Émission Libre à vous ! diffusée mardi 20 septembre 2022 sur radio Cause Commune


Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu :Bonjour à toutes, bonjour à tous. Être libriste et responsable des systèmes d’information d’une association, c’est le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme « Pop-ups et fenêtres modales », et « De la couleur de nos cerveaux ». Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour, avec tous les liens et références utiles, et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toutes questions.

Nous sommes mardi 20 septembre, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, il est aussi à l’aise derrière un potard que derrière un micro, mon collègue Frédéric Couchet.

Frédéric Couchet Merci. Bonne émission à vous.

Étienne Gonnu :Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee » intitulée « Pop-ups et fenêtres modales  »

Étienne Gonnu : Premier sujet, mais surtout première chronique de notre nouveelle recrue qui rejoint l’équipe pour cette sixième saison de Libre à vous !. Gribouilleur, scribouillard, docteur en informatique, généraliste conventionné secteur 42 et Framasoftien de longue date, Gee est un auteur touche-à-tout comme dessinateur de blogs BD, du geektionnaire et de Grise Bouille, qui écrit également de la musique, des romans et des chroniques radio. C’est un grand plaisir d’accueillir Gee au sein de l’équipe et ici, dans le studio de la radio, pour sa première.

Gee, au fil de tes chroniques, tu vas nous exposer ton humeur du jour, des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-internet de notre classe politique. Tu vas partager ce qui t’énerve, ce qui t’interroge, te surprend, t’enthousiasme, toujours avec humour nous dis-tu. L’occasion, peut-être, derrière toutes ces boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique.

Je crois qu’aujourd’hui tu voudrais nous parler de pop-ups et de fenêtres modales, un sujet au potentiel comique évident !

Gee : Exactement.

Salut à toi, public de Libre à vous !. Pour cette première chronique, j’ai effectivement décidé de parler de pop-ups, d’overlays et de fenêtres modales sur le Web. Pour les néophytes, en gros, ce sont tous les petits trucs qu’on nous colle devant nos sites web, en général sans qu’on n’ait rien demandé.

Je suis pas à proprement parler un vieux de la vieille, mais j’ai quand même découvert le Web au moment où il commençait à se démocratiser en France, aux alentours de l’an 2000. À cette époque, on subissait souvent une salle bestiole aujourd’hui heureusement à peu près disparue, la pop-up. Je sais, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans, etc., etc.

Donc, pour les moins de 20 ans je précise, la pop-up était une petite fenêtre qui s’ouvrait en plus de la fenêtre du navigateur quand tu cliquais sur certains liens, en général avec de la pub dedans. C’était assez désagréable, on passait son temps à fermer des fenêtres intempestives et on a assez vite inventé des bloqueurs de pop-ups pour faire ça automatiquement.

Sauf que bien sûr, ça a marqué le début de la course à l’armement entre pubards et anti-pubs. Très vite, les pubs ont été intégrées aux pages web, parfois dans des proportions un poil exagérées. La palme dans le genre revenait sans doute à Lycos – oui, je sais, ça ne nous rajeunit pas – Lycos donc, qui, après avoir racheté les pages persos Multimania en janvier 2001, les a méthodiquement pourries avec tellement de pubs superposées qu’on finissait par chercher les trois pixels de contenu qui dépassaient derrière les 15 surcouches de pubs. Et de la pub de qualité hein !, du GIF animé strass et paillettes, voire de la bonne vieille animation flash bien lourdingue comme on n’en fait plus, ce qui n’est sans doute pas plus mal ! Mais, comme un juste retour de karma, Lycos a depuis fini dans la vaste poubelle du Web, non sans avoir également flingué Caramail auparavant, mais c’est une autre histoire.

Bref ! La pub intégrée aux pages n’a, en revanche, pas vraiment disparu, bien au contraire. Les pubards ont juste compris qu’il valait mieux éviter de la mettre au-dessus du contenu ! Tu me diras, c’est déjà ça ! De notre côté, on a bien sûr adopté en masse des bloqueurs de pubs, comme uBlock Origin, et puis les sites ont intégré des détecteurs de bloqueurs pour nous envoyer des messages culpabilisants, etc.

Ceci étant dit, ce serait assez injuste de résumer les overlays et les fenêtres modales, ces petites surcouches qui s’affichent sur une page web, à la pub. Eh non ! Car les webmasters rivalisent d’inventivité quand il s’agit d’enquiquiner les gens qui visitent leurs sites web.

Par exemple, il y a quelques années de ça, j’avais reçu un mail d’une agence de comm’ lambda qui voulait me vendre sa technologie révolutionnaire. Je t’en lis un extrait : « Savez-vous que 70 % des visiteurs qui quittent un site ne reviendront jamais ? Notre technologie vous permet de capter les adresses mails des visiteurs sortant. Grâce à notre algorithme, nous analysons le comportement du visiteur pour détecter quand il va partir, et nous collectons alors son adresse mail pour le faire revenir. » Ça, par exemple !, ça a l’air génial !

Bon, en fait, si je fais une traduction faux-cul-français, en gros, leur truc attend que ton curseur se rapproche du haut de la page, là où se trouve la croix pour fermer l’onglet, et ça t’affiche alors une fenêtre modale d’inscription à la newsletter.

Waouh ! Bon !, alors déjà, me présenter comme révolutionnaire une techno que je peux probablement coder après un tuto de 20 minutes sur JavaScript, c’est un peu gonflé. Mais en plus, sérieusement, est-ce qu’il y a une seule personne dans le monde que ça n’emmerde pas profondément, ce genre de truc ?

Je veux dire, de deux choses l’une : soit j’allais effectivement fermer l’onglet, et sincèrement, un truc comme ça qui me saute à la tête comme un Pokémon dans les hautes herbes, ça ne risque pas de me faire changer d’avis ! Soit j’allais juste cliquer sur un autre onglet où j’avais juste bougé ma souris vers le haut, comme ça, sans raison, eh bien me faire agresser par votre fenêtre moisie, ça risque au contraire de me donner envie de fermer la page et de ne plus jamais y foutre les pieds. Je serais curieux de connaître le nombre de personnes qui laissent effectivement leur adresse mail en voyant ce genre de fenêtre leur sauter à la tronche. Une vraie adresse mail, hein, pas zizi chez yopmail.com, non ! Combien ne sont pas tout simplement saoulés par ces incessantes demandes d’inscription à la newsletter ? Bon, le mail de l’agence de comm’ ne le précisait pas, donc je n’en sais rien, mais je devine assez bien.

Allez, je me calme et j’aborde un dernier overlay qui a une certaine tendance à agacer : le foutu bandeau de consentement aux cookies. Tu sais, celui où t’as le choix entre « accepter » et « accepter quand même ». Ou alors tu peux appuyer sur la croix, ce qui veut aussi dire accepter. Tu vas me dire « oui, mais là les sites n’y sont pour rien, c’est la réglementation, le RGPD [Règlement général sur la protection des données], tout ça, tout ça, la folie administrative, on nous met des bâtons dans les roues, de toute façon on n’aime pas les entrepreneurs dans ce pays, et puis remets-moi un canon, Roger ! »

Non ! Le fameux bandeau RGPD n’est pas obligatoire. En fait, il n’est obligatoire que si le site vous piste, avec des petits cookies et des petits traceurs. Mais ça, les sites web ne sont pas obligés de le faire ! Par exemple, prenons un site web au hasard, tiens !, celui de l’April, c’est le hasard. Sur le site de l’April, aucun bandeau d’acceptation des cookies ! Pareil pour le site de l’émission Libre à vous ! d’ailleurs. Pareil si je vais sur les sites de Framasoft, de La Quadrature du Net ou de Wikipédia ! Donc si les fameux sites qui nous collent des overlays de trois pieds de long pour nous demander si on consent à se faire espionner voulaient vraiment arrêter d’emmerder les gens, ce serait simple : arrêtez de nous pister ! Mais bon ! C’est comme pour les pop-ups de pub, on ne va pas se faire trop d’illusions. On n’a pas fini de devoir développer des bloqueurs pour toutes les saletés que les entreprises du web essaient de nous refourguer. Et franchement, on assume.

Voilà. J’espère que cette première chronique vous a plu et moi je vous retrouve très bientôt pour une nouvelle humeur. Salut.

Étienne Gonnu : Salut Gee. Après cette superbe chronique, nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après cette pause musicale, nous parlerons avec Laurent Costy et ses invités qui sont responsables de systèmes d’information d’une association et qui sont également libristes.

Avant cela nous allons écouter Dawn par Somatoast. On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Dawn par Somatoast.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : De retour sur Cause Commune, la voix des possibles. Vous venez d’écouter Dawn par Somatoast, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Passons maintenant à notre sujet suivant.

[Virgule musicale]

Être la personne responsable des systèmes d’information et libriste, bénévole ou salariée, dans une association

Étienne Gonnu : Salut Laurent. Nos auditrices et auditeurs fidèles te connaissent, car tu interviens régulièrement dans l’émission déjà en tant que chroniqueur. Tu nous proposes, une fois par mois, avec ta fille Lorette, une pastille humoristique et pédagogique intitulée « À cœur vaillant la voie est libre ». C’est une chronique qui essaye de vulgariser les enjeux techniques autour de l’Internet et de l’informatique et qui s’inscrit dans ton activité bénévole à l’April.

En plus de ces chroniques, tu as eu plusieurs fois l’occasion d’animer des sujets longs, comme tu vas le faire aujourd’hui, comme tu vas d’ailleurs continuer à faire sur une base plus régulière, mensuelle, puisque les Ceméa et l’April ont signé une convention de coopération pour cela. Aujourd’hui c’est ta première animation de la saison 6 de Libre à vous !. Cette intervention rentre donc dans le cadre de la convention signée entre l’April et les Ceméa et c’est en tant que militant salarié des Ceméa que tu interviens aujourd’hui.

Laurent Costy : Tout à fait Étienne. Merci pour cette entrée en matière. Je ne sais pas si on peut préciser un peu le contenu de cette convention. L’idée c’est de faire coopérer et de présenter un peu les logiciels libres selon deux approches : l’April, effectivement historiquement depuis 1996, sur les logiciels libres et sur les aspects politiques/techniques et puis les Ceméa plus sur la question de l’éducation nouvelle, donc sur comment s’approprier ces outils-là qui sont cohérents avec le projet des Ceméa. Cette convention trouve un sens certain et on va essayer de la mettre en œuvre au fil des mois à venir.

Étienne Gonnu : Super. Du coup c’est dans ce cadre aujourd’hui que tu vas nous parler du fait d’être responsable SI dans une association et libriste en même temps, avec tes invités. Je te laisse la parole.

Laurent Costy : Merci Étienne.
L’objectif de l’émission c’est effectivement de donner un peu à voir la diversité des manières de gérer les systèmes d’information dans les associations ; ça va évidemment aussi refléter en grande partie la très grande diversité des associations ; prendre conscience peut-être de l’importance de considérer cette fonction dans les associations parce que, évidemment, ça reste parfois un impensé ; essayer de voir les clés qui peuvent aider les associations à migrer vers des solutions libres et éthiques, parce que, évidemment, ce n’est pas toujours simple, on se consacre à l’objet de l’association, mais, quand il s’agit de revoir les outils c’est plus compliqué parce qu’il faut bousculer les habitudes ; et puis on va aussi essayer de passer un bon moment, il n’y a pas de raison !

Étienne Gonnu : Je voulais juste préciser aux personnes qui nous écoutent qu’elles peuvent nous rejoindre sur le salon web de la radio, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. J’essaierai de relayer au mieux les questions qui pourront être posées avec la spécificité d’aujourd’hui, le fait qu’on a deux interventions à distance et que ça peut effectivement être difficile, dans le rythme de l’émission, mais je ferai au mieux pour relayer vos éventuelles questions.

Laurent Costy : Merci Étienne. Normalement nous avons à l’autre bout du fil Zatalyz.

Zatalyz : Bonjour.

Laurent Costy : Bonjour Zatalyz. Très bien. Nous avons en studio François Audirac.

François Audirac : Bonjour.

Laurent Costy : Et nous avons aussi, encore à l’autre bout d’un autre fil, Mathieu Bossaert.

Mathieu Bossaert : Bonjour à tous.

Laurent Costy : Très bien. Tout le monde est là, on va pouvoir commencer. On va très simplement faire un petit tour de table et de fil, du coup. Je vais demander, respectivement à chacun et à chacune, son parcours, qui vous êtes et pourquoi vous êtes là aujourd’hui. On va peut-être commencer ì par Zatalyz.

Zatalyz : Mon parcours est un petit peu spécial par rapport à d’autres : je n’ai pas du tout de formation en informatique à la base, je me suis formée sur le tas dans les associations dont je faisais partie et c’est comme ça, à force de discuter avec les gens qui étaient compétents, qui m’ont transmis un peu les trucs, que j’ai appris à faire. À un moment, dans une des associations, les techniciens sont tous partis et je me suis retrouvée à devoir gérer des serveurs toute seule, donc j’ai mis les mains dans le cambouis et j’y ai pris goût.

Laurent Costy : Merci. François ?

François Audirac : J’ai une formation scientifique, j’ai une formation initiale plutôt en mathématique avec un petit peu d’application à l’informatique au début, quand on en était à l’initiation à la programmation en université. Ensuite j’ai été professeur des écoles, en école primaire où, là aussi, j’ai intégré le numérique à mes pratiques pédagogiques. Internet passant par là j’ai découvert, à travers les logiciels éducatifs, quelques sites comme Framasoft et comme la fabuleuse équipe d’AbulÉdu, que je remercie au passage, qui m’a aussi un peu initié à tout ça. Finalement, il y a cinq ans, je suis parti sur une reconversion professionnelle pour être maintenant, on va dire, administrateur système et réseaux des Ceméa, mais je développerai ça tout à l’heure.

Laurent Costy : Merci François. Mathieu, est-ce que tu es toujours là ?

Mathieu Bossaert : Oui, toujours, bien sûr. J’ai suivi, à la base, une formation en biologie/écologie. À la suite de cette formation, à la fin des années 90, je devais faire mon service militaire et j’ai été, à la place, objecteur de conscience dans une station biologique en Camargue. C’est au fil des discussions avec la personne qui venait d’être recrutée sur les aspects de gestion de bases de données que j’ai éprouvé de l’intérêt pour cela et je suis parti en formation. J’ai fait un DESS [Diplôme d’études supérieures spécialisées] d’informatique à Montpellier, en 2003, à la suite duquel j’ai intégré l’association dans laquelle je travaille toujours. À l’époque c’était une petite association, petite !, on était quand même 11 salariés, rien à voir avec ce que l’on est devenu maintenant. Au fil du temps, en plus de la gestion de données, j’étais un petit peu étiqueté comme celui qui aimait bien les ordis, donc j’ai récupéré cette charge de gestion du réseau et du parc. La structure grossissant, nous avons été amenés à compléter l’équipe sur ces aspects-là, je suis maintenant coresponsable, suite à la fusion avec l’équipe de Midi-Pyrénées, du système d’information.

Laurent Costy : Merci beaucoup. Bonjour à un objecteur de conscience, je l’ai été aussi, il n’y en a plus beaucoup à notre époque. Peut-être préciser aussi, pour donner un ordre d’idée par rapport aux associations : il faut savoir que quand on parle de petite association, dans le paysage français, 85 % des 1,3 million d’associations en France sont sans salarié. Il faut qu’on puisse situer ce qu’est une petite association, une moyenne association, une très petite, une très grande. C’est vrai que quand on a des salariés dans une association, celle-ci fait partie des 15 % qui emploient des salariés. C’était une petite précision pour que les gens puissent situer un peu ce qu’il en est.

Je vous propose peut-être maintenant de passer en revue les associations dans lesquelles vous êtes impliqués pour décrire, pour expliquer ce qu’elles sont et on verra après ce que vous y faites. Dans un premier temps, n’hésitez pas à expliquer un peu l’histoire et aussi comment le Libre est arrivé dans votre association. On garde le même sens de tour de table et de fil si ça vous va. Zatalyz.

Zatalyz : D’accord. Le truc c’est que finalement je suis responsable informatique dans plusieurs associations. J’ai commencé avec Khaganat, une association qui, en gros, encourage à libérer les imaginaires. On crée un univers sous licence libre et on s’en sert comme excuse pour travailler sur plein de projets, entre autres les jeux vidéos. Tout ça nous demandait des outils numériques. Dès le début on est parti sur du logiciel libre et c’est là que j’ai vraiment appris à gérer l’ensemble du projet informatique.

Au bout d’un moment, chez Khaganat, on s’est dit qu’on passait beaucoup plus de temps à faire des services qu’à faire le projet lui-même. Il y a eu une discussion au niveau de l’équipe pour dire qu’il faudrait quand même qu’on découpe un peu le fait de gérer des pads d’un côté, le fait de faire un univers libre de l’autre. C’est à ce moment qu’on a créé l’association Numénaute qui est assez récente, elle a moins de deux ans. L’objectif de Numénaute c’est vraiment uniquement de fournir des services web à des associations ou à des particuliers. Comme on était plusieurs à s’amuser à ça, on a vraiment commencé à ouvrir donc on héberge Khaganat, on héberge aussi une autre association qui s’appelle Millions Missing France dont je suis aussi membre. Elle, par contre, ne vient pas du tout du milieu libriste, c’est une association qui milite pour la reconnaissance d’une maladie en France qui s’appelle l’EM. Là, je fais encore un autre travail pour justement répondre à des besoins qui sont vraiment différents.

Donc trois associations dans lesquelles je gère la partie informatique, on va dire, et qui ont vraiment des buts assez différents. Sachant que, derrière, je fais aussi partie de l’association Framasoft, mais là je délègue toute la partie technique à des gens qui sont vraiment beaucoup plus compétents que moi pour gérer le nombre de personnes qu’on a chaque jour sur nos services. Voilà en gros. S’il y a des questions.

Laurent Costy : Tu es impliquée dans plusieurs associations. Peut-être expliciter ce que veut dire EM pour les auditeurs et les auditrices.

Zatalyz : EM, en plus long, c’est l’encéphalomyélite myalgique. C’est une maladie qui est assez invalidante, qui peut mener à être cloîtré au lit toute la journée et qui, depuis le problème du covid, commence à exploser en France, donc ça va toucher de plus en plus de personnes. On a vraiment des enjeux, au niveau numérique, pour absorber les gens qui viennent sur nos sites.

Laurent Costy : Merci. C’est important de le préciser parce qu’on n’est pas non plus là que pour de l’informatique, on peut apprendre de nouvelles choses. J’ai découvert cette maladie, je ne la connaissais pas, en préparant cette émission. Merci pour cet éclairage. J’ai une deuxième question par rapport à Numénaute. Est-ce que ça fait partie des CHATONS ou est-ce que vous avez l’intention d’en faire partie ?

Zatalyz : Ça ne fait pas encore partie des CHATONS parce que nous sommes des perfectionnistes et nous voulons vraiment faire les choses bien. Pour l’instant on en est encore beaucoup à la phase de mettre en place les choses, donc nous ne nous sentons pas encore suffisamment bons pour être un chaton, mais c’est l’objectif et on est aussi vraiment dans cet esprit-là.

Laurent Costy : D’accord. Merci. Pour ceux qui ne connaîtraient pas CHATONS, Collectif des Hébergeurs, Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires, un collectif initié par Framasoft. On en a déjà parlé dans l’émission, on pourra mettre la référence dans la page de l’émission.
François, parle-nous des Ceméa.

François Audirac : Les Ceméa, au contraire, c’est une vielle association, elle est née en 1937, je ne vais pas refaire tout l’historique. Au départ, c’est une association qui est formée par des enseignants qui travaillent sur le temps périscolaire, notamment des vacances. Depuis 1937 c’est devenu un organisme de formation qui est principalement connu pour organiser des stages BAFA, le brevet d’animateur, et BAFD, le brevet de directeur, pour les accueils de mineurs, centres de loisirs, colonies de vacances. C’est un organisme important, ce sont 300 salariés sur le territoire métropolitain et Outremer, qui a aussi vocation à œuvrer : ce n’est pas juste un organisme de formation, c’est aussi un mouvement militant avec des propositions et des revendications. Les Ceméa interviennent dans le champ de l’international, dans le domaine de la culture avec la participation à de nombreux festivals. On a des actions sur le milieu des médias, du travail social et de la santé mentale. C‘est vraiment un panel assez large du champ de l’éducation, c’est donc un mouvement qui porte haut les valeurs d’émancipation du citoyen.

Laurent Costy : Et si on devait expliquer un peu l’éducation nouvelle qui est quand même très caractéristique des Ceméa, comment l’expliquerais-tu aux auditeurs et aux auditrices ?

François Audirac : Le mouvement d’éducation nouvelle c’est rendre le participant, le citoyen, acteur de sa transformation. C’est aussi un principe disant que tout le monde est capable de transformation et qu’on peut, par des dispositifs d’action, d’autonomie, faire en sorte que cette personne s’émancipe par elle-même.

Laurent Costy : C’est un peu concomitant de l’éducation populaire, ce sont des choses qui se recoupent. Les Céméa sont effectivement vraiment identifiés comme un mouvement d’éducation nouvelle. Merci.

On pourra préciser que l’année dernière à la même époque, je crois que c’était le 28 septembre, Morgane Péroche et Jean-Luc Cazaillon des Ceméa étaient intervenus justement pour expliciter longuement comment était arrivé le Libre au sein des Ceméa. Vous pouvez réécouter cette émission-là si vous le souhaitez, on mettra la référence sur la page de l’émission, je crois que je l’ai déjà poussée.
On va passer à Mathieu.

Mathieu Bossaert : Très bien. Je suis salarié du Conservatoire d’espaces naturels d’Occitanie, une association de protection de la nature qui a un agrément avec l’État et la région. L’objectif général de l’association c’est de préserver et valoriser le patrimoine naturel, au service de la biodiversité bien sûr, et on fait ça le plus possible avec les usagers, les acteurs du territoire. Donc on va mettre en place collectivement des projets de gestion, de connaissance et puis des projets concrets de transition écologique sur le territoire.

Notre métier principal c’est donc de gérer les espaces naturels et nous proposons aux bénévoles de l’association et au grand public de nombreux chantiers et animations en lien avec nos activités.

Il y a un CEN par région, ou presque, qui sont fédérés au sein d’une fédération qui est basée à Orléans. Comme je le disais, on a la particularité d’être une grosse association. Suite à la fusion des régions, le CEN Occitanie c’est maintenant plus de 100 salariés répartis sur 14 sites dans la région avec, comme beaucoup d’associations, un conseil d’administration mais aussi un conseil scientifique. Tout cela nous conduit à gérer presque 30 000 hectares sur la région Occitanie et, dans ces 30 000 hectares, on a à peu près 1000 hectares en propriété.

On a un fonctionnement informatique assez commun, je pense, entre les différents CEN de France. Chez nous, ce qui a été très structurant et ce qui a amené le logiciel libre dans nos structures, c’est le volet connaissance qui a structuré beaucoup nos systèmes d’information dans la mesure où on assoit nos missions sur la connaissance scientifique et donc, très tôt, on a été amenés à gérer des problématiques de gestion de données et de partage de connaissance au sein des équipes mais aussi à l’extérieur. Donc très tôt, oui, quand même assez tôt !, on a fait rentrer dans nos structures des systèmes de gestion de bases de données libres, PostgreSQL et PostGIS principalement, et on y a connecté de plus en plus d’outils sur cet aspect strictement connaissance. Après, par extension et aussi grâce à des sites comme Framasoft, on a pu étendre un socle logiciel basé en grande partie sur du Libre.

Je vous l’ai dit, quand je suis arrivé dans la structure nous étions 11 pour l’ex-région Languedoc-Roussillon, donc ça restait en termes d’équipe, en termes de taille d’équipe, une petite équipe sur un seul site. Je faisais ça un petit peu, comment dire, en plus de mes réelles compétences en gestion de données. L’équipe a grossi, nous sommes maintenant, au niveau du CEN, trois personnes sur la partie connaissance et, depuis deux ans, on a quelqu’un qui s’occupe exclusivement de la partie informatique « systèmes et réseaux ».

Laurent Costy : C’est effectivement impressionnant, 100 salariés sur 15 sites. J’imagine que, du coup, ça questionne énormément sur le travail en réseau, sur la façon dont structurer le système d’information pour réussir à travailler à distance. Ça aussi ça a dû vous occuper un moment.

Mathieu Bossaert : Ça a été un gros challenge. On a fusionné les deux régions en septembre 2020, on était 60 à la fusion, il y a deux ans, et je crois que nous sommes 105 actuellement. En effet, il a fallu réfléchir à comment interconnecter tous ces sites, comment faire pour travailler le plus possible ensemble. C’est passé par le recrutement d’une personne dont c’est le métier et la formation et qui a l’expérience.

Laurent Costy : Il y avait préalablement des outils qui convergeaient ou il a fallu faire des choix en disant « ce sera plutôt cet outil-là de cette région-là et cet outil-là de cette région-là » ?

Mathieu Bossaert : Non, globalement les outils convergeaient plutôt bien. Sur la partie connaissance on utilisait les mêmes outils, donc il a été possible de fusionner des bases de données et de rapatrier les bases de données de l’une dans l’autre structure, ça n’a pas été trop compliqué. Ensuite, sur les outils de bureautique, on est sur du classique, donc il n’y a pas eu de grandes difficultés. Sur les outils métiers on était sur un socle à peu près commun. Disons que la difficulté est plus liée, en effet, au travail en réseau qu’à l’utilisation des logiciels proprement dit.

Laurent Costy : Merci pour ces précisions. Je propose d’essayer de répondre après à la question qui concerne vos missions et les actions au quotidien que vous menez. Finalement, quel est votre travail quotidien pour que les auditeurs et les auditrices puissent bien comprendre ce que vous faites ? Que fait quelqu’un qui s’occupe du système d’information dans une association ? Zatalyz.

Zatalyz : Oui. J’ai oublié une petite précision. On parlait justement de la taille des associations et c’est vrai que les deux autres personnes ont des grosses associations. De mon côté, il faut quand même que je précise que les trois associations dans lesquelles je m’occupe de la partie informatique sont de toutes petites associations et qu’on n’a pas du tout de salariés pour ce genre de chose. On a une façon de faire qui est très organique, qui est très « c’est celui qui est motivé au moment où, qui fait les choses », en gros, donc ça a aussi un impact sur la façon dont les missions se font, dont l’action se fait.

Laurent Costy : Très bien résumé !

Zatalyz : Typiquement, quand vous m’avez contactée pour faire l’émission, ça m’a fait bizarre d’avoir ce titre, « responsable du système d’information », parce que tout ça n’est absolument pas formalisé dans nos structures. Oui, effectivement, c’est ce que je fais au quotidien, mais ce n’est pas quelque chose qui est formalisé.

Comment ça se présente ? En gros, le travail que j’ai à faire va être de coordonner des gens qui vont agir sur la partie informatique, chacun apportant ses connaissances, étant plus ou moins à l’aise dans un domaine ou dans l’autre ; canaliser aussi un petit peu les bonnes volontés parce que, quand on a des libristes motivés, il y a une petite tendance à vouloir installer tous les logiciels du marché sur le serveur ; et puis aussi motiver au quotidien à faire la maintenance, parce qu’une fois qu’on a installé un logiciel, qu’on a joué un petit peu avec, c’est bien, mais il faut aussi le mettre à jour, mettre à jour les serveurs et ce sont des tâches qui sont moins rigolotes, qui sont un peu laissées de côté, ça fait partie des choses auxquelles j’essaie de vraiment prêter de l’attention. Ça, c’est vraiment la partie gestion sur les parties techniques.

À côté de ça, il y a aussi pour moi l’importance de faire le lien avec les utilisateurs, avec des gens qui n’ont pas forcément des facilités au niveau de la technique et voir justement quels sont les outils qui vont, non pas leur rajouter du travail, mais simplifier leur travail. On a eu, entre autres, une grosse discussion chez MMF là-dessus, parce qu’on avait des gens qui n’étaient pas du tout à l’aise avec l’informatique et qui avaient besoin de travailler ensemble en étant à distance. Pour nous le pad a été un service qui a été vraiment énormément utilisé, qui reste très important, qui est même plus utilisé que d’autres outils des GAFAM qu’ils utilisaient aussi à côté.

Laurent Costy : Merci pour ces éclairages. Je converge avec ce que tu dis, la qualification « responsable SI » est nécessaire quand on a besoin de remplir un organigramme. Je comprends que ce terme-là ne soit pas utilisé dans une petite association, je comprends ton étonnement, c’est tout à fait logique. Je pense que ta remarque sur bien prendre conscience de la différence entre la maintenance et puis installer, expérimenter des nouveaux services, est extrêmement importante. Souvent on confond les deux et on pense que la personne qui va initier un service, installer, expérimenter, va avoir envie de le maintenir, de le mettre à jour ; c’est rarement le cas finalement. Cette précaution-là doit être pensée pour que, justement, le service puisse être pérenne. Je pense qu’il y a des réflexions à avoir autour de ça.

Zatalyz : Il y a aussi un autre aspect, il ne faut pas que je l’oublie sinon je vais me faire gronder derrière, c’est que justement, comme on est dans des structures où il n’y a pas d’organigramme précis, les rôles changent pas mal au fil du temps. Par exemple, ces temps-ci, j’ai beaucoup moins de temps pour m’occuper de l’informatique dans nos associations. Un autre bénévole a bien pris le relais et mériterait plus, peut-être actuellement, ce titre de responsable que moi. Suivant les moments ça va être l’un, ça va être l’autre, ça va être d’autres personnes qui viennent et qui repartent. Ça fait aussi partie des choses qui ne sont pas forcément simples à envisager quand on a l’habitude du travail en entreprise, c’est vraiment une façon de fonctionner qui est très différente.

Laurent Costy : Merci beaucoup. On l’a vu tout à l’heure aux Ceméa, des gens qui viennent de l’entreprise et qui arrivent dans une association, même aux Ceméa, les méthodes de travail ne sont pas du tout les mêmes, les approches ne sont pas les mêmes. Merci pour ces précisions. François.

François Audirac : Mes missions ont évolué. Je suis arrivé il y a cinq ans aux Ceméa un petit peu comme étant le responsable informatique. J’ai hérité, on va dire, d’une informatique, l’expression « à la papa » est peut être un peu trop rapide ! On avait un informaticien qui arrivait en fin de carrière, qui gérait un petit serveur dans un coin, à l’heure où les outils numériques étaient en pleine expansion, les Ceméa venaient de faire développer un outil dont on parlera dans d’autres circonstances, qui s’appelle Zourit, qui faisait en sorte que toutes les associations des Ceméa – petite parenthèse, il y a 26 associations des Ceméa réparties sur le territoire, il n’y a pas une seule entité, il y en a 26 – partent sur un système à peu près homogène. Il fallait donc accompagner tout ça. Je suis arrivé sur Paris où j’ai fait un peu l’état de l’installation actuelle. On a remis à peu près sur pied quelque chose d’un peu plus solide et pérenne dans le temps. Après on était en pleine expansion du changement avec des sites internet qu’il fallait remettre d’aplomb, il y a en a une cinquantaine. Je suis vraiment arrivé à une période où on passait le cap d’une informatique un peu tranquille à, finalement, une expansion des services et une demande qui arrivait de plus en plus forte. Ça s’est fait sur cinq années.

Aujourd’hui j’ai plus une dimension de directeur-adjoint, c’est mon titre aujourd’hui, une dimension globale des systèmes d’information. À travers tous les axes dont je parlais tout à l’heure, la culture, l’international, etc., je suis un petit peu la personne référente qu’on vient voir quand on a un besoin sur un service, une demande d’un outil numérique ou bien des interactions entre différents outils. Je suis la personne référente qui va pouvoir, éventuellement, rediriger soit vers la création d’un nouveau service ou bien l’adaptation d’un service existant ou bien, au contraire, une impossibilité parce que ce n’est pas possible. Aujourd’hui c’est un peu ma dimension, sachant que j’hérite aussi, par mon statut de directeur, de cette dimension réseau au niveau national où je vais aussi être à l’écoute des demandes des associations territoriales et faire en sorte que quand un outil peut être pertinent, par exemple dans une région, il puisse aussi être récupéré et déployé sur l’ensemble des régions.

Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. Le titre de directeur-adjoint DSI, je pense que c’est pareil, ça peut être une perspective pour Zatalyz, directrice-adjointe DSI dans ses associations, ce n’est pas mal !
Mathieu, est-ce que tu peux nous éclairer sur ce qui se passe aux CEN ?

Mathieu Bossaert : Pour moi aussi, forcément, les missions quotidiennes ont un peu évolué et elles évoluent encore. Historiquement principalement de la gestion de données, on va dire pour 80 % de mon temps, intégrer des données et proposer à mes collègues des outils à la fois de collecte d’informations sur le terrain mais aussi de restitution, principalement sous forme de cartes [et de tableaux de synthèse, Note de l’intervenant]. En parallèle de tout ça, de cette gestion de bases de données stricte, il y avait la gestion quotidienne du parc informatique qu’on avait, donc les mises à jour des antivirus sur les postes, un peu de débogage. Tout ça a forcément évolué avec l’augmentation de la taille de la structure.
Ces dernières années ça a été beaucoup plus de gestion, d’anticipation, un petit peu, des besoins informatiques, d’achat de matériel, de discussions avec la direction en fait : qu’est-ce qu’on achète comme matériel ? Vers qui se tourne-t-on ? Que met-on met en place comme solutions ? Qu’est-ce qu’on vise comme architecture ? Qu’est-ce qu’on prévoit ? Est-ce qu’on pourrait prévoir de recruter quelqu’un [sur l’informatique pure, Note de l’intervenant] ? Les dernières années ça a été discuter un petit peu de tout ça. Il y a eu la mise en place, pour moi, de services, juste au début de la période covid, pour pouvoir répondre à des besoins de travail à distance pour les collègues, ça a été assez compliqué, mais, en même temps, très formateur et intéressant. Et puis aujourd’hui, du fait de l’arrivée d’une personne qui est vraiment compétente sur la partie informatique, c’est plus à un niveau de discussion et de réflexion avec la direction et mes collègues, soit à Toulouse soit le collègue informaticien, sur quelles solutions met-on en œuvre, quelles solutions propose-t-on aux collègues ? C’est cet aspect-là qui va plus me concerner.

[Soulagé par mon collègue informaticien, Note de l’intervenant], je reviens, avec plaisir, sur la gestion de la donnée et la proposition de collecte et la mise en place de solutions de collecte et de restitution de données pour les collègues.

Laurent Costy : D’accord. J’ai peut-être une question un peu bonus par rapport à tous les travaux que vous menez chacun de votre côté : finalement tous ces travaux qui sont entrepris au sein d’une association, est-ce qu’ils servent à l’extérieur ? Est-ce que vous arrivez à promouvoir des outils qui, du coup, seraient libres et qui pourraient être utilisés par d’autres associations à l’extérieur ? Évidemment je connais un peu les Ceméa et la solution Zourit. Par exemple au CEN est-ce que ça se produit ? J’imagine que pour Zatalyz c’est un peu plus compliqué étant donné la taille de l’association, mais, pour le CEN, il y a peut-être eu des transferts de compétences à d’autres associations.

Mathieu Bossaert : Il y en a eu, de manière un peu amateur, ce n’est pas péjoratif, sans forcément de cadre informatique et d’informaticien qui se soit occupé de ça à l’époque. En 2009, par exemple, on a eu un gros besoin de travailler en commun, donc on a créé une application web de collecte d’informations avec une interface cartographique sur le Web qui existe toujours, qui est super vieille mais qui fonctionne toujours bien, qui est un peu connue. On l’avait diffusée de manière libre, que chacun a pu modifier. On a fait ça à l’époque de manière vraiment très peu structurée, très peu cadrée et on a partagé.

Ensuite, beaucoup plus récemment, on met en œuvre une solution de collecte d’informations sur le terrain qui s’appelle Open Data Kit, qui est une solution de formulaires sur téléphone Android et sur le Web. Cette solution est intéressante parce que, d’une part, elle est libre, mais les formulaires sont décrits dans tableurs au format xlsx, donc on va pouvoir réellement partager les outils de collecte de données qu’on met en place. C’est complètement d’actualité : au congrès qu’on va avoir entre les CEN, au mois d’octobre, on va présenter le site qu’on met en place pour diffuser nos formulaires de collecte de données sur téléphone. Toute structure intéressée, toute personne, pourra télécharger le formulaire, l’installer sur son téléphone et éventuellement l’adapter à un autre besoin, à un besoin propre. Globalement on a toujours considéré que dès lors qu’on met quelque chose en place, nos méthodes comme des outils informatiques, on essaye de partager, en tout cas, si quelqu’un est intéressé, de lui faciliter la tâche pour le réutiliser.

Laurent Costy : Open Data Kit, c’est ce que j’ai compris. C’est bien ça ?

Mathieu Bossaert : C’est ça.

Laurent Costy : D’accord merci. Peut-être deux mots sur l’histoire de Zourit. Il y a eu ce basculement-là, on l’a déjà expliqué dans l’émission de septembre 2021, mais très rapidement peut-être, François.

François Audirac : Très rapidement. Zourit est une solution pour répondre à un besoin de messagerie, de gestion de contacts, de cloud, de visio, de pad, de choses comme ça, tout ça mélangé dans un pack, tout ça aussi basé, évidemment, sur des logiciels libres, à l’initiative des Ceméa qui ont payé du développement. Aujourd’hui on utilise cette solution en interne et on a aussi mis, moyennant un petit forfait pour la consommation des data, le même outil à disposition des associations qui défendent des valeurs similaires à celles des Ceméa et du Libre.

Laurent Costy : Merci François. Je vais repasser la main sur le micro à Étienne.

Étienne Gonnu : Merci Laurent. Juste préciser, si vous voulez creuser un petit peu cette question de ce qu’est Zourit et de ce que font les Ceméa, allez sur libreavous.org/#116 pour réécouter cette émission ou en relire la transcription.

Nous allons faire une courte pause musicale. Nous allons écouter Night par Kosmorider. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Night par Kosmorider.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Night par Kosmorider, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, une découverte musicale de nos amis d’auboutdufil.com.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je vais rendre la parole à Laurent Costy et à ses invités qui nous font part de leur retour d’expérience du fait d’être libriste et responsable SI au sein d’une association, responsable des systèmes d’information. Laurent.

Laurent Costy : On retrouve nos trois invités, François, Mathieu et Zatalyz. Je vais avoir une triple question pour cette période d’émission. Soyez vigilants parce que je vais les enchaîner, je vous laisserai répondre dans l’ordre que vous voulez, en fait ça concerne un peu la politique de l’informatique au sein de l’association. Je vais vous lire les questions et après on pourra décomposer si c’est trop compliqué, trop rapide :

  • Comment est pris en compte l’enjeu politique lié au choix des outils dans l’association ? On a donné quelques éléments de réponse, mais je pense qu’on peut préciser encore.
  • S’il y a eu une prise en compte, comment cela s’est-il produit dans l’histoire de l’association ?
  • Une fois appréhendé politiquement est-ce que le fleuve reste tranquille par rapport à ces positionnements, le cas échéant ?

Zatalyz : J’ai deux cas vraiment différents, d’un côté Khaganat et ensuite Numénaute. On les a fondées en ayant vraiment le Libre en tête, donc ça ne s’est jamais trop posé comme question, c’était plus de trouver les bons outils libres que de se poser la question si c’était libre ou pas. On a eu des interrogations plus tard dans l’évolution de l’association quand il a fallu passer par quelques outils non libres type Facebook, Twitter et tout ça, se demandant est-ce que c’est vraiment pertinent, est-ce qu’on veut vraiment passer par ce genre de choses ? C’est ce qui nous interroge le plus au quotidien et on a tendance à avoir des usages vraiment extrêmement modérés de ce genre d’outils, même si on reconnaît que, par moments, c’est nécessaire aussi pour toucher un public plus large.

À côté, Millions Missing, ça a été un petit peu l’inverse puisque c’était un groupe qui s’est fondé sur Facebook. Parmi les responsables, quelqu’un était déjà sensibilisé au Libre, qui est venu me voir en me demandant comment peut-on faire pour éviter que les gens ne soient que sur Facebook, que avec les outils des GAFAM ? C’est là que j’ai commencé à proposer des outils pour qu’ils ne soient pas dépendants uniquement de ces grosses plateformes, qu’ils aient leur propre autonomie. Là on est vraiment sur une autre discussion, être vraiment à l’écoute de leurs besoins, voir où sont leurs habitudes et qu’est-ce qu’on peut changer, qu’est-ce qui va être problématique. Typiquement, les faire sortir complètement de Facebook pour l’instant ce serait absurde parce que c’est aussi comme ça qu’ils trouvent les personnes qui font l’objet de l’association, c’est-à-dire les malades, les proches des malades et tous ces gens-là qui peuvent aider.

C’est vraiment un équilibre qu’il y a à trouver à chaque fois. Sachant que, finalement, il y a aussi tout une partie où justement on essaie de ne pas contraindre les gens, que ce soit dans Khaganat, Numénaute ou MMF, dire aux gens « commencez par utiliser les outils que vous connaissez mais, à partir du moment où on travaille ensemble, il faut trouver un outil que tout le monde maîtrise, au moins un format qui nous permette de transmettre les documents d’un truc à l’autre ». Je me rends compte que le Libre a cet avantage de pouvoir s’adapter aux gens. À partir du moment où on a changé les images de fond, où on a fait un petit peu de bidouille sur le CSS, ce genre de choses, finalement les outils libres ont tendance à être facilement adoptés et à plaire aux gens. C’est plutôt une bonne nouvelle, même si ça demande vachement plus de boulot derrière.

Laurent Costy : C’est extrêmement intéressant. Ce sont deux approches qui sont finalement à l’opposé, quelque part. Prendre conscience que même si on est une association libriste au départ, à un moment donné on a des discussions en interne pour faire des choix, savoir si on doit quand même utiliser un peu les outils on va dire mainstream, mais quelles limites se donne-t-on. Je trouve que ces deux approches sont extrêmement intéressantes et éloquentes pour appréhender comment ça peut se passer au sein d’associations. François.

François Audirac : Sur l’enjeu politique, aux Ceméa en tout cas, il y a eu une évolution entre le départ, il y a une dizaine d’années, où on voit que le Libre fait écho avec les valeurs qui sont défendues au sein de l’association mais sans voir nécessairement les implications : oui, on est pour la protection des données, oui, on défend les logiciels un peu ouverts, etc. Aujourd’hui on a une vraie évolution, avec une vraie prise de conscience, y compris des militants, des salariés des Ceméa, qui se disent que c’est une vraie plus-value, d’abord parce que c’est aujourd’hui quelque chose qui est vraiment partagé, notamment grâce à Zourit, mais aussi à des tas d’autres outils qu’on a pu développer et qui ont servi de démonstration des avantages du Libre sur la personnalisation. L’aspect économique n’est pas vraiment mis en avant puisqu’aux Ceméa on achète ou on loue des services libres, on paye des prestataires pour qu’ils nous installent des services libres, on fait développer des fonctionnalités qui sont ensuite remises dans le pot commun du numérique. Aujourd’hui on a vraiment un mouvement de base et ensuite, par-delà même les personnes qui sont chargées d’animer ce réseau-là de militants, de la prise en compte du Libre. Disons qu’aujourd’hui c’est un élément incontournable des systèmes d’information. Je trouve qu’il y a eu une évolution depuis « on est d’accord avec ce que ça défend » et aujourd’hui où c’est vraiment quelque chose qu’on veut mettre en avant et qu’on défend.

Après, sur la troisième partie de la question, est-ce que ça reste un long fleuve tranquille ? Eh non ! Jamais, bien sûr, et c’est aussi ça qui est passionnant. Les personnes changent, de nouveaux militants arrivent, de nouveaux salariés, de nouveaux directeurs et il faut continuer d’expliquer pourquoi sur nos postes on n’installe pas Google Chrome, pourquoi on est plus pour tel service, quels sont les services qu’on a installés, qu’on a développés en interne et pourquoi ces services-là existent. Il faut réexpliquer tout ça, il faut continuer à défendre l’idée qu’il y a derrière et mettre en relation ces services éthiques libres avec les valeurs qu’on défend au sein de l’association. Donc non, ça n‘est pas un long fleuve tranquille, loin de là !

Laurent Costy : Je connaissais la réponse !

Je vais peut-être sortir un tout petit peu de mon rôle d’animateur juste pour préciser deux choses parce que je pense qu’elles éclairent encore la question de la relation au système d’information dans les associations, c’est la question du bouche-à-oreille.

Pour Zourit, on a constaté que les associations qui venaient solliciter le service étaient déjà sensibilisées à la question des données, aux enjeux du Libre. C’est aussi quelque chose qui a évolué. Il y a dix ans il fallait expliquer aux associations ce que c’était, etc. Là on est passé dans une phase où on n’a même pas besoin de faire la promotion de l’outil pour que les associations viennent, elles viennent par le bouche-à-oreille et ça répond à ce besoin-là de protection des données. C’est une première chose.

Ce qui s’est produit aussi au sein des Ceméa, ça a été expliqué en septembre 2021, c’est qu’un tiers est venu expliquer au sein de l’association ce que déjà des gens disaient au sein de l’association. C’est quand ce tiers-là est venu pour dire les choses que ça a été enfin entendu. En gros, c’est Framasoft qui était intervenue lors d’une manifestation organisée par les Ceméa et c’est là que des gens ont ouvert les yeux.

Je pense que ce triptyque est extrêmement intéressant pour parfois débloquer des situations dans les associations.

François Audirac : Pour compléter en étant très court, on constate aussi, à l’intérieur des associations, qu’on a des personnes qui ont été convaincues au Libre par le biais politique. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas ou peu des techniciennes et ça ne les intéresse pas, mais elles sont vraiment convaincues du bien-fondé des valeurs que ça transporte, par l’aspect politique et pas par l’aspect technique.

Laurent Costy : Très bien. Merci François. Je reprends mon rôle d’animateur et je demande à Mathieu son point de vue sur ces trois questions.

Mathieu Bossaert : Je pense que chez nous, historiquement, ce n’est pas l’enjeu politique qui a fait qu’on a commencé à utiliser des solutions libres, clairement. J’ai appris l’informatique en 2003 sur des machines qui étaient sur GNU/Linux à la fac de Montpellier, je n’avais pas d’ordinateur avant, pour moi l’informatique s’est faite sur GNU/Linux depuis toujours et c’est au boulot que j’ai découvert des postes sous Windows. Au-delà de ma conviction personnelle, ma perception et mon expérience, je pense que ce qui s’est produit chez nous c’est qu’on avait cet enjeu de gestion de la donnée et que des solutions libres, qui étaient disponibles, pouvaient nous rendre ces services qu’on n’aurait pas pu égaler avec des solutions propriétaires à l’époque : travailler en commun, mettre en place une base de données relationnelles en mode serveur dans l’équipe, ce n’était absolument pas atteignable avec une solution propriétaire, et quand bien même on aurait pu l’atteindre, je ne suis pas sûr que sur l’aspect cartographie, gestion de la donnée géographique, on aurait pu faire ce qu’on a réussi à faire avec des logiciels libres.

Je pense que dans la structure, la direction et les collègues sont clairement conscients du service qui est rendu par les logiciels libres, c’est sûr. Ils voient bien qu’il y a plein de choses qu’on ne ferait pas si on utilisait d’autres outils. C’est comme ça que ça s’est un peu produit chez nous. Par extension ensuite, quand on a un besoin, on regarde si une solution en Libre existe. Si elle existe, eh bien on essaye de l’adopter, si elle n’existe pas on fait autrement. On essaye quand même de promouvoir ces outils-là le plus possible.

Sur les outils les plus courants l’argument va aussi être simplement financier, en tout cas pour l’utilisateur final et peut-être pour la structure, ça va être l’argument. On va préférer former les collègues à un outil libre qu’acheter le CD ou le DVD de la solution propriétaire équivalente, sans former l’équipe, donc avoir des gens qui seront des utilisateurs inexpérimentés d’un logiciel propriétaire. C’est ce qui s’est passé chez nous, [par exemple avec QGIS ou Scribus, Note de l’intervenant].

Un long fleuve tranquille, non. C’est sûr que ce n’est pas évident de maintenir ça. De nouveaux collègues arrivent chacun avec ses habitudes. Ça, à la limite, je dirais que c’est indépendant du logiciel libre ou propriétaire. Il faut lui expliquer au collègue qui arrive avec ses habitudes dans une structure, avec un système d’information bien établi, pourquoi on a mis en place cette procédure. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas, parfois, remettre en cause les procédures, mais il faut quand même réexpliquer qu’on veut travailler en commun, donc qu’on utilise des services qui nous permettent d’échanger l’information ; que, certes, ça serait peut-être plus pratique pour lui d’utiliser une solution, même libre, qu’il connaît et qu’il va maîtriser, mais qui va le faire travailler de manière un petit peu isolée du reste de l’équipe. Donc il y a ce travail quotidien à faire et qui n’est pas évident.

L’autre point peut-être sur le long fleuve tranquille, je crois que c’est François qui évoquait l’intervention d’un tiers. C’est quelque chose qui est assez important. J’ai un souvenir. Dans mon milieu il y a beaucoup de photographes naturalistes et pendant très longtemps les photographes tous, toujours, ne voulaient entendre parler que de Photoshop pour la gestion de leurs photos. Dans le milieu naturaliste on a un photographe spécialiste des habitats naturels, adhérent chez nous, qui m’a dit un jour : « Je ne travaille mes photos qu’avec The Gimp ». Je lui ai dit : « Il faudrait que tu en fasses la promotion auprès de mes collègues qui n’arrêtent pas de parler de la solution propriétaire, que tu fasses la promotion de cet outil-là vu, en gros, qu’ils te vénèrent en tant que photographe, c’est à toi de faire cela ». Ce sont des choses qu’il faut un peu entretenir, trouver des moyens d’encourager et aussi faire comprendre aux collègues que ce n’est pas que par conviction qu’on veut utiliser les outils, que c’est aussi parce qu’ils marchent bien, qu’ils nous rendent des services, mais ce n’est pas toujours évident à faire passer comme message quand c’est l’informaticien qui porte le message.

Laurent Costy : Merci pour cet exemple. Je trouve que c’est vraiment éloquent ce tiers qui intervient et qui vient redire ce qu’on dit déjà, mais qui est entendu, enfin !

Zatalyz : J’aurais un petit point à ajouter. Sur le fait de penser au Libre dans les associations, je trouve que ça oblige aussi à se poser des questions. Même si on est libriste de base, il y a toujours des moments où on va se poser un peu plus de questions. Je me souviens, entre autres, d’une grande discussion qu’on a eue à un moment sur Khaganat, sur l’impact qu’avait le choix d’une licence plutôt qu’une autre, qui nous a fait cogiter pendant plusieurs mois. Mais aussi, au-delà, dans des associations moins libristes où, finalement, le fait de commencer à se poser cette question de ce qu’est le droit d’auteur et ce genre de choses fait qu’on n’aborde plus les choses de la même façon. Typiquement, sur Millions Missing, une attention est portée au droit à l’image, à l’utilisation des textes, qui n’est pas si courante que ça dans ce genre d’association d’habitude. Ça amène à se poser des questions qui, finalement, vont au-delà du logiciel pur.

Laurent Costy : Merci pour ces précisions. C’est important de le rappeler. On peut rappeler que la prise en compte de l’enjeu politique va être déterminante aussi en fonction des personnes qui sont au sein de l’association. C’est pour ça qu’on a invité des responsables de systèmes d’information libristes parce que, évidemment, ça change aussi l’évolution de l’association sur ces questions-là. Quelqu’un qui est aux manettes et qui va avoir un poids sur le choix des outils, ça va enclencher un futur différent pour l’association.

Étienne Gonnu : Laurent, je vais relayer une question sur le salon web, préciser aussi que Gimp est un outil puissant d’édition et de retouche d’images auquel on avait consacré une émission, l’émission 140, sur Libre à vous !. Sur le salon web, on demande combien les Ceméa regroupent de personnes, constatant que cette prise en compte du Libre est une force. Combien de personnes aux Ceméa ?

Laurent Costy : François l’a précisé tout à l’heure.

François Audirac : J’étais en train de lire le chat.

Étienne Gonnu : Combien de personnes sont concernées par le système d’information ? Je pense que c’est la question.

François Audirac : Finalement tous les salariés avec les messageries, les clouds, etc., ce sont 300 salariés et 3000 militants qui sont parfois aussi avec des espaces Zourit de leurs associations à part. Ça fait au moins 300 salariés et puis un bon paquet d’autres qui utilisent aussi ces outils.

Laurent Costy : J’enchaîne sur la question de la formation. Pour que 300 salariés et 3000 militants puissent utiliser les outils, comment fait-on ? La question aux Ceméa. Après on passera à Zatalyz à un échelon plus bas et, tout à l’heure, au CEN. François, sur la question de la formation.

François Audirac : C’est vrai que la formation est nécessaire. Quand on présente de nouveaux outils, il y a évidemment nécessité d’accompagner. Je crois surtout que la formation a une vertu c’est qu’elle permet l’information. Ça permet, quand on a des personnes sur un jour, deux jours, trois jours, pendant lesquels on va être amené à les accompagner, à les former sur ces différents outils, ça va avoir l’intérêt d’avoir un temps long d’échanges et d’expliquer aux personnes pourquoi on a choisi ces outils-là, qu’est-ce que ces outils défendent de plus. Ce n’est pas juste le biais de la formation. Il y a des personnes qu’on forme et finalement, quel que soit l’outil, elles le prennent, elles partent de la formation avec ça et le reste est passé à la trappe. En tout cas, pour l’avoir constaté plusieurs fois, on a eu des personnes pendant des formations chez lesquelles il y a vraiment eu ce déclic de comprendre tous les enjeux qui sont liés autour du Libre et autour des logiciels qu’on défend. Ces personnes disent : « Ça y est, j’ai compris ce que c’est, j’ai compris ce que vous défendez », pas simplement par la partie technique et l’appropriation d’outil. Ça leur permet, par exemple après, de mieux tolérer pourquoi un outil est peut-être moins pratique ou pourquoi il n’y a pas cette fonctionnalité dans l’outil et ce n’est pas grave, ça fait partie du deal, parce que, derrière, ça transporte et ça amène d’autres valeurs qu’elles vont partager. Je crois vraiment que la formation est nécessaire, mais c’est l’information qui complète ça, qui permet de convaincre les personnes et d’expliquer le bien-fondé de tout ça.

Laurent Costy : Merci François. Du coup, dans des associations plus petites, sans salarié, comment se passe l’accompagnement, la formation, Zatalyz ?

Zatalyz : Il y a aussi de la formation et de l’accompagnement. Ça ne prend pas forcément la formule classique de se retrouver tous en présentiel, pendant une journée, pour comprendre comment fonctionnent certains outils. C’est beaucoup plus dans la discussion. On discute avec les gens et on voit : « Pourquoi n’utilises-tu pas tel outil ? Est-ce que c’est parce qu’il est mal foutu ? », ça arrive, du coup on peut intervenir. Est-ce que c’est parce que les personnes n’ont pas compris comment l’utiliser ? Là on prend du temps pour expliquer et on renvoie beaucoup sur les tutoriels. De notre côté on fait énormément de tutoriels sur comment utiliser les différents outils, ça permet aux gens de les prendre un peu en main. Sachant que ça demande quand même une certaine autonomie des gens, aller voir des tutoriels, lire parfois des pavés de texte pour essayer de comprendre les choses. On a aussi fait des visios sur certains outils pour essayer de les prendre en main. Je pense, entre autres, à notre logiciel de gestion des mails en collaboratif. On avait fait une visio d’une heure à peu près, pour répondre aux différentes questions des gens qui l’utilisaient, comment est-ce qu’on répond, comment est-ce qu’on va utiliser tel et tel truc.

Ça se fait un petit peu suivant les besoins, suivant les demandes. L’objectif étant, effectivement, que les adhérents puissent utiliser les outils de la façon la plus fluide possible. Si un outil n’est pas pratique c’est soit qu’il faut qu’on le modifie soit qu’il faut qu’on trouve un autre outil.

Laurent Costy : C’est vrai qu’on ne pense pas toujours à questionner l’outil ; ça peut effectivement être aussi une réponse aux difficultés rencontrées.
Mathieu, pour le Conservatoire des Espaces Naturels d’Occitanie, comment considérez-vous la formation ?

Mathieu Bossaert : Un peu de la même manière. Sur les outils qu’on va mettre en place, tout à l’heure je parlais de formulaire de collecte de données sur le terrain, on va créer des tutos ou des vidéos qui montrent un petit peu, qui appuient la logique du formulaire qu’on pourrait décrire dans un document. Pour les logiciels, de manière plus classique, on va avoir deux niveaux de formation, un niveau qu’on va assurer en interne : mes collègues ou moi-même allons regrouper les collègues qui ont certaines questions communes et on va, un peu sous forme de travaux pratiques, répondre à ces questions sur l’outil. Par contre, parfois ça va passer — c’est ce qu’on va faire à la rentrée — par une semaine de formation avec un prestataire extérieur sur un outil particulier. On va essayer de regrouper les collègues selon différents niveaux de compétence, trouver les formations adaptées pour répondre à ce besoin-là, faire en sorte que l’équipe soit correctement formée à l’outil et qu’il puisse y avoir de l’entraide entre les collègues. Ça va être un second niveau en passant par le plan de formation de la structure en fait.

Laurent Costy : J’ai entendu une formation de deux semaines, c’est bien ça ?

Mathieu Bossaert : Non, pas du tout. C’est une formation d’une semaine, classique. On va créer des groupes de niveau et chacun des groupes va aller avec un formateur, suivre une formation spécifique qui répondra à son niveau précis.

Laurent Costy : D’accord. Une question qui interroge peut-être tout le monde, la question du turn-over dans l’association : est-ce que ça pèse, justement, sur la formation, l’accompagnement ? Ou finalement c’est un impensé ? C’est conscientisé ?

Mathieu Bossaert : Non ce n’est pas impensé, même sans parler de turn-over, simplement l’arrivée de nouvelles personnes, on est passé de 60 à 100 collègues en deux ans, ça veut dire des personnes à qui il faut mettre le pied à l’étrier, à qui il faut expliquer un petit peu l’historique du système d’information, à qui il faut parfois expliquer les outils. Parmi les gens qui vont partir en formation sur l’outil de cartographie QGIS, beaucoup de nouveaux sont là, qui n’ont pas forcément appris le logiciel à la fac ou à l’école, même si on a quand même la chance d’avoir maintenant des formations qui utilisent des logiciels libres pour des applications métiers, notamment de cartographie. Sans parler de turn-over, simplement intégrer les nouveaux collègues nécessite, en effet, de mettre en place des ressources internes qui vont être consultables, ça nécessite de l’animation. Dire à quelqu’un « tout est expliqué sur le forum » , on se rend compte que ça ne suffit pas. Peut-être qu’il faut qu’on s’organise en conséquence pour, pourquoi pas, avoir quelqu’un dont une partie de la tâche serait de faire cette formation interne et d’être un petit peu pro-actif sur ces aspects-là, avec l’accueil des nouveaux.

Étienne Gonnu : Le turn-over c’est littéralement le roulement dans les équipes, si des personnes ne connaissent pas le terme.

Laurent Costy : Merci. François a acquiescé quand tu as dit que ça ne suffit pas de renvoyer les gens vers le forum ou vers les tutoriels.

Mathieu Bossaert : Au départ on y croit et on espère, mais on se rend compte que ce n’est pas le cas, les collègues se disent qu’il y a trop d’infos. Comme on alimente beaucoup le forum on sait que c’est là, mais c’est vrai que les collègues ont leurs missions, ont leur travail quotidien et ce n’est pas évident, pour eux, d’absorber tout cela. On est en pleine réflexion là-dessus, il y a un travail d’animation de tout cela à mener.

François Audirac : Souvent la documentation est faite pour celui qui l’écrit, pas pour ceux qui ne le lisent pas !

Laurent Costy : C’est vrai qu’écrire la documentation aide beaucoup celui qui l’écrit. C’est parfois une étape importante pour les gens qui veulent s’auto-former, mais c’est vrai que ce n’est pas toujours lisible ou compréhensible et ce n’est pas forcément le point précis qui était cherché par la personne qui lit derrière. Il y a toutes ces questions-là, évidemment.

Merci beaucoup pour ces éclairages. Nous approchons de la fin de notre sujet long. J’ai peut-être une dernière question plus particulièrement à Zatalyz. La présence de femmes en tant que responsables de systèmes d’information au sein d’associations reste encore très minoritaire. Tu aurais peut-être des clés à nous donner. Est-ce qu’il faut se battre, d’abord ? Si on veut être responsable du système d’information, qu’est-ce qu’il faut faire ? Est-ce qu’il y a des précautions ? Est-ce qu’il y a des clés à avoir en main ?

Zatalyz : C’est toujours une question un peu complexe. Je pense vraiment que le fait d’être une femme dans ce genre de poste n’est pas plus compliqué que d’être handicapé, ou être neuroatypique, ou être queer, ou être issu des milieux populaires. Tout ça me caractérise aussi pour ce qui est visible. Est-ce que c’est facile ? Oui et non, ça dépend beaucoup de là où on tombe. J’ai la chance, dans les associations en question, d’être dans des milieux qui sont extrêmement bienveillants, qui sont aussi formés autour des questions de la discrimination. Finalement je suis vue comme une personne, avant tout, et toutes ces étiquettes-là ne sont pas forcément pertinentes. Tant que je fais le taff, tant que je sais bidouiller et que j’avance, ça suffit et c’est le cas pour tous les membres de l’association. Il y a évidemment d’autres groupes dans lesquels ce n’est pas aussi simple. J’ai été dans des associations ou dans des projets où le fait de ne pas être dans la norme était difficile. Là, c’est soit m’approprier les mêmes codes, c’est-à-dire être aussi brutale que les autres en face et poser mes couilles sur la table même si je n’en ai pas ! Mais je trouve que ce n’est pas forcément confortable et, dans ce genre de structure, on passe finalement beaucoup de temps à se battre juste pour des enjeux de pouvoir, alors que dans des milieux plus alters on se bat pour faire le boulot et c’est quand même beaucoup plus satisfaisant à tous points de vue.

Laurent Costy : Si je résume, en fait il suffit de bien choisir l’association dans laquelle on veut s’impliquer en tant que responsable du système d’information !

Zatalyz : Oui. Ça ne veut pas dire que c’est impossible de s’intégrer dans d’autres groupes, ça demande des efforts qui sont différents. Pour moi ce n’est pas simplement d’être une femme, c’est vraiment tout ce qui nous fait en tant qu’individu. Dans notre association, typiquement, on a des hommes qui ont beau être des hommes, ils sont timides, ils ne sont pas à l’aise dans plein de situations. Ce n’est pas plus simple pour eux non plus dans ce genre de cadre.

Laurent Costy : Merci. Je trouve que cet éclairage est extrêmement intéressant dans le cadre de l’émission.

Il nous reste quatre/cinq minutes pour un dernier tour de table, pour dire tout ce que vous auriez oublié. Tout à l’heure, pendant la pause musicale, François disait qu’il a oublié de dire plein de trucs, donc c’est maintenant, François. Chacun à son tour, comme vous voulez, qui veut prendre la parole ?

François Audirac : J’ai oublié de dire qu’aujourd’hui, lors du dernier congrès d’août, les Ceméa ont écrit noir sur blanc qu’ils défendent le logiciel libre, la protection des données. Maintenant c’est vraiment ancré et plus personne ne peut s’y opposer, même les personnes les plus réticentes. Tout n’est pas rose non plus, je trace à grands traits, mais tout n’est pas rose, en tout cas c’est quelque chose qui fait aussi partie de l’identité des Ceméa, à tel point, et c’est le deuxième point, qu’on a une personne qui est chargée, à temps plein, de défendre ces valeurs-là, avec une mission éducation et communs du numérique en la personne de Laurent Costy ici présent. C’est vraiment, aujourd’hui, quelque chose qui fait partie de l’identité et qui est défendu par beaucoup de personnes. Voilà ce que je voulais rajouter.

Laurent Costy : Merci François. Zatalyz.

Zatalyz : Je crois que je n’ai pas grand-chose à ajouter. En tout cas merci de m’avoir invitée, c’était chouette. Ce n’est pas toujours facile de prendre la parole en public. On parlait juste avant de cette question, qu’est-ce qu’être femme, faire partie des minorités, etc. Il y a quand même ce côté-là : on a beaucoup l’habitude d’être en retrait et c’est très difficile de faire cette démarche, d’être un peu sur le devant de la scène, donc ce n’est pas simple ! Mais c’est aussi possible parce que, justement, il y a des milieux bienveillants qui nous aident à faire entendre notre voix et à nous dire qu’on est légitimes à intervenir. Merci !

Laurent Costy : En tout cas, vu d’ici, tu t’es absolument bien débrouillée, si ça peut te rassurer, tes interventions étaient remarquables et complétaient très bien les autres interventions. Mathieu.

Mathieu Bossaert : J’aimerais, éventuellement, en profiter pour remercier les quatre collègues avec qui je fais tout ça, Laurent et Hugo à Toulouse, Éric et Nathalie à Montpellier, pour la partie travail en équipe. Après peut-être évoquer le challenge un peu pour nous. Je considère qu’on est utilisateurs de logiciels libres, mais principalement consommateurs, en fait, de logiciels libres. Une des difficultés que je ressens c’est de participer à cette communauté, en tout cas de faire en sorte de l’aider, de financer un petit peu et ce n’est pas simple. C’est un peu le challenge pour moi. J’aimerais qu’on arrive, je parlais notamment d’un outil tout à l’heure, Open Data Kit, j’aimerais qu’on arrive à financer un petit peu, mais ce n’est pas évident dans le cadre des projets. Quand on cherche des fonds ce n’est pas évident de justifier de pouvoir contribuer comme ça. C’est facile d’acheter une boîte avec un logiciel dedans, mais contribuer à du Libre ce n’est pas si simple. C’est quelque chose que j’aimerais réussir à faire dans les mois qui viennent.

Laurent Costy : C’est un point important qu’on n’a pas forcément évoqué, mais cette question de la mutualisation inter-associative se pose et je pense que c’est de plus en plus mûr. Il faut se tourner vers les têtes de réseau qui doivent se parler pour collecter les besoins identiques et faire développer, après, en commun. Ce sont des vraies questions. Des outils sont développés. Framasoft a contribué, contribue [par exemple avec Contribulle, Note de l’intervenant]. Il y a plein d’outils, mais il y a encore des choses à asseoir, de mon point de vue sur cette mutualisation entre associations, têtes de réseaux d’associations. Il y a encore du travail.

Étienne Gonnu : Je vais profiter de ce silence pour reprendre la parole, parce que, malheureusement, le temps de ce sujet arrive à sa fin. Un grand merci à Laurent, à Mathieu, à François et à Zatalyz. D’un point de vue extérieur j’ai trouvé ça très intéressant à écouter. À bientôt pour d’autres sujets similaires. Un grand merci pour ce temps d’échange. Je vous propose maintenant de faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Après la pause musicale nous entendrons la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture ».
Pour cette dernière pause, on va rester dans la musique libre, mais on va changer de style sans trop se prendre la tête non plus. Nous allons écouter La Comagnola. Ah, Ca Ira par Leon Lishner and Friends. On se retrouve dans environ deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : La Comagnola. Ah, Ca Ira par Leon Lishner and Friends.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter La Comagnola. Ah, Ca Ira par Leon Lishner and Friends, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, Cc By SA.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu pour l’April. Nous diffusons en direct. J’ai le plaisir d’avoir avec moi des personnes joviales et un peu dissipées, certes, mais ce n’est pas grave ! Nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcriptions et administratrice de l’April, intitulée « De la couleur de nos cerveaux »

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre avec la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » proposée par Marie-Odile Morandi et lue par Laure-Élise Déniel. Un épisode préenregistré intitulé « De la couleur de nos cerveaux ». On se retrouve dans environ dix minutes sur Cause Commune.

[Virgule sonore]

Marie-Odile Morandi, voix de Laure-Élise Déniel : Bonjour à toutes et bonjour à tous.

Un thème récurrent et dont l’importance s’est accrue ces derniers mois concerne la place des jeunes filles et des femmes dans les études scientifiques, en particulier en informatique, ainsi que dans les métiers correspondants.

De nombreuses conférences et tables rondes sur ce sujet ont été transcrites par notre groupe Transcriptions. La liste est à votre disposition sur la page des références de l’émission d’aujourd’hui, sur le site libreavous.org.

Pour cette chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de septembre 2022, il nous a semblé important de mettre le focus sur ce problème afin de partager les réflexions et remarques des intervenants et intervenantes, en particulier celles d’Isabelle Collet, et les solutions que l’on peut mettre en œuvre. Isabelle Collet est une informaticienne de formation, enseignante-chercheuse, professeure en sciences de l’éducation à l’université de Genève. Elle s’adresse aux questions de genre et aux discriminations des femmes dans l’informatique et dans les sciences.

Le constat est amer. Actuellement en Occident – Europe et États-Unis – et parce qu’on inclut tous les métiers de support – administration, documentation et communication –, on compte 25 à 30 % de femmes dans le numérique. Si on se restreint à la dimension vraiment technique, on est plutôt aux alentours de 15 %, et plus la partie considérée est en pointe moins il y a de femmes, par exemple 12 % dans l’intelligence artificielle. Bref ! Pas beaucoup de femmes dans le numérique, même dans la filière du Libre alors que la communauté se dit ouverte, avec des valeurs et une volonté politique !

Et pourtant ! Au 19e siècle, le premier programme informatique sur un ordinateur mécanique a été réalisé par une femme, Ada Lovelace ; le premier compilateur, ce qui permet de traduire le code écrit en langage de programmation en langage compréhensible par la machine, a été conçu par Grace Hopper ; et sous la direction de Margaret Hamilton ce sont des femmes qui ont écrit le programme Apollo en 1969.

Que se passe-t-il durant les années 70/80 ?

La programmation acquiert ses lettres de noblesse. On commence à se dire que programmer demande de la logique, que cela est proche des mathématiques avec à la clef des métiers conduisant à des responsabilités. L’informatique change de statut. Elle offre des emplois prestigieux, de bons salaires, de belles carrières. Des filières s’ouvrent dans les universités de sciences dites dures, là où les hommes sont déjà, les sciences dites molles étant destinées aux femmes – c’est la division socio-sexuée des savoirs. La valeur sociale de ces métiers augmente, ils se masculinisent.

Simultanément les micro-ordinateurs arrivent dans les foyers. Les garçons en sont équipés en premier comme chaque fois qu’un nouvel objet technologique fait son apparition. Pour l’ensemble de la société se crée l’image de celui qu‘on appelle aujourd’hui le geek, le stéréotype de l’informaticien.

Le micro-ordinateur arrive aussi en entreprise. Dans l’imaginaire des adultes qui entourent ces adolescents, parents et enseignants, se crée une représentation de fausse continuité entre le micro-ordinateur installé dans les familles, souvent pour jouer, et le micro-ordinateur installé dans l’entreprise, pour travailler. La voie de ces jeunes hommes est tracée, ils font des études d’informatique, obtiennent des diplômes et sont embauchés. La proportion de femmes dans ces études et ces emplois chute considérablement. Une espèce de spirale négative se crée, c’est-à-dire que moins on y trouve de femmes plus on imagine qu’il est normal qu’elles ne soient pas là ! Et pourtant, on parle bien de la même programmation !

Les filles ont des doutes, un sentiment d’illégitimité s’installe avec perte de confiance en soi et en son efficacité. Leur comportement pourrait s’apparenter à de l’autocensure alors que c’est une censure sociale qu’elles subissent, c’est le poids des normes et des stéréotypes qu’elles supportent depuis l’enfance, continuellement. Ce n’est pas une fatalité biologique ! Il n’y a pas des sciences pour les filles et des sciences pour les garçons ! Hommes et femmes ont évidemment des capacités cognitives identiques, mais dès l’enfance on socialise garçons et filles à des destins différents.

Pour Isabelle Collet, ces stéréotypes permettent de prolonger un ordre social. Il est temps de mettre en discussion cette construction bien ancrée et cela veut dire lever la censure sociale, changer le système ; et ce n’est pas simple !

Il est banal de dire que le numérique prend une place de plus en plus importante dans la vie d’aujourd’hui, dans celle de demain. Mais peut-on tranquillement s’accommoder du fait que ce numérique est imaginé, conçu, paramétré, maintenu par une population à peu près homogène, composée à 85 % d’hommes blancs ? Peut-on se satisfaire d’une situation dans laquelle il n’y a que 15 % de femmes qui participent à inventer le monde de demain ? Se diriger vers une société numérique inclusive demande plus de mixité dans les systèmes qui la préparent.

Des solutions sont proposées, certaines ayant déjà été mises en œuvre avec succès, c’est-à-dire une augmentation du nombre de jeunes femmes inscrites dans ces filières :

  • mettre les élèves très tôt au contact de l’informatique dans des salles neutres, sans posters qui représentent souvent des modèles masculins ;
  • changer le discours qui est tenu aux filles dans les écoles et promouvoir une image plus inclusive de l’informatique : elles sont à leur place dans ce type d’études au même titre que les garçons ;
  • proposer des exercices et projets autres que des problèmes de mathématiques pour casser le biais informatique = mathématiques, et insister sur le fait que si on n’aime pas les jeux, en particulier les jeux vidéos, on peut tout à fait réussir des études d’informatique et devenir informaticienne ;
  • lors de la rédaction des bulletins, enseignants et enseignantes doivent bannir les formules « élève studieuse et laborieuse » pour les filles et « garçon brillant mais ne travaille pas assez » pour les garçons ;
  • ne pas hésiter à mettre des quotas à l’entrée de ce genre d’études dans le supérieur. Les filles rencontrent tellement d’obstacles sur le parcours précédant leur choix d’orientation, du fait du poids des normes et des stéréotypes, qu’il s’agit d’un juste retour, d’un rattrapage. On obtient alors, avec plus de filles qui ont été sélectionnées en amont, une meilleure promotion ;
  • composer des groupes de travail vraiment mixtes, 50/50, ou uniquement féminins, afin de ne pas abandonner une fille seule au sein d’un groupe de garçons ;
  • organiser des groupes d’échange composés uniquement de femmes ;
  • organiser du mentorat pour accompagner spécifiquement les femmes ;
  • inviter des femmes rôles modèles en les choisissant proches du public auquel elles devront s’adresser ;
  • établir des codes de conduite de façon à rendre les ambiances de travail inclusives, faisant de la mixité une force ;
  • et la liste n’est pas exhaustive !

Les idées ne manquent pas, mais sans réelle politique au sein des établissements scolaires, sans politique institutionnelle volontaire, les progrès resteront insuffisants.

Le constat amène à une certaine mobilisation de la part des pouvoirs publics et non des moindres. En France, la nomination de Alexis Kauffmann, en septembre 2021, à la Direction du numérique pour l’éducation au sein du ministère de l’Éducation nationale, avec une double casquette, chef de projet logiciels et ressources éducatives libres mais surtout mixité dans les filières du numérique.

Les choix d’orientation qui se font au lycée se répercutent évidemment dans l’enseignement supérieur et ensuite sur le marché du travail, mais il est difficile, pour les lycéennes, de faire des choix libres et autonomes. Le ministère de l’Éducation a créé un label Égalité filles-garçons. Différents critères sont listés : l’établissement, dans sa politique globale, est-il inclusif avec pratique de l’égalité ? A-t-il réussi à faire remonter certains pourcentages dans les filières trop déséquilibrées ? Lutte-t-il contre les stéréotypes de genre avec accès pour toutes et tous à une orientation moins genrée ?

La famille a aussi son rôle à jouer, en particulier dans l’éducation de ses filles. Isabelle Collet nous dévoile son enfance avec sa sœur et son père, père à qui le fait d’avoir des filles n’a jamais posé le moindre le souci, qui leur a donné le goût des sciences et a appris à programmer à Isabelle. D’ailleurs Marion Monnet, chercheuse post-doctorante à l’Institut national d’études démographiques - la transcription de l’une de ses conférences est à votre disposition -, nous explique que dans les familles où il n’y a que des filles, les pères passent du temps à partager les contenus scientifiques avec elles, alors que dans les familles où il y a des enfants des deux genres, ce temps est plutôt réservé aux garçons.

Le monde du Libre n’est pas exempt de situations délétères. Tous n’ont pas pris acte, là non plus, des discriminations faites aux femmes et des inégalités. Peut-être en avions-nous trop attendu ! L’April s’intéresse énormément à ce sujet de la mixité dans les filières du numérique, diverses émissions Libre à vous ! récentes ont été consacrées à ce sujet.

La société se numérise, tous les secteurs d’activité se numérisent et doivent le faire pour l’ensemble de nos communautés, car la vie est mixte. Garçons et filles, tous et toutes nous devons comprendre que la transition numérique en cours ne peut mener à une société inclusive, fonctionnelle et émancipatrice si elle est préparée uniquement par une partie de la population. Ce n’est pas tant que les filles ont besoin d’aller en informatique, c’est que l’informatique a besoin d’elles si elle veut être performante.

Nous vous encourageons à lire, ou relire, ces transcriptions en gardant à l’esprit que la biologie ne joue aucun rôle, n’a rien à voir dans cette affaire, qu’il n’y a pas de cerveaux roses et de cerveaux bleus, expression chère à Isabelle Collet.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter la chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » proposée par Marie-Odile Morandi et lue par Laure-Élise Déniel, un épisode préenregistré intitulé « De la couleur de nos cerveaux ». C’est une très belle chronique, je vais en profiter pour dire bravo et merci à Marie-Odile pour son excellent esprit de synthèse de différentes interventions qu’elle a pu transcrire. Bravo et merci également à Laure-Élise Déniel qui lui donne énormément de profondeur avec sa voix.

Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Vous aussi venez parler de libertés informatiques dans le micro avec Libre à vous !. Libre à vous ! est avant tout un projet collectif et une des manières de contribuer serait de nous proposer des sujets, voire d’y participer. N’hésitez pas à nous faire des propositions et nous serons ravis d’en discuter avec vous. Et si ça vous tente, pourquoi pas animer un sujet long ? Bien sûr, nous vous accompagnerions dans ce projet et nous nous occuperions de toute la partie technique. Plus d’infos sur le site de l’April. N’hésitez vraiment pas à nous contacter !

Que faites-vous vendredi 23 septembre, à l’heure de l’apéro ? Et si vous veniez à notre rencontre ? Vendredi 23, à partir de 19 heures, l’April propose un apéro dans ses locaux dans le 14e arrondissement de Paris. À cette occasion, il y aura une présentation de notre Chapril, des services en ligne libres, décentralisés et respectueux des données personnelles des utilisateurs et des utilisatrices.

Si vous êtes du côté de Marseille, entre le jeudi 22 et le dimanche 25 septembre, je vous invite à découvrir le tout premier festival Technopolice : quatre jours de films, de débats et rencontres entre collectifs qui luttent contre les technologies de surveillance en France, Belgique, en passant par Belgrade. Le festival est ouvert largement au public, entrée libre et gratuite.

Enfin, si vous êtes du côté de Lens, les 28 et 29 septembre se tiendront les journées « Numériques en commun » au stade Bollaert. Billets gratuits, il restait encore un peu plus de 150 places, du moins ce matin, je pense qu’il en reste encore quelques-unes cet après-midi.

Je vous invite, comme d’habitude, à consulter le site de l’Agenda du Libre, agendadulibre.org, pour trouver des événements en lien avec le logiciel libre ou la culture libre près de chez vous, ainsi que les associations du logiciel libre près de chez vous.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Gee, Laurent Costy, François Audirac, Mathieu Bossaert, Zatalyz, Marie-Odile Morandi ainsi que Laure-Élise Déniel.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Frédéric Couchet.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, tous bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci à Quentin Gibeaux, bénévole à l’April, qui découpera le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous trouverez sur notre site, libreavous.org, toutes les références utiles, ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm. N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu, mais aussi des points d’amélioration.
Vous pouvez également nous poser toute question et nous vous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques, questions ou propositions d’émission sont les bienvenues à l’adresse contact chez libreavous.org.
Si vous préférez nous parler, vous pouvez aussi nous laisser un message sur le répondeur de la radio pour réagir à l’un des sujets de l’émission, pour partager un témoignage, vos idées, vos suggestions, vos encouragements ou pour nous poser une question. Le numéro du répondeur est 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 27 septembre 2022 à 15 h 30 toujours. Nous vous proposerons un retour d’expérience de deux membres du Collectif CHATONS qui proposent des services libres et éthiques sur les sujets d’éducation. Les deux membres proposent le sujet de l’éducation, mais les chatons ont une portée beaucoup plus large que ce seul sujet.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct le 27 septembre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.