Ce que l’affaire Griveaux rappelle sur les enjeux de la vie privée - Décryptualité du 17 février 2020

Titre :
Décryptualité du 17 février 2020 - Ce que l’affaire Griveaux rappelle sur les enjeux de la vie privée
Intervenant·e·s :
Manu - Mag - Nico - Nolwenn - Luc
Lieu :
April - Studio d’enregistrement
Date :
17 février 2020
Durée :
12 min
Écouter ou enregistrer le podcast

Revue de presse pour la semaine 7 de l’année 2020

Licence de la transcription :
Verbatim
Illustration :
stop-vie-privee, Sécurité et Vie Privée – Notions de base - Licence CC BY SA

Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l’April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Le séisme médiatique de l’affaire Griveaux nous offre un exemple concret d’enjeu de vie privée. L’occasion de rappeler pourquoi la vie privée est essentielle.

Transcription

Voix off de Luc : Décryptualité.
Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.
Luc : Semaine 7. Salut Manu.
Manu : Salut Mag.
Mag : Salut Nolwenn.
Nolwenn : Salut Nico.
Nico : Salut Luc.
Luc : Nous sommes tous réunis pour une belle revue de presse. Qu’est-ce qu’on a au programme ?
Manu : Ça faisait longtemps. On a six jolis articles.
Mag : Les Numeriques, « Crypto AG : la CIA et la NSA vendaient du chiffrement “troué” au monde entier depuis 50 ans », par Corentin Bechade.
Manu : Une nouvelle intéressante, amusante : une entreprise suisse qui vendait des outils de chiffrement et qui, en fait, appartenait en sous-main, de manière tout à fait secrète, à la CIA et ça a tourné pendant des années et des années, ça s’est découvert il y a assez peu de temps. C’est intéressant parce que le chiffrement on en parle.
Luc : Même des décennies.
Manu : Des décennies, exactement, depuis quasiment la Seconde guerre mondiale ou en tout cas la guerre froide. Ça montre qu’il ne faut pas faire confiance à n’importe qui ; il faut utiliser des outils qu’on peut auditer soi-même.
Nolwenn : Les actualités qui vont venir vont être prometteuses !
Mag : Ecran Mobile, « Gaël Duval : « /e/ est une alternative éthique et souveraine aux géants américains et chinois du smartphone » ».
Manu : Ça discute de la fondation qui gère une nouvelle distribution pour les téléphones portables, basée sur tout ce qui est Android, mais ça devient une alternative. C’est intéressant parce que c’est tout en libre et Gaël Duval c’est un libriste convaincu depuis des années qu’on connaît bien.
Mag : En gros c’est du Android mais sans la couche des opérateurs et de Google.
ICTjournal, « GitHub archive son code open source dans l’Arctique », par Steven Wagner.
Manu : Le code open source de GitHub c’est compliqué, on a déjà eu des retours sur les mailing-lists April, ce n’est pas son code open source, c’est le code open source que GitHub héberge.
Luc : Donc pas tout le code n’est pas open source.
Manu : Non, et le code de la plateforme n’est pas libre lui-même, donc c’est un peu rageant, bien sûr, mais ça n’empêche que le stocker dans l’Arctique c’est intéressant, même si l’Arctique est en train de fondre en ce moment. On verra ce que ça donne sur le très long terme.
Mag : Futura, « Les satellites pourraient-ils être piratés et transformés en armes ? », par Louis Neveu.
Manu : Ça parle de tous ces satellites qui sont en train d’être envoyés en ce moment, les constellations, il y a plein de micro-cubes, micro-satellites et effectivement il y a eu des attaques qui ont été faites et certains de ces satellites ont été contrôlés à distance notamment avec du logiciel libre, donc c’est un petit peu rageant. Il faut se méfier de toutes ces infrastructures qui sont mises en place, qui coûtent très cher et qui peuvent être contrôlées et piratées.
Mag : Capital.fr, « VLC, l’histoire extraordinaire du logiciel français le plus téléchargé au monde. », par Eric Wattez.
Manu : On a régulièrement parlé de VLC parce que c’est effectivement le logiciel français libre le plus utilisé au monde, ça fait toujours plaisir, donc un logiciel de vidéo qui a été fait par des étudiants à l’origine.
Luc : Un lecteur de média, qui fait plein d’autres choses, de la capture, énormément de trucs quand même.
Mag : Et on salue toute l’équipe parce qu’ils sont formidables.

Next INpact, « On vous explique les nombreuses mesures de la loi "anti-gaspillage" », par Xavier Berne.
Manu : C’est institutionnel et ça parle de la loi qui est en train d’être mise en place. Effectivement il y a des impacts intéressants. On avait discuté logiciel libre dans ce cadre-là, notamment pour ce qui était de l’obsolescence programmée, donc un sujet qui nous est cher.
Mag : Je sais que c’est une loi que suit énormément Étienne Gonnu de l’April.
Manu : Le sujet de la semaine ?
Luc : Ce soir on va parler de choses grivoises.
Manu : C’est le sujet du week-end le sujet de la semaine, effectivement, et ça parle de vie privée.
Luc : Et c’est ça qui nous intéresse plus que l’affaire en elle-même.
Nolwenn : On peut faire un petit rappel sur l’affaire dont on parle ?
Luc : Rapidement.
Nico : En fait, il y a un site internet qui a été lancé sur lequel un artiste russe publiait des documents sur les politiques avec leurs histoires de cul pour montrer, en fait, la dualité.
Manu : Pour montrer soi-disant.
Nico : Soi-disant la dualité qu’ils avaient entre leurs discours politiques moralisateurs et la vérité de leur vie privée. C’est un de nos députés qui a été pris la main dans le pantalon avec des vidéos apparemment consenties, mais qui ont fuité de manière non consentie, et les auteurs se sont clairement affichés. Les noms ont été divulgués. Le site n’était pas du tout anonyme ou quoi que soit. Les personnes ont été arrêtées très rapidement, gardées à vue, déférées devant le parquet en moins de 48 heures. Il n’y a absolument pas d’anonymat, du tout, dans toute la boucle de la publication.
Nolwenn : Pourquoi est-ce que tu parles de l’anonymat ?
Nico : Des politiques ont réagi en demandant la levée de l’anonymat sur Internet.
Manu : C’est un vieux sujet qui traîne.
Luc : On l’a évoqué plusieurs fois dans le podcast, tous ces politiciens qui exploitent cette affaire pour parler d’anonymat sont clairement en train de faire un coup politique à côté pour essayer de pousser un programme et un projet qui n’est pas du tout lié à ça.
Manu : Il y a une autre façon de le voir, c’est que vraisemblablement cette affaire s’est découverte, on va dire, et le retentissement que ça a, ça a sidéré le monde politique. Ils se regardent tous en chien de faïence : qu’est-ce qui se passe ? Comment on réagit ? Si ça ne tenait que d’eux, normalement ce genre d’affaire ne serait pas sorti.
Luc : C’est passé sur Internet qui est une tribune publique du coup on en parle, mais, pour moi, on est dans un domaine politique relativement classique : essayer de faire chanter les gens ou leur mettre la pression sur des histoires de mœurs ou sur d’autres choses ; on peut avoir plein de trucs compromettants en politique et ça arrive. Je pense à Wauquiez par exemple.
Manu : Wauquiez qui s’était fait filmer.
Luc : Il faisait une conférence devant des élèves de HEC, je crois, ou un truc comme ça [École de management de Lyon] et il s’est lâché sur tout le monde en disant « ça, ça ne sert à rien, untel est un nul, etc. »
Nico : En commençant par dire « attention, je ne veux pas que ça soit enregistré parce que je vais me lâcher grave donc n’enregistrez pas et je ne veux pas que ça se sorte ! » Forcément, le lendemain c’était dans la presse !
Manu : Effectivement, là est-ce que c’était de la vie privée qui a été dévoilée sans son consentement ?
Luc : Oui, dès lors qu’il a dit en début d’exercice « n’enregistrez pas ». Après, je suppose qu’il y a des subtilités du droit qui m’échappent parce que ce n’est pas ma spécialité, mais je ne suis pas sûr. En tout cas, d’un point de vue purement de sa volonté, il a clairement dit « je ne veux pas être diffusé ».
Manu : Ça, ce sont les limites de la vie privée et, en même temps, il y a ce côté est-ce qu’il a été idiot, que ce soit Wauquiez ou ce candidat malheureux, est-ce qu’ils ont été idiots dans leur comportement ? Est-ce qu’on peut blâmer la victime, c’est-à-dire qu’ils ont eu des comportements que nous on n’aurait pas encouragé et quand on en entend parler on se dit tout de suite « c’est un con, il n’aurait pas dû faire ça ! »
Nico : Je pense qu’ils sont idiots sans l’être.
Mag : On a tous le droit d’être con ou d’être idiot à un moment dans notre vie !
Nico : Là, je pense qu’ils sont un peu des deux. D’un côté ils sont idiots parce qu’aujourd’hui, à l’heure des réseaux sociaux, c’est vrai que quand on est une personnalité publique il faut quand même faire gaffe à ce qu’on dit. Par exemple, le cas de Wauquiez, qui dit clairement « n’enregistrez pas ça et ne diffusez pas », il tend le bâton pour se faire battre.

Dans le cas de Griveaux c’est plus compliqué parce qu’effectivement on ne va pas blâmer la victime. Mais c’est vrai qu’il faut faire gaffe, quand on est une personnalité, à ne pas faire n’importe quoi, etc.
Nolwenn : Là où c’est plus compliqué c’est qu’à priori c’est une vidéo que lui-même a envoyée à une personne tierce, en qui il avait confiance. Là, quelque part, c’est plus un abus de confiance.
Nico : En plus on est dans du revenge porn. Dans le cas de Grivois c’est clairement…
Luc : Griveaux !
Nico : Dans le cas de Griveaux c’est clairement illégal et ce qui a été fait est condamnable parce que c’est du revenge porn qui est condamné aujourd’hui.
Mag : Dans ce cas-là, pourquoi il se retire ?
Nico : C’est compliqué, après, pour un politique, d’aller faire campagne avec une casserole sur son cul !
Luc : Il y a des gens qui ont notamment dit que, justement, mettre la honte sur la victime ça ne doit pas se faire, il n’aurait pas dû se retirer justement pour cette raison-là. Après, tu n’es pas dans sa tête. D’une part, il n’avait pas beaucoup de chance de gagner, peut-être que c’est une porte de sortie. C’est vrai, il était à la ramasse ! D’autre part, tu n’es pas dans sa tête, ça reste un humain. Je pense qu’il y a plein de gens qui ont été dans ce truc-là « bien fait pour lui parce qu’ils ne l’aimaient pas ». En fait, ça ne devrait pas jouer là-dedans, on peut ne pas l’aimer et le principe du droit c’est que ce sont les mêmes droits pour tout le monde.
Manu : Il y a quelques hommes politiques qui n’étaient pas de son bord et qui ont plutôt eu tendance à ne pas vouloir rentrer dans cette histoire-là. En tout cas je pense à Mélenchon qui a dit de ne pas colporter toutes ces choses.
Luc : Je pense que les affaires de cul, en politique, c’est hyper-fréquent, donc je pense tous se disent « si ça commence à sortir dans tous les coins, la vie va commencer à devenir difficile ! »
Nolwenn : Surtout pour eux !
Luc : Oui, oui.
Mag : Ça me rappelle quand les paparazzi ont commencé à avoir beaucoup d’importance, ils prenaient des photos de toutes les stars, y compris quand les stars ne le voulaient pas et les magazines achetaient ça des millions.
Luc : Pour les stars. Pour les politiciens, est-ce que ça va faire recette ou pas, on ne sait pas ?
Nolwenn : Les politiciens ce sont quand même des peoples dans la tête des gens. Ce sont des gens qui rentrent dans leur télé, qui rentrent dans leur salon tous les jours au fil des actualités, donc c’est du même domaine que les stars.
Manu : Beaucoup de politiques ont mis en scène leur propre vie privée. Ils se sont présentés avec leur couple, ils se sont présentés avec leurs enfants et ils ont présenté une façade qui est un peu compliquée à gérer ensuite.
Luc : Effectivement, c’est là qu’il y a cette limite entre ce qu’est la vie privée réelle d’une personne publique surtout quand elle en joue et qu’elle se met en scène, etc. Par rapport à cette question des réactions qu’il y a sur Internet d’une façon générale, déjà, effectivement, c’est l’exploitation sur la question de l’anonymat qui n’a rien à voir là. Il y a pas mal de gens qui ont dit « bien fait pour lui » et souvent, je pense, parce qu’ils ne l’aimaient pas et qui, du coup, sont contents de le voir galérer. J’ai vu aussi des réactions de gens qui disent « comme on ne peut plus rien contrôler de sa vie, il ne faut faire que des choses qu’on est prêt à assumer publiquement ».
Nolwenn : Ça va être dur de savoir ce qu’on a fait maintenant, qu’on est prêt à assumer, et qu’on sera encore capable d’assumer plus tard.
Manu : C’est la société de la transparence. En gros, on doit s’attendre à tous vivre dans des maisons de verre, tout peut être filmé, tout peut être enregistré à notre insu ou avec notre consentement et tout peut être diffusé à tout moment. Malheureusement, ce n’est pas nouveau, c’est Richelieu : « Donnez-moi dix vers de la main d’un honnête homme et j’en ferai un démon » [Qu’on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j’y trouverai de quoi le faire pendre]. C’est très facile de déformer les propos de quelqu’un ou juste de les contextualiser à son envi.
Nico : Ce qui a changé par rapport à l’époque de Richelieu c’est que tout est centralisé aujourd’hui. Là ça a été fuité par WhatsApp. Il y a aussi beaucoup de députés qui sont sous Telegram [1]. Dans l’affaire Griveaux on parle de la Russie qui serait potentiellement derrière et Telegram est russe. Si, effectivement, on a les États-Unis ou la Russie qui voudraient faire chanter nos députés, c’est à peu près certain qu’ils ont accès à des choses très compromettantes qui relèvent purement du domaine privé normalement mais qui peuvent se retrouver sur la place publique du jour au lendemain et faire chanter les gens.
Luc : On n’a pas besoin de choses ultra-compromettantes. D’une part la surveillance est là et grâce à Snowden [2] on sait que la NSA surveille tout.
Manu : De manière massive.
Nico : En tout cas, a accès aux données dont elle a envie.
Luc : Et que tout est archivé. Donc, en gros, on peut retrouver des trucs compromettants du passé et sans aller nécessairement sur des choses qui soient des trucs sexuels. Tout le monde, dans sa vie quotidienne, dit « untel me fait chier – il a besoin de se défouler – mon collègue machin ou mes clients » et c’est naturel. Tout le monde fait ça ! Ce sont des positions qu’on ne peut pas assumer publiquement parce qu’elles n’ont pas vocation à ça. Si quelqu’un a le pouvoir de le ressortir et le mettre publiquement, eh bien on est foutu. Ce qui veut dire qu’une puissance comme les États-Unis avec la NSA et 20 ans, 30 ans, 40 ans d’archives, le jour où il y a, mettons, un politicien dans un pays étranger qui n’est pas favorable à la politique américaine, ils n’ont qu’à aller piocher dans leurs archives et trouver quelque chose qui va permettre de le descendre.
Manu : Ça peu être assez simple et on peut penser à des jeunes, des collégiens, des lycéens qui ont des téléphones portables avec des photos. J’ai entendu que parfois ils s’amusent à s’échanger des photos par téléphone, on peut imaginer que ces photos vont être stockées par des services de renseignement et 20 ans plus tard être ressorties.
Nico : Internet n’oublie jamais. Tout ce que vous y mettez ça y reste et vous n’avez absolument aucune certitude que ça soit effacé un jour.
Luc : Internet, je pense, oublie des choses, mais la NSA non !
Manu : La NSA c’est le back-up mondial. Si vous perdez votre disque dur, vous allez leur demander une sauvegarde, normalement ils vous la donnent si vous êtes gentil !
Nolwenn : Avec beaucoup d’argent.
Manu : Avec beaucoup, beaucoup de moyens.

On ne sait pas exactement qui écoute quoi. Est-ce qu’il y a des traces involontaires ? J’avais entendu qu’il avait envoyé cette vidéo en appuyant sur un bouton « 30 secondes », qui, normalement, garantit que l’image va être effacée, après sa consultation, au bout de 30 secondes, mais il y a des moyens de contourner ce système.
Luc : Un simple logiciel de capture d’écran !
Nico : Là, en l’occurrence, comme c’était la petite amie de la personne qui a diffusé, il avait, de toute façon, accès en temps réel à tout ce qui se passait sur le téléphone. On le voit d’ailleurs sur les vidéos, ce sont vraiment des captures d’écran, le téléphone est vraiment filmé en train d’être utilisé, donc c’est vraiment un très proche qui a tout fait fuiter. C’est pour ça que cette affaire est loin d’être démêlée parce qu’entre les Russes, l’ancienne amie de Griveaux.
Manu : Et un artiste !
Nico : Un artiste qui se pointe là-dedans, c’est un vrai bordel, donc on verra ce que ça donne au niveau judiciaire.
Luc : Très bien ! J’espère que dans la semaine qui vient vous n’allez pas dire trop de mal de moi
Manu : Non, on va faire attention !
Mag : On va le faire tout de suite, alors !
Nico : On le fera surtout uniquement en version chiffrée.
Luc : Du coup on ne sera pas fâchés la semaine prochaine !
Manu : On va tâcher. Salut.
Mag : Salut.
Nolwenn : Salut.
Nico : Bonne semaine à tous.

Références

[1Telegram

Avertissement : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant⋅e⋅s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.