La notoriété, valeur essentielle dans le monde numérique ? Décryptualité du 7 juin 2021

Luc : Décryptualité. Semaine 22. Salut Manu.

Manu : Salut Luc.

Luc : Commençons par le sommaire.

France Inter., « En participant au grand bla bla des réseaux sociaux, on perd sa vie plutôt qu’on ne la gagne », une interview menée par Christine Siméone.

Manu : Qui fait une discussion avec Hadrien Klent, qui me paraît bien intéressante, sur son livre où il parle de choses plutôt fun, de logiciel libre, d’informatique libre en général, les réseaux sociaux alternatifs, la journée de travail de trois heures seulement, tout ça ; c’est un roman dans le contexte d’une élection présidentielle. Ça à l’air plutôt sympa, je pense qu’il va falloir que je mette la main dessus.

Luc : Le Monde Informatique, « Plaidoyer de l’open source Français sur la souveraineté et le business », un article de Dominique Filippone.

Manu : Ça parle d’une enquête qui a été faite par le CNLL National du Logiciel Libre où, en gros, ils ont demandé un petit peu aux entreprises d’informatique françaises comment ça allait. Il semblerait qu’elles demandent plus d’encouragements de l’institution française, des administrations françaises pour utiliser du logiciel libre, pour utiliser des logiciels locaux et arrêter de se baser sur des logiciels propriétaires notamment américains. Ça pourrait être sympa de travailler avec des gens du coin.

Luc : Le CNLL, on rappelle que c’est en gros le syndicat des entreprises du Libre françaises.
Le Monde.fr, « Ne confions pas à Facebook le pouvoir de rendre la justice » (€), un article de Pierre Louette.

Manu : Une tribune. C’est un spécialiste des médias qui parle de tout ça. On peut dire que ça tombe bien parce qu’on a eu plein de discussions et qu’on aura sur le droit de parler, le droit de discuter, mais aussi la possibilité que les grands groupes ont de contrôler nos paroles et de nous bloquer ; ça peut arriver à n’importe qui, même des petites gens comme Donald Trump, de se voir couper la chique parce que ça ne plaît pas pour d’autres raisons. Donc là il y a de quoi faire. On ne voudrait surtout pas donner le droit de rendre la justice à ces grandes entreprises, pourtant c’est largement le cas.

Luc : On a tendance, effectivement, à les rendre responsables de tout ce qui se passe sur leurs plateformes ; de fait, c’est bien elles qui décident.
Heidi.news, « Berne appelle les informaticiens à « cracker » le futur certificat Covid (€)n », un article de Lorène Mesot.

Manu : C’est une initiative qui me paraît intéressante. Il est question avec la sortie, on espère, de l’épidémie de Covid qu’on ait des moyens de montrer qu’on n’est pas un risque, soit on a pris un vaccin soit on a déjà eu la maladie et on considère qu’on ne l’aura pas à nouveau, à peu près. En tout cas il faudra pouvoir montrer patte-blanche et pour mettre en place une infrastructure il faut de l’informatique, des logiciels. En Suisse, les logiciels seraient, seront ou sont, je ne sais plus, libres et surtout il y a une demande à ce qu’on vienne les tester, qu’on vienne un petit peu valider leur solidité. C’est un appel « venez, essayez de cracker tout ça ». C’est plutôt une initiative intéressante, risquée bien sûr parce qu’il y a peut-être des gens qui vont réussir à casser le système. Il vaut mieux voir maintenant s’il y a des failles pour les corriger le plus rapidement possible, pour essayer de vérifier que tout est bien en place avant l’ouverture officielle.

Luc : ZDNet France, « Freenode est abandonné par plusieurs projets libres, dont Wikimedia et Ubuntu », un article de Thierry Noisette.

Manu : C’est soi-disant un prince couronné, coréen, qui a racheté officiellement l’entreprise de Freenode, le réseau de discussion que beaucoup de gens dans la communauté du Libre, dont moi, utilisent, l’April l’utilise. Effectivement, en faisant un peu main basse officiellement sur l’entreprise, eh bien il avait le moyen de contrôler beaucoup de choses. Les administrateurs du système se sont massivement enfuis et ont créé un autre système parallèle, Libera.Chat [1], sur lequel je suis passé avec plein d’autres gens, exactement des dizaines de milliers de gens. C’est plutôt sympa de voir qu’il y a un mouvement qui s’est fait, comme ça, plus ou moins concerté. Tout cela reste très décentralisé. C’est vraiment d’un commun accord que les gens ont dit « là on ne peut pas y aller, ce n’est pas parce que le descendant des empereurs coréens nous a dit qu’il allait être gentil qu’il va l’être ».

Luc : Effectivement on a en parlé ces dernières semaines, notamment pour expliquer que la propriété d’une marque ou de ressources – en l’occurrence là des serveurs, etc. – en fait c’est très important même pour les projets libres et que cette propriété-là permet d’avoir des ressources, d’être utilisée et qu’on est un peu coincé quand on n’a pas cette marque. Et pourquoi cette marque ? Ça va être un peu notre sujet de la semaine. On voulait continuer un peu là-dedans et parler de cette question de la notoriété : une marque est importante parce qu’elle est connue.
En préambule, on va peut-être revenir sur notre podcast de la semaine dernière. On a eu une réaction [2] sur Twitter de quelqu’un qui répond au pseudo de Primokorn, qui n’a pas aimé le fait que je dise que bitcoin c’est de la connerie.

Manu : Oui, effectivement, tu dis des choses, franchement ! Mais d’où oses-tu parler comme ça ?

Luc : Je suis ouvert à la discussion sur Mastodon [@lfievet2 chez pouet.chapril.org], pas sur Twitter. C’est quand même l’occasion de rappeler que tout ce qu’on dit ici ce sont nos opinions, ce ne sont pas les positions de l’April. Je pense que l’April n’a aucune position sur le bitcoin. Elle est là pour faire la promotion et la défense du logiciel libre et pas pour prendre ce genre de position.

Manu : Je rappellerai que je n’ai pas forcément les mêmes positions que toi.

Luc : Effectivement.

Manu : Sur le bitcoin, je pense que la technologie blockchain [3] est super intéressante. Certes c’est déflationniste et ça va poser et ça pose des problèmes, mais j’ai l’impression que malgré tout c’est utile ; c’est une chose. Quoi qu’il en soit ça consomme trop d’électricité et pas qu’un peu ! Tu avais regardé un peu petit peu les proportions.

Luc : On en avait parlé la semaine dernière je crois et on a revérifié, dans les estimations qu’on a trouvées c’est à peu près 10 % de l’Internet mondial.

Manu : Une paille quoi ! Une poutre !

Luc : C’est colossal pour un truc que personnellement je trouve très contestable dans ses objectifs et ses effets. On ne va pas revenir abondamment sur le bitcoin. Il nous faudrait quelqu’un qui ait envie de le défendre pour pouvoir débattre un peu sérieusement avec.

Manu : Le président du Salvador. Ils sont quand même en train de dire que ça va être la monnaie officielle du pays.

Luc : C’est un article que tu as remonté, qui est intéressant. Le Salvador, comme beaucoup de pays sud-américains, galère avec son économie, avec sa monnaie. Je ne suis pas expert là-dessus, mais on sait que ça peut être compliqué, notamment quand on est en Amérique du Sud et qu’on n’est pas très conciliant avec les États-Unis, on peut éventuellement se retrouver avec de la guerre économique et ça peut effectivement jouer sur les monnaies qui sont dans un système international. On comprend que dans des circonstances où la monnaie est incontrôlable, où il y a énormément d’inflation et de problèmes de ce type-là, qu’un État se dise "passons sur une alternative qui n’est pas contrôlable par des puissances étrangères".

Manu : Peu contrôlable en tout cas.

Luc : Je ne connais pas bien la situation là-bas du coup je ne m’avancerai pas trop. En tout cas le président en question est motivé pour passer au bitcoin.

Manu : Ce que je remarque c’est que c’est le bitcoin et pas une autre monnaie qui pourtant pourrait exister, et il y en a plein d’autres qui existent, il y en a qui sont basées sur le Dogecoin [4] ce qui st plutôt drôle, parce que la technologie sous-jacente à tout ça est libre. Ce sont des logiciels qu’on peut reprendre et chacun, toi, moi, n’importe qui, peut faire sa cryptomonnaie, ce n’est pas fondamentalement impossible, pas forcément facile, mais il y a une chose avec laquelle on aura du mal pour détrôner le bitcoin, c’est sa reconnaissance, sa notoriété. C’est la première cryptomonnaie arrivée, donc ils ont eu cet avantage-là et c’est celle qui, pour l’instant, n’a pas été crackée en tout cas pas officiellement, on n’est au courant de rien, donc elle a cette notoriété, cette reconnaissance qui fait que ça fonctionne bien. À part se faire piquer parce que l’organisateur, le gestionnaire de son portefeuille de bitcoins se barre avec les sous, c’est quelque chose qui est à peu près à l’abri des institutions, des entreprises, des voyous, mais il faut faire attention à ceux qui font la gestion technique. Ça, par contre, ça reste compliqué.

Luc : Il y a une autre chose dans l’actualité que tu as remontée, qui nous a fait penser à cette question de la notoriété, qui est ton ancien président des États-Unis favori.

Manu : Oui, en tout cas l’un des meilleurs, celui dont on parle le plus, disons ça comme ça ! Il avait effectivement monté une sorte de pseudo-réseau social, parce que, comme on sait, il s’est fait virer de Twitter, Facebook, Instagram et peut-être d’autres, je ne sais plus. En gros il voulait continuer à s’exprimer, continuer à exprimer ce qu’il appelle le grand mensonge, c’est-à-dire le fait qu’il a perdu les élections à tort, donc il a créé une sorte de réseau social parallèle où il a invité tout le monde à venir s’inscrire, à venir s’exprimer à ses côtés.

Luc : En réalité une sorte de blog. C’était, semble-t-il, très sommaire et ça n’a pas duré longtemps.

Manu : Si j’ai bien compris il a fait 50 communications dessus. Là ils ont changé un petit peu l’organisation, c’est devenu un blog à une seule personne, si je comprends bien la chose, et maintenant on peut imaginer qu’il va peut-être soit se reporter sur un autre réseau social comme celui dont on avait entendu parler à l’époque, qui était plutôt de droite extrême, Parler.

Luc : Parler [5]. Mais c’est fermé ce truc-là !

Manu : Non. Ça avait été fermé parce qu’Amazon avait retiré ses billes, avait retiré ses serveurs. Il avait écrasé le système et, en plus de ça, des crackeurs ou des hackeurs, de gentils hackeurs, avaient pénétré le système informatique de Parler et ils avaient récupéré toutes les informations du réseau social, notamment qui, quoi, quand, et ça avait été rediffusé à pas mal de monde. Ça avait vraiment fait tache. Ensuite le réseau était tombé parce que les fournisseurs s’étaient barrés, ils avaient activé des clauses de contrat en lien avec les saloperies qui passaient dessus. Mais ceux qui avaient mis en place Parler ont remis en place des infrastructures qui sont basées sur d’autres entreprises et ils ont relancé d’autres choses avec d’autres logiciels, en repartant sur des bases utilisateurs différentes. On pourrait imaginer que Trump les rejoigne à tout moment, même qu’il les coopte, c’est-à-dire qu’il aille les voir et qu’il leur dise « vous me faites une « trumposphère » avec mon nom – parce qu’il aime bien mettre son nom partout – et grâce à ma notoriété je vais vous amener du monde, vous allez voir, on va relancer tout ça, ça va repartir du feu de dieu ! »

Luc : Ce qui est quand même intéressant c’est qu’en dépit du fait qu’énormément de gens le suivent, sa tentative d’aller en solo sur son petit site dans son coin n’a pas fonctionné. Après, on sait que dans son camp ils ont un peu cette capacité à foirer les choses et à bâcler le boulot, ça a sans doute joué. N’empêche que même Trump, avec son beau physique et sa notoriété, n’a pas réussi à fédérer ses fans autour de son site.

Manu : Une des raisons qu’on peut mettre en avant c’est que non, il fallait qu’il passe par Twitter et Facebook, ce sont eux les gardiens de la parole publique, ce sont eux les gardiens de la notoriété.

Luc : De fait les gens vont sur les places publiques. C’est un truc que les youtubeurs qui sont critiques par rapport au système remontent systématiquement en disant « même si YouTube c’est de la merde, je ne peux pas exister sans. Quoi que je fasse à l’extérieur, je n’existe pas, je suis totalement invisible si je ne suis pas là. » Cette question de notoriété, d’effet de réseau est quelque chose qui joue beaucoup ; une fois qu’on l’a c’est effectivement difficile d’en sortir, de le détrôner.
Dans le Libre on utilise un truc qui s’appelle Mastodon [6], qui est un truc un peu à la Twitter, qui a deux ans, un peu plus de deux ans.

Manu : Un peu plus à mon avis.

Luc : Qui a décollé plutôt dans le monde libriste. Il y a une activité, il y a du monde et, pour une raison qu’il est difficile de définir, la mayonnaise a pris alors qu’il y avait déjà des réseaux libres avant qui n’ont pas eu cet effet-là.

Manu : Effectivement, on sait qu’il y a probablement plein de facteurs qui vont jouer. Quand Facebook a été lancé, on a revérifié tout à l’heure, on était un peu étonnés, en même temps il y avait Orkut [7] qui avait été lancé vraiment à quelques jours près. Orkut était lui aussi un réseau social, qui n’était pas si mal, on était inscrits dessus, on l’a utilisé.

Luc : Il fallait noter ses amis, je ne suis pas resté très longtemps !

Manu : Ah ! C’était des concepts un peu novateurs à l’époque, un peu rigolos. Effectivement la plateforme a marché, je crois qu’au Brésil, notamment, ça a explosé, il y avait beaucoup d’utilisateurs, mais ça n’a pas tenu. Donc l’effet réseau, pour une raison qu’on ignore parce que toutes les mécaniques qui sont derrière restent un peu floues, n’a pas tenu alors que Facebook a explosé et contient aujourd’hui les profils de milliards d’êtres humains, on peut dire que c’est considérable.

Luc : Dans le logiciel libre la notoriété est aussi une notion importante. Quand quelqu’un contribue à un projet, il se forge une notoriété auprès des communautés, évidemment il n’est pas aussi connu qu’un Mark Zuckerberg. N’empêche que cette personne qui a apporté du code, qui a eu des idées, etc., va avoir de la crédibilité dans ses projets. Cette notoriété est importante, elle peut permettre de motiver des gens. Quand quelqu’un a cette notoriété dit « allez on va faire ça », il y a des gens qui vont le suivre, des fois il y a des déceptions. Également quand la personne va émettre des opinions sur des sujets, si elle a derrière du bagage prouvé et de la notoriété, sa parole va être effectivement beaucoup plus écoutée.

Manu : On en parlait la semaine dernière en disant qu’il y avait beaucoup d’éléments qui passaient par le temps de cerveau disponible. À la suite de notre discussion j’aurais tendance à dire que la monnaie qu’on échange souvent entre nous, les êtres humains, c’est une monnaie de reconnaissance, et on a besoin de ça, nous sommes des animaux sociaux par excellence, donc on a besoin d’être reconnus, on a besoin de savoir que notre parole va porter et cette notoriété c’est de l’argent dans notre réseau social. On a un fonctionnement qui est important, qui va être basé là-dessus.

Luc : Effectivement, on peut considérer que la notoriété est une forme de monnaie. Par contre elle est difficile à échanger ! C’est une monnaie qu’on ne peut pas refiler à quelqu’un.

Manu : Et on peut la perdre assez vite parce que la reconnaissance peut aller au caniveau très rapidement si on dit une bêtise. Ou, au contraire, parce qu’on dit des bêtises on peut être reconnu. C’est quand même très compliqué ! Moi je maîtrise mal, d’ailleurs je ne suis pas connu. Outre nous deux, je n’ai pas une grosse reconnaissance, j’ai peur que ma monnaie de notoriété ne soit pas très vendable, malheureusement.

Luc : La mienne non plus, surtout quand je dis du mal des bitcoins.

Manu : Tu prends des risques !

Luc : On se retrouve la semaine prochaine.

Manu : À la semaine prochaine, Luc. Salut. Compte sur ta notoriété.