Bernard Stiegler : l’Homo-Numericus peut-il se déconnecter ?

  • Titre : L’homo-numericus peut-il se déconnecter ?
  • Intervenants : Bernard Stiegler, Marc Voinchet, Brice Couturier, Caroline Fourest et Divina Frau-Meigs
  • Lieu : Studio de Radio France Culture, émission « L’invité des matins »
  • Date : 16 juillet 2013
  • Durée : 1h (durée totale de l’émission : 2h30, Bernard Stiegler commence à 1h16 environ)
  • Média : Lien vers l’émission

Transcription

Marc Voinchet :
Notre invité vient d’arriver. Bonjour Bernard Stiegler.
Bernard Stiegler :
Bonjour.
Marc Voinchet :
Bienvenue dans les matins de France Culture. On a envie de poser la question, c’est souvent traité de toutes sortes de façons dans les journaux, la presse populaire, la presse magazine, les revues, la presse scientifique, sur aujourd’hui ce qu’on appelle au fond « l’homo numericus » et avec cette question, chaque fois, « peut-il se déconnecter ? ». On avait envie de vous poser la question « Peut-il se déconnecter » mais surtout « Doit-il se déconnecter ? » ou « Faut-il qu’il se déconnectasse ? » cet homo numericus. On la voit souvent cette scène, dans les transports en commun. On lève le regard et les passagers ont, dans le bus, le métro, leur téléphone puisqu’on peut même maintenant twitter dans le métro, figurez-vous, ou alors ils twittent ou alors ils jouent ou écoutent de la musique, envoient un SMS, un e-mail, on se dit que le monde, du coup, part à vau-l’eau et on reçoit du coup un message alors on y répond et on se dit qu’on est pris au piège comme tout le monde. Comment faire ? Et faut-il donc en fait se déconnecter ? Sommes-nous atteints de numeromanie, Bernard Stiegler, alors que les vacances commencent et qu’on commence évidemment du coup à lire les titres de ce genre. Et vous, vous allez débrancher sur la plage ? Bronzé comme vous êtes, je pense que vous allez vraiment débrancher et on n’aura sans doute pas grand mal à se passer de tout cela. Alors faut-il toujours faire des téléphones, tablettes, ordinateurs, faut-il toujours en faire des outils diaboliques qui nous sépareraient les uns de autres ?

J’ai envie de commencer cet entretien avec vous. D’abord il faut que je vous présente mieux, tout de même. Vous dirigez l’Institut de recherche et d’innovation du centre Georges Pompidou, vous êtes un membre du Conseil national du numérique. Vous avez contribué aux groupes de réflexion sur la refondation de l’école, publié de très nombreux ouvrages dont le tout dernier, je crois, est Pharmacologie du Front national, publié chez Flammarion en 2013.
J’ai envie de vous poser la question, vous savez quoi, des questions qui ont été posées, au fond, en partant des clichés pour l’enquête ethnographique menée par la Fédération Française des Télécoms, en mai 2013. J’imagine que vous la connaissez, elle est intitulée, c’est intéressant, vie intérieure et vie relationnelle des individus connectés.
Première question : Sommes-nous vraiment, Bernard Stiegler, tous addicts aux technologies numériques ?

Bernard Stiegler :
Et bien, je pense que chacun d’entre nous qui pratique plus ou moins le mail, le smartphone et ce genre de choses, constate qu’en effet, il y a des phénomènes addictifs ; moi-même, je le vois sur moi tous les jours.
Marc Voinchet :
Et vous vous en inquiétez, vous le déplorez ou vous vous dites « C’est comme ça » ?
Bernard Stiegler :
Bien entendu, je m’en inquiète. Par contre, je m’en inquiète au sens où les philosophes disent que l’inquiétude est le début de la pensée. Donc, il faut commencer à penser un petit peu tout cela. Mais je m’en inquiète au sens où je considère que le numérique alors d’abord c’est une transformation extraordinairement profonde dont je crois que peu de gens ont pris conscience de l’ampleur de ce qui est en train de se produire et c’est une transformation que j’appelle organologique. Qu’est-ce que ça veut dire ?

La définition que j’ai de ce que Georges Canguilhem appelait la forme de vie technique, ce qu’on appelle la vie humaine en général, c’est une façon moins anthropocentrique de définir les choses, de parler de vie technique, c’est que, c’est précisément une forme de la vie qui n’est pas auto-suffisante, que les organes que nous disposons, quand nous venons au monde, ne nous suffisent pas à vivre. Et donc, nous produisons depuis 4 millions d’années environ, des organes artificiels, qui sont devenus de plus en plus artificiels, qui aujourd’hui forment un système planétaire totalement intégré et un milieu, en fait, un milieu dans lequel nous devons vivre. Et ce milieu, que j’appelle donc organologique parce qu’il est constitué d’instruments, d’organa en grec, ce milieu produit sans cesse des dysfonctionnements et nécessite des reconfigurations des modes vie, ce que j’appelle des thérapeutiques.
Pourquoi est-ce que je parle de thérapeutique ?
Parce que ce milieu organologique est constitué de ce que Platon appelait des pharmaka, c’est-à-dire des processus qui produisent de l’addiction, précisément, de l’empoisonnement, ce que Platon dit à propos de l’écriture…

Marc Voinchet :
C’est votre grande métaphore, pour parler du pharmakon : le poison et le remède à la fois.
Bernard Stiegler :
Voilà. C’est plus qu’une métaphore.
Marc Voinchet :
C’est un outil de travail.
Bernard Stiegler :
C’est une thèse, une thèse forte. Je pose que le numérique, par exemple, comme l’écriture, comme toutes les transformations technologiques, est producteur de toxicité. Et que tant que la politique en particulier, pour moi la définition de la politique c’est une therapeia, c’est une façon de prendre soin de la toxicité pour la transformer en remède. Tant que la politique ne prend pas en charge un investissement dans ce pharmakon, ou dans cette organologie qui produit plutôt de la remédiation que de la toxicité, et bien la toxicité est plus grande. Alors aujourd’hui, avec le numérique nous vivons indubitablement un phénomène addictif exceptionnel.
Marc Voinchet :
Tyrannique ou pas ? Alors là, c’était la deuxième question de l’enquête : « Sommes-nous soumis à la tyrannie de l’immédiateté ? »
Bernard Stiegler :
Nous y sommes aujourd’hui fortement soumis parce que nous ne sommes absolument pas éduqués à ce qu’est le numérique. D’abord, il faudrait préciser ce qu’on appelle le numérique. Le numérique ça n’est pas seulement l’informatique, c’est basé sur l’informatique mais c’est beaucoup plus que cela. Un téléphone n’est pas un ordinateur, même si les informaticiens me disent toujours « Mais si, c’est un ordinateur justement ». Oui, il y a une fonction d’ordinateur dedans mais il n’y a pas que cela.

Le numérique, ce qu’on appelle le numérique c’est la réticulation de toutes sortes d’appareils et d’individus et d’organisations via le web, internet, la norme TCP/IP, etc. Et ça, ça s’est socialisé il y a presque exactement 20 ans, en 1993. Le 30 avril 1993 précisément, à travers une politique qui a été voulue par Al Gore, qui a été anticipée dès 1988 aux États-Unis et qui a été une décision stratégique que les États-Unis ont prise pour reprendre le contrôle du développement mondial. C’est vraiment quelque chose qui été très pensé, j’ai suivi ça à l’époque moi-même.

Marc Voinchet :
C’est Matrix !
Bernard Stiegler :
On peut le dire comme ça. Mais, je dirais que Matrix est une façon d’aborder le problème très pertinente, enfin très frappante, mais en même temps un peu trop fascinante. Je pense qu’il faut prendre un petit peu de champ.
Marc Voinchet :
Un peu trop subjuguée, quoi.
Bernard Stiegler :
Si vous voulez. Ce qu’a mis en œuvre Al Gore avec la Commission fédérale des communications américaines, c’est une nouvelle stratégie industrielle qui a commencé dès les années 80. Dans les années 80, vous vous en souvenez peut-être, les États-Unis ont cédé RCA à la France, à Thomson. Qu’est-ce que ça veut dire ? RCA était le plus grand groupe intégré horizontalement et verticalement d’électronique grand public de stations de radios et de télévisions, etc.
Marc Voinchet :
Oui, le poste RCA, quoi.
Bernard Stiegler :
Et c’est Thomson qui l’a racheté pour très peu d’argent en 1983, si je me souviens bien. Pourquoi ? Eh bien, parce que en 1979, JVC a sorti le premier magnétoscope qui n’était pas américain. À la fin des années 70, le Japon devient le challenger des États-Unis, aussi bien dans le secteur de l’automobile avec Toyota que dans le secteur de l’électronique avec Sony, JVC, etc, etc. Les États-Unis comprennent, dans les années 80, qu’ils ont perdu une guerre industrielle et ils décident qu’ils vont gagner l’étape suivante. Cette étape suivante est basée sur les microprocesseurs et sur une nouvelle conception de l’économie industrielle. Cette conception-là, c’est ce que le rapport du sénateur Gore met en perspective et c’est ce qui donnera lieu en 1992, au discours de ce qu’on appelle « les autoroutes de l’information » porté par Bill Clinton et en 1993 l’ouverture de l’Internet, c’était il y a 20 ans.

En 20 ans, le monde s’est absolument transformé à cause de cette décision. Une énorme transformation, dont encore très très peu de gens ont conscience de l’importance. C’est d’ailleurs normal, car c’est notre milieu de vie qui est en train de changer et, comme le disait Aristote, notre milieu de vie c’est ce que nous voyons le moins parce que nous vivons dedans. Aristote disait : les poissons, la seule chose qu’ils ne voient jamais, c’est l’eau.
Marc Voinchet : Alors comment expliquez-vous quand même, moi je note, non pas un paradoxe, mais évidemment c’est intéressant ce que vous dites sur cette base-là, qu’on est dedans, on ne le voit pas bien, on ne sait pas très bien l’analyser voire le comprendre tout à fait, et pourtant, il semble en même temps qu’on l’ait assez rapidement, on va dire, grosso modo apprivoisé.
On s’en sert quasiment tout le temps. Il faut bien voir que les usages des outils du numérique sont relativement simples, de plus en plus, à manipuler. On le voit bien : envoyer un mail, twitter, tout ça, devient relativement simple. Donc on y est, même si on l’analyse mal, on croit en tout cas le maîtriser techniquement relativement bien. À tel point même qu’on en est à imaginer que pourquoi pas, se greffer des sortes d’écrans de portables sous la peau, qui pourraient faciliter les coûts d’usage de tout cela parce qu’au moins on garderait vaguement au moins les mains libres. On s’en sert !

Bernard Stiegler :
Bien entendu qu’on s’en sert, puisque toute l’industrie planétaire est aujourd’hui basée sur la socialisation du numérique.
Marc Voinchet :
C’est apprivoisé !
Bernard Stiegler :
Non, ce n’est pas apprivoisé ! Nous sommes apprivoisés par le numérique, plutôt que nous n’apprivoisons le numérique.
Marc Voinchet :
Alors justement.
Bernard Stiegler :
Je n’emploierais pas exactement le mot ni d’apprivoisement ni même de domestication, mais d’adaptation ou d’adoption. C’est-à-dire qu’actuellement nous nous adaptons au numérique. Nous nous y adaptons parce que de toutes façons notre monde se transforme absolument en permanence. Vous avez évidemment rencontré, comme moi, toutes sortes de gens, peut-être vous-même vous avez dit « Je n’aurai pas de téléphone portable » il y a 20 ans, « Je n’aurai pas de GPS » il y a 10 ans, « Je n’aurai pas de ceci, de cela ». Puis finalement vous faites tout ça. Parce que votre milieu social est totalement pénétré par ça, donc de toutes façons vous êtes exclu du milieu social si vous ne le faites pas. Alors, je connais des gens, moi, qui n’ont pas d’e-mails, ça existe encore. Mais ce sont des cas tout à fait exceptionnels.

Je crois que c’est une transformation totale du milieu social et qui va aller extrêmement loin, parce qu’on n’a absolument rien vu encore de ce qui est en train de se produire. Et ce qui est en train de se produire de faramineux, je dirais que c’est pas tellement de mettre des puces sous-cutanées, etc. Évidemment, ça c’est spectaculaire, ça frappe les esprits et ça va venir très vite parce que la médecine est en train de faire des travaux. Phillips par exemple fait des travaux dans ce domaine.
Marc Voinchet : Ça fait partie de l’augmentation de l’humain régulière dont vous parliez depuis des millions d’années, comme le dopage après tout.
Bernard Stiegler : Oui, voilà. Tout ça ce sont des transformations qui sont en cours, et qui vont s’accélérer encore. Alors peut-être avec des limites dans cette augmentation de l’accélération, on en parlera peut-être tout à l’heure. Mais, quoi qu’il en soit, quelque chose est en train de venir en ce moment d’extrêmement important qui est ce que j’appelle l’automatisation généralisée. Sur quoi d’ailleurs, l’Institut de recherche et d’innovation va faire un colloque à la fin de l’année au centre Pompidou.
Qu’est-ce que ça signifie l’automatisation généralisée ? Le numérique est une technologie qui permet d’unifier tous les processus d’automatisation. Et dans les 10 ans qui viennent, ce qui a commencé à se voir aussi bien dans les supermarchés que dans les usines de motorisation de Mercedes, à savoir la disparition des ouvriers, la disparition du travail manuel, la disparition des manutentionnaires, même des chauffeurs, quand vous prenez le métro à Paris, très souvent il n’y a pas de chauffeur. Tout ça va se généraliser. C’est donc l’explosion d’un modèle économique et industriel du 20ème siècle qui va être littéralement désintégré par le numérique. Donc, c’est une transformation qui est en train de se créer dans tous les domaines de la vie, les relations entre les enfants à travers les réseaux sociaux, le monde du travail, l’activité scientifique, la manière de faire des statistiques dans le domaine avec ce qu’on appelle les big data et donc la capacité d’anticipation, de gouvernance, comme on dit aujourd’hui. Tout cela est absolument bouleversé par le numérique. Face à cela, nous disons, alors ce que vous disiez, par exemple, nous nous apercevons que nous devenons addicts, ou en tout cas, nous nous sentons de plus en plus obligés de faire un certain nombre de choses, que ça nous manque effectivement. Très souvent quand on sort d’une réunion comme ça, on allume son téléphone, on regarde si on a reçu des mails, etc.

Marc Voinchet :
Oui, enfin, obligés ou pas, il y a des postures quand même, il y a des poses de ronchonnements sur ces questions d’addictions. Mais enfin, tout le monde est assez consentant !
Bernard Stiegler :
Non, mais en fait, tout le monde est assez, euh…
Marc Voinchet :
Attendez, sur ce domaine-là, on reproche beaucoup aux États-Unis de nous avoir espionnés. Mais enfin, beaucoup de gens se mettent tout nus sur Facebook et les réseaux sociaux. Donc, la transparence elle est…
Bernard Stiegler :
Oh, mais ça, non mais l’affaire Snowden.
Marc Voinchet :
L’affaire Snowden elle révèle beaucoup de choses. On va en parler, hein.
Bernard Stiegler :
On peut en parler.
Marc Voinchet :
Oui, allez-y, oui, justement.
Bernard Stiegler :
Effectivement, il faut être assez peu informé pour ne pas se rendre compte, pour ne pas avoir conscience, depuis des années, que cette traçabilité généralisée induit une surveillance généralisée. Cela a été soulevé ce problème par bien des gens. Maintenant, l’affaire Snowden révèle quelque chose de fondamental, qui est le caractère pharmacologique du numérique. Je connais, moi, beaucoup de gens, qu’on appelle des hacktivistes, qui sont des militants du numérique. Je fais un peu partie de ça, d’ailleurs. Enfin je ne me considère pas comme un militant du numérique, mais disons que je fais partie des gens qui considèrent que le numérique est une question fondamentale, et que à peu près, tout l’avenir gravite autour de cette question. Je considère que le numérique est porteur de modèles de développement nouveaux extrêmement prometteurs. Mais parmi les amis que je fréquente un peu dans le monde entier qui sont des hacktivistes et des militants de ce développement, ils sont en train de découvrir ce que j’appelle, moi, la dimension pharmacologique du numérique. Le numérique est un pharmakon.
Marc Voinchet :
Vous parlez des lanceurs d’alertes, entre autres ? Ce qu’on appelle un lanceur d’alerte, un méta-activiste.
Bernard Stiegler :
Notamment, des lanceurs d’alertes, bien entendu. Alors, la question qui se pose aujourd’hui et les leçons qu’il faut tirer de l’affaire Snowden, c’est qu’il faut une politique du numérique. Aujourd’hui, le numérique est piloté exclusivement par le marché, et ça ne peut pas continuer. Parce que le marché, et il ne faut pas lui en faire le reproche, a des finalités de profitabilité. Donc, son objectif numéro 1 c’est d’augmenter les profits des entreprises, que ce soit Facebook, Google ou d’autres. Le numérique, par contre, a des effets effectivement extrêmement toxiques et il faut qu’une nouvelle puissance publique porte la responsabilité de socialiser le numérique. Ça passe par l’éducation, ça passe par la formation d’une nouvelle culture qui s’approprie ce processus. Ça ne fait que 20 ans que ce processus a commencé, il est donc tout à fait normal que nous soyons en retard par rapport à cela. Mais, maintenant nous ne nous pouvons plus nous permettre de rester en retard. Quand je dis nous, d’ailleurs, je parle pas de la France, mais je parle plutôt de l’Europe. Je parle d’abord bien entendu de la France, mais surtout de l’Europe.
Marc Voinchet :
Donc, on revient quasiment à ce que vous disiez au début. C’est la question du politique, quand même, qui prime et qui devrait quoi ? Reprendre la main sur cette question-là ?
Bernard Stiegler :
Politique appuyé sur une politique scientifique et industrielle. Aujourd’hui, vous savez que le numérique tel qu’on le connaît, le web ça vient d’Europe. Beaucoup de choses qui se développent viennent d’Europe, notamment de France, d’ailleurs. Ce qui est tragique, c’est que ce sont les États-Unis et maintenant la Chine, qui en exploitent les résultats. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de politique ici, en France et en Europe, par rapport à ces questions et il faut que ça change, absolument.
Marc Voinchet :
Qu’est-ce qu’on a laissé filer ?
Bernard Stiegler :
Par exemple, le web a été conçu en Europe. Vous savez peut-être que la norme GSM, qui est à l’origine du téléphone portable, a été largement développée au CNET et que France Télécom n’en a pas exploité, enfin a considéré dans une étude que finalement cela n’avait pas un grand avenir.
Marc Voinchet :
C’est normal, l’avenir c’était le Minitel, Bernard Stiegler !
Bernard Stiegler :
Non, c’est pas pour ça. C’est parce qu’ils ont fait une étude de marché pour demander aux gens ce qu’ils voulaient et les gens disaient « On ne veut pas de téléphone portable ». Les gens ne veulent jamais ni de téléphone portable, ni d’internet, ni de quoi que ce soit.

Ce n’est pas comme ça que les problèmes doivent être posés. Il y a des logiques industrielles et ces logiques industrielles, il faut les porter.
Marc Voinchet : Merci, Bernard Stiegler, nous revenons avec vous sur toutes ces questions en deuxième partie des matins : « L’homo-numericus peut-il encore ou faut-il, doit-il se déconnecter ? » Bernard Stiegler est notre invité.
Journal
Marc Voinchet : Bernard Stiegler, l’invité des matins, Bernard Stiegler, qui dirige l’Institut de recherche et d’innovation du centre Georges Pompidou ; professeur associé à l’Université de Technologie de Compiègne ; également professeur à l’université de Londres, Goldsmiths College et puis aussi à l’École Polytechnique de Zurich.
Vous êtes un homme numérique, vous ! L’idée ce serait quoi ? De pouvoir rester chez vous et puis de faire des cours à distance ou pas du tout, vous savez ?

Bernard Stiegler :
Je le fais, j’ai une école qui s’appelle [http://pharmakon.fr/wordpress/ Pharmakon.fr], qui a 1000 étudiants et je fais tout depuis chez moi.
Marc Voinchet :
Mais toujours pas sur Twitter ; toujours pas sur Facebook ?
Bernard Stiegler :
Non, non, je pense que le numérique, il ne faut pas suivre toute les petites modes, comme je le disais tout à l’heure. On ne parlait que de Second Life il y a quelques années, et Second Life a disparu. Il y a le numérique, les couches profondes, les choses vraiment fondamentales et puis après il y a toute l’agitation de la surface.
Marc Voinchet :
Bon, n’empiétez donc pas sur la chronique de Brice Couturier. Bonjour Brice.
Brice Couturier :
Bonjour Marc.
Marc Voinchet :
C’est l’heure de votre chronique. Tiens, vous n’avez pas d’ordinateur sur la table ce matin ?
Brice Couturier :
Non, je ne voulais pas faire plaisir à Bernard Stiegler. On aurait cru que je faisais de la lèche, alors je suis venu avec du papier. Simple papier. D’ailleurs, je ne vais pas lui parler de numérique, je vais lui parler d’humanisme.

C’est bien connu, Bernard Stiegler, nous sommes tous des humanistes à présent, n’est-ce pas ? Oubliées, oubliées les féroces critiques de Nietzsche « L’humanité ? Parmi toutes les vieilles femmes, n’y eut-il jamais vieille femme plus horrible ? », « Le Gai Savoir ». Après les 2 guerres mondiales et surtout la seconde, rien n’a paru plus urgent que de refonder l’humanisme. Les Droits de l’Homme, on l’oublie souvent, furent brandis d’abord par les survivants des grands massacres totalitaires pour tenter de mettre un terme au « temps des cannibales » comme disait Akhmatova. L’humanisme, c’était alors une manière de refuser les injonctions à créer « l’homme nouveau » débarrassé des faiblesses de l’ancien modèle. C’était un appel à faire enfin preuve d’humilité et à se contenter de l’humanité telle qu’elle est. Isaiah Berlin a titré « Le bois tordu de l’humanité » l’essai dans lequel il tente de montrer comment les prophètes armés ont sacrifié des hommes vivants sur les autels de leurs abstractions. Il empruntait cette expression, « le bois tordu de l’humanité », à Kant. Kant, qui écrit : « d’un bois si tordu dont sont faits les hommes, jamais l’on ne tirera rien de bien droit ».
Car l’humanisme, depuis sa fondation dans l’Antiquité et surtout sa refondation au cours de la Renaissance, est une élévation de l’homme, avec sa finitude et ses faiblesses, à la hauteur des anciens dieux. L’humanisme est d’ailleurs inséparable de la doctrine politique qui enseigne que la loi de la cité est celle que les citoyens se donnent eux-mêmes et qu’il est illusoire de prétendre l’aligner sur une norme révélée et s’imposant de l’extérieur. Mais l’humanisme, au moins depuis Bacon et Descartes, c’est aussi l’affirmation de la puissance transformatrice de l’humanité, grâce à sa raison et à l’accumulation de son savoir. C’est un projet de maîtrise de la nature, conçue comme ressource, que la raison humaine pourrait arraisonner. Critique que formulaient déjà Horkheimer et Adorno méfiants envers l’humanisme technicien. Citons encore la phrase de Foucault qui a fait scandale parce qu’elle était mal comprise, qui conclut « Les Mots et les Choses » par « l’Homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente et, peut-être, la fin prochaine ». Il parlait, bien sûr, de l’homme comme objet d’étude de la culture européenne et non pas de l’humanité, bien entendu.
Bref, j’y reviens, nous sommes tous humanistes aujourd’hui. D’ailleurs l’accusation d’anti-humanisme brandie ici ou là, comme l’ont fait Luc Ferry et Alain Renaut contre la pensée 68 est terrible et elle vaut pour condamnation. Mais, je voudrais évoquer un philosophe anglais contemporain, qui vient de sortir un livre : John Gray. John Gray, qui provoque une belle polémique dans le monde anglo-saxon, avec un livre désenchanté et anti-humaniste, intitulé « The Silence of Animals, On Progress and Other Modern Myths », parce que l’humanisme y est donc attaqué de front.
Brice Couturier : Que dit John Gray ? Que l’humanisme est une manière pour l’animal humain de se conférer une suprême dignité qu’il ne mérite aucunement. Cette idée de l’humanisme est reliée à une autre, plus loufoque encore aux yeux de John Gray, d’origine religieuse d’ailleurs, selon laquelle l’ordre cosmique se reflèterait dans l’esprit humain, d’où le mythe de la raison, qui serait le propre de l’Homme et qu’enfin l’humanisme postule l’idée saugrenue selon laquelle l’histoire constitue la saga de l’avancée de l’Homme vers une rationalité toujours plus grande. D’où l’attaque en règle, qu’il lance avec ce livre, contre la notion de progrès. L’accumulation du savoir, le progrès des sciences qui s’accélèrent n’ont aucune incidence sur l’humanité qui se targue, bien à tort, de sa fameuse rationalité. Les sciences et les techniques ne progressent-elles pas vertigineusement à l’occasion des guerres ?
Quelle est votre position à vous sur cette question de l’humanisme et comment voyez-vous le rôle du numérique dans l’accumulation de ce savoir et de cette accumulation de la rationalité ?
Marc Voinchet : Bernard Stiegler.
Bernard Stiegler : Moi, je ne suis pas un humaniste. Je ne me suis jamais reconnu dans ce discours, que je trouve faible, parce que l’humanisme, c’est ce qui pose une essence de l’homme. Je crois que ce qu’on appelle l’humain, moi j’appelle ça plutôt comme je le disais dans la première partie, la forme technique de vie. C’est ce qui précisément n’a pas d’essence, c’est ce qui se reconfigure absolument en permanence. En revanche, je suis très sensible à la question de l’inhumanisme, disons de l’inhumain. Je pense que nous sommes des êtres capables d’éprouver le sentiment d’inhumanité, c’est-à-dire d’indignité comme disait Pic de la Mirandole.
Ceci me paraît capital. En fait, qu’est-ce que c’est, pour moi, que ce qu’on appelle l’humain ? Et bien, c’est une forme de vie capable de désirer. Et de désirer, en un sens où le désir n’est pas la pulsion simplement. Le désir n’est pas la simple nécessité de satisfaire des besoins vitaux, de reproduction, d’alimentation, etc. Le désir c’est la capacité à transformer ses besoins vitaux en des investissements sociaux. Nous sommes des êtres dotés de capacités de transformation de nous-même extraordinaires à travers la technologie, la technique ou la technologie. Ces capacités de transformation peuvent être des capacités de destruction. Elles sont d’ailleurs d’abord des capacités de destruction.
À partir de là, la question, pour moi, n’est pas l’humanisme ou l’anti-humanisme. La question c’est la pharmacologie de la forme technique de la vie. La pharmacologie, au sens où, je reprends donc le terme de Platon : la technique est un pharmakon, c’est un poison et un remède. Comment produire de la remédiation avec de la toxicité ? Voilà la question fondamentale. Adorno et Horkheimer, que vous citiez tout à l’heure, posent ce problème au début de la dialectique de l’Aufklärung, très exactement. Et ils montrent, que, par exemple, que la raison peut être parfaitement mise au service de la bêtise. À partir de là, la question fondamentale c’est d’avoir, ce que j’appelle donc moi, avec Ars Industrialis d’ailleurs dont je suis aussi le président, une conception pharmacologique de la raison. La raison peut être mise au service du mal, disons, pour prendre une terminologie classique, ou de ce que j’appelle, moi, l’inhumain. Alors, aujourd’hui nous sommes en train de vivre une extraordinaire transformation technologique.
Marc Voinchet : Est-ce que vous diriez que l’on manque de raison, aujourd’hui ?
Bernard Stiegler : Bien entendu, qu’on manque de raison. Et je prend le mot raison au sens où, une raison c’est un motif. Il y a une démotivation généralisée dans la société, pas simplement en France, d’ailleurs. Parce qu’on dit toujours, le Président de la République l’a dit dimanche, on dit toujours la France est spécialement pessimiste ! C’est vrai ! Mais il n’y a pas que la France. Je ne cesse de répéter qu’en 2007, Juliet Schor a montré que 87% des Américains étaient désillusionnés par rapport au consumérisme américain et donc il y a un doute fondamental. Par exemple, lorsque General Motors s’était effondré, ensuite, un consultant de General Motors a expliqué qu’il expliquait depuis déjà des années, enfin des mois, au patronat, aux dirigeants de General Motors qu’ils se trompaient de modèle, qu’ils ne voyaient pas que le monde était en train de changer.
Alors, la raison, pour moi, c’est avant tout le motif, c’est-à-dire le désir. Ça, c’est un peu spinozien ou nietzschéen. La raison, ce n’est pas d’abord le logos, en tant que ce qui permet d’opposer la raison à la passion. La raison, c’est les motifs de vivre, ce qui est au cœur de ce que Spinoza appelle la puissance d’agir. Et cette raison-là, aujourd’hui, moi j’essaye de la penser avec un modèle freudien. Pour moi le grand penseur du 20ème siècle, c’est Freud, qui a fait apparaître que, nos comportements sont constitués fondamentalement par, ce qu’il appelle, notre économie libidinale. Ce qu’en revanche Freud ne montre pas, ne voit pas, à proprement parler, c’est que cette économie libidinale est constituée par notre technicité. Lorsqu’il dit à la fin du 19ème siècle, la vie sexuelle de l’Homme passe fondamentalement par le fétiche, c’est-à-dire par l’artefact, et la capacité de transformation de la pulsion sexuelle en un investissement de désir, c’est le fantasme qui passe par le fétiche, il voit que l’artefact technique joue un rôle fondamental dans la construction du désir, mais il ne le pense pas.

Marc Voinchet :
Notre portable, du coup, fonctionne de la même manière ? Notre rapport au portable, au smartphone, à ce que vous voulez. On parle beaucoup du portable comme d’un objet fétiche.
Bernard Stiegler :
On parle beaucoup du portable comme d’un objet transitionnel, on reprendra, c’est le concept de Donald Winnicott.
Marc Voinchet :
C’est le fétiche qui répond à la pulsion, enfin qui accède à la pulsion que nous avons nous-mêmes, de nous en servir pour acquérir une autre dimension, pour notre propre plaisir.
Bernard Stiegler :
Oui, mais alors ce qu’il faut bien comprendre là, c’est que Donald Winnicott montre que, bon c’est bien après Freud, c’est quarante ans après, cinquante ans, même, Winnicott montre que la construction du désir d’un bébé, et ça doit se construire le désir d’un bébé. Il y a des bébés qui n’ont pas reçu d’affection et de relations suffisantes pour construire un désir ; ça devient des personnes qui sont très très difficilement socialisables. Un bébé, c’est un être qui a besoin de construire son appareil psychique. Son appareil psychique ne lui est pas donné à la naissance. Et cette construction de l’appareil psychique se fait dans sa relation avec ses proches. D’abord sa mère ou sa nourricière ou son père, enfin disons celui qui l’élève et ensuite son environnement social. Mais ce que montre Winnicott, c’est que cette relation se fait à travers l’objet transitionnel, qui n’est pas un fétiche, mais qui est, ce qu’il appelle objet transitionnel, c’est le doudou, le nounours, mais qui va permettre à l’inconscient et au désir de la mère de s’articuler avec celui de l’enfant et de construire celui de l’enfant. Alors, ce que dit Winnicott c’est que cet artefact peut devenir un poison. Il dit ça peut produire une addiction et il dit la mauvaise mère est celle qui ne sait pas apprendre à son enfant, à un moment donné, à se séparer de son objet transitionnel.

Alors, si j’insiste sur ce point, c’est parce que, pour revenir à la question de la raison, la question de la raison c’est avant tout la question du désir. Aujourd’hui nous sommes dans des sociétés désillusionnées et sidérées, nous devrions être dé-sidérés. Désir vient de dé-sidération. Nous sommes sidérés et nous sommes sidérés par nos pulsions, parce que le désir, ce n’est pas la pulsion. Le désir c’est la transformation de la pulsion en investissement. La pulsion n’est pas du tout un investissement, la pulsion est consumériste. Voilà ! La pulsion sexuelle, la pulsion de manger, la pulsion de tuer, ce sont des comportements de destruction consumériste. Et le désir c’est une construction, qui m’apprend à transformer mes pulsions en un investissement social, c’est-à-dire à produire du nouveau. Aujourd’hui, nous sommes à la limite d’un système, qui est le système du 20ème siècle, qui est en train de s’écrouler et dont les industries culturelles, et dont France Culture lui-même fait partie, et qui est en train de se reconfigurer très en profondeur autour d’une technologie nouvelle qu’on appelle...

Marc Voinchet :
Pour l’instant, je vous rassure, on ne s’écroule pas quand même, totalement complètement.
Bernard Stiegler :
Non, vous ne vous écroulez pas. France Culture se porte pas trop mal et se porte plutôt même bien et France Culture Plus et tout ça, ce sont des initiatives lancées par le Directeur de France Culture pour faire que..,
Marc Voinchet :
Absolument, que nous attendons tout à l’heure en duplex à 8h 50.
Bernard Stiegler :
Pour faire que France Culture s’engage dans le 21ème siècle. Mais, vous savez très bien que la presse se porte extrêmement mal, que la plupart des chaînes de radio et de télévision se portent extrêmement mal, et que tout le système issu du 20ème siècle, qui venait des industries culturelles et de tout ce que Adorno et Horkheimer critiquaient d’ailleurs est en train de s’effondrer. Parce que quelque chose d’autre est en train d’apparaître qui s’appelle le numérique, le numérique étant une technologie de publication. Cette technologie de publication, elle constitue ce qui est l’équivalent de, ce qui était pour Voltaire et Catherine de Russie au 18ème siècle, la république des lettres. Il y a quelque chose de nouveau qui est en train d’émerger et cette chose nouvelle qui est en train d’émerger, nous ne la pensons pas, parce qu’elle émerge à une vitesse foudroyante, ce qui a pris 20 ans pour émerger, entre Gütemberg et Voltaire ça prend 2 siècles. Donc nous avons vécu en 20 ans ce qui s’est produit en 2 ou 3 siècles à l’époque de la Renaissance.
Marc Voinchet :
Je n’arrive pas à saisir, Bernard Stiegler, ce que vous semblez nous laisser entrevoir. Si vous êtes Cassandre ou pas.
Bernard Stiegler :
Ni l’un, ni l’autre.
Marc Voinchet :
Vous me direz que Cassandre, on ne l’a pas assez écoutée, puisqu’elle avait plutôt raison. Mais il y a une comparaison assez classique, si je me souviens bien de mes cours de philosophie, c’est que, tout de même, Socrate dans le dialogue du Phèdre, mettait déjà en garde contre les effet néfastes de l’écriture, sur la mémoire et le savoir.
Bernard Stiegler :
Bien entendu.
Marc Voinchet :
Il disait à cause de l’écriture, les hommes cesseront d’exercer leur mémoire.
Bernard Stiegler :
Bien entendu.
Marc Voinchet :
On s’en est pas trop mal sortis.
Bernard Stiegler :
Bien entendu. Mais qu’est-ce qu’il dit ? Il dit cela et ensuite il dit il faut mettre en place, alors en fait c’est Platon qui dit ça, même s’il fait parler Socrate, mais, il dit ensuite il faut mettre en place une nouvelle thérapeutique, qu’il appelle la dialectique et la dialectique est ce qui doit apprendre à faire quelque chose de bien de l’écriture. L’Académie de Platon, comme l’a montré Léon Robin, c’était un lieu d’édition académique. Donc c’était un lieu de publication et de pratique de l’écriture. Et Michel Foucault, dans « L’écriture de soi », a montré qu’ensuite les Stoïciens ont généralisé cette pratique de l’écriture à travers l’art épistolaire, etc. Donc, ce qui nous manque aujourd’hui gravement, c’est une vision de l’avenir de la vie de l’esprit, dans le numérique. Aujourd’hui ce qui pilote le numérique, c’est Twitter, c’est Facebook, c’est-à-dire des entreprises de profitabilité à très court terme, qui font leur travail, d’ailleurs, il n’y a pas du tout à les en blâmer, mais c’est une démission du monde académique, du monde artistique, du monde politique face à la nécessité absolue de construire une nouvelle civilisation.
Marc Voinchet :
Caroline Fourest.
Caroline Fourest :
Pour essayer de penser quelle pourrait être cette éducation au numérique, vous dites, vous réduisez un peu peut-être Facebook ou Twitter, mais parlons de Facebook, à une sorte de désir consumériste et pas de désir justement de construire une nouvelle république des lettres. Mais pour toute une génération, aujourd’hui, le fait d’être sur des réseaux sociaux ça n’est pas que du consumérisme. C’est aussi découvrir le militantisme sur plusieurs pays à la fois, avoir conscience d’enjeux qui peuvent toucher d’autres gens à l’autre bout de la planète et se mettre en mouvement et même consommer de l’écrit dans une génération qui la consomme moins. Donc, il y a quand même cet appétit qui existe. Comment transformer cet appétit, qui est encore peut-être à un stade non-pensé, non-analysé, en une éducation, à quelque chose de plus élevé de ce désir dont vous parlez qui permet de construire ?
Marc Voinchet :
Bernard Stiegler
Bernard Stiegler :
D’abord, pour ce qui concerne Twitter, ce que je vous dis là ne m’empêche pas de travailler avec Twitter et pour Twitter. J’ai développé avec l’Institut de recherche et d’innovation quelque chose qui s’appelle Polemic tweet, qui est un développement sur le réseau Twitter et qui permet à des gens de mettre en place des discussions, où il y a des argumentations avec des positionnements pour, contre, etc. Ce que je reproche à tous ces réseaux, c’est qu’ils sont extrêmement mimétiques, au stade actuel de leur développement. Je travaille avec des amis qui sont en Allemagne, à Leuphana, Yuk Hui qui est un chercheur chinois et Goëthe Bargsmann(?) qui est un anthropologue allemand, sur la conception de nouveaux types de réseaux sociaux. Sur Facebook, qu’est-ce qu’il se passe ? Vous êtes sur Facebook, vous produisez des datas, comme on dit, des données personnelles, et ces données personnelles sont exploitées par un système caché, dont vous ne savez absolument pas comment il fonctionne. Vous êtes, en fait, en train d’aliéner vos données personnelles. Facebook est un modèle qui est basé sur les travaux de quelqu’un très connu aux États-Unis, qui s’appelait Moreno, ce qu’on appelle les graphes sociaux de Moreno, qui est un modèle qui repose sur l’idée qu’il n’y a que des points mis en relation les uns avec les autres et qu’il n’y a rien au niveau intermédiaire.

Nous, nous pensons plutôt, quand je dis nous c’est avec ces chercheurs et à l’IRI, mais aussi avec Ars Industrialis, nous pensons plutôt qu’il faut prendre le modèle de Gilbert Simondon. Qu’est-ce que dit Gilbert Simondon ? Simondon qui est un très grand philosophe français, peu connu, mais qui est un des principaux inspirateurs de Gilles Deleuze, posait qu’il y a de l’individuation psychique (je deviens qui je suis) en participant à l’individuation du collectif, c’est-à-dire en contribuant à la construction de règles de vie, de transformation du monde, etc. C’est dans mon investissement social que je construis ma psyché. Et nous pensons qu’une nouvelle génération de réseaux sociaux doit se développer où, par exemple, les règles de traitement des données seraient générées par la communauté. C’est un modèle qui est le modèle de ce qu’on appelle le Free Software, c’est-à-dire le Logiciel Libre, dont je pense qu’il est porteur d’un formidable avenir, pas simplement sur les réseaux sociaux, mais pour l’avenir industriel. C’est le nouveau modèle économique à venir.
Alors, je ne rejette pas toutes ces choses-là. Simplement, je dis ne soyons pas fascinés par le dernier truc qui vient de sortir. Facebook, il y a 5 ans, je faisais un séminaire sur Facebook, moi, il y a 5 ans, sur les réseaux sociaux. Mais personne ne connaissait à l’époque Facebook. Maintenant, je ne suis jamais allé sur Facebook. On me l’a proposé. J’ai des pages Facebook, il y en a je ne sais pas combien, des fausses pages Facebook « Stiegler », ce n’est pas du tout moi qui les fait, c’est je ne sais pas qui, bon. Ça ne m’intéresse absolument pas, parce que je pense que sur Facebook il se produit essentiellement du mimétisme et que c’est quelque chose d’extrêmement dangereux.
Maintenant, je crois qu’il faut prendre très très au sérieux tout cela, parce que c’est une nouvelle individuation collective qui se met en place avec ces réseaux sociaux. Il y a une ingénierie sociale nouvelle qui se déploit et pour cela il faut que le monde académique soit mobilisé.
Marc Voinchet : Je voudrais quand même faire intervenir Brice Couturier, qui nous parle de sa page Facebook tous les matins, après l’émission.
Brice Couturier : Je mets en ligne mes petites chroniques et j’essaye de les populariser. Moi, je voudrais essayer de repartir de ce que vous avez dit à l’instant et de ce que vous avez dit avant. Il y a une raison technicienne, celle qui est critiquée par Adorno et Horkheimer, qui en fait correspond à la révolution industrielle. C’est-à-dire qu’il s’agissait d’optimiser la production à partir de la raison et de la scientificité. Il y a une raison consumériste, celle que vous étiez en train de décrire tout à l’heure, à l’instant, à propos du marché des idées.
Ça m’intéresse beaucoup, parce qu’effectivement, moi ce que je constate, alors en tant qu’utilisateur de Facebook, c’est qu’effectivement aujourd’hui, la révolution numérique, au lieu de tenir la promesse qu’elle nous faisait autrefois, c’est-à-dire d’être l’agora globale, celle qui permet la confrontation des idées, celle qui permet au marché des idées de sélectionner celles qui sont les plus intéressantes, en réalité, nous enferme dans des couloirs de plus en plus étroits, parce qu’en fait nous ne correspondons qu’avec les gens qui pensent comme nous. Donc, au lieu de nous faire changer, au lieu de nous faire bouger dans nos têtes, comme disent si bien les médias aujourd’hui, en réalité tout ce que nous faisons, c’est une espèce de boucle auto-entretenue, qui fait que nous pensons de plus en plus tous la même chose, chacun dans notre coin et qu’il n’y a plus d’échange.
Mais, j’en reviens à mon John Gray. Il y a donc ces 2 types de raisons, il y a ces 2 types d’instrumentalisation et d’arraisonnement de la raison et puis il y a ce que dit John Gray. Il dit : laissez tomber l’humanisme, laissez tomber la prétention de l’humanité à la rationalité, contentez-vous de contempler. Il conclut son bouquin en disant « la contemplation peut être comprise comme une activité qui ne vise pas à changer le monde, pas non plus à le comprendre, mais simplement, to let it be, mais simplement, le laisser être. »
Est-ce que vous ne croyez pas, alors ça c’est aussi dans le prolongement des réflexions sur la décroissance, etc. que suite à ces 2 échecs qu’étaient la raison technicienne qui débouche en réalité sur la première guerre mondiale, la raison consumériste qui débouche sur la crise de 2008 qu’on vient de connaître, il n’y aurait pas le moment d’une pause, d’un moment où on se déprend un peu de cette prétention permanente, qui est celle de l’humanité ?

Marc Voinchet :
Bernard Stiegler.
Bernard Stiegler :
Alors non, là je ne serai pas d’accord parce que laisser être ça se dit « Gelassenheit » en allemand, c’est la position de Heidegger, à partir des…
Brice Couturier :
Je crois que ce n’est pas par hasard que John Gray l’utilise.
Bernard Stiegler :
... des années 50-60 et je suis en désaccord radical avec cette position. Moi, je fais partie de la tradition des Lumières. Alors, je pense que maintenant il faut penser les Ombres et les Lumières. Je dis toujours ce que nous a montré le 20ème siècle avec Citizen Kane, c’est que la lumière est toujours accompagnée d’ombre. Donc pour penser la lumière, il faut penser les ombres. C’est ce qu’ont découvert Adorno et Horkheimer sans véritablement parvenir à le penser, à mon point de vue, d’ailleurs.

Alors, ayant dit cela, je crois beaucoup au projet de la raison. Mais d’une nouvelle raison, ce que j’appellerais une raison impure. Une raison qui est constituée par la technique. La raison, le logos de Socrate et de Platon par exemple, est conditionnée, Vernant et tant d’autres l’ont montré, par l’apparition de l’écriture. C’est-à-dire que le poison qu’ils dénoncent est la condition de possibilité de la géométrie, c’est ce qu’a dit Husserl en 1936. Donc, ce poison est la condition de possibilité de la critique du poison. À partir de là, nous sommes, avec le numérique et la technologie en général, dans une même situation.
Maintenant, la question qui se pose à nous, parce que nous sommes dans une situation, quand même très très grave, je parle là de l’Europe par rapport à cette transformation qui est en train de s’opérer à une vitesse foudroyante où, si vous regardez la Chine, elle a une politique extrêmement précise dans ce domaine. On en pense ce qu’on veut, mais elle est très précise. L’Inde a une politique très précise. Le Japon a une politique depuis très longtemps. L’Amérique évidemment. L’Europe n’en a pas.

Brice Couturier :
Pour le numérique ?
Bernard Stiegler :
Je parle du numérique. Le numérique, ça n’est pas simplement un secteur industriel. D’abord, ça traverse absolument toute l’activité économique et en plus c’est, en effet, une véritable rupture anthropologique. Aujourd’hui, le Ministre de l’Éducation Nationale, Monsieur Peillon a dit « il faut introduire le numérique à l’École ». Je l’avais dit et je fais partie de cette commission…
Marc Voinchet :
Et le 14 juillet, le président de la République a rappelé qu’il fallait investir dans le numérique…
Bernard Stiegler :
Et c’est absolument indispensable.
Marc Voinchet :
C’était les investissements d’avenir.
Bernard Stiegler :
Mais la question c’est fondamentalement qu’il faut reconfigurer l’ensemble de la vie de l’esprit autour du numérique et la vie académique. Il faut missionner, par exemple, très fortement dans le domaine des études doctorales, il faut faire en sorte que des études doctorales soient menées dans ce domaine-là (du numérique) pour toutes les disciplines. La grammaire par exemple, Frédéric Kaplan a très bien montré dans un article, célèbre maintenant, qui s’appelle « le capitalisme linguistique, quand les mots valent de l’or », la grammaire est absolument bouleversée par Google et par les technologies linguistiques de Google. Comment se fait-il qu’on n’enseigne pas ça à l’université ? Comment se fait-il qu’on n’ait pas des laboratoires entiers qui travaillent sur ces questions à l’université ? Parce qu’il n’y a pas de politique de cela.

Il est indispensable maintenant, pas simplement de faire en sorte d’introduire le numérique à l’université pour faire des cours en lignes, les MOOCs, etc, peut-être qu’il faut faire cela. Mais fondamentalement, il faut penser ce que le numérique fait aux mathématiques, ce que le numérique fait à la grammaire, ce que le numérique fait à la philosophie, à la physique, absolument à tous les domaines, même le sport, le sport est transformé par le numérique. Et personne ne travaille là-dessus, et il faut le faire pour une 2ème raison.

Marc Voinchet :
Alors, Bernard Stiegler.
Bernard Stiegler :
Excusez-moi juste un mot, Marc Voinchet, pour une autre raison, c’est que le web actuel va muter. Le web actuel est producteur d’entropie. Ce que vous disiez c’est qu’on ne discute qu’avec ceux avec lesquels on est d’accord. Moi, je développe au sein de l’IRI, une conception du web qui permet de faire se confronter les désaccords, au contraire, et d’organiser une discussion publique rationnelle avec des outils de discussion sur le web. C’est tout à fait possible, c’est l’avenir parce que le modèle actuel est entropique. C’est-à-dire qu’il est en train de produire de l’indifférenciation et du dégoût. L’affaire Snowden, vous allez voir, va produire un choc terrible par rapport au modèle actuel des réseaux sociaux. Il est donc essentiel que l’Europe lance une nouvelle politique. Le Ministère de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur en France, avec le Ministère de l’Industrie, devrait porter une politique industrielle dans ce domaine.
Marc Voinchet :
Que fait Mme Fioraso, alors ? Elle se croise les bras ?
Bernard Stiegler :
Ben, je pense que Mme Fioraso est en train d’y réfléchir et de constituer des groupes de réflexion sur ce domaine et que les choses vont certainement évoluer dans l’avenir.
Marc Voinchet :
Ah ! Qui sait ? Peut-être il y aura une bonne nouvelle. Je voulais, sur cette question politique, ça a été constaté très souvent. Écoutez donc, c’est sur Place de la Toile, le 1er décembre dernier au forum de Libération à Nancy, Divina Frau-Meigs, professeure à Paris III en Sciences de l’information, imputait ce retard français en matière du numérique à des décideurs peu convaincus.
Divina Frau-Meigs :
Les Français sont très intelligents et très bien formés, c’est ça leur problème. C’est ça leur problème, ça marche pour eux. Pendant longtemps ils ont cru que ça marcherait pour eux et ça marchait pour eux tant qu’il n’y avait pas le trans-frontières, le trans-national. Là, maintenant, il faut quand même se remettre en cause. Moi, je n’ai aucun doute sur la capacité française à innover, à s’articuler sur cette nouvelle culture numérique et à être même leader dans l’innovation. On l’a prouvé à plein de niveaux. En ce moment, au niveau de l’éducation, on va dire, il y a une sclérose totale, qui est en partie due au fait que nous sommes extrêmement centralisés. Donc, tant que les verrous du centre ne sautent pas, ça ne peut pas s’étaler à l’échelle nationale. Donc, il faut convaincre nos décideurs. Nos décideurs ont réussi dans un système qui n’était pas celui-là. Donc, pour eux, il n’y a aucune raison que ça change. Ils ont du mal à se projeter dans le futur des jeunes. En plus, ils en sont extrêmement coupés, des jeunes.

Donc, il y a toute une série comme ça de scléroses qui se sont mises en place depuis 30 à 40 ans, qui fait que les verrous sont des décideurs peu convaincus par le numérique, qui lorsqu’on leur en parle, soit font de la langue de bois, c’est-à-dire l’inscrivent dans les textes mais n’agissent pas et ne mettent pas les ressources à disposition, soit disent « ah bon, alors la solution c’est l’alphabétisation, on retourne à : bien savoir lire et écrire ».
Marc Voinchet : Voilà, Divina Frau-Meigs, dans l’émission de Xavier de la Porte « Place de la Toile » au 1er décembre dernier. Bernard Stiegler, tout de même, c’est assez compliqué à comprendre parce que ça n’en finit pas, justement c’est ce qu’elle dénonce Mme Divina Frau-Meigs, mais ça n’en finit pas les colloques, les assises, les tables rondes, les... De Nicolas Sarkozy à aujourd’hui on a eu tout ce que vous voudrez de forums sur le numérique avec les plus grands noms de la planète venant sous des tentes au jardin des Tuileries. Comment se fait-il qu’en même temps, du coup, on dise qu’il n’y ait pas de politique ? Tout le monde en fait, en parle.
Bernard Stiegler : Il y a une difficulté fondamentale, si vous voulez, c’est que la vitesse des transformations du numérique ne correspond pas du tout à la vitesse de transformation des institutions. À partir de là, il faut se donner des moyens exceptionnels. Je soutiens, moi, par rapport à la politique qui a été portée par Vincent Peillon, d’introduction du numérique à l’école − et je suis pour l’introduction du numérique à l’école − qu’en même temps, d’un point de vue purement théorique, d’un point de vue purement contemplatif, il n’est pas rationnel d’introduire le numérique à l’école sans l’avoir d’abord introduit à l’université.
Comment introduire le numérique à l’école, c’est-à-dire mettre entre les mains des professeurs des responsabilités auxquelles ils n’ont pas été formés ? Ça n’est pas possible ! C’est irrationnel. Comment le monde académique pourrait-il mettre en main une politique qui ne soit pas rationnelle ? Ce serait un déni de sa propre mission.
En réalité, on n’a pas le choix. On n’a pas le choix parce que le numérique va beaucoup plus vite que la décision politique, institutionnelle, et que la formation. Mais ça veut dire qu’il faut se donner des moyens exceptionnels de travail. Je plaide, moi, pour la réactivation d’un modèle de Kurt Lewin qui s’appelle la « Recherche-Action ». Et en ce moment, j’essaye de convaincre au sein du Conseil National du Numérique, au sein du Ministère de la Recherche, du Ministère de l’Éducation Nationale, qu’il faut mettre en place un programme de thèses massif. J’ai proposé dans un journal de Microsoft que chaque année 500 thèses en France soient financées pour que dans toutes les disciplines, la grammaire, le sport, les mathématiques, etc, on demande aux thésards de travailler sur l’impact du numérique sur leur discipline et d’utiliser le numérique pour valoriser leur travail.
Pourquoi je dis utiliser le numérique ? Parce qu’aujourd’hui on ne publie plus une thèse sous une forme papier, 10 ans ou 15 ans après l’avoir écrite. On produit sur Internet des processus de publication en littérature grise électronique et on peut socialiser cela via Wikipédia, et que ça va extrêmement rapidement. Il faut donc mettre en place une politique tout à fait particulière d’éditorialisation du travail de recherche, en recherche-action, en conditionnant l’allocation de ressources de ces thésards au fait qu’il vont travailler sur des terrains, avec des enfants, par exemple dans, je sais pas, l’enseignement des maths dans un collège, etc, etc. et qu’il va y avoir, à travers cela une mobilisation nationale. C’est à cette échelle là que ça devrait être porté par le Président de la République un programme comme cela, parce que c’est vraiment une question de survie de la France et de l’Europe.
Marc Voinchet : Caroline Fourest. Attendez, il nous faut bientôt conclure, donc je voudrais que les questions puissent tout de même tourner, Caroline Fourest.
Caroline Fourest : Revenir, juste d’un mot, à l’impact du numérique sur le débat démocratique. Parce qu’il y a ce que les politiques publiques peuvent faire et il y a ce que aussi les citoyens peuvent faire par eux-mêmes par une sorte d’auto-éducation, une sorte d’étiquette, de netiquette (l’éthique sur le net). Et notamment, quand Brice Couturier disait sur les réseaux sociaux on n’a plus que des débats entre des mêmes, on est poussé vers le mimétisme. Il y a d’un côté ça et de l’autre, il y a l’injure, l’incitation à la haine, qui semble être son opposé. Et entre les deux, il n’y a rien. C’est-à-dire qu’effectivement, il n’y a pas d’éducation au débat argumenté, contradictoire, qui ne verse pas dans l’injure et dans l’incitation à la haine.
Comment imposer…

Marc Voinchet :
Sur l’affaire des tweets antisémites, il faut rappeler que Twitter a finalement accepté de donner quelques données privées à la justice pour justement essayer de, voilà…
Caroline Fourest :
C’est pas que les tweets antisémites, c’est que tout débat…
Marc Voinchet :
C’est dans l’actualité en ce moment.
Caroline Fourest :
Effectivement, si c’est l’agora de demain, dans cette agora, il n’y a la place que pour ceux qui sont d’accord ou que pour ceux s’injurient et qui s’insultent. Entre les deux, il n’y a pas une éducation et notamment, il y a toute une génération qui considère que tout se vaut, les insultes comme les argumentaires.
Bernard Stiegler :
Vous savez, je parlais tout à l’heure de Socrate et de Platon. Qu’est-ce que disent Socrate et Platon ? Ils disent il faut dépasser la rhétorique, il faut entrer dans la dialectique, c’est-à-dire dans l’argumentation. Il faut mettre en place pour ça les procédures de pratique de l’argumentation.

Aujourd’hui, le web est fait pour niveler absolument tout. La règle du web, en fait, c’est l’audimat. C’est un audimat que j’appelle chirurgical, mais c’est fait pour pouvoir niveler tout au niveau d’un contrôle de l’audience. Il faut développer un nouveau web, qui est un web qui repose sur une technologie de la controverse. Je reprends un terme que chérit beaucoup Bruno Latour, parce que Bruno Latour dit, tout à fait à juste titre « Qui fait avancer la raison ? C’est la controverse. » La controverse, ce n’est pas qu’on s’insulte ou je sais pas quoi, c’est qu’on s’envoie des arguments contradictoires. Aujourd’hui, il faut développer des technologies qui permettent aux arguments contradictoires de se consolider sur le web. Qu’est-ce qui fait le web dans sa consolidation ? C’est ce qu’on appelle les metadata. Les metadata ce sont les indexations, les annotations, les commentaires.
Il faut élaborer des technologies de production de tout cela, rationnelles avec des débats et une démocratie de discussion là-dessus des phénomènes sélectifs. Nous sommes en train, à l’IRI, de travailler là-dessus et je pense qu’aujourd’hui le Ministère de la Recherche, le Ministère de l’Industrie, le Ministère de la Culture, ... le Ministère de la Culture qui est en responsabilité des médias, de la presse, etc, qui sont extrêmement menacés par ça. Si nous développions une vraie politique dans ce domaine, ça relancerait un secteur éditorial français, qui serait à la pointe, à travers l’édition universitaire, une édition scolaire, la presse et ça redonnerait un souffle à ce qui est en train de mourir en France.
Fin de l’émission - Musique

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.