Projet de loi numérique - Roberto Di Cosmo et la publication des travaux de recherche

Titre :
Ce qu’ils ont retenu du projet de loi numérique - Un cadre de réflexion désuet et la vraie question pas posée
Intervenant :
Roberto Di Cosmo
Lieu :
France-Culture
Date :
Novembre 2015
Durée :
04 min 33
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Transcription

Au moment où la consultation a été ouverte sur Internet, plein de collègues, moi et d’autres, se sont saisis de la question. On a découvert un texte de loi qui ne convenait absolument pas à ce qu’on attendait, et donc, là, il faut quand même dire que c’était exceptionnel, qu’on puisse ouvrir une consultation comme ça, ça nous a permis de nous ressaisir du sujet, et de pouvoir contribuer, discuter, débattre, et proposer des améliorations. En particulier, la vraie question est « qui est propriétaire des résultats d’une recherche scientifique ? ». Ce qu’on a trouvé dans ce texte-là, c’était un cadre intellectuel de raisonnement autour de la publication scientifique qui est, à notre avis, je parle pour moi et pour les collègues que j’ai représentés, désuet.
La question de dire : « À partir de combien de mois j’ai le droit de prendre une copie de mon article scientifique, le mettre sur Internet, etc ». Ça nous donne presque l’impression qu’on est des pirates, des voleurs, donc on vole quelque chose qui appartient à des éditeurs. On demande de pouvoir le mettre gratuitement sur Internet, comme si c’était faire la copie d’un film ou de la musique. Non, non, ça n’a rien à voir avec tout ça. D’accord ?
Le cadre intellectuel dans lequel on travaille c’est : nous sommes des chercheurs, nous produisons de la connaissance, nous écrivons des articles, nous sommes les auteurs de ces articles. OK ? Donc, nous voulons, nous, garder le droit de notre travail, notre travail en tant qu’auteurs, et pouvoir faire, avec notre travail, ce que nous souhaitons. En particulier, s’il s’agit d’un chercheur public, évidemment, pourquoi pas, l’État pourrait lui demander « comme tu es un chercheur public, je t’invite fortement, ou même je te demande, ou je t’impose, de rendre ton travail disponible sur une archive ouverte, pour tout le monde ». On pourrait imaginer quelque chose comme ça. Mais ce n’est pas ça la question.
La question est : « Qui a le droit de décider si oui ou non, je publie mon article sur une page Internet, si je veux faire une collection, si je veux faire une variante, si je distribue à mes étudiants ou pas ? Qui a le droit de faire ça ? ». Là je ne suis pas en train de prendre la dernière chanson de Madona et la distribuer à mes étudiants. Je suis en train de prendre un travail, à moi, ce que j’ai écrit. Je suis l’auteur. Pourquoi ? Pour distribuer mon travail, j’ai besoin de l’autorisation d’un imprimeur, qui m’a fait signer un contrat, soi-disant d’édition, dans lequel il extrait de moi tous les droits, de façon exclusive, sans payer rien du tout. Donc il faut bien comprendre que ça c’est unique dans le monde. Il n’y a aucun autre pan de création intellectuelle, dans lequel un auteur se voit dépossédé de la totalité de ses droits en échange de rien. Si vous écrivez un roman, vous passez un contrat avec votre éditeur, vous lui cédez tous les droits, mais l’éditeur vend le livre, et vous percevez des revenus. C’est votre intérêt. D’accord ?
Les scientifiques, ne font pas ça. Ils n’ont jamais demandé à être rémunérés. Ils veulent juste que leur travail soit diffusé le plus largement possible. Ce qui était possible grâce à votre imprimeur, il y a trente ans, avant Internet, ce qui est devenu impossible à cause des imprimeurs, maintenant qu’on a Internet. C’est un grand paradoxe. D’accord ? On a été marié par intérêt avec les imprimeurs, il y a très longtemps. Imaginons une époque sans Internet. Je suis un scientifique, je veux que ma connaissance soit diffusée le plus largement possible, parce que c’est ma richesse, si les gens me lisent, c’est très important, ils apprennent sur ce que je suis en train de faire, ils connaissent ce que je suis en train de faire. À cette époque-là, la seule solution était de faire en sorte que mon travail soit disponible dans plein de bibliothèques, le plus rapidement possible. Donc l’intérêt c’était d’avoir un imprimeur qui prend et qui me disait simplement « eh bien écoutez, donnez-moi tous vos droits, mais ce n’est pas important. La seule chose que je vais faire c’est diffuser le plus rapidement possible ». Et là, on était d’accord. Aujourd’hui, avec Internet, ce n’est plus le cas. Pour moi, pour diffuser le plus rapidement possible, c’est de mettre en ligne, dès que j’ai terminé de l’écrire, dès que ça été évalué par mes pairs, pas par les imprimeurs. Et les imprimeurs disent : « Non, non, il ne faut pas le faire. Attendez au moins un an, voire deux ans, voire trois ans, voire quatre ans, avant de le mettre en ligne, parce que vous comprenez, sinon nous, on ne gagne pas d’argent ». Mais attendez, ce n’était pas le deal qu’on avait passé il y a trente ans. Ils vous expliquent « ah oui, mais, entre temps, nous on a construit tout un modèle économique autour de ça ». Mais ce n’était pas la question.
Il faut revenir au vrai problème, au vrai principe originaire. Le principe originaire c’est « nous sommes des auteurs, nous sommes aujourd’hui spoliés de nos droits, sans aucun type de dédommagement et rémunération. Et on nous interdit de rediffuser, de redistribuer notre propre travail, alors que nous souhaitons le faire ». Ça n’existe nulle part ailleurs. Donc on demande tout simplement que tout ceci s’arrête.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.