Illectronisme, l’enjeu est social et politique Décryptualité du 19 avril 2021

Luc : Décryptualité. Semaine 15. Salut Manu.

Manu : Salut Mag.

Mag : Salut Luc.

Luc : Qu’a-t-on au sommaire ?

Manu : On a pas mal d’articles cette semaine, les journalistes ont pas mal bossé !

Mag : On va commencer par
Le Monde Informatique, « La fondation Linux lance son pôle de recherche sur l’open source », par Jacques Cheminat.

Manu : Un pôle de recherche, ça veut dire qu’ils mettent en commun des experts avec différentes personnes qui viennent d’entreprises. Ils vont essayer de sortir des analyses, des rapports, des études. Ils vont essayer de superviser un petit peu tout ce qui se passe dans le monde du logiciel libre, de l’open source de leur côté. On ne sait pas de qu’il en sortira, on verra avec le temps.

Mag : LeMagIT, « La stratégie gagnante d’une migration du poste de travail sous Linux », Christophe Auffray.

Manu : Ça parle de migration dans les administrations. Ça reparle de Munich où il y avait eu beaucoup de discussions là-dessus. Là, c’est un truc un peu plus léger. Ça se passe à quel endroit ?

Mag : À la mairie d’Échirolles.

Manu : C’est plutôt sympa. Ça met en avant qu’il faut effectivement des gens motivés, localement, pour faire avancer les choses et ce n’est pas facile.

Mag : Silicon « Amazon en quête de confiance pour son fork d’Elasticsearch », par Clément Bohic.

Manu : Sujet qu’on a déjà abordé parce que, effectivement, il y a des logiciels libres qui sont utilisés par les GAFAM et les GAFAM les utilisent sans forcément libérer tout ce qui est autour. Ça embêtait les éditeurs originaux qui ont changé les licences, donc ce ne sont plus tout à fait des logiciels libres, c’est rageant, ça embête bien la communauté. Amazon a forké la dernière version qui était libre, ce qu’ils ont le droit de faire, ce qui est légitime. Là, ils contribuent et ils publient à nouveau leur version à eux, libre. C’est un petit peu rageant parce que les GAFAM utilisent leurs droits et leurs libertés, certes, ils contribuent à du logiciel libre, certes, mais ça reste les GAFAM, donc ça ne nous enchante pas.

Mag : Ce qui est tragique c’est que les anciennes communautés ont changé leurs licences pour rien, du coup.

Manu : Un petit peu ! Un petit peu.

Mag : Radio-Canada.ca « La NASA adopte des logiciels libres pour son prochain robot lunaire », par la rédaction.

Manu : C’est super, le logiciel libre va dans les étoiles. On savait que c’était déjà sur la station spatiale, par exemple. De plus en plus, les administrations à la pointe, comme la NASA, font attention à utiliser des logiciels qu’elles peuvent réutiliser, auxquelles elles peuvent contribuer, qu’elles peuvent rediffuser et il y a des gens qui en profitent. Si vous voulez vous entraîner, étudier du code intéressant parce que c’est généralement le cas.

Luc : Ou faire une sonde pour aller sur la lune !

Manu : Oui, par exemple, chacun a besoin de faire ça ! Allez jeter un œil.

Mag : Le Monde Informatique « Atos gagne le marché interministériel du support des logiciels libres », par Jacques Cheminat.

Manu : Le support des logiciels libres, pour les administrations essentiellement, c’est quelque chose d’assez important parce que, effectivement, il faut aider les fonctionnaires et autres organismes qui gravitent autour de l’État. Ce n’est pas facile et là il y a une collaboration avec le CNLL qui va permettre d’essayer d’aider les administrations à travailler. Tu te souviens ce que veut dire CNLL ?

Mag : Centre national des logiciels libres ?

Luc : Perdu !

Manu : Non, c’était quoi Luc ? Vas-y, rappelle-nous ?

Luc : La Commission nationale des logiciels libres [Conseil national du logiciel libre, devenu Union des entreprises du logiciel libre et du numérique ouvert, NdT].

Manu : D’accord. Des gens motivés et qui vont aider Atos qui, eux, sont payés pour le faire, donc ça les motive aussi j’imagine bien !

Mag : ZDNet France, « FSF : les administrateurs soutiennent Richard Stallman, qui s’excuse d’erreurs passées (€) », par Thierry Noisette.

Manu : Oui ! Bon ! C’était rageant parce que Stallman a eu pas mal de problèmes suite à sa défense d’un collègue. Il est revenu à la FSF et il est soutenu par les membres de la FSF. Oh ! Comme c’est bizarre ! C’est assez normal, effectivement.

Luc : Ça avait trollé notamment sur la méthode avec laquelle il était revenu et ce qu’il n’avait pas dit. Il a manifestement entendu les critiques sur son retour et essayé d’arrondir les angles.

Manu : Oui. Voilà. S’excuser ça reste compliqué, mais, en tout cas, il a effectivement parlé un petit peu de ce sujet.
De quoi parle-t-on ? En fait, c’est le dernier article.

Mag : Next INpact, « Connaître les machines, une question d’autonomie pour les humains (€) – La technique est une affaire de culture », par Stéphane Crozat.

Manu : On en fait le sujet de la journée.

Luc : Le sujet de la semaine ! On ne fait qu’un podcast par semaine. C’est un sujet d’un part très intéressant et qui, ensuite, fait écho à d’autres évènements de l’actualité qui ne sont pas dans la revue de presse puisque tu fais la revue de presse de la semaine dernière. Déjà, qui est l’auteur ?

Mag : C’est un universitaire qui est à Amiens [Compiègne, NdT], mais qui est aussi un membre de Framasoft [1]. Il a écrit des livres, un livre en Framabook [2] et, on peut le dire, c’est un mec bien.

Luc : Le texte est une tribune qui est publiée sur Next INpact. C’est une tribune en faveur du fait que les gens sachent se servir d’informatique, comprennent. C’est une sorte de parallèle avec l’illettrisme mais dans de domaine de l’informatique, de l’électronique. On parle de quoi ? C’est quoi l’expression consacrée ?

Mag : Illectronisme.

Luc : L’illectronisme.

Manu : Et les gens qui souffrent d’illectronisme sont des ?

Mag : On ne sait pas.

Luc : Des « illectrés » ?

Mag : « Illectrés » ? « Illectronisés » ? Bref ! On ne sait pas encore.

Luc : Moi je dirais « illectrés » parce que c’est juste plus facile à dire. Du coup « illectrés », illectronisme, d’accord, mais ça veut dit quoi exactement ?

Mag : « C’est la difficulté, voire l’incapacité que rencontre une personne à utiliser les appareils numériques ou les outils informatiques en raison d’un manque ou d’une absence totale de connaissances à propos de leur fonctionnement ». Je cite Wikipédia [3]. Merci.

Luc : Ce que j’ai trouvé intéressant dans la tribune, c’est qu’il met aussi en avant le fait que plein de gens utilisent de l’informatique sans comprendre ce qui se passe, sans comprendre ce qu’ils font. Ce ne sont pas que les gens qui ne savent pas s’en servir qui galèrent, ce sont aussi les gens qui l’utilisent au quotidien sous des formes qu’il appelle « terminales », les gens qui utilisent des terminaux, mais qui ne savent pas tout ce qui se passe derrière et qui sont, en quelque sorte, conditionnés par les conditions d’emploi de l’informatique qu’ils ne maîtrisent pas du tout. Il a en tête les téléphones portables, les consoles de jeu. Ce sont effectivement des choses que j’ai vues avec des gamins de 10/12 ans, de maintenant, qui passent leur temps sur des téléphones et des consoles, mais qui ne savent pas faire « enregistrer sous » sur un ordinateur, par exemple.

Manu : Je contredirais en disant que parfois il n’y a pas d’« enregistrer sous ». Si tu es sur une console, effectivement « enregistrer sous » ça n’a pas de sens. L’informatique a évolué. On peut éviter de se préoccuper de ce qu’est qu’un fichier, par exemple.
Je fais un parallèle, que j’aime bien mettre en avant, entre l’illectronisme et l’illettrisme, qui est lié au papier. À l’origine du papier, de l’écriture et de la lecture, peu de gens savaient se débrouiller, c’était compliqué à l’époque, le papier lui-même était une chose compliquée et lire était un déchiffrement fastidieux. Avec l’informatique d’aujourd’hui, il y a des fois où on est vraiment dans des galères. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ont l’impression de lire des hiéroglyphiques. Ça reste compliqué, mais on est dans une évolution. Les fichiers que toi tu connais, que plein de gens maîtrisent, c’est peut-être quelque chose qui ne devrait pas être nécessaire à la maîtrise de l’informatique. Peut-être que de la même manière qu’il y a des espaces entre les mots, il n’y aura plus besoin de fichiers à un moment donné.

Luc : En défendant ce point de vue, Manu, je pense que tu es contre l’opinion de Stéphane Crozat. Tel que je comprends son texte, c’est vraiment cette idée, ce vieil adage qu’on a dans l’informatique libre qui est maîtriser son informatique ou être maîtrisé par elle. Aujourd’hui, si on ne s’intéresse qu’au pognon, il y a plein de comportements que les gens vont adopter parce qu’ils ont la conviction que c’est ce qu’il y a de mieux. Si tu prends, par exemple, le domaine de la consommation culturelle, les gens sont satisfaits d’avoir toute la musique sur des services hébergés et de payer pour avoir le droit d’accéder à de la musique, alors que les vieux, comme nous, étions propriétaires de notre musique, de nos enregistrements.

Manu : Du support de la musique.

Luc : Oui. Dans mon téléphone j’ai quelques gigas de musique, je ne suis pas dépendant d’un fournisseur d’accès qui va choisir ou non de me donner accès, qui va choisir ou non de me dire « écoute ça plutôt que telle autre chose », qui va m’envoyer de la pub dans un sens ou dans un autre. Je peux écouter la musique que j’ai envie d’écouter, je peux aller explorer ce que j’ai envie d’explorer. Dans le domaine de la vidéo, par exemple, on a aujourd’hui pléthore de plateformes d’abonnement et, si on veut regarder ce qu’on a envie de voir, eh bien il faudrait prendre un abonnement sur chaque plateforme, donc dépenser une fortune. Pour moi ce sont des exemples concrets de ce qu’est, aujourd’hui, cette non maîtrise de l’informatique. C’est également être dépendant de ces réseaux-là. Nos propres comportements sont conditionnés par des services marketing qui ont décidé combien d’argent on allait dépenser par mois et qu’on allait être captif de leur réseau et de leur système. Typiquement dans ce domaine de la culture, pour moi le public, particulièrement dans la vidéo à la demande, est aujourd’hui vraiment perdant parce que la qualité, la liberté de choix, est très limitée.

Manu : Oui. Je n’aurais pas été dans cette direction-là en parlant d’illectronisme. Tu penses, effectivement, que les gens sont maîtrisés par leur informatique. Je pense que les gens ont même un rejet ou des incapacités à utiliser l’outil informatique, et je peux le comprendre, notamment parce qu’il y a des barrières générationnelles, des gens qui ne sont pas nés du tout dans ces environnements-là, qui n’ont jamais eu ce besoin ou cette envie de se mettre à ces outils.

Mag : Il ne faut pas oublier que maintenant, pour tout ce qui est démarche sur le service public, les impôts, la Caf, la retraite, ça devient totalement obligatoire d’avoir un ordinateur, de savoir l’utiliser et de savoir remplir tous ces documents qui sont devenus totalement obligatoires.
On a le témoignage d’une femme, sur un des articles, qui dit : « Si je me trompe et que je ne suis pas en règle, je peux avoir un an de galère ». Ou alors un jeune homme qui se fait désinscrire de Pôle emploi parce qu’il n’a pas rempli correctement certaines cases. On part du principe que tous ces gens-là ont un ordinateur, donc quid de ceux qui n’ont même pas d’ordinateur ? Pour moi, l’illectronisme c’est vraiment l’exclusion de ces personnes qui ne sont pas à l’aise avec l’informatique.

Manu : Pour le coup on est tombé sur des publicités où le gouvernement essaye de mettre en avant – Magali réagit –, c’est France Services [4] je crois, où il montre qu’il faut demander de l’aide pour remplir ses impôts si on ne sait pas faire ou si on n’a pas les outils informatiques. Il y a des organismes qui peuvent aider, on débarque et on dit « j’ai besoin de remplir mes impôts, aidez-moi s’il vous plaît, je ne sais pas ce qu’est un clavier, je ne sais pas comment ça marche, ça ne m’intéresse pas, mais j’ai besoin de remplir mes impôts. » Il y a des pubs qui mettent ça en avant parce que c’est vrai que c’est utile pour les administrations de tout informatiser, clairement, de ce côté-là c’est pratique ! Mais, pour les administrés, c’est une obligation qui n’est pas toujours simple.

Luc : Dans l’actualité il y a un autre sujet qui est lié à ça. Un sénateur qui s’appelle Ouzoulias, le sénateur Ouzoulias, a proposé un amendement [5] qui est tombé malheureusement, justement au cours d’une discussion relative à la lutte contre l’illectronisme et pour l’inclusion numérique. Il avait déposé un amendement pour l’organisation d’une formation continue en matière de numérique pour tous les enseignants, avec des connaissances en logiciel libre, formats ouverts et ressources éducatives gratuites. C’est tombé, ce qui est bien malheureux. Derrière il y a des discussions pour savoir pourquoi, dans l’éducation, il y a encore plein de logiciels propriétaires. Je pense qu’on est tous d’accord pour dire que le logiciel libre et l’éducation devraient aller de pair, ne serait-ce que parce que ça coûterait moins cher à l’État, mais ça permettrait également à n’importe quel élève de s’équiper en logiciels sans avoir besoin de choisir un éditeur propriétaire, sans avoir besoin de passer à la caisse, etc.

Manu : Je rebondirais et je te dirais que les ministères, les enseignants sont encouragés à aller utiliser Frama et les chatons [6]. Donc oui, ça va dans le bon sens, c’est juste que les chatons ne sont pas du tout assez costauds, pour supporter la charge.

Luc : Les chatons ne sont pas là pour remplacer l’Éducation nationale. Je ne suis pas sûr que l’Éducation nationale recommande aux enseignants d’aller sur Framasoft.

Manu : Si, si, il y a eu des recommandations.

Mag : Ils l’ont fait au premier confinement.

Luc : Oui. Ils étaient en mode panique.
Il faut bien se dire que l’Éducation nationale ce sont des millions d’utilisateurs.

Manu : Qui allument tous en même temps le matin à la même heure !

Luc : D’un point de vue technique c’est extrêmement exigeant. Souvent on prend l’Éducation nationale un peu à la légère en disant que ce sont des rigolos. Les contraintes techniques sont énormes !
Il y a aussi une chose par rapport à cette question des gens qui n’y arrivent pas, dont tu parlais tout à l’heure, on peut également faire un parallèle avec l’illettrisme. Aujourd’hui, en France, on a 7 % de la population qui est illettrée. Ça a un petit peu baissé ces dix dernières années, mais 7 % ça reste encore très important. On aura toujours une frange de gens qui ne sait pas faire.

Manu : Une personne sur six n’utilise pas Internet. Ça fait quand même une bonne portion de la population qui va avoir du mal à remplir sa déclaration des revenus par exemple.

Luc : Par rapport à cette question de l’éducation, le fait que les profs soient mieux formés, c’est sans doute une nécessité. Je pense que beaucoup d’enseignants galèrent. J’ai eu des retours d’enseignants qui m’ont dit qu’ils avaient le sentiment qu’on leur balançait des outils en vrac, que ça marchait à moitié, qu’on ne les formait pas et qu’ils devaient se démerder avec ça.
Aujourd’hui, quel que soit le milieu dans lequel on bosse, on est confronté à l’informatique partout : dans les restaurants, maintenant, ce sont des outils informatiques pour prendre les commandes ; dans les supermarchés ce sont des outils informatiques de plus en plus avancés. Aujourd’hui l’informatique se répand partout et cette question de l’illectronisme est d’autant plus importante parce qu’il faut être capable de faire face à ces nouveaux outils, mais il faut également être capable de les comprendre pour ne pas se faire promener, pour ne pas se faire happer par ce système de surveillance parce que ça sert aussi à ça. Si on veut rester citoyen et avoir de la maîtrise sur nos vies, il faut qu’on soit capable de comprendre ce qui se passe, comment ça marche, qu’est-ce que ça peut faire, pas faire. Est-ce qu’on est réellement obligé de marcher dans les clous ?, parce qu’on a vite fait de nous dire que techniquement c’est obligatoire et si on veut rester politiquement maître de nos destins il faut plus de connaissances dans ce domaine-là.

Manu : Ça fait une belle conclusion. Je saupoudrerais avec « l’informatique ce n’est quand même pas mal, parce que ça donne une puissance et des capacités décuplées », donc c’est un effet de levier incroyable. Il faut saupoudrer, en plus, avec du logiciel libre parce que, effectivement, ça nous libère et ça reste un sujet vaste et global.

Mag : Et il ne faut pas hésiter à être acteur de son informatique et à participer aux chatons.

Manu : Sur ce, je dis à la semaine prochaine !

Luc : À la semaine prochaine ! Salut tout le monde.

Mag : Salut !