Émission Place de la toile sur Framasoft le 19 novembre 2011

Place de la Toile est une émission de radio hebdomadaire qui parle des cultures numériques, des nouvelles technologies et de leurs usage.

Pour les dix ans de Framasoft, Alexis Kauffmann squatte Place de la Toile et propose une émission que l’on pourrait titrer « l’esprit libre », avec Adrienne Alix, Frédéric Couchet et Christophe Masutti.

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Fiche Technique

Transcription

Xavier de la Porte : Place de la Toile, le magazine hebdomadaire des cultures numériques, des nouvelles technologies et de leurs usages, une émission spéciale aujourd’hui. Pour ses dix ans, Framasoft squatte Place de la Toile, une émission que l’on pourrait titrer « l’esprit libre », avec Alexis Kauffmann, Adrienne Alix, Frédéric Couchet et Christophe Masutti. Bonjour à toutes et à tous.

Et comme chaque semaine, l’« Internet Explorer » Thibault Henneton, très attendu aujourd’hui par les invités. Quand Facebook devient un film d’horreur, la lecture de la semaine, comment les Européens du 17e siècle ont aussi été submergés par de nouveaux moyens de communication, et puis pas près de la machine cette semaine, parce que cet après-midi Framasoft a apporté sa musique, ce sera Lezzazo.

Alors la proposition remonte à quelques mois, Alexis Kauffmann m’a envoyé un mail m’expliquant que Framasoft allait avoir dix ans en novembre et qu’il aimerait fêter cet anniversaire dans Place de la toile ; alors très honoré ai-je d’abord répondu, qu’après remue.net, site pionner dans la littérature sur Internet, après le Cube l’espace pionnier dans l’art numérique, et bien Framasoft réseau pionnier dans la diffusion du Logiciel Libre en France choisisse cette émission pour fêter ses 10 ans. Alors un honneur pour nous, évidemment d’abord un honneur, et puis aussi une occasion, celle de parler du Logiciel Libre, alors parce qu’on le mentionne très très souvent dans l’émission comme une sorte d’évidence, mais il est sans doute nécessaire de rappeler en quoi consiste sa logique et puis à quel point il est important au-delà même des questions strictement informatiques. Bonjour Alexis Kauffmann.

Alexis Kauffmann : Bonjour

Xavier de la Porte : Alors, vous êtes le fondateur de Framasoft et vous êtes président de l’association, alors bon anniversaire.

Alexis Kauffmann : Merci beaucoup

Xavier de la Porte : Framasoft a dix ans. Et puis merci d’être venu depuis Rome, où vous enseignez les mathématiques pour nous en parler. Alors si vous deviez faire le portrait de Framasoft, comme on fait le portrait de quelqu’un dont on fête l’anniversaire, à quoi ça ressemble Framasoft ?

Alexis Kauffmann : Alors, Framasoft, en deux mots, alors vous avez la partie, on va dire, la partie émergée de Framasoft : c’est un réseau de sites Web, une douzaine de sites Internet maintenant, qui sont autant de services, de lieux d’échanges, de création, dont l’objet principal est de faire connaître, diffuser le Logiciel Libre.

Xavier de la Porte : Et ça représente, parce que, on disait que c’est un lieu pionnier, lieu important mais qu’est ce que c’est en termes de fréquentation par exemple ? Vos différents sites ? Même si c’est super dur de l’expliquer, parce que vous avez beaucoup de sites, mais en gros c’est quoi ?

Alexis Kauffmann : Sur l’ensemble du réseau, aujourd’hui, c’est à peu près un million de visites par mois

Xavier de la Porte : ah ouais, quand même

Alexis Kauffmann : et quand vous tapez « logiciel libre » dans Google, il arrive en numéro deux. Et qui arrive en numéro un ?

Xavier de la Porte : Justement, c’est la question que je me pose... Wikipédia ?

Alexis Kauffmann : Voilà, bingo !

Xavier de la Porte : Wikipédia arrive toujours en numéro un ! Et c’était quoi Framasoft il y a dix ans alors ?

Alexis Kauffmann : Framasoft il y a dix ans, ça n’était rien d’autre qu’un modeste petit professeur de banlieue parisienne, qui avait découvert le Logiciel Libre en théorie, c’est-à-dire, via un article d’un professeur canadien qui interpellait sa ministre québécoise, sa ministre de l’éducation de l’époque, l’article s’intitulait « Comment informatiser intelligemment les écoles ? » et qui disait tout le bien qu’il pensait, donc on était en 98, qui disait tout le bien qu’il pensait des logiciels libres, de GNU/Linux en particulier, et qui invitait les instances à se pencher non seulement sur le Logiciel Libre mais sur son processus de création, toute l’intelligence distribuée qui était en train de se mettre en place via les réseaux, donc nous étions en 1998.

Xavier de la Porte : Comment ça a déclenché quelque chose en vous ?

Alexis Kauffmann : Ben, moi ça a fait tilt, c’est-à-dire que j’étais... le processus... j’ai compris que la manière dont était élaboré un logiciel libre était assez proche de la transmission du savoir que je pratiquais au quotidien.

Xavier de la Porte : Donc la première chose que vous avez faite, on reviendra un peu plus précisément toute à l’heure sur l’histoire et sur les différents projets, mais la première chose que vous avez faite, c’est dire on va créer un annuaire...

Alexis Kauffmann : C’est de sortir dans la rue en criant « Eurêka » ! Non, disons que j’ai... voilà, je me suis dit « tiens, le Logiciel Libre a quelque chose de particulier ! », et quand je me suis retrouvé sur un projet pédagogique très modeste avec une collègue professeur de français et qu’on s’est retrouvés avec un projet qui voulait utiliser les nouvelles technologies, nous étions au début des années 2000, je me suis dit tiens, » moi j’avais le monde du logiciel via un ordinateur acheté avec Windows dedans « on aura peut-être l’occasion de discuter du fait que c’est curieux ».

Xavier de la Porte : le système d’exploitation de Microsoft, donc.

Alexis Kauffmann : Pourquoi les ordinateurs arrivent toujours avec Windows dedans ?

Xavier de la Porte : Donc un système propriétaire, l’inverse du Logiciel Libre

Alexis Kauffmann : Voilà. Et je constatais que la Toile de l’époque ne me parlait pas, en tout cas francophone, ne me parlait pas de logiciel libre à partir de Windows. C’est-à-dire c’était il y a dix ans, ceux qui s’intéressaient au Logiciel Libre notamment tous les informaticiens, étaient sous Linux, c’était un milieu très très... d’initiés en fait, de vrais gros geeks. Et voilà, et donc Internet ayant peur du vide, ou du plein sous contrôle, en tout cas en l’occurrence il n’y avait pas de site qui allait, d’intermédiaire entre ces informaticiens et le grand public pour mettre en valeur les Logiciels Libres en n’ayant pas peur de partir, de démarrer de Windows quoi.

Xavier de la Porte : Alors présentez-nous, peut-être, vos invités, parce que vous avez convié des gens à venir discuter sur cette question du Logiciel Libre. Alors je sais pas, commençons par Frédéric Masutti à votre droite... Christophe, excusez-moi, Masutti.

Alexis Kauffmann : Nous n’allons pas être courtois. Donc j’ai convié à cette table trois éminents représentants du Libre francophone, donc Christophe Masutti qui travaille avec moi au sein de Framasoft et qui est historien des sciences, chercheur à l’Université de Strasbourg.

Xavier de la Porte : Et au CHU de Strasbourg.

Christophe Masutti : Et au CHU.

Alexis Kauffmann : Et qui s’occupe particulièrement du projet Framabook, dont on aura l’occasion de parler.

Xavier de la Porte : Adrienne Alix, bonjour.

Alexis Kauffmann : Adrienne Alix, directrice des programmes de Wikimédia France, qui avant était présidente de Wikimédia France.

Xavier de la Porte : Wikimédia étant là, c’est une association...

Adrienne Alix : l’association qui soutient en fait en France Wikipédia, entre autre.

Alexis Kauffmann : Voilà. Qui avant d’être simple adhérente à l’association, et avant contributrice de Wikipédia, et avant lectrice de Wikipédia. Et ce qui s’est passé c’est qu’à un moment donné Adrienne a dû cliquer sur le bouton « Modifier » de Wikipédia et elle est passé au travers du miroir.

Xavier de la Porte : Ah c’est ça, c’est en commençant par contribuer, c’est quoi la fiche à laquelle vous avez contribué pour la première fois ?

Adrienne Alix : J’ai créé des articles sur des obscurs religieux du début du 19e siècle, pendant que je faisais mon doctorat d’Histoire.

Xavier de la Porte : Donc de contributrice, vous êtes...

Adrienne Alix : Je suis rentrée là-dedans, je ne savais absolument pas ce qu’était un Logiciel Libre en commençant à contribuer sur Wikipédia.

Xavier de la Porte : Ah ! Et vous Christophe Masutti, c’est quoi votre découverte du Logiciel Libre ?

Christophe Masutti : Ma découverte c’est un intérêt et aussi un accident. Quand j’ai perdu le chapitre écrit de ma thèse sous Windows, les collègues en face de l’institut de maths m’ont conseillé vivement d’utiliser Linux.

Xavier de la Porte : D’accord, donc un système d’exploitation Logiciel Libre, donc c’est comme ça que vous avez commencé à verser dans le Logiciel Libre.

Christophe Masutti : Alors c’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur le Logiciel Libre, et puis j’ai versé en participant notamment à la biographie de Richard Stallman, c’est une période beaucoup plus récente en fait.

Xavier de la Porte : Dont on parlera. Alors, Frédéric Couchet, alors vous, c’est autre chose. Alors pourquoi vous avez convié Frédéric Couchet, Alexis Kauffmann ?

Alexis Kauffmann : Parce que Frédéric Couchet est un éminent représentant de l’association April, qui elle, fête ses quinze ans, qui est une association pionnière dans le Logiciel Libre francophone.

Xavier de la Porte : Alors April c’est pour Association nationale de promotion et de défense du Logiciel Libre.

Frédéric Couchet : Exactement.

Alexis Kauffmann : Je voulais également qu’on évoque ce... Comment dire, tout son travail sur le terrain, auprès des institutions, etc...

Xavier de la Porte : Et ce qui est intéressant, c’est que Frédéric Couchet, au fond, autour de cette table, vous êtes le seul informaticien. Ça dit quand même quelque chose du Logiciel Libre.

Frédéric Couchet : Alors je suis le seul informaticien de formation, et en plus ce qui m’intéresse dans le Logiciel Libre c’est pas tellement la partie informatique, c’est plutôt l’enjeu de société. Parce que moi à la base je voulais plutôt faire de la politique pour avoir un impact sur la société, notamment Sciences Po, pour d’obscures raisons je suis tombé dans une université où en fait on utilisait des Logiciels Libres, et pour les projets GNU, donc finalement on fait tous aujourd’hui du Logiciel Libre pas simplement pour des raisons informatiques mais plutôt pour un enjeu de société et de connaissances.

Xavier de la Porte : Alors justement, ça va être l’occasion cette précision de nous expliquer, enfin de nous rappeler, ce qui est sans doute nécessaire, ce que c’est que le Logiciel Libre dont on parle depuis dix minutes sans l’avoir défini, et c’est pas si facile de définir le Logiciel Libre. Alors Frédéric Couchet, puisque vous êtes à la tête de l’association dont le but est de promouvoir le Logiciel Libre, comment vous le définiriez ?

Frédéric Couchet : Le promouvoir, et malheureusement le défendre. Mais je pense qu’on y reviendra. Comment je le définirais ? On peut le définir de deux façons. La première c’est la façon la plus directe, c’est les quatre libertés que les développeurs de Logiciels Libres donnent à leurs utilisateurs et aux autres développeurs.
La première c’est la liberté d’utiliser le logiciel. Donc, quelle que soit la façon dont on s’est procuré le logiciel, qu’on l’ait téléchargé sur Internet ou acheté dans le commerce, on peut l’installer sur un poste, sur tous les postes de la maison, tous les postes de l’entreprise. Donc ça c’est la première, c’est la liberté d’utilisation.
La deuxième, c’est qu’on peut étudier le fonctionnement du logiciel, parce que le Logiciel Libre vient avec sa recette de cuisine, le code source. La forme sous laquelle l’informaticien a travaillé. Donc ça c’est très intéressant en termes pédagogiques, en termes de sécurité, etc.

Troisième liberté, c’est la liberté de le modifier. Il est important de comprendre que le logiciel ce n’est pas un objet fini, c’est un objet qui répond à des fonctionnalités à l’instant T. Donc il faut pouvoir le faire évoluer, et puis il faut pouvoir corriger des bugs. Donc il est important de pouvoir modifier le logiciel. Donc ça c’est la troisième liberté, liberté de pouvoir modifier le Logiciel Libre.
Ces trois libertés concernent uniquement finalement la personne qui a reçu ce logiciel. Ce qui va créer l’aspect communautaire et l’aspect partage du savoir et de la connaissance, c’est la quatrième liberté, c’est celle de redistribution. Donc liberté de redistribuer la version originale du logiciel, donc par exemple vous êtes chez un ami qui vous montre le dernier logiciel libre très bien pour les enfants comme par exemple je sais pas, gCompris dont on parlait toute à l’heure, qui est un logiciel éducatif

Xavier de la Porte : En montant dans l’ascenseur, oui

Frédéric Couchet : Et bien vous pouvez en faire une copie sur clef USB ou sur un cédérom vous repartez avec. Et de même que vous pouvez redistribuer les versions modifiées du logiciel libre que vous avez récupéré, de la même façon que le savoir se fait par rajout de briques, et bien dans le Logiciel Libre vous avez des briques qui sont disponibles, vous les utilisez, vous rajoutez ce dont vous avez besoin.

Xavier de la Porte : En quoi c’est une question philosophique, au fond, là vous me parlez d’informatique, vous parlez de brique, de code source, pourquoi est-ce une question philosophique ?

Frédéric Couchet : Alors ça c’est la première présentation effectivement, je dirais technique, du Logiciel Libre, mais sinon il y a une autre façon de la présenter, qu’utilise beaucoup Richard Stallman qui est l’une des personnes informaticien qui est à l’origine du mouvement du Logiciel Libre.

Xavier de la Porte : Qui a théorisé...

Frédéric Couchet : Qui est un américain, quand il vient en France il exprime ça en trois mots, très simples : Liberté, Égalité, Fraternité. Pour lui le Libre c’est l’incarnation informatique de la devise républicaine. Pourquoi ? Parce que les quatre libertés, celles que j’ai évoquées, utilisation, étude, modification, redistribution. Égalité, parce que tout le monde a les mêmes droits, qu’on soit un simple individu comme nous, ou qu’on soit une entreprise, on a les mêmes droits, et Fraternité parce que le but c’est de favoriser le partage et l’entraide.

Alexis Kauffmann : Et c’est, excusez-moi...

Xavier de la Porte : Oui Alexis.

Alexis Kauffmann : Cette idée de fraternité je la trouve vraiment fondamentale, et cette belle devise républicaine, vous pouvez légiférer sur la liberté, sur l’égalité, mais par contre la fraternité ne se décrète pas.

Frédéric Couchet : C’est vrai.

Alexis Kauffmann : Et, parmi les quatre libertés qu’a citées Frédéric et qui fondent le Logiciel Libre, elles le contiennent en sens. Comment dire ? C’est un potentiel, c’est là en germe et ça favorise cette fraternité.

Xavier de la Porte : Ça par exemple, il suffit pour le vérifier d’aller voir, je sais pas, un forum d’utilisateurs et de participants à l’édition d’un Logiciel Libre pour voir comment ça fonctionne.

Alexis Kauffmann : Oui, ce n’est pas...

Xavier de la Porte : Ça a un côté extrêmement émouvant aussi...

Alexis Kauffmann : C’est vrai aussi, ce n’est pas l’apanage du Logiciel Libre, mais si tu ne sais pas, demande et si tu sais, partage, qui est un petit peu la devise sur les forums Internet, effectivement elle fonctionne à plein dans le monde du Logiciel Libre.

Xavier de la Porte : Mais la question qu’on se pose en vous écoutant, c’est pourquoi tous les logiciels ne sont-ils pas libres ? Au fond pourquoi vous avez des adversaires ? C’est magnifique ce que vous dites là...

blanc

Xavier de la Porte : Ok

rires]

Frédéric Couchet : On se posait la question de qui allait répondre. Une bonne partie des logiciels qui existent dans le monde sont des logiciels libres, par exemple quand vous allez sur Internet, la majeure partie des logiciels qui vous permettent de naviguer sur Internet sont des Logiciels Libres. Que vous preniez Firefox par exemple, alors je sais qu’ici il y a une chronique qui s’appelle « Internet Explorer », néanmoins il y a un Logiciel Libre qui s’appelle Firefox, quand vous échangez du courrier électronique les serveurs font tourner du Logiciel Libre, l’architecture logicielle et technique d’Internet, c’est du Logiciel Libre. Mais par contre, on pense en fait que le Logiciel Libre est peu développé parce qu’effectivement il y a un point sur lequel il est très peu présent, c’est le poste de travail. Pour une raison très simple, c’est que le poste de travail aujourd’hui quand vous allez acheter un ordinateur en grande surface, l’ordinateur est pré-installé avec un logiciel propriétaire, généralement Microsoft Windows. Donc les gens, un : ne savent pas qu’il existe du Logiciel Libre, et deux : même s’ils savent qu’il existe du Logiciel Libre, de toute façon, sont obligés de payer un « racket », c’est pour ça qu’on appelle ça des « racketiciels » à Microsoft.

Xavier de la Porte : ah, on appelle ça du racketiciel !

Frédéric Couchet : C’est ce qu’on appelle du racketiciel, il y a un site qui s’appelle racketiciels.info

Xavier de la Porte : ah ouais !

Frédéric Couchet : Donc on est obligé de payer un racket pour pouvoir d’abord derrière utiliser du Logiciel Libre. Le Logiciel Libre est très développé, simplement, effectivement, dans l’imaginaire des gens qui ne connaissent principalement l’informatique qu’à travers Microsoft Windows ou Apple, ils ne connaissent pas le Logiciel Libre. Mais si demain vous pouvez aller dans une grande surface, acheter le matériel et simplement payer des clefs d’activation pour dire « ben voilà, moi je veux la version avec Windows, ou je veux la version avec GNU/Linux, ou je veux la version avec tel système », et bien là on aura franchi un grand pas.

Xavier de la Porte : Alexis Kauffmann :

Alexis Kauffmann : Je voulais ajouter une petite digression historique : au début, lorsque le logiciel est apparu, il était libre. Il se partageait comme les mathématiques au sein du monde universitaire et certains ont eu la bonne idée commerciale en tous cas, de fermer tout d’un coup le code. Alors ça donne toutes les success stories à la Bill Gates, Steve Jobs, etc. Mais voilà, tout d’un coup, c’est pour ça qu’à l’April il y a la notion de défense du Logiciel Libre, au départ les choses se partageaient naturellement.

Xavier de la Porte : Christophe Masutti.

Christophe Masutti : Il y a surtout une confusion avec la propriété intellectuelle, propriété industrielle. Le principal souci c’est que de l’arithmétique oui ça se partage, mais des logarithmes [algorithmes] aussi en quelque sorte. Ça devrait se partager au même titre que la connaissance et la production du produit fini logiciel et bien en fait elle peut être assimilée par certains comme étant une propriété fondamentale.

Xavier de la Porte : Question aussi au combien fondamentale. Alors là vous avez fait le lien avec « Internet Explorer » de Thibault Henneton qui peut-être un jour devrait s’appeler « Firefox » On verra, peut-être qu’un jour on modifiera ce titre mais...

Thibault Henneton : Jamais !

Xavier de la Porte : ... Tant que ça fonctionne... Donc tout de suite, l’« Internet Explorer ».

chronique IE

Xavier de la Porte : Nous fêtons donc aujourd’hui dans Place de la toile les dix ans de Framasoft, réseau de praticiens et promoteurs du Logiciel Libre. Alors on a rappelé les bases de ce que c’est le Logiciel Libre. Venons-en maintenant au type de projets développés par Framasoft. Donc au départ vous nous avez expliqué, Alexis Kauffmann, que c’était une sorte d’annuaire de Logiciels Libres à disposition, c’est ça ? Avec des tutoriels...

Alexis Kauffmann : Au tout départ, c’était une sélection de logiciels que je trouvais pratiques pour mon usage professionnel et où je ne faisais pas la distinction avec Logiciel Libre et gratuit parce que...

Xavier de la Porte : Parce que c’est une distinction à faire, c’est ça ?

Alexis Kauffmann : Ah ben...

Xavier de la Porte : Parce que tout logiciel libre n’est pas gratuit ?

Adrienne Alix : Et tout logiciel gratuit n’est pas libre.

Alexis Kauffmann : C’est une distinction fondamentale, parce que Facebook est gratuit par exemple.

Xavier de la Porte : Voilà. Comme ça, ce sera fait une fois pour toutes. Donc au départ c’étaient des logiciels que vous trouviez intéressants pour vos pratiques, etc, et puis ?

Alexis Kauffmann : Voilà. Donc ça a démarré sur un annuaire qui classait et commentait les Logiciels Libres et gratuits, et quand il y a eu assez de logiciels libres sous Windows de qualité, on a pris la décision d’abandonner les logiciels gratuits, de les enterrer purement et simplement. Cet annuaire a grandi et aujourd’hui on est à 1 500 Logiciels Libres, classés, commentés, testés, annotés, etc.

Xavier de la Porte : Vous aidez...

Alexis Kauffmann : C’était vraiment le démarrage, et ça reste le gros site qui rend service aux utilisateurs. Mais là-dessus se sont greffés une multitude d’autres projets, parce qu’au départ j’étais tout seul et puis petit à petit sont venus plein de gens.

Xavier de la Porte : Les projets, alors on va évidemment pas tout décrire mais alors il y en un que je trouve extraordinaire, c’est la Framakey, qui est une sorte de clef USB que vous proposez et qui en fait... Comment expliquer d’ailleurs ce que c’est ? C’est compliqué, qu’est ce que c’est ? C’est une sorte d’ordinateur sans un terminal quoi ? C’est une sorte d’ensemble de logiciels ?

Alexis Kauffmann : Voilà, c’est une sorte de, on peut même aller jusqu’à dire que c’est une sorte d’ordinateur que vous emportez avec vous lorsque vous avez directement le système d’exploitation aujourd’hui on propose aussi une distribution GNU/Linux dessus, une distribution Ubuntu, donc qui permet à partir du moment où vous décidez de faire démarrer l’ordinateur sur la clef USB, à ce moment-là tout tourne sur la clef USB.

Xavier de la Porte : C’est-à-dire que vous trimbaleriez la clef USB, vous arrivez sur un ordinateur, et hop vous mettez la clef USB, et dans ce cas-là tout s’installe...

Alexis Kauffmann : Soit vous démarrez directement avec le système d’exploitation Linux, soit vous trouvez un poste Windows allumé, vous mettez le clef dessus, vous faites tourner les applications qui sont sur la clef. On a eu des retours par exemple de, c’était au moment des Jeux Olympiques en Chine, ils étaient bien contents d’avoir la Framakey pour passer les systèmes de sécurité dans les cybercafés chinois.

Xavier de la Porte : Et ça leur permettait de faire ça ?

Alexis Kauffmann : Absolument.

Xavier de la Porte : Ah oui. Et combien de personnes ont téléchargé ou enfin ont utilisé, oui ça se télécharge
.

Alexis Kauffmann, J’ai, comment dire, sachant qu’on allait venir à cette prestigieuse émission, j’ai demandé à notre salarié, et je profite de l’occasion pour le saluer, Pierre-Yves Gosset, parce que travailler pour Framasoft c’est pas une sinécure, c’est plutôt un sacerdoce. Donc on en est à deux millions de téléchargements.

Xavier de la Porte : Ah ouais !

Alexis Kauffmann : Dont vous, Xavier donc si j’ai bien compris ?

Xavier de la Porte : Non non.

Alexis Kauffmann : Vous l’avez achetée ?

Xavier de la Porte : Non moi j’ai regardé comment ça marchait. Je trouve ça super mais je l’ai pas téléchargée.

Alexis Kauffmann : Donc, deux millions de téléchargements pour la clef, on a aussi... J’en profite pour citer quelques projets : un projet qui s’appelle Framapack qui permet, par exemple vous achetez un ordinateur neuf, vous avez envie d’installer des logiciels sur la machine, sous Windows pour le coup, et que vous voulez installer des Logiciels Libres dessus, vous pouvez faire une sélection comme quand on va au marché, vous cliquez juste, je veux une suite bureautique j’ai Libre Office, je veux un navigateur qui ne serait pas Internet Explorer mais qui serait Firefox, vous faites une succession de clics et vous téléchargez juste un petit exécutable qui va les installer une fois pour toutes d’un bloc. C’est assez utile, par exemple si vous avez un ordinateur neuf ou si vous devez gérer un parc informatique et installer à la volée... Ça, ça a permis de diffuser aussi le logiciel en masse, en l’occurrence ces 100 000 logiciels distribués depuis l’ouverture de ce projet.

Xavier de la Porte : Mais bon, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a ça, là on est sur des questions qui sont encore, même si on a expliqué, l’articulation entre deux systèmes, c’est encore informatique...

Alexis Kauffmann : Je vous coupe, nous, on fait vraiment... de temps en temps on s’amuse à dire qu’ on est une arme de diffusion massive du Logiciel Libre. On a tous ces projets-là, on a aussi un DVD qui propose aussi une compilation de Logiciels Libres, on fait de l’intégration, donc nous on ne créé par les logiciels.

Xavier de la Porte : Oui, évidemment, ils existent ailleurs.

Alexis Kauffmann : On n’a peut-être pas eu l’occasion de le dire, mais je suis un simple utilisateur, Christophe également, Adrienne Alix aussi, y’a juste un peu Frédéric, comme il est vieux il a connu les premiers temps de l’informatique. Mais, voilà, nous on est un des intermédiaires entre les utilisateurs et les développeurs, et on cherche à leur faciliter la vie. Et alors tous les projets, là j’en ai cités, j’ai cité la clef, il y a les DVD, évidemment il y a un forum d’entraide, etc... Ils sont là pour faire en sorte d’accompagner les gens, leur faire découvrir et leur mettre le pied à l’étrier, découvrir qu’il y a un petit supplément d’âme, parce que...

Xavier de la Porte : Mais c’est quoi le supplément d’âme justement, comment vous le décririez Frédéric ?

Frédéric Couchet : Non, je voulais réagir sur l’importance de Framasoft. Toute à l’heure Alexis tu as parlé de 98, comme je suis relativement vieux j’étais déjà présent en 98, et c’est vrai que Framasoft a apporté quelque chose qui est essentiel je pense et qui n’existait pas jusqu’à présent, c’est un accompagnement des utilisateurs qui sont sous système propriétaire. Parce qu’effectivement, même si on est convaincu par le Logiciel Libre pour des raisons économiques ou autres ou philosophiques, après switcher complètement, enfin passer complètement au Logiciel Libre c’est pas forcément évident. Par contre Framasoft propose un passage progressif, et ça c’est un rôle vraiment essentiel sur lequel ils ont joué un rôle, qui aujourd’hui est unique. Et c’est pour ça qu’on a fait pas mal de choses avec Framasoft, nous on a rédigé des documents ils ont fait des Framakey etc, mais le rôle essentiel c’est cet accompagnement des utilisateurs qui apprennent à un moment qu’il existe le Logiciel Libre, veulent commencer à l’utiliser, mais pas complètement.

Xavier de la Porte : C’est aussi une façon de faire, parce qu’il y a les différents projets que vous avez évoqués, et puis des projets qui sont très pratiques, par exemple Framalang pour la question de la traduction. C’est mettre en commun disons les savoirs des gens, pour par exemple traduire des textes.

Alexis Kauffmann : Donc c’est un projet intéressant parce qu’il n’y a plus du tout de logiciels pour le coup, par contre il y a une manière de produire du contenu que l’on estime « libre » entre guillements. Alors Framalang, c’est simplement : j’ai constaté que les francophones n’étaient pas encore totalement bilingues en anglais.

Xavier de la Porte : C’est dingue !

Alexis Kauffmann : C’est dingue, incroyable hein ! Et donc quand vous leur traduisez des articles qui venaient principalement du monde anglo-saxon, et bien du coup ils les découvraient parce qu’en langue originale ils avaient plus de mal. Et donc nous on se retrouve notamment via le blog à repérer, donc il y a un travail de veille, à repérer des articles qui ne seraient absolument pas traduits pas les grands médias parce que ça ne les intéresse tout simplement pas.

Xavier de la Porte : À part nous, ici.

Alexis Kauffmann : Et en plus les traductions sont faites sur une plate forme Internet totalement collaborative, donc quelqu’un propose une traduction, met le texte original sur un site dynamique où chacun peut participer, et puis ceux qui sont disponibles à ce moment- là, ceux qui trouvent l’article intéressant, ben ils le traduisent ensemble en commun.

Xavier de la Porte : Et puis, Alexis Kauffmann, Il y a Framabook. Donc vous êtes venu avec Christophe Masutti, qui lui est venu pas de Rome mais de Strasbourg et voilà vous vous rencontrez, tout à l’heure vous avez dit que vous étiez content de vous voir, parce qu’effectivement tout le problème de ces collaborations, elles se font à distance, par la machine.

Christophe Masutti : c’est le rôle d’un réseau ?

Xavier de la Porte : Vous parliez de se toucher...

Alexis Kauffmann : C’est important, parce que nous, Framasoft, on est essentiellement présent sur le Web, sur l’Internet, et ces temps de « In the real life » comme on dit.. Framabook, notre petit slogan, c’est « le pari du livre libre », le slogan de Framalang c’est « My taylor is free » d’ailleurs, pour l’anecdote, et voilà, je voulais que Christophe, d’abord je pense que c’est intéressant, nous raconte un petit peu comment il a mis les pieds dans Framasoft et il en est toujours pas ressorti, et qu’est-ce que c’est un livre libre finalement.

Xavier de la Porte : Christophe Masutti, qu’est ce que c’est qu’un livre libre, finalement ?

Christophe Masutti : Un livre libre, c’est un livre qui d’abord respecte le droit d’auteur. Alors, on a appelé ça le pari du livre libre, parce qu’effectivement c’est un pari. On peut libérer du code, on a vu ça avec le Logiciel Libre, c’est un modèle économique à part entière, on peut libérer de la documentation, la documentation des logiciels par exemple, on peut libérer de la musique, on va en entendre un extrait tout à l’heure si j’ai bien compris, on peut libérer les sciences, puisque si on prend l’exemple du mouvement "Open archives" où le CERN actuellement publie ses productions sous Creative Commons, mais si on libère aussi les livres ce serait pas mal, ça ferait un beau support pour la culture libre. Alors, comment on libère un livre ? C’est-à-dire, il faut d’abord trouver un auteur, alors ça c’est le rôle je dirais de Framasoft, historiquement je crois que le premier livre sur Thunderbird, le logiciel de gestion de mails, c’était en quelle année Alexis, c’était 2001 ?

Alexis Kauffmann : Non non, c’était 2004

Christophe Masutti : En 2004, d’accord. Ça c’était le premier Framabook sorti, et puis là on reste encore dans le domaine du, comment on utilise un logiciel, c’était déjà pas mal, et finalement le livre qui a tout déclenché et qui fait que je suis resté attaché à Framabook, c’est la biographie de Stallman. Alors en fait c’était quoi l’histoire, en deux mots...

Alexis Kauffmann : Je peux raconter... Il y avait en fait une biographie de Richard Stallman qui avait été...

Xavier de la Porte : Par un journaliste américain.

Christophe Masutti : Sam Williams.

Alexis Kauffmann : Voilà, qui avait été publiée en américain, chez les américains. Simplement la licence accolée à ce livre autorisait la traduction et même d’ailleurs le commerce, c’est ce qu’on appelait une licence libre, en l’occurrence c’était la GNU FDL. Et donc je me suis dit, c’est dommage, disons qu’il y a quand même beaucoup de biographies de personnages totalement insignifiants, en langue française, pourquoi ne pas proposer celle de Richard Stallman, surtout qu’il n’y a aucune entrave au niveau de la licence. J’ai lancé un appel sur le blog, et après c’est, voilà, ce sont des appels à bonne volonté, et comme souvent dans le Logiciel Libre si ça correspond à un intérêt...

Xavier de la Porte : Mais, en quoi c’est différent d’un autre livre ? D’abord la traduction, s’est faite d’abord de manière collaborative, très ouverte, puis d’une manière un peu plus fermée pour des questions de pratique parce que c’est compliqué que tout soit toujours modifié éternellement, mais en quoi c’est différent d’un autre livre dans la manière dans laquelle ça se construit, Christophe Masutti ?

Christophe Masutti : Dans la manière, disons que on a d’abord fait la traduction du livre existant qui était publié en 2001. Bon. Il était sous licence libre. Ensuite pour une banale affaire d’illustration, j’ai contacté Richard Stallman, puis il m’a dit « ben oui, mais moi le livre de Sam Williams je l’ai jamais cautionné ». Ah ! Alors, qu’est-ce qu’on va faire, on a traduit pour rien ou quoi ? Qu’est-ce qu’on fait ? On publie directement ? Après tout, on peut puisqu’il est sous licence libre, et puis là Richard Stallman et moi on a commencé à travailler ensemble pour réécrire sa biographie. Donc, attitude complètement schizophrénique de ma part, puisque je suis historien et vraiment c’est bizarre de faire une biographie, modifier une biographie par son sujet...

Xavier de la Porte : Bien sûr, oui.

Christophe Masutti : Mais en même temps, c’est du Libre. Donc n’importe qui est capable de cautionner et de modifier.

Frédéric Couchet : Je tiens à préciser que c’est pas tellement une réécriture c’est plutôt des ajouts de commentaires et d’interprétations. J’ai les deux versions, et dans la version effectivement modifiée, les passages de Sam Williams, avec lesquels Richard Stallman n’était pas d’accord, étaient toujours là, simplement il y avait en plus les commentaires de Richard Stallman, et j’ai trouvé ça vraiment incroyablement intéressant.

Xavier de la Porte : Au fond il « hacke », c’est ça, il « hacke » son propre livre ?

Frédéric Couchet : Absolument.

Xavier de la Porte : C’est ça, il a un livre libre disons, ça peut être un livre hacké par la personne qui est le sujet du livre.

Frédéric Couchet : Exactement.

Adrienne Alix : On commente du code aussi informatique, on peut commenter en disant « ça, ça sert à faire ça, ça, ça permet de faire telle action ou telle action », donc c’est la même façon. Ça reste bien dans l’esprit collaboratif.

Xavier de la Porte : Donc on reste dans la collaboration pour ce qui est la traduction, on reste dans la collaboration pour expliquer le livre au final textuellement. C’est-à-dire un objet qui est construit à la fois par l’auteur du livre au départ, mais aussi celui qui a été le sujet du livre, donc ça donne une sorte d’objet comme ça totalement collaboratif de tous les côtés.

Christophe Masutti : Voilà, absolument.

Alexis Kauffmann : Et au final, vous l’avez aussi en libre téléchargement sur Internet dans son intégralité.

Xavier de la Porte : Ouais évidemment. Juste, dans la cabine, Vincent René et Olivier Guérin me disent au casque, « mais enfin le problème, c’est quoi votre modèle économique ? ». C’est vrai que c’est une question qu’on n’a pas posée jusque là.

Alexis Kauffmann : Parce que vous disiez évidemment, mais en même temps le livre existe en version papier, en version...

Xavier de la Porte : Et ils sont achetables, 22 euros je crois...

Alexis Kauffmann : Voilà, on en a vendu dix mille exemplaires...

Xavier de la Porte : Mais le modèle économique de Framasoft, vous disiez il y a un salarié ?

Alexis Kauffmann : Oui.

Xavier de la Porte : Il est payé par qui, comment ?

Alexis Kauffmann : Il est payé principalement par, comment dire, la bonté, la générosité, de nos utilisateurs.

Xavier de la Porte : Qui sont aussi des utilisateurs, qui sont aussi des gens qui participent de manière...

Alexis Kauffmann : Voilà parfaitement

Xavier de la Porte : Donc les gens à la fois participent bénévolement et contribuent à l’existence de toutes ces plate formes.

Alexis Kauffmann : Et ça peut être en achetant une version papier des livres dont ils savent pertinemment qu’ils peuvent...

Xavier de la Porte : ...Télécharger gratuitement

Alexis Kauffmann : ...Télécharger, les lire sur, les mettre sur leur liseuse.

Xavier de la Porte : Oui, Frédéric Couchet ?

Frédéric Couchet : Je trouve que franchement donner dix, comme c’est mon cas par exemple, je donne dix euros par mois à Framasoft pour la production de culture que vous faites, c’est franchement pas grand-chose que je donne. Et pour juste répondre à l’interrogation de Xavier sur, finalement, quelle est la différence entre les livres libres et les autres, par rapport aux traductions, c’est que la licence nous permet, à n’importe qui, de faire la traduction sans demander l’autorisation préalable. L’autorisation préalable est déjà donnée. Et je pense qu’effectivement aujourd’hui il y aurait plein de livres, qui sont pas sous licence libre, que les gens auraient peut-être envie de traduire mais à chaque fois il faut demander l’autorisation. La différence : elle est déjà donnée cette autorisation.

Xavier de la Porte : Christophe Masutti ?

Christophe Masutti : Oui tout à fait et ça c’est la raison pour laquelle on est capable de publier avec les auteurs mais aussi on n’a pas que des traductions. C’est-à-dire que là où je voulais en venir quand je disais tout à l’heure que le livre libre c’est d’abord un livre qui respecte le droit d’auteur, c’est qu’un auteur est capable aujourd’hui de diffuser son livre et de définir, à priori, les conditions de sa diffusion, de son appropriation.

Xavier de la Porte : Oui, et non pas signer un contrat d’édition dans lequel tout a été décidé par l’éditeur hein ?

Christophe Masutti : Alors on a des contrats d’édition, ça s’appelle des contrats de cession non-exclusive de droits d’auteurs.

Xavier de la Porte : Vous ferez bondir le Syndicat national de l’édition en disant ça.

Christophe Masutti : Terrible hein ? Et alors on s’arrange avec le prix unique du livre.

Xavier de la Porte : Alors on va, on est obligé d’aller vite, parce qu’il y a plein de choses. On va parler avec Adrienne Alix, franchir encore une étape dans cette idée de l’esprit libre en allant encore un peu au-delà des projets de Framasoft et voir comment tout ça se connecte à des projets plus globaux. Mais tout de suite, la lecture de la semaine qui est un vol total en dehors de toute question de droits.

La lecture de la semaine

Musique : Lessazo, "Moussa" Musique en fond qui continue.

Xavier de la Porte : Alors les habitués de Place de la toile auront tout de suite remarqué que ce n’est pas une sélection de Guy Denis, y a pas de bruits de machines, de 8bits, de machins... Donc on écoute Lessazo, c’est votre choix Alexis Kauffmann, pourquoi, parce que c’est aussi lié au Logiciel Libre ?

Alexis Kauffmann : Oui, tout à fait, en fait il s’agit de musique libre. Elle n’a pas forcément un style particulier, mais la licence qui est accolée au morceau que vous écoutez et à tout l’album d’ailleurs de Lessazo, c’est la licence Art Libre, qui offre les même 4 libertés qu’un Logiciel Libre.

Xavier de la Porte : Je peux reprendre un morceau de cette musique, le mettre en boucle et sans payer aucun droit au groupe ?

Alexis Kauffmann : Voilà vous pouvez télécharger l’intégralité de l’album...

Xavier de la Porte : Et le traficoter ?

Alexis Kauffmann : Et l’améliorer, le modifier, l’étudier. Ce que je voulais dire, c’est que du coup, est-ce que les musiciens prennent un risque en faisant ça, quel est leur modèle économique, etc. Je ne le connais pas personnellement, il faudra leur poser la question, mais disons qu’en plaçant leur création sous licence libre et bien ils se sont retrouvés aujourd’hui sur France Culture par exemple...

Xavier de la Porte : Ohh, c’est bien vu, trop fort !

Alexis Kauffmann : Non non ce que je voulais dire, ils vont se retrouver sur le site, peut-être que des organisateurs de salles vont les repérer, ça va faire des concerts, à la sortie des concerts ils vont peut-être vendre des CD, etc.

Xavier de la Porte : Et on va les écouter peut-être un moment.

Alexis Kauffmann : Aussi !

Suite de Lessazo, "Moussa"

Xavier de la Porte : France Culture, Place de la toile, C’est « Moussa » le titre de ce morceau du groupe Lessazo. Donc, comme c’est vous qui avez fait le conducteur de l’émission Alexis Kauffmann, c’est une transition parfaite, donc pour ce troisième moment de cette émission qui fête vos dix ans, les dix ans de Framasoft, une troisième partie que vous vouliez consacrée à la logique du Logiciel Libre.

Alexis Kauffmann : La logique, non c’est-à-dire que nous quand...

Xavier de la Porte : C’est pas ça, j’ai pas compris ?

Alexis Kauffmann : Si, si, vous avez très bien compris, je me permettrais pas, mais disons que nous, on fait la promotion et la diffusion du Logiciel Libre et on se permet, parce qu’on a pas froid au yeux, sa culture et son état d’esprit. Parce que quand vous avez les quatre libertés, ça donne un modèle. L’usage, l’étude, la modification et la distribution. Et qu’est ce qui se passe quand on plonge ce modèle dans d’autres domaines d’activités humaines...

Xavier de la Porte : Qu’est ce qui se passe ?

Alexis Kauffmann : Et bien justement, ce sont des voies qui sont en pleine exploration, ça peut être dans la culture, la musique, le cinéma. Ça peut être les données, on parle beaucoup d’Open Data. Ça peut être aussi, par exemple, on aimerait bien faire cartographier le monde de manière libre et non pas exclusivement...

Xavier de la Porte : Open Street Map...

Alexis Kauffmann : Open Street Map, par exemple. Et l’exemple le plus emblématique c’est, dans le monde de la connaissance, les encyclopédies. Et c’est pour ça que je...

Xavier de la Porte : Alors c’est pour ça que vous avez invité Adrienne Alix.

Alexis Kauffmann : Adrienne Alix, dont l’association Wikimédia France stipule « Pour le libre partage de la connaissance ». Ils auraient pu simplement dire « Pour le partage de la connaissance », mais ils ont accolé le « libre partage de la connaissance ».

Xavier de la Porte : Et pourquoi il est libre, ce partage de la connaissance dans Wikipédia, dans Wikimédia d’ailleurs en général, Adrienne Alix ?

Adrienne Alix : Parce que l’idée, c’est de pas forcément s’arrêter à Wikipédia, l’idée c’est pas de faire progresser, enfin on soutient, on défend et on essaye de faire progresser Wikipédia et les autres projets Wikimédia au maximum, mais le but n’est pas de tout ramener à nous mais au contraire de favoriser le partage de la connaissance sous toutes ses formes à partir du moment où il est libre et où il est ouvert. Donc ça peut très bien être en dehors de Wikipédia s’il n’y a pas de manière de l’intégrer dans Wikipédia.

Xavier de la Porte : C’est-à-dire que, concrètement, ça donne quoi ?

Adrienne Alix : Par exemple, moi je travaille beaucoup à aller voir des institutions culturelles pour les pousser à ouvrir leurs contenus et à diffuser sur Internet en général, de manière à ce qu’ils soient accessibles au plus grand nombre. Ça peut être sur papier si c’est sur papier. Si une institution ne souhaite pas ou ne peut pas diffuser ses contenus sur les projets Wikimédia, à partir du moment où je l’ai convaincue qu’il fallait les mettre à la libre disposition des gens, j’estime que j’ai fait mon travail.

Xavier de la Porte : Ces institutions c’est quoi ? C’est des musées...

Adrienne Alix : Il y a des musées, des archives, des bibliothèques, etc, qui ont énormément de contenus culturels pour une grande part qui est dans le domaine public, ou pour lesquels en tout cas il est possible de le diffuser. Et une des actions de Wikimédia France c’est de les accompagner à diffuser ce contenu soit sous les projets Wikimédia, soit simplement le libérer.

Xavier de la Porte : Et vous faites ça au-delà même de votre propre intérêt ?

Adrienne Alix : Oui, on n’est pas une entreprise commerciale, notre objectif c’est le libre partage de la connaissance, donc on n’a pas de part de marché à défendre.

Xavier de la Porte : Justement, mais ça c’est une question que je pose à vous, Adrienne Alix, mais à l’ensemble de vous, bon on fête les dix ans de Framasoft, est-ce qu’en dix ans, est-ce que vous avez l’impression que ce discours-là il porte de plus en plus ?

Adrienne Alix : Oui.

Xavier de la Porte : Ah oui, vous trouvez ?

Adrienne Alix : Clairement.

Xavier de la Porte : Clairement ?

Adrienne Alix : Wikipédia a dix ans aussi. C’est né en 2001, de la même façon, un peu avant Framasoft. Oui oui, le discours porte clairement ses fruits. Il y a quelques années il aurait été quasi-impensable d’aller voir des musées, on avait énormément de mal à accéder aux institutions culturelles qui nous prenaient pour des espèces de pirates ne respectant absolument pas la culture. Parce qu’on a un fonctionnement qui part du bas pour aller vers le haut et que, traditionnellement, les institutions ont plutôt un fonctionnement inverse. Ils apportent la connaissance aux gens et nous on va la chercher, donc c’est un peu différent. Et aujourd’hui en permanence j’ai des demandes de musées, de bibliothèques qui disent « on aimerait bien travailler avec vous, faire des choses avec vous ». Et il s’agit plutôt maintenant d’organiser ça et d’arriver à faire en sorte que ce soit au-delà du coup de com’ pour travailler avec Wikipédia, vraiment avoir un état d’esprit qui change. Mais clairement c’est en train de porter ses fruits de manière incroyable.

Xavier de la Porte : Ah ouais. Frédéric Couchet vous diriez la même chose ?

Frédéric Couchet : Je dirais la même chose et je pense que Wikipédia est l’exemple parfait de l’utilisation d’Internet, qui est un outil de mise en relation de personnes qui ont envie de partager les choses. Si on revient dix ans en arrière et qu’on posait la question : « Quelle sera la principale encyclopédie en ligne ? Est-ce que ce sera Wikipédia ou est-ce que ce sera Encarta, une version propriétaire ? ». Les gens auraient dit à l’époque « bah, ce sera forcément Encarta, c’est un peu ce modèle qui peut fonctionner ». Dix ans plus tard, c’est Wikipédia qui a gagné et je pense que la démocratisation d’Internet a joué un rôle fondamental là-dedans et qu’on ne peut aller contre. Sauf effectivement à essayer de maintenir des modèles économiques du passé à travers des lois comme Hadopi et compagnie, donc recréer des « enclosures », mais le discours il porte. Moi je fais beaucoup de conférences devant du grand public et dès qu’on leur parle de ça ils réagissent.

Xavier de la Porte : J’ai juste, enfin j’entends le générique qui commence à se lever, mais j’ai une dernière question parce qu’en vous entendant parler depuis 50 minutes je me la pose. Oui voilà, vous parliez d’Hadopi, Nicolas Sarkozy hier qui n’est pas encore candidat à sa propre succession, mais sans doute le sera-t-il, a annoncé qu’il voudrait mettre en place un Hadopi 3, pour le streaming particulièrement mais bon peu importe, et je me disais, le Logiciel Libre c’est de droite ou de gauche ?

Adrienne Alix : Je crois que ça transcende complètement les choses quand on ...

Alexis Kauffmann : Ni de droite ni de gauche, pour les hommes et les femmes de bonne volonté qui veulent proposer, qui veulent développer le secteur non-marchand sur Internet.

Adrienne Alix : Même marchand !

Frédéric Couchet : Et même marchand, c’est ni de droite ni de gauche, si on regarde effectivement dans l’hémicycle, y’a des gens de droite et de gauche qui défendent le Logiciel Libre, pour différentes raisons, mais aujourd’hui effectivement, les gens de bonne volonté normalement soutiennent le Logiciel Libre. C’est seulement les autres.

Xavier de la Porte : Les gens intelligents quoi !

Frédéric Couchet : Est-ce que je peux me permettre juste de citer par exemple un doc d’Ernst&Young qui a été remis hier au forum d’Avignon, dans lequel ils disent « aujourd’hui, l’accent sur de faux débats, tels que la liberté d’expression et l’accès à la culture, ou d’autres arguments opposants de manière infondée au respect du droit d’auteur ». C’est-à-dire que ces gens-là mettent en avant le respect du droit d’auteur et mettent derrière de faux débats, la liberté d’expression et l’accès à la culture. Nous, on met en avant la liberté d’expression, l’accès à la culture et le partage.

Xavier de la Porte : Bon donc on finira... Oui Alexis, juste une seconde...

Alexis Kauffmann : Une seconde, alors dans ces cas-là notre slogan c’est : « La route est longue, mais la voie est libre ».

Xavier de la Porte : Ça ressemble à un slogan maoïste. Merci beaucoup, donc bon anniversaire, bons dix ans à Framasoft. Tous les liens sont sur la page, évidemment, de Place de la toile, merci d’être venus de si loin. La semaine prochaine on parlera de jeux vidéos, il y a une grande expo à Paris et aussi un livre, on en parlera avec Erwan Cario et Alexis Blanchet. Place de la toile, Thibault Henneton, Xavier de la Porte, à la technique aujourd’hui c’était Vincent René, réalisation Olivier Guérin, dans quelques instants Charles Dantzig et ses Secrets professionnels. Bonne soirée, bonne semaine.

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.