Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l’émission du 12 novembre 2019

Titre :
Émission Libre à vous ! diffusée mardi 12 novembre 2019 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s :
Jean-Christophe Becquet - Anca Luca - Pierre Slamich - Vincent Calame - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
Lieu :
Radio Cause Commune
Date :
12 novembre 2019
Durée :
1 h 30 min
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Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
Bannière radio Libre à vous - Antoine Bardelli ; licence CC BY-SA 2.0 FR ou supérieure ; licence Art Libre 1.3 ou supérieure et General Free Documentation License V1.3 ou supérieure. Logo radio Cause Commune, avec l’accord de Olivier Grieco.

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

logo cause commune

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. Cause Commune, la radio, c’est de midi à 17 heures puis de 21 heures à 4 heures en semaine, du vendredi 21 heures au samedi 16 heures et le dimanche de 14 heures à 22 heures. C’est un peu dur à suivre parce que c’est un temps partagé avec une autre radio. Toutes les infos sont sur le site de la radio.

La radio dispose également d’une application Cause Commune pour téléphone mobile.
Merci d’être avec nous aujourd’hui pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Nous sommes mardi 12 novembre 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
La radio dispose d’un salon web, utilisez votre navigateur web, allez sur causecommune.fm, cliquez sur « chat » et vous pouvez nous rejoindre sur le salon dédié à l’émission pour réagir ou poser des questions aux personnes invitées aujourd’hui.
Le site web de l’April c’est april.org et vous y retrouverez une page consacrée à l’émission avec les références utiles et les moyens de nous contacter.

Si vous souhaitez réagir en direct vous pouvez utiliser le salon web ou vous pouvez également tout à l’heure nous appeler au 09 50 39 67 59, je répète 09 50 39 67 59.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.
On va commencer par le programme de l’émission.

Nous commencerons dans quelques secondes par la chronique de Christophe Becquet, président de l’April, qui portera sur la musique, le domaine public, les droits voisins, avec notamment le projet Musopen, la musique classique libérée.

D’ici une quinzaine de minutes nous aborderons notre sujet principal qui portera Open Food Facts, une base de données sur les produits alimentaires, faite par tout le monde et pour tout le monde.

En fin d’émission nous aurons la chronique de Vincent Calame, bénévole à l’April, qui portera sur la clause Pas d’usage commercial de certaines licences Creative Commons.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred.
Frédéric Couchet : On va vous proposer, comme à chaque émission, un petit quiz et on donnera les réponses au fur et à mesure. Évidemment, vous pouvez communiquer les réponses les réseaux sociaux ou nous appeler.

Aujourd’hui nous allons parler d’Open Food Facts qui utilise notamment un système d’étiquetage nutritionnel et un système de classification concernant la répartition des aliments en quatre groupes en fonction du degré de transformation des matières dont ils sont constitués. Les questions : quels sont les noms de ces deux systèmes ? Évidemment vous aurez la réponse dans le cadre du sujet long avec une explication détaillée.

Deuxième question. Lors de l’émission de la semaine dernière, du 5 novembre 2019, notre sujet principal portait sur les femmes et l’informatique. Sauriez-vous citer les noms des associations créées par des femmes, réservées aux femmes, notamment pour qu’elles puissent s’exprimer librement, échanger, rassembler les voix des femmes dans l’informatique et également mener des actions. La réponse en fin d’émission.
Tout de suite place au premier sujet.
[Virgule musicale]

Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet, président de l’April, Musopen : la musique classique libérée

Frédéric Couchet : Texte, image, vidéo ou base de donnéese sélectionné pour intérêt artistique, pédagogique, insolite, utile, Jean-Christophe Becquet, président de l’April, nous présente une ressource sous une licence libre. Les auteurs de ces pépites ont choisi de mettre l’accent sur les libertés accordées à leur public, parfois avec la complicité du chroniqueur, c’est la chronique « Pépites libres ». Jean-Christophe, tu es normalement avec nous au téléphone depuis Digne-les-Bains.
Jean-Christophe Becquet : Oui. Bonjour Fred, bonjour à tous, bonjour à toutes.
Frédéric Couchet : Bonjour Jean-Christophe. Le sujet du jour c’est la musique, le domaine public, les droits voisins et Musopen, la musique classique libérée.
Jean-Christophe Becquet : En effet. Le droit d’auteur réserve au créateur d’une œuvre un monopole temporaire sur l’exploitation de son travail. Ce privilège, qu’on appelle le droit patrimonial, interdit toute reproduction ou représentation de l’œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. En droit français, cette restriction se prolonge 70 ans après la mort de l’auteur. Ensuite, les œuvres basculent dans ce que l’on appelle le domaine public.

Le domaine public désigne donc l’ensemble des œuvres pour lesquelles les droits patrimoniaux ont expiré et dont le public devrait pouvoir profiter librement. Malheureusement, c’est un petit peu plus compliqué que cela et d’autres droits se superposent au droit d’auteur pour venir restreindre encore les usages. Ce sont, entre autres, les droits voisins du droit d’auteur. Dans le cas de la musique, les droits voisins recouvrent les droits des producteurs et des interprètes.
Ainsi, pour la musique classique, s’il ne fait aucun doute que les compositions de Mozart, Beethoven ou Chopin appartiennent au domaine public, la plupart des enregistrements sont encore sous le joug de restrictions pour plusieurs décennies. En effet, la durée des droits voisins des interprètes a été prolongée de 50 à 70 ans par le Parlement européen en 2011. Cette directive a été transposée dans le droit français en 2015.
C’est pour dépasser ces restrictions qu’Aaron Dunn a lancé en 2005 le projet Musopen, ma pépite du jour. Musopen est une organisation américaine à but non lucratif dont l’objectif est de libérer les enregistrements de musique classique. Comment ? Eh bien en proposant à des musiciens professionnels d’enregistrer des œuvres pour les offrir au public. Musopen sollicite le soutien à travers des campagnes de financement participatif. Les artistes sont rémunérés. Simplement, au lieu d’une rente basée sur la diffusion de chaque enregistrement, ils perçoivent une rétribution pour leur travail au moment de son exécution. Ensuite, on leur demande de donner leur accord pour une diffusion libre, donc de renoncer contractuellement à leurs droits voisins d’interprète.
En 2012, le projet Musopen a par exemple levé 68 000 dollars, environ 62 000 euros, six fois l’objectif initialement fixé, auprès de plus de 1 200 contributeurs. Cet argent a permis de financer l’Orchestre symphonique de Prague pour enregistrer des œuvres de Beethoven, Brahms ou Tchaïkovski. En partageant librement les fruits de ce travail, Musopen a contribué à rendre accessibles à tous ces trésors de notre patrimoine musical.
Le site Musopen propose aujourd’hui un catalogue musical riche de plus de 5000 enregistrements partagés selon le régime du domaine public ou une licence libre, la licence Creative Commons BY-SA. D’autres enregistrements sont sous des licences de libre diffusion, c’est-à-dire qu’elles restreignent les utilisations commerciales ou la production de versions modifiées, licences Creative Commons NC ou ND, on ne peut donc pas les considérer comme libres. Pour chaque fichier, Musopen indique de manière très claire sous quelle licence il est disponible. On peut donc faire des recherches en filtrant selon la licence.

Musopen propose aussi un espace de partage de partitions musicales d’œuvres également passées dans le domaine public.

Musopen propose un accès gratuit mais limité aux téléchargements. Pour bénéficier de l’ensemble des services, il faut souscrire un abonnement payant. Notons que ce n’est absolument pas antinomique avec les licences libres que d’exiger une participation financière, par exemple, dans le cas de Musopen, pour télécharger plus de cinq fichiers par jour. Comme pour les logiciels, le gratuit n’est pas automatiquement libre et libre n’est pas forcément gratuit !
On trouve d’autres initiatives similaires comme Open Goldberg Variations qui a permis de libérer l’enregistrement et la partition des Variations Goldberg, une œuvre pour clavecin composée par Jean-Sébastien Bach.

Citons également Florence Robineau, pianiste et professeure au conservatoire de Rungis. Elle enregistre des morceaux de musique classique et les partage sous licence libre Creative Commons BY-SA.
Ces projets constituent un bel exemple d’utilisation des licences libres. Il est important de rappeler que ces licences s’appuient sur le droit d’auteur. En effet, dans le cas des interprétations musicales libérées par Musopen, Open Goldberg Variations ou Florence Robineau, c’est précisément parce que l’Internet [l’interprète, NdT] dispose d’un privilège sur son œuvre qu’il peut choisir de la partager sous licence libre.
Frédéric Couchet : Merci Jean-Christophe. En fait ce n’était pas « l’Internet », c’est « l’interprète », même Étienne rigole en régie ; je trouve que ce lapsus est assez révélateur.

Je précise qu’on a écouté un extrait d’Open Goldberg Variations, de mémoire c’était l’émission du 9 juillet 2019, les références sont sur April et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm. On rajoutera aussi le site de Florence Robineau qui partage ses musiques [interprétations] sous licence libre. C’est assez marrant parce que juste avant le début de l’émission je parlais avec Pierre Slamich, qui est l’un des invités pour le sujet d’après, justement de cette difficulté à trouver des morceaux de musique classique sous licence libre. J’espère que ta chronique permet aux gens de comprendre qu’en dehors du droit d’auteur il y a les fameux droits voisins ce qui fait que ça rend aujourd’hui effectivement, alors que, comme tu le dis, toutes ces musiques, toutes ces partitions sont dans le domaine public, le fait de trouver des interprétations disponibles librement très compliqué.
Jean-Christophe Becquet : Oui, en effet. Je rajouterai sur la page de l’émission les références du site Musopen, musopen.org, les Open Goldberg Variations, le site de Florence Robineau et quelques articles de presse, notamment sur Numerama, qui expliquent un petit peu la genèse et le succès de ces projets, notamment la levée de fonds dont je parlais tout à l’heure pour le projet Musopen.
Frédéric Couchet : Excellent. Comme tu parles de musique classique et de Musopen on va faire une pause musicale qui est intégrée dans ta chronique. Tu nous as suggéré d’écouter Peer Gynt, Morning Mood composé par Edvard Grieg. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Morning Mood, suite no. 1, Op. 46 interprétée par Peer Gynt composée par Edvard Grieg.
Voix off : Cause Commune 93.1
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Peer Gynt, Morning Mood composé par Edvard Grieg, disponible sous licence libre Marque du Domaine Public et vous retrouverez les informations sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio causecommune.fm.
Vous écoutez l’émission toujours Libre à vous ! sur radio Cause commune 93.1 FM en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.

Nous allons maintenant attaquer notre sujet principal.
[Virgule musicale]

Open Food Facts, base de données sur les produits alimentaires faite par tout le monde, pour tout le monde, avec Anca Luca et Pierre Slamich

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur Open Food Facts, base de données sur les produits alimentaires, faite par tout le monde pour tout le monde. Avec nos invités, Anca Luca.
Anca Luca : Bonjour.
Frédéric Couchet : Et Pierre Slamich. Bonjour Pierre.
Pierre Slamich : Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : De l’association Open Food Facts France. Avant de leur passer la parole pour une petite introduction et pour lancer la discussion, je ne sais pas si vous avez vu, il y en ce moment un pub pour une soupe industrielle qui passe à la télé et qui remercie les consommateurs et les consommatrices d’avoir fait grandir les soupes. Dans cette pub il y a plusieurs messages, le premier c’est « merci d’avoir râlé au sujet des soupes toutes prêtes ». On voit une personne qui mange une soupe et qui dit : « C’est tellement salé qu’on pourrait déneiger avec », une autre s’interroge : « E621, c’est quoi comme légume ? » Cette pub est là évidemment pour nous indiquer que le fabricant a amélioré la recette de ses soupes en mettant de l’eau, des bons légumes, des ingrédients naturels, enfin ! Si on en croit la pub évidemment ! Mais que nous dit l’étiquette ? Eh bien c’est l’un des sujets qu’on va aborder aujourd’hui avec Open Food Facts qui, comme je l’ai dit tout à l’heure, est une base de données sur les produits alimentaires faite par tout le monde et pour tout le monde. Évidemment, les personnes qui nous écoutent vont être intéressées à la fois par l‘utilisation et éventuellement la contribution.

D’abord petite question personnelle, votre parcours. Est-ce que vous pourriez vous présenter ? On va commencer par Anca Luca.
Anca Luca : Bonjour. Je suis ingénieure informatique à la base, c’est ça mon métier et j’ai fait du développement de logiciel libre pendant toute ma vie professionnelle depuis 12 ans maintenant et, depuis quelques années, j’ai découvert Open Food Facts. J’ai participé, j’ai fait des contributions de données libres au début. J’ai fait quelques contributions, très peu, de logiciel, de code ; après j’ai participé à la vie de l’association, j’ai tenu des stands, j’ai présenté le projet à plusieurs endroits. Depuis quelques mois je suis présidente de cette association.
Frédéric Couchet : D’accord. Et tu travailles professionnellement pour une société qui s’appelle XWiki, qui fait du logiciel libre et qu’on salue au passage. Pierre Slamich.
Pierre Slamich : Je ne suis pas du tout programmeur à la base. Dans une vie antérieure j’ai été dans la finance et dans la science politique et, en fait, je suis tombé sur le sujet de l’alimentation un peu par hasard. En 2012, on a constaté que c’était très compliqué de se repérer dans les supermarchés, donc on s’est dit « si on créait le Wikipédia des aliments ». On a cofondé l’association Open Food Facts pour apporter plus de transparence sur les produits quotidiens.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc tu l’as cofondée avec Stéphane Gigandet. On attaque directement après la présentation personnelle rapide avec la première question. Effectivement c’est de plus en plus connu, j’ai l’impression qu’on voit de plus en plus de gens dans les magasins avec leur tablette ou téléphone mobile pour scanner les aliments. C’est quoi une application mobile de base de données de produits alimentaires et la genèse du projet Open Food Facts ? Quel problème vous vouliez résoudre ? Pierre, tu es un des cofondateurs, on va commencer par toi. Pierre Slamich.
Pierre Slamich : On s’était rendu compte, par exemple si on veut choisir les céréales de petit déjeuner pour ses enfants et qu’on va au supermarché, eh bien qu’on se retrouve face à un rayon qui fait dix mètres de long, où il va y avoir des dizaines et des dizaines de paquets, une quarantaine, une cinquantaine de paquets différents et, au final, on se demande « comment est-ce que je fais ? » Il faudrait retourner les paquets un à un, noter les ingrédients. Enfin en 2012 il fallait noter les ingrédients et ensuite comparer. Personnellement je n’ai jamais compris ce que voulait dire le tableau nutritionnel. L’idée c’était de voir si on pouvait collecter toutes ces données de manière citoyenne, de manière participative, et, du coup, en faire des choses utiles, on en parlera plus tard, calculer le Nutri-Score et ce genre de choses.
Frédéric Couchet : D’accord. Open Foods Facts le démarrage c’est donc 2012, c’est ça ?
Pierre Slamich : C’est ça. On démarre en 2012 avec zéro produit et là on vient d’arriver à un million, donc beaucoup de chemin parcouru en quelques années.
Frédéric Couchet : D’accord. Question avant de passer la parole à Anca, est-ce qu’il y avait déjà à l’époque d’autres outils de ce même genre ? Est-ce qu’il en existait déjà ?
Pierre Slamich : Les bases de données nutritionnelles ce n’est pas une idée neuve, il y en avait déjà sur le Minitel.
Frédéric Couchet : Je parle avec un téléphone mobile qui permet de scanner.
Pierre Slamich : C’était une idée absolument nouvelle à l’époque, c’est-à-dire que non seulement il n’y avait pas de bases de données ouvertes, il y avait juste des bases qui appartenaient aux fabricants agroalimentaires et, en plus, on ne pouvait pas scanner le code barre pour obtenir, en un instant, une fraction de seconde, des résultats clairs et synthétiques. Donc ça a été une grosse nouveauté d’Open Food Facts et la deuxième grosse nouveauté d’Open Food Facts c’était que chacun pouvait participer à la révolution alimentaire en ajoutant des produits qui n’existaient pas encore dans la base.
Frédéric Couchet : D’accord. On va y revenir dans la partie contribution. Anca, les objectifs c’est quoi ? C’est un meilleur bien-être ? C’est de consommer en toute connaissance de cause, quitte à consommer des choses qui sont peut-être nutritionnellement pas très bonnes mais gustativement très addictives. C’est quoi les objectifs au fond ? Par exemple toi, qu’est-ce qui t’a intéressé à participer à ce projet et à partir de quand tu as participé à ce projet ?
Anca Luca : Je vais parler seulement pour moi parce que je ne peux pas parler des objectifs de chacun. Open Food Facts, comme le nom le dit, il y a quand même le mot « Facts » dedans qui veut dire des faits. Donc on essaie de présenter les faits et de faire en sorte que les gens, que les citoyens, connaissent les faits sur les produits alimentaires. C’est assez difficile à trancher entre ce qui est un fait et ce qui est une opinion. On essaie de rester dans des choses qui sont très proches d’informations claires. C’est pour ça qu’aujourd’hui notre base de données est construite à partir des informations qui viennent des étiquettes de produits. Pour expliquer un peu comment ça marche pour les gens qui nous écoutent : on scanne un produit avec son téléphone mobile, donc on scanne le code barre de ce produit et, pour ajouter ce produit à la base de données, on prend des photos de l’emballage de ce produit, une photo du devant de l’emballage et après la liste des ingrédients, le tableau nutritionnel. Après on extrait ces informations de ces images et on les met dans la base de données. Pourquoi l’emballage du produit ? Parce que les lois agissent sur les emballages. Un producteur industriel qui produit des produits alimentaires est tenu par la loi à dire le maximum de vérité sur l’emballage. Je dis « maximum de vérité » parce que des fois on n’est pas sûr, mais bon ! Les lois agissent là-dessus et pas sur d’autres sources d’information.

Mon objectif, tel que moi je le vois, c’est de fournir ces informations aux gens et de laisser la possibilité aux gens de se faire leur propre opinion en essayant de donner ce qui est connu et accepté comme étant vrai et pas forcément sujet à discussion. C’est assez flou, c’est assez large.

Pourquoi je suis venue dans le projet, je pense que c’était 2014-2015, je ne me rappelle plus.
Pierre Slamich : 2014 je crois.
Anca Luca : 2014 peut-être, c’est à cause des soupes d’une marque, qui passe maintenant.
Pierre Slamich : Ces fameuses soupes !
Anca Luca : Ces fameuses soupes !
Frédéric Couchet : En fait j’avais préparé, je savais qu’Anca était venue par les soupes.
Anca Luca : Tout à fait. Moi je suis arrivée par les soupes. J’ai croisé Stéphane Gigandet sur un salon, j’ai découvert le projet, j’ai installé l’application et j’ai commencé à regarder un peu dans mon frigo, dans mon placard. C’est à cause des soupes : j’ai découvert qu’il y avait un additif dans une de ces briques de soupe, un additif qui n’était pas forcément un légume – je ne pense que c’était le même E de la pub, mais bon ! – et j’étais curieuse de savoir si cet additif se retrouvait dans toutes les soupes en brique. C’était notamment le glutamate monosodique, je ne sais pas exactement le nom, c’est un exhausteur de goût, donc je me suis dit « ça doit être normal parce que les légumes en brique n’ont pas trop de goût, donc il doit y en avoir dans toutes les soupes ». Je suis allée sur le site openfoodfacts.org et j’ai découvert que non, il y a des soupes en brique qui n’ont pas du tout cet additif, donc un meilleur choix est possible et après c’est à moi de faire ce choix-là. Je me suis dit « c’est très intéressant, tout le monde devrait avoir la possibilité de faire ce genre de chose, ce genre de recherche, de comparaison de produits et avoir accès à la donnée qui leur permettra de comprendre un peu plus ce qu’ils mangent ».
Frédéric Couchet : D’accord. La question qui me vient, qui va être un peu une question centrale parce que je pense que c’est l’un des points que les gens qui nous écoutent doivent comprendre. Moi par exemple, la première fois que j’ai lancé Open Food Facts c’est un peu le truc qui m’a le plus perturbé, c’est qu’il y a deux notions, il y a deux systèmes de notation, en tout cas de valeur ou je ne sais pas, qui sont le Nutri-Score et l’indice NOVA. Donc on va expliquer que quand on est dans un magasin, on scanne, comme l’a dit Anca, le code barre avec l’application Open Food Facts et là on a l’image, la photo du produit qui s’affiche et on a deux éléments qui apparaissent tout de suite : le Nutri-Score et l’indice NOVA.

Pierre, est-ce que tu pourrais nous expliquer ces deux systèmes et à quoi ils servent exactement ? Est-ce que l’un est plus important que l’autre ou pas ? Je ne sais pas. Pierre Slamich.
Pierre Slamich : Comme vient de le dire Anca, un des buts d’Open Food Facts c’est vraiment de collecter cette information et d’offrir des clés de déchiffrage face à la complexité des étiquettes et on veut que ces clés de déchiffrage soient basées sur des faits, sur des travaux scientifiques éprouvés, donc on affiche deux scores importants, très importants.

Le Nutri-Score c’est cette note de A à E qu’on commence à voir apparaître sur les emballages et qu’on a calculé dès sa création, qui permet donc d’avoir la qualité nutritionnelle d’un produit. Ça prend en compte des choses comme les protéines, les fibres, donc des points positifs de ce genre de nutriments qui sont favorables à la santé et des points négatifs pour les choses un peu plus défavorables comme le sel, le sucre, le gras, etc. Donc c’est le Nutri-Score de A à E comme une note à l’école, ça permet vraiment de voir la qualité nutritionnelle.

Et le deuxième indicateur qu’on affiche c’est le groupe NOVA, là ça va de 1 à 4 et ça indique le niveau de transformation d’un produit alimentaire. Est-ce qu’un produit alimentaire est brut, par exemple les légumes, les choses qu’on peut acheter sur le marché, ou est-ce qu’il est transformé, voire ultra-transformé, par exemple le cas de vos soupes, elles sont probablement NOVA 4.

Le Nutri-Score est un score français créé par le professeur Hercberg, la personne qui a notamment créé les cinq fruits et légumes par jour qu’on connaît tous. Le NOVA est un score de recherche brésilien, par le professeur Monteiro, sur cette problématique de est-ce que les aliments qu’on mange sont ultra-transformés, sachant que le programme national Nutrition Santé recommande de réduire cette part d’aliments transformés dans l’alimentation parce que ça pose des problèmes au niveau de la santé.
Frédéric Couchet : D’accord. Je viens d’ouvrir Open Food Facts. Je précise que pour la fameuse soupe dont on ne va pas citer la marque le Nutri-Score c’est B et l’indice NOVA c’est 4. En gros, le Nutri-Score B c’est surtout parce qu’il y a du sel mais en quantité quand même modérée.
Pierre Slamich : C’est déconcertant.
Frédéric Couchet : Justement, je vais en venir à la question. Je n’utilisais pas cette application-là, par contre, en préparant l’émission, j’ai appris qu’il y avait une autre application qui existait, ce sera peut-être l’occasion d’en parler un peu sur le fonctionnement tout à l’heure, qui s’appelle Yuca. La personne à qui j’ai demandé de tester m’a dit : « Yuca, elle, affiche une note de 1 à 100 et une évaluation sur quatre critères – excellent, très bon, moyen et insuffisant – quelque chose comme ça. En tout cas la personne m’a dit : « Ça c’est beaucoup plus clair, pour moi c’est facile à comprendre : si c’est 80 sur 100 c’est que c’est bon ! » En testant Open Food Facts la personne m’a dit : « Je n’y comprends rien parce là tu as un Nutri-Score qui est à B, donc plutôt pas trop mal, et tu as un NOVA qui est 4 et, bien sûr, le NOVA 4 apparaît en rouge parce que c’est le pire ». C’est ce côté-là qui peut être un peu perturbant. Là-dessus, qu’est-ce que vous avez à répondre Pierre et Anca ?
Pierre Slamich : C’est justement ça qui est très intéressant. On a choisi de montrer le paradoxe du produit. Je prends un exemple extrême : le Coca-Cola zéro va avoir un Nutri-Score B parce qu’effectivement il n’y a pas de sucre dans le Coca, il n’y a pas de graisses, etc., par contre il y a plein d’additifs dans le Coca zéro, il y en a même encore plus que dans le Coca classique, donc il va être NOVA 4, produit ultra-transformé.

On a choisi de ne pas tout agglomérer, littéralement de ne pas mélanger les fruits et les légumes, les pommes et les bananes ensemble, mais plutôt de montrer : ce produit va être bon nutritionnellement, par contre les ingrédients vont être bizarres. On affiche même, depuis peu, l’impact environnemental du produit, l’impact carbone du produit et des produits qui sont bons pour vous vont parfois être mauvais pour la planète. En fait ce sont des paradoxes et après on tient à mettre aux gens les cartes en main pour leur permettre de faire leurs propres choix personnels : ne pas leur imposer, ne pas remplacer la confiance aveugle dans un label de qualité d’une marque ou le Label rouge sur des choses par la confiance aveugle dans une application, mais permettre aux gens de développer leur esprit critique et de prendre du recul face à ces applications qui font florès.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant de laisser la parole à Anca, j’avais une question de Pierre Bresson qui est la personne qui a développé l’application Cause Commune qui me demandait justement : « Concernant l’empreinte carbone des produits, j’aimerais savoir quand cette fonctionnalité sera disponible. » L’empreinte carbone est déjà disponible, Pierre ?
Pierre Slamich : Oui. Elle est disponible. Il y a quelques limitations parce que l’empreinte carbone est quelque chose d’extrêmement complexe, ça se base, en fait, sur les ingrédients. On essaye par exemple d’estimer le pourcentage de viande dans des lasagnes au bœuf. On a des données gouvernementales de l’Ademe [Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] pour la France qui permettent de dire « un kilo de bœuf c’est tant de kilos de carbone », donc on fait ce calcul-là déjà sur les produits dont on a les ingrédients, typiquement les plats préparés à base de bœuf, de poisson. Ce n’est pas encore disponible sur tous les produits et ce n’est pas encore disponible dans tous les pays du monde.
Frédéric Couchet : D’accord. Anca tu voulais compléter.
Anca Luca : Je voulais compléter sur cette question d’affichage qualificatif des aliments versus deux notes différentes qui ont l’air contradictoires. C’est aussi parce que les choix alimentaires sont divers et personnels à chacun. Personnellement, c’est mon avis, c’est très compliqué de dire ce qui est bon et ce qui n’est pas bon, pour les raisons que Pierre a expliquées : ce qui est bon pour soi peut être mauvais pour la planète, mais également parce que chacun fait ses choix en fonction de ses paramètres. Par exemple le Nutri-Score est intéressant parce qu’il y a des produits que vous allez trouver avec le Nutri-Score E et là, les gens ont plutôt tendance à fuir, à se dire « ah non, il ne faut pas toucher à ça parce qu’il y a un Nutri-Score E ». Ce n’est pas ça que veut dire Nutri-Score E. Nutri-Score E veut dire « ne mange pas que ça toute la journée, mais tu peux le toucher de temps en temps, il n’y a aucun problème. Tu peux manger du chocolat. » Je ne sais pas s’il y a un chocolat D, mais la plupart des chocolats ont des Nutri-Score dans les D et dans les E, ça voudrait dire qu’on ne touche plus jamais de chocolat. Ça veut juste dire : ne mangeons pas que ça et ne mangeons pas ça toute la journée. Donc les choix sont compliqués.
Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une question sur le salon web de la radio : comment interpréter le fait que le Nutri-Score affiché sur un emballage soit différent du Nutri-Score donné par Open Food Facts. Il me semble être déjà tombé sur ce cas de figure, mais je n’en suis plus très sûr. Je ne sais pas si c’est le cas. Est-ce que sur certains emballages le Nutri-Score affiché est différent de celui que vous donnez ?
Pierre Slamich : En fait, le Nutri-Score est une série de calculs assez complexes qui se base sur les informations qu’on est capables de connecter sur les emballages. Il y a notamment le taux de fruits et légumes et le taux de fibres que, malheureusement, la législation n’impose pas aux fabricants d’afficher systématiquement sur les emballages. Parfois, il peut se faire qu’on n’ait pas les données sur les fibres et les fruits et légumes ce qui va faire sauter le Nutri-Score de B à C par manque de données. Donc on affiche des avertissements et on encourage tous les producteurs, s’il y en a qui nous écoutent à l’antenne, à nous envoyer directement les données les plus précises possible avec les fruits et légumes et les fibres pour qu’on puisse calculer le Nutri-Score de la manière la plus précise possible. Mais généralement, dans 98 % des cas, c’est toujours le même.
Frédéric Couchet : D’accord. Concernant toujours le Nutri-Score, j’ai vu qu’il y avait une initiative citoyenne européenne pro Nutri-Score qui viserait à imposer l’affichage de cet étiquetage simplifié Nutri-Score sur tous les produits alimentaires. Donc deux questions : je suppose que ce n’est pas obligatoire aujourd’hui s’il y a une initiative citoyenne et est-ce que vous êtes en faveur de cette initiative ? Pierre, Anca, qui veut répondre ? Anca.
Anca Luca : Je peux répondre assez rapidement. Je n’ai pas d’avis arrêté là-dessus ; c’est bien de fournir de l’information. En même temps, comme Pierre disait, le Nutri-Score ce n’est qu’un paramètre des produits qu’on choisit. Il y a plein d’autres paramètres, mais je pense que ça serait plutôt bénéfique de pouvoir voir plus rapidement l’évaluation d’un produit.
Frédéric Couchet : Pierre Slamich.
Pierre Slamich : Oui. Dans un monde parfait Open food Facts n’existerait pas, donc on est pour que le Nutri-Score devienne obligatoire et qu’on n’ait pas à utiliser forcément une application, une béquille pour pouvoir faire son choix en rayon. C’est-à-dire que devoir scanner les produits un à un pour voir le Nutri-Score, on commence à le voir en France, c’est tellement mieux quand on peut comparer d’un seul coup d’œil le soir quand on fait son marché. Effectivement le Nutri-Score et après, si les fabricants voulaient afficher des choses comme le NOVA ou l’impact carbone, ça serait génial.
Frédéric Couchet : D’accord. Là on comprend mieux ce que sont le Nutri-Score et l’indice NOVA.

On va passer rapidement à la partie comment on crée ce type d’application, à la fois sur la partie logicielle et aussi sur la partie base de données. Est-ce que ce sont des licences libres dans les deux cas ? Est-ce que c’est créé uniquement par des bénévoles ? Est-ce que vous avez des gens qui sont financés pour développer l’application et maintenir la base de données ? Et question annexe : tout à l’heure, Pierre, tu as parlé un petit peu des fournisseurs, des fabricants, est-ce que vous êtes en contact avec des fabricants pour récupérer automatiquement, enfin qui vous envoient des informations nutritionnelles concernant les aliments ? Ça fait plein de questions. Qui veut commencer ? Pierre, peut-être, puisque tu as fondé, ou Anca, je ne sais pas.
Pierre Slamich : Effectivement il y a plein de questions. J’essaye de me remémorer la première.
Anca Luca : La première c’est : comment c’est fait ?
Frédéric Couchet : Sur la partie logicielle, la partie base de données, comment vous faites ? Est-ce que ce ne sont que des bénévoles ? Est-ce qu’il y a des personnes qui sont financées pour développer la partie logicielle et peut-être la partie base de données ? Anca Luca.
Anca Luca : D’un point de vue technique, on va dire qu’il y a trois composantes techniques. Il y a le code du serveur qui fait le site web, donc openfoodfacts.org et tout ça, c’est un logiciel libre, c’est écrit en Perl, s’il y a des gens qui veulent venir participer. Après il y a l’application mobile, plus précisément les applications mobiles parce qu’il y en a pour chaque plateforme ; je pense que les développements natifs aujourd’hui, si je me rappelle bien, c’est Android, iOS et c’est tout.
Pierre Slamich : Ubuntu aussi.
Anca Luca : Ubuntu aussi. On avait aussi Firefox OS, mais comme c’est mort ! Ce n’est peut-être pas mort, je pense qu’il est toujours maintenu par la communauté, donc je demande pardon aux gens qui font ça ! Désolée.
Frédéric Couchet : Un logiciel libre n’est jamais mort il est gelé en attendant un retour à la vie.
Anca Luca : Le Libre n’est jamais mort, c’est l’avantage du Libre !

Et la troisième composante technique c’est la maintenance de tous les serveurs et toutes les opérations qui font que ça tient debout.

Tous les logiciels sont libres, développés au début par des bénévoles, donc tout ce qui a été développé a été développé par des bénévoles sur leur temps libre et, depuis très peu de temps, on a du financement pour des projets auxquels on participe qui nous permettent de financer des personnes qui participent, qui font tourner l’association on va dire et aussi du développement par-ci par-là, je pense. Je ne pense pas qu’on a des permanents développeurs. Si ? Si on en a. Pardon ! Tu es permanent développeur.
Frédéric Couchet : Pierre Slamich.
Pierre Slamich : Ça permet de faire le lien avec ce que tu mentionnes, justement sur les financements. On parlait des producteurs, ça nous permet typiquement de créer une plateforme qui va permettre à tous les producteurs d’importer leurs données directement dans Open Food Facts. Effectivement on a des producteurs quasiment depuis le début du projet qui nous disent : « C’est génial, comment on met nos données, comment on met nos produits dans Open Food Facts ? » Là on est en train de mettre en place une plateforme qui nous permettra justement d’avoir des données à jour, complètes et plus détaillées sur les produits, du coup grâce au soutien de Santé publique France qui est l’organisme qui s’occupe de la prévention de la santé en France.
Frédéric Couchet : On a parlé de la partie logicielle, ce sont des logiciels libres. La partie base de données, une spécificité, c’est qu’elle est disponible sous une licence libre spécifique aux bases de données.
Pierre Slamich : Voilà. Logiciel libre, données ouvertes et tout est gratuit. Ça ce sont des grands principes de l’association. Effectivement on a les logiciels qui permettent de générer ces données ouvertes. D’ailleurs on l’appelle le product opener, c’est-à-dire le décapsuleur en français, et, du coup, on a ce logiciel qui permet de générer les données. Après les données sont reversées sous forme d’export, sous forme d’API.
Frédéric Couchet : Interface de programmation.
Pierre Slamich : C’est-à-dire qu’on a une API, une interface de programmation logicielle qui permet à d’autres applications, d’autres services, de pouvoir bâtir sur Open Food Facts des expériences logicielles dédiées par exemple à des diabétiques, à des publics qui seraient…
Frédéric Couchet : Des publics végans par exemple ?
Pierre Slamich : Oui. Effectivement on a des applications basées sur Open Food Facts pour les végans. D’ailleurs on va même bientôt lancer — c’est déjà disponible pour les gens qui sont sur F-doid et bientôt sur le Play Store — la détection des produits végans, végétariens et avec de l’huile de palme.
Frédéric Couchet : D’accord. Je précise que F-Droid c’est un magasin d’applications libres. Je vous encourage à l’installer comme ça vous aurez plein d’applications libres dont Open Food Facts et plein d’autres, vous avez OpenStreetMap et compagnie.

Sur la partie modèle économique, les coûts c’est l’hébergement des serveurs et vous avez des financements via des partenariats qui permettent de financer de gens qui vont contribuer techniquement.
Pierre Slamich : Il faut voir que de 2012 jusqu’à cette année, on a fait tourner l’association avec un budget de 600 euros par an. Ça paraît un peu fou mais c’était essentiellement les coûts serveur, un petit serveur pour faire tourner le projet, et on est arrivé comme ça à libérer des centaines de milliers de produits. Là on a cette chance de pouvoir vraiment accélérer grâce au soutien de Santé publique France sur plus de sujets, dans plus de pays. On a effectivement les deux premiers permanents, Stéphane et moi, et on peut se consacrer à 100 % à pouvoir faire grandir l’association, encadrer : on a de plus en plus de développeurs qui veulent investir du temps pour améliorer les applications mobiles, on est aussi en train de faire de l’intelligence artificielle pour pouvoir extraire automatiquement les informations des étiquettes, donc ce sont plein de choses qu’il faut arriver à pouvoir accompagner, faire grandir pour suivre l’augmentation ; on a plus d’un million et demi d’utilisateurs, donc il faut arriver à tenir en termes humains la croissance du projet.
Frédéric Couchet : C’est une excellente nouvelle. Je ne savais pas du tout que vous étiez, Stéphane et toi, permanents et c’est une excellente nouvelle. J’ai une remarque sur le salon web et peut-être une demande d’évolution de l’application, je ne sais pas si c’est possible, mais je vais la relayer. C’est mu_man dit : « Le seul souci que j’ai avec l’appli mobile c’est qu’elle a besoin d’être connectée, donc sur ma tablette ça ne marche pas. » Est-ce qu’il est prévu, est-ce qu’il est techniquement possible d’avoir une version d’Open Food Facts en mode déconnecté, c’est-à-dire avec la base de données téléchargée directement, un peu comme OpenStreetMap le fait avec je ne sais plus quelle application ? Est-ce que c’est faisable ? Qui veut répondre ?
Anca Luca : Ce n’est pas uniquement faisable, c’est fait !
Pierre Slamich : C’est à moitié fait !
Frédéric Couchet : Attention ! Écoute bien mum_man, c’est fait !
Pierre Slamich : On va commencer par un troll. Ça veut dire que mu_man n’est pas sur iPhone parce que les utilisateurs d’iPhone ont déjà la possibilité de scanner leur connexion et, sur Android, ça arrive, comme le dit Anca, effectivement ça arrive. On a des premiers prototypes. On est arrivé à comprimer le million de produits d’Open Food Facts sur l’équivalent de quatre selfies, donc on est arrivé à réduire la taille, à comprimer ça sur un téléphone, c’est assez fou ! On a besoin d’aide. Si vous voulez rejoindre l’équipe Android pour aller plus vite sur les fonctionnalités, n’hésitez pas ! Mais ça arrive, on est en train de travailler dessus.
Frédéric Couchet : Il confirme effectivement qu’il n’est pas sur iPhone. Il le confirme directement. La base de données représente quelle taille ? Vous avez une idée ? Tu dis que ça compresse en quatre selfies, mais la base originale ? Mais si tu n’a pas d’idée, ce n’est pas grave !
Pierre Slamich : Je crois que ça se compte en gigaoctets.
Frédéric Couchet : Sur un téléphone, effectivement, on arrive vite à saturer.
Pierre Slamich : Et là ce n’est que le texte, que la base de données textuelles, mais on a aussi des millions de photos et là ce sont des téraoctets de photos, donc c’est un terrain de jeu absolument formidable pour les gens qui s’intéressent à l’intelligence artificielle. La vision par ordinateur sur deux choses parce que, du coup, on a un impact absolument démesuré quand on travaille sur Open Food Facts.
Frédéric Couchet : Vas-y Anca.
Anca Luca : Je voudrais aussi ajouter, puisqu’on parle de la taille de cette base de données et de tout ça, on n’a pas complètement expliqué comment ça s’est passé. Ce sont des contributions des gens qui ont téléchargé l’application, scanné des produits, envoyés des photos, rempli des fiches de produits au début, avec l’aide des bases de données que les industriels ont pu nous envoyer pour les importer et participer à la base de données, mais à la base il y a énormément de contributions des utilisateurs qu’on remercie. C’est comme ça qu’on est arrivé à un million de produits, on en est très fiers !

Frédéric Couchet : On va y revenir en détail sur la contribution justement après la pause musicale, mais je crois que vous venez de gagner un développeur parce que mu_man, qui continue sur le salon web, a dit : « Il faut dire que la base mériterait peut-être d’être un peu structurée aussi : sur beaucoup de champs il y a plein de doublons car ce sont des champs en texte libre ». Comme mu_man sait développer, je vous enverrai ses coordonnées. Je pense que vous avez gagné un contributeur. Il nous répondra directement sur le salon.
Pierre Slamich : À bientôt !
Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale. On va écouter Scully’s Reel par Sláinte et on se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Scully’s Reel par Sláinte.
Voix off : Cause Commune 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Scully’s Reel par Sláinte, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions.
Vous écoutez toujours l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM et sur le site causecommune.fm partout ailleurs.
Nous continuons notre discussion sur Open Food Facts avec Pierre Slamich et Anca Luca. Juste avant la pause Anca avait commencé à parler de l’importance de la contribution des personnes qui utilisent l’application. Justement on va voir un petit peu comment contribuer. La première contribution, tu avais commencé à l’expliquer, c’est l’ajout de produits. Comment ça fonctionne Anca ?
Anca Luca : On va au supermarché ou chez soi, dans le frigo ou dans le placard, on scanne un produit, le code barre du produit, on télécharge l’application d’abord je ne l’ai pas dit, pardon. On télécharge l’application, on scanne le code barre, il y a un bouton sur l’application qui dit « scanner », on scanne le code barre d’un produit, ça va reconnaître les chiffres du code barre et ça va chercher le produit dans la base de données. Si ce produit est trouvé on peut améliorer le produit en envoyant des nouvelles images ou des images avec les ingrédients, par exemple si les ingrédients ne sont pas remplis, ou avec le tableau nutritionnel si les informations nutritionnelles ne sont pas remplies. Il y a aussi la possibilité de modifier directement la fiche produit pour mettre à jour ces informations-là mais c’est très important de nous envoyer la source de cette information. Par exemple si quelqu’un veut mettre à jour les informations nutritionnelles du tableau nutritionnel, c’est important aussi de mettre la photo pour avoir la preuve que, effectivement, ce sont les vraies données, les bonnes données. Ça c’est si le produit existe.

Si le produit n’existe pas, on commence à prendre des photos et à remplir, il y a trois écrans à remplir, il n’y a pas plus que ça :

le premier écran qui demande une photo du devant de l’emballage du produit, le nom du produit et la catégorie du produit ;

le deuxième écran qui demande une photo de la liste des ingrédients qui vont être reconnus automatiquement par un logiciel de reconnaissance de texte, donc on va essayer d’extraire pour vous la liste des ingrédients à partir d’une image, donc vous n’avez pas besoin de taper du texte sur le mobile, heureusement. S’il y a des erreurs vous pouvez les corriger après, mais ça marche en fonction de la taille de l’étiquette du produit qui est un sujet ! Mais en fonction de la taille l’étiquette, donc du texte sur cette étiquette, ça peut marcher très bien directement.

Et le troisième écran c’est le tableau nutritionnel, donc pareil, image et les chiffres qui sont dans le tableau nutritionnel du produit.

Une fois qu’on a fait ça on a un produit qui est correctement rempli et le Nutri-Score et le score NOVA sont calculés automatiquement. Donc on va dire en deux minutes et demie maximum si on a du mal à trouver un bon angle pour la photo, on a le Nutri-Score et le score NOVA pour un produit qu’on s’apprête à manger et on peut en savoir un peu plus sur ce qu’on va manger.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce que le produit est ajouté automatiquement dans la base ou est-ce qu’il y a une validation ou une modération pour vérifier les éléments ?
Anca Luca : Il est ajouté automatiquement à la base par le même principe que Wikipédia. On ajoute l’information et on espère qu’avec suffisamment de paires d’yeux, tous les bogues seront découverts. C’est en fait le principe du Libre.
Frédéric Couchet : La loi de Linus Torvalds. Justement, une question me vient, toujours posée tout à l’heure en préparant l’émission de la part de Pierre Besson sur la fiabilité des données : est-ce que vous avez noté de la triche ou des données erronées, qui sont deux sujets différents évidemment ? Pierre Slamich.
Pierre Slamich : Pour compléter, effectivement il y a ce côté collaboratif. On a la chance d’avoir une communauté : on a un million et demi d’utilisateurs, on a plus de 25 000 personnes qui vérifient ces fiches en fait de manière continue et ce qu’on a fait monter ces dernières années, ce sont plusieurs choses. Ce sont d’abord des algorithmes spécialisés de qualité qui vérifient, par exemple, que la somme des nutriments fait bien 100 grammes, etc., donc ont des écarts à la moyenne : est-ce que ces lasagnes bolognaises ressemblent bien à des lasagnes bolognaises d’un point de vue ingrédients et d’un point de vue nutrition ? L’intelligence artificielle aide pas mal. Et puis le troisième pilier sur la qualité c’est qu’on a les imports producteurs qui sont, en fait, en train de monter en puissance, donc on a de la donnée directement validée à la source. Évidemment on applique les mêmes vérifications.
Frédéric Couchet : Vous ne leur faites pas confiance par défaut, quand même !
Pierre Slamich : On s’assure quand même. Sachant que c’est tellement radioactif et s’ils s’amusaient à mentir sur les choses sur les emballages ils auraient des conséquences légales, directement de l’État, et puis, en termes de relations publiques, ça serait un peu radioactif pour eux.

Voilà les trois piliers : la modération citoyenne, des algorithmes qui viennent renforcer ça et puis les producteurs qui viennent renforcer directement leurs données. Sachant qu’on a la chance d’avoir un sujet qui est effectivement passionné, l’alimentation c’est un sujet passionné, mais c’est plus factuel qu’un article sur la Guerre de Cent Ans ou sur des choses qui peuvent porter à polémique.

Frédéric Couchet : D’accord. Les gens qui scannent dans les magasins soit pour vérifier un aliment soit pour le rajouter, est-ce que c’est bien vu aujourd’hui par les supermarchés ou autres ? Est-ce qu’un agent ou une personne de la sécurité vous dit non ? Comment c’est vu ?
Anca Luca : C’est très intéressant parce qu’il y a des histoires personnelles différentes. Personnellement je n’ai jamais eu de problèmes dans les supermarchés et je ne me cache même pas : je sors mon téléphone, je prends des photos, je scanne des trucs. Après j’ai appris que ça dépend aussi des pays. Il y a d’autres personnes qui ont d’autres expériences.
Pierre Slamich : J’ai une anecdote à ce sujet. Open Food Facts est présent dans plein de pays, plus de 150 pays, on a un contributeur russe qui s’est fait expulser manu militari de son supermarché local. Donc vraiment, effectivement ça varie.
Anca Luca : Ça dépend des pays. Après il y a des histoires un peu moins heureuses que la mienne en France. J’allais parler de cette histoire de pays, c’est important de savoir qu’Open Food Facts est fait pour être international, pour marcher dans tous les pays du monde. Ça peut être très intéressant de retrouver les mêmes produits dans deux pays différents et de pouvoir comparer les ingrédients. Il y a d’ailleurs des gens qui ont eu des expériences un peu malheureuses dans mon pays, je viens de Roumanie à la base : il y a des Français qui sont allés scanner en Roumanie parce qu’ils étaient en visite et ils m’ont raconté des histoires dont je ne suis pas très fière.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est intéressant parce qu’effectivement, une des façons de contribuer aussi à Open Food facts c’est d’adapter l’application à une langue. Aujourd’hui c’est disponible dans combien de langues, dans combien de pays ? 150 tu as dit, c’est ça Anca ?
Anca Luca : C’est Pierre qui l’a dit.
Pierre Slamich : Effectivement, on a des produits dans à peu près 150 pays. On n’a pas des traductions dans autant de langues que ça, mais on essaye vraiment, on a ce credo que l’information alimentaire est un droit fondamental qui doit être accessible quelle que soit sa langue, quel que soit son pays, même si le pays n’est pas, entre guillemets, « rentable » pour une start-up ou pour un grand groupe. L’idée aussi c’est vraiment quel que soit le téléphone qu’on a, Android, iOS, et aussi qu’on n’ait pas à payer avec sa vie privée. Du coup, typiquement sur Open Foof Facts, on n’a pas besoin de s’inscrire, donc on peut utiliser l’application sans filer de données personnelles, il n’y a pas de trackers dans l’application.
Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une question. Tout à l’heure on a parlé de Yuka, une des fonctionnalités de Yuka dont on m’a parlé c’est le fait que quand vous avez un produit scanné qui est un produit, on va dire, avec une note mauvaise, Yuka affiche des alternatives. La personne m’a dit : « Ça c’est vachement bien parce que je n’ai pas à me prendre la tête, je vais dans la liste des alternatives et je choisis ». J’ai regardé sur Open Food Facts, il n’y a pas à priori pour le moment, sauf erreur en tout cas, cette liste d’alternatives, est-ce que c’est prévu ? Yuka, c’est une startup, machin, on peut peut-être se dire « comment ils mettent les alternatives ? Est-ce que derrière il y a des financements ? », alors qu’avec une base de données ouvertes on sait comment ça fonctionne. Pierre.
Pierre Slamich : Il y a deux points. Déjà, effectivement, c’est la transparence des algorithmes, ça c’est important. Nous, si on doit faire quelque chose, ça sera totalement transparent. Il y a aussi un deuxième point qui est important c’est la personnalisation, c’est-à-dire que quelqu’un qui est végan, quelqu’un qui est musulman, n’a pas envie d’avoir les mêmes recommandations, selon ses préférences personnelles ou religieuses ou ses problèmes de santé. Nous on veut que ça soit ultra-personnalisé selon qui on aide, d’où on vient et ce qui nous préoccupe. On est en train de préparer la fonctionnalité, ça va prendre encore un peu de temps

Et troisième point, en attendant, sur Android, on a cette fonctionnalité assez sympa qui permet de comparer, de faire un peu son mini UFC-Que Choisir en rayon. Parce que typiquement, si on a une recommandation et qu’elle n’est pas dispo en rayon parce qu’il est 19 heures, que tous les produits sont partis ou que ce n’est pas disponible dans son supermarché local, ça ne sert pas à grand-chose. Si, en plus, elle trop vertueuse : si on veut une alternative au Nutella et que l’application propose des trucs un peu trop vertueux, « inintéressants » entre guillemets pour la personne, c’est un peu dommage. Donc nous, ce qu’on permet, c’est de faire sa présélection en rayon et puis on compare : typiquement les lasagnes au bœuf, on peut les comparer entre elles en un instant et voir le Nutri-Score, le NOVA et l’impact carbone pour faire son choix après, sans contrainte, parmi ce qu’on a dans le rayon au moment où on fait ses courses.
Frédéric Couchet : D’accord. Anca.
Anca Luca : Ça vaut peut-être aussi de mentionner tous les outils pas forcément de comparaison mais d’analyse de la base de données des produits qui sont disponibles. Déjà il y a toute la taxinomie des produits, donc les catégories de produits. C’est facile de trouver des alternatives sans l’influence d’un algorithme qu’on ne connaît pas. La méthode la plus facile c’est d’aller naviguer sur tous les produits de la même catégorie, parce que finalement c’est ça la liste d’alternatives : c’est un classement et sans l’influence, on va dire, d’une source externe.
Pierre Slamich : En une minute, sur Open Food Facts, on peut créer son graphe en trois clics.
Anca Luca : Il y a aussi l’outil pour créer un graphe. Donc les catégories, la navigation par catégories, et après l’outil de graphe qui permet de faire des graphiques assez intéressants, avec les différents paramètres nutritionnels des produits qui font partie d’une certaine catégorie, qui ne sont pas bio et ainsi de suite. Ces outils ne sont pas disponibles dans l’application mobile à ma connaissance. Peut-être qu’un jour on va les mettre dans l’application mobile, mais ces outils existent et, puisque la base de données est libre, on peut toujours être un peu plus confiant dans l’algorithme de classification.
Frédéric Couchet : Donc la vérification est possible, ce qui n’est pas le cas…
Anca Luca : Une vérification est possible. Je ne dis que ce n’est pas le cas, je ne veux pas dire que les autres applications ne sont bonnes parce que je ne le sais pas plus que ça, mais il y a cette confiance avec la transparence. Il y a la transparence qui donne confiance dans le résultat, la possibilité de le vérifier.
Frédéric Couchet : Exactement. Ce qui est valable ici est valable en sécurité, partout.

À l’instant, Pierre, tu as parlé des données envoyées par les producteurs. Est-ce qu’il y a des données importantes qui manquent encore ou est-ce qu’il y a des données qui pourraient être plus définies, plus précises ?
Pierre Slamich : Oui, il y en a. C’est-à-dire qu’en fait, quand on a commencé Open Food Facts, on s’intéressait aux ingrédients et globalement à la nutrition. Et une personne est venue nous voir en nous disant « moi, ce qui m’intéresse, c’est l’environnement. La nutrition, OK ! » Du coup on a rajouté les emballages, le carton, le plastique, etc. Et en fait, au fur et à mesure où Open Food Facts se développe, on se rend compte des nouvelles préoccupations des gens. Par exemple la question climatique, la question de l’environnement a beaucoup grossi ces dernières années et, pour pouvoir faire des calculs par exemple d’impact carbone ou de responsabilité sociale et environnementale des entreprises, il y a besoin de beaucoup de données. Et les entreprises, en fait, quand on discute avec les fabricants, quand on importe leurs données, eux-mêmes ne sont même pas capables de calculer l’impact carbone de leurs produits, parce que notamment les logiciels qui permettent de calculer ces empreintes carbone ne sont pas libres et les données sous-jacentes pour faire des hypothèses sur ces empreintes carbone ne sont pas libres non plus, donc ils sont obligés de payer des cabinets de conseil très cher pour pouvoir calculer ces impacts carbone. Donc il y a vraiment cet enjeu à créer de la donnée sur la traçabilité environnementale et sociale et ensuite à la rendre lisible et exploitable par les consommateurs.
Frédéric Couchet : D’accord. Anca.
Anca Luca : Ce qui est intéressant au sujet de quelles sont les données qui manquent ou quelles données manquent c’est qu’aujourd’hui, par rapport à 2012, il y a aussi de nouvelles possibilités qui s’ouvrent grâce à l’existence de ce type d’application et de base de données. Puisqu’on a libéré de la donnée — les ingrédients, le tableau nutritionnel —, c’est bon on est d’accord, c’est intéressant, etc., mais où est-ce qu’on peut aller plus loin ? Est-ce qu’on peut aller encore plus loin ? Est-ce qu’on peut trouver encore d’autres informations qui soient intéressantes ? Et ces questions-là on se les pose aujourd’hui parce qu’on a vu que c’était possible avec les ingrédients et les informations nutritionnelles. Donc la transparence fait que la transparence est demandée, en fait. Plus il y en a plus on en demande.
Pierre Slamich : Toujours ! En fait, en 2012, les gens nous prenaient pour des fous furieux quand on leur disait : « On va créer une base de données avec tous les produits du monde ». Du coup maintenant, quand on leur parle d’impact carbone, de responsabilité sociale, comme tu disais effectivement Anca, ils disent : « Ah oui ! Ils l’ont fait sur la nutrition, ils ont été assez fous pour le faire sur la nutrition, pourquoi ça ne serait pas possible sur des choses pour lesquelles on estimait que c’était infaisable jusqu’à présent ? »
Frédéric Couchet : Je pense qu’on disait aussi que les gens étaient fous quand ils ont lancé Wikipédia et d’autres projets du même genre.

On va avancer parce que le temps passe très vite et je voudrais quand même dire quelques mots sur votre travail avec des partenaires, parce que c’est important, et notamment l’un des partenaires qui est EREN, l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?
Pierre Slamich : L’EREN, en fait, c’est une équipe de chercheurs français qui a conçu en 2014 quelque chose qui s’appelait le code cinq couleurs à l’époque, qui est devenu aujourd’hui le Nutri-Score. L’équipe du professeur Hercberg s’occupe d’analyser la qualité nutritionnelle des aliments et de voir leur impact sur la santé des gens. Ils ont notamment une cohorte énorme qui s’appelle NutriNet. NutriNet ce sont des centaines de milliers de Français qui vont noter leur état de santé, qui vont noter également ce qu’ils mangent et ça permet aux chercheurs d’effectuer des corrélations entre surconsommation par exemple d’un additif et dégradation de l’état de santé. Par exemple ils ont montré l’impact des aliments ultra-transformés sur la santé, sur les questions de diabète, etc. C’est vraiment une équipe qui génère de la donnée pour pouvoir mieux évaluer les questions de l’impact de l’alimentation sur la santé.

On est très heureux de collaborer avec eux parce que, du coup, ils se servent d’Open Foods Facts pour pouvoir mieux comprendre ce que mangent les gens, quels additifs sont contenus dans ce qu’ils mangent, donc grâce à des données ouvertes ils peuvent faire avancer la science. Ça c’est quelque chose qui est très motivant pour les contributeurs d’Open Food Facts, ce n’est pas un scan juste pour soi mais c’est aussi un scan altruiste qui permet de faire progresser la science.
Frédéric Couchet : Anca.
Anca Luca : D’ailleurs ça vaut le coup de mentionner que la base de données Open Food Facts, telle qu’elle était à ce moment-là, a été utilisée pour tester la formule Nutri-Score. C’est à-dire que le fait que cette base de données libre existe permet à des scientifiques de vérifier leur travail et de tester le calcul complexe qu’est le Nutri-Score avec des produits qui existent et des informations sur des produits de la vie réelle. Ça c’est quelque chose qu’uniquement un commun peut apporter, un commun c’est-à-dire une ressource partagée.
Frédéric Couchet : Une ressource partagée et améliorer par tout le monde.

L’étude dont vient de parler Pierre c’est NutriNet-Santé et j’encourage les gens à y participer.
Inversement, j’aimerais savoir comment réagit notamment l’ANIA, l’Association nationale des industries alimentaires, à Open Food Facts. Est-ce que vous avez des liens ou vous savez comment ils réagissent par rapport à ça ?
Pierre Slamich : L’ANIA c’est effectivement « le lobby des lobbies » entre guillemets de l’industrie agroalimentaire. Ce sont des gens qui défendent bien évidemment leur industrie, leurs intérêts. Ils avaient pris position contre le Nutri-Score à l’époque et là, maintenant, ils ont annoncé qu’ils voulaient mettre en place un clone d’Open Food Facts, donc une base de données faite par l’industrie qui s’appelle Num-alim et qui est, en fait, une tentative de reprendre la main sur ces questions qui leur ont échappé d’information alimentaire et d’information du consommateur.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est une tentative d’essayer de contrecarrer le développement d’Open Food Facts pour diffuser ses propres informations ?
Pierre Slamich : L’avantage d’avoir une base de données ouverte, c’est qu’on peut faire des choses. Typiquement le Nutri-Score c’était une formule sur un papier quand on l’a découvert. On a demandé l’algorithme au professeur Hercberg et on a pu le calculer, on a pu lui donner une existence concrète. Les gens ont pu se l’approprier beaucoup plus facilement et ça a contribué à sa démocratisation.

Le problème de l’ERN, de l’équipe du professeur Hercberg mais aussi de toutes les équipes scientifiques dans le monde c’est qu’avant elles devaient quémander de la donnée aux distributeurs, à l’industrie, avec des conditions de réutilisation, elles ne pouvaient pas faire n’importe quoi avec la donnée. Là, la puissance des données ouvertes c’est que, du coup, ça permet aux startups d’innover avec plein de création d’apps. Ça permet aux chercheurs de mieux chercher et ça permet aux data journalistes par exemple du Monde, Les Décodeurs du Monde se sont servis des données d’Open Food Facts pour pouvoir, entre guillemets, « alimenter » le débat public.
Frédéric Couchet : D’accord. Une suggestion sur le salon web de notre régisseur du jour, donc Étienne, une suggestion de développement : croiser avec une base de données de recettes pour pouvoir soi-même, à partir de produits bruts… Donc santé plus environnement, une idée de développement, une idée tout à fait intéressante.

Le temps passe très vite, il nous reste quelques minutes. Avant d’oublier il me paraît important de parler peut-être de vos projets. Tout à l’heure on a parlé de financements, peut-être qu’il y a des appels à don, des appels à contribution, donc si vous avez des appels c’est maintenant avant qu’on oublie. Pierre Slamich.
Pierre Slamich : On est en train de préparer le budget 2020 de l’association parce que, du coup, ça doit tourner et on lance notre campagne de dons de fin d’année, donc donner.openfoddfacts.org. Ça permettra de financer de l’hébergement, des gens pour bosser sur le projet, de l’infrastructure, de faire progresser les apps plus rapidement.
Frédéric Couchet : Les apps ce sont les applications.
Pierre Slamich : Les applications mobiles, de pouvoir faire plus de choses sur plus de sujets.
Frédéric Couchet : D’ailleurs pour préciser, quand tu dis les applications mobiles, il y en effectivement plusieurs, en fait, est-ce que tu peux en citer une ou deux ? Ou Anca.
Anca Luca : Ce sont les différentes versions de l’application Open Food Facts, donc l’application Android, l’application iOS et l’application Ubuntu.
Pierre Slamich : Par exemple on avait traditionnellement du mal sur iPhone à avoir une version qui soit à jour par rapport à l’application Android, l’année dernière, grâce aux dons du public, on a pu financer une toute nouvelle version de l’application iPhone avec le scanner connexion, l’historique, etc. Donc ça a vraiment un impact massif parce que ce qu’on arrive à construire pour la France est, du coup, disponible dans plein de langues : ça va permettre à des utilisateurs aux États-Unis, au Puerto Rico, etc., de bénéficier vraiment de cette transparence alimentaire. Donc ça a vraiment un impact sur Open Food Facts et dans tous les pays du monde
Frédéric Couchet : D’accord. Une autre façon, je suppose, de relayer votre appel, c’est aussi d’encourager les producteurs et autres à vous proposer leurs données directement pour enrichir encore la base.
Pierre Slamich : Il y a vraiment plein de façon de contribuer. Si on est producteur on peut contribuer avec les données de ses produits. Si on est contributeur, développeur, traducteur, on peut. Même, si on a envie de rédiger des textes d’explication d’Open Food Facts c’est bienvenu parce que, du coup, ça permet de faire parler du projet, ça permet de faire avancer, d’avoir de nouvelles fonctionnalités, etc. Si on n’a pas de temps on peut faire un don à l’association soit directement contribuer avec son temps pour faire progresser la transparence alimentaire en France et aussi dans le monde entier.
Frédéric Couchet : D’accord. Je regarde sur le salon web s’il y a des questions. J’en avais une autre qui vient complètement de m’échapper, mais elle va me revenir. Je vais vous poser la question, je crois que Anca y a répondu un petit peu au début, est-ce qu’il y a des risques ou des dérives potentielles à vouloir contrôler tout ce qu’on mange et, pour reprendre une célèbre chanson de Stéphane Eicher, est-ce qu’on peut encore déjeuner en paix sans avoir son smartphone à côté pour vérifier tout ce qu’on mange ?
Anca Luca : Personnellement je déjeune toujours tranquille, même si je mange plein de choses.
Pierre Slamich : Qu’est-ce que tu as mangé à midi, Anca ?
Anca Luca : Pas « scannable » parce qu’il n’y avait pas de code barre. On peut toujours déjeuner en paix. Le fait qu’on essaie de s’informer un peu ou un peu plus ou un peu moins, je ne sais pas, le fait qu’on essaie de s’informer ne veut dire qu’il faut devenir paranoïaque, qu’il ne faut rien manger. Les gens peuvent s’informer et, au-delà des gens individuellement, je pense qu’en tant que société on a besoin de ce genre de collecte d’informations pour pouvoir savoir des choses sur ce qu’on est en train de faire. L’action citoyenne, donc le fait qu’on utilise cette base de données pour la science, c’est un exemple, donc on ne le fait pas uniquement pour soi-même. Oui, je pense qu’on peut manger parfaitement tranquille. Ce n’est parce qu’on utilise une application qu’on va tomber dans la paranoïa de ne rien manger de ce qui a le score nutritionnel E, par exemple.
Frédéric Couchet : D’accord. Je me souviens de ma question. Vas-y Pierre.
Pierre Slamich : Personnellement, sur la nutrition ça m’a fait un petit peu évoluer, surtout sur la transformation, c’est sur les produits ultra-transformés que j’ai complètement eu un déclic. Après, on ne peut pas changer son alimentation comme ça, radicalement du jour au lendemain, mais ça permet d’avoir cette prise de recul face à son alimentation.
Anca Luca : Je pense que c’est la possibilité de découvrir qui est la plus importante. On se sent potentiellement sans choix ou coincé en se disant « qu’est-ce que je vais manger ou autre ? Est-ce que c’est rapide à préparer ? » et ainsi de suite et l’existence de cette information et de ces données qui existent et qu’on peut consulter permet de découvrir des choses beaucoup plus facilement que de s’asseoir et de réfléchir soi-même. Réfléchir sans source d’information, c’est compliqué.
Frédéric Couchet : Si on le fait, c’est compliqué.
Anca Luca : Comme dit Francis Bacon, la connaissance, le savoir rend plus puissant, en fait.
Frédéric Couchet : Ça aurait pu être une excellente conclusion, mais je me souviens quand même de ma question, donc ma dernière question c’est un, comment on peut vous contacter si on veut contribuer et deux, est-ce qu’on peut vous voir sur des évènements libristes ou autres, je peux penser aux Ubuntu Party, par exemple ce week-end à Toulouse il y a le Capitole du Libre, bientôt il y a un salon libriste ? Deux questions : comment on peut vous contacter ? Est-ce qu’on peut vous retrouver sur des évènements ?
Anca Luca : Moi je serai à Toulouse mais avec mon tee-shirt XWiki, pas avec mon tee-shirt Open Food Facts. Vous allez me trouver sur le stand XWiki : si vous voulez venir me parler, je serai ravie de vous parler d’Open Food Facts aussi.
Pierre Slamich : On sera au FOSDEM.
Frédéric Couchet : Donc à Bruxelles, en février.
Pierre Slamich : On participe régulièrement à plein d’évènements. On est très heureux de pouvoir intervenir dans des évènements et, du coup, pour nous contacter c’est très simple, c’est contact chez openfoodfacts.org et aussi sur nos espaces de discussion en ligne.
Frédéric Couchet : Excellent. Je vous remercie de cet échange sur Open Food Facts. C’était Pierre Slamich et Anca Luca. Je vous souhaite de passer une belle journée et à bientôt.
Pierre Slamich : Bonne journée.
Anca Luca : Bonne journée.
Frédéric Couchet : On va faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : On va écouter Nomad par MELA. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune.
Pause musicale : Nomad par MELA.
Voix off : Cause commune 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Nomad par MELA, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Vous retrouverez les références sur le site de l’April, april.org, et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm.
Vous écoutez toujours Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 FM en Île-de-France.

Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]

Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April, sur la clause « Pas d’usage commercial » de certaines licences Creative Commons

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l’April. Bonjour Vincent.
Vincent Calame : Bonjour.
Frédéric Couchet : Aujourd’hui, tu souhaites nous parler de la clause « Pas d’usage commercial » de certaines licences Creative Commons.
Vincent Calame : Oui tout à fait. Pour cette chronique j’ai un peu marché sur les plates-bandes de Jean-Christophe Becquet qui tient ici même une chronique « Pépites libres » où il présente des ressources justement sous licence libre. Et dans sa toute première chronique, que l’on peut télécharger sur le site de l’April, il évoquait le cas de la vidéo d’une conférence qui était sous licence Creative Commons, mais qu’il ne pouvait pas réutiliser dans une formation parce qu’elle avait justement cette clause usage Non commercial. Dans sa chronique il parle de l’échange qu’il a eu avec l’auteur pour lui faire retirer cette clause. Et c’est de ça dont je voudrais parler aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Alors : clause, licence, Creative Commons… Trois mots de jargon d’un coup, explique-nous ça.
Vincent Calame : Les habitués connaissent ça par cœur mais il faut préciser pour les personnes qui nous rejoignent. La licence c’est un document juridique qui indique les conditions d’utilisation d’un logiciel ou de toute autre production. Je parle sous contrôle. Vous savez, c’est souvent ce long texte que vous faites défiler rapidement sans le lire pour faire activer le bouton « J’accepte », sans poser de questions. Il y a donc de très nombreuses licences différentes. Dans le cas des logiciels libres, on dit qu’un logiciel est libre quand l’auteur lui a attaché une licence qui assure à l’utilisateur quatre libertés : la liberté d’utilisation, la liberté d’examen du code, de modification du code et de distribution de codes modifiés. La plus célèbre des licences libres et la première c’est la GNU GPL. Ces licences qui sont très utilisées dans le monde du logiciel libre ont inspiré d’autres licences plus adaptées à d’autres productions intellectuelles comme les textes et les vidéos. Et une des plus connues c’est la Creative Commons.
Frédéric Couchet : Attention Vincent, attention ! On ne dit pas la licence Creative Commons mais les licences Creative Commons.
Vincent Calame : Voilà, parce que nous approchons du nœud du problème. En fait, le système des Creative Commons, c’est une famille de licences. Et quand vous avez votre document, vous êtes l’auteur, vous voulez le mettre sous licence Creative Commons, vous choisissez un certain nombre de clauses parmi celles disponibles. Il y a, par exemple, la clause Attribution qui demande que l’auteur initial soit bien cité, la clause « Partage à l’identique » qui impose de distribuer les modifications sous les mêmes conditions et la clause NC pour Non commercial qui interdit l’usage commercial.
Frédéric Couchet : Alors nous y sommes. Pourquoi cette clause « Pas d’usage commercial » pose-t-elle problème ?
Vincent Calame : Parce qu’une licence Creative Commons avec cette clause est une licence non-libre. En effet, la première liberté des licences libres c’est celle de la liberté d’utilisation, donc y compris dans un usage commercial. Avec une clause Non commercial vous limitez la liberté de l’utilisateur. Le problème, en fait, de cette clause c’est qu’elle apparaît comme assez naturelle, même très naturelle, en particulier pour une association qui, en France, est régie par la fameuse loi de 1901.
Frédéric Couchet : Donc la loi qui parle d’associations à but non lucratif.
Vincent Calame : Exactement. Il y a une légitime fierté, pour les associations, à faire partie d’un secteur non-marchand. Du coup, je pense qu’elles ont le sentiment que la clause NC est faite pour elles. La difficulté, du côté des militants du Libre, c’est montrer en quoi cette clause est un frein à la diffusion de leurs productions. Un exemple : une photo ne peut pas être mise dans une production papier même si cette production a été vendue à un prix coûtant, c’est-à-dire juste le prix de l’impression.

Je pense aussi que pour les associations, cette clause rassure parce que derrière ça il y a la crainte que quelqu’un profite du travail, qu’il se fasse de l’argent dans le dos de l’association.
Frédéric Couchet : Ça c’est un fantasme en fait ? Non ?
Vincent Calame : Oui. Je pense que oui dans le sens où moi je n’ai pas d’exemples concrets d’un vol de données, d’informations ou de quelque chose qui se ferait de l’argent là-dessus. Il n’y a pas d’exemples concrets. En revanche, il y a un environnement dont il faut être conscient quand on est aussi militant du Libre dans le sens où le monde associatif est en ce moment soumis à une très forte pression de rentabilité. Il y a des suppressions de subventions, il y a des exigences de redevabilité excessives, de rendre des comptes, des évaluations comptables très tatillonnes et très financières, il faut faire du chiffre. Il y a également ce phénomène dans certains secteurs qui relèvent de l’économie sociale et solidaire comme les aides à la personne, à l’insertion, etc., l’arrivée de nouveaux acteurs, adossés souvent à des grands groupes de services qui les mettent en concurrence et qui leur mettent une pression grâce entre guillemets à « l’efficacité du monde de l’entreprise » et aussi au fait qu’ils sont adossés à des groupes capitalistiques qui ont des moyens importants. Donc quand on est avec un militant de l’économie sociale et solidaire, quand on lui parle d’entrepreneur social voire d’obligations à impact social — c’est la dernière trouvaille venue du Royaume-Uni qui, en fait, lie les obligations au financement du monde associatif —, en général, quand vous lui parlez de ça, ça lui donne des boutons, parce que ça l’attaque aussi dans son fondement, dans sa raison d’être. Voilà !

Tout ça pour dire que la question du Non commercial est un terrain sensible. Je pense qu’il faut marcher un peu sur des œufs quandon aborde cette question avec une association.
Frédéric Couchet : Comment faut-il procéder selon toi ?
Vincent Calame : Je pense que le mieux est de procéder en deux temps. Je ne pense pas être le seul à avoir cette expérience.

Le premier temps c’est déjà de convaincre l’association de l’intérêt d’avoir une licence. Parce que tout simplement, beaucoup d’associations ont leurs documents qui est comme ça, sans indication. Quand il n’y aucune licence, ça dépend juste du droit d’auteur, donc il n’y a rien d’autorisé. Donc déjà, les convaincre d’indiquer une licence. Dans ce premier temps, la clause Non commercial parfois ça peut rassurer, ça peut rassurer l’association qui limite un peu cette diffusion libre à laquelle elle n’était pas forcément préparée. Je pense que dans un second temps, à partir d’exemples concrets, on peut montrer en quoi cette clause Non commercial constitue un frein, n’est pas très utile et finalement pourrait être supprimée. Par exemple si l’association gère des données géographiques on parle de géolocaliser, la clause Non commercial va interdire de les réutiliser dans une base de données comme OpenStreetMap qui est la grande base de données géographiques. Donc c’est une valorisation en moins des données pour l’association et c’est dommage.

Dans sa chronique, Jean-Christophe avait procédé comme suit : il avait d’abord félicité l’auteur parce qu’il avait déjà fait l’effort de mettre sous licence Creative Commons avec clause Non commercial et ensuite une fois qu’il l’avait félicité, il lui a montré l’intérêt qu’il y avait à abandonner cette clause pour permettre une meilleure valorisation, une meilleure diffusion du contenu et de la production parce que, au final, c’est aussi ça le but, c’est de diffuser au maximum sa production.
Frédéric Couchet : Tout à fait. Donc il ne faut pas y aller comme un bourrin, de façon agressive. Il faut tenir compte du contexte de la personne et effectivement commencer par féliciter la démarche parce que la personne a entamé, en choisissant une licence de la gamme Creative Commons, une démarche de partage. Il faut dire aussi que Creatives Commons n’explique pas trop, quand on choisit les licences, les impacts potentiels. Mais bon, évidemment, « Pas d’usage commercial », il peut y avoir différentes interprétations et je trouve qu’il y a peut-être un manque d’explications. Donc il faut y aller en expliquant, en positivant au départ, en saluant le travail et en respectant le choix final de la personne au fond.
Vincent Calame : Oui complètement. Et dire que, finalement, une des clauses les plus importantes c’est la clause Attribution qui est de dire que c’est important qu’on garde la source de qui a produit initialement votre travail. Je pense d’ailleurs que c’est une des meilleures protections contre le vol parce que quelqu’un ne va pas s’amuser à faire, entre guillemets, « de l’argent » en indiquant la source et en montrant que la source ce n’est pas lui mais une petite association ». En termes d’image ce n’est pas terrible. Donc le plus important c’est sans doute cette clause Attribution et de la faire respecter.
Frédéric Couchet : C’est peut-être aussi l’occasion d’expliquer l’importance de la clause de « Partage à l’identique copyleft », on pourra peut-être en reparler, qui est une clause qui permet de protéger beaucoup plus finalement que la clause Non commercial. Et sur le terme de vol, bon on va rappeler que dans le numérique il n’y a pas vraiment de vol parce qu’on ne soustrait pas quelque chose. C’est juste un terme d’idéologie.
La conférence dont tu parles c’est Un Faible Degré d’Originalité et la chronique de Jean-Christophe Becquet c’était dans l’émission du 15 janvier 2019, les podcasts sont disponibles sur causecommune.fm et sur april.org. On peut aussi, quand tu parlais des freins, expliquer par exemple un frein potentiel. Tu as parlé d’OpenStreetMap, on vient de parler d’Open Food Facts, eexpliquer qu’Open Food Facts, la licence choisie n’est pas une licence Creative Commons parce que c’est spécial aux bases de données, mais c’est une licence qui autorise la réutilisation commerciale et finalement quelque part, c’est un commun numérique qu’on développe et effectivement, il y a une discussion à avoir avec les personnes pour qu’elles comprennent la démarche et qu’elles fassent leur choix en toute connaissance de cause au final.
Vincent Calame : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Écoute Jean… J’allais t’appeler Jean-Christophe. Vincent, est-ce que tu veux ajouter quelque chose ?
Vincent Calame : Non c’est bon.
Frédéric Couchet : Non ? Bon alors merci Vincent et on se voit le mois prochain.

C’était la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]

Annonces

Frédéric Couchet : On va terminer par des annonces. D’abord la réponse à la deuxième question du quiz.

Je vous rappelle la question. Lors de l’émission du 5 novembre 2019 notre sujet principal portait sur les femmes et l’informatique, la question était : sauriez-vous citer les noms des associations créées par des femmes, réservées aux femmes pour notamment qu’elles puissent s’exprimer librement, échanger, rassembler les voix des femmes dans l’informatique et mener des actions ? Les réponses étaient : Open Heroines, le site web est openheroines.org et pour le chapitre français vous pouvez le trouver sur le site codefor.fr ; la deuxième structure c’était Duchess France, duchess-france.org, sans « e » à Duchess et vous verrez sur le site pourquoi il y a une référence à Duchess. Je vous encourage vraiment à écouter le podcast consacré à cette émission, il est en ligne à la fois sur le site de l’April, april.org, et sur le site de Cause Commune, causecommune.fm, car c’était une discussion très riche et vraiment très intéressante.
Dans les annonces d’évènements, il y en a pas mal en ce moment.

Ce soir, mardi 12 novembre, de 18 heures à 21 heures, il y a l’évènement Lumière sur les Éditeurs de Logiciels Libres, ça se passe à Paris. Je crois qu’il reste encore des places. C’est de 18 heures à 21 heures, Lumière sur les Éditeurs de Logiciels Libres.

En ce moment à Grenoble il y a une initiative intéressante à partir de ce soir 18 heures 30 jusqu’à samedi 30 novembre 18 heures 30, c’est Protège tes données perso, c’est organisé à la Turbine.Coop, 3-5 Esplanade Andry Farcy à Grenoble. Vous retrouverez les informations évidemment sur le site agendadulibre.org.

Jeudi soir à la FHP où Vincent officie, il y a la soirée de contribution au Libre, comme tous les jeudis de 19 heures 30 à 22 heures.

Pour les personnes qui ont un petit peu soif, il y a l’apéro parisien du Libre, c’est vendredi 15 novembre de 19 heures à 23 heures au Zig Zag Cafe à Paris. L’apéro parisien du Libre c’est tous les 15 du mois donc c’est assez facile, par contre le lieu change à chaque fois, donc il faut aller sur agendadulibre.org pour avoir les informations.
Deux évènements importants ce week-end.

Le premier c’est à Toulouse, Capitole du Libre, samedi 16 novembre et dimanche 17 novembre, c’est clairement l’un des évènements les plus sympas de la planète des évènements libristes et, en plus, vous aurez la change de pouvoir retrouver de mémoire je crois que ce sont trois conférences April : Christian Momon qui est administrateur de l’April donne deux conférences je crois et Étienne Gonnu en donne une, mon collègue Étienne Gonnu en charge des affaires publiques. Ils vous parleront notamment des actions institutionnelles de l’April et également du Chapril, donc notre contribution à vous Dégoogliser d’Internet avec des services libres et loyaux. Le site c’est capitoledulibre.org.

Et le même week-end – eh oui ça tombe mal mais c’est comme ça – il y a l’Ubuntu Party à la Cité des sciences et de l’industrie, samedi 16 novembre et dimanche 17 novembre. Il y aura un stand de l’April, tout comme au Capitole du Libre d’ailleurs, vous aurez le plaisir de retrouver un stand de l’April et il y a normalement une conférence April que j’animerai pour présenter justement l’émission de radio. Pour l’instant je n’ai pas encore la date, j’espère juste que d’un point de vue pratique ce sera dimanche après-midi, ça m’arrangerait en termes de planning personnel.
Vous les retrouverez tous les autres évènements sur le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org.
Notre émission se termine. Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Jean-Christophe Becquet, Anca Luca, Pierre Slamich, Vincent Calame. Aux manettes de la régie aujourd’hui Éienne Gonnu.

Gand merci également à Sylvain Kuntzmann et à Olivier Grieco pour le traitement des podcasts et je les remercie notamment pour le traitement du podcast de la semaine dernière, nous avions eu beaucoup de problèmes techniques.
Vous retrouverez sur le site de l’April, april.org, et sur le site de la radio, causecommune.fm, toutes les références utiles et les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des remarques, des questions, elles sont toutes bienvenues.
Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission du jour. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous. Donc faites connaître Libre à vous ! et faites connaître la radio Cause Commune.
La prochaine émission aura lieu en direct mardi 19 novembre 2019 à 15 heures 30. Notre sujet principal portera sur la vie d’Ada Lovelace, considérée comme la première personne à avoir écrit un programme informatique. Nous diffuserons une interview de Catherine Dufour qui vient de publier le livre Ada ou la beauté des nombres.
Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 19 novembre 2019 et d’ici là portez-vous bien.
Générique de fin d’émission :Wesh Tone par Realaze.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.