Le Conseil National Logiciel Libre interview de Patrice Bertrand lors des RMLL 2014

Informations

  • Titre : Le Conseil National du Logiciel Libre
  • Intervenant :Patrice Bertrand - Journaliste de Radio RMLL
  • Date : Juillet 2014
  • Lieu : RMLL - Montpellier
  • Durée :24 min 20
  • Média : Lien vers le site rmll

Patrice Bertrand, président du CNLL nous présente le rôle de cette fédération d’associations d’entreprises œuvrant pour le logiciel libre.

Transcription

Luc :
Radio RMLL. Bonjour. Je suis avec Patrice Bertrand, qui est à la tête du CNLL, le Conseil National du Logiciel Libre. Donc qu’est-ce que c’est que le Conseil du Logiciel Libre ?
Patrice Bertrand :
Le Conseil National du Logiciel Libre, c’est une association qui est un peu dans un mode de fédération, puisque ses membres sont eux-mêmes des associations. Ses membres sont des associations régionales d’entreprises du Logiciel Libre.
Luc :
Donc c’est une sorte de fédération, en quelque sorte ?
Patrice Bertrand :
Voilà, c’est ça. C’est une sorte de fédération qui a été créée en 2010 et qui est active depuis cette date et j’en suis le porte-parole, renouvelé dans ce mandat en février dernier. Les associations régionales dont je parle, qui sont membres du CNLL, sont au nombre de treize. Ce sont des associations d’entreprises qui, certaines, existent depuis plus de dix ans, qui sont très actives dans leur région, très reconnues des pouvoirs publics et qui ont chacune, disons, entre une vingtaine et une soixantaine de membres.
Luc :
Ça fait combien de membres au total pour le CNLL ?
Patrice Bertrand :
Un peu plus de trois cents.
Luc :
D’accord.
Patrice Bertrand :
Et donc ces associations régionales ont une activité qui a trois typologies de missions. La première c’est de faire collaborer entre eux, de créer des actions communes entre ses membres qui peuvent être de niveau commercial, de répondre ensemble à un appel d’offres, ou d’associer un éditeur de logiciels avec un intégrateur qui pourra déployer son propre produit, etc. La deuxième c’est de communiquer autour des valeurs, des croyances, mais aussi des intérêts économiques des entrepreneurs du Logiciel Libre, et puis d’offrir des interlocuteurs aux pouvoirs publics régionaux pour déployer leur action.
Luc :
Et pour avoir des interlocuteurs nationaux également au travers du CNLL ?
Patrice Bertrand :
Et voilà. Ces associations, en 2010, ont fait le constat qu’il manquait un relais au niveau national et ont créé le CNLL avec un peu les mêmes missions : créer des liens entre les associations. Et par exemple, depuis l’année dernière, et ça va avoir lieu à nouveau cette année, on a créé un cycle de réunions qui s’appelle les Rencontres Régionales du Logiciel Libre, un peu comme comme les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre. Le premier cycle était spécifiquement orienté vers les collectivités locales, donc pour dire comment est-ce qu’on déploie du Logiciel Libre dans les collectivités locales, et donc il y a eu peut-être l’année dernière pas loin d’une dizaine de conférences qui se sont tenues. Et donc le CNLL était typiquement dans sa mission, non pas d’organiser directement ces conférences, mais d’aider les associations régionales à collaborer dans leur organisation.
Luc :
Le CNLL, donc ça représente des petites entreprises, des PME essentiellement ?
Patrice Bertrand :
Oui. Le CNLL représente des petites entreprises pour la plupart. On estime que la moitié d’entre elles environ ont moins de cinq salariés et la taille moyenne est à une dizaine de salariés et il y a un petit nombre, à peine, je crois une petite dizaine d’entreprises, qui vont avoir passé la centaine de salariés.
Luc :
D’accord.
Patrice Bertrand :
Donc ce sont des PME et des TPE.
Luc :
Dans vos actions vous avez également fait passer un questionnaire, c’est ça, récemment ?
Patrice Bertrand :
Oui c’était une des dernières études qu’on a publiée, c’était au mois de mars. On a interrogé les chefs d’entreprises. Comme ce sont des petites entreprises, le chef d’entreprise est souvent le créateur de l’entreprise et on les a interrogés sur toute une palette de sujets d’actualité qui allaient de l’action du gouvernement, la priorité au Logiciel Libre dans l’éducation, la stimulation de la R&D en France, mais également jusqu’aux conséquences de l’affaire Snowden, etc.

Le détail de l’analyse des réponses de ces chefs d’entreprise figure sur le site du CNLL, je ne peux pas en faire la synthèse précise ici, mais disons qu’une des choses vraiment essentielle qui est ressortie, c’est un grand alignement des points de vue. On a eu plus de cent personnes, près de cent vingt personnes qui ont répondu à ce questionnaire, donc un nombre très conséquent, et sur beaucoup de sujets on voyait qu’à 80 % les réponses allaient dans le même sens.

Luc :
Preuve qu’il y a effectivement vraiment une communauté qui tirait dans le même sens. Ce sont des gens qui ont une vision des choses assez proche.
Patrice Bertrand :
Exactement oui, et ça c’est vraiment un effet majeur. Une des actions, alors ça remonte à un peu plus loin, mais qui est encore d’actualité malgré tout, une des actions majeures du CNLL ces dernières années, avait été d’interroger par écrit les candidats à l’élection présidentielle sur leurs engagements sur huit grandes questions qui tiennent à cœur aux entreprises du Logiciel Libre. Et les principaux candidats, Sarkozy, Hollande, pour l’essentiel, avaient répondu de manière très détaillée. Et aujourd’hui c’est important d’avoir ça entre les mains, parce que régulièrement, chaque fois qu’il y a des échanges avec le gouvernement ou des ministres ou des secrétaires d’état, on peut dire regardez ce qui avait été écrit par le ..
Luc :
Le candidat avant qu’il soit élu.
Patrice Bertrand :
Voilà, tout à fait.
Luc :
Très bien. Il y a du boulot là-dessus. Je me souviens d’une déclaration de Fleur Pellerin quand elle était Secrétaire d’État au Numérique, qui avait dit que le Libre, en tout cas toute la partie entreprises, manquait d’un gros acteur, une bonne grosse machine pour avoir un interlocuteur avec qui parler.
Patrice Bertrand :
Alors oui, elle, elle ne parlait non pas tellement d’un gros acteur, d’une grosse entreprise, mais elle parlait de la structuration, on appelait ça la structuration de la filière. C’était il y a deux ans. C’était le mot clef de toute la communication, effectivement, en partie du cabinet de Fleur Pellerin, pas uniquement d’ailleurs par rapport à la filière d’entreprises du Logiciel Libre, mais elle disait ça un peu de toutes les filières et on peut comprendre que ça ait un intérêt pour le gouvernement, en particulier, de ne pas avoir trop de gens à qui parler. Néanmoins justement ce qu’on a répondu à ça, nous, très légitimement, c’est que justement le CNLL avait pour vocation de donner un interlocuteur unique au niveau national pour représenter spécifiquement les entreprises du Logiciel Libre. Cela dit, elle, elle allait plus loin, elle disait c’est toute la filière des nouvelles technologies, toute la filière de l’ingénierie. Et effectivement, Syntec Numérique, qui représente de manière pour le coup très très large toutes les entreprises, on disait informatiques avant, et numériques maintenant, revendiquait aussi de représenter, entre autres, les entreprises du Logiciel Libre. À quoi nous CNLL, on répondait, non ; il y a beaucoup de choses sur lesquelles on peut partager des projets, des messages, en particulier tout ce qui est l’aide à l’innovation, ce sont des choses qu’on partage avec le Syntec Numérique.
Luc :
Le Syntec Numérique quand il y a eu un projet de loi, un amendement pour mettre la priorité du Logiciel Libre dans l’éducation, le patron de la Syntec s’est élevé contre et s’est clairement prononcé contre cette priorité.
Patrice Bertrand :
Voilà, exactement. J’ai entendu qu’après il avait un peu regretté cette action, parait-il, mais en tout cas, ce qui est certain, sans vouloir polémiquer, ce qui est certain, c’est que, plus on prétend représenter un périmètre très large, moins on peut avoir de messages spécifiques et plus on est pris dans des ambiguïtés ou dans des conflits de messages entre ses différentes typologies d’adhérents. Nous, CNLL, on a le mérite d’avoir une représentativité très ciblée : les entrepreneurs faisant un majorité de leur chiffre d’affaires sur le Logiciel Libre et c’est sur ce créneau qu’on est des interlocuteurs pertinents pour les gouvernements, entre autres.
Luc :
D’accord. Ça fait un petit moment que je n’ai pas vu de chiffres passer sur les marchés, en tout cas sur le marché du Logiciel Libre et des prestations professionnelles autour du Logiciel Libre. Ça disait, la dernière fois que j’en ai vus, que ça croissait beaucoup plus vite, qu’on était à quelque chose comme, de mémoire je crois que c’est 6 %. Je me trompe peut-être, 6 ou 8 % ?
Patrice Bertrand :
Oui, tout à fait, 6 %
Luc :
6 % et que ça montait plus vite que les reste du marché informatique ?
Patrice Bertrand :
Oui. Alors ce sont de chiffes effectivement qui n’ont pas été mis à jour ces deux dernières années, mais pour l’essentiel ils restent valables. On parlait à l’époque, c’est une étude de Pierre Robin Consultant qui parlait de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’ensemble de la filière, représentant trente mille emplois. Mais, il faut bien préciser quand même, que le périmètre que prenait en compte ce chiffre n’est pas le périmètre des PME et même plus des grandes entreprises spécialisées en Logiciel Libre. C’est la part du Logiciel Libre dans l’industrie des logiciels et services français, incluant peut-être, à la fois d’importants volumes d’affaires qui sont pratiqués chez ce qu’on appelle les utilisateurs finaux. Ça peut être Airbus, STMicro, Renault, etc, et y compris chez des SSII généralistes.

Notre analyse c’est qu’environ 10 % de ce chiffre, c’est à dire 250 millions d’euros, environ trois mille emplois, est représenté par les membres du CNLL, donc petites entreprises spécialisées dans le Logiciel Libre.

Luc :
D’accord.
Patrice Bertrand :
Mais effectivement avec un taux de croissance qui est sensiblement plus important que celui du marché, enfin de l’économie française en général, et des TIC en particulier.
Luc :
Et en plus ça se maintient. D’accord. J’avais lu aussi des choses, il me semble venant du CNLL, si je ne me trompe pas parce que ça remonte à loin, sur des difficultés au niveau du recrutement, avec la difficulté à trouver des gens, des jeunes diplômés notamment, qui avaient des compétences dans les technologies libres.
Patrice Bertrand :
Oui tout à fait. C’est un sujet récurrent parce qu’il n’est pas toujours pas résolu. Presque toutes les entreprises du Logiciel Libre estiment qu’elles pourraient créer davantage d’emplois si elles avaient moins de difficultés à recruter. Et on pense que c’est un axe vraiment stratégique pour la France que de mieux former au Logiciel Libre dans toutes les filières d’enseignement supérieur. Il y a une variété de sujets autour de ça. Il y a la formation au Logiciel Libre dès l’enseignement primaire, mais là on se focalise vraiment sur l’adéquation entre la formation et les attentes du marché, et déjà là, il y a énormément à faire pour mieux former à la fois aux technologies. Il ne s’agit pas tellement d’apprendre LibreOffice au lieu de Excel ou je ne sais trop. C’est beaucoup plus large que ça, ce sont les technologies dans un sens assez large, et entre autres, les technologies particulières de la contribution à un grand projet open source, les technologies du développement communautaire, en réseau, etc.
Luc :
Du coup, le CNLL a mené des actions auprès du Ministère de l’Éducation par exemple ou de l’éducation supérieure, qui iraient dans ce sens-là ? En tout cas pour faire entendre ce truc-là ?
Patrice Bertrand :
Des actions sont régulièrement menées. Mais j’avoue que je n’ai pas le sentiment d’avoir été énormément entendu sur ce terrain. Néanmoins, de manière plus terre à terre, auprès de tel établissement, tel ou tel établissement d’enseignement, là, on s’aperçoit que parfois, on a au contraire une bonne écoute et il y a beaucoup d’établissements d’enseignement informatique qui commencent à accorder une place très sérieuse au Logiciel Libre.
Luc :
On vient tout juste d’hériter d’un, alors je ne sais plus quel est le terme exact, mais au niveau de l’Assemblée Nationale, d’une sorte d’organisation qui doit parler de numérique, qui doit se spécialiser là-dedans. On sait qu’il y a des députés qui sont entrés dedans. On a quelques personnes qu’on apprécie dans le Logiciel Libre qui y sont rentrées, notamment, j’ai un trou de mémoire, mais c’est….
Patrice Bertrand :
Tristan Nitot ?
Luc :
Non, ce n’est pas lui.
Patrice Bertrand :
Ah, pardon, je vois, de la Kinetic, François Pellegrini ?
Luc :
Oui lui est entré dedans. On a quelqu’un d’autre. Peu importe. En tout cas, c’est un truc qui n’est pas, comme d’autres choses qu’on a pu voir par le passé manifestement complètement noyauté et verrouillé. Est ce que, de ton avis, il y a des choses intéressantes qui peuvent sortir de cette organisation-là ? Est-ce que c’est quelque chose que tu surveilles, que la CNLL surveille ?
Patrice Bertrand :
Oui, pendant longtemps, effectivement à l’époque où s’est constitué le Conseil National du Numérique, on était un peu préoccupés de la représentativité qui était donnée à telle et telle typologie d’acteurs. Avant même de parler de Logiciel Libre, il a semblé, dans un premier temps, que les acteurs vraiment porteurs de la technologie étaient trop peu représentés, et à l’intérieur de ceux-là, alors encore moins, il y avait une place quasiment nulle pour le Logiciel Libre. Ça a un peu changé entre autre avec justement la nomination, je crois, de Tristan Nitot.
Luc :
Ça c’est, oui, effectivement le CNNum.
Patrice Bertrand :
CNNum, oui c’est ça.
Luc :
Voilà. On a tous les deux un trou de mémoire, donc on va passer à autre, parce que là-dessus ça ne va pas être brillant. Moi, il y a un sujet qui m’intéresse par rapport au monde des entreprises, c’est ce qu’on appelle l’open-washing, c’est toute la partie libre, open source, tout ça, ça devient un sujet un peu valorisant et on sait qu’il y a des entreprises qui disent en faire, n’en font pas ou en tout cas se collent l’étiquette open quelque chose, pour faire à peu près n’importe quoi. Est-ce que c’est quelque chose sur lequel le CNLL est attentif ? Est-ce qu’il y a une charte ou quelque chose comme ça qu’on attend des entreprises membres ?
Patrice Bertrand :
Alors, oui, c’est très important effectivement. En fait de charte, on peut citer une charte libre emploi mais qui est spécifiquement orientée vers les candidats cherchant un emploi dans une entreprise de logiciels libres. Mais, de manière plus large effectivement, je dirais même en revenant aux sources, on pourrait dire que les pères fondateurs, si je peux dire, autant logiciel libre que plus tard l’open source, tout le monde s’est attaché à bien définir les termes, pour justement qu’on ne puisse pas être plus ou moins libre, plus ou moins ceci. Non ! On était libre ou on ne l’était pas. On était libre si on respectait les quatre libertés fondamentales. On était logiciel open source si on respectait les dix, je crois, conditions de licence. Et justement pour qu’il n’y ait pas d’abus de langage, les termes devaient être bien définis.

Et malheureusement, malgré ces précautions initiales, on a vu ces dernières années, que beaucoup d’entreprises, justement, affichaient sur leur site, open source et alors après quand on essayait d’enquêter, on disait « Où est-ce que je télécharge votre logiciel puisqu’il est open source ? Où elle est la licence ? Qu’est-ce que j’ai le droit de faire ? Est-ce que j’ai bien le droit de faire tout ce que l’on m’a promis ? » Et là ils disaient « Ah non ! On est logiciel libre parce qu’on a fait du PHP quelque part ! Mais pour ce qui est de télécharger, ah non, ça ne va pas être possible, etc ». Et donc ça, tous les acteurs sont extrêmement remontés contre ça et luttent vraiment ardemment. Je crois que d’ailleurs c’est une lutte qui porte et j’ai le sentiment qu’on en voit un peu moins qui jouent ce jeu vraiment de s’annoncer libre et en fait de ne pas mettre ses programmes sous des licences libres et en téléchargement libre.
Par contre il y a un autre sujet qui est souvent associé à celui-là, ce sont des éditeurs de logiciels qui ont une version libre et une version qui n’est pas libre qu’ils appellent entreprise, ce que certains critiquent vertement, sous le nom de Open core, ou des choses comme ça. Moi personnellement, j’ai toujours été un peu moins remonté contre ça que contre quelques autres pratiques, sachant qu’effectivement ça crée une frontière moins tranchée, il faut le reconnaître, et ça peut même créer un peu de trouble dans les esprits, en particulier d’utilisateurs et en particulier d’utilisateurs entreprises, enfin disons d’informatique professionnelle.
Et cependant, je dirais que dans certains cas, ça peut être un moyen tout à fait légitime de financer le développement de logiciels libres. C’est-à-dire qu’on a des logiciels comme ça, dont une version est véritablement authentiquement libre, sous GPL, vous téléchargez les sources quand vous voulez, vous déployez et ça marche et même parfois 95 % des utilisations vont faire usage de cette licence ; et néanmoins le développement de ceci va être financé par les 5 % d’utilisateurs qui seront prêts à mettre dix vingt mille euros pour avoir une licence d’une application qui ne sera pas libre, c’est vrai, mais bon, qui en fera plus. Et finalement c’est un mode de financement. Comme je dis, il a ses quelques petits inconvénients c’est de créer une frontière qui n’est plus aussi marquées, parce que sous la même dénomination on a un logiciel libre vrai et un logiciel pas libre du tout, donc ça crée un peu de flou, mais c’est un des modèles économiques qui fonctionne, malgré tout et qui crée du logiciel de qualité. Donc de ce point de vue-là, moi je suis un peu plus indulgent que par rapport aux vraies arnaques au logiciel libre.
Luc : D’accord. Dans le monde open source, je ne vais pas dire libre, on a des très gros acteurs. Quand on regarde le site du projet Linux, les premiers membres qui sont mis en avant c’est IBM, c’est HP, ce sont des très grosses boîtes qui ne font pas nécessairement du libre et qui en utilisent. On sait que toutes les grosses entreprises, les Google, même Apple avec le noyau bsd, Facebook, etc, toutes ces boîtes n’existeraient pas sans libre, mais après ça ont des politiques où elles ne reversent pas du tout, ou en tout cas leurs applications sont très fermées, ou vont reverser un peu ou pas trop. Néanmoins elles sont là. Moi ça pose deux questions. C’est est-ce qu’on est encore vraiment dans une démarche libre ? Est-ce que c’est juste de l’open source, c’est-à-dire qu’ils prennent ce qui les intéresse, collaborent ensemble sur la partie qui leur est favorable et se désintéressent complètement de ce qu’il peut y avoir par ailleurs ? Et est-ce que ce n’est pas également un danger par rapport justement à des PME ? Et comment des PME peuvent exister à l’ombre de géants de ce type-là ?
Patrice Bertrand : Oui alors excellent et vaste sujet. Les membres qui sont mis en avant souvent sur le site de la Fondation Linux, en règle général ce sont les plus gros contributeurs qui ont le plus de pouvoirs dans ce type de fondation et effectivement les plus gros contributeurs vont être les sociétés, des grandes sociétés d’acteurs que tu citais : Red Hat qui est toujours en très bonne place et qui pour le coup est un acteur spécialisé et puis quelques plus petits. Et ces sociétés-là payent des développeurs, des équipes de développement de leurs salariés, à travailler sur le noyau Linux.

Et c’est ça qui fait que le noyau Linux progresse de manière extrêmement dynamique par le fait de développeurs qui ne sont, pour la plupart, pas des bénévoles mais qui sont des développeurs payés. Et ça, pour moi, c’est au contraire, je dirais, une des très belles réussites du Logiciel Libre. C’est-à-dire que le Logiciel Libre, en l’absence de la Fondation Linux, on pourrait dire que telle ou telle entreprise, ou tel ou tel utilisateur, même à la rigueur individu, aurait intérêt à se mettre ensemble et faire du développement, de la R&D mutualisée. C’est-à-dire dire nous avons un besoin semblable, nous partageons un même besoin, ça nous coûterait cher d’aller chercher des solutions chez Microsoft ou chez Oracle, eh bien plutôt que d’aller les acheter ailleurs, mettons en commun nos ressources pour créer le logiciel dont nous avons besoin et puis on fera prendre ça, une sorte de boule de neige et on aura un logiciel de qualité dont on pourra tous bénéficier. Eh bien ça c’est un processus qui a énormément de mal à se mettre en place à partir de zéro. Mais lorsqu’une fondation est là pour amorcer le processus, et c’est clairement ce qu’a fait depuis maintenant quelques dizaines d’années la Fondation Linux, eh bien on arrive à avoir un gigantesque effort de R&D mutualisée.
Et pour moi, là, au contraire, je n’y vois quasiment que du bon, si ce n’est le point que tu soulignais, la présence très réduite des petites entreprises là-dedans. Mais sinon pour moi, les contributeurs ont le plus de pouvoirs parce que ce sont ceux qui donnent le plus. C’est-à-dire que les entreprise, une petite précision à ajouter là-dessus, c’est qu’il y a des entreprises qui vont utiliser beaucoup tel ou tel logiciel, par exemple disons Linux, et qui ne vont pas se soucier beaucoup de reverser ou de contribuer. Mais celles dont on parle et qui détiennent le pouvoir dans des grandes fondations sont justement celles qui contribuent. C’est par la contribution qu’elles ont obtenu ce pouvoir.
J’aimerais dire encore un petit mot à propos de la Fondation Linux, ça fait pas mal d’années qu’elle est en place. Mais plus récemment on a vu l’éclosion et même on pourrait dire la montée en puissance extrêmement rapide d’une autre fondation un peu sur un modèle comparable, c’est la Fondation OpenStack, où, de la même manière, des grands acteurs ont mis ensemble des ressources de développement importantes, très importantes et ça a donné une dynamique phénoménale à ce cloud. Autant, il y a trois ans il y avait plusieurs clouds open source qui auraient pu être en concurrence et très rapidement tous les efforts de développement ont convergé sur celui-ci. Ce qui est intéressant c’est qu’à la fois un, c’est un nouveau succès de ce modèle de R&D mutualisée, et deux, il y a une petite boîte française qui s’appelait Innovance, qui malgré sa petite taille, mais je ne sais pas bien qui doit avoir à tout casser entre cent et deux cents salariés, relativement petit boîte française, qui avait réussi par son dynamisme et son implication et son expertise à tenir sa place à côté des géants américains au sein de la Fondation OpenStack. Elle a, alors heureusement ou malheureusement, mais en tout cas, elle a été acquise dernièrement par Red Hat pour une somme assez astronomique, mais en tout cas c’est la récompense d’une stratégie très bien pensée et le résultat, pour le commun des mortels, le résultat c’est un logiciel de qualité, pour le cloud, que tout le monde peut utiliser.

Luc :
Très bien. Eh bien, Patrice Bertrand, je te remercie beaucoup. Je crois que tu as des conférences à aller voir, c’est ce que tu m’as dit tout à l’heure, cet après- midi, et on garde un œil sur ce que fait le CNLL.
Patrice Bertrand :
Merci également. Effectivement le programme est passionnant, donc j’ai une après-midi chargée.
Luc :
Bonnes RMLL.
Patrice Bertrand :
Merci.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.