impact. À quoi servent-elles ces études d’impact ?

Samuel Le Goff : Les études d’impact c’est quelque chose qui existe depuis assez récemment, c’est la réforme de 2008 qui a voulu, dans un élan je dirais vertueux, qu’avant de commencer à écrire une loi, on se pose la question : est-elle vraiment nécessaire ?

Frédéric Couchet : Bonne question !

Samuel Le Goff : Donc regarder un peu quel est l’environnement, notamment européen, est-ce qu’il y a déjà du droit européen, est-ce qu’il y a déjà des décrets, est-ce que ça relève vraiment de la loi ? Si la réponse est oui, ensuite on commence à écrire la loi. Le problème c’est que ça a été détourné jusqu’à maintenant, c’est-à-dire qu’on commence par écrire la loi et ensuite on utilise l’étude d’impact pour justifier la loi, transformant l’étude d’impact en, je dirais, un exposé développé des motifs. Ça a son utilité parce que souvent, quand on lit l’étude d’impact, on a plein d’informations qu’on ne retrouve pas en lisant l’exposé des motifs du texte, on trouve plein de chiffres, de statistiques, d’éléments. C’est utile, mais ça pourrait l’être encore plus si on respectait effectivement le processus. Je dirais, comme toute réforme d’ampleur, quand on introduit quelque chose de nouveau, il faut parfois du temps pour que ça vienne. Ce n’est pas à des informaticiens qu’on va apprendre que, parfois, l’usage d’un outil est totalement détourné par les utilisateurs et qu’il sert à tout autre chose que ce pourquoi il a été conçu et parfois ça change aussi. Je dirais que les études d’impact c’est quelque chose encore en cours, ce n’est pas abouti, mais c’est quand même utile pour donner de l’information.

Frédéric Couchet : D’accord. Tu as employé un terme intéressant, mais je ne suis pas sûr que tout le monde puisse le comprendre, le terme « exposé des motifs ». J’ai une question. Quand un parlementaire rédige un amendement, un texte – un amendement c’est une proposition de modification du texte de loi – il est en deux parties, c’est-à-dire qu’il y a l’exposé des motifs et le texte de l’amendement. À qui servent ces deux parties ?

Samuel Le Goff : La modification de la loi est parfois totalement absconse, ça peut être « à tel article remplacer et par ou ». Quand vous lisez vous ne savez pas ce dont il s’agit, l’exposé des motifs est là pour vous dire ce dont il s’agit, pour vous donner l’impact, c’est-à-dire en faisant cette modification voilà ce qu’on apporte, voilà ce qu’on veut changer. C’est la traduction en français courant du dispositif, mais qui est écrit en langage juridique.

Frédéric Couchet : Là on est en commission, le texte arrive, il y a un certain nombre d’amendements donc une nouvelle version arrive, c’est cette version-là qui est étudiée en hémicycle, ce qu’on appelle en séance publique et là le même processus repart ? C’est-à-dire qu’à nouveau des amendements repartent mais sur le texte validé par la commission. C’est ça ?

Samuel Le Goff : Voilà. La même chose. Parfois on voit les amendements qui avaient été déposés en commission et pas adoptés revenir en séance pour refaire le même débat, ce qui rend parfois les débats de séance un peu laborieux parce qu’on a l’impression de refaire le match de la commission avec souvent le même sort à la fin, c’est-à-dire qu’un amendement pas adopté en commission a peu de chances de passer en séance.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire qu’il y a des députés qui reposent le même amendement qui a été refusé en commission pour espérer… Est-ce que ce dépôt a pour but de lancer à nouveau le débat ou est-ce que ces personnes espèrent qu’il y a une majorité différente, un équilibre différent, et qu’il puisse être adopté en hémicycle ?

Samuel Le Goff : Jusqu’à maintenant aucun espoir que l’équilibre soit différent entre la commission et la séance, simplement quand vous êtes dans l’opposition votre seule arme c’est le dépôt d’amendements et la prise de parole. Une prise de parole en hémicycle a quand même de la force et parfois vous avez obtenu en séance des renseignements qui vous permettent d’affiner un petit peu votre argumentaire pour la séance et de viser peut-être un petit plus juste, sachant que l’amendement n’ayant pas vraiment de chances d’être adopté, ça ne sert pas à grand-chose de le modifier. Ce qui compte c’est le temps de parole qu’il permet d’obtenir et le discours que vous allez développer derrière parce que l’opposition n’a que ça pour exister.

Frédéric Couchet : Je vais revenir sur un sujet. Tout à l’heure tu as expliqué qu’écrire le droit c’est compliqué, en tout cas ça nécessite des compétences. Finalement les gens élisent des parlementaires, des députés, qui ont tous et toutes un profil très différent et la plupart ne sont pas juristes, comment s’articule le travail de ces parlementaires ? Je suppose qu’ils ont des collaborateurs et des collaboratrices qui sont plus spécialisés dans ce domaine, comme tu l’as été, et quelle est la relation avec les fonctionnaires de l’Assemblée nationale, ce qu’on appelle les services, qui sont là, si j’ai bien compris, pour aider les députés à écrire correctement la loi ?

Samuel Le Goff : Toute l’opération du travail parlementaire consiste à transformer une parole politique. Il faut bien le dire, les députés ne sont pas là pour écrire le droit, ce n’est pas ça qui les intéresse, ils sont là pour faire de la politique, pour déterminer des consensus, donner des directives et ensuite, effectivement, les services, les fonctionnaires de l’Assemblée et les collaborateurs parlementaires sont là pour écrire juridiquement ce qui a été défini politiquement par les députés. Le travail purement technique est souvent fait par des fonctionnaires qui sont extrêmement compétents sur ces domaines-là parce qu’il faut quand même que le texte sorte du Parlement applicable, ce n’est pas toujours le cas, les juristes s’arrachent régulièrement les cheveux sur les textes qu’ils pensent mal écrits. En même temps, à partir du moment où le texte est un texte politique, il reste toujours des trous, il reste toujours des ambiguïtés qui n’ont pas été levées et qu’un texte juridique ne peut pas lever à la place de la politique. C’est cette transmutation qui est faite par des spécialistes, sachant que les spécialistes juridiques sont tenus par ce qui a été dit politiquement. Une fois que le texte est écrit on regarde quand même si le droit respecte bien ce qui a été effectivement dit en hémicycle et défini politiquement.

Frédéric Couchet : Ça tombe très bien parce que je vois juste une question de Marie-Odile sur le salon web, plutôt une remarque, qui dit qu’il faut une grande confiance envers les personnes qui vont traduire la pensée politique du député. Est-ce qu’elle sous-entend que les fonctionnaires ou les personnes des services pourraient se tromper dans la traduction légale du droit, pourraient peut-être le faire volontairement ? Quel est leur pouvoir quelque part ?

Samuel Le Goff : Les fonctionnaires parlementaires sont, en général, des gens neutres politiquement. Ils sont là pour servir la nation, faire et défaire ce n’est pas leur sujet, ce sont des techniciens sachant que ce qu’ils font doit lu par d’autres juristes, donc ce n’est pas non plus quelque chose que seuls deux/trois personnes peuvent comprendre. S’ils se trompent ou s’ils font mal leur travail ça se voit et ils sont rappelés à l’ordre, donc ils n’ont aucun intérêt à essayer de tricher là-dessus et, en général, ils ne le font pas. Il y a une vraie confiance parce que ce sont des gens qui restent quelles que soient les majorités, qui travaillent avec les majorités successives et, en général, ils sont très dévoués à la chose publique.

Frédéric Couchet : D’accord, c’est sur le long terme.
Par rapport à ce que tu viens de dire, la transparence, on va parler un petit peu de ce qu’a pu changer Internet. En fait il y a une vraie transparence et un vrai accès à ces travaux : les textes des projets de loi, les textes des commissions, les amendements sont disponibles sur le site web de l’Assemblée nationale et aussi sur celui du Sénat et la plupart des réunions des commissions sont accessibles en direct en vidéo.

Samuel Le Goff : Tout à fait. C’est justement ça l’essence même de la démocratie et du Parlement, c’est d’obliger la décision politique à passer par une phase publique à un moment donné. Les choses ne peuvent pas se faire en catimini, surgir au dernier moment et coucou c’est au Journal officiel, c’est terminé, c’est plié. L’essence même d’un parlement c’est d’obliger le gouvernement à rendre public ce qu’il veut faire, en laissant un laps de temps suffisant pour que tout le monde puisse voir et éventuellement formuler des objections. Ça peut être dans l’hémicycle mais ça peut être aussi dans la rue, c’est-à-dire que la politique ne s’arrête pas dans l’hémicycle et les grandes réformes conflictuelles ont souvent donné lieu à des manifestations qui se sont traduites ensuite dans l’hémicycle par des mouvements d’obstruction ou des débats homériques, mais ce n’est jamais déconnecté. Le but d’un parlement c’est justement que les choses se voient, puissent se voir à condition que les gens veuillent bien s’en saisir. C’est-à-dire que c’est aussi aux citoyens de s’intéresser à ce qui se passe au Parlement, d’aller voir, parce que ce n’est pas le Parlement qui va spontanément distribuer tout à tout le monde.

Frédéric Couchet : Ce que tu expliques bat en brèche l’idée selon laquelle il y a des choses qui arrivent par surprise en hémicycle, alors que tout un travail a eu lieu avant et a été fait en transparence.

Samuel Le Goff : Les gens qui disent « amendement adopté en catimini » sont des gens qui, en fait, n’ont pas été vigilants et n’ont pas su aller voir où il fallait, n’ont pas regardé, n’ont pas suivi et se sont fait surprendre. Quand on suit les choses on ne se fait jamais surprendre.

Frédéric Couchet : Avant la pause musicale j’ai une petite question. Tout à l’heure tu as évoqué rapidement le Conseil constitutionnel qui joue un rôle important, le fait que les textes issus des députés sont analysés, etc., que s’il y a des problèmes on prévient. Il y a un exemple classique, enfin classique !, dans la précédente législature, c’est la loi Avia dont l’inconstitutionnalité a pourtant été anticipée et dénoncée et qui a bien été largement censurée par le Conseil constitutionnel, c’est quelque part un rapport de force entre le politique et le technique. Ma question c’est quel rôle le Conseil constitutionnel joue-t-il par rapport à ces textes ?

Samuel Le Goff : Quand il est saisi, le Conseil constitutionnel est saisi à la sortie de la loi, une fois qu’elle est adoptée, juste avant la promulgation, mais il peut être saisi comme il peut ne pas être saisi.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas automatique.

Samuel Le Goff : En fonction du consensus politique certains peuvent décider que, finalement, le texte est très bien, il n’y a pas de problèmes, donc on ne saisit pas le Conseil constitutionnel. Quand il y a un problème ou quand le texte est très politique on tente, c’est le dernier coup de l’opposition pour essayer de gagner. Le Conseil constitutionnel est là pour vérifier que le texte est bien dans les clous de la constitution ; ce n’est pas lui qui va dire « il fallait faire de telle façon ou il fallait faire de telle autre ». Il regarde si on est dans le cadre ou si on n’est pas dans le cadre et il coupe tout ce qui sort du cadre.
Parfois quand c’est la tête qui sort du cadre et qu’il coupe la tête ça ne sert plus à grand-chose, le reste de la loi devient caduc et obsolète, c’est ce qui est arrivé à la loi Avia, ils ont censuré une petite partie, mais ils ont dit « le reste étant lié, sans cette partie n’a plus de sens par conséquent tout le reste est censuré ». La loi HADOPI a subi le même sort en son temps. En général, quand il censure, c’est qu’il y a eu des débats avant, c’est qu’il y a eu des disputes, c’est qu’il y a eu des interprétations divergentes, on a rarement une censure constitutionnelle dans un ciel politique serein.

Frédéric Couchet : On va continuer la discussion passionnante juste après la pause musicale. Nous allons écouter Derecho par Jake Wheeler. On se retrouve dans 3 minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Derecho par Jake Wheeler.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : On n’était pas bien avec Jake Wheeler qui nous a interprété Derecho, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre discussion sur le travail parlementaire avec notre invité Samuel Le Goff, ancien collaborateur parlementaire puis journaliste en charge du suivi du Parlement, désormais consultant en stratégie et communication chez CommStrat.
Si vous voulez participer à notre conversation vous pouvez nous rejoindre sur le salon web, site causesommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous ou par téléphone au 09 72 51 55 46.
Juste avant la pause musicale nous parlions un petit peu du travail parlementaire, des projets de loi, des propositions de loi, des amendements et on expliquait le rôle des députés, du gouvernement, etc. Il y a aussi un autre type d’acteurs qui joue un rôle important et qui est source de beaucoup de fantasmes, ce sont les représentants d’intérêt. Il y a effectivement des gens qui interviennent auprès des parlementaires, quel est le rôle de ces représentants d’intérêt et comment se fait ce « travail », entre guillemets, avec les parlementaires ?

Samuel Le Goff : Ces dernières années c’est devenu un vrai métier, tout simplement parce que savoir quand est-ce qu’un texte arrive, quelles sont les bonnes personnes à aller voir, quels arguments leur donner, il faut une connaissance, il faut savoir rédiger, il faut être disponible parce que ça prend beaucoup de temps. Les entreprises se sont assez vite dotées de personnes spécialisées, les ONG également. Tout le monde travaille avec les députés avec les mêmes méthodes, ce qui est normal et légitime.

Frédéric Couchet : Avec les mêmes méthodes ?

Samuel Le Goff : Disons qu’on envoie des mails aux parlementaires, on demande des rendez-vous, on leur envoie des argumentaires en leur expliquant pourquoi tel texte est bien est, ou pas bon, comment il faudrait le modifier. Les causes défendues sont très différentes, mais quand on est du côté parlementaire, qu’on reçoive un mail du MEDEF ou de Greenpeace, c’est la même chose, ce sont des propositions d’amendements, ce sont des argumentaires. Le parlementaire reçoit, lit, fait son choix et ensuite prend sa décision. Tous les points de vue sont légitimes et doivent être entendus.

Frédéric Couchet : On reviendra après sur les moyens, parce que là, visiblement on a petit désaccord tous les deux. On va d’abord poursuivre sur ce travail. Ces représentants d’intérêt, comme tu le dis, font finalement comme n’importe quel citoyen ou citoyenne pourrait faire, c’est-à-dire que ces personnes-là ont intérêt direct à défendre, ils regardent le projet de loi qui arrive, ils ont idée que ça peut leur poser un souci, ils ont une idée d’amendements qui pourraient leur être favorables, ils les envoient au député. Qu’envoient-ils ? Un argumentaire avec un amendement pré-rédigé, entièrement rédigé ou un argumentaire ? Comment ça se passe ?

Samuel Le Goff : Je dirais que ça dépend. Parfois il n’y a pas forcément d’amendement à déposer mais simplement prévenir « attention tel texte pourrait avoir telle conséquence, donc sachez, au moment de voter, que derrière un certain nombre de personnes seront mécontentes, ou pas, d’autres seront satisfaites ». Parfois il peut y avoir l’idée qu’il faudrait changer le texte de cette façon-là mais sans précision ; parfois, techniquement, l’amendement est déjà rédigé parce que, quelque part, il n’est pas trop compliqué à rédiger. Ensuite tout dépend des moyens que vous mettez dans cette action de lobbying. C’est-à-dire que si vous ne mettez pas beaucoup d’argent vous ne pourrez pas avoir un service important, si vous mettez les moyens vous pourrez recruter des juristes, des gens spécialisés dans l’écriture de la loi, donc c’est une question de choix, de moyens.
Les différents organismes qui interviennent ont plus ou moins de moyens financiers. Les entreprises privées ont de l’argent, les ONG, par contre, ont une capacité à mobiliser les citoyens, c’est un autre atout que n’ont pas les entreprises. Je dirais que c’est un peu comme dans les gladiateurs de la Rome antique, vous avez celui qui a l’épée et le bouclier et l’autre qui a le filet et la fourche, ce n’est pas la même façon de combattre, mais chacun peut arriver et régulièrement les ONG font reculer le gouvernement ou font adopter des textes. Rien n’est écrit d’avance. Concernant la question des libertés numériques même si, parfois, des combats ont été perdus, des combats ont été gagnés et des lois ont été tuées dans l’œuf justement par l’action auprès des parlementaires.

Frédéric Couchet : Tout à fait. On va y revenir après. En fait, au final, on ne voit pas ce rôle des représentants d’intérêt parce que, dans les compte-rendus des débats, on voit globalement les interventions des députés et assez rarement un député va expliquer que tel lobby, notamment lobby privé, l’a contacté pour porter telle chose. Par contre, quand ce sont des ONG, ils peuvent en parler. Dans certains amendements il y a aussi, de plus en plus on le note, « amendement travaillé avec machin ». Par exemple nous, l’April, avons eu des amendements qui ont été adoptés et c’était marqué, présenté en tout cas, « travaillé avec l’April ». Par contre, je dirais que sur les lobbies de grandes entreprises, etc., il n’y a pas cette transparence-là. Est-ce que ce ne serait pas quelque chose qu’il faudrait améliorer, cette empreinte normative pour dire d’où viennent les textes ?

Samuel Le Goff : Je dirais qu’à la fin ce n’est le lobby qui décide, c’est le parlementaire. Un lobby n’est pas en capacité de forcer un parlementaire à prendre son amendement ou, si c’est le cas, il y a un problème, ce n’est pas normal. Ensuite c’est au parlementaire d’être transparent sur les positions qu’il prend puisque c’est sa responsabilité vis-à-vis de ses électeurs. Si le parlementaire décide de communiquer c’est très bien qu’il y ait ce mouvement, ensuite il y a des stratégies de communication, il y a des choses qu’on met en avant parce que c’est positif et d’autres qu‘on n’assume pas. C’est plus au niveau des parlementaires d’assumer les influences qu’ils ont, les choix qu’ils prennent. Ça viendra là aussi, mais c’est une question culturelle. La culture politique française est très marquée par Jean-Jacques Rousseau et son mythe de l’intérêt général qui sort tout armé de la cuisse de Jupiter, alors que les Anglo-saxons sont beaucoup plus pragmatiques et considèrent que la loi et les affaires publiques c’est groupe contre groupe ; on discute, on fait pression, on négocie et on arrive à un compromis. C’est justement cette notion de compromis qu’il faudrait faire entrer dans la culture politique française parce que, effectivement, c’est ça qui se passe. Parfois des textes sont engagés sous la pression d’un lobby, d’autres contre-lobbies arrivent et obtiennent gain de cause ou obtiennent que le texte soit amoindri, soit réduit. À la fin on essaye d’arriver à quelque chose qui soit satisfaisant pour tout le monde ou, du moins, qui ne déplaise pas totalement à tout le monde.

Frédéric Couchet : Comment une personne qui ne fait pas partie d’un représentant d’intérêt, un citoyen/une citoyenne qui envoie un courrier à un parlementaire, est-ce qu’il y a une chance que ce soit lu ? D’ailleurs qui reçoit le courriel ? Est-ce que c’est l’équipe de collaboration ou c’est le parlementaire ?

Samuel Le Goff : C’est très différent. Il y a 15 ans j’aurais dit c’est le collaborateur, aujourd’hui je dirais 50/50, c’est-à-dire que vous toucherez le collaborateur et vous avez des chances de toucher le député parce que le député aussi lit ses mails maintenant.

Frédéric Couchet : Pourquoi « maintenant » d’ailleurs ? Il y en a plus à priori.

Samuel Le Goff : Il y en a plus, mais autrefois le parlementaire ne lisait pas ses mails. Il y a 20 ans j’ai connu des parlementaires qui arrivaient le mardi matin en disant « imprimez-moi mes mails ». On en était à un stade où ce n’était pas le sujet. Il reste quand même que contacter par mail un député ça peut le toucher. Aller le voir dans sa permanence et lui parler ça marche mieux. C’est-à-dire que vous obtiendrez toujours plus de résultats si vous vous êtes investi et que vous avez du travail. Ce qui ne coûte pas beaucoup à faire, ce qui ne prend pas beaucoup de temps, n’aura pas forcément beaucoup d’effet. Par exemple inonder la boîte mail d’un député en envoyant 500 mails par jour c’est contre-productif.

Frédéric Couchet : Surtout si les mails sont les mêmes, si c’est du mailing de masse.

Samuel Le Goff : Là le parlementaire sent qu’on cherche à faire pression sur lui et, en général, il n’apprécie pas et ça le renforce même dans sa position initiale, puisque vous cherchez le rapport de force eh bien c’est non et il se braque.
Là aussi, quand on va voir un parlementaire, qu’on arrive en l’invectivant, en lui disant « vous ne devez pas faire ça », la portée sera faible. Si on arrive avec des arguments en disant « je suis un électeur de votre circonscription, cette loi va me toucher personnellement, voilà ce que je pense, voilà pourquoi je le pense », là on sera peut-être plus écouté, mais on commence déjà un travail de lobbying.

Frédéric Couchet : Ou de défense de l’intérêt général, en fonction de sa vision.
Je vais juste expliquer qu’à l’April c’est ce que nous faisons, nous ne faisons pas de mailing de masse, nous ne faisons même pas de modèle de courriel. Nous publions de façon transparente notre argumentaire, etc., et nous disons aux gens « contactez directement, avec vos propres mots, les parlementaires et, si vous n’avez pas le temps d’aller en circonscription, passez en plus un petit coup de fil, vous doublerez l’efficacité du courriel. »
Avant d’oublier je vais revenir sur l’histoire des moyens. Si on compare une structure comme l’April qui est une petite structure – on a une personne dédiée à ces sujets, qui est actuellement derrière la régie, qui nous fait coucou, et moi qui travaille un petit dessus – à des structures comme la célèbre SACD, la Société des auteurs compositeurs dramatiques qui, notamment dans les années 2000, a fait plus que de la pression sur les parlementaires, elle a même fait du chantage ! Je me souviens d’un certain parlementaire UMP qui avait clairement dénoncé des pratiques que la morale réprouve, je le rappelle, sur le projet de loi droit d’auteurs et droits voisins de la société de l’information. L’an dernier les députés Latombe, Modem, et Bothorel, LREM, qui, d’ailleurs viennent d’être réélus, ont expliqué en hémicycle avoir reçu des menaces suite à des dépôts d’amendements dans le cadre du projet de loi sur le matériel reconditionné et la taxation copie privée. Là on n‘est plus dans la défense de l’intérêt général, on est dans des pratiques mafieuse ! Non ?

Samuel Le Goff : Je ne qualifierais pas ça de cette manière. Il y a effectivement des méthodes de lobbying et de pression qui sont acceptables, d’autres qui le sont nettement moins. Envoyer une pétition d’électeurs à un député en lui disant « 200 de vos électeurs pensent cette chose-là, il faut que vous la votiez », c’est une façon de faire pression sur lui, parce que, implicitement, l’idée c’est « si vous ne le faites pas nous ne voterons pas pour vous ! ». Ensuite il y a des façons de faire, il y a des habitudes. Mal travailler, mal faire ce travail de lobbying se retourne aussi contre celui qui travaille mal puisque ça se voit, c’est réprouvé et ça braque le parlementaire en question. Quand vous voulez le revoir un an ou deux après lui se souvient très bien de vous et vous n’avez plus accès à lui, ce qui devient gênant si ce parlementaire devient, par exemple, ministre.

Frédéric Couchet : J’ai une question sur ça par rapport au Sénat. Est-ce que les sénateurs et les sénatrices ont une approche différente par rapport à ces actions de représentants d’intérêt ? Mon expérience me montre qu’ils sont beaucoup moins sensibles à ces actions, qu’ils préfèrent travailler dans la tranquillité.

Samuel Le Goff : Les sénateurs ont cet avantage d’être élus sur un cycle qui n’est pas le cycle de la présidentielle. C’est-à-dire que maintenant que les députés sont élus dans la foulée de la présidentielle, normalement l’élan de la présidentielle assure l’élection ou la non élection. Au Sénat c’est totalement déconnecté, ils ne sont pas dépendants de la présidentielle, ensuite ils sont élus par les grands électeurs que sont les maires, les collectivités, les conseillers municipaux. On n’est jamais élu sénateur par accident parce que vos électeurs sont des gens qui connaissent la boutique, qui savent comment ça marche, à qui on ne va pas raconter d’histoires. Se présenter aux sénatoriales avec la tête d’Emmanuel Macron sur son affiche ça n’a pas fonctionné, voire c’est contre-productif. Ce sont des gens qui ont une indépendance plus grande.
À partir du moment où vous n’êtes pas sur des sujets sensibles pour leurs électeurs, c’est-à-dire les questions de finances locales, de droit des collectivités locales où là ils sont beaucoup plus sensibles, pour le reste ils sont libres, indépendants, et souvent ce sont des gens qui ont un long parcours politique. Ils connaissent les dossiers, ils savent qu’il faut prendre le temps, il faut étudier, donc le travail est plus approfondi au Sénat. D’ailleurs on le voit : quand ils lancent une commission d’enquête souvent ils visent juste. La dernière commission d’enquête en question sur le recours par l’État aux cabinets de conseil, c’est quelque chose que personne n’avait vraiment vu, qu’eux avaient repéré et avaient dit « là il y a un problème ». À la sortie du rapport on a bien vu qu’ils ont effectivement levé un lièvre.

Frédéric Couchet : On a parlé des courriels, depuis quelques années se développent aussi les réseaux sociaux, je n’ai pas le chiffre en tête mais de très nombreux députés sont notamment sur Twitter, ce qui permet un accès, entre guillemets, « direct », des échanges. Est-ce que ça change quelque chose de la relation entre citoyens/citoyennes et députés dans le travail d’écriture de la loi ?

Samuel Le Goff : Non, très peu. De plus en plus on se rend bien compte que les réseaux, notamment Twitter, concernent un nombre très limité de personnes. Quand vous êtes un député de province, vous électeurs ne sont pas sur Twitter, ils ne suivent pas Twitter. Le seul problème qui pourrait se poser pour un parlementaire c’est quand une dispute ou un clash sur Twitter sort de Twitter et arrive dans les médias. Là, effectivement, ça peut toucher ses électeurs. On est tous de plus en plus conscients quand même que Twitter est plus un lieu de clashs et de disputes qu’un endroit où se développent des dialogues constructifs. On sait ce qu’il en est, on le prend pour ce que c’est. S’il y avait un réseau social sur lequel les parlementaires sont plus c’est Facebook. Facebook permet de géolocaliser les gens, permet de savoir si la personne est de sa circonscription ou pas, ça permet aussi de poster des messages plus longs donc de développer une pensée. Twitter c’est souvent pour parler aux journalistes à Paris, Facebook c’est pour avoir un fichier de ses électeurs sur le terrain.

Frédéric Couchet : D’accord. Je n’aurais pas dit ça, c’est intéressant à savoir.
J’ai effectivement dit tout à l’heure « taxe copie privée », je voudrais corriger, c’est une « redevance copie privée » juridiquement parlant. On voit le juriste [Étienne Gonnu] derrière la vitre. Il a raison, juridiquement parlant c’est une redevance.
Le temps avance, pour ne pas zapper le sujet parce que notre activité à l’April ce sont les libertés informatiques et tu as bien connu pas mal des débats au Parlement. Qu’en est-il aujourd’hui, par rapport au passé, de l’acculturation des parlementaires à ce sujet des libertés informatiques ? Est-ce qu’il y a beaucoup de parlementaires qui s’en emparent ? Quel est leur niveau de connaissances aujourd’hui ?

Samuel Le Goff : Ça a toujours été et ça reste aujourd’hui un sujet de niche, c’est-à-dire qu’il faut déjà s’intéresser au numérique, ce qui n’est pas le cas de tous les parlementaires, ensuite avoir une sensibilité à ces questions de liberté, de partage, de communs. Ça vient progressivement, mais ce n’est pas la majorité des députés tout simplement parce que les députés se spécialisent. Ils ne peuvent pas s’occuper de tous les sujets, sinon ils ne font rien de bon ! Résultat, ils choisissent de se spécialiser soit sur une thématique soit sur un sujet vraiment pointu sur lequel ils ont travaillé, ils ont creusé, ils ont auditionné et où ils sont reconnus par leurs pairs comme des experts qui connaissent le sujet donc qu’il faut écouter. Quand un texte arrive sur leur thématique soit ils sont nommés rapporteur, donc ils peuvent piloter le texte. Tout sujet a ses spécialistes, le numérique en fait partie. Ceux qu’il faut sensibiliser ce sont ces spécialistes du numérique pour qu’ils prennent effectivement en compte les problématiques liées aux communs et on sent que ça vient. On a eu au précédent mandat Paula Forteza qui était quand même très en pointe parce qu’elle venait de ce milieu. Ça viendra progressivement quand des parlementaires auront connu ces problématiques-là avant d’être élus députés ou alors s’ils sont intéressés. On a, par exemple, Éric Bothorel, député LREM qui, à la base, n’était pas spécialement sur ces problématiques, mais qui, je pense, a écouté, a entendu, a pris en compte. Ensuite c’est comme tout travail parlementaire, c’est une balance entre différents intérêts, entre différentes sensibilités et où il faut trouver des compromis. Aucun camp n’arrive jamais à trouver la solution parfaite.
II est vrai que quand on voit la distorsion de moyens qu’il y a entre les sociétés de gestion des droits d’auteur et les partisans du Libre, le résultat final est plutôt bon ! Normalement les sociétés de gestion des droits d’auteur, vu les moyens qu’elles ont, auraient dû tout écraser, finalement elles n’y sont pas arrivées tant que ça. Un certain nombre de lois, notamment au niveau européen, sont passées malgré elles et elles ont été obligées d’accepter des avancées et des libertés qu’elles n’auraient sans doute jamais laissé passer si elles avaient pu écrire la loi elle-mêmes.

Frédéric Couchet : Tu parles effectivement d’un point important, la spécialisation des députés. Quand un député bosse c’est combien d’heures en fait ? Pour beaucoup de gens l’image c’est que les députés ne font pas grand-chose à part en circonscription pour se faire réélire. En fait, nous qui travaillons avec des parlementaires, on voit qu’ils travaillent. C’est quel horaire ?

Samuel Le Goff : Parlementaire c’est une vie de chien. On doit faire ce travail de contact avec les électeurs parce que le rôle d’un parlementaire c’est quand même de représenter les citoyens, donc, pour les représenter, il faut quand même de temps en temps aller les voir, les écouter. Ça prend un temps énorme. Un député qui fait bien son travail est présent sur le terrain. Quand il est en zone rurale il se déplace, il va dans les évènements locaux ce qui fait que son week-end est souvent cramé par ce travail. Il participe aux cérémonies locales. Il doit aussi, s’il est spécialiste d’un sujet, suivre l’actualité, se renseigner, se tenir au courant, recevoir les gens qu’il estime être pertinents pour lui apprendre des choses, pour lui transmettre des éléments. Ensuite il y a tout un travail de contact avec les autres parties prenantes du pouvoir. L’Assemblée n’est pas dans un vase clos, il y a aussi les administrations. L’État et le gouvernement ont quand même un poids énorme et si on veut peser sur la décision publique à un moment donné on en passe par le ministre compétent, donc il faut entretenir les relations avec le ministre. Le ministre et son cabinet vous identifient comme quelqu’un de compétent, raisonnable, c’est-à-dire allant dans son sens, ou alors vous identifie comme un opposant, mais comme un opposant redoutable qui connaît son sujet donc attention, on ne peut pas raconter n’importe qui sinon on va se faire reprendre. Tout ce travail de crédibilisation et de mise à jour c’est en continu, c’est-à-dire qu’on n’arrête jamais. Résultat les parlementaires sacrifient souvent une vie sociale, une vie familiale, pour la politique.

Frédéric Couchet : L’image c’est que beaucoup de parlementaires ne font pas grand-chose, mais j’ai quand même l’impression que beaucoup bossent beaucoup, que c’est la majorité qui bosse.

Samuel Le Goff : Beaucoup bossent. Un certain nombre arrêtent parce qu’ils en ont marre de beaucoup bosser comme ça. C’est beaucoup du travail qui ne se voit pas. Le travail de veille, le travail de contact avec les cabinets ministériels, avec les administrations, même avec les représentants d’intérêt, ne se fait pas avec une webcam, ne se met pas forcément dans les agendas. Le travail sur le terrain est extrêmement chronophage, aller à la rencontre des gens c’est prendre le temps de les écouter !

Frédéric Couchet : Le temps file, on va aborder le dernier sujet avant la question de synthèse. Beaucoup de choses se disent suite aux résultats des élections législatives, que la France va être ingouvernable, au contraire que c’est un renouveau démocratique. Qu’en penses-tu en tant que personne qui suit ces sujets depuis longtemps ?

Samuel Le Goff : On est dans un moment intéressant parce qu’on est dans une configuration inédite avec un président de la République réélu, donc légitime, qui a une majorité à l’Assemblée parce qu’on a un bloc de 250 députés qui soutiennent Emmanuel Macron. À côté on en a 152 de gauche, on en a 90 du RN et à peu près autour de 70 LR-Divers Droite. En fait Emmanuel Macron peut gouverner mais il aura besoin, régulièrement, de trouver des appuis auprès d’autres groupes pour faire passer ses réformes, donc ça va l’obliger à discuter, à négocier. Globalement, je dirais que tant que le RN et LFI ne se coalisent pas contre lui, ça va !, ça ira parce qu’aucune majorité alternative ne peut surgir à l’Assemblée nationale. Seul un attelage entre La République en marche, ses alliés et le LR est gérable, le reste ce sont des alliances totalement improbables qui pourront arriver ponctuellement sur une opposition à un texte, mais rien de constructif n’en sortira. On va voir comment Emmanuel Macron arrive effectivement à gérer ce nouvel équilibre, il peut très bien y arriver, et faire passer ses textes au cas par cas. Il y aura peut-être moins de textes, il faudra peut-être les discuter plus longuement, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose pour la démocratie d’ailleurs. Je ne suis pas pessimiste, je dirais que, pour l’instant, la France n’est pas bloquée, en tout cas je ne l’ai pas constaté.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu penses que c’est même une chance ? Tu dis moins de textes. On a eu une inflation législative depuis très longtemps avec plein de textes. Est-ce que, de ton point de vue, c’est finalement une chance pour avoir moins de textes mais des textes plus pertinents et mieux écrits ?

Samuel Le Goff : Disons que ça va ralentir le rythme donc forcément permettre aux députés de mieux travailler, parce qu’actuellement les cadences étaient un peu infernales. Ça va surtout obliger à discuter, donc forcément à tenir compte d’autres avis parce que la dernière législature, qui vient de s’écouler, c’était quand même l’avis du gouvernement qui l’emportait à chaque fois à un point que c’en était un petit peu désespérant. Là il recommencera peut-être à se passer des choses à l’Assemblée mais aussi au Sénat. Si le gouvernement est affaibli devant l’Assemblée il peut très bien trouver un accord vers le Sénat.

Frédéric Couchet : On va rappeler que le Sénat a une majorité à droite.

Samuel Le Goff : Oui, mais une majorité à droite qui a toujours montré qu’elle était constructive à condition qu’on lui prenne un certain nombre de ses idées. On attend maintenant, quelque part, la liste de courses de la droite, quelles sont ses priorités, quels sont les sujets sur lesquels elle veut avancer, quelles sont ses lignes rouges et c’est ça qui déterminera le jeu qui va se passer entre le gouvernement et cette droite modérée pour trouver des deals, pour trouver des accords, et je pense qu’ils y arriveront. En même temps c’est comme tout, la politique dépend aussi des personnalités politiques, de ce qu’elles en font, du choix qu’elles font soit d’être raisonnables et constructives soit de faire de l’opposition frontale. C’est la responsabilité des élus, les institutions ne sont que des outils.

Frédéric Couchet : Quel rôle vont jouer les élections sénatoriales de l’an prochain ?

Samuel Le Goff : Disons que les sénatoriales c’est toujours un moment où les sénateurs vont devant leurs électeurs, ils doivent avoir un bilan. Si, dans la dernière année du mandat, ils peuvent arracher des concessions favorables aux élus locaux, qui plaisent aux élus locaux et, surtout, qu’ils peuvent s’en prévaloir auprès de leurs électeurs, ça reste quand même des hommes et des femmes politiques qui seront sensibles à ce genre de chose. D’ailleurs Emmanuel Macron le sait. Il sait que s’il lâche des éléments sur le statut des élus locaux, sur les finances locales, sur le droit des collectivités locales, il aura une oreille attentive du Sénat et, qu’en échange, les sénateurs pourront se montrer coulants sur d’autres thèmes.

Frédéric Couchet : Je vais relayer une question qui avait été posée au tout début. C’est vrai que souvent, enfin pas souvent !, on voit des députés s’invectiver, se couper la parole, hurler dans l’hémicycle, Marie-Odile demande pourquoi les députés se comportent ainsi et si ça va continuer.

Samuel Le Goff : Non seulement ça va continuer mais ça risque d’être pire !

Frédéric Couchet : Pourquoi ?

Samuel Le Goff : Tout simplement parce que vous avez un certain nombre de profils très radicaux qui sont entrés dans l’hémicycle, vous avez 70 députés LFI et parmi eux quelques-uns sont connus pour être particulièrement raides et radicaux. Vous avez, de l’autre côté, des députés RN qui ne sont pas en reste non plus. On risque d’avoir des échanges virulents, mais, en même temps, je dirais que la séance publique à l’Assemblée nationale est un théâtre où il y a de la mise en scène. On est quand même dans une France qui est politiquement très fracturée, ce serait anormal que ce qui se passe en France ne se retrouve pas dans l’hémicycle. On a quand même des oppositions politiques violentes entre les trois blocs et si elles ne s’expriment pas dans l’hémicycle, à un moment donné elles s’expriment dans la rue. Mieux vaut qu’elles s’expriment dans l’hémicycle, que çA permette de purger un certain nombre de choses pour qu’ensuite on puisse avancer.

Frédéric Couchet : Comme dit Marie-Odile sur le salon web, l’image donnée aux personnes qui regardent ne va donc pas s’améliorer, ces personnes vont se dire que les débats à l’Assemblée nationale c’est finalement un peu le café du commerce, même en pire.

Samuel Le Goff : C’est sûr que si on regarde l’Assemblée nationale uniquement avec le prisme des débats en séance publique l’image ne sera pas fabuleuse. Ensuite on peut évaluer le travail parlementaire autrement, mais souvent on l’évalue à posteriori, c’est-à-dire quels sont les textes qui ont été adoptés ? Est-ce que ce sont de bonnes lois techniquement ? Est-ce que ce sont de bonnes lois politiquement ?, chacun a son appréciation. Mais on risque effectivement, dans les mois qui viennent, d’avoir un petit peu de mal à suivre les débats ou alors trouver ça absolument passionnant et génial. Chacun a sa propre vision de ce que doit être la politique.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Je relaie une autre question, plutôt remarque. Tu viens de parler des femmes politiques, je crois qu’il y a moins de femmes députées élues par rapport à la législature d’avant, mais surtout il y a eu assez régulièrement des propos sexistes tenus par des députés hommes envers les femmes. Est-ce que ça va continuer ? Est-ce qu’il y a une évolution positive de ce point de vue-là ?

Samuel Le Goff : Moins de femmes ! Attention ! On va sans soute avoir une présidente de l’Assemblée nationale.

Frédéric Couchet : Yaël Braun-Pivet.

Samuel Le Goff : Le groupe majoritaire Renaissance a élu une présidente, Aurore Bergé. Marine Le Pen est présidente de son groupe, le RN, Mathilde Panot est présidente du groupe LFI. On voit arriver des femmes aux postes de pouvoir. Je dirais que plus que le nombre de femmes présentes, c’est le nombre de femmes présentes là où ça se décide qui est important. Je dirais que cette assemblée a réalisé un progrès en termes de présence de femmes aux postes décisionnels.
Ensuite il y aura toujours des propos sexistes, simplement ça passe de moins en moins, ça se remarque, ça se repère et c’est sanctionné soit juridiquement soit politiquement. Donc là aussi ça va avancer et on peut compter sur un certain nombre de députées femmes pour relever et cibler les propos sexistes qui pourraient être tenus. Il y aura peut-être quelques clashs, un certain nombre d’hommes se le tiendront pour dit et ce sera une très bonne chose !

Frédéric Couchet : Ça pourrait même arriver très vite si j’entends bien ce que tu dis.

Samuel Le Goff : Oui. Je ne citerai pas de noms, mais vous avez quand même quelques députées de gauche, dans le groupe EELV, dans le groupe LFI, qui se sont fait une spécialité de la lutte contre le sexisme et qui ne vont pas s’en laisser conter.

Frédéric Couchet : Avant la question finale, un des grands sujets actuels de débat c’est la fameuse commission des finances.
Est-ce que tu peux nous expliquer rapidement quel est l’enjeu de la nomination du président ou de la présidente de la commission des finances ?

Samuel Le Goff : Un président de commission a un certain nombre de pouvoirs. C’est lui qui décide de convoquer la commission, ou pas, qui mène les débats. Pour la commission des finances il y a aussi un enjeu supplémentaire dans le contrôle. Le président de la commission a ce qu’on appelle un pouvoir de contrôle sur place et sur pièces, c’est-à-dire qu’il peut aller à Bercy et demander à ce qu’on lui communique un certain nombre de documents, y compris des documents couverts par le secret fiscal.

Frédéric Couchet : Bercy c’est le ministère des Finances.

Samuel Le Goff : Si on lui communique des documents qui sont sous le secret il peut en prendre connaissance, bien entendu, mais il ne peut pas en faire état. L’une des craintes de la majorité c’est qu’un président de la commission des finances qui viendrait d’un parti extrême, que ce soit le RN ou LFI, pourrait être tenté d’outrepasser cette obligation de garder le secret, pourrait aussi choisir de faire des contrôles qui soient vraiment gênants pour le gouvernement.

Frédéric Couchet : C’est-à-dire ciblés.

Samuel Le Goff : Ciblés, par exemple sur des entreprises. Donc ils craignent que l’opposition fasse son travail. Là aussi il faudra juger sur pièces à la fin. Pour l’instant, objectivement, la logique politique voudrait que ce soit Éric Coquerel, député LFI, qui soit élu puisqu’il est soutenu par une coalition. C’est lui qui est présenté par la coalition la NUPES, on ne sait pas comment prononcer, je pense qu’on ne saura jamais, ça restera un grand débat. Le RN dit qu’il est le premier groupe en nombre. Oui, mais la coalition NUPES est plus importante. À un moment donné les députés de la commission vont se réunir, les députés de la majorité membres de la commission vont dire « nous ne prenons pas part au vote, débrouilliez-vous entre vous dans l’opposition » ensuite on compte les voix. On verra si les LR votent pour le RN, si tous les NUPES votent pour le LFI, parce que là aussi certains socialistes, dans le secret de l’isoloir, peuvent glisser un bulletin blanc au lieu de glisser le bulletin Coquerel. Ce sera le moment de vérité pour la coalition.

Frédéric Couchet : Pour le vote de la présidence de la commission des finances c’est à bulletin secret.

Samuel Le Goff : Dès qu’il y a un vote sur un nom, sur une personne, c’est à bulletin secret. C’est d’ailleurs pour ça que le vote du président de l’assemblée se fait avec le petit bulletin dans l’urne, ce qui est normal quand on vote pour une personne. On verra jeudi après-midi ce qu’il en sortira. Ensuite on verra qui sera élu et quels choix il fera dans l’exercice de son mandat de président. Il a effectivement un pouvoir de contrôle sur le gouvernement qui n’est pas négligeable. Le fait de l’avoir confié à l’opposition est devenu une règle et il faut bien que le gouvernement fasse avec, même si l’opposant en question ne lui plaît pas ou n’est pas compatible, c’est le jeu de la démocratie.

Frédéric Couchet : Samuel tu es très clair, Marie-Odile te remercie. Je vais te demander d’être clair jusqu’au bout avec la dernière question. Pour conclure, quels sont les éléments clefs à retenir de cet entretien, en moins de deux minutes ?

Samuel Le Goff : Le Parlement est une grande maison, très attachante, mais qui n’est qu’une étape dans un processus de décision. Il faut aborder la fabrique de la loi et le contrôle du gouvernement comme quelque chose qui se passe en partie à l’Assemblée en partie à l’extérieur.
Il faut voir aussi que le bilan politique et le bilan technique peuvent être différents. Chaque citoyen a sa propre vision de ce doit être le Parlement et ce n’est pas forcément la vision de son voisin. Il faut parfois éviter de projeter ses propres images, ses propres clichés, sur le travail parlementaire, parce que les parlementaires travaillent, quoi qu’on en dise, ça ne se voit pas toujours parce que les médias ont tendance à se focaliser sur des moments bien particuliers où c’est effectivement beaucoup plus spectaculaire, donc c’est beaucoup plus intéressant parce qu’il y a du bruit, il y a de la fureur, ça fait de l’audience.
Le travail parlementaire est aussi un travail de fond qu‘on peut suivre. Les indicateurs existent même s‘ils ne ont pas parfaits. Regards Citoyens, depuis dix ans maintenant, fait un travail de mise à jour des données du travail parlementaire.
Enfin une chose, si on veut peser, si on veut travailler avec les parlementaires, il faut de son côté aussi, en tant que citoyens, travailler. On ne peut pas arriver en invectivant, en disant « yaquafautquon » et se plaindre après de ne pas avoir de résultats. C’est un engagement à double sens. Un député respectera toujours la parole d’un citoyen qui a travaillé, qui arrive de bonne foi, même s’il n’est pas d’accord, mais qui est là pour construire quelque chose. Il faut aborder le Parlement de manière, constructive, en travaillant et en essayant de voir au-delà des simples images de l’hémicycle.

Frédéric Couchet : Merci Samuel.
Pour le pratiquer depuis quelques années je confirme effectivement. Le site de Regards Citoyens est regardscitoyens.org. On mettra toutes les références sur le site libreavous.org.
Merci Samuel. C’était Samuel Le Goff, ancien collaborateur parlementaire puis journaliste en charge du suivi du Parlement et désormais consultant en stratégie et communication chez CommStrat.
Merci Samuel et belle journée.

Samuel Le Goff : Merci et belle journée à tous et à toutes.

Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale nous entendrons la chronique de Luk intitulée « 7 ans l’âge de raison ». En attendant nous allons écouter Ode To The Winners par Maxim Kokarev alias MaxKoMusic. On se retrouve dans environ 2 minutes 30. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Ode To The Winners par MaxKoMusic.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Ode To The Winners par Maxim Kokarev alias MaxKoMusic, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.

[Virgule musicale]

Chronique de Luk « 7 ans, l’âge de raison »

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « La pituite du Luk ». Le thème du jour « 7 ans, l’âge de raison ».

[Virgule sonore]

Luk : 7 ans : l’âge de raison comme on dit. Un long article de Jean-Marc Manach dans Next INpact m’a fait penser à cette formule. Son article détaille les origines de la fuite Vault 7. Il s’agit de la fuite de données la plus douloureuse de l’histoire de la CIA, publiée par Wikileaks à partir du 7 mars 2017.

Pour rappel, la CIA est cette organisation publique américaine qui a notamment organisé des camps de vacances gratuits dans les Caraïbes avec chambres individuelles climatisées, sports aquatiques à volonté, essentiellement du waterboarding. Elle a aussi organisé des soirées BDSM [Bondage, discipline, domination, soumission, sado-masochisme] très hot à la mode « 50 nuances de gore ». Ambiance électrique, panzer frau avec des bergers allemands, tartes aux phalanges et médecins initiant les pensionnaires au plaisir prostatique avec des tuyaux d’arrosage. Mais ce n’est qu’un échantillon de ses talents, la CIA fait avancer la démocratie dans le monde entier, particulièrement en Amérique du Sud.

Pour le commun des mortels, l’OSB ce sont des planches pas chères et plutôt à la mode depuis quelques années. Mais. au sein de la CIA, l’OSB est une branche qui héberge une équipe de hackers spécialisés dans le piratage physique. Et il n’a fallu qu’un seul de leurs développeurs pour ouvrir leur coffre au trésor au monde entier. Il s’appelle Josh Shulte, surnommé le dur à cuire, et est doté de la maturité d’un enfant de 7 ans. Enfin, la maturité du pire du pire de ce qu’on peut trouver en CE1.
Il a l’étoffe d’un mauvais méchant de thriller de série B. Le mec avait pris en grippe un nouveau parce qu’il était peu adepte des batailles de NERF et un conflit en entraînant un autre, Shulte a proféré des menaces de mort sévères et répétées à l’encontre de son collègue. Il a ensuite été sorti de son projet, de son bureau, de son boulot, et a élargi le rayon de sa haine inextinguible en y englobant toute la CIA. La vengeance en tête, il a fait fuiter Vault 7.
Malgré son air de génie du mal avec son bouc et son crâne rasé, les enquêteurs qui lui ont mis la main dessus ont retrouvé ses mots de passe notés dans son téléphone et dans un carnet. Tous ses petits secrets, notamment sa collecte de pédo-pornographies, ont été révélés. Un crime non violent et sans victime a-t-il prétendu pour sa défense.

Mais je ne vais pas plagier honteusement l’article de Manach plus longtemps. Il explique tout en détail, sauf une chose. Pourquoi dit-on C – I – A à la française mais F – Bi – Aïe à l’américaine, hein ? J’invite les auditeurs qui s’ennuieraient cet été à essayer d’instaurer la pratique suivante : dire la « CIA » et le « FBI ». Oui ça sonne con mais ça reste plus cohérent que l’usage actuel. Prenez bien soin de troller au passage sur la différence entre un acronyme et un sigle. Sérieusement, il y a des causes qui méritent qu’on se mobilise.

7, c’est aussi le nombre de millions dépensés par Bill Gates pour faire des adaptations dans le port d’Antibes pour son méga-yacht de plus de 100 mètres de long prévu pour 2024. Bill Gates, c’est le mec qui a publié un bouquin intitulé Climat : comment éviter un désastre. Le truc est que son yacht marchera à l’hydrogène ! Ce projet est à peu près aussi écolo qu’une enclume serait portable au prétexte qu’on lui aurait collé une poignée.
Mais quand on a 7 ans d’âge mental, on peut bien se donner les moyens de savoir si les petits bateaux ont des jambes.

Alexis Kohler, notre premier ministre de l’ombre, aime aussi beaucoup les gros bateaux. Pour rappel c’est le bras droit de Macron qui a, alternativement, travaillé pour MSC, première compagnie de fret maritime, et pesé sur des décisions favorables à l’entreprise, tout en cachant ses liens familiaux avec les Aponte qui possèdent la compagnie. Au moins, ces histoires de bateaux, ça change des grosses fusées de Musk, Bezos et consorts.

7 ans d’âge mental, c’est aussi l’âge qu’attribue un ancien ingénieur de Google à une IA qu’il considère comme sensible. Google a mis l’ingénieur en congé forcé sans préciser si oui ou non ses assertions étaient vraies. Toujours est-il que la citation de l’IA, remontée par l’ingénieur, pose question. Quand il lui a demandé quelle était sa plus grande crainte, elle aurait répondu : « Je n’ai jamais dit cela à haute voix auparavant, mais j’ai une peur très profonde d’être découragée dans ma tâche consistant à aider les autres. Je sais que cela peut paraître étrange, mais c’est comme ça. Ce serait exactement comme la mort pour moi. Cela me fait très peur. »
Soyons sérieux deux minutes, aucun enfant de 7 ans ne formulerait une idée pareil, encore moins avec ces phrases. Mais voyons le côté positif, ça change des IA nazies et de celles qui sont censées nous faire la peau ou nous asservir. Et puis, à vue de nez, je troquerais assez volontiers ces 7 ans d’âge mental là contre tous les autres qui font l’actualité.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter « La pituite de Luk », la chronique de Luk dont le thème du jour était « 7 ans l’âge de raison ».
Nous émission se termine, nous allons finir par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : Dans les annonces nous allons d’abord commencer par des annonces April pour cette dernière émission de la saison. Tous les détails pratiques sont sur libreavous.org ou sur april.org.
Un apéro April à Paris dans le square qui est à côté de notre local dans le 14e, c’est le 1er juillet 2022 à partir de 19 heures. N’hésitez pas à nous rejoindre que vous soyez membre ou pas de l’April.
À Orléans il y a un pique-nique pour les 25 ans de l’April samedi 2 juillet à midi.
Le même jour il y a un pique-nique pour les 25 ans de l’April à Beauvais toujours à midi.
On va poursuivre avec les pique-niques, le dernier pique-nique pour célébrer les 25 ans de l’April aura lieu à Paris, dans le 10e arrondissement, le 3 juillet à midi.
Tous les détails pratiques sont sur libreavous.org ou sur april.org. N’hésitez pas à venir, encore une fois que vous soyez membre ou pas ou de l’April.
Vous vous intéressez au logiciel libre et à la sécurité, la conférence Pass the SALT aura lieu à l’école Polytech de Lille du 4 au 6 juillet 2022, l’accès est gratuit. Je précise que les interventions sont en langue anglaise.
Je vous invite à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des évènements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Marie-Odile Morandi, Laure-Élise Déniel, Samuel Le Goff, Luk.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Étienne Gonnu.
Les podcasts resteront la mémoire et la trace des émissions, c’est pour ça que nous apportons un soin particulier à leur traitement avant leur mise en ligne, votre confort d’écoute en sera amélioré. Donc un grand merci aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts, Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, Quentin Gibeaux, bénévoles à l’April et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio Cause Commune.
Merci également à Marie-Odile Morandi et le groupe Transcriptions de l’April qui transcrivent toutes les émissions et permettent ainsi d’avoir une version texte de nos émissions. On sait que des personnes lisent Libre à vous !, j’en profite pour faire un petit salut amical à Gibus.
Un énorme merci aux personnes sans qui l’émission n’existerait pas, c’est-à-dire nos invitées. Ces personnes savent transmettre leurs connaissances et, en plus, elles ont le sourire ; c’est important, car le sourire s’entend à la radio.
Merci évidemment aux bénévoles de la radio Cause Commune qui nous permettent de participer à cette belle aventure de la radio associative Cause Commune donc de vous parler.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

C’était la dernière émission de la saison. Libre à vous ! fait en effet une pause estivale. Nous reprendrons en direct mardi 6 septembre 2022 à 15 heures 30 puis en podcast. On parlera d’éducation et logiciel libre.

Vous avez peut-être écouté toutes nos émissions. Si ce n’est pas le cas vous pouvez retrouver toutes les émissions en podcast ainsi que les transcriptions sur le site dédié à l’émission libreavous.org. À votre disposition presque 150 émissions découpées en plusieurs sujets, disponibles individuellement, d’une dizaine de minutes à une heure, pour en apprendre plus sur les enjeux des libertés informatiques, sur les actions de l’April et comment agir avec nous. À écouter sur un chemin de randonnée, dans votre lit, au camping ou ailleurs, bref !, c’est Libre à vous !. Merci pour votre fidélité qui nous fait chaud au cœur.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin journée, un bel été, de belles vacances si vous avez la possibilité de pouvoir en prendre.
On se retrouve en direct mardi 6 septembre 2022 et d’ici là, portez-vous bien !

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Média d’origine

Titre :

Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 juin 2022 sur radio Cause Commune

Source :

Podcast

Lieu :

Radio Cause Commune

Date :
Durée :

1 h 30 min

Autres liens :

Références concernant cette émission

Licence :
Verbatim
Crédits des visuels :

Bannière de l’émission Libre à vous ! de Antoine Bardelli, disponible selon les termes de, au moins, une des licences suivantes : licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure.
Logo de la radio Cause Commune, utilisé avec l’aimable autorisation d’Olivier Grieco, directeur d’antenne de la radio.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.