Émission radio sur l’accessibilité lors des rmll avec Jean Philippe Manguel comme invité, Luc Fievet et Emmanuel Charpentier comme animateur

Émission radio sur l’accessibilité lors des rmll de juillet 2011.
Présentation accessibilité, enjeux, groupe de travail de l’April

  • avec Jean Philippe Manguel comme invité,
  • Luc Fievet et Emmanuel Charpentier comme animateur

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Durée : 52min

Transcription

Luc : On va parler d’accessibilité et avec nous Jean-Philippe Mengual qui est un spécialiste des questions d’accessibilité et plus particulièrement des questions liées au handicap visuel.
Jean-Philippe Mengual : Bonjour, oui, je suis moi-même non-voyant donc du coup je m’intéresse depuis un certain nombre d’années aux solutions d’accessibilité. J’ai démarré GNU/Linux en 2004.
Je m’y suis intéressé sur la partie braille puisque je suis lecteur du braille et puis à partir de 2008, au moment où en fait j’ai découvert qu’il était possible d’utiliser GNU/Linux avec une synthèse vocale, j’ai estimé que le Logiciel Libre pouvait offrir une réelle alternative aux logiciels privateurs qui existent et qui posent des problèmes importants sur lesquels on aura l’occasion de revenir. Et du coup j’ai décidé de m’impliquer dans les sphères libristes et c’est en continuelle augmentation depuis maintenant trois ans.

Luc
 : D’accord, alors on va commencer très simplement, enfin simplement pas nécessairement, mais en tout cas basiquement par qu’est-ce que c’est que l’accessibilité ?
Jean-Philippe
 : L’accessibilité c’est une notion qui implique la possibilité pour toute personne quel que soit son handicap, c’est-à-dire, le handicap peut-être visuel comme le mien, mais également moteur, également cognitif ou auditif. Même d’ailleurs parmi tous ces handicaps, il y a des choses très complexes comme par exemple des gens qui n’ont pas de doigts, des gens qui n’ont pas de membres inférieurs, des gens qui sont paraplégiques etc. Et bien tous ces gens-là doivent avoir la possibilité d’accéder à une information, que ce soit celle du système informatique de base, ou celle d’Internet, ou celle d’un logiciel et donc c’est çà que nous appelons l’accessibilité.
Luc
 : Alors pour le coup, ça recouvre des réalités extrêmement différentes, est-ce qu’on n’a pas finalement un objet trop complexe qui fait qu’il serait impossible de couvrir tous les besoins ?
Jean-Philippe
 : C’est en fait impossible en effet de couvrir tous les besoins. C’est-à-dire qu’il n’est pas possible pour un logiciel ou un site Internet de chercher à être accessible à tous ses visiteurs. En tout cas de prendre les mesures pour répondre à la problématique posée par certains handicaps. Pourquoi ? Parce qu’aucun handicap ne se ressemble. Si je prends l’exemple du visuel que je connais le mieux et de la malvoyance, c’est-à-dire des gens qui peuvent lire mais qui ont besoin de conditions de contraste ou des conditions de taille de caractère ou de police, tout ça, en fait c’est concrètement extrêmement complexe. Pas un seul handicapé visuel n’a le même handicap et les mêmes besoins. Donc effectivement ce serait illusoire de faire ça. Par contre, ce qu’il est possible de faire, c’est de créer une espèce d’infrastructure, c’est-à-dire de penser à des principes de base, entre guillemets à des « normes de base », pour que les outils qui eux sont développés pour les handicapés, c’est-à-dire par exemple des lecteurs d’écran ou des loupes ou des choses comme ça, que ces outils, ils soient capables d’aider les personnes.

Donc en fait il ne faut pas chercher à être accessible en tant que tel, mais à développer une infrastructure qui permettra aux outils spécialisés de, eux, fonctionner correctement. Et de toute façon, il faut partir du principe que notamment sur des pages web quand on développe des systèmes de loupes etc. vous serez de toute façon moins performants la plupart du temps que ne le sont les logiciels de revue d’écran qui peuvent exister. Donc simplement contentez vous de faire une page qui soit avec des conditions de contraste, des choses comme ça, des possibilités d’adaptation de la présentation, mais après c’est le lecteur d’écran qui fera son travail ou le logiciel d’accessibilité.

Luc
 : Alors il y a des effets positifs, mais Manu va pouvoir nous en parler parce que professionnellement tu travailles sur des sites web, des choses comme ça et tu viens juste de finir un site accessible et qui a révolutionné ta vision du problème ?
Manu
 : Tout à fait, j’ai bossé pour une administration française et il se trouve qu’ils avaient un site magnifique, superbe qui leur a couté un bras, en Flash. Très bien sauf que le Flash, je ne sais pas si toi tu en as des opinions mais moi je déteste. Toi je ne sais pas ? Est-ce que tu arrives à le percevoir déjà le Flash ?
Jean-Philippe
 : Moi je vais rester à une notion très objective et très expéditive, c’est inaccessible.
Manu
 : C’est bien la conclusion qu’on en avait tirée à un moment donné, on avait considéré que c’était peut-être un peu joli, on pouvait faire des trucs qui bougeaient mais bon, non et donc ils ont donc fait appel à moi pour recoder tout ça, sous forme d’un site web HTML qui était accessible avec des normes – l’État pousse pas mal là-dessus, il y a des lois qui sont passées. Donc très bien et donc j’ai mis les mains là-dedans et ce que je constate une fois que j’ai fini le travail, c’est que, un, mon travail a été relativement plus simple que ce que les mecs ont fait en Flash, parce que certes c’est bling-bling mais au final, c’est inutilisable dans plein de cas et puis même c’est moins efficace. Et mon site que j’ai fait en HTML de manière brutale, tout simplement, qui est très joli et bien je sais que mon site va encore fonctionner dans dix ans alors que leur site Flash, dans 6 mois, il va peut-être se casser la gueule et il sera in-maintenable, il ne pourra pas évoluer et je constate tout simplement que je suis plus efficace à faire un site simple et pérenne.
Jean-Philippe
 : Je crois que dans le même sens, une règle de base assez facile c’est de dire que de toute façon, si le site est inaccessible, ça pose des problèmes de référencement, puisqu’à partir du moment où les robots comme Google etc... sont incapables de le référencer, Flash en est typiquement un exemple, c’est qu’il est inaccessible ; c’est qu’il sera inaccessible à une grande partie des visiteurs.
Luc
 : Donc on peut facilement faire une croix sur Flash.
Jean-Philippe
 : Ah oui, oui, en terme d’accessibilité, c’est évident. Même les solutions privatrices qui sont, disons le, très performantes, ce sont des solutions extrêmement performantes, elles ne s’en sortent pas. C’est-à-dire, il y a deux solutions, soit on est avec un lecteur d’écran, sous GNU/Linux et là la page est carrément blanche, soit on se retrouve avec un lecteur d’écran sous un système privateur et là il va essayer de trouver des boutons, il va essayer de trouver des choses mais en réalité, ce n’est pas du tout satisfaisant. Il ne va pas vraiment s’y retrouver. Il va voir des choses mais il ne va pas trop comprendre de quoi il s’agit.
Luc
 : Ok, donc tu es membre du groupe « Accessibilité  » de l’April ?
Jean-Philippe
 : Tout à fait, donc c’est un groupe en fait qui a pour but de mettre en relation les gens, de mettre en relation les développeurs d’une part qui s’occupent de logiciels, pour les aider à rendre leurs logiciels accessibles, en tout cas à minima ; les développeurs, également les outils d’accessibilité et puis les utilisateurs, pour qu’on puisse avoir un dialogue et une espèce de synergie qui se créent, on essaye de faire au sein de ce groupe. Et évidemment on essaye de le faire à l’échelle de tous les handicaps possibles et imaginables, même si c’est évidemment un peu difficile. Mais on essaye de le faire.
Luc
 : Par rapport à l’articulation entre logiciel privateur et libre, donc tu nous as expliqué que pour toi le Logiciel Libre c’était un vrai choix, est-ce que c’est systématique chez tous les gens qui travaillent dans l’accessibilité ou est-ce qu’il y a un pragmatisme en disant qu’il y a des problèmes concrets à régler et que l’on prend ce qui marche le mieux ?
Jean-Philippe
 : En fait c’est un peu plus compliqué que ça. Mon parcours à moi est déjà un peu compliqué. C’est-à-dire que j’utilisais un logiciel privateur jusqu’en 2004 et en 2004 il a fallu que je le renouvelle pour des raisons – on ne va pas rentrer dedans mais c’est bien des raisons institutionnelles – et à partir de là je me suis dit il faut que je trouve quelque chose parce que je n’ai pas envie de le financer, je n’ai pas les moyens et je n’ai pas envie de demander les subventions, étant donné ce que ça implique en terme de dossier, de temps et d’énergie. Et donc j’ai entendu parler à ce moment-là de quelque chose qui s’appelait « Linux » et je me suis dit, pourquoi pas, c’est gratuit, ça fonctionne, enfin apparemment, donc on va tester.

Et donc j’ai testé, pendant 4 ans. Et puis au bout de 4 ans, je me suis rendu compte que non seulement ça fonctionnait, non seulement j’ai pu aller de plus en plus loin avec les interfaces graphiques etc... j’ai pu me rendre compte ce que c’était du Logiciel Libre et là j’ai commencé à comprendre la philosophie du Logiciel Libre. Mais alors simplement la chose c’est qu’il a fallu pour en arriver là et en particulier pour construire mon expertise en accessibilité, que je travaille énormément, que je sois passionné en fait, que je passe beaucoup de temps devant mon ordinateur. Et ça ce n’est pas le cas de la plupart des handicapés, qui n’utilisent l’ordinateur qu’en tant qu’assistance, que technologie d’assistance et qui n’ont pas du tout envie de se confronter à des problèmes de fonctionnement etc. Donc clairement aujourd’hui, le Logiciel Libre, n’est pas du tout le premier choix. Dans le meilleur des cas c’est juste parce qu’on ne le connaît pas et dans le pire des cas, c’est parce qu’on estime que ça ne marche pas.

Manu
 : C’est pas encourageant !
Jean-Philippe
 : Il faut comprendre qu’on est qu’au début, c’est-à-dire que ça fait que deux ans que ça existe. D’abord il y a aussi une tendance, une espèce d’inertie, qui existe dans la sphère des handicapés. Moi je suis le premier à le dire haut et fort. Je ne m’en cache pas. Il y a une inertie qui fait qu’on change difficilement ses habitudes. Avant de changer quelque chose, on veut tester, on veut voir si ça marche, ce qui peut d’ailleurs se comprendre du point de vue des personnes. Et il faut comprendre que c’est très récent. Il y a des choses qui marchent depuis 2008-2009. Et puis, bon après il n’y a pas de raisons que ce qui se passe chez les voyants ne se passe pas chez les handicapés. Les voyants utilisent le Logiciel Libre à hauteur de 2 à 3%, pourquoi les handicapés feraient mieux ? On fait pareil, on est dans le même problème, mais dans une sphère plus petite.
Manu
 : Tout à fait. Tu parlais de problèmes qu’il y avait avec les logiciels privateurs. Ça ne peut pas être que le prix ? Qu’est-ce que tu avais constaté, qu’est-ce que tu constates aujourd’hui ?
Jean-Philippe
 : Écoutez, le logiciel privateur il pose un vrai problème de pérennité. Moi je vais prendre l’exemple de la revue d’écran et des règles de son fonctionnement légal. Les règles de fonctionnement légal de cette application sont les suivantes : vous avez droit... non, on va commencer à l’achat. L’achat coûte 1300 €. Pour 1300 €, vous avez droit à une clé qui vous permet d’accéder à Windows Familial. Pour 2300 € vous avez le droit d’accéder à Windows Pro. Quelle est la différence ? Aucune. Ce n’est pas qu’il y a un apport de qualité, c’est juste que tant pis pour vous, vous avez le Pro donc c’est plus cher. Ensuite une fois que vous avez cette clé, elle vous donne droit à 3 mises à jour. Sauf qu’aujourd’hui comme vous le savez, ça va beaucoup plus vite les mises à jour. Donc évidemment, on est vite obsolète. Très rapidement on est obsolète. Ça veut dire par exemple que si Firefox se met à jour ou qu’Internet Explorer se met à jour, au bout d’un moment l’application n’est plus capable d’être très optimale pour lire ce genre de programmes. Et le troisième point c’est que étant donné que c’est une application contrôlée par une société en particulier, je vous prend un exemple très simple, en Finlande par exemple, ils avaient – ils ont toujours – développé une interface, une table braille. En fait quelque chose qui fait une association entre d’un côté les caractères que vous allez voir à l’écran et de l’autre la correspondance en signe braille. Et donc ils avaient fait une table braille de correspondances entre leur langue, avec leur alphabet, avec leurs spécificités – je ne parle pas finlandais, je n’en sais rien – et ils avaient demandé à la société productrice de la revue d’écran d’intégrer cette table de manière à ce que les aveugles finlandais, ou islandais, c’est islandais pardon, puissent accéder dans leur langue avec leur alphabet à la chose. Et la société n’a pas voulu le faire, ou n’a pas d’ailleurs dit non, mais elle n’a juste pas répondu. Et elle ne l’a pas fait parce que ce n’est pas du tout pour elle une priorité économique.

Et puis un dernier point, un tout dernier point, on peut connecter un ordinateur à un afficheur braille pour lire l’écran en braille, c’est-à-dire que le lecteur d’écran va récupérer l’information, dans l’ordinateur, il va l’analyser et il va nous expliquer ce qu’il lit, il va nous la décrire, sur l’afficheur braille ou sur une synthèse vocale. Donc on peut connecter un afficheur braille et ce qui se passe c’est que pour reconnaître l’afficheur braille, il faut un pilote. C’est-à-dire qu’il faut quelque chose qui soit capable de communiquer avec l’appareil. Et le résultat c’est qu’avec un logiciel propriétaire et bien il faut savoir que le logiciel a décidé unilatéralement, de faire payer aujourd’hui les pilotes qui permettent à l’application de fonctionner avec les appareils. Ce qui fait que les constructeurs d’appareils doivent payer la société, les appareils sont plus chers, forcément et puis surtout ça prouve à quel point tout cela est très aléatoire et soumis à la décision d’une seule compagnie, c’est problématique.

Luc
 : Donc ils profitent au maximum de la dépendance de leurs clients à leur produit en fait ?
Jean-Philippe
 : C’est un marché captif. Il y a une étude récente qui montrait, à ma connaissance, je n’ai plus le chiffre exact en tête, que le logiciel avait été remboursé, amorti à hauteur de 300 fois.
Luc
 : Et bien voilà.
Manu
 : C’est mieux que les 80% de Microsoft et autres saloperies.
Jean-Philippe
 : C’est un marché captif tout simplement. C’est un marché complètement captif.
Luc
 : On va écouter un petit morceau de musique, histoire de se redonner un petit peu de cœur à l’ouvrage.
Manu
 : De retour à radio RMLL, donc c’est le créneau April avec Luc et Manu et là on est en train de discuter accessibilité avec un expert du domaine, responsable du groupe accessibilité April.

Alors on me force, on insiste, il faut que je parle de l’attaque de GNU qui se passe sur le stand de l’April. Ça crée des problèmes tu ne te rends pas compte c’est terrible. Il faut aller participer à cette œuvre d’art collective, sous licence Art Libre et chacun doit aller mettre son morceau de papier sur ce magnifique gnou presque taille réelle qui va défiler partout. Donc je ne sais pas où on l’exposera à la fin. Mais en tout cas il commence à avoir une sacrée gueule…

Jean-Philippe
 : …au siège de l’April.
Manu
 : Ah oui mais il n’y a pas la place.
Luc
 : Il se promène un petit peu.
Manu
 : En tout cas il est sympa. On va revenir au sujet. Donc allez sur le stand de l’April, de toute manière c’est un magnifique endroit où il faut passer.
Luc
 : Oui. Forcément.
Jean-Philippe
 : Je l’ai vu, ça me plait beaucoup.
Manu
 : Voilà.
Luc
 : On était sur la question du logiciel privateur où Jean-Philippe tu nous expliquais que c’est un marché captif, avec des abus assez impressionnants. Donc on comprend tout l’intérêt du libre face à ça, que ce soit pour des questions de prix mais que ce soit aussi sur des questions d’avoir la main sur le logiciel et ne pas rester bloqué dans ce qui va être économiquement rentable pour un éditeur de logiciel propriétaire ou ce genre de choses. Une rencontre comme les rencontres mondiales du Logiciel Libre pour toi ça a quel intérêt ?
Jean-Philippe
 : Plusieurs choses en fait, d’abord ça permet de rencontrer, ne serait-ce que le groupe de travail par exemple, de retrouver des gens qui participent régulièrement ou qui le suivent de plus ou moins loin et ça c’est vraiment important parce que ça permet de voir les gens de manière physique et ça change quand même notre rapport et notre travail par mail après. Ensuite, il y a aussi le fait que ça permet de rencontrer des développeurs d’application et de leur expliquer de quoi il s’agit. De leur expliquer, parce que, je prends l’exemple d’un afficheur braille, ce n’est pas évident pour un développeur dans un premier temps qui n’a jamais été confronté à la chose, de comprendre comment l’information est affichée et de comprendre comment un aveugle, enfin que voit un aveugle sur son afficheur braille à un instant donné. C’est toujours intéressant de les croiser pour leur en parler.

Déjà le fait de croiser ces gens, ça peut faire émerger des projets. Et ensuite on croise des développeurs d’application d’accessibilité. Et ça aussi c’est très motivant, d’abord parce que pour moi par exemple, ça permet d’avoir des informations, de récolter des informations, de les recenser et c’est très intéressant pour moi, parce que du coup, ça me permet d’être au courant de manière plus directe et plus approfondie, de l’actualité de ce qui se fait dans les sphères libres, de l’actualité des lecteurs d’écran etc...
Typiquement c’est de là que sont nés, de ce genre de rencontre, en 2004, les projets qui rendent aujourd’hui accessible l’interface graphique. C’est de là qu’est à peu près né, bon pas exactement de là, c’est un peu plus compliqué, mais c’est à peu près là que les choses se formalisent ; qu’est né un projet d’accessibilité du chargeur de démarrage du boot loader, la toute première chose que vous voyez sur votre ordinateur, avant que GNU/Linux ne démarre ou que Windows ne démarre, vous avez un espèce d’écran bleu si vous utilisez GNU/Linux quelque part et en fait ça s’appelle Grub. Et bien on est en train de réfléchir là depuis quelques années, à rendre cet outil, d’utiliser toutes ses potentialités techniques aujourd’hui, pour le rendre accessible aux déficients visuels et aux aveugles. Donc en fait ça permet, c’est ce genre de rencontre qui se fait entre développeurs de cette application, un des développeurs spécialistes de l’accessibilité, qui est très très bon en la matière, ça nous permet de nous croiser, de nous parler tout simplement. Et c’est très très appréciable parce qu’après, nos échanges par mail sont de meilleure qualité.

Luc
 : D’accord. Alors sur les questions d’accessibilité, ce qui est intéressant c’est de voir un petit peu les grandes problématiques et je crois, savoir qu’il y a une loi qui encadre ça et qui impose légalement des adaptations pour la prise en compte de l’accessibilité ?
Manu
 : Est-ce qu’elle est utile ? Est-ce qu’elle te plaît cette loi ? Est-ce qu’elle va jusqu’au bout ? Qu’est-ce que tu en penses ?
Jean-Philippe
 : Oui, moi je pense qu’elle a un intérêt qui est, dans son texte en tout cas, réel, notamment parce qu’elle fixe des délais. Elle oblige par exemple l’ensemble des lieux publics à être accessibles, d’ici 2015. Maintenant, en pratique c’est vrai qu’elle pose des difficultés, elle a aussi réformé considérablement le système des subventions et des aides pour, je cite, « le rationaliser » ; c’est vrai que ça l’a rationalisé. Rationaliser n’a pas forcément voulu dire simplification. Et n’a pas forcément voulu dire même prestations qu’avant. C’est-à-dire que les allocations adulte handicapé, enfin celles-là n’est pas un bon exemple. Mais la prestation compensatoire du handicap, elle a tendance à baisser. Le financement du matériel, puisque c’est notre objet, mais c’est lié, puisque le financement du matériel lui a aussi baissé. C’est-à-dire que son périmètre aujourd’hui n’est plus le même. À l’époque on pouvait, alors ce n’était pas facile, il fallait évidemment entreprendre beaucoup de démarches, c’était très compliqué, mais à l’époque on pouvait se faire financer potentiellement un ordinateur de bureau ou portable et les logiciels d’accessibilité qui l’accompagnaient, voire l’afficheur braille. Aujourd’hui quand vous faîtes une demande, on vous répond, bien oui mais non aujourd’hui l’ordinateur n’importe qui peut s’en servir, donc vous achetez un ordinateur, vous vous débrouillez et on ne vous aide pas et nous on vous finance que les logiciels strictement nécessaires à votre ccessibilité. Alors ça se défend. Mais ça fait de nouveau peser, ça accroit un petit peu la pression financière, ça accroit un petit peu les délais. Et puis bon les procédures administratives sont devenues de plus en plus complexes. Clairement.

Après la loi elle fixe aussi des objectifs plus limités et moins impératifs en terme d’accessibilité des espaces numériques et des espaces logiciels. En tout cas elle a eu un mérite et je pense que ça, il fait le reconnaître, c’est qu’elle a créé au sein de notre société et au sein du monde informatique, un débat sur l’accessibilité, qui est aujourd’hui un petit peu à la mode et tant mieux parce que je pense qu’avec le vieillissement de nos sociétés on en aura besoin.

Luc
 : Oui, parce que ça c’est une chose qu’on oublie assez rapidement, c’est que sur ces questions d’accessibilité, ça touche potentiellement tout le monde à un moment dans sa vie ; et notamment par la vieillesse.
Manu
 : Les accidents aussi, j’ai déjà eu des bras dans le plâtre, des choses comme ça et c’est sûr que ça devient un problème très rapidement, on ne peut pas tout faire de la même manière et on se retrouve dans des situations où cette notion d’accessibilité prend tout son poids.
Jean-Philippe
 : Et puis c’est encore plus vrai si vous parlez du handicap cognitif, parce que le handicap cognitif c’est extrêmement large. Ça peut être la personne qui a un déficit cognitif véritable, une trisomie, un vrai déficit mental comme on dit, même si c’est pas très beau. Mais ça peut aussi concerner quelqu’un qui a des difficultés beaucoup plus basiques, quelqu’un qui n’est pas familier par exemple de l’informatique. Il y a eu des statistiques récemment qui étaient assez impressionnantes et qui montraient qu’il y avait énormément de personnes qui se disaient et quand je dis énormément, ça se compte par 10 millions à 20 millions de personnes, qui se disaient, alors 10 millions se disaient totalement désemparées face à un système informatique, ou un site internet et 20 millions disaient éprouver quelques petites difficultés face aux systèmes et aux interfaces. Parce qu’elles sont parfois trop compliquées. Et tout ça ça fait partie de l’accessibilité.
Manu
 : Moi je sais que techniquement cette simplification ça me fait plaisir. J’aime bien simplifier les choses et là savoir que ça a une utilité, que ça permet de rentrer dans les mœurs de plus de personnes, je trouve ça génial. C’est l’avantage qui va avec.
Jean-Philippe
 : Oui, effectivement, c’est un gage d’universalité et je pense que c’est aussi l’idée qui rejoint des plus grandes profondeurs le Logiciel Libre. C’est-à-dire que l’idée de partage et que tout le monde peut accéder, c’est l’idée de la liberté parce qu’aujourd’hui, l’informatique est devenu un enjeu. Moi j’aime bien jouer avec ce jeu de mot, d’ailleurs dans mes projets. Quand je dis dans mes projets je fais de l’info, oui je fais de l’info, donc je fais de l’informatique mais je fais aussi de l’information. Et aujourd’hui c’est vital, l’informatique. Il y a une époque où on pouvait se dire, bon voilà, l’informatique c’est ce que c’est, mais enfin à la limite ce n’est pas indispensable. Aujourd’hui quand on voit l’autonomie que ça peut apporter aux handicapés, on ne peut pas s’en passer. L’informatique, ça dédramatise le handicap, c’était le thème de ma conférence à Bordeaux l’année dernière. Ça dédramatise le handicap. Ça fait plein de choses, donc c’est indispensable aujourd’hui.
Manu
 : Tu recommandes un outil qu’on utiliserait ? Voilà je fais des sites web, des choses comme ça. J’ai tendance à tester avec un outil genre W3M, toi tu recommandes des choses qui peuvent montrer aux gens comment faire de l’accessibilité mieux et avoir un impact ?
Jean-Philippe
 : Bien, il y a deux aspects. D’abord il y a effectivement les navigateurs textes, moi je pense que le meilleur test et le plus tortionnaire pour le site c’est le navigateur texte, parce qu’il n’y a rien de plus impitoyable que le navigateur texte, qui est incapable de tout dynamisme et qui est incapable de gérer les choses trop compliquées, du style du JavaScript très compliqué ou des choses comme ça. Donc ça c’est un premier test.

Et puis après, bien écoutez, quand on parle de développement web, il y a ce qu’on appelle une norme qui s’appelle le W3C, ça a été développé par un consortium. Et il y a des outils qui ont été mis en place et qui sont en ligne dans lesquels…

Manu
 : Un validateur, c’est ça ?
Jean-Philippe
 : Par exemple voilà, un validateur, vous tapez l’adresse du site et il vous dit qu’est-ce qui correspond à la norme, qu’est-ce qui n’y correspond pas et c’est un très bon repère.
Luc
 : Et il y a quand même des normes spécifiques peut-être pour l’accessibilité sur, on parle des sites web, mais sur les applications. Quand un développeur qui voudrait travailler cet aspect là, qu’est-ce qu’il a comme ressources ?
Jean-Philippe
 : Il a la norme W3C qui devient un standard, qui devient une norme. Il y a, alors là je ne suis pas spécialiste, parce que je suis plus utilisateur très expérimenté plutôt que technicien avancé, mais je sais qu’il y a environ au moins 80 normes à prendre en compte, 80 règles de bases en tout cas, à prendre en compte. Après il y a des utilisateurs, enfin des développeurs qui vous diront qu’à la limite les normes c’est bien, mais qu’ils savent faire sans et qu’il suffit de respecter des règles de bon sens.

Typiquement pour une application, quand on essaye de placer des objets sur un écran, sur une interface graphique, idéalement à la limite on s’en fout des normes. Ce qui serait bien, c’est qu’on comprenne juste que le bon sens veut qu’on mette une étiquette sur les objets, qu’on range les choses de façon ordonnée pour que ne serait-ce que ce soit propre. Et si c’est propre, ça facilitera la tâche des outils d’accessibilité.

Luc
 : Il y a un truc dont j’ai entendu parler, c’est la norme AccessiWeb, avec les niveaux bronze, argent, or, tout ça ?
Jean-Philippe
 : Oui, je connais le nom, j’en sais pas beaucoup plus. Je crois que c’est une déclinaison de la W3C parce que cette norme elle est très complexe, donc elle a été…
Luc
 : C’est un label même je crois,
Jean-Philippe
 : C’est ça, ça a été labellisé et puis il y a après des sous normes aussi qui ont été faites. Vous parliez de l’administration tout à l’heure et notamment il y a un répertoire d’accessibilité des sites publics administratifs aussi, qui a été fait. Il y a des choses qui se déclinent en fait. Il y a la grande norme, qui décline les principes généraux puis chaque pays et chaque contexte a ensuite développé ces normes en fonction de son contexte. Et AccessiWeb, c’est une norme de respect de ce standard W3C.
Luc
 : Donc aujourd’hui, on a parlé du web, alors en dehors du web pour tout ce qui va être application conventionnelle, application qu’on installe etc. quelle est la marche à suivre ?
Jean-Philippe
 : C’est ce que je vous disais tout à l’heure c’est qu’en fait il faut… Alors bon déjà aujourd’hui évidemment, un des enjeux, on y reviendra probablement tout à l’heure, un des vrais enjeux qui se posent c’est d’être capable de comprendre le concept de bus d’accessibilité. On va parler un peu technique. C’est-à-dire en fait le petit bout de code qui en fait va établir le relai entre le lecteur d’écran et l’application, le message qu’elle envoie juste avant que ça ne devienne une image en tant que telle ; cette partie-là c’est un vrai enjeu, il faut que le lecteur d’écran puisse s’y retrouver. Et pour cela il faut que l’information qu’il renvoie soit suffisamment explicite. Donc déjà, il faut penser à ça, donc coder sur une bibliothèque qui de préférence est supportée. Par exemple, GTK est bien supportée par le lecteur d’écran sous GNU/Linux. QT pour l’instant ne l’est pas bien, mais on nous promet des avancées dans quelques années donc j’espère que ça va se faire.

Autre chose importante et ça ça vaut autant pour le web que pour l’applicatif, le fait de faire des alternatives. C’est-à-dire que ce qui est très important quand on développe une fonction, quand on développe quelque chose, c’est de laisser la possibilité à l’utilisateur d’y accéder par plusieurs moyens. C’est-à-dire par exemple, c’est bien de pouvoir y accéder à la souris, mais c’est encore mieux si on peut y accéder à la fois à la souris et aux raccourcis clavier. Typiquement, c’est la base d’une application, si on peut faire les deux c’est parfait. Si on ne peut pas faire les deux, ce sera forcément pas accessible à un certain type de handicap, par exemple sous Libre Office qui pourtant me paraît être sous GNU/Linux en tout cas, relativement accessible, il y a des poches encore d’inaccessibilité. Je prends par exemple les barres d’outils, certaines interfaces, il y a des poches encore un peu compliquées pour accéder, parce que c’est prévu pour être fait avec la souris, or il faudrait là précisément une interface guidable avec le clavier où on peut se déplacer avec le focus. Donc ça c’est le deuxième élément. Après le troisième, c’est ce que je vous disais tout à l’heure, c’est-à-dire faire quelque chose de propre, de rigoureux, avec des widgets étiquetés, avec des éléments au maximum descriptifs, ce qui permettra à l’application pour l’accessibilité le plus naturellement possible de s’y retrouver et à partir de là de faire son travail d’interprétation, de description et l’envoyer sur une synthèse vocale.

Luc
 : Alors Manu, pour toi faire propre, c’est la norme, tu travailles toujours extrêmement bien !
Manu
 : Ben, j’essaye, je suis même un petit peu pénible pour certains, mais ce que je remarque de tout ça et ce que j’adore entendre là-dedans c’est qu’il faut faire des applications orientées productivité. La productivité pour moi ça a toujours été... peut-être toujours fournir des icônes, ok c’est bien pour les débutants. Fournir des menus, c’est pas mal pour les gens qui commencent à connaître une application. Mais je suis très orienté sur professionnaliser l’usage d’un logiciel et avoir des raccourcis clavier que l’utilisateur va pouvoir utiliser en permanence et avec lesquels il va devenir très productif. Et s’assurer de ça ça veut aussi dire faciliter l’accessibilité.
Luc
 : C’est génial !
Jean-Philippe
 : C’est très provocateur ce que je dis mais pourtant ça me paraît un modèle véritablement à suivre en la matière, c’est un peu le choix qu’a fait Apple, avec Mac. Mac Os a cette énorme force, d’abord de donner une foultitude de raccourcis clavier et ensuite de donner une revue d’écran qui est extrêmement performante. Alors c’est facile pour eux parce que c’est leur système donc, évidemment, ils le connaissent bien, mais n’empêche que c’est vers cette direction qu’on doit aller. C’est-à-dire, vers la direction d’un lecteur d’écran qui soit capable de gérer tout l’écran comme c’est déjà à peu près le cas et puis cette possibilité d’alternative en permanence.
Luc
 : Du coup est-ce que ça ne milite pas pour des systèmes qui soit très intégrés ? Et dans le libre on aurait un truc comme KDE où effectivement on va intégrer dans une interface tous les logiciels avec quelque chose de vraiment très centralisé. Et est-ce qu’on n’a pas une difficulté avec le côté un peu bazar où il va y avoir des tas d’applications codées par des personnes un peu partout dispersées et tout ça ? Est-ce que ça ne va pas nourrir un peu ce débat-là ?
Jean-Philippe
 : Ben si. Mais de toute façon, moi c’est très personnel ce que je vais dire là mais, ça n’engage pas que moi, je sais aussi que d’autres le pensent et parmi eux j’ai entendu ce matin Richard Stallman le dire, donc je crois que c’est pas si mal. Le problème à mon avis du Logiciel Libre, un de ses vrais problèmes, c’est qu’il y a énormément de gens qui pour apprendre à coder, pour apprendre à faire un certains nombre de choses, créent de nouvelles applications. Alors c’est bien mais c’est un petit peu dommage parce que ce qui serait peut-être plus intéressant c’est qu’ils lisent du code et qu’ils contribuent à ce qui existent déjà. Parce que plus on va créer de choses, plus on va avoir à chaque fois à réinventer les roues et du coup c’est évidemment moins opérationnel, ça disperse les énergies. Alors bon c’est intéressant évidemment, mais c’est dommage de perdre de l’énergie, alors que d’autres gros projets comme justement les interfaces intégrées auraient besoin de personnes. Après les interfaces intégrées elles ont un problème de légèreté. C’est-à-dire qu’elles sont souvent très lourdes et moi ce que je pense c’est que là le libre doit prendre tout son sens. C’est-à-dire que aujourd’hui, ce que je trouve un peu dommage sous Gnome, c’est que sous prétexte de vouloir être démocratique, on nous envoie quand on l’installe tout un tas d’applications, il y a presque 500 Mo d’applications. Je trouve ça dommage. Moi je préfère installer par exemple sous une distribution GNU/Linux, sous Debian, je préfère installer un Gnome qui fait ce que je veux. C’est juste ce dont j’ai besoin. Et ça c’est utile.

Moi j’ai eu par exemple récemment, un test sous une autre distribution dérivée de Debian, quelqu’un qui testait, qui me disait qu’il y en a partout. Ben, oui il y en a partout, parce qu’ils installent touts alors forcément il y en a partout. Oui et ça c’est la limite de l’intégré. C’est un équilibre à trouver.

Manu
 : Une question qui me vient à l’esprit. : je suis un grand fan de mon téléphone portable que j’adore, que j’utilise tout le temps et c’est du Logiciel Libre, Android. Est-ce que toi tu arrives à utiliser ce petit outil, ce petit gadget, mais qui devient plus qu’un gadget, c’est un ordinateur dans la poche. Est-ce que tu as testé Android, est-ce que ça fonctionne, est-ce tu arrives à en faire quelque chose ?
Jean-Philippe
 : Je connais mal le débat. Il y a eu un sujet sur le groupe de l’April qui est passé il n’y a pas très longtemps, sur le groupe accessibilité. Je ne l’ai pas suivi de très près. Je crois quand même comprendre qu’il y a des initiatives, il y a des choses qui se développent, mais on est quand même pas encore du tout au point. Alors le privateur fait toujours son travail à peu près correctement, il y avait de vieilles applications qui aujourd’hui sont censées fonctionner sous Android et qui ne sont pas terribles. Par contre l’iPhone là pour le coup c’est Apple et ça fonctionne très très bien faut le dire.
Manu
 : Ah merde !
Jean-Philippe
 : Et ben oui ! Non mais voilà aujourd’hui Apple devient en terme d’accessibilité un véritable acteur. C’est très important et c’est vrai que je pense que c’est peut-être aujourd’hui le vrai concurrent du libre à mon avis plus que ne l’est le traditionnel monde PC, enfin Microsoft et toute la série qui gravite autour. Donc du coup le téléphone, iPhone est accessible. Android les avis sont partagés. Je sais qu’il y a beaucoup de projets qui émergent.

Pour l’instant on n’a pas réussi à obtenir quelque chose de parfaitement satisfaisant. Mais, je soumets ça quand même à une recherche sur Internet. Il faudrait regarder sur le sujet qui a été évoqué sur la question et qui est très vaste.

Luc
 : On va reprendre notre souffle avec un petit peu de musique. Et après on va parler un peu des différents outils qui existent et rentrer un peu dans la technique.
Luc
 : Radio RMLL, on est de retour et on parle d’accessibilité. Donc Jean-Philippe, tu nous as raconté un peu tous les enjeux et on va commencer à parler technique. On va creuser un petit peu le sujet de la technique. Et là Manu on va te mettre à contribution. C’est lui l’expert. Alors tu nous as parlé d’OCR, de synthèse vocale, d’accessibilité des interfaces graphiques. Tout ça c’est des parties vraiment spécifiques à l’accessibilité. Alors il y a tout ce que l’on peut faire pour que son application standard soit accessible mais après ça, il y a des applications spécifiques à l’accessibilité.
Jean-Philippe
 : Après, une fois qu’on a dit aux applications, merci de faire ci, ça, ça, on ne peut pas comme je disais leur en demander plus, parce qu’il y a trop de situations diverses, hétéroclites etc... Donc il faut que l’on développe des outils qui sont des outils d’aide, ce que l’anglais appelle des “assistive technologies”, c’est-à-dire des technologies d’assistance en fait. Et ces outils-là eux existent et doivent être performants dans tous les handicaps. Alors par exemple, vous avez pour les handicapés moteur, vous avez des outils comme Dasher par exemple, vous avez des outils comme les claviers virtuels, ça a été présenté aux RMLL d’ailleurs. Il y a des outils comme ça. Pour le handicap visuel, moi je trouve que les solutions sont très abouties. C’est-à-dire qu’elles sont très matures, et que malgré les nombreux défis qui les attendent, beaucoup de choses existent, beaucoup de choses se font et dans un ensemble assez hétéroclite de situations. C’est-à-dire qu’on peut très bien utiliser GNU/Linux en console, en graphique, avec ou sans loupes, avec une synthèse vocale ou en braille. Donc il y a vraiment plein de situations. Après tout n’est pas parfait, parce que ça dépend des développeurs, ça dépend de ce qui a plus ou moins mobilisé l’attention des développeurs. Ce qui les a plus ou moins intéressé, ce qu’ils ont jugé plus ou moins prioritaire. Donc par exemple, la synthèse vocale dans l’ensemble, enfin la partie qui redirige vers la synthèse vocale parce qu’après la synthèse vocale c’est un autre problème. Mais ce qui redirige en tout cas dans le lecteur d’écran, le lien que fait le lecteur d’écran, sa fonction synthèse vocale, ça marche assez bien. La fonction braille ça marche bien, on peut l’améliorer mais ça marche bien. La fonction agrandissement, il y a un travail plus important à faire. Après il y a d’autres sujets de difficultés qui sont inhérents à la difficulté même des technologies. Par exemple la synthèse vocale, le libre a énormément à faire, en même temps c’est vrai que c’est une technologie extrêmement complexe.
Luc
 : Pour les synthèses vocales, qu’est-ce qu’il y a comme difficultés ? J’imagine qu’il faut enregistrer des éléments ? Comment ça fonctionne ?
Jean-Philippe
 : Là c’est trop technique pour moi, mais de ce que j’en sais et de ce que j’en ai entendu ce week-end – voyez à quoi ça sert les RMLL, parce que j’ai croisé quelqu’un qui a pu m’expliquer, qui est un peu dans ces univers-là et qui a pu m’expliquer. C’est il y a deux phases, pour faire très simple en tout cas dans la synthèse vocale, vous avez la phase où le mot est traduit en phonèmes en fait, en son et après vous avez la phase où le son est restitué vers l’utilisateur sous la forme d’un truc audio, concrètement. Et ça, ça se fait via tout un ensemble, il y a des implications en terme de prosodie, c’est-à-dire en terme de ton, pour avoir la ponctuation, pour avoir le sens des nuances. Puis après ça se joue au niveau de la synthèse vocale. C’est de la fabrication d’un son. On fabrique un son et ça c’est extrêmement complexe et la synthèse vocale qui existe, qui est la seule à exister et qui s’appelle eSpeak, clairement ce n’est pas utilisable.
Manu
 : C’est du libre eSpeak ? apt-get install et hop ?
Jean-Philippe
 : Oui, vous avez eSpeak. Et ça marche très bien, ça marche très très bien. Mais auditivement c’est vrai que c’est un peu lourd. Après vous avez d’autres synthèses qui aujourd’hui sont semi-libres. Notamment Google a développé une synthèse qui s’appelle Svox ou Pico, on la connait aussi sous le nom de Pico. C’est une synthèse dont la base des phonèmes est libre mais le moteur qui génère les voix, qui crée les voix, qui fabrique les voix, ne l’est pas. Là on est en dialogue avec eux pour essayer de voir ce qui peut se faire. Ces synthèses me semblent plus avancées qu’eSpeak. Je pense qu’eSpeak tient des promesses, mais il va falloir encore beaucoup de travail pour que ce soit réellement, que ça atteigne la qualité de ce qu’on trouve sous le propriétaire.
Manu
 : Il me semblait que tu avais vu des gens de Shtooka ?
Luc
 : Shtooka c’est différent, ils enregistrent des mots complets, des bibliothèques de mots dans différentes langues. C’est pas avec ça que tu vas faire de la synthèse vocale.
Jean-Philippe
 : Ça ne suffit pas, ça peut être une partie de la résolution du problème mais ça ne suffit pas. Je ne sais pas parce qu’après il faut que l’information soit traitée. Quoiqu’il en soit il y a cette partie de conversion du mot en phonèmes donc après il y aura toujours le problème technique. Typiquement, les synthèses, non elles ne sont pas libres comme Mbrola ou Festival, posent ce genre de problèmes. C’est-à-dire qu’elles ont essayé de faire un truc à peu près comme ça mais bon en anglais ça marche assez bien, mais le patch français n’est pas vraiment extraordinaire.
Luc
 : Sur la question de l’OCR pour le coup, là on dépasse totalement la question du handicap. Un OCR c’est vachement utile pour tout un tas de gens et on parle de scanner tous les ouvrages qu’on a. On a des choses qui fonctionnent bien en libre ?
Jean-Philippe
 : Oui, alors c’est pareil, quand on compare au proprio et à ce qui se fait, c’est vrai que là encore on est en dessous. Malheureusement, c’est pour ça que là il faut vraiment qu’on investisse là-dessus. C’est-à-dire, je prends Tesseract par exemple, il marche très bien, mais il n’est pas capable par exemple d’inverser. Quand on pose une page, en fait il n’est pas capable de comprendre lui-même le sens de la page. Il faut lui poser la page dans le bon sens. Si on a le malheur de la poser dans l’autre sens, dans le sens inverse de celui dans lequel on lit, il ne va pas comprendre, l’OCR va se perdre. Alors que dans le propriétaire, c’est quelque chose qui se fait très bien. On pose la page dans n’importe quel sens, que ce soit droit ou sur le côté et il retrouve le texte et il réussit à l’interpréter. Ça, ça fait partie des choses qui doivent s’améliorer et puis après même quand c’est dans le bon sens, tout n’est pas très bien restitué. Il faut l’améliorer. Mais je dois dire quand même que Tesseract, c’est le seul que j’ai testé de façon plus suivie, a énormément progressé. Moi j’ai commencé en 2005-2006 à tester, c’était carrément très mauvais, les textes étaient illisibles. Aujourd’hui j’ai retesté il y a très peu de temps, il y a un mois à peu près, j’ai été assez bluffé. Ça marche vraiment, ça tourne.
Luc
 : Ça s’est bien amélioré ?
Jean-Philippe
 : Oui.
Manu
 : Il y a l’optique, il y a l’audio et pour les doigts qu’est-ce qui existe ?
Jean-Philippe
 : Alors pour les doigts, on a du braille. Ce qu’on a fait c’est qu’on est parti en graphique en tout cas, de ce qui existait. C’est-à-dire que depuis longtemps il existe un logiciel en braille qui s’appelle Brltty. Et ce truc-là en fait, pour parler très technique c’est aux geeks qu’on va s’adresser et quand on est en console en fait ou sur un terminal et ça marche même sous Windows, il lit ce que le noyau sort en fait, dans le périphérique /dev/vcs en fait, ou /dev/vcsa. Il lit ce qui sort de là et il le retranscrit sur l’afficheur braille, en se focalisant sur l’endroit où se trouve le curseur. Donc il retranscrit cette information en braille et on a une accessibilité tout à fait remarquable de la console, qui est quasiment parfaite, si l’application est à peu près bien faite en console, même les applications en ncurses donc en interface semi-graphique, c’est parfait. Maintenant, le graphique a dit bon, on va utiliser ces fonctionnalités et pour ça on va en fait créer, donc Brltty a créé, une API, qui s’appelle BrlAPI et c’est cette API à laquelle se connecte le lecteur d’écran pour renvoyer l’information sur l’afficheur braille. Donc ça, ça marche très bien. Après, quand on est sur cette API, l’API en elle-même est plus limitée donc il faudrait que le lecteur d’écran intègre davantage de fonctions pour remplacer le cœur de Brltty. Parce que BrlAPI c’est qu’une extension, donc il n’a pas tout. C’est très minimaliste. Après, c’est le lecteur d’écran qui lui devrait réintégrer des fonctions de facilité de navigation, qu’il n’a pas intégrées pour x raisons. C’est un peu compliqué mais il ne l’a pas intégré. Ce qui n’empêche pas, à mon avis, que le braille reste, pour ceux qui savent le lire de manière correcte, la solution peut-être la plus facile à utiliser je crois aujourd’hui sous GNU/Linux.
Luc
 : Tu nous avais parlé des frameworks aussi, en nous disant que ça posait des soucis ?
Jean-Philippe
 : C’est-à-dire que les frameworks, après il faut s’abstenir de toute généralisation, c’est très compliqué, ça dépend du langage, ça dépend du framework. Mais par principe, les frameworks essayent de générer quelque chose qui soit le résultat. C’est-à-dire que l’objectif c’est que ça marche. L’objectif c’est que ce soit affiché. Ils essaient de générer quelque chose qui fonctionne, sans forcément se préoccuper de la façon dont c’est fait et la façon dont c’est codé. C’est-à-dire le code peut être à peu près propre, mais il peut aussi ne pas l’être. Il peut être mal fait il peut être pas optimal par exemple. Et du coup, évidemment on ne va pas reprocher aux développeurs d’avoir pas fait un code optimal, c’est l’automatisation qui l’a fait. Mais le problème c’est que plus ce code-là n’est pas propre, moins la synthèse vocale, la revue d’écran pourra s’y retrouver en fait. C’est ça la vraie difficulté.
Luc
 : Manu, que dire à ça, puisque toi tu es un grand fan de Framework et de Ruby non ?
Manu
 : Oui, mais là c’est du Framework web et pour le coup, c’est l’application que j’ai faite pour être accessible c’était du Ruby on Rails et Ruby on Rails ne se préoccupe pas particulièrement de ça. Il est accessible ou il ne l’est pas suivant ce qu’on fait, mais même il n’y a pas trop de problématiques. Il faut juste éviter le côté bling-bling. Voilà et on n’y coupe pas. Et pour taper ? Tu passes toujours du braille, pour consulter, à un clavier physique usuel ou tu as un autre clavier à côté, spécial ?
Jean-Philippe
 : Il y a plusieurs possibilités. Après ça dépend de l’afficheur qu’on a, du terminal braille qu’on a. Oui, il y a la possibilité de n’avoir qu’un afficheur braille, qui donc se contente d’afficher les 40 caractères et puis d’avoir deux ou trois boutons pour avancer, pour avancer ou reculer et faire évoluer le contenu de la plage, dans ce cas-là on tape au clavier normal.
Manu
 : Qui est à côté ?
Jean-Philippe
 : Oui qui est à côté, ou si c’est un portable qui peut être juste au dessus de la plage braille, il peut être juste en dessous, ça dépend comment les choses sont agencées, ça dépend comment le portable est fait. Il y a des appareils qui intègrent mieux les portables que d’autres, les plages braille qui intègrent mieux les portables que d’autres. Et puis après vous avez des appareils bloc-notes, ce qu’on appelle, qui contiennent en eux même les fonctionnalités d’écriture, d’édition, des choses comme ça, voire même des fois un traitement de texte, de plus en plus aujourd’hui ça se fait. Et là par contre il y a un vrai clavier braille, avec les 8 touches pour générer les 8 points et c’est du braille après. Là tu tapes en vrai braille.
Manu
 : Et là, tu le retraduis en ASCII et en caractères normaux, c’est ça ?
Jean-Philippe
 : La table retranscrite en ASCII. Oui c’est ça. C’est-à-dire que quand on tape, techniquement, il y a une table braille qui définit que telle combinaison équivaut à tel keysum, et telle keysum etc... et après on reconstitue le processus du clavier normal.
Luc
 : Très bien, alors qu’est-ce qu’on peut faire pour quelqu’un qui voudrait s’intéresser à ces sujets, où il peut aller ?
Jean-Philippe
 : Je pense que l’April est un bon point d’entrée. Le groupe de travail qu’on a constitué, avec sa mailing-liste, permet de mettre en contact des gens suffisamment divers et hétéroclites pour avoir des réponses.
Luc
 : Le groupe est accessible. En tout cas on peut s’inscrire au groupe sans être adhérent.
Jean-Philippe
 : Mais tout à fait. Je vais même vous dire je ne suis pas adhérent de l’April et pourtant je suis animateur du groupe. Ben oui, mais un étudiant il n’a pas d’argent.
Manu
 : Ah mais il y a des cas. C’est prévu dans les clauses de l’April !
Jean-Philippe
 : Oui mais je suis futur fonctionnaire et donc là je pourrais enfin adhérer normalement, avec grand plaisir, mais pour l’instant... Et puis en plus je voulais découvrir aussi ce qui se passait donc du coup, avant de m’impliquer financièrement, j’ai voulu voir comment ça se passait déjà, au plan de l’organisation même. Et donc il y a ce groupe de travail, je pense que c’est un bon point d’entrée parce qu’après le problème de la communauté c’est ça aussi, c’est très foisonnant, c’est très divers et c’est très inégal. Je pense qu’avec ce groupe-là, on peut déjà centraliser une bonne part des informations. Après il y a d’autres listes. Il y a des listes comme Carrefourblinux, des choses comme ça qui sont des listes plus techniques, quand on a des problèmes concrets. On a déjà une bonne source d’informations. Après il y a aussi des distributions, je prends l’exemple de Debian par exemple, mais Ubuntu aussi, qui ont créé des équipes dédiées spécifiquement à l’accessibilité, qui regroupent les utilisateurs, des développeurs, qui eux même d’ailleurs parfois sont handicapés puisque des développeurs même aveugles sont capables de coder et du coup, au sein d’une distribution, on réfléchit à l’accessibilité. Et après se mettent en place tous les mécanismes de communication entre la distribution et le projet en amont, au sein même de la distribution etc. Donc c’est aussi un point d’entrée, les groupes de travail de chaque distribution. Moi je suis dans les deux cas, dans les deux points d’entrée. Je suis à la fois dans le groupe Debian et dans l’April.
Luc
 : C’est merveilleux. Et bien Jean-Philippe, on te remercie beaucoup pour toutes ces explications.
Jean-Philippe
 : Merci à vous de m’avoir laissé en parler aussi longtemps. C’est très agréable et je suis très content.
Luc
 : C’est très intéressant. Et merci beaucoup à Fred qui est à la technique et qui est à demi nu derrière la console.
Manu
 : Vu les grandes températures, c’est normal, on attend l’orage avec impatience, mais ce n’est pas sûr qu’il se pointe finalement.
Jean-Philippe
 : Merci à vous et n’oubliez pas de passer à l’April.
Voix off
 : Rencontres Mondiales du Logiciel Libre

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.